Droit et Liberté n°323 - septembre-octobre 1973
- Racisme, Que faire ?
- Editorial: Que faire ?par Albert Levy
- Une flambée de haine par Michel Phily
- La riposte
- L'action des syndicats
- Pour que soit appliquée la loi
- Une lettre de l'ambassadeur d'Algérie
- Sur la suspension de l'immigration algérienne
- Algérien mon frère par l'abbé Jean Pihan
- Notre prochain par le grand rabbin Jacob Kaplan
- Le racisme est lâche par le pasteur André Dumas
- Circulaire Fontanet: la sélection par George-Laure Pau
- Les immigrés sont-ils coupables: lettre ouverte du Bureau National du MRAP au maire de Toulon et à quelques autres
- Sahel: lettre de Thilogne
- Chili: le temps des barbares
- Télévision: l'affaire Dreyfus hier et aujourd'hui par Roger Maria
- Cinéma; allez voir R.A.S.
- Grasse: des "ratons" et des peintres par Georges Chatain
- Poésie: un poète assassiné (Jean Sénac) par Jean Cussat-Blanc
- Vie du MRAP: Marseilee, au coeur de l'événement
- Racisme, Que faire ?
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FRANCS Membre du M.R.A.P. et abonné depuis maintes années à votre revue, je me permets de signaler à votre attention et à celle de vos lecteurs un incident raciste bien mince, certes, si on le compare à ce qui se passe à Grasse, Toulon et ailleurs, mais néanmoins symptomatique d'une mentalité et d'un comportement qui tendent malheureusement à se généraliser en France. Me trouvant hier, à huit heures du matin, au café « Le Celtic» situé dans le quartier Montparnasse à l'angle de la rue d'Odessa et du boulevard Edgar Quinet, et commandant une tasse de café, je remarquai qu'à côté de moi un Noir d'une trentaine d'années, qui avait commandé un café bien avant moi, n'était pas servi, ses demandes répétées mais présentées calmement dans un français impeccable étant systématiquement ignorées par la patronne, qui s'empressait par contre auprès des autres consommateurs. Voyant que j'observais ce manège, mon voisin me dit sans élever la voix : « Ils refusent de me servir parce que je suis noir». Je lui passai la tasse qu'à moi, blanc, on avait immédiatement servie et en commandai une autre, riposte dont s'indigna la patronne, laquelle, me déniant le droit d'inviter ce Noir, m'intima de reprendre ma tasse ou d'aller consommer ailleurs avec mon protégé. Je fis remarquer à cette dame que le refus de servir un client dont la tenue n'avait rien d'incorrect ni le comportement de menaçant était contraire à la loi et que je signalerais son comportement. Désireux de voir si l'attitude de la patronne du « Celtic » était caractéristique de ce quartier, j'entrai peu après en com- 2 Solidarité raciste pagnie de mon camarade nigérien dans le plus proche café ouvert, à savoir « A Saint-Malo», situé à la jonction des rues d'Odessa et du Départ, et commandai deux cafés. L'un des garçons s'apprêtait à nous servir lorsque l'autre s'interposa et me dit avec arrogance : « On ne sert pas ». « Et pourquoi ne sert-on pas?» . « Parce que vous venez de vous faire vider (sic) du Celtic». Prenant note de cette communauté d'action de bistrot à bistrot et de ce refus de servir deux consommateurs arrivés ensemble pour le simple fait que l'un est blanc et l'autre noir, j'indiquai au garçon que j'allais égaIement signaler son comportement et poursuivre ma pe~ tite enquête. La troisième expérience fut moins déplaisante et j'ai plaisir à signaler qu'au café « Au Marronnier», situé à l'angle du boulevard Montparnasse et de la rue Montparnasse, nous fûmes servis de bonne grâce par la patronne de l'établissement, qui sut trouver les mots justes pour apaiser mon compagnon nigérien qui nous exposait ses griefs et sa légitime amertume. Je préférai rester sur cette note apaisante et 1'« enquête » en resta là. Si minces qu'ils soient, les faits que je viens de relater me paraissent avoir un double intérêt en ceci qu'ils attestent que dans certains établissements tels « Le Celtic » et « A Saint-Malo» on pratique ouvertement la discrimination raciale sans même l'excuse de l'hypocrisie, qui traduit à tout le moins un semblant de mauvaise conscience; d'autre part, qu'il existe une sorte de réseau de solidarité entre les bistrots racistes, qui se passent immédiatement le mot par téléphone lorsqu'une personne indisposée par leur comportement « cherche des histoires ». Quoi qu'il en soit, il serait utile que les deux établissements en question soient portés, s'ils ne le sont déjà, sur la liste des cafés et restaurants parisiens où la discrimination raciale se donne libre cours, afin que les travailleurs immigrés et tous « gens de couleur» sachent qu'à s'y aventurer ils s'exposent à un affront. André TRAVERT, Conseiller d'Ambassade New-York. A Djibouti Djibouti, colonie française depuis environ cent quarante ans, coupée du reste du continent africain, se trouve être un des territoires les plus isolés du reste du monde, tant par l'éloignement géographique . que par le manque d'information qui y est soigneusement entretenu. En effet, peu de journaux vendus en métropole sont lisibles à Djibouti. Le seul journal normalement diffusé « Le Réveil de Djibouti» est un quotidien publié par le ministère de l'Information qui ne diffuse que des informations préalablement filtrées, et dont les commentaires prônent les idées gouvernementales. A Djibouti même, règne un climat de peur. Dans la ville, existe un mur composé de barbelés électrifiés et doublés d'un champ de mines quadrillé par une série de miradors. Des rondes sont effectuées constamment par la Légion étrangère. Chaque semaine, de sept à douze personnes meurent sur ce réseau, installé sur l'ordre du gouvernement pour mieux contrôler les allées et venues de la population. La situation raciale à Djibouti est très préoccupante. Les préjugés raciaux sont presque institutionnalisés. Un élève noir n'a le droit d'être inscrit dans un établissement scolaire, que lorsque tous les élèves blancs disposent de place. Vu le manque d'établissements scolaires à Djibouti, et la forte proportion d'élèves blancs qui sont en générai les enfants des militaires installés, peu de jeunes autochtones bénéficient de la scolarité. Parmi le élèves noirs se pratique une autre discrimination. La priorité est donnée aux élèves dont les parents ont des opinions favorables au régime actuel. Les autres sont rejetés. Depuis cent quarante ans de colonisation, il n'y a pas eu plus d'une quinzaine de bacheliers. Ceux-ci venant en métropole poursuivre leurs études, voient leurs bourses supprimées au bout d'un an. Beaucoup de jeunes Somalis rentrant ensuite au pays, ne peuvent obtenir un emploi. Beaucoup d'étudiants ont d'ailleurs été emprisonnés ou ont quitté le pays définitivement. M.D. dans ce nUnlèro L'action des syndicats a contribué d'une façon spectaculaire à la riposte organisée contre les menées racistes qui se sont développées dans le pays ces derniers temps (pages 5 à 7). Entre autres prises de position contre le racisme, nous publions également celles de trois personnalités religieuses, l'abbé Berthier, le grand-rabbin Kaplan et le pasteur Dumas (pages 8 et 9). LA SÉLECTION Le délai d'application des dernières dispositions de la circulaire Fontanet à été reporté au 31 octobre. Mais après? (Page 11). LETTRE OUVERTE AU MAIRE DE TOULON Le Bureau national du M.R.A.P. s'adresse au maire de Toulon après la motion votée par le conseil municipal (pages 13 à 1 6). LETTRE DE THILOGNE Le récit pour « Droit et überté» des difficultés rencontrées, de l'accueil réservé au correspondant du M.R.A.P. pour la livraison de riz provenant de la campagne de solidarité contre la sécheresse en Afrique (page 1 7). L' AFFAI RE DREYFUS Après l'émission de télévision « Les dossiers de l'écran» quelques précisions utiles (pages 21 et 22) . s\roit& J'iberté. MENSUEL 120, rue Saint-Denis - Paris (2e) Tél. 231-09-57 - C.C.P. Paris 6070-98 ABONNEMENTS • Un an : 25 F • Abonnement de soutien : 50 F AllIilles. Réullion, Maghreb, Afriquefrallcophone, Laos, Cambodge, Not/velle-Calé· donie : 25 F. Autres pays: 35 F. Challgemelll d'adresse : 1 F. Directeur de publication : Albert Lévy Imprimerie La Haye DROIT ET LIBERTÉ - N° 323 - SEPT.-Oer. 1973 éditorial Que .~a I- re ?. ... [ M.R.A.P., qui dénonce et «:ombat de longue date la montée des menées racistes, n'est pas surpris de la flambée de haine dont Marseille a été le théâtre et de ce qui s'ensuit aujourd'hui. C'est la conséquence logique d'une dégradation dont nous ne cessons de montrer la gravité : crimes impunis, discriminations tolérées, excitations de plus en plus inSOlentes, politique d'immigration Inhumaine et hypocrite, visant à satisfaire des besoins économiaues en faisant fi des besoins des hommes. Le M.R.A.P. n'a cessé de sonner l'alarme, d'appeler à la riposte, d'agir pour arrêter cette évolution inquiétante . Nous constatons aujourd'hui combien justifiés étaient et demeurent nos efforts. Nous constatons aussi qu'ils ont porté leurs fruits. Nos idées, nos mots d'ordre se fraient un chemin dans les milieux les plus divers, et mobilisent une masse imposante d'antiracistes, plus conscients désormais de la réalité du racisme en France. Des Journées Nationales contre le racisme, le M.R.A.P. en a organisé plus de vingt, année après année, avant celle de ce 25 septembre. La Loi du 1 er juillet 1972, dont tant de voix réclament maintenant l'application, c'est lui qui ra élaborée et aui ra fait voter, après treize années de bataille opiniâtre. Beaucoup d'indifférents d'hier, qui découvrent la réalité du racisme en France, se tournent vers le M.R.A.P. avec reconnaissance et espoir. Certains, il est vrai, oublient volontiers son action passée, sans laquelle, pourtant, le présent sursaut antiraciste n'aurait pas été aussi puissant ni aussi cohérent : cela également est logique. Les racistes, eux, ne s'y trompent pas: c'est contre le M.R.A.P. que « Minute», « Rivarol» et « Ordre Nouveau» se déchaînent en diatribes vengeresses, lui rendant ainsi l'hommage involontaire des vices qu'ils incarnent. CAR - c'est là l'essentiel - les racistes ont rencontré une résistance qu'ils ne prévoyaient pas. A rappel des grands syndicats. ouvriers et enseignants ont proclamé avec une vigueur sans précédent leur opposition aux campagnes de division et de diversion tendant à détourner les mécontentèments contre les immigrés. La lutte pour les droits, l'égalité, la dignité de tous, pour une nouvelle politique d'immigration, est devenue soudain une affaire nationale, impliquant non seulement les organisations « pOlitisées », mais d'innombrables gens de coeur, mus par un sentiment de solidarité, par une réflexion plus approfondie sur ces graves problèmes de notre temps. De plus en plus, on se rend compte que le mépris où sont tenus les immigtés n'est qu'un aspect de la situation de l'ensemble des travailleurs, et qu'une politique plus favorable aux uns ne peut s'inscrire que dans un contexte plus favorable à tous. Il serait dangereux, cependant, d'affirmer que tout danger est écarté pour autant. Le gouvernement annonce en faveur des immigrés, quelques mesures, la plupart, déjà annoncées plusieurs fois. Mais la « circulaire Fontanet» continue à définir ses orientations. On peut donc craindre que la condition matérielle et morale des immigrés ne s'en trouve guère modifiée, que l'intimidation et la répression , beaucouD plus que la construction de logements et la mise en place de structures d'accueil, ne demeurent les moyens privilégiés de « traiter» cette main-d'oeuvre que le patronat veut docile et facilement interchangeable. Dès lors que les promesses et les propos lénifiants continuent de se mêler, dans les sphères officielles,' à des prises de position agressives ou ambiguës alimentant la propagande xénophobe, dès lors que le racisme est nié et les antiracistes vilipendés. par ceux-là mêmes qui devraient les encourager, le risque reste grand que le climat, loin de s'améliorer, ne s'aggrave encore. APRES cette secousse, comme avant, la lutte contre le racisme est une nécessité quotidienne pour tous. La pression doit s'accentuer pour obtenir des autorités responsables les mesures indispensables résumées dans la pétition que le M.R.A.P. vient de lancer (1) . Il faut, d'autre part, développer une vaste campagne d'information à travers la France, afin de pourchasser les préjugés, les ferments de haine et de violence que s'efforcent de susciter les groupes racistes. Plus que 'jamais, le combat continue . Partout le M .R.A.P. doit être présent pour riposter, pour prévenir. Les bonnes volontés qui se sont manifestées de toutes parts, ces dernières semaines, et qui souhaitent s'engager plus à fond trouveront avec le M.R.A.P., dans le M.R.A.P. , la voie d'une action unie, fraternelle , efficace. Albert LEVY. ( 1) Voir page 12. 3 Une flambée de haine La décision prise par le gouvernement algérien de suspendre l'émigration en France en attendant que les conditions de sécurité et de dignité soient garanties par les autorités françaises aux ressortissants algériens est la conséquence logique de l'aggravation du racisme en France dans la dernière période. Il aura suffit qu'à Marseille, un malade mental. Salah Bougrine, blesse mortellement un chauffeur-receveur d'autobus qui avait exigé qu'il paie sa place, pour que tout ce que notre pays compte encore de racistes, de fascistes, s'agite à cette occasion. C'est l'immigration algérienne dans son ensemble qui est accusée de menacer la sécurité des Français. Un journal de Marseille cc le Méridional-la France Il encourage les cc ratonnades Il. D'autres ont constitué hâtivement un cc Comité de défense des Marseillais Il pour appeler à manifester dans la rue contre cc l'immigration sauvage Il : comité qui siège à la même adresse que le cc Front national Il, héritier des restes du mouvement fasciste récemment dissous cc Ordre nouveau Il. Le cc Comité de Défense de la République Il (C.D.R.) dont les attaches avec les dirigeants de la majorité sont bien connues exige de son côté cc la peine de mort immédiate Il pour l'Algérien et se répand en propos malveillants contre les immigrés. L'Union des Jeunes pour le Progrès, des représentants du Centre Démocrate joignent leur voix à ce concert xénophobe. Directement concernés, les travailleurs ne se laisseront pas égarer dans la dénonciation des véritables responsables. L'enterrement du traminot, Emile Gerlache, se déroulera dans le calme et la dignité. Pourtant le soir des obsèques, deux Algériens sont victimes d'attentats dont un garçon de seize ans. Il y aura quatre autres morts algériens les jours suivants à Marseille. Un été violent Depuis le début de l'été le racisme avait refait surface : cc Ordre nouveau Il tient un meeting provocateur 4 Le cortège qui accompagne au bateau le corps de Lou· nès Laadj (16 ans) tué par balles le 29 aoQt. contre l'cc immigration sauvage Il ; une crise de fureur en forme de pogrom saisit une partie des habitants de Grasse, et leur maire, à la suite d'une manifestation contre la cc circulaire Fontanet Il; une tragique cc chasse à l'homme Il à Ivry, provoque la noyade d'un ouvrier portugais. Sur la Côte d'Azur, un peu partout, des violences. Les spécialistes des cc expéditions punitives Il, nostalgiques de l'O.A.S., se font la main. A Cagnes-sur-Mer le bal de la Saint-Roch s'achève à l'hôpital pour cinq Nord-Africains. Vingt Européens participaient à l'agression. A Juan-les-Pins une bagarre oppose des Européens à des juifs d'origine tunisienne. Plusieurs blessés. A Ollioules (Var), des Français enfoncent la porte de l'appartement d'un Tunisien tandis qu'un autre est sauvagement attaqué. De Marseille à Nice, le mois d'aoOt est parsemé d'incidents comparables. Le Conseil municipal de Toulon adopte une motion sur la « situation explosive » qui « entraîne des nuisances graves pour la tranquillité et la santé des habitants de la ville ». A l'origine de cette motion : le climat qui règne dans la cité H.L.M. du Jonquet, où un millier de personnes sont réparties en trois communautés : française 40 %; gitane 30 %; musulmane 30 %. (Voir notre dossier « Lettre au maire de Toulon» p. 11 . Un climat hostile Après Marseille, au Perreux (Val-deMarne) M. Rabah Mouzzali est tué par balles dans un café. Le même soir à Metz, c'est Ahmed Reski, qui est tué d'une balle en pleine poitrine devant le foyer où il réside. Quelques jours plus tard un père de six enfants Mohamed Benbourck est découvert noyé au fond d'une rivière près de Maubeuge. Au total. en moins d'un mois, onze ressortissants algériens sont assassinés par des individus où des commandos racistes opérant en toute impunité. A Toulouse, une cinquantaine de soldats du 98 régiment de chasseurs parachutistes organisent une cc expédition Il contre un groupe d'ouvriers Nords-Africains. Un certain climat hostile aux immigrés tend à se développer en France. En multipliant les expulsions le ministre de l'Intérieur, braqu~ les projecteurs de l'actualité sur les immigrés qu'il tient facilement en suspicion. La maladresse de certains journaux et de la radio-télévision, mais quelquefois aussi le parti pris ou des mobiles politiques, de même que l'ambiguïté de certaines déclarations officielles appréciées contribuent à la confusion, au lieu d'éclairer comme il le faudrait, le problème complexe et douloureux de l'immigration. Des feuilles comme cc Minute Il font du racisme à pleine colonne; un journal fraîchement créé intitulé cc Le Combat européen Il affiche un surtitre sans équivoque : cc Norafs, partez! Il et publie dans son éditorial un véritable appel au meurtre. A l'heure où nous mettons sous presse, de nouvelles agressions sont enregistrées contre des travailleurs immigrés. S'il est vrai que la majeure partie de l'opinion française s'élève contre cette flambée raciste et en condamne les auteurs, il est urgent que des mesures soient prises pour y mettre fin et que soit extirpé le germe du racisme. Il est urgent d'assurer la protection de la communauté algérienne et de l'ensemble des immigrés. Il est urgent de s'unir pour bannir de notre pays le spectre de la haine. Michel PHILY. La riposte_ 1 ES événements de Marseille et leurs suites fin août et début L septembre, ont été doublement révélateurs. Après le crime d'Ivry, les cc ratonnades Il de Grasse et les incidents de rété sur la Côte d'Azur, ils ont confirmé dans toute son acuité la réalité du racisme en France. D'autre part, la riposte qui a été immédiate de la part de nombreuses organisations et personnalités exprimant rémotion des secteurs les plus divers de ropinion publique, est apparue comme un facteur décisif de la situation. Il convient de noter tout d'abord que la presse, dans son ensemble, ne s'y est pas trompée. Malgré les dénégations de ceux qui provoquent à la haine en se prévalant de distinctions subtiles entre les cc bons Il et les cc mauvais Il immigrés, entre ce qu'ils nomment l'immigration cc sauvage Il et celle qui ne l'est pas, ou qui prétendent ne se préoccuper que de considérations cc techniques Il, c'est bien le racisme que la plupart des journaux sans distinctions de tendances (à part ceux de rextrême-droite) ont découvert et stigmatisé. Et en affirmant que « quelquefois le simple fait de prononcer le mot appelle la réalité , et la réalité, malheureusement, quelquefois suit ridée», M. Pompidou ne les a pas amenés à modifier leur optique. Il suffit de jeter un coup d'oeil aux articles et aux titres qui continuent de paraître à ce sujet pour constater que LE PROBLEME DU RACISME EST DESORMAIS PLEINEMENT POSE DEVANT L'OPINION FRANÇAISE. le M.R.A.P., qui n'a cessé d'alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur la gravité de ce mal, estime salutaire cette prise de conscience, pour douloureuse qu'elle soit. En se démasquant, les éléments racistes auront rendu plus évidente la nécessité de combattre par tous les moyens un fléau qui, du préjugé et de la ségrégation au meurtre, revêt chez nous toutes les formes possibles. Ainsi - et nous nous en réjouissons au plus haut point - la lutte contre le racisme s'est élevée en quelques semaines à un niveau jamais atteint. ELLE EST VERITABLEMENT DEVENUE L'AFFAIRE DE TOUS LES DEMOCRATES DONT l'UNION, FACE AUX PERilS, A PRIS UNE AMPLEUR, UNE COHESION ET UNE FORCE SANS PRECEDENT EN LA MATIERE. Cette lutte ne sera certes pas facile. Car, elle doit être menée sur plusieurs fronts, à la fois contre les racistes • conscients et organisés Il, leurs groupes, leurs publications, et contre les effets insidieux, dans les esprits, des campagnes mystificatrices visant à tromper par le mensonge, la peur et la diversion le nombre maximum de Français, en ces temps de crise. De plus, elle se heurte à maints obstacles, en premier lieu à la passivité, pour ne pas dire plus, des autorités responsables, auxquelles le M.R.A.P. propose vainement une série de mesures urgentes susceptibles de faire reculer le racisme. La riposte, c'est avant tout la mobilisation des travailleurs français et immigrés - des traminots de Marseille aux grandes centrales syndicales, C.G.T., C.F.D.T. et F.E.N. qui ont fait du 25 septembre une Journée nationale d'action contre le racisme et pour l'égalité des droits. C'est le large écho donné à travers la France aux prises de position du M.R.A.P. à chaque rebondissement, des meetings d'Ivry et de Grasse, en juillet, à la cc lettre ouverte au maire de Toulon Il, des communiqués sur ragitation haineuse de Marseille à la déclaration sur la suspension de rémigration algérienne. La riposte, c'est raction judiciaire déclenchée à trois reprises par le M.R.A.P., les milliers de signatures déjà recueillies sur nos pétitions, notre feuille spéciale cc Halte au racisme ! Il diffusée à 40 000 exemplaires, les nombreuses réunions publiques, grandes et petites qui ont eu lieu et se préparent un peu partout, y compris dans les écoles, les initiatives prises par les organisations unissant avec le M.R.A.P. leurs efforts, à Marseille, à Paris et dans d'autres villes, et la puissante manifestation parisienne du 25 septembre. C'est aussi le développement dans tous les milieux de la compréhension et de la solidarité envers les travailleurs algériens, qui n'ont pas été seuls à faire grève à Marseille, Toulon et surtout à Paris, pour protester contre les menaces dirigées contre eux; et les multiples appels demandant que la politique d'immigration soit modifiée, pour assurer à la maind'oeuvre étrangère que le patronat fait venir en masse, des conditions de vie décentes, régalité des droits, une véritable dignité. Nous ne pouvons ici, faute de place, rendre compte de toutes les manifestations antiracistes de la dernière période, et d'ailleurs, la lecture de la presse quotidienne apporte actuellemerrt une information appréciable à ce sujet. On trouvera en pages 27-29 un compte-rendu des activités du M.R.A.P. ; et ci-dessous quelques prises de position qui nous ont semblé particulièrement significatives, et qui éclairent sous des angles variés ce courant grandissant de ropinion française. L'action des syndicats La Joumée nationale d'action corrtre le racisme et pour régalité des droits entre travailleurs français et travaillleurs immigrés organisée par la C.G.T., la C.F.D.T. et la F.E.N. avec rappui de r Amicale des Travailleurs algériens en Europe, a permis une riposte spectaculaire à la campagne raciste qui s'est développée dans le pays. DROIT ET LIBERTÉ - N° 323 - SEPT.-OCT. 1973 De nombreuses organisations parisiennes - dont le M.R.A.P. - avaient appelé leurs adhérents à soutenir cette journée d'action à rissue de laquelle un rassemblement a eu lieu à la Bourse du Travail. Nous reproduisons ci-après les prises de positions des responsables des centrales syndicales organisatrices : Georges Séguy (C.G.T.) : cc Nous ne laisserons pas toucher à nos frères immigrés)) « Certes nous ne sommes pas pour une immigration anarchique et illimitée qui ne tiendrait pas compte des besoins et des possibilités de l'économie du ~ 5 -. pays. Cette politique serait contraire aux intérêts des travailleurs immigrés comme des travailleurs français. « Le pouvoir a laissé agir impunément toute la faune des marchands d'hommes qui s'est enrichie, tous les marchands de sommeil sans scrupules. « Il laisse agir le patronat qui recrute la main-d'oeuvre dans les pays d'origine, qui dicte ses ordres à l'A.N.P.E. , sélectionne la main-d'oeuvre en fonction de la nationalité ou la couleur de la peau, tandis que le personnel honnête de l'A.N.P.E. est menacé de licenciement parce qu'il ne se prête pas à de telles opérations de caractère raciste . « C'est cette politique que nous combattons ( .. . ). .. « Car pour nous, la division de la société ne se situe pas au niveau des races et des nationalités mais au niveau de classe. Les travailleurs immigrés qui occupent une place importante dans l'économie sont placés dans les mêmes rapports de production que les travailleurs français. La communauté d'intérêt qui lie les uns et les autres doit se traduire par un renforcement de la lutte commune contre les mêmes exploiteurs. « Nous ne laisserons pas toucher à nos frères immigrés et nous combattrons encore plus résolument toute tentative de dresser les travailleurs les uns contre les autres, de distiller le poison du racisme dans la population de notre pays.» Edmond Maire (C.F.D.T.) : cc Ne pas se tromper d'adversaire)) « La resurgehce actuelle du racisme n'est pas accidentelle. Elle est le fruit d'une campagne de la droite et de l'extrême-droite, dont les intérêts sont liés à ceux des possédants. « Actuellement on entend dire que les travailleurs sont racistes, surtout ceux situés au bas de l'échelle. Il est vrai que la classe ouvrière n'est pas à l'abri du racisme et, notamment, parce qu'elle est plus exposée que d'autres aux manoeuvres de division du patronat. « Le rôle de l'organisation syndicale est évidemment de dire aux travailleurs qui rejettent l'étranger qu'ils se trompent d'adversaire. « L'hostilité aux immigrés s'alimente d'abord dans le système économique et politique, dans l'exploitation éhontée des travailleurs immigrés, le licenciement arbitraire, le refus d'embauche dont ils sont victimes, les tracasseries, les brimades qu'ils subissent. « Ce n'est pas par hasard, si dans cette période où la lutte de classe se développe, on voit le gouvernement et le patronat laisser se développer sans réagir des campagnes xénophobes, des écrits scandaleux comme parmi ceux parus dans « Minute» ou « Le Méridional ». La journée nationale d'action contre le acisme : meeting à la Bourse du Travail James Marangé (F.E.N.) cc Combattre les préjugés de récole)) « ... Il existe encore dans notre pays une couche de xénophobes, de nationalistes et de racistes qui tenteront de profiter du moindre incident pour essayer de dresser les uns contre les autres, des hommes, dont pourtant les intérêts de travailleurs sont les mêmes. « Tirant des conclusions faussement scientifiques, des études statistiques on présente la naissance du racisme comme un fait inéluctable, dès lors que serait atteint le seuil des 12 %. Nous refusons ce qu'on présente ainsi comme une fatalité. Il faut combattre cette ignorance, détruire ces préjugés. Tout cela est oeuvre d'éducation qui doit commencer ' sur les bancs de l'école. Pour que soit appliquée la loi ... « En présence du racisme, il n'est pas un homme, pas une femme qui ait le droit de se taire, a fortiori pas un enseignant, pas un éducateur, pas un de celles et de ceux qui ont mission de former les hommes de demain. « Comment de toute façon pourraientils se taire, alors qu'ils ont aussi la charge d'aider les travailleurs immigrés à s'adapter à leurs nouvelles conditions d'existence, à se perfectionner dans leur métier ; qu'il ont aussi la charge d'assurer à leurs enfants unE! scolarisation leur permettant de se développer sans pour autant perdre leur individualité; qu'ils sont conscients, et pour cause, des difficultés des problèmes posés, et qu'ils savent que la solution de ces problèmes suppose l'établissement de relations directes dans le climat de confiance sans lequel la nécessaire communication ne peut s'établir.» 6 (( Nous en avons assez. Assez des voleurs algériens, assez des casseurs algériens, assez des fanfarons algériens, assez des trublions algé· riens, assez des syphilitiques algériens, assez des violeurs algériens, assez des proxénètes algé· riens, assez des fous algériens. assez des tueurs algériens ... JI C'est dans de Méridional . La France JI du 26 août qu'a paru cette litanie haineuse, tendant de toute évidence à créer un climat d' hostilité, voire de violence contre la population algérienne. (( Minute JI du 5 septembre reprend à son compte ce texte et développe des thèmes semblables dans une série d'articles succédant au gros titre de première page : (( Arrêtez t'invasion algérienne JI. A la suite des multiples protestations qui se sont élevées, le Parquet de Paris a engagé des poursuites. Le M.R.A.P. , qui avait aussitôt soumis ces textes à l'examen de sa Commission juridique, a décidé de se constituer partie civile, en application de la loi relative à la lutte contre le racisme du l·r juillet 1972, qui lui en donne la possibilité. Rappelons qu'en juillet, le M.R.A.P. a déclenché une procédure de citation directe contre la publication « Pour un ordre nouveau», distribuée au meeting d' « Ordre nouveau» le 21 juin, à la Mutualité. Dans le style de l'O.A.S. En septembre a paru le numéro d'une nouvelle publication « Le combat européen», tout entière consacrée à provoquer la haine contre les Algériens. Dans le style de l'O.A.S., plusieurs articles évoquent avec nostalgie les temps du colonialisme : (( Votre terre est devenue française mais elle est restée musulmane. Ce fut peut·être une er· reur ( .. .) Ils (les Européens) eurent le tort. aussi d'accorder la nationalité française aux Juifs ( ... ) Et maintenant vous envahissez la France parce que vous mourez de faim sur une terre que vous avez cru libérer et qui est devenue invivable par le manque des Cadres qu'on vous a fait écarter. Vous ne croyez pas que vous allez un peu fort ? (( De deux choses l'une. Ou bien vous reconnais· sez que vous ne pouvez vous passer des Européens entreprenants et organisateurs, et vous leur demandez de retourner en Afrique, ou bien vous rentrez dans votre désert ... JI Ce mépris cynique pour les « soushommes » colonisés se transforme en un. véritable appel au meurtre quand après avoir accusé les Algériens, de « faire les maîtres ici», de « coloniser» la France, cette feuille infâme lance ce slogan : (( la valise ou le cercueil! JI Un autre article rend compte d'un « Clan européen», camp d'entraînement para-militaire, organisé cet été dans les Cévennes par les « Jeunesses d'action européenne», et fait état de contacts avec des organisations allemandes, suisses et italiennes. Qu'attendent donc les pouvoirs publics pour engager aussi des poursuites contre « Le combat européen» et mettre hors d'état de nuire les organisateurs de commandos fascistes et racistes? Abdelkrim Gheraïeb (Amicale des Algériens en Europe) : cc Des mensonges meurtriers )) « A ce jour, onze de nos compatriotes ont été assassinés par des commandos racistes qui opèrent en toute impunité. Le climat de violence, de suspicion et DROIT ET LlBERTË - N° 323 - SEPT.-oer. 1973 de haine entretenu autour de notre émigration compromet dangereusement sa sécurité. Au-delà, pour les inspirateurs de cette campagne anti-algérienne, il s'agit de porter atteinte non seulement aux intérêts de l'Algérie, mais aux relations algéro-françaises elles-mêmes. « Durant la crise pétrolière de 1971 , vingt et un de nos compatriotes ont été assassinés sans qu'un seul de leurs agresseurs, à notre connaissance, ait été arrêté. Il en est de même de ceux qui mitraillent périodiquement les cafés dans lesquels se retrouvent les nôtres. « D'un autre point de vue, pourquoi les autorités françaises qui ont pourtant les moyens, ne luttent-elles pas contre les mensonges et les calomnies répandues par une certaine presse sur les Algériens. « Ainsi, il est faux de dire qu'il y a une immigration algérienne sauvage. Au contraire, celle-ci est strictement contingentée en vertu des accords bilatéraux existants. Nos travailleurs n'entrent en France qu'après avoir subi un examen médical approfondi en Algérie par des commissions médicales mixtes. « Si les nôtres tombent parfois malades en France, c'est à cause des conditions déplorables dans lesquelles ils vivent id . « Il est faux aussi de dire que les Algériens encombrent les hôpitaux. Il est en effet prouvé qu'il y a proportionnellement moins d'Algériens dans les hôpitaux que de Français. « Sait-on que les cotisations des travailleurs algériens procurent ,davantage de ressources aux caisses françaises de Sécurité sociale et d'Allocations familiales que ces dernières ne leur versent de prestations? « Saint-on que les cotisations des travailleurs algériens aux caisses de retraites se chiffrent par milliards d'anciens francs et constituent un bénéfice net pour ces caisses, car nos milliers de compatriotes qui retournent en Algérie voient leurs droits cesser du fait de leur départ ? « Quant au fonds d'actions sociale (F .A.S.). créé à l'origine pour améliorer les conditions de logement des travailleurs algériens grâce à leurs propres cotisations (prélevées sur leurs allocations familiales). il a été depuis longtemps détourné de son but initial; et nos travailleurs, bien qu'ils y cotisent encore, n'en tirent pas le profit équivalent à leur apport. » F.O. :cc Une source d'injustices et de violences.)) La Confédération Force Ouvrière, qui n'a pas participé à la journée d'action du 25 septembre, nous a fait parvenir une déclaration de son bureau national qui condamne les manifestations racistes et dont nous reproduisons cidessous quelques extraits: « La Confédération F.O., profondément attachée à la notion de liberté a toujours condamné le racisme sous toutes ses formes et quels qu'en soient ses auteurs car le racisme engendre inéluctablement injustices et violences. « Elle ne sous-estime pas l'importance des problèmes soulevés par la présence en France d'une population immigrée dépassant trois millions cinq cent mille personnes et représentant un million sept cent mille travailleurs occupant une place importante dans l'économie du pays à laquelle ils sont indispensables. Une lettre de l'ambassadeur d'Algérie Le Secrétariat national du M.R,A.P., dans une lettre adressée à l'Ambassade de la République Algérienne Démocratique et Populaire et à l'Amicale des Algériens en Europe, a fait part de son indignation et de ses sentiments de solidarité devant les manifestations de racisme anti-algérien qui se sont développées ces dernières semaines. Dans sa réponse l'Ambassadeur d'Algérie à Paris écrit : « Dans les moments difficiles que traversent nos ressortissants en France, votre lettre pleine de chaleur humaine et de sentiments de solidarité m'a profondément touché. Comme j'ai eu l'occasion de le déclarer à la presse, le peuple français dans son immense majorité, est toujours demeuré étranger et hostile au racisme. Vos encouragements confirment s'il en est besoin cette tradition d'hospitalité et de justice que nous lui connaissons. » Pour sa part, le président de l'Amicale des Algériens en Europe, tient à exprimer « au nom de notre organisation, mes remerciements pour l'action que vous avez déployée dans le cadre de la lutte contre le racisme et demeure convaincu que vos efforts contribueront à éliminer le spectre du racisme,» 7 Trois personnalités religieuses « Droit et Liberté,. publie ci-après trois prises de positions de personnalités du monde religieux. « Un chrétien vous parle,., texte prononcé sur les antennes de Radio-Télé-Luxembourg par l'Abbé Berthier, responsable national de la Fédération des organismes de communication sociale. « Le racisme est lâche,., lettre que nous a fait parvenir le Pasteur André Dumas, professeur de morale à la Faculté de théologie protestante de Paris. Un extrait du discours prononcé par le Grand Rabbin Kaplan, lors de la éérémonie des déportés célébrée à Nancy, le 23 septembre 1973. Algérien M ON frère algérien, je ne parle pas ta langue et tu ne partages pas ma foi. C'est pourtant à toi que s'adresse aujourd'hui le chrétien que je voudrais être. mon frère où tu aurais voulu demeurer mais où tu ne trouvais pas à vivre. Crois-moi, beaucoup de Français qui réfléchissent te sont reconnaissants du service que tu rends. Rassemblement des travailleurs algériens à la Mosquée de Paris le 14 septembre. Permets-moi d'abord de te remercier. Quand je pars au travail, chaque matin, je te vois sur le pont que tu es en train de construire, au soleil ou sous la pluie. Ton marteau-piqueur ne résonne pas seulement dans mes oreilles. Je sais que tu réalises une tâche dont je serai prochainement le bénéficîaire, et que cette tâche est rude. Si rude, et sans doute si mal payée, que peu de Français veulent l'accomplir. Tu as quitté ton pays, ton village, les tiens, les lieux Mon frère algérien, très 'souvent tu vis seul, célibataire, loin de ta famille. Et comment m'étonnerai-je que tu portes un regard de désir sur les femmes que tu rencontres et qui ne sont pas les amies de tes soeurs? Je souhaite pour toi que tu puisses régulièrement retourner dans ton pays, que tu y retrouve la compagne de ta vie et qu'une possibilité de vivre décemment en France vous soit offerte à tous deux, si tu ne trouves pas d'embauche dans ta patrie. 8 Sur la suspension de l'émigration algérienne Le M.R.A.P. a publié le 21 septembre le communiqué suivant Alors que les crimes racistes se font de plus en plus fréquents, et que Il Algériens ont été tués en France en quelques semaines, les agresseurs - individus ou commandos - bénéficient d'une inconcevable impunité. Alors que des groupes et des organes de presse provoquent quotidiennement à la haine contre les immigrés, surtout contre les Algériens, des déclarations officielles contribuent à accréditer des idées erronées et calomnieuses sur l'immigration, dans le même temps où le gouvernement favorise l'entrée accrue de cette main-d'oeuvre, réclamée par le patronat. Alors que le problème essentiel est de réaliser l'accueil décent de ces travailleurs, on semble surtout préoccupé, en haut lieu, de multiplier les mesures répressives, visant ceux qui luttent pour l'amélioration de leur sort. La loi contre le racisme n'est pas appliquée, et loin de faire appel à l'opinion antiraciste, les pouvoirs publics s'efforcent de minimiser la gravité des récents événements. Conséquence logique de cette situation, la décision du gouvernement algérien de suspendre l'immigration traduit sa volonté de défendre la sécurité, les droits et la dignité de ses ressortissants. Cette décision, devrait susciter une réflexion salutaire sur le rôle et la condition des travailleurs immigrés, ainsi que sur le développement inquiétant des menées racistes en France. Le Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix (M.R.A.P.), qui n'a cessé, depuis des années, de dénoncer la montée des périls, souligne avec force la nécessité d'une orientation nouvelle," dans l'intérêt et pour l'honneur de notre pays. Je sais que parmi les sept cent mille que vous êtes en France actuellement, il y a, comme dans tout groupe humain, des malheureux qui peuvent devenir fanatiques, des malades mentaux et des brebis galeuses. Proportionnellement, il n'yen a pas plus parmi vous que dans la population française. Mais un meurtre reste toujours odieux et je suis sûr que tu partages les sentiments du consul général d'Algérie à Marseille, déplorant « cet acte criminel» contre un traminot, et « s'associant de tout coeur au deuil d'une famille cruellement èprouvée». Mais j'ai honte des odieuses représailles racistes dont tu es la victime. Personne ne pourra nous pousser à rendre une communauté responsable du geste d'un individu, et encore moins quand il s'agit d'un malade mental. Mon frère algérien, tu ne partages pas la même foi que nous. Mais si tu es croyant, c'est au même Dieu que moi. Je respecte et j'admire le sens du Très-Haut que bien souvent tu gardes comme un héritage vivifiant. Si tu me permets un conseil, ne te laisse pas gagner par la conception du bonheur que l'Europe semble te présenter. Comme le souhaitait récemment le commandant Cousteau, pour toute l'humanité, n'oublie pas de préférer « fleurs, chansons, oiseaux» plutôt que « fusils, voitures et argent». Ton Afrique natale peut rappeler à tous cette ligne de vie, plus attentive aux relations humaines qu'aux signes extérieurs de richesse. Et que notre fraternité demeure. par-dessus tous les malentendus, et malgré les violences dont je sais bien qu'en fait tu subis la plus grosse part. Abbé René BERTHIER. Marseille : débarquement de travailleurs immigres. Notre prochain T E racisme qui n'était au début que de .L discrimination et de violence est devenu par une pente naturelle un racisme d'extermination dont les juifs ont été les principales victimes. Malgré les sursauts d'horreur provoqués par le génocide nazi commis sur les juifs, le racisme a contaminé bien des esprits, souvent même à leur insu. Il agit toujours en eux mais d'une maniére latente et dans certaines circonstances, brusquement, il fait surface et éclate dans toute sa virulence. On l'a vu récemment : un crime que tout le monde déplore a été commis par un dément algérien ·; aussitôt, c'est l'explosion d'un racisme meurtrier. La réprobation générale, celle des autorités et de l'opinion publique, a heureusement étouffé cette odieuse tentative d'instaurer le racisme dans le pays des Droits de l'homme et du citoyen. Le racisme que nous venons de voir à l'oeuvre, nous avons à le stigmatiser et à le combattre. A ceux qui se sont laissé gagner par lui, nous devons rappeler la parole de Dieu à Cain avant qu'il n'assassine son frère : le péché est à ta porte, il aspire à t'atteindre mais toi, sache le dominer. Nous ne prenons pas assez conscience du danger que constitue le racisme pour l'humanité entière. Par sa nature, il tend à s'attaquer aux hommes différents de nous (or, on est toujours différent d'autrui) et en conséquence, le racisme qu'on laisse DROIT ET UBERTË - ND 323 - SEPT.-OCT. 1973 se développer risque un jour de se retourner contre ceux qui ne l'auraient pas endigué à temps, c'est-à-dire enrayé quand les victimes étaient les autres. C'est pourquoi, dès ses premières manifestations, tout racisme doit être mis hors d'état de nuire. Plus que jamais, il importe de rappeler au nom de la Bible que l'humanité est une, que tous les hommes sont les enfants d'un même Dieu, qu'ils sont issus d'un même couple, que les races humaines quelles que soient les différences de visage et de couleur, ayant la même origine, sont égales en dignité par leur filiation commune. Les anciens rabbins ont formulé cette idée en ces termes : « Pourquoi à l'origine un seul homme? Afin que personne ne puisse dire : mon père était plus noble que le tien. » Notre prochain, ce n'est pas seulement le juif, c'est aussi le chrétien, le musulman, le croyant de toute confession et l'incroyant. Notre prochain, ce n'est pas seulement l'homme blanc, c'est aussi l'homme de couleur. Notre prochain. ce n'est pas seulement l'Européen, c'est aussi l'homme dans tous les continents. Chacun d'eux est notre prochain. Tous sont nos frères. Refusons le racisme, abolissons-le en nous et hors de nous, soyons pour la fraternité humaine, soyons pour l'unité du genre humain. Grand Rabbin Jacob KAPLAN. Le racisme est lâche 1 E racisme c'est la peur et le mépris L de l'autre, je précise de l'autre quand on le juge plus faible. Car le racisme à l'égard de ceux que l'on reconnaît plus capables, plus évolués, plus justes que soi n'existe pas. Le racisme n'est donc pas la préservation de sa propre identité, que l'on penserait menacée par un plus fort. C'est toujours, derrière les paravents, l'exploitation économique psychologique de celui que l'on estime faible! C'est pourquoi le racisme est lâche. Il y a un roman admirable sur le racisme en France à l'égard des travailleurs nord-africains : La ligne 12 de Raymond Jean, paru aux éditions du Seuil l'an passé , avant les événements de Marseille . On y voit un conducteur d'autobus énervé passer sa colère sur un ouvrier algérien et tous les voyageurs de l'autobus, qui lâchement, détournent la tête. A la suite d'un enchaînement de préjugés et de paresses, l'histoire aboutit à la condamnation de l'ouvrier innocent. Lisez-le ce récit pour essayer de ne jamais vous conduire en complice du racisme. C'est une maladie si insidieuse et si contagieuse. Pasteur André DUMAS Désireux de soutenir l'action contre le rac:is1D', "antisémitisme et pour la paix, J'adhère au M.R.A.P. NORL-.. "".,"",_,~ ____ , _ ",_,,,,",,,,, _____ ,_., _ , __ , _ ,,, Prénom._'._ .. ______ , __ ... c .. ,~"_ .•. " •. ",._" •.•• ,---.-., Protession. __ ... _... _.. ,• .. _ ,. ___ ... _.• . _.. . _.. .•....•. ., .. Adresse.. __. .. .,._ ... "._._ .......... .. . .. _.,_ ........... . le IIlIIntant de la carte d'adhésion (à partir de 10 francs) est laissé à "appréciation du souscriptlM, selon ses possibilités, compte tenu de la oécessité If apporter le soOOen le plus efft. cace à faction du M.RAP.
MOlMlrnent contre le ~adsme, ,'Antisémitisme et polit la Paix - Tél : 23H19-57 - C.c.P. 14-825-85 Paris. . 9 - 1 Quelques prises de position DES CATHOLIQUES CRS de l'affaire de Marseille, au mois d'août, la réaction de l'archevêque Etchegaray a été immédiate et catégorique : « Si nous n'y prêtons pas attention, nous courons au-devant d'une flambée terrible de racisme ... Nous devons tous nous sentir solidaires de ce qui se passe dans notre civilisation qui paraît détraquée». Mgr Etchegaray a également porté témoignage auprès du préfet des Bouches-du-Rhône en faveur du Pasteur Perrégaux. A Marseille egaIe ment, l'abbé Audusseau délégué diocésain aux migrants, répond vigoureusement, dans Le Figaro du 22 septembre, aux affirmations optimistes de M. Christian Bonnet, secrétaire d'Etat au logement sur le nombre des bidonvilles et sur la proportion d'étrangers mal logés (6 %, disait le ministre) : « Qui donc a dit, répète l'abbé : Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose?» Il ne se passe pas de semaine, sinon de jour, que La Croix ne fasse une place importante aux problèmes des travailleurs immigrés. Le 19 decembre, sur deux pages, c'est une table ronde entre M. Gorse, ministre du Travail, M. Bedjaoui, Ambassadeur d'Algérie à Paris, M. Arreckx, Maire de Toulon, M. Bouziri, fondateur du Comité de défense des travailleurs immigrés. Il n'y a pas de commentaires, mais le moins que l'on puisse dire est que le ministre du Travail n'y paraît pas très convaincant et fait preuve d'ignorances étonnantes (le maire de Toulon semble plus compréhensiO. Le 21 septembre, sur une page entière, c'est une interview de l'évêque de Pontoise, Mgr Rousset, président de la Commission épiscopale des migrations. Il y dénonce les insuffisance~ de la circulaire MarcellinFontanet, il s'inquiète de l'échéance du 30 septembre, et il proclame que « l'impératif prioritaire d'assurer la justice ne peut se confondre avec la neutralité politique. Ce n'est pas contester systématiquement un régime, même pour un étranger, que de revendiquer des droits fondamentaux, en particulier le droit à l'expression JJ. Il se réjouit de voir les immigrés commencer de prendre leur sort en main, car ils ne doivent pas être des « assistés». Ils ne doivent pas être astreints à un nouveau servage, mais vivre une promotion. J.P. 10 L'ACTION DU GROUPE COMMUNISTE Nous avons reçu de M. Robert Ballanger, député de la Seine-Saint-Denis, président du groupe communiste à l'Assemblée nationale une lettre où il déclare partager l'inquiétude et l'indignation du M.R.A.P. devant les manifestations de racisme qui se sont multipliées en France au cours des dernières semaines. Les députés du groupe communiste, écrit-il. élèvent une vigoureuse orotestation contre la campagne de haine raciste qui se développe dans le pays et contre la mansuétude dont bénéficient les instigateurs de la part du pouvoir. Ils sont intervenus à plusieurs reprises pour demander au gouvernement d'agir conformément aux dispositions de la loi existante contre le racisme. Dans le même temps, les députés communistes ont demandé, en particulier à l'occasion d'une délégation auprès de M. le ministre du Travail, le 11 septembre 1973, que soit mise en discussion le plus rapidement possible, et, en tout état de cause, au cours de la session parlementaire qui va s'ouvrir, leur proposition de loi instituant un statut démocratique des travailleurs immigrés. RENCONTRE M.R.A.P.-PARTI SOCIALISTE Une délégation du M.R.A.P. composée d'Albert Lévy, Sally N'Dongo et Henri Citrinot, a rencontre, le 18 septembre plusieurs dirigeants de la Fédération de Paris du Parti socialiste : Christian Pierret, secrétaire adjoint de la Fédération, Georges Leygnac, conseiller de Paris, Paule Dufour, Thierry Bondoux et Bernard Tomas. Au cours d'un échange de vues prolongé sur la situation résultant de l'aggravation des menées racistes et sur les problèmes de l'immigration, les deux délégations ont constaté de nombreux points d'accord fondamentaux dans leurs appréciations respectives. Elles ont décidé de développer l'échange d'informations entre le M.R.A.P. et la Fédération, et de multiplier les contacts en vue d'une coordination des efforts aux niveaux parisien et local, dans le cadre du rassemblement de toutes les forces décidées à combattre efficacement le racisme et à défendre les droits et la dignité des travailleurs immigrés. • Trois gardiens de la police municipale de Cannes ont été déférés au parquet de Grasse, pour avoir malmené lors d'un contrôle d'identité, M. Mohamed Ben Kram, qui circulait à vélomoteur. Ce dernier a porté plainte. Les trois policiers ont reconnu ravoir frappé au visage et molesté dans les locaux de 1 la police municipale. • «La Revue du praticien It, ·dans le numéro 39 du 1 er septembre 1973, corrige dans son éditorial une erreur d'impression qui s'est produite dans son numéro du 21 juin et que « Droit et Uberté » avait relevé comme un fait de racisme. Nous prions ici la rédaction de la revue de bien vouloir nous en excuser. Les morsures dangereuses attribuées aux « Arabes It étaient, en fait, celles des t( aras •. • Le pasteur Perregaux, responsable de la Cimade à Marseille et de nationalité suisse, a été expulsé de France le mardi 4 septembre à cause de son action de solidarité avec les travaiDeurs migrants. De nombreuses associations, dont le M.R.A.P., ont protesté vivement contre r application soudaine et brutale de cette mesure. le pasteur Andrew Parker, de nationalité britannique, a éga.lement été expulsé. • Plus de deux cents personnes ont assisté à une réunion au Foyer Losserand, 214, rue Losserand dans le 14· arrondissement, où 271 travailleurs africains sont menacés d'expulsion, leur foyer devant être détruit en raison de la rénovation du quartier Plaisance. Les travailleurs refusent une expulsion sans relogement dans leur quartier. • Les travailleurs africains du foyer de Bagnolet qui ont entrepris la grève des loyers, il y a déjà plusieurs mois pour protester contre r état intolérable des locaux, poursuivent la lutte afin d'empêcher r expulsion de certains d'entre eux. Le M.R.A.P. était représenté par lucky Thiphaine, secrétaire nationale, dans la délégation qui les a accompagnés le 9 août au consulat du Sénégal, et par Henri Citrinot, secrétaire national, au meeting qui s'est tenu le 4 septembre à Bagnolet. • D'après le ministère de rlntérieur, du 15 juin au 15 jui,let, sur la frontière pyrénéenne, 272 immigrants clandestins ont été refoulés en Espagne et 21 passeurs« professionnels ,. appréhendés. . ~~fl JOU~I circulaire Fontanet La sélection A PRES les récents événements, les prochains mois s'annoncent lourds de menaces pour les travailleurs immigrés. Dans un climat de haine raciale, sous-jacent partout, explosif en certains endroits, il est à craindre que les mesures prises à leur encontre ne constituent des encouragements à ceux qui s'efforcent d'aggraver la tension. La campagne raciste d' « Ordre Nouveau », tolérée, sinon favorisée par les pouvoirs publics porte ses fruits, et on voit se déchaîner sans vergogne les appels à l'élimination même physique des travailleurs. Les préjugés racistes les plus eculés sont à nouveau développés. Ainsi dans « L'Aurore», on peut lire que les Arabes vivent oans la promiscuite, ils manquent d'hygiène, sont toujours malades et se nourrissent aux frais de la Sécurité sociale ... Pas une semame ne s'écoule sans qu'on n'apprenne plusieurs agressions et parfois des meurtres perpétrés contre des immigrés, et dont les auteurs restent impunis. Ce climat est entretenu non seulement par les déclarations d'autorités municipales, et même gouvernementales, mais encore par un sondage de l'I.F.O.P., largement publié, où on demande aux Français de choisir pour qualifier les immigrés entre des qualificatifs tels que : « vicieux, violents, fanatiques, culottés, exigeants, menteurs » ... Le comble, c'est que la législation antiraciste, jamais appliquée pour protéger les immigrés jusqu'à ce jour, est sollicitée aujourd'hui pour punir ceux d'entre eux qui oseraient critiquer leur « mère nourricière » et ses habitants si hospitaliers ! RIPOSTE IMMEDIATE! Si vous êtes victime ou tèmoin d'une discrimination, d'une insulte ou d'une agression raciste, assurezvous le concours de toutes les personnes présentes (notez leurs adresses) en vue d'éventuelles poursuites, et prenez immédiatement contact avec le M.R.A.P. (120, rue Saint· Denis, Paris (28 ), métro EtienneMarcel ou Réaumur-Sébastopol. Téléphone: 231-09-57). DR01T ET LIBERTÉ - N' 323 - SEPT.·OCT. 1973 Travailleurs algériens expulsés sous les yeux de policiers casqués. Le fameux « seuil» de 10 %, avec son pseudo caractère scientifique est, lui aussi, ressorti pour accréditer l'idée que le racisme est une calamité « naturelle» inévitable, alors même que l'on annonce l'accroissement continue de l'immigration· dans les années à venir, indispensable pour assurer le développement économique de l'Europe. Ce climat d'exaspération raciste arrive à point nommé, trop même, pour ne pas donner à penser qu'il arrange certains, ce qui expliquerait le peu d'empressement manifesté en haut lieu pour le combattre, visant moins à, l'organisation rationnelle de l'immigration qu'à la répression contre les immigrés qui participent trop activement aux luttes ouvrières et à la défense de leurs droits. En quelques semaines, les expulsions se sont multipliées: Larbi Boudjenana, Mohamed Laribi, Maurice Courbage, Mohamed Najeh, Cheik Tidiane Fall, le pasteur Berthier Perregaux "Ont été, entre autres, victimes de ces mesures : ils s'étaient fait remarquer par leur action pour assurer une situation plus humaine aux immigrés. Ce durcissement survient alors que l'échéance reportée au 31 octobre approche. A cette date, selon les « aménagements» apportés par M. Gorse à la « circulaire Fontanet», les immigrés en situation irrégulière doivent avoir régularisé leurs papiers. Nombreux sont ceux qui ne l'auront pas fait, soit par manque d'information, soit à cause du retard dans la transmission des instructions ministérielles, ou encore en raison des lenteurs de la procédure, dues au manque de personnel qualifié dans les services intéressés. Que deviendront alors ces milliers de travailleurs qui, quoique dits « clandestins », ne sont generalement pas des 1nconnus pour l'administration et la police? Assisterons-nous à une vague de « refoulements » sous les applaudissements de tous ceux qui, à Toulon, Marseille et autres lieux, s'efforcent d'y préparer l'opinion? L'objectif étant de maintenir les conditions les plus favorables à l'exploitation des immigrés, les mesures qui ont lieu et qui se préparent s'inscrivent dans une vaste opération de « reprise en main» et d'intimidation. Car, comment comprendre autrement le renvoi d'immigrés travaillant déjà en France ou pouvant y trouver du travail, alors même que le patronat continue d'en introduire des dizaines de milliers, sans que soient sensiblement améliorées les structures d'accueil? Ne veut-on pas se donner le moyen - et le prétexte - d'éliminer plus facilement encore ceux d'entre eux qui revendiquent et s'organisent, ceux qui, selon M. Marcellin, « violent les lois de l'hospitalité », tout en faisant peser sur tous les autres une menace permanente? La « circulaire Fontanet» ne vise-t-elle pas à favoriser, en cas de besoin, une « rotation» annuelle des immigrés, de sorte qu'ils ne puissent avoir le temps de s'acclimater, de s'engager dans l'action syndicale aux côtés des travailleurs français? Ne s'oriente-t-on pas vers une sélection aux frontières, afin de faire entrer les travailleurs considérés comme plus faciles à isoler (par exemple les non-francophones) en écartant ceux qui sont originaires de certains pays avec lesquels les autorités françaises persistent à ne pas conclure d'accords précis? Pour l'instant, il est urgent de faire reporter l'èchéance du 31 octobre, pour permettre à tous les travailleurs immigrés se trouvant en France de faire régulariser leur situation. Parallèlement, doivent se poursuivre les efforts pour obtenir l'amélioration des conditions de vie des immigrés et pour faire échec aux campagnes racistes. Condamner le racisme n'a jamais suffi à l'extirper. Mais il reculerait à coup sûr si des dispositions étaient prises pour accueillir et loger humainement les immigrés et assurer, par des mesures sociales appropriées, leur insertIOn oans le respect de leur culture et de leur dignité nationale. Dès le mois de mai, le M.R.A.P. avait lancé un appel proposant dix mesures immédiates à prendre en vue d'une politique cohérente démocratique et humaine de l'immigration, notamment en matière de logement, d'alphabétisation, de formation professionnelle, de droits sociaux. Plus que jamais, il appartient à chacun de nous de tout mettre en oeuvre pour qu'elles soient prises en considération. Car, trop souvent, l'inertie ressemble à la complicité. George·Laure PAU 11 12 Halte au Face à l'aggravation alarmante des menées racistes en France, nous exprimons notre soutien à l'action du M.R.A.P. et demandons avec lui l'application des mesures suivantes : 1. Recherche active et châtiment exemplaire des auteurs d'agressions racistes, qui sont tous restés impunis jusqu'à ce jour. 2. Application sévère de la loi contre le racisme à tous les auteurs de discriminations et de provocations à la haine. 3. Information objective de l'opinion publique à la radio et la téJévision avec le concours du M.R.A.P., afin de réfuter les 'campagnes malveiDantes qui se développent contre les immigrés. 4. Cessation des expulsions d'étrangers pour la seule raison qu'ils luttent en faveur des droits et de la dignité des travailleurs immigrés; adoption de la loi élaborée par le M.R.A.P., garantissant les étrangers contre les expulsions arbitraires. 5. Abrogation de la "circulaire Fontanet •• q~ renforce la tutelle patronale et les. pressions policières à l'encontre des travailleurs immigrés. 6. Mise en oeuvre d'une politique cohéréDte et humaine de l'immigration, assurant un statut démocratique et des conditions de vie décentes aux travaiUeurs immigrés, dont Je labeur contribue de façon décisive au développement économique de la France. Nom et prénom Adresse Signature A retourner au Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix (M.R.A.P.), 120, rue Saint-Denis, 75002 Paris. H , RUE DE CLICHY, PARIS·9· com~1 la~
Mensuel éd-ité------Té-I -: 8-74-.3-5.-86- .- C-.C- .P- . -P.-r;, -1-0.-07-2.-53-
par le Conseil National du Mouvement de la Paix Dans le DUlDéro 268, à paraître le t5 octobre - Une étude de G.A. Astre sur l'Europe. - Le point sur les événeDlents du t::hlll (G. Fournial) . - Les principales décisions de la t::oucérence d'Alger. - Le t::ongrès Mondial des Forces de Paix (25-31 octobre, Moscou). - Ils sont 200 000 Dlenacés de Dlort (un document sur les prisonniers politiques détenus par Thieu). A partir du n° 268, nouveaux tarifs: Abonnement 1 an (10 nOs) : 23 F au lieu de 18 F Vente au numéro: 2,50 F au lieu de 2 F C.C.P. 10 072 53 Paris, 35, rue de Clichy, 75009 Paris PIEDS SENSIBLES Les chausseurs du super-confort et de l'élégance Choix UNIQUE en CHEVREAU, en SPORTS et en TRESSÉ MAIN Femmes du 35 au 43 - Hommes du 38 au 48 6 largeurs différentes (9·) GARE SAINT-LAZARE, 81 , rue St- Lazare (MO Saint-Lazare - Trinité) (6·) RIVE GAUCHE, 85, rue de Sèvres (MO SèvresBabylone) (10") GARE DE L'EST, 53, boulevard de Strasbourg (MO Château-d'Eau) Magasins ouverts tous les lundis LETTRE OUVERTE AU MAIRE DE TOULON quelques "- ...e t a autres Monsieur le Maire, Si nous nous adressons particulièrement à vous, c'est parce que les déclarations faites au mois d'août par vous-même et votre Conseil municipal réunissent et expriment franchement la plupart des thèmes qui, depuis, ont alimenté les campagnes dirigées contre les travailleurs immigrés. Vous avez en quelque sorte ouvert la voie à d'autres propos, comparables aux vôtres, dont les auteurs s'étaient abstenus, jusqu'alors, de se prononcer publiquement. A votre exemple, ils ont osé; et l'autorité, l'honorabilité s'attachant à votre fonction apportent désormais une caution à des attitudes qui contribuent à entretenir les confusions, à susciter un climat de haine et de violence, propice aux pires exactions. Etait-ce là ce que vous souhaitiez? N'êtes-vous pas gêné par les applaudissements de , « Minute» et de « Rivarol» ? Nous accueillerions avec intérêt votre désaveu du prétendu « Comité de défense des Marseillais», succédané d'« Ordre nouveau», qui a pris comme base de son agitation provocatrice la motion adoptée par les élus municipaux de Toulon . Certes, on ne saurait minimiser la responsabilité propre « Droit et Liberté », organe du Mouvement contre le Racisme, l'Antisemitisme et pour la Paix (M.R.A.P.) apporte chaque mois à ses lecteurs, les informations, les articles, les prises de position indispensables sur les données àctuelles du racisme et de la lutte antiraciste. • «Droit C\ Uberté», 120, rue St-Denis. Paris-Ze, C.C.P. 6070-98 Paris. Abonnement annuel : 25 F. Abonnement de soutien: 50 F. • Adhésion au M.R.A.P. (meîne adresse) : 10 F par an. C.C.P. 14825-85 Paris. DROIT ET LIBERTÉ - N° 323 - SEPT.-oeT. 1973 des hommes et des groupes qui ont multiplié ces derniers temps les prises de position favorisant la xénophobie, le racisme. Ainsi , la section U.J .P. de Marseille (dissoute, il est vrai) réclamant « des mesures énergiques afin d'éliminer la pègre nord-africaine et antifrançaise ». Ou le C.D.R. des Bouches-du-Rhône (pas dissous à ce jour) qui pose comme une nécessité pressante « l'application de la loi antiraciste» « pour tout étranger insultant à tout moment les Français et la France « mère nourricière» de tout un peuple outre-Méditerranée ». Ou le C.D.R. de la Seine-Saint-Denis qui, s'en prenant à ce qu'il appelle « l'immigration sauvage», l'accuse de « faire courir des risques dans certaines régions» et, réclamant des « contrôles» accrus, affirme que « les travailleurs étrangers doivent s'abstenir de participer à une quelconque agitation politique ». Ou bien le secrétaire de la Fédération des Bouches-duRhône de l'U .D.R., qui s'écrie : « Nous ne sommes plus ici chez nous » ... Ou encore le Centre Démocrate des Bouches-du-Rhône qui s'inquiète du « climat d'insécurité» créé , selon lui, par « une série d'incidents graves qui ont eu pour auteurs des Algériens immigrés». Et aussi M . Marcel Pujol, député des Bouches-du-Rhône, qui parle « d'éléments étrangers indésirables, dont une partie alimente la chronique du proxénétisme et du banditisme et une autre est à la charge des contribuables francais et de la Sécurité sociale». . Et M . . Jacques Dominati , président du Conseil de Paris qui, qualifiant de « pourris» certains quartiers de la capitale , en attribue la cause « par priorité» à la « prolifération des cafés arabes» en même temps qu'à la « concentration des clochards ». Et même un ministre, M. Joseph Comiti, affirmant que le centre de Marseille « se gangrène» en raison de la présence d'« une collectivité étrangère). --. 13 -r------------------------------------~~ C'est parce que ces diversés déclarations reprennent partiellement les vôtres, dans leur esprit et parfois dans leurs propres termes, que nous souhaitons vouS répondre point par point. Nous n'entendons pas pour autant vous les faire assumer en totalité. C'est à tous ceux qui ont proféré ces paroles malveillantes que la présente lettre est destinée. Et nous pensons surtout aux Français de bonne foi que, par de telles imprécations, on tend à effrayer, à dresser contre les travailleurs immigrés, à tous ceux qui, par manque d'informations ou de réflexion , se laisseraient détourner d'une appréciation juste des faits. Rétablir, faire connaître la vérité, analyser objectivement cette situation que vous déclarez « explosive», ce n'est pas seulement défendre des hommes bafoués, c'est aussi un devoir qu'impose la conscience des intérêts présents et de l'avenir du peuple français.
Soyons clairs. Il est certain que l'implantation en France d'un nombre croissant de travai lieurs étrangers soulève d'importants problèmes matériels et psychologiques. Nous ne le nions certes pas. Mais la réalité se trouve outrageusement faussée , lorsqu'on la ramène à une menace visant la population française , et que les solutions proposées consistent pour l'essentiel dans des mesures repressives. « Tous ces étrangers ne sont pas des indésirables, et ne doivent pas être rejetés systématiquement» voulez-vous bien reconnaître , il est vrai. Car, ajoutez-vous, « l'économie varoise en a incontestablement besoin». Mais à vous en croire, les « bons» ne seraient qu'une minorité. Comment d'ailleurs les distinguer dans la masse menaçante que vous évoquez lorsque vous prétendez que les immigrés, particulièrement les Nord-Africains, posent en tant que tels, « des problèmes graves de sécurité pour les Français» 7 Pensezvous qu'une clause ae style ambiguë suffise à annuler les généralisations abusives 7 Ne croyez-vous pas que vous contribuez ainsi à renforcer les peurs aveugles où le racisme prend sa source 7 Pour s'en tenir aux faits, c'est tout le contraire qu' il conviendrait de souligner. Chacun sait que les immigrés, dans leur ensemble, sont des travailleurs honnêtes et courageux, qui jouent un rôle important dans l'économie française, par de longues et pénibles journées de labeur, avec des conditions de vie particulièrement misérables. Sans doute se trouvet- il dans cette collectivité, comme dans toute autre, des individus dont la conduite est répréhensible ... Mais, à qui ferezvous croire que notre police, si prompte à sévir contre les étrangers, laisserait impunis ceux qui se rendent coupables de quelque délit 7 Et ignorez-vous que ces « contrôles» , ces « refoulements » que vous réclamez à grands cris sont une pratique permanente, dont les autorités font déjà usage et bien souvent de la façon la plus arbitraire 7 Si délinquance il y a, dans des cas précis, il faut, comme ailleurs, en découvrir les causes dans les données sociales. Mais surtout, il faut, pour en juger, se référer aux réalités. Des statistiques établies par le ministère de la Justice, il résulte clairement que la délinquance, parmi les immigrés, se manifeste dans les mêmes proportions que pour l'ensemble de la population . En d'autres termes, compte tenu des proportions effectives, si « les Toulonnais», comme vous dites, se sentent menacés, ils doivent savoir qu'ils le sont 1 0 à 1 5 fois moins par des immigrés que par des voleurs et assassins « bien de chez nous», même si certains journaux mettent plus spécialement l'accent sur les délits commis par des étrangers. 14 Vous présentez comme l'essentiel ce qui est fort heureusement l'exception : vos accusations collectives, imprécises et sans nuance, ne peuvent que contribuer à jeter le discrédit sur toute une population. Ne craignez-vous pas de provoquer ainsi ces « incidents graves» que vous dites « redouter» 7 Pourquoi ne pas défendre la sécurité de tous vos administrés (y compris les immigrés) contre toutes les menaces, d'où qu'elles viennent, en ces temps où l'aggravation générale de la criminalité donne lieu à des études montrant que ce phénomène ne saurait ni s'expliquer ni se juguler en établissant de pareilles discriminations 7 Et pourquoi ne pas insister précisément sur la sécurité des immigrés eux-mêmes, qui se trouve, elle, de plus en plus menacée aujourd'hui 7 Dans le Midi de la France, à Toulon, ces derniers temps, comme dans la région parisienne, les agressions contre les immigrés se sont multipliées : attentats contre leurs domiciles et les cafés qu' ils fréquentent, • attaques de commandos armés ou de groupes excités par une propagande hostile .. . En quelques semaines dix Algériens au moins ont été assassinés après les dramatiques évenements de Marseille. Le racisme tue en France, et cela ne vous émeut pas 7 Est-ce là cette « générosité française», dont vous vous targuez 7 "** Partons-en à notre tour, puisque vous demandez que soient « refoulés» « tous ceux qui ne viennent dans notre pays que pour (en) abuser». Ici, une question. Sur quelle base, sur quels chiffres fondez- vous l'assertion qu'il y a dans votre département « une présence sans doute excessive et non justifiée» d'étrangers 7 Le chiffre, selon vous, « vraisemblable» des immigrés nord-africains, « paraît», dites-vous, « beaucoup plus important que les besoins en main-d'oeuvre». « Sans doute»... « vraisemblable »... « paraît ».. . : voilà bien des hésitations, qui marquent le caractère approximatif de vos affirmations. Avez-vous dénombré les immigrés travaillant dans le département et ceux qui connaissent le chômage 7 Avez-vous tenu compte des femmes et des enfants 7 Avez-vous évalué le nombre d'emplois disponibles et en voie de création 7 Savez-vous combien de temps, en moyenne, dure le chômage d'un immigré arrivant en France 7 ... Non. Vous ne jugez que « par le nombre de tous ceux qu'on voit à longueur de journées déambuler en la ville et faisant preuve d'une inactivité totale». Il ne viendrait à personne l'idée de prétendre que les Français ne travaillent pas en constatant que nombre d'entre eux « déambulent» dans les rues d'une grande ville, animée « à longueur de journée». Sans parler des Français qui *' « déambulent» à l'étranger. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'une telle « démonstration» manque tout autant de sérieux en ce qui concerne les immigrés. Mais surtout, elle tourne le dos à la vérité. Les immigrés ne s'exilent pas de gaîté de coeur. Quitte à «déambuler» dans les rues, ils préféreraient que ce soit dans leur ville ou leur village natal. S'ils viennent en France, c'est pour gagner de quoi manger et nourrir leur famille en travaillant. S'ils n'ont pas de travail, et aucune perspective d'en trouver, ils n'ont aucun intérêt à demeurer loin de chez eux. En France, les fluctuations de l'immigration ont toujours été parallèles à celles de l'économie. Or, aujourd'hui, non seulement il existe des emplois pour tous les immigrés présents en France, mais le patronat, tirant d'énormes profits de cette main-d'oeuvre, en réclame toujours plus et prévoit de faire appel à elle longtemps encore. Il est vrai que les entrées des travailleurs sont maintenues à un rythme un peu plus rapide que l'augmentation des besoins. Cela crée un certain flottement dans l'embauche: ce n'est qu'un moyen supplémentaire de profiter d'eux, en entretenant un « volant li de chômage qui favorise les pressions sur l'ensemble des salaires. S'il est des abus à dénoncer, c'est bien justement, ces méthodes et les bénéfices scandaleux résultant, pour certains, des discriminations et des conditions de vie lamentables infligées à plusieurs millions d'immigrés. Bien au contraire, c'est au moment où ceux-ci accroissent leur résistance à cette surexploitation, parti.cipent plus activement aux luttes ouvrières, que nous voyons se déchaîner contre eux la répression , les expulsions, les menaces, les campagnes de haine. Peut-on leur reprocher de « faire de la politique» quand ils se défendent contre la politique d'immigration dont ils sont victimes 7 Peut-on leur interdire toute mise en cause du système qui engendre de telles injustices 7 Si la situation donne lieu à des comportements individuels discutables, faut-il, sous ce prétexte, incriminer et baîllonner l'ensemble de ces travailleurs qui ne demandent que le respect de leurs droits et de leur dignité 7 La générosité ne consiste-t-elle pas, précisément, à témoigner notre solidarité à leurs revendications légitimes, comme le font les syndicats, de nombreuses associations, et une grande partie de l'opinion publique, indignée par tant d'iniquités 7
Ne craignant pas de provoquer contre eux l'hostilité de bien des Français, vous prenez à partie ceux qui, selon vous, « entraînent des charges anormales pour les contribuables ». Ignorez-vous donc que les travailleurs immigrés sont, eux aussi, des contribuables, qu'ils paient les impôts directs et indirects, les charges sociales, comme tout un chacun 7 Ne savez-vous pas que d'importantes retenues sont faites sur les allocations familiales qui devraient leur revenir, en vue d'alimenter le Fonds d'Action Sociale; et que celui-ci fournit l'essentiel des sommes allouées à la construction des logements qui leur sont destinés 7 C'est donc l'argent qui leur est pris qui couvre - sans contrôle de leur part - les dépenses sociales concernant les immigrés alors que, logiquement, le patronat, l'Etat qui les font venir devraient assurer leur accueil décent. . Soulignons encore qu'à leur arrivée en France, prêts à entrer dans la production, les immigrés n'ont rien coûté à la société et à l'économie françaises (contrairement aux travailleurs français). mais c'est leur pays d'origine qui a assumé toutes les charges nécessaires à la formation de ces producteurs. Quand, de plus, ils viennent de pays qui ont été colonisés par la France, leurs difficultés présentes, qui les contraignent à s'exiler, vont de pair avec les profits réalisés à leurs dépens par des sociétés françaises bénéficiaires du système colonial. Privés ainsi de l'exploitation et de l'utilisation de leurs propres ressources naturelles, achetant à la France de grandes quantités de produits fabriqués, ces pays restent voués à fournir une main-d'oeuvre taillable et corvéable à merci, non plus seulement sur place, mais, aussi, désormais, en Europe. C'e~t dire que, loin de porter aux Français quelque préju- DROIT ET LIBERTÉ - ND 323 - SEPT.-OCT. 1973 dice matériel que ce soit, la présence des immigrés correspond, de quelque façon qu'on l'envisage, à un enrichissement de notre pays. Il n'y a pas lieu de les considérer avec condescendance, comme des pauvres que l'on secourt. Ce sont eux, au contraire, bien que pauvres, qui aident l'économie française. Quant aux contribuables, aux travailleurs français, s'ils ont bien des raisons de se plaindre, de protester, c'est ailleurs que dans l'immigration qu'ils doivent rechercher l'origine de leurs difficultés. La vie chère, les taxes, les impôts toujours plus lourds, l'insécurité de l'emploi, l'insuffisance des logements, des moyens de transports et des équipements sociaux: autant de problèmes que connaissent aujourd'hui Français et immigrés et qu'ils ne sauraient résoudre en s'opposant les uns aux autres ...
Tout cela est bien connu. On peut s'étonner que les édiles d'une grande ville prennent position, sans tenir compte de ces faits. On attendrait plutôt, de leur part, des explications logiques, des efforts d'apaisement, la recherche de solutions humaines pour favoriser la compréhension, la tolérance entre tous les habitants de cette ville, sans distinction d'origines. Mais au lieu d'éclairer objectivement les problèmes dans leur ensemble, vos propos n'aboutissent qu'à faire de l'immigré un bouc émissaire, un coupable d'où viendrait tout le mal. Au lieu de dénoncer la condition intolérable faite à ces travailleurs, c'est à eux que vous vous en prenez, les rendant responsables de leur propre sort! Même si, à juste titre, vous soulignez l'absence d'« une politique cohérente de mise en place de structures d'accueil décentes et adaptées », c'est sur les immigrés que vous en faites retomber, en fin de compte, la culpabilité. Ils sont rejetés dans les bidonvilles, dans les quartiers les plus vétustes, ou dans des cités-ghettos; et vous leur reprochez d'avoir « tendance à se regrouper», de « vouloir imposer leur moeurs, coutumes et habitudes». Des difficultés indéniables surgissent de ces « concentrations »; et vous affirmez que ce sont eux qui « posent des problèmes graves». Le patronat les appelle en grand nombre, et vous parlez d'« afflux massif», en réclamant des refus de carte de séjour, des refoulements, des mesures d'expulsion. On leur dénie les droits les plus élémentaires, des conditions de vie normales, et vous les accusez de ne pas « respecter les règles de l'hospitalité». Ils contractent ici des maladies en raison de leurs déplorables conditions de logement et de travail, et vous' prétendez qu'il « perturbent d'une façon grave et dangereuse la santé et la vie de ceux qui les accueillent». Le dénigrement systématique ne saurait remplacer l'analyse approfondie qu'on serait en droit d'attendre d'élus responsables. Mais vous déclarez précisément « dégager votre responsabilité » et n'« avoir ni compétence, ni possibilité réelle de lutter ». D'autres conseils municipaux, pourtant, prennent des mesures positives: répartition équitable des immigrés pour éviter la création de groupes cloisonnés; interprètes dans les services sociaux; commissions extra-municipales spécialiSées permettant à ces travailleurs de s'exprimer sur leurs propres problèmes; activités culturelles destinée~ à informer la population; soutien à la lutte contre les préjugés raciaux, etc. -+ 15 l, ~ Ce qui n'exclut pas, bien au contraire , la dénonciation des injustices dont souffrent les immigrés, les pressions pour obtenir un concours valable de l'Etat et des employeurs, l'exigence d'une politique cohérente et humaine de l'immigration. Il est vrai, répétons-le, que l'accueil d'un grand nombre de personnes d'origines diverses soulève beaucoup de problèmes. Il convient de réfléchir très sérieusement à la nature des structures à mettre en place, de sorte qu'elles tiennent compte du mode de vie et des aspirations culturelles des nouveaux migrants sans pour autant les isoler dans des « ghettos»; qu'elles favorisent leur insertion sociale, sans pour autant aboutir à l'assimilation forcée. Des expériences sont à réaliser qui, pour être complexes, n'en seraient pas moins passionnantes, si elles étaient abordées avec le souci d'aider à une cohabitation harmonieuse dans nos villes, de tous ceux qui contribuent à leur activité et à leur développement. La France, pays traditionnellement ouvert aux courants d'hommes et d'idées, dont la diversité a modelé son peuple, ne doit pas s'engager dans la voie néfaste de la ségrégation et des conflits ethniques. Savez-vous qu'aujourd'hui les conditions de logement des travailleurs immigrés sont plus défavorables chez nous que dans tous les autres pays d'Europe occidentale? Le devoir humain le plus élémentaire impose des mesures d'équité, d'amitié pour ces hommes, ces familles contraints à l'exil, et qui se heurtent ici, trop souvent à l'ostracisme, aux préjugés, à l'incompréhension . La justification la plus fréquemment avancée pour les faire admettre, est Que notre économie « a besoin d'eux». Mais n'ont-ils pas, eux, des besoins? Ils devraient être accueillis non seulement en producteurs, mais aussi en hommes, porteurs de riches traditions nationales, de cultures, de civilisations que nous nous enrichirions à mieux connaître dans un esprit de respect mutuel . Nous estimons devoir lancer une mise en garde. Les attitudes passionnelles, sont toujours dangereuses. Ceux qui y céderaient, se priveraient de la lucidité nécessaire à la défense de leurs propres intérêts. Ils tourneraient le dos aux traditions démocratiques de notre pays. Ils négligeraient leurs devoirs civiques aussi bien que leurs devoirs envers eux-mêmes en négligeant la solidarité de fait qui unit tous les hommes qui travaillent et espèrent un avenir meilleur, même si certains, plus éprouvés, plus vulnérables, posent des problèmes particuliers dans le combat commun. Ils tiendraient pour nulles les leçons de l'Histoire, à savoir que le racisme n'est pas seulement funeste aux minorités directement attaquées, mais aux peuples qui le pratiquent ou le tolèrent, qui se laissent prendre à ce piège fatal. Car la dignité humaine est indivisible, et celle de l'Algérien que vous mettez en cause nous concerne tous. L'immense majorité des Français l'ont compris. Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l'assurance de notre considération distinguée. Paris, le 24 septembre 1973 . Le Bureau national du M.R.A.P. Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix. , TROIS LIVRES D'ACTUALITE 16 LA SANTÉ DES MIGRANTS Onze médecins spécialistes étudient et présentent pour la première fois à l'opinion publique ce grave problème. 200 pages, format poche ..... . ... 7 F (*) LE LOGEMENT DES MIGRANTS Constat et suggestions de 7 associations. 128 pages, format p~che ..... UN DRAME A BORDJ-HINDEL récit de aaude labarraque-Reyssac Amour et préjugés dans l'Algérie coloniale. ..... 6 F (") L'exemplaire numéroté (224 pages) .......... . . . . . 18,80 F (") (*) + Frais d1envoi 2 F - C.C.P. 8070-98 Paris DROIT ET LIBERT_ - 120, rue Saint-Denis, PARIS-:ze 1 sahel: Lettre de Thilogne La campagne de solidarité en faveur des populations africaines en péril organisée par le M .R.A.P. a permis deux expéditions de riz dans les villages de Thilogne et de Goumal. Un de nos amis qui se trouve au Sénégal, a bien voulu se charger de l'acheminement et de la distribution de ces premiers envois. Il fait le récit pour Il -Droit et Liberté)l des difficultés rencontrées, de raccueil chaleureux qui lui a été réservé et de l'aide personnelle qu'il apporte par ses travaux d'irrigation. I( J 'ai mis exactement 8 jours à pouvoir quitter Dakar avec le riz. La discussion avec la douane n'a pas été trop difficile. J'ai pu aussi me faire dispenser de transitaire et sortir le riz moi-même des entrepôts de l'aéroport. Le plus dur a été de ne pas payer de frais de stockage. On me réclamait 50 F C.F.A. (1 NF) par sac et par jour; or, le premier arrivage était resté là près d'un mois .. . Finalement après moult discussions, on a échappé à cela aussi. Restait le transport. Les transporteurs demandaient 70000 F C.F .A. (1 400 F) jusqu'à Matam. Solution exclue. Certains organismes étaient mal disposés, peu pressés ou pris ailleurs. Quant aux circuits gouvernementaux, j'ai préféré ne pas en tâter. L'armée (française) voulait bien me fournir un avion Dakar-Matam, mais seulement fin juillet, début août. En fin de compte, le hasard des relations m'a fait connaître un camion du centre de Bop qui allait dans la région déposer du matériel pour approfondir les puits. N'étant pas complètement chargés, ils ont bien voulu transporter nos 3 tonnes en plus. Le 20 juillet, j'ai obtenu du ministère de l'Intérieur l'autorisation de transport de riz (la circulation du riz n'est pas libre, je pense que c'est pour lutter contre la spéculation à laquelle se livrent beaucoup de commerçants; il y a eu beaucoup de contrôles en cours de route). et nous avons aussitôt quitté Dakar. La tonne prévue pour Thilogne y a été déchargée le dimanche soir, et les deux autres sont arrivées à Matam le même jour . Le lendemain, nous avons trouvé Demba Saïko, l'imam de Goumal, qui était d'ailleurs allé à Dakar entre temps, mais il n:avait pu sortir le riz de l'aéroport. Avec lui nous avons cherché une pirogue, et nous l'avons chargée le mardi matin, des 2 tonnes. J'ai confié le char- DROIT ET LlBERTË - N° 323 - SEPT.-OCT. 1973 gement à un garçon de Thilogne en qui j'ai toute confiance et qui m'avait accompagné depuis 8 jours dans toutes les démarches (c'est d'ailleurs lui qui m'avait mis en relation avec le centre de Bop), car l'arrivée d'un Européen dans un si petit village avec 2 tonnes de riz aurait vraiment manqué de discrétion . Le riz a été remis à Goumal le mercredi. Je tiens à vous rapporter l'une des phrases des habitants de Goumal à savoir que jusqu'ici leurs fils (beaucoup sont en France) se sont toujours faits exploiter par les Européens, ma:s qu'ils savent maintenant qu' il y a aussi quelques blancs qui sont leurs frères. Ceci est plus important à mes yeux que le simple fait de « l'aide» alimentaire du riz. Quant à Thilogne, nous avons procédé nous-mêmes à la distribution, en commençant par les plus pauvres. Cela a posé quelques problèmes, la structure du villagé étant encore très féodale. Les grands notables s'attendaient à tout se partager entre eux. Finalement, nous leur avons fait un cadeau symbolique de riz à chacun , et avons pu tout distribuer aux plus démunis. Le village ayant plus de 3 000 habitants, les parts certes n'ont Après octobre ? Le Sahel reste menacé par la famine. L'aide internationale est venue, mais tard. A supposer que la famine soit enrayée, les maladies jugulées, les populations · sauvées, le Sahel ne serait pas tiré d'affaire pour autant. Des milliers de tonnes d'aliments auront été distribuées. Le programme d'aide s'arrête en octobre. Mais après ? Par-delà l'élan de générosité des personnes sensibilisées par le drame de la sécheresse en Afrique, il faut qu'un vaste mouvement de l'opinion publique exige des pouvoirs publics qu'ils mettent en oeuvre au niveau national et international, tous les moyens pour une action immédiate et efficace. Vous qui voulez manifester votre solidarité, faites connaître votre soutien, intervenez auprés des pouvoirs publics, adressez messages, pétitions, adhésions, dons au M.R.A.P., 120, rue SaintDenis, 75002 Paris. Téléphone: 231 - 09-57. C.C.P. 14.825.85 Paris. Au Niger où quelques rares bêtes subsistent. pas été bien grandes, mais elles étaient déjà appréciables pour des gens qui n'ont rien . Le riz était d'ailleurs de très bonne qualité (ce n'est hélas pas toujours le cas : actuellement, tout le village (moi y compris) a des maux de ventre
- on suppose que la cause en est un
stock de lait en poudre récemment arrivé, livré en vrac dans des grands sacs, et qui doit être vieux ou avarié) . Nous travaillons maintenant à notre projet d'irrigation. Pour l'instant, nous n'avons pas eu beaucoup de chance: le puits est tombé sur une nappe d'eau salée , et de plus de très faible volume. On va essayer de l'approfondir , et de commencer quand même avec. La terre est plus sablonneuse que je ne pensais, et l'irrigation à la raie ne va peut-être pas être possible. Nous faisons actuellement des essais de ruissellement. Mais beaucoup de gens du village se sont immédiatement intéressés à la chose, et voudraient commencer tout de suite. A tel point que, pour l'instant, je tempère un peu les choses, car se lancer à l'aventure avec un mauvais puit risquerait de faire plus de mal que de bien : un échec à un premier essai hypothèquerait toute la suite. En ce qui concerne la pluie , il a plu trois fois la semaine de mon arrivée. Tout le monde a alors repris espoir. Mais depuis, plus rien. Néanmoins, avec les réserves que la terre a gardées de ces pluies, le mil a bien poussé jusqu'ici. Mais on recommence à craindre ce qui s'est passé l'année dernière : qu'il ne repleuve pas assez vite, et que le mil se dessèche. Tout envoi de riz (de mil, ou de lait en poudre). sera le bienvenu à Thilogne. Et je puis vous assurer Que celui-là, comme le précédent, parviendra à ses destinataires, et aux plus démunis d'entre eux: je n'en dirais pas autant des milliers de tonnes d'envois étrangers qui sont actuellement stockés au port, je les ai vus de mes yeux, et qui en sortent au compte-goutte - ou Qu' il faut racheter! » 17 Chili : le temps Salvador Allende : le président assassiné. Le M.RA.P. a publié le 19 septembre le communiqué suivant : Au nom du respect des Droits de l'Homme' qui est à la base de son combat, le Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix (M.R.A.P.), tient à marquer son émotion profonde et indignée dèvant la répression sanglante perpétrée par les auteurs du coup d'Etat chilien. Tandis que les Nations Unies s'apprêtent à célébrer le 25' anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, les massacres et les tortures, les emprisonnements massifs, les violations cyniques des libertés individuelles et collectives imposent au Chili la dictature fasciste. des barbares Et selon un procédé bien connu, les usurpateurs recourent à une odieuse propagande xénophobe contre les antifascistes persécutés de divers pays d'Amérique Latine, auxquels le Chili démocratique avait accordé refuge (1). Survenant quelques jours après la Conférence des Etats « non-alignés» à Alger, le drame chilien confirme que les forces économiques dominant les pays sous-développés n'hésitent pas devant les moyens les plus brutaux pour empêcher ceux-ci de contrôler et d'utiliser leurs ressources naturelles. Le M.R.A.P, s'incline devant la mémoire du président Allende et de toutes les victimes de la junte. Il exprime sa solidarité à tous ceux qui défendent, au Chili, l'indépendance nationale, la liberté et la dignité humaine. Il demande aux autorités françaises d'intervenir fermement pour dénoncer les auteùrs du putsch militaire, réclamer l'arrêt immédiat de la répression, et manifester la solidarité de notre peuple aux démocrates chiliens. (1) Un décret officiel de la junte affirme que . les extrémistes étrangers sont responsables du chaos ». La maison du poète Apri!s la mort de Pablo Neruda, Prix Nobel de littérature. le correspondant du /( Monde JI s'est rendu à la maison du poète. Voici des extraits de son récit (26-9·1973) : la maison est accrochée aux flancs de la colline de San-Cristobal, qui domine Santiago. Il faut, pour y parvenir, grimper une rue en, pente au bout de laquellè s'étale sur un mur une fresque aux dessins larges et colorés proclamant : «Neruda, la jeunesse te salue. t C'est là qu'est veillé le corps du poète. Mais, dès rentrée, les larmes montent aux yeux. Cette merveilleuse maison bleue, étagée sur plusieurs niveaux au milieu de la verdure et des plantes sauvages, n'est plus qu'une ruine, des «visiteurs» y sont passés la semaine dernière. Tout a été détruit. Plus une vitre aux fenêtres. Le téléphone a été arraché. Quelques meubles sans dessus dessous dans des pièces désolées. Dans un coin du jardin, un livre de poèmes espagnols à demi calciné au milieu des cendres de l'autodafé, Plus ùn seul vestige de la bibliothèque, ni de la collection de céramiques, ni des nombreuses peintures naïves qui faisaient j'admiration des privilégiés reçus chez le maftre. Pour monter d'une pièce à l'autre; il faut se frayer un chemin parmi les décombres. Patauger 18 dans la boue, car la maison a été à moitié iriondée. Dieu sait pourquoi et comment. Du bureau subsistent seules la grande table de travail éraflée et une horloge ancienne au cadran de porcelaine bleue défoncé. Un vieil exemplaire des lettres françaises traine dans un coin. Le cercueil est dans une petite pièce triste, ouverte à tous les vents. On écrase des éclats de verre pour s'approcher et contempler une dernière fois le visage cireux dont la mort semble avoir accentué l'indianité austère. Des fleurs arrivent. Deux oeillets blancs sur le cercueil et quelques bouquets humbles apportés par des mains anonymes. La veuve, Matilde Urutia, a tenu à ce que Pablo soit veillé dans sa propre maison, même saccagée. Cette mort aurait exigé des funérailles nationales. En novembre dernier encore, tandis que Salvador Allende se faisait aux Nations unies l'avocat du tiers-monde, c'était le général Prats, autre disparu, qui, au titre de vice-président de la République, avait rendu hommage au prix Nobel « dont la gloire rejaillissait sur chaque citoyen ». Nous étions au stade national. Aujourd'hui , ce même stade sert de camp de concentration pour ceux des amis du poète qui ne sont pas cachés ou tués ( ... ). Ce mardi, Neruda aura droit a l'enterrement des pauvre!'i. • Les forces dp libération de GuinéeBissau, qui luttent contre foccupation portugaise, ont proclamé la République. Elles. contrôlent les deux tiers du-pays, où elles ont établi des Structures indépendantes. De nombreux pays africains ont aussitôt reconnu le nouvel Etat. • Le principal événement de la cérémonie ,d'ouverture de la 288 assemblée générale des Nations Unies fut fadmission des deux Etats allemands. la résolution a été adoptée sans vote et par acclamation. Les Nations Unies comptent maintenant 135 membres. • ' L'Union des étudiants juifs de France a élevé une vive protestation contre la reconnaissance du' gouvernement de la junte chilienne par Israël. Outre la France et le Portugal, qui ont été les premiers pays à reconnaitre le coup d'Etat, les généraux fascistes ont également reçu rappui des Etats-Unis, de r Afrique du Sud, de la Corée du Sud, de la Jordanie, de Haïti et de plUSieurs pays d'Amérique latine. • En violation de sa p'ropr. loi, le pouvoir marocain s'est refusé à libérer les 72 acquittés et les 8 condamnés avec sursis du procès de Kenitra, et les détient toujours en un lieu inconnu. D'aPrès les rapports des observateurs judiciaires, de très graves iiTégularités' ont entaché ces procès, au cours desquels il a été au surplus établi que les accusés avaient été systématiquement torturés. • Le flux des immigrants venus de France en Israël est en réduction constante depuis quelques années. On assiste même au phénomène inverse de reflux vers la France. En 1971, 3281 juifs français arrivaient en Israël; en 1972, ils n'étaient plus que 2 356 ; pour les six premiers mois de 1973, le nombre des nouveaux venus n'atteint pas 700. • Un monument à 'la mémoire ,des juifs victimes du nazisme a été souillé par des vandales danS une viDe de fOntario, au Canada. Des slogans ont été barbouillés sur la pierre : «Mensonges, mensonges It et «Chassez les juifs h • Plusieurs cimetières juifs ont été profanés et saccagés en Allemagne fédérale, ces derniers mois, dans les Etats de Hesse et de Rhénanie-Palatinat. Les communautés juives ont offert une récompense à qui permettrait la déc0uverte des coupables. _~CI JOU~I « L'anne du pétrole)) Le rôle fondamental du pétrole dans la tension qui persiste au Proche-Orient s'éclaire de plus en plus à la lumière des évolutions en cours dans cette région. La volonté d'émancipation des peuples arabes, comme de tous les peuples du « Tiers Monde», exige la récupération de leurs ressources naturelles. Outre la Libye, dont les dirigeants, soucieux d'apparaître comme les leaders du mouvement national arabe, viennent de procéder à de nouvelles nationalisations spectaculaires, les orientations actuelles de la Syrie et de l'Irak préoccupent les sociétés pétrolières, De plus, les pays producteurs de pétrole ont pu imposer une augmentation des tarifs et des redevances, indexés désormais, non plus sur le dollar, mais sur l'or. Les huit principales firmes pétrolières, essentiellement américaines, qui forment « Le Cartel», sont loin, cependant de péricliter. Leurs profits ont augmenté de 26 % au cours du l·r trimestre 1973, par rapport à la période correspondante de 1972, tandis que la part revenant aux pays producteurs n'entre que pour 10 % dans les prix de revient. Mais ces sociétés s'efforcent de créer un climat de panique: augmentation continue des prix de vente , restrictions de la distribution de l'essence aux particuliers aux U.S.A. Dans le même temps, les préparatifs guerriers s'a mplifient au Proche-Orient. D'énormes quantités d'armes américaines ont été livrées aux gouvernements les plus dociles (Iran, Arabie Saoudite, Koweit, Emirats du Golfe Persique). Mais le Roi Fayçal d'Arabie, pourtant fort dévoué aux intérêts américains, déclarait le 30 août dans une interview: Il Le soutien inconditionnel accordé par r Amérique au sionisme contre les Arabes rend extrêmement difficile pour nous de continuer à subvenir aux besoins des Etats-Unis en carburant et même de maintenir nos relations amicales avec Washington Il. Et l'on parle de plus en plus du pétrole comme d'une « arme» qui serait utilisée pour infléchir la politique des Etats-Unis. Aussi, fait-on savoir, à toutes fins utiles que les troupes américaines subissent un entraînement spécial pour la guerre en zone désertique. En Israël, le général Rabin, qui était récemment encore ambassadeur à Washington, affirmait le 20 juillet : « La conscience grandit et se développe aux Etats-Unis que, dans un cas extrême, il est permis au monde civilisé de prendre le contrôle, par la force, des sources de pétrole. Il Et il ajoutait (( Haaretz», 22 juillet) : Il Les Américains nous donnent des armes afin que nous nous en servions quand cela sera nécessaire Il • On peut se demander jusqu'à quel point le peuple israélien, qui aspire à la paix, acceptera de servir les plans périlleux des sociétés pétrolières ... « Hitler avait raison)) Un journal égyptien, « AI Akhbar 1), a publié le 19 août un article d'un ign'oble antisémitisme, signé par Anis Mansour, dont on connaît les attaches d'extrême-droite. « Les Juifs 1), écrit ce plumitif, « ne respectent aucune religion en dehors de la leur, et ils sont des traîtres aux pays qui les hébergenh. Et il proclame: « Le monde réalise à présent qu'Hitler avait raison et que les fours crématoires avaient leur raison d'être pour châtier un tel mépris des valeurs humaines, des principes, des religions et du droit Il. Hitler, en tout cas survit dans de tels propos, qUI ne peuvent que révolter, et dont l'auteur mérite, lui, un châtiment exemplaire. Dans une Egypte en proie aux contradictions, ils témoignent en tout cas de la montée des forces réactionnaires, obscurantistes. Cet éclat de haine n'est-il pas lié au processus d'unité avec la Libye où le président Khadafi est coutumier de --.. Variations sur la Chine Lors de son récent séjour en Chine, le Président de la République, au cours d'un banquet, a porté ce jugement : (( Depuis près de mille ans le prestige de la Chine hante les rêves de l'Occident. C'ètait le fabuleux empire, détenteur de secrets mystérieux et dont la civilisation éclipsait toutes les autres » ... (( Le cours impétueux de l'Histoire a dissipé quelques chimères mais sans émousser l'attirance profonde que provoque chez nous la réalité chinoise, si différente de la nôtre certes, mais dont nous comprenons mieux maintenant l'apport fécond à notre humanité commune. » Fort bien. Ces propos apparaissent beaucoup plus compréhensifs que ceux que tenait M. Pompidou le 23 septembre 1971, lors d'une conférence de presse. Il affirmait alors : « Vous savez, les régimes communistes aiment une certaine discrétion. Les Asiati- DROIT ET LlBERTË - N' 323 - SEPT,-OCT. 1973 ques par namre sont peu perméables et même mystérieux. Et nous voyons tous les jours que la Chine est mystérieuse dans son essence et probablement dans son action.)) Il est vrai que le Général de Gaulle avait lui aussi quelque peu varié dans ses appréciations sur la Chine. Lors d'une confërence de presse le 10 novembre 1959, il déclarait: « Sans doute la Russie soviétique, bien qu'ayant aidé le communisme à s'installer en Chine, constate-t-elle que rien ne peut [aire qu'elle-même ne soit la Russie, nation blanche, de l'Europe, conquérante d'une partie de l'Asie, et, en somme, fort bien dotée en terres, mines, usines et richesses, en face de la multitude jaune qu'est la Chine, in, nombrable et misérable, indestructible et ambitieuse, bâtissant à force d'épreuves une puissance qu'on ne peut mesurer et regardant autour d'elle les étendues sur lesquelles il lui faudra se répandre un jour. » Et quelques années plus tard, au moment de l'annonce de l'échange d'ambassadeurs, le 31 janvier 1964 : « La Chine est un grand peuple, le plus nombreux de la terre; une race où la capacité patiente, laborieuse, industrieuse des individus a depuis des millénaires, péniblement compensé son défaut collectif de méthode et de cohésion, et construit une très profonde civilisation )) ... « Un peuple fier, résolu dans ses profondeurs à s'élever en tous les cas » ... ((-trésors de courage et d'ingéniosité qu'il est capable de prodiguer quelles que soient les circonstances. » « Ces affinités qui existent notoirem,ent entre les deux nations (France et Chzne) pour tout ce qui a trait aux choses de l'esprit, compte ten/( du fait qu'elles se portent, dans leurs profondeurs, sympathie et considération réciproques ... » 19 -4 diatribes semblables? Ou au rapprochement récent du président Sadate avec le Roi Fayçal d'Arabie Saoudite, qui s'est distingué à plusieurs reprises dans les invectives antisémites les plus grossières? En Egypte comme ailleurs, l'antisémitisme, comme tout racisme, est un moyen éprouvé de diversion. Il ne sert nullement la cause de l'émancipation des peuples arabes. Gitans : Où aller? Le problème du stationnement des Gitans est particulièrement aigu dans la région lilloise où séjournent régulièrement de trois cents à mille caravanes, et où il n'existe toujours qu'un seul petit terrain aménagé, capable d'en accueillir au maximum une trentaine. D'où la multiplication des incidents et des procès. Récemment, un gitan qui fut déporté pendant la guerre à Auschwitz, Buchenwald et Dora et qui, de ce fait, souffre de troubles respiratoires, M. Henri Vados, se trouvait en Belgique dans un état alarmant. Sa famille le ramena d'urgence à Lille, pour le faire hospitaliser à l'Hôpital Calmette, où il l'avait habitude de recevoir des soins. Le « terrain»· qui les hébergeait habituellement, n'ayant aucune place libre, les caravanes furent arrêtées sur un terrain vague, à proximité même de l'hôpital. Elles en furent expulsées trois jours après et cherchèrent refuge sur l'esplanade où, ce même après-midi , de nouveau, les policiers vinrent les chasser. Un camion-grue fut attelé à une caravane sans souci de ce qui se trouvait à l'intérieur. Une jeune fille se précipita juste à temps pour éteindre le feu du mazout qui brûlait à côté d'un nouveau-né. La caravane fut brutalement remorquée, si brutalement que le lit fut cassé et des armoires abîmées. Un autre voyageur, M. Joseph Toloche, gravement handicapé des suites de sa déportation, fut saisi avec brutalité par quatre policiers et jeté dans un camion, malgré les protestations des femmes qui tentaient de faire valoir son état. Tout ce que la police trouva à répondre fut : Il Retournez donc dans votre pays Il. Les personnes présentes montrèrent les papiers d'identité attestant qu'elles étaient françaises et rattachées à la ville de Lille. Après la recherche vaine dans les environs d'un terrain de stationnement, les caravanes se retrouvèrent derrière la cité hospitalière de Lille, sur un terrain vague non clôturé. La police les y poursuivit une nouvelle fois. Elle ne renonça à les chasser que sur l'intervention énergique d'une religieuse de 87 ans, qui obtint un délai de grâce. A la suite de ces brutalités, une plainte a été déposée auprès du Procureur de la République. Il reste à espérer que la Justice, si prompte à sanctionner les Gitans à la moindre infraction, fera preuve d'autant de zèle pour réprimer les indignes agissements dont ils sont les victimes. Deux mille Mauriciens menacés Entrés en France en tant que « touristes», environ deux mille habitants de l'Ile Maurice (Océan Indien) avaient pour la plupart réussi à trouver un emploi. Mais démunis de cartes de séjour, ils étaient en situation irrégulière. En l'absence de régularisation, la préfecture de police a délivré un avis de refoulement à ces ressortissants mauriciens. Plusieurs associations ont décidé renvoi de délégations dans les préfectures pour demander le bénéfice pour ces travailleurs des dispositions relatives à la régularisation, qui concernent l'ensemble des étrangers, et dont l'échéance vient d'être portée du 30 septembre au 31 octobre. 20 Barbie Saisir l'O.N.U. Alors que Klaus Barbie accuse notre pays de (1 machinations» à son encontre, le rejet de la demande d'extradition formulée contre lui pour crimes de guerre caractérisés constitue un camouflet à l'organisation des Nations Unies en même temps qu'au gouvernement français. En effet, la Convention des Nations Unies du 26 novembre 1 968 a lié le problème de l'extradition des criminels de guerre à l'imprescriptibilité de ces crimes. Il est souhaitable que le gouvernement saisisse l'O.N .U. et tous les pays membres, de la mise en échec de la loi internationale par les autorités boliviennes qui continuent de protéger Barbie. José dei Orbe sera-t-il extradé? Une demande d'extradition du gouvernement des Etats-Unis a été formulée à rencontre d'un militant politique de SaintDomingue, José dei Orbe de la Cruz, qui avait sollicité en mai dernier le statut de réfugié politique en France. Il a été arrêté en juillet et incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis. José dei Orbe de la Cruz a toujours nié farouchement avoir commis les crimes (( complicité d'assassinat et de trafic de drogue») qu'on ' lui reproche, tout en revendiquant sa qualité de patriote et de militant révolutionnaire. Les informations en notre possession permettent de penser que les accusations dont il fait l'objet sont pour le moins sujettes à caution et que la C.I.A. vise à s'emparer d'un adversaire politique, dont la vie serait ainsi dangereusement menacée. Dès son arrestation, de nombreuses personnalités ont créé un comité de soutien pour alerter l'opinion française contre l'extradition demandée par les Etats-Unis qui, si elle était accordée, rendrait plus dérisoire la réputation de la France comme terre d'asile . La Chambre d'accusation , qui lui a rendu la liberté le 2 octobre, doit se prononcer, le 15, sur la demande d'extradition . L'apartheid qui tue La police sud-africaine a ouvert le feu sur des grévistes africains des mines d'or de « Western Deep Level», à Carltonville, à' tJcie cinquantaine de kilomètres à l'ouest de Johannesbourg. Douze mineurs africains ont été tués par balles. Une dizaine d'autres ont été blessés. La fusillade s'est produite alors qu'avait lieu la paie des mineurs. Ceux-ci ont réclamé une augmentation des salaires et, devant le refus opposé par la direction, se sont mis en grève. D'importants renforts de police furent alors appelés et, comme les mineurs persistaient dans leur attitude, les policiers ouvrirent le feu à bout portant. Ils devaient prétendre plus tard qu'ils ne pouvaient plus contrôler la situation. Ce véritable massacre - le plus grave depuis la fusillade de Sharpeville, en 1960 - intervient alors que , dans toute l'Afrique du Sud, des travailleurs africains ont entrepris de puissants mouvements revendicatifs. Les 8 000 ouvriers africains de la « Western Deep Level» sont recrutés, pour la plupart, dans les pays voisins de l'Afrique du Sud: Swaziland, Lesotho et Malawi. Ils sont enfermés dans de vastes camps, d'où ils ne sortent qu'à l'expiration de leur contrat. Le travail est extrêmement pénible, puisque les mineurs extraient le minerai d'or jusqu'à 4000 mètres de profondeur. té.é~sion----------------------------------------------------~ L'affaire Dreyfus hier et aujourd'hui CETTE affaire Dreyfus C ••• ' au fond, plus personne ne s'en soucie; elle fait partie du folklore ... Il, pouvait-on lire dans une chronique de télévision au lendemain de rémission des « Dossiers de l'écran», de grand intérêt dans l'ensemble, qui fut consacrée récemment à un honnête film américain de José Ferrer sur « l'Affaire ». La projection fut suivie d'un débat animé par un tel afflux de coups de téléphone de toute la France que Guy Darbois s'est déclaré submergé, ce qui montre que, pas plus que la Croisade contre les Albigeois et la Commune de Paris, l'événement majeur de notre histoire que fut ce :trame qui dura douze ans (1894-1906) n'est oublié et qu'il vaut d'être connu des jeunes générations. Car un innocent condamné, puis réhabilité , les prétentions descendant de la raison d'Etat, l'antisémitisme, la caste militaire et ses pressions sur le pouvoir civil , voilà certes des questions d'aujourd'hui, ici et là, autant que d'hier. Sans refaire l'historique des faits qui vont de l'arrestation du capitaine Alfred Dreyfus à sa réhabilitation, nous voudrions rappeler et souligner quelques points éclairants et même mettre en lumière certains aspects obscurs de toute cette affaire exemplaire. DROIT ET LIBERTÉ - N° 323 - SEPT.-OCT. 1973 Disons quand même, préalablement, qu'en résumé, tout a commencé en 1894 par l'arrestation d'un officier juif de grande qualité, le capitaine Dreyfus, stagiaire à l'état-major, accusé d'avoir livré des secrets militaires à l'Allemagne, ce dont il était innocent. Condamné, il est déporté à l'ile du Diable. Il "faudra une campagne d'opinion sans précédent pour que pleine justice lui soit rendue. A la charnière du Xlxe et du XXe siècle, à quelques années de la Première Guerre mondiale, toute la société française et même ses institutions, le rapport de forces des formations politiques en furent profondément bouleversés; on a pu parler de « révolution dreyfusienne». Une machination Et d'abord, ce ne fut pas une erreur judiciaire, contrairement à ce qu'essaya de suggérer Me Gérard de Gubernatis, avocat maurrassien, ajoutant même, comme en passant, comme une chose allant de soi, qu'après tout, des erreurs judiciaires, il n'en manquait pas, malheureusement, de par le monde. Ce fut une machination, qui ne fut montée par les chefs militaires les plus responsables d'alors et leurs soutiens politiques, que parce que le capitaine Dreyfus était juif, d'ailleurs le premier et le seul juif qui appartint jamais à l'étatmajor, car on avait dû s'incliner devant le poids des titres et des diplômes de cet officier de grande valeur, studieux et d'esprit militaire quasi religieux. Si le capitaine Dreyfus s'était appelé Lefèvre ou Fournier, il n'y aurait pas eu d'affaire Lefèvre ou d'affaire Fournier. C'est, à l'origine, aussi simple que cela , et incontestable. La culpabilité collective des ultra-réactionnaires et des antisémites est donc totale. D'autant plus qu'ils persistèrent dans leur attitude avec un acharnement incroyable, même après le procès Esterhazy, le véritable espion au service de l'Allemagne, ils l'acclamèrent aux cris de « Vive Esterhazy! A bas les juifs!» et même après le « suicide» et les aveux du colonel Henry, puisque la fine fleur des antidreyfusards, emboîtant le pas à la thèse du « faux patriotique» forgée par Maurras-Escobar, lança une souscription manifeste en faveur de sa veuve, qui permit de recueillir des sommes énormes pour l'époque. Démontrer ... Me de Gubernatis tenta aussi de défendre une position qui relève de ce qu'on peut appeler le crétinisme judiciaire
- il invoqua « la chose jugée», les
pièces du dossier du premier procès, qui justifieraient, d'après lui, les antidreyfusards. Daniel Mayer, en une brève réplique, dans l'esprit de la Ligue des Droits de l'Homme, qu'il préside, fit observer qu'il n'était pas question, a priori, de s'en laisser imposer par la « chose jugée», précisément parce qu'elle peut avoir été mal... jugée. A preuve, l'Affaire Dreyfus elle-même. On peut admettre en revanche qu'au début, il convient de distinguer ceux qui ont monté l'opération, ceux qui ont trompé l'opinion - ceux-là sont impardonnables - et ceux qui ont été trompés et ont pu croire, de bonne foi, à la véracité des accusations d'espionnage portées contre un officier d'état-major. Mais, très vite, lorsque « La Libre Parole» de Drumont a commencé à aboyer contre le « traître juif», le véritable caractère de l'affaire se dessinait dans ses motivations politiques. Et Rabi a eu tort de reprocher à Emile Zola d'avoir attendu pour se jeter dans la bataille, rejoignant ainsi l'avocat maurrassien qui n'a pas manqué de citer les noms des grandes personnalités qui, dans la première phase de l'Affaire, ont cru à la culpabilité de Dreyfus, non pas - et c'est essentiel - parce qu'il était juif, mais parce qu'ils pensaient que la Justice militaire ne pouvait que s'être prononcée en toute connaissance de cause. Le contraire ne pouvait être évident. Il fallait ·le démontrer, pas à pas, en déjouant les pièges, l'intime conviction des proches de Dreyfus et de quel- -.. 21 - -:--- ---------------------------- ----------------- Le commandant Dreyfus réhabilité en 1906. ---.. ques amis n'étant pas suttisante pour faire éclater la vérité, qui n'était pas seulement l'innocence du capitaine , mais la culpabilité insensée des chefs militaires. D'où le «J'accuse», de Zola , qui vise juste en mettant nommément en cause les plus importants des généraux d'alors. A contre-courant Mais Rabi a eu raison de faire observer que le film de l'Américain José Ferrer, s'il a suivi assez exactement le déroulement des faits, autant qu'on pouvait le faire en une heure et demie, comporte une lacune importante : il n'est pas question de Bernard Lazare, journaliste juif d'avant-garde, qui fut le tout premier à alerter l'opinion publique en faveur de l'innocence de Dreyfus. De même, Rabi rappela qu'une des conséquences de l'Affaire Dreyfus, fut de donner une force nouvelle au projet sioniste. Son fondateur et théoricien, le journaliste autrichien, Théodore Herzl, assistait à la monstrueuse cérémonie de dégradation du capitaine, sou's les cris de haine d'une foule fanatisée par 22 les antisémites professionnels; mais c'est aussi à l'issue de ce rituel militaire que Dreyfus proclama à grands cris avec fermeté, à plusieurs reprises, avec des accents qui ne trompent pas : « Je suis innocent!», scène que le film reproduit de façon pathétique. De même, le film a montré les héros exemplaires de l'Affaire que furent, outre Zola, Mathieu Dreyfus, frère combatif d'Alfred Dreyfus, le vice-président (protestant et alsacien) du Sénat, Sheurer-Kestner, et surtout le lieutenantcolonel Picquart, officier de carrière de grande valeur, chef du Service de renseignements, qui, seul, à contre-courant, sachant qu'en s'opposant au crime et à la duplicité de ses chefs, il brisait sa carrière, lutta pour la vérité et la justice par honnêteté pure et simple, mais aussi par respect pour l'honneur de l'Armée, le véritable honneur de l'Armée, dont ses chefs avaient une conception bornée puisqu'ils prétendaient le sauvegarder par un acte de forfaiture et en accablant un innocent. Le déshonneur de Barrès Pour mesurer jusqu'à quelle infamie ont pu aller les nationalistes dits intégraux, nous ne prendrons qu'un exemple, celui du plus illustre des écrivains de droite d'alors qui s'obstinèrent, même contre l'évidence, dans leur haine antIsémite
- Maurice Barrès, puisque aùssi
bien le gouvernement s'apprête à célébrer avec éclat le cinquantième anniversaire de la mort (en 1923), de l'auteur de « Au service de l'Allemagne» (1905) . Il a écrit - en 1902, donc alors que les preuves de l'innocence de Dreyfus et de la culpabilité d'Esterhazy étaient publiques - dans « Scènes et doctrines du nationalisme» : Il Quand Alfred Dreyfus s'avança vers nous, le képi enfoncé sur le front, le lorgnon sur son nez ethnique (sic!) ( ... ) Sa figure de race étrangère ( ... ) Dans trois ans, disait quelqu'un, il sera capitaine de uhlans. Ah ! non, certes, il n'est pas au monde un groupe d'hommes qui puissent accepter cet individu. Il n'est point né pour vivre socialement. Seule, dans un bois dévié, une branche d'arbre se tend vers lui. Pour qu'il s'y pende!" Après de tels propos, un Maurice Barrès est un homme déshonoré. Passons. Et ce qui prouve bien que ce genre de chauvin ultra est voué à la trahison de fait de l'intérêt national le plus évident, c'est que l'officier de uhlans existait bel et bien: c'était ce commandant Esterhazy, espion allemand de bas étage, pour qui Barrès et ses semblables ~e sont enflammés pour mieux accabler le malheureux et digne Dreyfus, cet Esterhazy qui écrivait (ses lettres furent alors publiées par la presse dreyfusarde) : Il Les Allemands mettront tous ces genslà à leur vraie place avant qu'il soit longtemps ( ... ) Je suis absolument convaincu que le peuple français ne vaut pas les cartouches pour le tuer ( ... ) Je ne ferais pas de mal à un petit chien mais je ferais tuer cent mille Français avec plaisir!" C'est cet « aristocrate» pourri et totalement pro-allemand que le prétendant au trône de France, le prince Henri d'Orléans, serra dans ses bras pour lui donner l'accolade lorsqu'il fut acquitté par un tribunal de larbins du clan antisémite et d'Action Française! Esterhazy, perclu de dettes, touchait 2 000 marks par mois de l'Ambassade d'Allemagne pour les renseignements qll'il fournissait régulièrement. Alors que Dreyfus, lui, même après qu'on eut fouillé les moindres recoins de sa vie irréprochable, ne présentait pas l'ombre d'un mobile d'argent ou de goûts de luxe, ce qui aurait dû suffire à écarter les soupçons à son égard, d'autant plus que sa famille avait opté pour la France après la défaite de 1870. Mais il était juif ... Zola assassiné! Zola assassiné! Aussi surprenante que soit cette affirmation, il ne fait plus de doute maintenant que c'est la vérité . En 1953, le quotidien de la Résistance, « Libération», publia une lettre de lecteur, M. Hacquin, de Tessy-sur-Vire (Manche), qui rapportait, parce qu'il y avait prescription, qu'en avril 1927, un individu, vice-président d'une organisation de droite, entrepreneur de fumisterie, avait apporté un stupéfiant témoignage d'où il ressortait que si Zola fut découvert asphyxié à son domicile parisien, ainsi que sa femme, ce ne fut pas un accident dû au mauvais tirage de sa cheminée : Il Hacquin, je vais vous dire comment Zola est mort. Zola a été asphyxié volontairement. C'est nous qui avons bouché la cheminée de son appartement. Et voilà comment : dans une maison voisine, il y avait des travaux de réfection de la toiture et des cheminées. Nous en avons profrté, par suite du va-et-vient continuel dans cet immeuble, pour repérer la cheminée de Zola et la boucher. Nous ravons débouchée le lendemain, très tôt. Nous sommes passés inaperçus. Vous savez le reste. Il N'oublions jamais! Roger MARIA. ~iné",a Allez voir (( R.A.S.)) 1955-1956. Les rappelés vont vivre la guerre d'Algérie : jeune communiste, petit gradé, commerçant, artisan, vous, peut-être - un peu réfractaires ... mais quel homme part au combat en chantant ? Le cinéma français ne nous a donné sur ce sujet que «La Guerre d'Algérie» d'Yves Courrière et, de René Vautier, «Avoir vingt-ans dans les Aurès ». Il faut un certain courage en France pour tourner un film sur la guerre d'Algérie toute proche, pour évoquer les méthodes qui furent celles de l'armée française dans les djebels, pendant les interrogatoires de prisonniers ( La Question» d'Henri Alleg) pour montrer que, même réalisée par notre armée, une occupation est une occupation. Yves Boisset l'a fait et bien. Allez voir «R.A.S.». « RAS.» : départ de rappelés pour l'Algérie. Vous comprendrez alors peut-être comment d'un homme on fabrique un soldat, un être inhumain qui tue. Comment ces jeunes rappelés de n'importe quel milieu, politisés ou non, se trouvent embrigadés dans un système tel, subissent une telle mise en condition que souvent ils ne s'en aperçoivent même pas! Et comment ils connurent la répression à la moindre incartade, les affronts, les tortures morales et physiques pratiquées par des gradés cruels et bêtes. Et puis, encore, vous découvrirez comment tout devient difficile à comprendre quand cette armée se pare d'officiers d'élite, propres et intelligents. Quand la guerre devient émulation puis héroïsme... Allez voir «R.A.S.». C'est un beau lilm, un bon film! Un film d'aventure aux travellings hollywoodiens, avec une histoire bien construite avec un début, une montée d'action et une fin - d'aucuns s'en plaignent ... Allez voir «R.A.S.» ! K.F. votre mariage c 'est (( Le Blues entre les dents)) PRQNVPUA 18 rue du Faubourg-Montmartre, Paris 9' tél. 770.23.79 L E Blues entre les dents », de Robert Manthoulis et Claude Fléouter est une histoire simple qui se déroule dans le ghetto de Harlem. Un jeune noir, Freddy, qui a fait de la prison ne peut trouver du travail à cause de son «casier». Il vit chez sa mère, dans un appartement misérable avec sa jeune femme Hattie. Elle est fatiguée de le voir inoccupé. Pour gagner un peu d'argent, Freddy n'a qu'une seule ressource : se livrer à de petits trafics qui le ramèneront un jour ou l'autre en prison. Hattie le quitte pour un autre homme, Jay-Jay avec lequel elle espère une autre vie. Très vite déçue, elle revient à Freddy. Histoire d'amour insérée étroitement dans le folklore du « blues» qui vient rythmer, authentifier cette misère. L'idée fondamentale des auteurs du scénario a été de donner une sorte d'illustration, d'interpré- Le « bluesman » Walter « Furry Il Lewis. DROIT ET LlBERTË - N° 323 - SEPT.-OCT. 1973 et principales villes de France tation du fait musical qu'est le «blues» chanté par les noirs américains. 300 modèles de 189 à 2500 F Pour Manthoulis et Fléouter, le « blues» c'est ce qui reste des infortunes de l'esclavage. Une façon de crier, sous une apparence mélodramatique, l'impossibilité de s'exprimer autrement avec liberté. L'absence de liberté d'expression dans les camps de travail du Sud, dans les ghettos d'a.utrefois ou dans les ghettos d'aujourd'hui ont fait que le noir ne pouvait pas attaquer directement la société dans laquelle il vivait; il s'exprimait alors par des paroles allusives et souvent à travers la traduction de son cri par l'instrument musical qui lui permet d'affirmer sa détresse jusqu'au bout. Ce film fait de réalité documentée et de fiction, met en évidence quelque chose de difficile à montrer pour le cinéma américain et que Robert Manthoulis, chassé de Grèce après son film ( Face à face ») sur la bourgeoisie athénienne, exprime ici: le sort social de toute une communauté opprimée. M.P. Adhérez au M.R.A.P. Soutenez son aetion C.C.P. 14-826-86 Paris 23 Il'Vres • HISTOIRE DU FRONT POPULAIRE par Jacques Delpierre de Bayac (Les grandes études contemporaines, Fayard éditeur) . Etude extrêmement approfondie qui situe le Front populaire dans la France affaiblie et vieillie après la guerre de 14 ; dans l'Europe où montent les fascismes, au temps de la grande crise des années 30. L'auteur étudie dans leur ordre chronologique les problèmes de politique intérieure, extérieure, les problèmes économiques auxquels le Front populaire dut faire face, les élections, les grèves de mai 1936, la guerre d'Espagne, il montre le déferlement de calomnies et de mises en accusation en 1937, et Ié:i pause dans les réformes de la société. Nous voyons la démission de Léon Blum après les incidents sanglants de Clichy. Le Front populaire se survit et ce qu'il a entrepris ne disparaît pas, même Quand Blum est une seconde fois obligé de démissionner. Dans la conclusion, l'auteur s'efforce de faire le bilan du Front populaire. Que reste-t-il de son oeuvre? Est-il responsable de la défaite de 1940 ? Livre passionnant, Qui reste d'actualité. • AUTOPSIE D'UNE AMERIQUE, par François Mavasta (Petite Bibliothèque Payot). Etude très précise du « malaise américain »; analyse sociologique, économique, psychologique de la situation et du comportement de~ contestataires que la société américaine ne réussit pas à intégrer vraiment: noirs, jeunes femmes. L'auteur montre à la fois ce que ce malaise a de commun avec celui d'autres pays et ce qu'il a de spécifiquement américain. Ni apologie, ni diatribe, un effort d'objectivité et d'honnêteté intellectuelle. «La résistance organisée des juifs en France (1940-1944) ... de Jacq\fes Ravine - Préface de WI~imir Po~eT. En vente à 4t Droit et Ubetté» (31 ,25 + 3 F frais d'envoi). Chez votre pharmacien 24 • TERRES ET VENTS, poèmes et prose par Joseph Millauer (Albin Michel éditeur). Livre riche et varié : des poèmes lumineux, doux et chantants, d'autres implacables; d'autres enfin d'une pudique mélancolie. Des souvenirs d'enfance, de guerre et de captivité, des rencontres avec des écrivains célèbres. Un livre créateur de beauté. • ALI ET SON COPAIN, par Madeleine Girard A l'usage des enfants de cinq à huit ans, un livre qui traite des rapports entre communautés. Ce récit amical, qui raconte la vie d'une cité où l'on se côtoie en s'ignorant doit amener les enfants à poser des questions, susciter des réponses, aider à montrer l'inanité du racisme, fût-il celui de l'indifférence. • LA POLITIQUE ARABE DE LA FRANCE, de De Gaulle à Pompidou, par Paul Balta et CI. Rullian (Bibliothèque arabe Sinbad). Nous croyons la connaître, mais les notions que nous avons sur la réalité manquent souvent d'objectivité et nous saisissons imparfaitement l'importance de l'enjeu. Ce livre peut nous aider à mieux appréhender le réel, qu'il s'agisse des travailleurs immigrés ou du pétrole. Il peut nous aider à mieux comprendre les problèmes au lieu de nous laisser aller à des partis-pris aveugles et passionnels. • TERRE D'ISRAEL, par Jean-Pierre Alain (Editions du Seuil). Terre où s'entrechoquèrent les civili sations et les dogmes. L'auteur s'attache avec sagesse et passion à « démêler l'écheveau des fausses complications de l'Orient» avec le souci d'éviter toute polémique inutile. Il étudie les plus anciens vestiges de la présence humaine en Palestine. Un livre bien informé et utile. • VA-T-EN, par David Tuhman (Editions Stock). L'histoire d'un petit juif hongrois qui, au début du XXe siècle, quitte sa petite communauté pour étudier afin de devenir rabbin comme son père et son grandpère. Drôlerie et émotion. David mène une vie misérable où revient sans cesse le cri : « Va-t-en». Après la Première Guerre mondiale, ayant pris parti pour Bella Kun il connaîtra à nouveau la persécution et à nouveau retentira à ses oreilles le cri haineux : « Va-t-en ». Il vit maintenant en France . • LA GUERRE DES SIX JOURS, par Jacques Coubard (Editions Sociales). Des milliers de pages ont été publiées sur le conflit israélo-arabe. Dans sa brièveté, ce livre apporte cependant des éléments nouveaux, d'un grand intérêt pour quiconque s'intéresse aux Questions du Proche-Orient. " s'agit moins, pour l'auteur, de défendre une thèse que de présenter des fa its, en journaliste. Mais ces faits, une grande partie de la presse les escamote ou les minimise, car il existe en la matière un étrange et persistant conformisme. Ainsi on ne connaît guère en France le débat spectaculaire Qui a bouleversé récemment l'opinion israélienne, après que des généraux responsables aient révélé que le pays n'était nullement menacé par les forces arabes en 1967 - ce thème ayant été diffusé pour mobiliser l'opinion mondiale. Même ceux qui contesteront l'analyse de Jacques Coubard reconnaîtront son souci de l'appuyer sur une documentation précise, son sens des nuances, ses efforts pour démystifier des problèmes chargés de passions, en les ramenant à des normes politiques générales, valables en tous lieux. La guerre des Six jours, souligne-t-il, « n'est Qu'un épisode dans le temps et dans l'espace d'une politique commencée bien avant le 5 juin 1967». • LES O.S., par Marie-Rose Pineau (Editions Sociales). Des hommes vivants, différents, regroupés sous les deux initiales d'O.S .... Et pourtant... Travail à la chaîne, travail au rendement, travail à la tâche... Travail monotone, travail rythmé, travail de précision, travail de force.. . Origine ouvrière, origine paysanne, immigrés .. . Eléments qui se mêlent, se croisent. En ouvrant le dossier, l'auteur laisse témoigner ceux qui, dans leur vie, écrivent cette histoire. • LE CANADIEN FRANCAIS ET SON DOU BLE, par Jean Boulhillette (Editions L'Hexagone). Analyse pénétrante et parfois un peu ardue de l'aliénation dont souffre le Canadien français ; hors' du Québec il se sent un étranger ; sa citoyenneté canadienne reste une abstraction ; hors du Québec, sa langue est une particularité individuelle. En ce temps de décolonisation, il faut qu'il assume sa personnalité, son histoire ; et pour cela qu'il ne soit plus un Canadien francais déchiré et coupable mais un Québecois qui revendique une patrie et une originalité qui lui soient propres. CharlesW;;, ' 9-' .. ~ Un policier municipal « embarque» l'oeuvre d'un des peintres réalisée à partir d'une photographie des « ratonnades» de juin, provoquant ainsi la fermeture de l'exposition, (Photos Georges Chatain). DROIT ET LIBERTÉ - N· 323 - SEPT,-OCT, 1973 Grasse: des «ratons)) et des peintres GRASSE - Alpes-Maritimes - se souviendra décidément de son été 73. Après les ratonnades de juin (voir Droit & Liberté de juilletaoût), une soixantaine de jeunes peintres firent connaissance en août, de l'inquiétant ordre moral que le maire M. Hervé de Fontmichel, entend imposer à « sa » ville. C'est pourtant très officiellement que la municipalité patronait les rencontres picturales « Signal Grasse 73 »; le groupe « Signes», de Monaco, qui en avait pris l'initiative, avait invité des groupes ou des artistes isolés représentatifs de recherches actuelles (groupe 70 de Nice, Oldenbourg, Viallat, Klassnik, Valentiner, le groupe « Textruction », Polyptique, etc.). M. de Fontmichel espérait beaùcoup de cette manifestation. A la fois pour faire oublier le rôle peu reluisant qu'avait joué la municipalité dans la répression raciste de juin et pour asseoir sa réputation de jeune loup efficace et audacieux. La revue municipale « GrasseExpansion » avait préparé le terrain sur le thème : paisibles Grassois, vous risquez d'être déroutés, mais faites un effort : c'est l'art vivant que nous vous présentons. La M.J.C. et ses abords immédiats avaient été laissés à la discrétion des artistes. Plusieurs interventions avaient été prévues en ville. Picasso hors-la-loi 7 Mais l'affaire débuta mal : la plupart des peintres n'étaient guère disposés à jouer les faire-valoir ; une banderolle, « Nous som m~s tous des travailleurs immigrés», installée sur le toit de la M.J.C., mit d'emblée les choses au point de ce côté-là. En outre, l'un des peintres, J.-F. Dubreuil, avait exposé, à l'extérieur, une oeuvre à partir d'une photographie des « ratonnades» de juin : les Algériens raflés par les gardesmobiles sur la place Jean-Jaurès, au coeur de ce vieux Grasse qu'« Ordrenouveau » qualifiait de « médina ». Le malaise prit corps lorsque, par l'après-midi caniculaire du 6 août, un policier municipal vint « embarquer » la toile de Dubreuil; il s'en fallut de peu, d'ailleurs, que ce kidnapping effectué sans mandat officiel, ne passe inaperçu; c'était l'heure de la sieste ou de la piscine. M. Cohen, chef de la police locale, fut immédiatement contacté. Cette toile, expliqua-t-il pour justifier la saisie, était exposée sur la voie publique, et donc « débordait» l'espace alloué à l'exposition, Pourtant, l'autorisation avait été donnée, au départ, d'exposer aussi dehors, Le maire, quant à lui, trouva un meilleur argument. Après mûre réflexion, il est vrai : dans une « mise au point» adressée au Monde (19 aoOt), il expliqua que la photo qui avait servi de matière première à l'oeuvre de J, - F. Dubreuil était l'oeuvre d'un photographe local et qu'il était intervenu pour « défendre la propriété artistique ». Il faut hélas ajouter que le quotidien Nice-Matin fit chorus avec les censeurs, indirectement, en se demandant à propos de l'exposition « Signal-Grasse» si l'art, 73 n'était pas voué à l'ordure ; vieux réflexe conservateur qui faisait dire aux « critiques» passés qu'Ingres était « un Chinois égaré dans Athènes», que le jazz n'était qu'une « musique de sauvages », ou que l'expressionnisme allemand était l'art dégénéré par les juifs (tous arguments où la xénophobie affleure à coup sûr). Enfin la police intervint pour dresser des procès-verbaux d'intimidation à propos de ce qui, dans l'exposition, faisait référence aux ratonnades du mois précédent. Ces tracasseries incitèrent alors les peintres présents à fermer l'exposition et à se retirer, non sans avoir affirmé qu'ils n'étaient pas dupes, et sans avoir affiché sur les murs de la M.J.C. des proclamations antiracistes. La peinture est dangereuse Beaucoup de ces peintres avaient, à Pâques, été victimes du saccage de la rue du Temple, lors du festival d'art contemporain de Royan-La Rochelle. Après la saisie et la condamnation à l'autodafé par le tribunal de grande instance de Brive-la-Gaillarde de la toile de Luigi Baratella « Dio è pui bianco» (traduction approximative : Dieu est plus blanc ; toile exposée dans le cadre de l'exposition « Aspects du racisme»1 après les aventures de l'exposition d'artiste contemporain 1972 au Grand Palais, le doute n'est décidément plus permis : la peinture est dangereuse, lorsqu'elle se mêle de parler aux hommes des problèmes de leur temps. Georges CHATAIN 25 poésie Un poète I LS ont donc tué Jean Senac. Lui, le solaire et qui signait .d'u? soleil, ce radieux au front de megallthe et dont les yeux sous des sourcils épais comme « le maquis» de sa barbe, offrait une eau si pure que Camus l'avait dite irremplaçable - ils l'ont tué à la faveur de la nuit, de leurs nuits. Qui l'a frappé, lui, le piednoir unique, si proche frère des Arabes et Berbères, si intime à leur sort qu'il a écrit les plus beaux et les plus algériens poèmes de l'Algérie algérienne; lui, le Français qui sans rien renier de la France, amoureux d'un pays splendide mais cependant pays encore à naître, avait résolument opté pour le drapeau vert - celui, disait-il, de « la fo ule qui reboise » ? Qui? Ce noctambule insouciant ne redoutait nul rôdeur. Qui? Ceux qui l'avaient déjà enlevé, il y a quelques ans, et déjà l'auraient éliminé sans d'autres. sous mandat. qui le protégèrent? Où maintenant ceux-là? Les dirigeants se sont succédé; lui n'a pas changé de fa ce. Ce qu'il proposait, ce qu'il voulait était-il trop beau, était-il trop pur ? Criait-il trop fort: « Où est ma république des pauwes?» Sa vie dans deux piècestaudis, et parmi les plus pauvres - l.a pauvreté qu'il avait choisie, tel un FrançOiS d'Assise, le marquait-elle d'une grandeur insupportable? Son exemple, et sa tendresse pour eux rendaient-ils dangereux qu'il fût adoré des jeunes poètes algériens, qu'il a fait imprimer... à Paris. Chacun de ses mots et peut-être de ses silences faisaient-ils mûrir « les grenades de la conscience populaire - les fruits»? Car politique certes il l'était, c'est-à-dire, comme il l'a précisé lui-même « attentif à la chose publique»; et comme il l'a dit encore « au plus haut rebelle à la castration ». Jean Sénac abominait la mort sans la redouter. C'était un amoureux du corps. C'est sur le corps de la Bien Aimée qu'il découvre et dessine le sens de la Révolution. Avant-Corps, son dernier livre, nous donne la signification de cette innocence. Elle se découvre avec l'enfance des mots. Cette grâce est offerte au poète : T'aimer Serait rendre aux syllabes Un sourire innocent. L'amour est le champ de ce jeu. Il y enfouit sa graine d'images et solaire le pénètre du rythme où la chair comme la terre se lève blé. Entre les vers vient la connaissance lorsque, entre les lèvres, 26 . ~ assassine l'amour se dépouille des mots. Derriére chaque étreinte est l'existence où l'on devient, et toujours l'un par l'autre, Corps Total - lieu divin où lui, le poète, grâce à elle, ose affronter Pascal. Je te cherche et je sais où tu es ... Il y a ce maquis derrière tes dents [très noires Où nul ne vient qu'il n'ait d'abord [brûlé ses mots Dans le CClpS de la femme et du poème se fait la permanente union du dérisoire et du sublime. Or dénudé pour que le poème [s'écrive ce soleil ne détruit pas mais ramène à soi-même. Il humilie l'Amour pour le transfigurer. Est-ce là que se délie l'horreur de « l'honneur» - la mort? En tout cas, là est la victoire révolutionnaire. En ses Poubelles précieuses - détritus pour tout autre, le poète puise les motifs de sa royauté. La victoire révolutionnaire est celle de l'ordre de l'Amour. Il transforme le monde et résoudra, jour ou néant l'histoire du monde. Les voyous de l'autogestion Voyous de la Révolution Le poète est un voyou mais la poésie est Belle comme la victoire au Viêt-nam. L'image neuve témoigne de la puissance du plaisir. La joie de créer féconde l'univers et l'Absurde n'a plus de place sous ce regard. Ils l'ont assassiné. Mais il nous a laissé l'image de sa résurrection. J'ai quitté la tribune et les palabres [de café, j'entre Dans un nuage acide En route vers ces îles où les serpents [sont déliés, les nerfs Les verbes qui ne connaissent d'autre !conjugaison que la mort J'ai quitté tOIlS mes frères pour croire [à la fraternité - POlir bâtir, même de bouse, Une maison sans proie - et ses fJenêtres sur les astres. Je reviendrai, armé de mon corps, Sachant de chaque son la syllabe [saignante Je serai le rayon visible Dont vos siècles obscurs ont préparé [l'accueil Dans mon nuage acide Je suis en route vers vous. Jean CUSSAT-BLANC • A lire, dans le nO 2 (avri-mai-juin 1973' de la • Revue des lettres • publiée par la Société des Gens de lettrw de Fra,,", le texte de r aIIoc:U1ion prononcée par Pierre Peraf , roccuion du centenaire d'Henri Barbusse. • . le cin6ma a perdu un de ... plus grands r6aIisateuI'S ; John Ford est mort à rige de 7B ..... Tnls croyant, D était attentif a\ la peine des homm.. et au sort des humbles. le premier. H montre des Indiens sympatItiquas, il 6voquII la condition des noirs et des paumIS ••• • En France eortinI le 17 octobre une biographie en mile pages d'AdOlf Hitler. C'est la premi6re ... qU'un Allemand. Joachim Fest, joumaIste de ............. cinq ... , publie une 6tude .... importante .... r le ma1tre du Ille Reich. • Le Comité CatholIque contre la Faim et pour Je D6veIoppement (C.C.F.O.' organiM le troilli6me lundi du mois (sauf eseptionl en cI6cembre et avril) des ...... d"1IIfonnaIion ...., le thime • le tia's monde et noua.. Au ptOgIamme pour le mois d'octobre, .Ie r6Ie des finn .. muItinIIdonaIes daIw le cUweloppement du tia's monde. (foyer intemldionel d'Accueil de Paris, 30, rue Cabanis. Paris '14". • Chef .... cammandoe ~ de Hitler. le S.S. Otto Skorzeny. run des tu ..... pr6Nra du führer 6teit le 14 ...... tmemobi.r..e. l.a.. .,v elad ectIteeu xdNem ef6 cmhiaatinoen. f«t T.." scandaleux de constater cpfun cr'.mineI de guerre puisse parader ...., las 6crans de la t6I6vision tra .......... personne pour le contredire et ..... que lOient évoqa las crimes que rO.R.T.f. ne pouvait ignorer. • Propa16. .... div ......... .... tations cuItureIea ....... par las .. vailleunl inunigrts, une pi6ce satirique en arabe : ..... dewr demi6ras joum6ea de la via 6difiante .t p6nible de Kacem Azez; citoyen 'et ch6mèur ......... , qui meurt d'avoir trouw6 un travail. est.,.... sant6a,par le Collectif (~et de dit- . fu8ion cuItureIea arabe en France. • Une plaque a\ la m6moire • r.6crivain ~h ScIuIIom Aleichem a Mi inaugur6e d6bUt septembre, • lJirobicI.. jan, en U.R.s.S. • .... enfanta d"UI.'" en R6pubIique F6cI6raIe AIemande b6n6fici .. ont de cinq heures de cours par ......... dans leur langue maternelle. .Dtl JOUt/. ne du M.ILA.P.
Agir !----
FACE à faggravation des menées racistes, le M.R.A.P. s'emploie tout d'abord à organiser la riposte immédiate avec un double souci : des travailleurs immigrés, pour une nouvelle politique de fimmigration, cohérente, démocratique et humaine. - Ne rien laisser passer, réagir à tous les actes ou prises de position racistes et être présent aux ft points chauds Il où ils se ·produisent ; De là découlent les multiples réalisations du M.R.A.P. dans la dermére période, qui lui valent le concours actif d'un nombre croissant de militants, à Paris comme en province. Cependant les événements exigent qu'il soit fait beaucoup plus encore dans tous les domaines; et cela dépend des forces dont nous disposerons: adhérents nouveaux, soucieux de transformer en actes leur condamnation du racisme; comités nouveaux, â créer partout dans les villes et départements où il n'en existe pas encore; lecteurs et abonnés nouveaux à notre revue, qui deviendront autant de propagandistes de la vérité contre les falsifications racistes; moyens financiers accrus pour étondre notre présence et renforcer notre riposte. - . Favoriser la mobilisation et fun ion de toutes les forces antiracistes, pour isoler, rejeter les fauteurs de haine et de violence, démasquer les complicités dont ils bénéficient, imposer des mesures efficaces contre leurs agissements néfastes. Parallèlement, pour répondre à la propagande mensongère où s'alimentent les préjugés racistes, le M.R.A.P. consacre de grands efforts à éclairer fopinion publique sur les données réelles de fimmigration, et appuyant toutes initiatives qui visent au même objectif, il réclame que les grands moyens d'information contrôlés par fEtat jouent dans ce domaine un rôle plus positif. Par ailleurs, il poursuit vigoureusement ses campagnes et son action solidaire pour la défense des droits et de la dignité Contribuer à toutes ces tâches, en un temps où le racisme se déchaîne et tue, où fobscurantisme croit pouvoir passer à foffensive,c'est le devoir de tout citoyen, de tout homme digne de ce nom. Contre le racisme, avec le M.R.A.P., agissez ! Marseille: au coeur de l' é~énement AIJSSITOT qu'apparut l'intention de certains éléments racistes de susciter une campagne de haine et de violence prenant pour prétexte le meurtre du conducteur d'autobus Emile Gerlache à Marseille, le M.R .A .P. réagit avec promptitude et vigueur. Sur place, Serge KriwkosKl, président de notre Comité des Bouches-du-Rhône adressait à ' la presse une Oéclaration exprimant l'émotion ressentie par toute la population devant ce drame et mettant en garde contre l'exploitation que l'on tentait d'en faire . Au plan national , le M .R .A.P. publiait (le 27 août) un communiqué, reproduit par toute la presse , dénonçant les excitations racistes et exprimant ft ·la certitude que la population marseillaise saura rejeter les passions aveugles, et rendre vaines les tentatives de manipulations auxquelles recôurent certains à des fins inavouables Il. ft L'Histoire a toujours démontré, soulignait ce même communiqué, que le racisme n'est pas seulement préjudiciable aux minorités directement visées, mais également aux peuples qui se laissent prendre à ce piège cruel. Il Grâce aux multiples prises de positions dans le même sens, notamment celles de Mgr Etchegaray, arChevêque DROIT ET LIBERTE: - N° 323 - SEPT.-OCT. 1973 de Marseille, des partis de gauche, de la Ligue des Droits de l'Homme, grâce à l'attitude de la majorité des Journaux français qui mirent à nu le caractère raciste de l'agitation qui se développait, grâce surtout à la ferme lucidité des compagnons de travail d'Emile Gerlache, des syndicats marseillais, de la famille de la victime, les tentatives de créer un climat de pogrome n'aboutirent pas. Les obsèques d'Emile Gerlache - où Serge Kriwkoski conduisait la délégation du M.R.A.P. - eurent lieu dans le recueillement d'une foule immense. Mais c'est pied à pied qu'il fallut faire reculer les groupes racistes, en particulier le prétendu « Comité de défense des Marseillais II animé par les responsables locaux d'« Ordre Nouveau II et du « Front national ". Dès le 27 août, le M.R.A.P. adressait au Premier ministre un télégramme ainsi libellé : Il Profondément émus par les événements de Marseille. croyons devoir insister pour que des mesures soient prises d'urgence, en vue . de mettre fin au déchaînement de la haine raciste. Il Une manifestation était annoncée qui risquait de dégénérer en 'vlolences, comme à Paris le 21 juin. Dans un pneumatique au ministre de l'Intérieur (28 août), Albert Lévy, secrétaire général du M .R.A.P. exprimait l'espoir ft que toutes dispositions seront prises pour empêcher la manifestation provocatrice prévue par des trublions racistes alors même que les passions consécutives au meurtre de M. Gerlache semblent en voie d'apaisement Il. Dans le même temps, au nom du Comité départemental , Serge Kriw koski intervenait auprès du prétet des Bouches-du- Rhône. Celuici prenait alors la décision d'interdire « toute manifest at ion II sur la vOIe publique. Faute de mesures plus efficaces, on a vu les jours suivants, se multiplier les assassinats de t ravailleurs algériens, à Marseille même et dans d'autres villes. Le 30 août, le M .R.A .P. lance un cri d'alarme , repris également par l'ensemble de la presse, et il demande Il le châtiment exemplaire de. auteurs d'agressions racistes; fapplication de la loi du 1 er juillet 1972 contre les excitations et les diffamations visant les travailleurs immigrés; une information objective de fopinion publique pour combattre efficacement les préjugés raciaux par des émissions appropriées de fO.R.T.F. Il. A Marseille, le 2 septembre, à l'init iative de not re Comité départemental, 27 ~ un appel Il pour arrêter la montée du racismell est lancé par le M.R.A.P., les syndicats C.G.T., C.F.D.T., la F.E.N., le S.N.E.S., le parti socialiste, le parti communiste, le P.S.U., les radicaux de gauche, l'Union progressiste et Témoignage chrétien. Ces 11 organisations demandent, outre l'application 'de la loi du 10r juillet 1972, «la mise en place d'un statut des travailleurs immigrés basé sur rintérêt mutuel, le respect de la dignité humaine, garantissant des conditions de vie et de travail décentes, assurant formation professionnelle et alphabétisation Il. Une pétition est diffusée pour soutenir ces revendications. Paris •• une pw•s sante manifestation Par ailleurs, les signataires de rappel interviennent pour obtenir que la parole soit donnée au représentant du M.R.A.P. pour intervenir en leur nom sur les antennes régionales. Les mêmes organisations ont protesté et sont intervenues ensemble à la Préfecture lors de l'expulsion du pasteur Perregaux. Elles restent en contact pour développer toute action que la situation leur paraîtra exiger. L'action du M.R.A.P., à Marseille, a été sanctionnée par les nombreuses adhésions qui lui sont parvenues. Et ce n'est pas sans fierté qu'il a enreÇJistré celles de deux camarades d'Emile Gerlache, travaillant au même dépôt que lui, qui ont décidé de participer activement à la lutte, dans nos rangs. ~u mois d'aout, tandis que se multipliaient les arrêtés d'expulsions prononcés contre des étrangers « coupables» de participer à la lutte pour les droits et la dignité des travailleurs immigrés, diverses organisations parisiennes décidaient d'agir en commun contre ces mesures répressives: Parti communiste, Parti socialiste, P.S.u., Radicaux de gauche, C.G.T., C.F.D.T., F.E.N., U.N.E.F., Ligue des droits de l'homme, Témoignage chrétien, ainsi que le M.R.A.P. Ces organisations se préoccupaient aussi des conséquences de la « circulaire Fontanet» : la menace pesant à partir du 30 septembre sur des milliers de travailleurs immigrés qui n'auraient pas fait « régulariser» leur situation administrative. Un communiqué fut publié, une démarche faite à la préfecture de police. Un meeting fut décidé pour la rentrée. Puis sont survenus les événements de Marseille et leurs suites, rendant plus impérative encore l'action entreprise. Ensemble, les onze organisations ont dénoncé les campagnes racistes et 'demandé que des poursuites soient engagées contre tous ceux, quels qu'ils soient, qui provoquent à la haine raciale. D'autres se sont jointes à elles : La journée nationale contre le racisme 28 Marquée par des débrayages et manifestations dans les entreprises, des meetings et défilés, des cours et débats dans les établissements scolaires, la journée nationale du 25 septembre contre le racisme et pour l'égalité des droits entre travailleurs français et immigrés a connu un grand succès. Due à l'initiative des syndicats C.G.T., C.F.D.T. et F.E.N., auxquels se sont jointes diverses organisations, le M.R.A.P., pour sa part, s'y est associé pleinement. En voici quelques premiers échos : • Au meeting parisien de la Bourse du Travail, le M.R.A.P. était représenté par Pierre Paraf. Albert Lévy, Lucky Thiphaine, Charles Ovezarek, Anne-Marie Goguel et de nombreux militants des comités locaux. • Nos pétitions Il Halte au racisme Il ont recueilli de nombreuses signatures à Paris, dans différentes villes de banlieue, à l'I.U.T. d'Aixen- Provence, à Compiègne. etc. • De nombreux enseignants ont retiré au M.R.A.P. des livres, brochures, films et documents divers pour leurs classes. Albert Lévy a animé un débat au Lycée MarieCurie, à Sceaux (92). • Le comité de Roubaix a publié un communiqué et s'est associé à la conférence de presse tenue par les syndicats. • Au Centre d'études et de recherches de l'E.D .F., à Fontenay-auxRoses (92), de nombreux livres et revues exposés ont été vendus et des pétitions signées. • A Paris (120 ) la section C.F.D,T. de la R.A.T.P. a organisé une exposition et une vente de livres. C.l.M.A.D.E., F.A.S.T.I., L.I.C.A., Obj ectif socialiste. Le 13 septembre, une délégation où chacune était représentée se rendait au ministère du Travail et des Affaires socililes (le M.R.A.P. avait pour porteparole Lucky Thiphaine, responsable des comités de la région parisienne, membre du Secrétariat national). Soulignant l'urgence de mesures efficaces contre les menées racistes, elles ont préconisè l'élaboration d'une nouvelle politique de l'immigration, à caractère social et démocratique. Dans l'immédiat elles ont demandé la suspension des mesures d'expulsion, un délai supplémentaire (après le 30 septembre) pour les régularisations, la liberté d'expression pour les travailleurs immigrés, notamment la possibilité d'être membres des conseils d'administration des associations régies par la loi de 1901, et d'accéder aux responsabilités syndicales. Le meeting prévu a eu lieu le 25 septembre, à la Bourse du Travail de Paris, dans le cadre de la Journée d'action contre le racisme et pour l'égalité des droits entre travailleurs français et immigrés. Ce puissant rassemblement témoigne de la mobilisation croissante des forces antiracistes à Paris comme dans toute la France. Il donnera un nouvel élan à l'action qui se poursuit. Ce piège cruel Il L'Histoire a toujours démontré que le racisme n'est pas seulement préjudiciable aux minorités directement visées, mais aussi aux peuples qui se laissent prendre à ce piège cruel. Il Cette phrase contenue dans le communiqué du M.R.A.P. publié le 27 août, lors de la flambée de racisme à Marseille, est reprise telle quelle dans une déclaration rendue publique par la LI.C.A., le 22 septembre. Dans un contexte différent, il est vrai. Mais ce qui compte c'est que cette idée, toujours valable, soit le plus largement diffusée dans tous les milieux, afin que chacun y réfléchisse. Nous,ne pouvons que nous en réjouir. Le M.R.A.P. s'associe à la Journée d'action pour le droit au logement décent des Français et des immigrés, qui aura lieu le 23 octobre à rinitiative de la Confédération nationale du logement, avec le soutien de nombreuses organisations. Ce jour-là, à Paris, se déroulera une importante manifestation, de la Bastille à l'Hôtel-de-Ville. Ce que le met à votre M.RA.P. disposition Conférenciers et animateurs Pour les manifestations et initiatives antiracistes, le M.R.A.P. met à la disposition de tous, des conférenciers et animateurs, responsables nationaux ou de comités locaux, Qui se déplacent dans la France entière. Par ailleurs, il fournit, non seulement à ses comités, mais à toute association ou personne qui souhaite en faire usage, un important matériel d'information : Films En particulier, les courts-métrages suivants (en 16 mm) : • Négritudes, de Jean Schmidt. (Les travailleurs immigrés en France; le contexte colonial et raciste de l'oppression des noirs dans le monde.). 30 minutes. • Etranges étrangers : une passionnante enquête réalisée par Roger Louis et une équipe de reporters, montrant les difficultés et les luttes des travailleurs immigrés. Une heure. • Derrière la fenêtre, de Jean Schmidt. (Les enfants et le racisme. Une intéressante expérience pédagogique dans une « maternelle Il du 20· arrondissement.). 15 minutes. • L'affaire Dreyfus, de Jean Vigne. (Les données de « l'Affaire». Le climat social dans lequel elle s'est déroulée.) 15 minutes. • Témoignage, de Derrick Knight. (Une étude vivante et approfondie de l'apartheid en Afrique du Sud : ses manifestations quotidiennes, ses causes, ses conséquences.). 30 minutes. Montage audio-visuel Diapositives et commentaire exposant ce Qu'est le racisme, à travers ses manifestations présentes en France, et les moyens de le combattre. 15 minutes. Expositions Des panneaux sur différents aspects du racisme et des photos permettant à chacun de réaliser l'exposition la mieux adaptée aux sujets Que l'on entend traiter. Documentation • Livres et brochures, en particulier les trois ouvrages publiés à ce jour par les Editions Droit & Liberté : - • La Santé des migrants Il, par le Comité médical et médico-social d'aide aux migrants. - • Le logement des migrants Il, constat et suggestions de sept associations. - • Un Drame à Bordj-Hindel Il, récit de Claude Labarraque-Reyssac. (Amour et haines dans l'Algérie coloniale.). • • Ce monde que ron dit Tiers Il, numéro spécial de «Droit & Liberté ». • • Droit & Liberté Il, numéros récents ou anciens pouvant être distribués en vue, par exemple, de la préparation d'exposés ou de débats. • Dossiers du C.L.E.P.R. (Centre de liaison des Educateurs contre les préjugés raciaux)
- Lettre à un lycéen qui veut étudier le racisme. - Les enfants des migrants. Timbres et badges Sur le thème : _ Un blanc un noir un jaune un homme Il, timbres petit et grand format (ces derniers à coller sur vitres) et badges autocollants. Meetings et assemblées d'information Après les meetings retentissants tenus en juillet à Ivry et à Grasse, sur les lieux mêmes où le racisme s'était manifesté avec le plus de violence, le M.R.A.P. continue à informer et mobiliser largement l'opinion publique. Un meeting a eu lieu le 28 septembre au Havre, sur l'initiative de notre Mouvement, avec la participation des syndicats, des partis de gauche, de la Ligue des droits de l'homme et de personnalités religieuses. De Paris sont venus prendre part à cette manifestation deux orateurs du M.R.A.P. : Sally N'Dongo, membre du secrétariat national, et Me René Blum. D'autres initiatives se préparent dans le cadre de cette campagne qui doit s'amplifier sur le plan national tables rondes et assemblées d'information, débats, projections, expositions, présentations de livres Une Quinzaine de solidarité avec les travailleurs immigréS se déroulera du 17 octobre au 3 novembre à Dammarieles- Lys (Seine-et-Marne) avec le concours de nombreuses organisations; DROIT ET lIBERTË - N° 323 - SEPT.-Ocr. 1973 du & au :1.4 OCTOBRE EPXOSITION A LA M.J.C. DE ROMILLY l'~omme ~e toutes les couleurs Affiche de la M.J.C. de Romilly. sont prévus notamment: une exposition de photos et une exposition philatélique, des projections, des soirées culturelles, des débats, une action des enseignants, etc. C'est une semaine (6-14 octobre) que la M.J.C. de Romilly (Aube) organise, avec exposition de livres, soirées théâtrales et folkloriques, films et « déjeuner oriental». Un débat sera animé par Me Roland Rappoport, membre du Bureau national du M.R.A.P. Semaine antiraciste, également à la M.J.C. de Saint-Ouen (93), du 21 au 27 octobre avec films et exposition. A Levallois (92). du 20 au 28 octobre, aura lieu une « Semaine du monde arabe» avec conférences, projections, spectacles, expositions de livres et d'objets artisanaux. A Pantin (93), la municipalité a prévu pour novembre trois soirées consacrées successivement au « problème noir», à l'antisémitisme et au racisme antiarabe. Signalons encore, l'exposition et les projections sur le racisme, qui auront lieu du 22 au 29 octobre au Centre d'observation du Chateau d'Etry à Anet-sur-Marne. 29 ~- --- ----------- NOTRE CARNET .1 Nos deuils Le M.R.A.P. ressent avec douleur le décès d'un membre éminent de son Comité d'honneur, André HAURIOU. Professeur à la Faculté de droit de Toulouse, puis de Paris, André ' Hauriou était un rigoureux militant des causes justes et humaines; son action dans la Résistance l'avait conduit à la viceprésidence de l'Assemblée consultative d'Alger en 1943, avant qu'il ne soit élu sénateur socialiste de la Haute-Garonne, de 1946 à 1955. Vice-président de la Ligue des Droits de l'Homme, il n'est pas de campagne du M.R.A.P. à laquelle il n'ait apporté le poids de son prestige, du respect qui s'attachait à son nom. Nous exprimons à Mme André Hauriou, à sa famille, nos sincères condoléances. PETITES ANNONCES Etudiant 22 ans, sérieux, recherche chambre Paris. Ecrire ou téléphoner à «Droit et Liberté" (231-09-57'. Très bonne sténo-dactylo, expérimentée, recherche travail à domicile. Tél. 231-09-57. Secrétaire - comptable expérimentée recherche travail temps partiel. Tél. : 231-09-57. PRECISION Le comité du M.R.A.P. de Versailles nous prie de publier la rectification suivante Dans le numéro de juillet de Droit et Liberté à la rubrique de « La vie du M.R.A.P. » p. 31, sous le titre « Sachez encore que ... » nous mentionnions que le comité local avait pris la défense d'un « travailleur portugais». Il s'agissait en fait d'un travailleur espagnol, en conflit avec l'employeur de son épouse. Condamné pour violence, ce travailleur espagnol fut avisé un an plus tard par les autorités administratives q~il pourrait se voir retirer sa carte de séjour et être expulsé par le ministère de l'Intérieur. C'est alors Que le comité du M.R.A.P., aux côtés d'autres associations de défense -des travailleurs immigrés intervint auprès des services de la préfecture. • Au Forum des droits de rhomme, organisé . du 14 au 16 septembre à Orléans, par diverses organisations chrétiennes, le M.R.A.P. était représenté par Jean ' Bastos, 'animateur de son comité du Loiret. 3Q Josué DE CASTRO n'est plus. Celui qui, parmi les premiers, posa devant la conscience universelle le problème de la faim dans le monde d'aujourd'hui aura milité jusqu'à la mort, avec l'élan généreux qui ranimait, en faveur des centaines de millions d'êtres humains ~oués à la malnutrition, tandis que d'immenses richesses sont détournées à des fins de destruction. Ancien président de la F.A.O., ancien ambassadeur du Brésil , il avait été privé de ses droits civiques et politiques par le régime militaire qui domine son pays, et vivait en exil à Paris, où il dirigeait le Centre international pour le développement. Il avait participé à diverses manifestations du M.R.A.P., notamment à rune de ses journées nationales contre le racisme, au palais de l'U.N.E .S.C.O . C'est avec beaucoup de peine que nous avons appris le décès de Herschl Mendel WOLMARK. Père d'un jeune héros de la Résistance fusillé par les nazis, il fut, avec son épouse, parmi les fondateurs de notre Mouvement. Que sa famille, durement éprouvée, trouve ici l'expression de nos sentiments affectueux. Nos amis .Christiane Perrin et Claude Richard, membres du Bureau national du M.R.A.P. viennent d'être endeuillés par le décès de M. Edmond, François CLOSTRE, leur père et beau-père. Nous leur exprimons notre fraternelle sympathie. Nous avons appris avec une grande tristesse la mort de notre ami Max OSZLAK, membre de la Société mutualiste de MinskMazowiec, militant actif .de la cause antiraciste. Nous voulons dire à sa famille notre émotion et notre amitié. Nous exprimons également nos très sincères condoléances à la famille et aux amis de Moïse CUDEK, qui vient de mourir, et qui était secrétaire général de la Société mutualiste de Varsovie. Naissances Nous avons appris avec joie la naissance de Dominique, Romain, fils de Claude et Alain MAURAND, petit-fils de notre ami Manfred Imef!:jlik, membre du Bureau national du M.R.A.P. Nos félicitations aux heureux parents et grands-parents, et nos voeux les meilleurs. Nos félicitations et nos voeux également pour la naissance de Yonis DIRIÉ, fils de notre ami Moussa Dirié, membre du comité du M.R .A.P. des Yvelines. Mariage Nous avons le plaisir d'annoncer le mariage de notre amie Françoise OLLIVIER, membre du Bureau du l;.L.E: .P.R ., avec M. Claude MARON. Nous leur exprimons nos félicitations et nos voeux de bonheur, • A roceasion de 'a présentation de son livre «l'Homme de toutes les couleurs a (Editions la Farandole), Pierre Paraf, président du M.R.A.P., participe à de nombreux débats sur le racisme ; à Lyon, en juillet; à Paris en septembre (avec les employés de la Caisse de vieillesse): le 6 octobre, au Centre culturel d'Ivry (94) ; le 9 octobre à la Maison des Jeunes et de la Culture de Romilly (Aube) : fe 27 octobre à Levallois- Perret (92). dans le cadre de la Semaine d'amÎtié' 'francCFarabe. Il fera, le 30 novembre, une conférence au Rotary-Club de Chateau-Thierry, Le 7 octobre à la manifestation annuelle de l'Association des amis d'Emile Zol~, il prononcera un discours sur le thème : Barbusse et Zola . • A la mi-juillet, Albert Lévy, secrétaire général du M.R.A.P. et Sally N'Dongo, secrétaire national, ont été interviewés sur le probrème des immigrés, pour une émission de rO.R.T,F. en direction de r Afrique. Début septembre. Albert Lévy a donné une interview à la B.B.C. et Serge Iriwkoski, président du comité du M.R_A,P. des Bouches-du-Rhône. a répondu aux questions de la Tél6vj... sion it8raenne. Charles Palant; vice':: président du M.R.A.P., a pris part à l'émission « Dialogues lt, sur le thème « Combattre le racisme?)), diffusée sur France-Culture le 2 octobre, avec Daniel Mayer, président de la ligue des Droits de J'Homme et le professeuf René Rémond. • Comme chaque année. les comités du M.R.A,P. de la région parisienne ont organisé un stand à la fête de «l'Humanité a, les e et 9 septembre à la Courneuve. Ce stand comportait une exposition. un montage audio-visuel, des tables de livres et journaux, ainsi qu'un bar et une « boutique» de vêtements, Pierre Paraf a dédicacé« L'Homme de toutes les couleurs», Michel Outin «Le Logement des migrants », et Christiane PerrÎn son dernier disque : « l'Enfant au coeur du monde lt . Des milliers de signatures ont été collectées sur les pétitions «Halte au racisme)), 49 adhésions au M.R.A.P~' ont été enregistrées, ainsi que 20 abonnements à « Drojt & liberté». éducation à la fraternité La grande VOI•X de Coubertin NOTRE ami Yves Boulogne, coprésident du C.L.E.P.R. (Centre de liaison des éducateurs contre les préjugés raciaux), vient de soutenir aveè succès devant l'Université de Caen une thèse très remarquée sur la vie et l'oeuvre de Pierre de Coubertin; qu'il nous permette avant tout de lui exprimer ici nos bien vives et cordiales félicitations. Le grand mérite de cet ouvrage est de constituer une étude à peu près exhaustive de la pensée et de l'action· d'un homme à tous égards exceptionnel et de montrer que l'opinion et les jour~ nalistes font grand tort à sa mémoire en s'obstinant à ne voir en lui que le restaurateur des Jeux Olympiques : en fait, Coubertin s'est voulu surtout et a été un réformateur de la pédagogie aux idées neuves et hardies, et qui a touché, d'une manière toujours originale, à tous les domaines de l'éducation : physique naturellement, mais aussi intellectuelle et morale. Yves Boulogne n'hésite pas li écrire que « les Jeux ne furent qu'une parenthèse dans l'oeuvre coubertinienne ». Cependant c'est à cette « parenthèse » que nous nous attacherons nous-même dans ce bref compte-rendu; parce qu'il nous semble que c'est· sur le terrain du sport - et non point seulement, il est vrai, du sport olympique - que la pensée de Coubertin demeure la plus intéressante et surtout la plus actuelle, et aussi qu'eUe est de nature à solliciter le plus vivement l'attention des lecteurs de Droit et Liberté. L'idéal olympique chez Coubertin reste exemplaire : c'est celui d'une compétition loyale entre les meilleurs athlètes de toutes les nations, et à ses yeux « ce qui importe dans ces concours, c'est moins d'y gagner que d'y prendre part », l'essentiel n'étant pas « d'avoir vaincu, mais de s'être bien battu ». Faut-il dire après cela qu'il a eu une conscience aiguë, douloureuse, dramatique des menaces incessantes de dégénérescence qui pesaient de son temps déjà, et pèsent aujourd'hui plus lourdement que jamais, sur l'athlétisme et sur l'olympisme modernes. Ces dangers s'appellent d'abord « mercantilisme », « amour du gain ». « esprit de lucre» : ils atteignent le sport de compétition, non pas seulement chez les athlètes eux-mêmes, mais jusque dans le grand public des am a- DROIT ET LlBERTË - N° 323 - SEPT.-OCT. 1973 teurs de spectacles sportifs, et il faut voir avec quelle vigueur Coubertin dénonce ici « le chancre du pari». Mais voici qui nous intéresse davantage encore : ces dangers s'appellent aussi nationalisme, chauvinisme, racisme. A l'occasion d'un match de football disputé à Paris le 17 mars 1936, Coubertin écrit : « On en doit venir à ce que dans de telles occasions - et bien plus encore aux Jeux Olympiques - les applaudissements s'expriment uniquement en proportion de l'exploit accompli. et en dehors de toute préférence nationale
- tous sentiments nationaux doivent
alors faire trêve et pour ainsi parler « être mis en congé provisoire », Que nous voici, aujourd'hui, loin du compte! De même, les protestations de Coubertin contre la perversion raciste du sport sont nombreuses: c'est ainsi qu'un athlète noir nommé Drew · ayant été empêché par les responsables de la délégation américaine de prendre part aux Jeux de Stockholm (1912), il s'écrie : « CertC(s, je plains Drew, mais je plains davantage . l'Amérique», Il va presque sans dire que cet aspect de la pensée de Soubertin était particulière: ment fait pour attirer et séduire, en son interprète, le militant antiraciste. Celui-ci montre bien par ailleurs comment ces positions internationalistes - ou transnationalistes - et antiracistes ont été conquises de haute lutte par un homme qui - né baron de Coubertin avait commencé par épouser étroitement les idées ou préjugés de sa classe, Il faut s'incliner bien bas devant un tel courage civique; Coubertin finit par être en rupture totale avec son milieu d'origine, La même remarque vaudrait, dans un autre domaine, pour le ralliement sans réserve de cet aristocrate à la cause de la République et de la détUocratie. Mais s'agit-il bien d'un , autre domaine? Le développement de ses idées démocratiques est étroitement lié à celui de ses idées sur la culture sportive, qui doit devenir une culture pour tous : « Il convient, écrit-il, que le plaisir musculaire producteur de joie, d'énergie, de calme et de pureté soit mis à la portée des plus humbles : voilà l'olympisme intégral et démocratique »; et notons que, dans cette perspective, il se prononce ' avec beaucoup moins de rigueur que ne le fera son successeur à la tête du Comité olympiqu,e sur l'exigence qui veut que ne soient admis à participer aux Jeux que des amateurs et qu'en soit exclu tout professionnalisme même camouflé : il veut être « le premier à reconnaître un amateurisme absolu comme , impossible ». , On voit sur ce~ quelques exemples toute l'ouverture, toute la générosité de éette pensée. Il est en vérité urgent de se remettre à l'écoute de Coubertin, d'entendre ses avertissements et ses mises en garde, de travailler à rendre au sport sa pureté, et on ne saurait être trop reconnaissant il Yves Boulogne de nous avoir restitué cette grande voix, si méconnue. Mare-André BLOCH. 31 -
Notes
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