Différences n°234 235 - novembre-décembre 2001

De Archives
Aller à la navigation Aller à la recherche

Sommaire du numéro

n°234_235 de novembre-décembre 2001

  • Education antiraciste: horizons et cheminements
  • Un regard qui fait grandir
  • De l'art d'apprivoiser l'altérité; entretien avec Françoise Lorcerie réalisé par C. Benabdessadok
  • Violences et discriminations par F. Lorcerie
  • J'ai des stéréotypes dans la tête, c'est grave docteur? Pat Gilles Verbunt propos recueillis par F. Picard
  • Canada; éducation multiculturelle et antiracisme par Kamel Benabdessadok
  • L'interculturel australien: la plus grande école de langues du monde par Odile Albert
  • Un jeu montpelliérain primé en Australie
  • Royaume-Uni; heartstone Odyssey par B. Krüger
  • Enseigner les « histoires difficiles »: responsabiliser oui, culpabiliser non par Sophie Ernst
  • Inde Pakistan: des programmes contre les fondamentalismes religieux par Laurence Flécheux
  • Travaux d'élèves à Rodez
  • Berlin: l'histoire est au coin de la rue par Alain Pellé
  • Mutualiser: le FAS et la semaine d'éducation par Denise Causse
  • Transmettre les savoir faire par Valérie Rogé
  • Belgique: un réseau de 220 écoles
  • Allemagne: Schule ohne rassismus par B. Krüger
  • Édition: comme une rue de papier par Alain Serres
  • L'expérience du MRAP: au service d'un réseau par A. Pellé
  • Vitrolles; cet étranger bien de chez nous, récit de E. Pierrot
  • A Clermont on se fait calligraphe par J. Berthier
  • Qui mange quoi par A. Pellé
  • L'examen d'identité d'Amin Maalouf ou le bonheur d'être multiple

Numéro au format PDF

Cliquez sur l'image ci-dessous pour avoir accès au document numérisé. Cliquez ensuite sur l'onglet "précédent" de votre navigateur pour revenir à cette page.

Voir-pdf.jpg

Texte brut du numéro

Novembre-décembre 2001- Numéro spécial 234/235 • 3,5 € (23 F) L'éducation au non-racisme HORIZONS et CHEMINEMENTS mra Mouvement contre le racisme et pour l'atnitié entre les peuples 3 INTRODUCTION 4 ENTRETIEN. De l'art d'apprivoiser l'altérité 6 SOS Ségrégations! 7 Violences et discriminations 8 A l'école de Boz, une ferme bienveillance 9 Mémorial de Caen, « vous avez la parole, messieurs les avocats» 10ANALYSE. J'ai des stéréotypes dans la tête. C'est grave, docteur? 12 ÉTRANGER 12 L'éducation multiculturelle et antiraciste au Canada 14 Australie: la plus grande école de langues 15 Heartstone Odyssey, Royaume-Uni 16MÉMOIRE ET HISTOIRE 16 Responsabiliser, oui. Culpabiliser, non 18 Dictée d'élève janvier 1900 19 Des programmes contre les fondamentalismes religieux, Inde/Pakistan 20 Travaux d'élèves à Rodez, à Fos-sur-Mer, à Paris 22 L'Histoire est au coin de la rue à Berlin 24 MUTUALISER 24 Le FAS et la Semaine nationale d'éducation contre le racisme 25 Transmettre les savoir-faire 26 Ecole sans racisme en Belgique 27 Schule Ohne Rassismus en Allemagne 29 Comme une rue de papier 29 Des livres lilliputiens 30AUMRAP 30 Au service d'un réseau 31 Un étranger à Vitrolles 32 Calligraphe à Clermont-Ferrand 34 Une enseignante heureuse 34 Allô, ici ados-relais 34 L'EXAMEN D'IDENTITÉ d'Amin Maalouf ou le bonheur d'être multiple Ce numéro a été réalisé avec le soutien du Fonds d'action sociale et du ministère de la Jeunesse et des Sports 2 Différences n° 234/235 Novembre-Décembre 2001 Un regard Ce numéro spécial de Différences (qui remplace nos éditions mensuelles de novembre et décembre) est consacré à l'éducation des jeunes contre le racisme : c'est un événement (par l'augmentation de la pagination et l'introduction de la couleur) et une tradition: rappelons brièvement que le Mrap est né dans la résistance à l'occupation nazie et à sa politique antisémite et que la lutte contre les ségrégations et les persécutions racistes fut son principe fondateur il y a plus de cinquante ans. Aujourd'hui, « éduquer contre Auschwitz », écrivait Jean-François Forges, « signifie chasser sans répit la moindre tolérance à la moindre humiliation, à la moindre discrimination, au moindre apprentissage du moindre plaisir sadique, que ce soit à l 'école, que ce soit dans les jeux vidéo, à la télévision ou dans les commissariats de police» (1). La tâche n'est pas aisée, elle requiert de croire en la perfectibilité de l'humain et de savoir poser sur l'enfant, l'adolescent, le jeune (avec ou sans casquette), le regard qui aide à grandir. Ce dossier a donc pour ambition de circonscrire autant que possible le champ de l'éducation contre le racisme, de voir en quoi l'altérité peut être apprivoisée et participer de la vie démocratique dans et à l'extérieur de l'école. Nous nous sommes attardés en chemin sur la notion de stéréotype, clé de voûte de la stigmatisation de l'autre et sur la question de l'enseignement de certains pans difficiles de l'Histoire contemporaine de la France: il faut enseigner sans culpabiliser, faire droit aux mémoires (y compris lorsqu'elles sont conflictuelles), tout en assurant un devoir d' Histoire au service de l'ensemble des citoyens. Des coups de projecteur nous ont permis d'appréhender des politiques et des expériences éducatives élaborées par des structures institutionnelles ou associatives en France et dans quelques autres pays (notamment là où la conception de la nation et de la citoyenneté est différente de la nôtre), de partager le plaisir d'un animateur d'atelier, de saisir l'anecdote significative, d'interroger un éditeur. .. La nécessaire mutualisation des informations, des outils, des pratiques d'évaluation comme la description de l'expérience du Mrap clôturent ce dossier avant que l'écrivain Amin Maalouf apporte son point d'orgue en nous conviant à un fraternel et perspicace examen d'identité. (1) « Eduquer contre Auschwitz, histoire et mémoire », ESF éditeur, coll. Pédagogies, 1997 qui fait grandir 1)iHérences Directeur de publication: Mouloud Aounit Gérante bénévole : Isabelle Sirot Rédactrice en chef - mise en page : Chérifa Benabdessadok Directeur administratif: Florence Festas Abonnements: Isabelle Dos Martires Ont collaboré à ce numéro: Odile Albert, Kamel Benabdessadok, Jean Berthier, Thierry Beghin, Denise Causse, Sophie Ernst, Mirjam Ficker, Laurence Flécheux, Kaltoum Gachi, Michel Garcia, Hélène Fossey, Benjamin Krüger, JeanNoël Le Montagner, Françoise Lorcerie, Jean-Philippe Marcy, Alain Pellé: Olivier Pasquiers, Olivier Perriraz, Fanny Picard, Evelyne Pierrot, Emmanuelle Rigaud, Valérie Rogé, Alain Serres, Gilles Verbunt Nous remercions les éditions Grasset et Le Seuil, le Centre de documentation tiers-monde (CDTM) et le bar Floréal Mrap / Différences: 43 bd de Magenta 75010 Paris Site Internet: www.mrap.asso.fr Tél: 01 53 38 99 99 Télécopie: 01 40409098 - Email: journal.differences@free.fr Impression: Montligeon Tél: 02 33 85 80 00 Commission paritaire n063634 0247-9095 Dépôt légal 2001-11/12 Je m'abonne à Différences Je m'informe et je participe à la lutte contre le racisme Nom ou organisme : ........................................ . Adresse : ........................................................... . Tél. Fax et/ou Email : ...................................... .. Il numéros par an 21 € (135 F) Différences n° 234/235 Novembre-Décembre 2001 3 ENTRETIEN De l'art d'apprivoiser l'altérité L'éducation au non-racisme est un domaine complexe et risqué. Si l'on admet qu'il ne suffit pas de désigner ce qui est « bien » et ce qui est « mal », ce qui est moral et ce qui ne l'est pas, alors on ouvre là une perspective qui exige rigueur dans la démarche, claire explication des valeurs et formation pédagogique permanente. Françoise Lorcerie répond à nos questions DIFFÉRENCES: Qu'est-ce qui est à l'oeuvre lorsque l'on parle d'éducation contre le racisme? Il faut effectivement définir ce dont on parle. Lorsqu'on évoque l'antiracisme, il s'agit de comprendre les rouages sociaux qui produisent la racisation de groupes humains les plus variés, d'identifier les processus d'ethnicisation par lesquels on leur attribue une altérité radicale. Pierre-André Taguieff a montré Vous avez dit « ethnique» ? Dans un article publié dans le premier bulletin de l'ex-GED, aujourd'hui GELD (Groupe d'étude et de lutte contres les disciminations), Bernard Charlot souligne à propos des discriminations « ethniques ou raciales» que ce sont « des catégories de perception du monde qui n'ont pas de consistance scientifique mais affleurent en permanence dans le discours social, comme en attente de reconnaissance ». Pourtant le terme cc ethnie» et les expressions cc groupe» ou cc minorité ethnique» ont fait florès. Ils sont repris comme désignant des réalités évidentes alors qu'ils appartiennent au monde des représentations. Un nom à consonance arabe ou bambara, une peau bronzée toute l'année, ou une croyance religieuse (réelle ou supposée) ne font pas des enfants d'immigrés des membres d'une « ethnie ». Ou alors que l'on nous dise quelles sont ces ethnies et qu'on les inscrive un jour sur nos cartes d'identité ou de séjour! Quand des élèves sont discriminés ou ségrégués dans des classes de niveau, ils le sont précisément parce que d'extraction sociale populaire et par la représentation que l'on (parents, personnel éducatif, etc) se fait de leur cc identité» ou de leur cc origine ». A se réfugier dans le confort équivoque d'un mot, on cède précisément à ce que l'on voulait combattre. Il est bon de mesurer les phénomènes de discrimination directe et indirecte pour s'y attaquer. Il est cruel d'enfermer les futurs citoyens de la République dans des catégories fantasmatiques. Et puis, s'il fallait chercher chez l'ennemi un argument supplémentaire, rappelons que cc notre combat est aussi sémantique », Bruno Mégret dixit. Chérifa Benabdessadok 4 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 dans « La force du préjugé» (1) comment le racisme était passé d'une doctrine de l'infériorité radicale de certains groupes à l'idée d'une altérité radicale, d'une différence essentielle; cette forme de racisme, qu'on appelle parfois l'ethnicisation, ne repose pas forcément sur des éléments physiques mais sur des éléments culturels et sur des représentations. Du coup, les objets de la lutte contre le racisme se sont multipliés: la colonisation et la façon dont on a soumis et dominé (au nom d'idées parfois généreuses) des territoires et des groupes, l'immigration post-coloniale en France, la mondialisation et le fossé Nord-Sud. Lutter contre le racisme c'est comprendre les mécanismes par lesquels on attribue radicalement de l'altérité à des groupes, des pays, en fonction d'une normalité « naturelle» et de différences faussement évidentes qui ne sont pas analysées. Mais alors qu'est-ce qui fait la spécificité de l'éducation contre le racisme? Si avec Jean-Paul Tauvel (2) on prend les mots au sérieux, l'expression « éducation contre le racisme» est un peu piégée et il a raison de lui substituer une formule plus juste: « éducation au nonracisme ». On présuppose en effet que la base dont on part est « le racisme », qui existerait tout naturellement, et que l'on réagit avec une éducation « contre». Or, l'histoire sociale et politique enseigne qu'il faut inverser la proposition: c'est le racisme qui est contre l'éducation à la démocratie, l'individualisme moral et les droits de l'Homme. Il faut donc affirmer le caractère fondamentalement positif de cette éducation. La spécificité de l'éducation des jeunes « à la démocratie» ou au « non-racisme» réside dans le fait qu'elle associe des dimensions que le curriculum scolaire habituel ne prend pas explicitement en compte, des dimensions qui lui confèrent une réelle originalité et des difficultés particulières. Quelles sont ces dimensions ? Je vois d'abord une dimension qui porte sur les croyances, les représentations et les préjugés. La difficulté réside dans le fait que cela met en cause chaque personne car ces croyances, représentations et préjugés sont enracinés au fond de chacun de nous. Aborder ces questions comporte donc le risque de s'exposer à des questions incisives de la part de parents ou de collègues. Habituellement, on fait comme si ce substrat n'existait pas. Pourtant comme le préconisait Bachelard, on ne peut rien enseigner sans partir des croyances ... Généralement on transmet un savoir et on croit que ce savoir va déplacer les croyances. Cela est faux et encore plus faux lorsqu'il s'agit d'éduquer les jeunes à la démocratie: il faut travailler avec et sur des représentions sociales invisibles irnrnédiatement, totalement naturalisées, pour les rendre accessibles à la réflexion, au débat, au conflit et les placer sous le feu de l'intelligence. La seconde dimension consiste à travailler sur les valeurs: cette dimension est d'autant plus oubliée par nos systèmes éducatifs que les agents scolaires s'abritent parfois derrière une conception négative de la neutralité républicaine comme si elle signifiait une absence de valeur. Pourtant, on ressent de partout un besoin de faire passer des valeurs dans l'éducation. On n'est plus dans les années soixante-dix lorsqu'on supprimait l'éducation civique à l'école et que le libéralisme triomphant n'imposait pas encore l'idée d'une indispensable régulation, sans laquelle la précarité, l'exclusion, l'inégalité des rapports NordSud, la dégradation de l'environnement s'aggravent substantiellement. On a aujourd'hui, me semble-t-il, une conscience accrue de ces problèmes: or, qui dit régulation dit objectifs collectifs, valeurs, mobilisation ... La troisième dimension qui rend cette éducation complexe et spécifique par rapport à d'autres enseignements, c'est la complexité des savoirs socio-historiques qui doivent impérativement être transmis. Ces processus fabriquent à la fois du développement et du sous-développement, à la fois de l'identité et de l'altérité, de l'individuel et du communautaire (à l'échelle de l'établissement scolaire, de la ville, au niveau national et international ... ) : s'enchaînant et se combinant, ces processus sont d'autant porteurs de risques et d' effets pervers qu'on ne les connaît pas. Dans une éducation sérieuse, il est indispensable de comprendre comment une société complexe comme la nôtre produit simultanément des identités collectives, des excès d'individualisation, des sentiments d'appartenance (dans lesquels on va se retrouver pour se protéger), en somme, une pluralité d'identités à l'échelle individuelle et collective. Parce qu'elle combine toutes ces dimensions - les représentations sociales, les savoirs historiques complexes, les valeurs politiques - l'éducation contre le racisme a pour but d'amener les professeurs, les élèves, les éducateurs, les parents à comprendre la tension permanente dans la société entre altérité et lien social, altérité et civilité. Il faut apprivoiser l'altérité, la comprendre, la reconnaître et la relativiser. Il est question de reconnaître tout ce que l'individu peut mettre dans son identité mais aussi de réfléchir à ce qui nous fait vivre ensemble et assure notre appartenance commune. Nous devons «enseigner la société »telle qu'elle fonctionne dans ses complexités, enseigner les valeurs communes et notamment les textes internationaux qui les définissent. Préjugés et stéréotypes n'appartiennent pas en propre à tel ou tel .segon/ tous une pluralité d'appartenances virtuelles qu'ils actualisent selon les circonstances, leurs intérêts, les objectift qu'ils poursuivent .. » ment de la société ... La société ne fonctionne pas sur la modalité blanc/noir et il ne s'agit pas d'assigner des places de bons et de méchants. Il existe en effet des processus sociaux de marquage (dont le fameux racisme anti-français qui a fait les choux gras du Front national et d'autres sensibilités de droite ou d'extrême droite), des phénomènes de tension, d'opposition «antifrançais »,« anti-arabes ». Les individus ont tous une pluralité d'appartenances virtuelles qu'ils actualisent selon les circonstances, leurs intérêts, les objectifs qu'ils poursuivent. .. Ces processus d'identification peuvent produire parfois un raidissement des oppositions qui se cristallisent en termes « ethniques» ou en d'autres termes : la classe A contre la classe B. .. Si elles ne sont pas comprises, et donc pas maîtrisées, elles deviennent rapidement ingérables. Si on se contente de les juger en « bien» ou en «mal », on n'est pas intervenu en profondeur, on n'a pas éduqué ! Les expériences de la psychologie sociale montrent depuis longtemps comment on peut activer ou neutraliser la saillance de telle ou telle identité, en tenant compte de la façon dont sont structurés le milieu social, l'environnement et les enjeux qui se trouvent à portée des individus ou des groupes. li s'agit de faire en sorte que ces appartenances, réelles ou imaginaires (<< blanc»« black» ou« arabe»), ne soient pas mobilisées dans des usages anti-scolaires, anti-démocratiques, qu' elles soient au contraire mobilisées pour approfondir la démocratie et le vivre ensemble. Les enseignants sont-ils correctement formés pour se confronter à ce type de difficultés ? Je constate une grande naïveté dans l'analyse sociologique: en fait, les outils nécessaires à la compréhension des processus qui nous fabriquent - individus et société - ne sont pas données aux élèves mais pas aux enseignants non plus. Lorsqu'un professeur ressent la nécessité de se lancer dans l'éducation à la démocratie, la difficulté qu'il rencontre est d'abord pédagogique: il doit recourir aux techniques de la pédagogie active qui ne se base pas exclusivement sur la transmission mais qui part du conflit, des paroles qui vont dans tous les sens des élèves pour construire de l'intelligibilité, du savoir. C'est une pédagogie que l'on n'apprend pratiquement pas en France, ou alors dans des groupes en dehors de l'Education nationale. Du coup, les obstacles sont nombreux à franchir. Par exemple, la planification: avec la pédagogie active on est obligé d'assouplir considérablement la planification de l'activité, la gérer, la réguler, avec un type de contrôle très différent de celui du cours où l'on planifie simplement les thèmes dont on va parler et on fait comme si les élèves suivaient automatiquement. Faute de maîtriser ces techniques, les encadrants qui interviennent à chaud peuvent lourdement se tromper. Que vat- on faire lorsqu'on entend un propos raciste dans la classe? Une intervention moralisante pour affirmer la frontière entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas? Une intervention rationalisante pour déconstruire les erreurs contenues dans le propos? De fait, cela met les professeurs devant le problème de la planification et du programme de leur cours. Certains vont malgré cela choisir de ne pas se laisser dominer par le toboggan des urgences programmatiques et projeter des séquences de travail inspirées soit par un savoir-faire intuitif, soit en faisant appel au savoir-faire des associations comme le Mrap. Celles-ci vont apporter une valeur ajoutée au niveau pédagogique car elles ont un statut distancié par rapport au quotidien de la classe. En effet, il est quand même question de sujets qui provoquent des passions, des conflits entre élèves surtout si on ne contourne pas les sujets difficiles, que ce soit le sexisme, le racisme ou l' ethnicisation. Cela suscite des réserves, des propositions excessives, des idées tou- -Françoise Lorcerie est chargée de recherche en sciences politiques au CNRS, Laboratoire de l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman. Co-auteur de « Ecole, Ethnicité» (titre provisoire) à paraître aux éditions ESF, en partenariat avec l'Institut national de recherche pédagogique. Différences n° 234/235 Novembre-Décembre 2001 5 ~ tes faites, avec lesquelles il faut bien travailler. Cette parole « désordonnée» peut mettre les enseignants en difficulté lorsqu'ils n'ont pas réfléchi à la démarche à suivre. Peu de professeurs savent libérer cette parole, sans choquer la pudeur des élèves, sans les coincer dans leurs protections, sans les stigmatiser, sans avoir l'air de prendre parti pour tel ou tel mais tout en ayant conscience que le professeur est le garant du droit. Dans une société aussi différenciée que la nôtre par les trajectoires et les vies sociales des uns et des autres, on ne peut pas se passer de valeurs qui garantissent notre SOS Ségrégation ! Le second chapitre du rapport 1998 du Haut conseil à l'intégration (1) diagnostique l'existence de phénomènes de ségrégation envers des élèves issus de l'immigration, de nombreux chercheurs n'hésitant pas à parler « d'ethnicisation des relations scolaires ". Ce terme, défini par Véronique De Rudder, renvoie au « processus par lequel l'imputation ou l'appartenance ethnique devient un des référents déterminants de l'action, et dans l'interaction, par opposition à des situations où cette imputation ou revendication ne constituent qu'un référent parmi d'autres du rôle et du statut ". La montée de ces phénomènes de ségrégation révèle l'introduction d'une dynamique de différenciation au sein du collège unique: une stratégie parentale d'évitement du secteur public au profit du privé provoque un divorce fréquent entre la structure des publics scolaires et celle des populations environnantes; face à cette concurrence, le secteur public tente de retenir un public scolaire moins défavorisé, en constituant des classes dites de niveau. On note, dans les classes valorisées, une faible présence des catégories sociales défavorisées ou d'étrangers. Les travaux de C. Barthon n'écartent pas « l'idée d'une possible prise en compte des origines .. dans la composition de ces classes. Une forte homogénéité du niveau scolaire (ce qui est le cas des classes ayant une forte proportion d'élèves issus de l'immigration) conjuguée à une homogénéité sociale pénalise les élèves faibles ou moyens et compromet ainsi leur chance d'intégration. Par ailleurs, J.-P. Payet évoque le risque d'« ethnicisation oppositionnelle ". En effet, les failles de l'institution scolaire favorisent l'émergence d'un processus de construction d'une identité négative qui ouvre la porte à la marginalisation scolaire et à la déviance. Le Haut conseil à l'intégration préconise la création, au sein du ministère de l'Education nationale, d'une structure spécifique chargée d'une vision globale des questions d'intégration à l'école. (1) « Lutte contre les discriminations: faire respecter le principe d'égalité ", La Documentation française. Emmanuelle Rigaud 6 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 destin commun, notre vie ensemble et cela doit être découvert par les élèves ; la justesse et la légitimité du droit doit être éprouvée dans la classe. La pédagogie active nécessite un assouplissement de la planification mais elle a aussi besoin de s'inscrire dans des projets ... L' ambi valence de l'engagement de l'Etat sur cette question est patente. Avec l'inscription en 1998 de l'Education civique juridique et sociale dans les lycées généraux et technologiques (les lycées professionnels doivent attendre !) et une rénovation de l'éducation civique au collège, des progrès ont été réalisés. Mais ces améliorations sont imparfaites et inachevées. A mon avis, la question d'un vrai cours d'éducation à la démocratie Comment les enseignants réagissentils face à ces innovations ? Tous les enseignants qui ont travaillé dans la perspective des travaux croisés et des travaux personnels encadrés y sont favorables. Mais malheureusement, le principe selon lequel la solution n'est pas de changer mais d'obtenir plus de moyens, défendu par la partie majoritaire des syndicats, l'a emporté. Les changements sont très difficiles à institutionnaliser et dès que l'on s'approche du niveau Bac, il y a un verrouillage encore plus fort dans la mesure où ce diplôme passe pour protéger tout ce qui est en amont. Tant que le Bac disciplinaire ne change pas, les cours disciplinaires ne peuvent changer que de façon très limitée. Cela n'a rien à voir avec l'éducation Qu'est-ce qui ressemble plus à un enfant qu'un autre enfant? Photographie extraite du très beau livre du bar Floréal « Tous pas pareils, tous pareils» reste posée. Cette éducation à la citoyenneté est potentiellement présente dans toutes les disciplines (la littérature, l' histoire, etc) mais je crois qu'on ne peut se passer d'une plage horaire particulière parce qu'elle présente des contraintes méthodologiques propres et qu'elle repose sur des objectifs originaux. Dans l'état actuel des choses, les professeurs sont relati vement coincés, même s' il y a un fort assouplissement du curriculum par discipline pour ouvrir la voie à des formes de travail par projet aussi bien au collège avec les « travaux croisés » qu'au lycée avec les « travaux personnels encadrés ». Ce sont des formules très intéressantes qui permettent de développer l'autonomie des élèves sur des thèmes choisis, selon des indications précises données par le ministère, et qui permettent quand même d' adapter les objets, ce qui donne une certaine liberté par rapport au curriculum et aux programmes encyclopédiques. à la démocratie mais ça pèse lourd. L'éducation à la citoyenneté est devenue une expression récurrente: pourtant, l'ensemble des contraintes et des tâches d'une telle éducation sont-elles pris en charge par le monde éducatif? L'enseignant ou le pédagogue qui veut faire de l'éducation à la démocratie se heurte à des difficultés liées à l'institution. Je vois en particulier le problème du retard dans l'expertise : il n'y jamais eu d'expérimentation pédagogique d'ampleur dans ce domaine, ni d' ailleurs sur les zones d'éducation prioritaire, ni sur une pédagogie adaptée au rattrapage scolaire en milieu populaire (en particulier pour empêcher que la scolarité débute mal). Les formateurs comme les inspecteurs n'ont rien à dire ou très peu sur ces sujets ; il n'existe aucune littérature pédagogique substantielle. Certes, l'éducation à la démocratie ne requiert pas l'existence d'un programme au sens d'une suite de thèmes à décliner, mais on peut fixer des référentiels: des répertoires d'objectifs, des trousses à outils avec lesquels il faudra entraîner les professeurs à composer des séquences en fonction des circonstances, des nécessités, des objectifs. Au Canada et particulièrement au Québec, les institutions et les équipes éducatives ont élaboré des réflexions doctrinales, des outillages intéressants et dont on peut se servir. En France, sur un certain nombre de sujets, l'institution nourrit un lourd silence ou se trompe de mots ... Ainsi, le discours politique utilise l'expression gravement ambiguë et contestable « le devoir de mémoire» qui fait référence à une lecture politiquement correcte de telle ou telle page d'Histoire: c'est limité et dangereux. Ce que l'on doit mettre en oeuvre c'est un devoir d'Histoire et un droit aux mémoires. Les élèves sont friands d'Histoire, ils en ont besoin, il est indispensable de leur donner des éléments de géopolitique qui leur permettent de comprendre la société dans laquelle ils vivent et le sens de la trajectoire de leurs parents. C'est notamment très fort dans le Midi: lorsque ma collègue professeur d'Histoire et moi-même avons fait venir des« grands témoins» de la guerre d'Algérie - des personnes qui avaient fait la « corvée de bois» du côté français et des Algériens qui ont raconté ce qu'ils ont vécu de leur côté - les élèves étaient fascinés. L'émoi était palpable dans cette classe de seconde. On a fait parler des personnes qui, par leur vécu personnel, rendaient légitime la diversité des mémoires. Et les élèves ont tout de suite compris. L'Etat a un devoir d'Histoire à l'égard de toutes les composantes de sa population et il a à poser le droit à la pluralité des mémoires. Vous accordez peut-être beaucoup de vertus à l'Etat ... Selon l'architecture de la démocratie« à la française », l'Etat a le devoir d'élaborer les représentations collectives qui nous sont nécessaires pour vivre ensemble. Je me référerai aux « Leçons de sociologie » de Durkheim (3) : l'Etat a d'abord un rôle social, celui d'élaborer les idées, les valeurs, les principes qui sont nécessaires au vivre ensemble dans une société démocratique . • Entretien réalisé par Chérifa Benabdessadok (1) Galli11Ulrd Poche, 1990 (2) «Sortir de l'incantation rituelle: l'antiracisme à l'école », in « L'antiracisme dans tous ses débats », ArléaCorlet, 1996 et « Vers une éducation au non-racisme» Différences n° 180, décembre 1996 (3) PUF 1997 Violences et discriminations Les hommes politiques mais aussi l'Etat développent un discours ambigu sur le thème de la sécurité dans les établissements scolaires. Us le politisent dans un but électoraliste au lieu de le traiter sérieusement, de l'analyser d'un point de vue technique et organisationnel. Car la violence se déploie dans des formes typiquement scolaires, certains types d'organisation favorisent son émergence et sa pérennisation. Des études sociologiques existent depuis les années 1995-1996 ; elles démontrent l'existence d'une gestion discriminatoire des classes surtout dans les collèges à recrutement social clivé: c'est-à-dire accueillant (schématiquement) une majorité d'élèves issus de classes moyennes et une forte minorité d'élèves provenant de milieux populaires notamment immigrés. Dans ce contexte, trop souvent, des chefs d'établissements fabriquent des classes de niveau qui deviennent des classes «ethniques », les unes fortement stigmatisées, les autres« protégées ». La composition de ces classes n'est pas faite uniquement en fonction du niveau scolaire, mais elle prend en compte d' autres caractéristiques: le critère socio-économique (classes moyennes/classes populaires), le sexe (les garçons sont davantage pénalisés que les filles) et le profil « identitaire » ou « ethnique». Ces conditions favorisent des regroupements gang contre gang, le racisme « anti-arabe » comme le racisme « anti-français ». Cela est particulièrement dur à vivre pour les parents que nous sommes. Ne voulant pas perdre le « public» favorisé, le chef d'établissement anticipe la ghettoÏsation qu'il redoute et organise les clivages ethnique et social qui se confondent très largement. Les effets scolaires et dans l'environnement social sont catastrophiques: accroissement de la stigmatisation des groupes ethnicisés et des cités où ils habitent, parasitage des parcours scolaires. S'il n'est pas général, ce phénomène n'est pas marginal non plus. L' Etat sait ou a les moyens de savoir ce qui se passe. Pourtant, face à ces discriminations indirectes, non pénalisables, il n'existe pas de doctrine élaborée. L'Etat est de ce fait en dessous de son rôle: il doit pouvoir s'adresser aux chefs d'établissements pour les mettre en garde contre ces pratiques et les aider à réfléchir autrement, à traiter autrement la question de la violence. Les chefs d'établissement et les équipes pédagogiques refusent ces classes sont des militants pédagogiques qui ont une sécurité dans l'analyse et dans la pratique. Ils ont un savoir- faire et ils sont au clair au point de vue. Ils savent qu' ils vont devoir répondre aux parents, leur donner confiance, mais aussi convaincre les collègues, les inspecteurs ... Ils font le plus souvent partie de groupes de mouvements d'éducation nouvelle qui préparent leurs membres à assumer professionnellement ces valeurs politiques. Ce faisant, ils ne font pas acte de militance politique indue, ils assument pleinement leur devoir professionnel. Une enquête m'a permis de constater que les enseignants qui résistent individuellement à ces pratiques le font le plus souvent non pas à partir d'une technicité mais plutôt en lien avec une tradition familiale ou en fonction de leur trajectoire personnelle. Le politique préconise aujourd'hui la lutte contre les discriminations, mais le problème n'est pas pris à la racine. On se cantonne dans une conception exclusivement pénale des discriminations. On sanctionne des fautes, mais en l'occurrence ici il n'y a pas faute, il n'y a que des choix malheureux qui ont des incidences graves sur le vivre ensemble et sur le niveau scolaire. Françoise Lorcerie Ure également sur l'évolution de la politique gouvernementale: «La lutte contre les discriminations ou l'intégration requalifiée JI, Françoise Lorcerie, article paru dans Vei-Enjeux n° 121, juin 2000. -~ La Violence en milieu scolaire, E. Barbieux, ESF ~ Jeunes issus de l'immigration. De l'école à l'emploi, Direction F. Aubert, M. Tripier, F. Vourc'h, Paris, CIEMIL'Harmattan dont l'article Quelques problèmes épistémologiques liés aux définitions des populations immigrantes et de leur descendance deV. de Rudder ~ Discriminations et violences à l'école, Bernard Charlot, Bulletin du GED, n° 1 mars 2000 Différences n° 234/235 Novembre-Décembre 2001 7 TYPOLOGIE J'ai des stéréotypes dans la tête. C'est grave, docteur? Nous fonctionnons tous avec des préjugés et des stéréotypes. L'essentiel n'est pas de le nier mais d'en prendre conscience, d'en comprendre les mécanismes pour les combattre. Typologie et analyse. Fanny Picard a rencontré Gilles Verbunt Gilles Verbunt est sociologue de l'interculturel. Dernier livre paru: « La société interculturelle. Vivre la diversité humaine », Seuil, 2001. J'AI des préjugés et des stéréotypes. J'essaie de ne pas porter de jugements sur la manière d'être ou le comportement des autres, mais j e le fais quand même. Je généralise, j'ai mes catégories ... Comment puis-je encore prétendre ne pas être raciste? Malgré ce défaut peu avouable de la généralisation (forcément abusive), je pense que je ne suis pas raciste. Parce que quand je généralise, je sais que je généralise, et donc qu'il y a bien des chances que ma généralisation ne s'applique pas à la personne en face de moi. Je lui donne l'occasion d'être différente de mon préjugé. Je remets en cause le stéréotype qui m'est venu à l'esprit. Le raciste, lui, ne le met pas en question. Le préjugé (et son expression condensée, fixe, qu'est le stéréotype) est un phénomène courant auquel personne n'échappe. Mais en s'obligeant à questionner le stéréotype, on peut arriver à ne pas le confondre avec la réalité. Il ne s'agit pas de nier l'existence de stéréotypes mais de les rendre inefficaces. Pour cela, il me semble nécessaire d'analyser et de comprendre le procédé conduisant à recourir au stéréotype. Cette démarche permet d'abord de vivre avec ses propres préjugés et d'en sourire. Par ailleurs, il peut être un recours pour les enseignants afin de désarmer des situations découlant de stéréotypes. Non pour dire le contraire du stéréotype ( c' est insuffisant). Mais pour décrypter les raisons de son usage et Mon frère, ce cancre Mon frère était un vrai cancre. Tous les profs du lycée qu'il fréquentait avaient peur de ses frasques. Je l'ai suivi au lycée avec deux années, puis avec un an de décalage. J'avais les mêmes profs. J'étais appliqué et sage. Mais la répression préventive se rabattait sur moi, probablement inspirée par le dicton « tel père, tel fils ». Il a fallu beaucoup de temps aux professeurs pour comprendre que je n'étais pas comme mon frère ... Gilles Verbunt, exergue au chapitre « Histoire et stéréotype» dénoncer la simplification qu'il constitue, qui conduit à l'erreur. En décodant publiquement le processus, l'enseignant aide ses élèves ayant recours au stéréotype à comprendre qu' ils doivent le remettre en cause à chaque fois qu'il leur vient à l'esprit, saufà se mettre dans l'erreur. • La généralisation abusive Quand je dis « les A sont frustes », je me base peut-être sur un constat: les A que je connais le sont. J'oublie au passage que je ne connais pas tous les A, et que d'autres A peuvent être différents. Par exemple, les A que je connais peuvent venir d'une région dont le système scolaire est déficient, ou dont le patrimoine culturel s'est dilué avec la déportation d'une grande partie des « anCIens ». • La naturalisation « Les B ont le rythme dans le sang ». Les scientifiques n'ont pas encore découvert le gène du rythme. Ils ne le découvriront probablement jamais car le rythme est un acquis culturel chez ceux qui vivent dans un lieu où ce rythme joue un rôle important. • Le syndrome d'appartenance Quand je dis « Il ne faut jamais prêter de l'argent à des C », je me range du côté de ceux qui disent cela, et qui sont majoritaires dans mon environnement. En affirmant le contraire on risquerait de me prendre pour un original, ce que je préfère éviter. Je parle comme tout le monde. C'est rassurant, et comme tout le monde le dit, je ne me trompe pas. • Méconnaissance culturelle «Les D n'ont pas le sens de l'heure ». En disant cela j'ignore que dans d'autres cultures on peut gérer son temps autrement que chez nous. Certes il y a des gens qui maîtrisent mal leur emploi du temps, mais on en trouve dans toutes les cultures. Ce que l'on peut dire, par contre, à juste titre c' est que « les D n'ont pas notre sens de l'heure ». • Le stéréotype miroir « Les E sont sales ». Lorsque je dis cela « En décodant publiquement le processus, l'enseignant aide ses élèves ayant recours au stéréotype à comprendre qu'ils doivent le remettre en cause ~ à chaque fois ~ qu'illeur ID

~ vient

iii_ _l ii_. ............@ë 5 à l'esprit» 10 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 est-ce que je pense réellement aux E ou bien est-ce que je veux revendiquer, indirectement « Moi, je suis propre» ? • La comparaison d'une pratique et d'un principe Dans toutes les communautés, on constate un décalage entre les principes moraux et les pratiques. Par exemple, dans la culture française, indépendamment de toute qualification juridique, il n'est pas moral de frapper son enfant. Il est par ailleurs absolument interdit de « tromper » son mari ou sa femme. Il est néanmoins difficile de nier que de nombreux parents ont recours à la force physique dans leur relation avec leur enfant, de même qu'il est difficile de nier que certains couples vivent des relations extraconjugales. Sije porte un jugement sur une culture différente au motif qu'il y est moralement admis que des parents punissent leurs enfants avec des coups ou que la polygamie y soit admise, je condamne cet ordre du point de vue de ma propre morale mais je manque d'objectivité sur la pratique qui est celle du groupe auquelj'appartiens (même sije la réprouve). Comparer la pratique d'une population à un principe moral de mon groupe d'appartenance revient à ignorer le décalage entre principes et pratique et constitue une régression intellectuelle. • Pathologie Certaines raisons émotionnelles bloquent la réflexion critique. Par exemple, quelqu'un veut se venger d'une violence ou d'une humiliation subie, ou est à la recherche (éventuellement inconsciente) d'un bouc émissaire pour expliquer un malaise confus. Ni la preuve qu'il se trompe, ni le dialogue sur les stéréotypes ne modifiera son amertume. Dans ces cas, il s'agit beaucoup plus, dans une espèce de dialogue thérapeutique, de travailler sur le plan affectif que sur la raison. • Paresse intellectuelle Les raisons du recours au stéréotype évoquées ci-dessus concernent essentiellement des situations dans lesquelles la victime du stéréotype ne veut ou ne peut pas se fixer pour exigence la critique du stéréotype. Il existe aussi des gens qui se dérobent à l'exercice critique par paresse. J'ai utilisé dans cet article les lettres de l'alphabet pour nommer des groupes culturels. En effet, certains spécialistes pensent qu'en utilisant un stéréotype, même pour le combattre, on le renforce. Je n'en suis pas convaincu mais peu importe. Pourvu que le lecteur n'essaie pas de deviner à quije pense quand je parle des A ou des B ! • Gilles Verbunt Histoire et stéréotypes Les représentations de l'autre nous viennent de l'expérience personnelle et de la mémoire collective. Les deux sources peuvent se renforcer mutuellement, mais aussi se contredire. La première, l'expérience personnelle, est à l'origine de généralisations que l'on appelle préjugés. Le fait d'avoir souffert de trahison de la part de l'autre sexe, d'avoir été humilié par des étrangers, d'avoir subi des violences de la part d'un homme d'une couleur de peau différente, ou au contraire, d'avoir été très bien traité lors d'une visite dans un autre pays, d'avoir été bien soigné dans un hôpital par une infirmière antillaise ... peuvent déterminer la représentation que l'on se fait des gens d'un sexe, d'une profession, d'une nationalité, d'un phénotype ... en général. La généralisation est un processus de connaissance valable, a condition d'être étayée par un nombre suffisant d'expériences. Dans le cas des stéréotypes et des préjugés, une seule expérience suffit souvent, à tort, à généraliser, car elle s'articule sur une opinion déjà existante. Cette opinion résulte d'un processus de sélection qui ne vise pas la connaissance de l'autre, mais qui est créée de toutes pièces pour justifier des phénomènes de rejet. La généralisation hâtive ne cherche pas à replacer les événements et les rencontres dans un contexte. Les faits sont pris isolément et interprétés à travers des lunettes ethnocentriques. En outre, les généralisations deviennent des lois, elles sont inscrites dans la nature de l'homme, et les qualités et défauts des autres seront donc incorrigibles car innés. Enfin, les stéréotypes mettent sur un plan moral ce qui relève souvent de dysfonctionnements structurels. Dire, par exemple, que« les RMlstes sont des paresseux» met les dysfonctionnements du marché de l'emploi, de la formation, de la scolarisation hors de cause. Nous ne savons pas toujours pourquoi nous ne nous sentons pas à l'aise avec telle ou telle catégorie de personnes; aucune expérience personnelle ne renseigne sur l'antipathie ressentie; il se peut que l'expérience qui a fait naître l'image négative soit ignorée, oubliée ou refoulée. C'est un domaine où les psychanalystes peuvent intervenir efficacement, en faisant revenir à la surface et à la clarté ce qui était enfoui dans le subconscient ou l'inconscient. La mémoire collective également s'appuie sur des expériences: guerres, alliances, colonisation, occupation, exploitation, solidarités, rivalités ... Tantôt ces images reposent sur des faits historiques, tantôt elles ont été fabriquées de toutes pièces, tantôt elles tiennent des deux. Dans le Nord de l'Espagne subsistent des villages où les troupes de Napoléon ont fait des ravages: la population n'y est toujours pas très francophile. Les Irlandais n'ont pas oublié la façon dont les Anglais ont accaparé leurs terres il y a quelques siècles. Les croisades des XIe et XIIe siècles continuent d'envenimer les rapports entre musulmans et chrétiens. Les Bulgares sont toujours reconnaissants aux Russes de les avoir libérés du joug ottoman : l'histoire, même ancienne, continue à produire ses effets sur les relations entre groupes différents. Cette histoire a toujours été travaillée et retravaillée par la mémoire. Il n'est que de voir comment la mémoire travaille à présent sur les relations franco-allemandes. Les représentations mutuelles, longtemps dominées par les guerres, évoluent peu à peu sous l'influence de la nécessaire solidarité,jusqu'à faire oublier parfois le passé conflictuel. L'histoire peut être utilisée aussi pour faire comprendre une discrimination ou une apparente fatalité. C'est un fait qu'en Europe, au Moyen Age, les juifs n'avaient pas le droit de posséder des terres, donc ne pouvaient pas être agriculteurs. Ils se sont donc spécialisés dans le commerce, et surtout dans un domaine interdit aux chrétiens, le commerce de l'argent. Les Bédouins qui ont répandu l'islam étaient des nomades, et non pas des agriculteurs. Ces réalités historiques ont contribué à créer des représentations qui pouvaient apporter de l'eau au moulin de tous ceux qui craignaient la concurrence de ces populations. Le travail de mémoire a fourni des interprétations qui allaient dans le sens que l'on cherchait, niant en même temps toute la complexité et l'évolution des réalités historiques. Les croisades se sont arrêtées il y a plus de sept cents ans, mais les représentations qui se sont mises en place à l'époque pour justifier le rejet de l'autre sont toujours courantes. Les colonisations et la traite des esclaves appartiennent au passé, mais les relations entre Noirs et Blancs en resteront encore longtemps marquées. Mieux vaut le savoir, même si l'on est soi-même un militant antiraciste: nous héritons d'images mises en place suite à des agressions commises par nos ancêtres ou contre eux; il faudra encore du temps et de la volonté avant que les relations entre chrétiens et musulmans, ou celles entre Noirs et Blancs, deviennent simples et sans arrière-pensées. Nos remerciements aux éditions du Seuil qui nous ont autorisé à reproduire cet extrait du dernier ouvrage de Gilles Verbunt Différences n° 234/235 Novembre-Décembre 2001 11 Éducation multiculturelle et antiraciste Le Canada mène une politique rèsolue d'éducation contre le racisme. Ici les « communautés» (anglophones, francophones et Amerindiennes) sont des catégories politiques et culturelles. La « mosaïque» canadienne n'hésite pas à revendiquer le caractère « ethnoculturel » des populations. Nous sommes loin de l'intégration à la française. Présentation par Kamel Benabdessadok Au Canada, pays d'i.mnùgration par excellence depuis environ quatre siècles, les différents intervenants du domaine de l' éducation ont acquis une riche expérience dans la manipulation des concepts ayant trait à l'intégration dans ses différentes composantes. Les Français et les Britanniques, dans leurs diversités propres, ont été les premiers à coloniser le pays jusqu'alors habité par les seuls Gravure illustrant un article consacré à l'explorateur Cavelier de la Salle qui a « découvert » le Canada et ses populations indigènes en 1668. Le Journal des Voyages (décembre 1889). Légende: « Deux messagers lui apportent le calumet de la paix ». autochtones «Amérindiens ». Les Canadiens« d'origine anglaise » sont les descendants d'Irlandais, d'Ecossais, de Gallois, de Comouaillais ... , populations de langues, de traditions, de religions et de coutumes différentes. Pareillement pour les francophones dont les ancêtres pratiquaient des langues différentes parce qu'ils étaient originaires de diverses régions de la France métropolitai- 12 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 ne actuelle, laquelle était très contrastée il y a de cela quatre cents ans environ. L'autre groupe de population de ce vaste pays (un quart du continent américain) comprend la collectivité autochtone qui était elle aussi constituée de nations avec des coutumes, des cultures, et des langues très distinctes. Ces trois « groupes» de population (anglophones, francophones et Amérindiens) sont considérés comme les groupes fondateurs du Canada. Le dix-neuvième siècle et la première partie du vingtième siècle ont été marqués par l'arrivée d'immigrants de l'Ouest, de l'Est et du Sud de l'Europe. Enfm, depuis une trentaine d'années, les nouveaux arrivants sont originaires d'Amérique latine, des Caraibes, d'Asie et d'Afrique. La diversité du peuplement du Canada a été officiellement reconnue, en 1998, avec l'adoption de la « Loi sur le multiculturalisme canadien ». Pour mesurer l'importance du chemin parcouru et saisir à sa juste valeur le côté déterminant de cette loi, il faut rappeler qu'au début du vingtième siècle, dans certaines provinces, des règlements officiels refusaient l'enseignement du français. Cherchant à défmir les objectifs de la réforme de l'enseignement dans le cadre d'une politique à portée multiethnique, les auteurs d'une importante étude réalisée auprès des enseignants canadiens (1) les ont interrogés sur les problèmes de terminologie. Dans leur grande majorité, pour les enseignants, l'éducation multiculturelle consiste à promouvoir le respect de la diversité des traditions culturelles et à inclure les normes, valeurs et traditions culturelles dans les programmes; tandis que l'éducation antiraciste consiste, d'une part, à modifier les attitudes et les comportements personnels qui entretiennent le racisme et, d'autre part, à changer les politiques et les pratiques institutionnelles qui perpétuent le racisme. Cette enquête devait établir, sous l'égide du Conseil canadien pour l'éducation multiculturelle et interculturelle (CCEMI), une évaluation en fonction des trois critères suivants: 11 Equivalence des résultats. Il s'agit, pour les minorités ethniques, d'enseigner l'anglais comme deuxième langue, de modifier les pratiques relatives à l'évaluation et aux stages, de dénoncer les préjugés équivoques présents dans les programmes, d'adapter les méthodes d'enseignement aux cultures des élèves, de modifier l'organisation scolaire, d'établir des liens au sein de la collectivité des étudiants, de modifier la façon de réagir aux incidents racistes et de se pencher sur les attentes des enseignants. 2/ Interactions positives entre les groupes. Il faut développer la capacité de réflexion des étudiants sur les questions de diversité, encourager l'empathie ou l'identification affective par rapport à l'Histoire et la civilisation de l'autre, développer l'esprit critique, favoriser les contacts harmonieux et diffuser de l' information sur les ressemblances et la réussite. 3/ Fierté personnelle de son héritage. Il s'agit, point important, d'officialiser d'autres fêtes à l'école que celles inspirées de la tradition chrétienne anglo-celte, d'encourager la conservation de la langue d'origine et d'initier les étudiants à leur propre culture et à celle des autres. Selon un rapport officiel (2), la formation à l'antiracisme doit combiner neuf actions : • examiner les racines du racisme et ses manifestations actuelles au Canada ; • étudier le lien entre race et culture et les attitudes et le comportement personnels et professionnels; te de la diversité des politiques éducatives des différentes provinces. Le Canada, depuis maintenant plus de trois décennies, le s'est engagé d'abord dans une politique de « l'unité dans la diversité » devenue par la suite politique de la « mosaïque culturelle», comprise comme fierté nationale. Au Canada le « multiculturalisme » est non seulement un état de fait, il est devenu une image de marque . • • dénoncer les préjugés présents dans le matériel scolaire; • régler les tensions et les luttes raciales; • déterminer les ressources antiracistes à inclure dans les programmes; • élaborer diverses approches d'enseignement adaptées aux styles variés d'apprentissage; • définir et appliquer de bonnes stratégies d'évaluation et de placement; (1) Rapport réalisé par Dr Jon Young et Tim Mackay, janvier 1999. Disponible sur le site du Conseil canadien pour l'éducation mu/ticulturelle et interculturelle : www.ccmie.com/français/ • promouvoir une culture d'intégration à l'école ; • faire en sorte que les politiques et les pratiques de gestion du personnel soient conformes aux objectifs d'équité. . (2) Repris dans une étude « Multicultural education vs. Antiracist education: The debate in Canada », Tator et Henry, Social Education Ed,1994 Rapports et recommandations ne valent rien sans un suivi méthodique des différentes approches et une formation continue des enseignants. Il faut aussi tenir comp- Travail photographique de Thierry Beghin Le perfectionnement des enseignants La question se pose de savoir si le perfectionnement des enseignants dans la perspective de l'éducation multiculturelle et antiraciste peut s'intégrer dans les programmes généraux ordinaires de la mise à niveau et du perfectionnement pédagogique inhérents au système scolaire perçu dans sa globalité. Dans la pratique, les expériences des enseignants, pour les mises à jour des connaissances et des méthodes d'appréhension du multiculturalisme et de l'antiracisme, sont infinies. Toutefois, on peut distinguer quatre filières propres au perfectionnement des enseignants. Les ateliers et les colloques sont les plus simples à organiser et les plus souples mais ne garantissent pas le suivi des thèmes abordés. Les cours universitaires ont l'avantage d'assurer l'acquisition de connaissances pointues et d'influer sur le plan de carrière de l'enseignant (plus de qualification, augmentation de salaire ... ). La formation en cours d'emploi en milieu scolaire fait de l'école, simultanément, un lieu de transmission du savoir et de perfectionnement professionnel. Cela suppose un travail en équipe et une remise en question permanente des approches pédagogiques. Il existe, enfin, des réseaux d'enseignement qui mettent en relation de nombreux milieux scolaires. L'échange entre les différentes institutions scolaires pour confronter les expériences devient possible y compris sur le plan international. K.B. Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 l 3 L'INTERCULTUREL AUSTRALIEN La plus grande école de langues au monde Si l'anglais prédomine en Australie, on y parle également plusieurs dizaines de langues. Mobilisés par l'apprentissage de la tolérance et des langues étrangères, les enseignants australiens se sont résolument engagés dans une politique éducative antiraciste. Odile Albert Colonisée en 1788 par les Anglais, l'Australie est devenue très vite anglophone, malgré la présence des Aborigènes et l' arrivée quasi-permanente d' immigrés non-anglophones. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l' immigration de groupes non-anglophones s'est intensifiée . Ceux-ci n'ont guère d'autres choix que de s'intégrer à la communauté australienne, aucune mesure particulière n' ayant été prise en leur faveur. Mais, à partir de 1970, l'amélioration des conditions de vie de ces groupes les entraîne à revendiquer leur égalité avec la communauté anglophone et la reconnaissance de leur culture, de leur religion et de leur langue. Simultanément, l'opinion publique devient plus sensible à ce problème et reconnaît leur Un jeu montpelliérain primé en Australie Edité par une association montpelliéraine, Bioviva (1), « Peuples de la Terre », a obtenu le 1 er prix de la Fondation multiculturelle australienne attribuée aux PME pour leur contribution éducative contre le racisme. Il est commercialisé dans 14 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 contribution active à la vie du pays. Certains services spécifiques se mettent alors en place : services d' interprétariat, radio puis télévision ethniques. Le gouvernement prend également des mesures en faveur des minorités. A partir de 1980, le multilinguisme est largement accepté. Si l'anglais prédomine, on parle une centaine d'autres langues en provenance de tous les continents (italien, grec moderne, espagnol, turc, coréen, vietnamien, chinois, japonais, arabe ... ). A l'assimilationnisme et au monolinguisme se substitue donc le multiculturalisme. C'est l'échec du principe selon lequel il faut éliminer tous les 10 pays et traduit en 4 langues. Et pour qu'il n'y a it vraiment rien à redire, tous les éléments (y compris la boîte) sont en matériaux recyclés. Ce jeu, qui s'adresse à tous les jeunes de 9 à 99 ans, nous fait voyager à travers les époques (de la préhistoire à nos jours) et à travers les cultures. Le principe est simple : les aventuriers doivent entrer en possession des pages du Grand Livre des Epoques. Pour ce faire, ils devront rencontrer des populations et des cultures d'aujourd'hui et d'hier, et répondre aux questions sur leurs modes de vie. Ainsi, imaginez que vous vous trouvez au Mexique en modes de vie autres que le modèle anglo-saxon et toutes les langues autres que l' anglais. Cependant, il ne s'agit pas de créer une nouvelle culture résultant de toutes les cultures qui cohabitent sur le territoire australien. Il faut faire vivre chaque culture. C'est dans ce contexte que les enseignants australiens se sont résolument engagés dans une politique éducative qui permet de construire cette société rnulticulturelle. Deux objectifs sont prioritaires: l ' apprentissage de la tolérance et l' apprentissage des langues. L'apprentissage de la tolérance La compréhension d' autrui, le respect des différentes cultures, religions et langues, l'élimination des préjugés et l'éradication du racisme sont une base essentielle d ' une société multiculturelle. Le racisme ne va 1812 : pour remercier votre hôtesse de son hospitalité, vous lui offrez une opale, pierre précieuse aux nombreux reflets. Celle-ci refuse gentiment et vous la rend. Mais, pourquoi donc ? « 1 0) Cette pierre attire les rats ? 2°) Qui en porte ne trouvera jamais de mari ? 3°) C'est un élément de base de certains poisons ? » L'exercice ludique permet d'approcher la diversité des pratiques culturelles, et par là même de relativiser la centralité supposée des nôtres. Chaque question est complétée par un texte explicatif de la bonne réponse (ici c'est la 2) : «Au Mexique comme en Europe, l 'opale a longtemps été considérée dans la tradition populaire comme une pierre maléfique. En revanche, pour les auteurs classiques elle est associée à l 'idée de paix. Que de contradictions pour un caillou! » Ici l'important, c ' est d'apprendre .• Hélène Fossey (1) 9, place Chabaneau 34 000 Montpellier. Distribution par Artisans du Monde, Fnac Junior. .. pas disparaître facilement, la situation en Australie a grandement besoin de s'améliorer. Les enseignants sont, en effet, inquiétés par les attitudes des élèves spécialement à l'égard des immigrés et des réfugiés de fraîche date. L'élimination du racisme suppose la participation de tous les citoyens et l'école est bien placée pour contribuer à ce travail. L'éducation à la tolérance comprend trois étapes: - encourager la prise de conscience sur la nécessité de lutter contre le racisme ; - fournir des informations pour comprendre les mécanismes qui engendrent le racisme; - proposer des stratégies pour l'éradiquer. De nombreux documents pédagogiques ont paru sur ce sujet proposant des méthodes et du matériel d' information. Des ateliers de réflexion et de recherche sont également organisés. Des études présentent des repères pour permettre de comprendre les membres d'autres communautés. Au cours d'une journée spécifique au milieu scolaire, les élèves sont encouragés à réfléchir sur leur propre culture et sur l'interaction des différentes cultures entre elles. L'étude des langues L'apprentissage des langues donne également une ouverture très positive sur l'acceptation de la diversité culturelle et facilite la compréhension entre les différentes communautés. Il encourage à réfléchir aux origines et au contexte dans lesquels ces langues se sont développées. Depuis 1984, plusieurs documents officiels encouragent l'apprentissage des langues. C'est ainsi que la plupart des écoles ont mis en oeuvre des programmes de plus en plus conséquents d'apprentissage des langues en y associant toute la communauté éducative. Un des moyens les plus efficaces d'intégrer une langue étrangère est de l'utiliser pour enseigner certaines autres disciplines. Cette approche place les élèves dans un autre environnement linguistique et structure leur pensée . dans la langue étrangère. C'est ' pourquoi le gouvernement soutient de plus en plus l'éducation bilingue. Parmi toutes les écoles qui ont mis en place des programmes d'apprentissage de langues, il faut citer l' importante école de langues, Victorian School of Languages, qui enseigne 40 langues dans 30 centres urbains ou ruraux. 13 000 élèves y suivent des cours. Son public, généralement d'âge scolaire, forme une immense mosaïque multiculturelle. C'est sans doute la plus grande école de langues du monde. Des personnes de toutes origines s'y côtoient. Elles sont souvent issues de pays où règnent de fortes tensions politiques, voire des conflits armés. L'apprentissage des langues leur permet de se rencontrer, de mieux se connaître et d'avoir une autre opinion des conflits qui existent dans leur pays. Ainsi, Serbes et Croates, chrétiens coptes et Egyptiens musulmans, élèves de milieux arabisants peuvent nouer des relations autres que celles qu'ont eues leurs parents. L'apprentissage des langues joue un rôle de catalyseur pour rassembler des personnes qui, a priori, auraient du mal à s'accepter. Pour les enfants d' immigrés, apprendre et maîtriser leur langue d'origine peut être source d'un meilleur dialogue avec leurs parents et facilite une compréhension réciproque. Même si de nombreux autres paramètres entrent en compte, l'effort porté sur l' enseignement des langues, au cours de ces dernières années, semble apporter des résultats significatifs pour que l'Australie devienne un pays multilingue et multiculturel. • Texte paru dans «Se former à l'interculturel, expériences et propositions », un ouvrage qui fourmille d'informations, coordonné par Odile Albert et Laurence Flécheux, déc. 99, reproduit avec l'aimable autorisation des auteurs et éditeurs, le CDTM (Centre de documentation tiers-monde) et les éditions Charles Mayer. Source de cette synthèse: « Mosaïques australiennes » de Denis Cunningham et Fran Reddan, paru dans Revue internationale d'éducation, n° 17, mars 1998. ROYAUME-UNI Heartstone Odyssey Exposition photographique et ballet présentés par les élèves et les danseurs du Conservatoire national à Glasgow dans le cadre de la Conférence mondiale contre le racisme (août 2001). L'histoire de l'association britannique « Heartstone » ressemble à un conte: le 26 mars 1985, un train part de Central Station à Bombay dans le Nord de l'Inde. Trois jours plus tard, il arrive à Madras. Parmi les centaines de passagers, un homme raconte « The Heartstone Odyssey » dans laquelle il fait apparaître des éléments des longues relations entre l'Inde et le Royaume-Uni. Bien que construite comme un conte pour enfant, les adultes sont touchés. Dans l'auditoire, Sitakumari, une femme d'origine indienne née au Royaume-Uni, aujourd 'hui présidente d'Heartstone. Le récit l'émeut, elle en fait un livre qui devient très populaire auprès du public auquel il était destiné : les enfants. La lecture de cette oeuvre les a motivés et les a incités à agir contre l'injustice. Dans quelques écoles, les élèves ont commencé à prendre des initiatives, comme collecter de l'argent afin d'aider des gens en difficulté ou de sauver des animaux en danger, rédiger des chartes et les faire appliquer dans leurs écoles. Certaines classes ont écrit à l'éditeur pour identifi er d'autres écoles ayant pris des initiatives similaires et prendre contact avec elles. Heartstone était né. Cette association a aujourd'hui une coordination dont le siège est à Dingwall (Ecosse). Elle est portée par les 2 000 groupes qui se trouvent au Royaume-Uni mais aussi au Canada, au Ghana, au Nigeria, au Kenya, en Australie ... Les groupes, la plupart scolaires, sont de tous âges. Les objectifs principaux sont de nouer des contacts, de développer la connaissance et le respect entre des jeunes de toutes nationalités et cultures, de sensibiliser aux thèmes du racisme et de la xénophobie et de soutenir les victimes. L' association apporte son conseil aux enseignants en leur permettant d'accéder à des fonnations et en mettant à leur disposition ditTérents matériels, notamment une exposition photographique sur des thèmes sociaux ou liés aux questions de l'environnement. Benjamin Krüger Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 15 ENSEIGNER LES « HISTOIRES DIFFICILES» Responsabiliser~ OUI•. Culpabiliser~ non. Parce qu'il met en jeu des mémoires blessées, douloureuses et conflictuelles, l'enseignement de certains pans de l'histoire de France n'est pas chose aisée. Malgré l'évolution de ces dernières années, le rapport mémoire-histoire dans l'éducation reste problématique: il nécessite un examen en profondeur .. Sophie Ernst est chercheur au département de philosophie de l'éducation de l'Institut national de la recherche pédagogique. L'analyse de Sophie Ernst J E travaille depuis quelques années sur le lien mémoire-histoire dans l'éducation. Cela concerne certains enseignements qui ont du mal à s'imposer dans les cursus, comme 1 'histoire de l'immigration, ou qui sont abordés dans le malaise et la mauvaise conscience par les professeurs, parce qu'ils mettent en jeu des mémoires blessées, douloureuses ou conflictuelles: comme 1 'histoire du génocide des juifs, celle des suites de l'esclavage ou encore de la colonisation Le coeur et la raison « Dans une région du monde proche de nous, berceau de notre culture commune, se déroulent en ce moment des événements graves, douloureux, qui nous affligent. Même si tous nos espoirs sont tournés vers les tentatives actuelles de renouer les fils de la paix, nous ne pouvons ignorer la gravité du conflit au Proche-Orient. La haine s'est déchaînée, le sang a été versé et nos yeux sont encore meurtris d'images terribles. [ ... ] Au sein de nos écoles, de nos collèges et lycées, nous n'admettrons aucune exaction, d'où qu'elle vienne, incompatible avec les valeurs républicaines. La République française s'est construite sur le socle de la fraternité, de l'égalité, de la liberté. L'école fait vivre ces valeurs parce qu'elle repose sur un principe de concorde, la laïcité, qui permet d'unir par delà les différences. C'est la raison pour laquelle j'ai apporté mon plein appui à l'initiative d'associations de lycéens et d'étudiants qui se mobilisent pour transmettre un message de paix et de fraternité. Je soutiendrai toutes les démarches visant à maintenir, au sein de l'école, le climat de sérénité et de compréhension réciproque qui fonde la possibilité d'apprendre, de devenir adultes et citoyens, ensemble, dans le respect mutuel. C'est, fort heureusement, largement le cas aujourd'hui et j'entends bien qu'il en soit toujours ainsi. J'en appelle à votre raison et à votre coeur. Je vous demande à tous de vous tendre la main. » Extrait de la lettre de Jack Lang, ministre de l'Education nationale aux écoliers, collégiens et lycéens de France, 18 octobre 2000 1 6 Différences n° 234/235 Novembre-Décembre 2001 et de la guerre d'Algérie. Tous ces enseignements ont en commun quelques traits caractéristiques ; ils ont été mal intégrés dans les cursus jusqu'à une période assez récente, mais ils sont portés par une évolution de notre rapport à 1 'histoire

une plus grande exigence de justice,

de vérité et de réalisme nous a fait rejeter une conception quelque peu mythique de 1 'histoire nationale comme récit de la fondation héroïque, et progrès ininterrompu autant que nécessaire. L'exigence à la fois morale et rationnelle de faire place à ces épisodes tragiques, ou simplement méconnus, s'est d'abord exprimé comme contestation et revendication, mais à présent qu'en est admis le bien-fondé, reste à en trouver les formes adéquates. Ce n'est pas si simple. C'est qu'ils mettent enjeu des mémoires vivantes et sont encore chargés d' enjeux brûlants. Comment l'école peut-elle travailler avec les mémoires, non contre elles? Passons sur certaines difficultés, la place dans les programmes, la qualité des manuels, la teneur des sujets d'examen; passons également sur l'interprétation des faits, sur la formation des enseignants et les ressources documentaires ... passons sur les élèves difficiles, les conflits qui prennent prétexte d'appartenances ethniques et territoriales et les problèmes des banlieues. Tout cela est important, mais je vais me concentrer sur une difficulté, celle du malaise des professeurs. Car ces thèmes éveillent chez nombre d'enseignants un vague sentiment de faute et de culpabilité collective. Ma réflexion est partie des difficultés posées par l'enseignement de la Seconde guerre mondiale: après avoir longtemps minimisé l'importance du génocide des juifs et fait silence sur la complicité de Vichy, l'enseignement est tombé dans d'autres. dysfonctionnements, et nous avons tous été pris à revers. Pendant que certains réclamaient toujours à grands cris la levée des refoulements, dénonçaient le silence et en appelaient au devoir de mémoire, on basculait dans un tout autre ordre de problèmes, l'excès de sentimentalité, d'émotivité, de sacralisation, et de culpabilité collective, en un mot, tout un mauvais goût de la transmission. On a posé d'abord une plaque dans une école, à la mémoire des enfants déportés, en invitant les enfants à s'identifier aux enfants morts; puis, ce furent deux, trois, trente plaques, tout un quartier et une avalanche de cérémonies ... jusqu'où prendrons-nous en otage les enfants ? On ne forme pas les jeunes en leur transmettant, sous couvert de les responsabiliser au « plus jamais ça », le sentiment d'une faute irrémédiable. On ne prévient pas le racisme en créant un choc, en montrant des images de chamiers et en pleurant sur les victimes. Certes, il existe partout des enseignants particulièrement impliqués et imaginatifs, qui ont su trouver le ton juste et les formes pédagogiques adéquates: parce qu' ils ont su s'adresser à la fois à la sensibilité et à l'intelligence, ils ont réussi à mobiliser sans culpabiliser, et à émouvoir sans aveugler. La prise en compte de la souffrance des victimes n'a pas sombré dans la religiosité d'une interdiction de comprendre

le devoir de l'école ne se confond

pas avec le devoir de mémoire, son premier devoir est celui d'inciter à la réflexion et à la rationalité ; elle ne doit jamais céder sur le devoir de faire comprendre, car comprendre, ce n'est pas justifier, c'est analyser les enchaînements par lesquels une société politique devient dangereuse et criminelle. Il y a des expériences réussies mais nous n'avons pas encore trouvé la clé de cet enseignement, à la grande échelle d'une généralisation pour toute une classe d'âge. La tâche est difficile, et il nous faudra beaucoup de réflexion, d'expérience et de discussion collective pour trouver les formes appropriées à ces commémorations négatives. La pitié et le mépris Pour ce qui est de l'histoire de l'immigration, le problème est à la fois similaire et différent. Similaire par la méconnaissance: alors que la France a été une très grande terre d'immigration, notre histoire nationale avait du mal à intégrer ce fait dans son récit, peut-être parce que son pivot a été longtemps la Révolution; du point de vue de la fondation révolutionnaire et républicaine, l'immigration est non pas gênante, mais tout simplement inessentielle et sans signification, donc on n'en parle pas. C'est tout à fait à l'opposé des Etats-Unis, dont le mythe fondateur est lié de façon étroite à l'immigration, et où, de ce fait, celle- ci est vécue de façon héroïque comme l'accès à une nouvelle vie, plus libre, plus ouverte sur une quantité d'opportunités. Là-bas un immigrant, c'est un individu courageux et débrouillard qui se donne une chance d'échapper à la misère et à l'oppression, et qui veut donner à ses enfants la liberté d'une vie plus heureuse au pays de tous les possibles. En France, nous ne concevons les immigrés que comme des victimes qui subissent l'exploitation, le racisme, la pauvreté, l' injustice, l'incompréhension. Là où les Américains voient des conquérants, nous voyons de pauvres types malmenés. Il y aurait peut-être à trouver des vérités plus complexes, plus ambivalentes. Il ne s'agit pas de méconnaître les difficultés et le coût, pour les individus transplantés d'une civilisation dans une autre, d'un changement de mode de vie et de valeurs; il ne s'agit pas non plus de mentir sur les souffrances des vies d'ouvriers, sur les ravages causés par le chômage. Mais il faut en finir avec un certain misérabilisme compatissant, et une tendance à ne voir que des victimes. Car la pitié peut être aussi destructrice que le mépris et ces deux sentiments entretiennent souvent des rapports étroits et secrets. Autant je pense qu'il faut introdu~re 1 'histoire de l'immigration dans celle de la nation, pour mieux comprendre de quoi notre pays est fait, autant je pense que ce serait un très mauvais service à rendre aux enfants issus de l' immigration d'aborder cette histoire dans l'une des deux versions évoquées, et en pratique en France, dans sa version misérabiliste, puisque nous ne sommes guère portés sur la version héroïsante. Cela n'aide pas les enfants de l'immigration de les confronter en permanence à une représentation de leurs parents comme victimes; cela calme peut-être le sentiment de culpabilité de l'enseignant à l'égard de la classe ouvrière et le confume dans ses bons sentiments antiracistes, mais cela n'aide pas les enfants à construire un lien de filiation fondé sur la compréhension et le respect. Le parcours migratoire Pourtant, reconstituer ce qu'a été le parcours migratoire pourrait oeuvrer dans ce sens. Lorsqu'on fait raconter à un immigré son parcours, les difficultés qu'il a rencontrées, et la façon dont il les a surmontées, ses espoirs, ses doutes, ses astuces pour s'accommoder de situations conflictuelles, on est toujours admiratif devant l'ingéniosité et le courage mis en oeuvre. Les histoires de vie révèlent un héroïsme du quotidien, toujours attachant pour qui sait reconnaître ce que toute vie comporte de lutte, de victoire sur soi-même et de compromis avec les autres. Une vie de pauvre, cela n'est totalement négatif, passif et anonyme que du point de vue des riches! L'analphabète se révèle un stratège plein d'astuce N ~ 'C a; Da;

~ ________ .-0

et d'intelligence des signes, la femme timide une mère au courage inépuisable. Les arbitrages réalisés entre traditions et intégration montrent souvent une intelligence des compromis dont devraient s'inspirer les défenseurs de la laïcité - je songe à cette femme, algérienne, qui disait à ses enfants : «allez à la cantine, restez et faites comme les autres enfants, mangez de tout, moi,je ne mangerai pas de porc pour vous ». Certes, les cantines peuvent faire un effort, mais de la part de cette femme, quelle générosité inventive! Il ne faudrait pas oublier qu'en règle générale, ce sont les jeunes les plus débrouillards et les plus portés à l'aventure de l'individualisation qui émigrent, des jeunes qui souvent ressentent péniblement les limitations et les impasses de sociétés plus traditionnelles ou plus oppressives

ce ne sont pas les plus passifs

ou les moins courageux, ni ceux qui s' accommodent passivement des fatalités ; ce sont ceux qui préfèrent le coût et les risques d'un changement de société, aux maux des sociétés - d'où ils viennent c'est aussi ce choix qu'il faut respecter, pour qui se veut ouvert au respect d'autrui ... Présenter les immigrés comme des victimes, aux yeux de leurs propres enfants, victimes d'une civilisation qui les exploite et les maltraite, c'est donner à la génération née en France une dette impossible à combler et c'est encourager les jeunes à se dédouaner en se posant comme révoltés et haineux. Au contraire, lorsqu'on arrive à restituer ce que chaque immigration singulière a porté d'espoir, ~ -« Lorsqu'on arrive à restituer ce que chaque immigration singulière a porté d'espoir, ce qu'elle a nécessité de courage et d'invention, on redonne de la chair et du relief aux parcours individuels. » Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 1 7 ~ ce qu'elle a nécessité de courage et d' invention, on redonne de la chair et du relief aux parcours individuels, et on traite l'immigré comme un individu qui a désiré quelque chose et qui a lutté pour s'en donner les moyens; cela permet aussi aux enfants de se réinstaller dans une trajectoire où c'est en se rendant dignes de cet espoir par leur réussite, qu'ils seront en paix avec leur dette filiale. Je trouve très intéressant, lorsque c'est possible, d'avoir d'un côté un cours d'histoire où sont mises en perspective les grandes données du fait migratoire, associées à 1 'histoire de l'industrialisation, de l'urbanisation, de la colonisation et, de l'autre, un travail au microscope sur le vécu migratoire d'une communauté particulière, ou d'individus, soit par les textes littéraires, soit par des enquêtes de mémoire orale auprès de témoins vivants, comme le font certains clubs d'histoire. D'un côté l'objectivité et la systématicité de l'histoire, de l'autre la richesse du vécu individuel. Nous disposons aussi de films qui retracent des histoires de vie, et d'une merveilleuse série dans la collection « Autrement ». Je trouve très fructueux, aussi, de faire le détour par des textes ou des films qui restituent ce qu'a été le parcours, jusqu'au milieu de ce siècle, des migrants provinciaux, souvent non francophones, Bretons, Auvergnats, Savoyards ... Cela éviterait de creuser le fossé entre des «Français de souche» (notion comme on sait illusoire) et immigrés de la dernière vague d'immigration, et restituerait le sens des trajectoires, des lignes diachroniques; au moment où l'on parle de façon mystifiante de « choc des civilisations », il faudrait prendre la mesure de ce qu'a été, partout, de façon ininterrompue et graduelle, le difficile passage des sociétés traditionnelles aux sociétés individualistes. « Restituer le sens des trajectoires, des lignes diachroniques ; au moment où l'on parle de façon mystifiante de "choc des civüisations " » Nous disions que, par rapport aux enseignements qui portent sur des mémoires douloureuses, sur des traumatismes, sur des pages honteuses de l'histoire nationale, 1 'histoire de l'immigration présentait des ressemblances et des différences. Ressemblance par la méconnaissance, par la vaine culpabilité qu'elle éveille chez les professeurs. La grande différence, c'est que notre effort devrait porter, dans le cas de l'immigration, sur l'inverse du tragique. Il faudrait pouvoir rire avec les vieux immigrés de toutes ces histoires cocasses, qu' ils adorent raconter, sur les malentendus et méprises des premiers temps. Nous devrions aussi restituer de la légèreté, de la joie, dans ces mémoires, nous rendre disponibles à ce qu'elles portent d'espoir et de confiance. Nous avons tous besoin de retrouver cette confiance dans l'avenir que nous promettait la modernité .• A-"-'~ ~i."-,,; ~-;'. ' ... ~ ... = .... ~. ~. ~~. ~. ~ ·~'· r. ';~·-~' ~,:" .. :"-. .. t : r ' :: ~·f-;~. ~>;: ~.; · .. :' .Charles_:::: :. (i\-'~ ~. f;~·~·:: ~,j"'--: - t4~ tJ ": .7 \ . " Texte de dictée, ~',.:~' . ,~, ~ . : - ... , '- 0 , , ., copie datant du mois de janvier 1900, conservée au Musée départemental de l'Education, SaintOuen- l'Aumône, Val-d'Oise. Nous avons conservé les fautes d'orthographe. U.J#t«t- 1- _~ç4F.lH;' ., g ~a.llM,,;-~, '--7' - . ' ._c~ . __ ~" .•.. . _,: ..;."!-';-____ .. ,_.' __ ' .. .:==.~.'.;~:" ~~ Charles 23 janvier 2012 à 17:32 (UTC),,CharlesE:=--'jJa·CharlesF-&-~y<-~~ ~ .. ~. . __ ... f: . '- -" ' ·ii! · . _-.:.tf .. ~.~.J.~ ~ •••• '_'0' !",, __ <," •. +~ . ... _-~~ .... :;t~':~i~; Charles_T'~'~.r ' /~~rCharles:~· /~; « 'Pe«fde~. ~. ~ ~ ~ à, ta ~ da 'UUe4. 'le fta44e 4«It ta (efvre 4aH4 .t'~ attadé. 4aH4.t'~ iIe4taUé. 'le le 'a /M«'t-~ ~ da ~ teHd«4 4«It da ~ : if, He fM44ède ~ da ~jet4 4aH4 ~ ta fIie mJ«4 ~~. Pa.t de tit4. ftM de Ma{t4. ftM de t4&e4. ftM de ~. ftM «He 4e«te de ce4 ftetite4 ~ ~ fj«i 64Itt ~ e'é~. At««M ~ /M«'t- 'ZieIt J.e1rIte1e. a«aute ~. ~ Mt. ~ ~ eIt 'ZieIt. 'le 44ft à, fteûte eo«Me ta ;6e4«~ de ~. /M«'t- ~ e'e4«- et if, ~ eIt t4«te4. ~ da ~ ~ ~ tp'u eIt ~ 4t«ft46et. 'le He fte«t m'aiHee ftM ~ .ta teItte ~ déduze te u&tt et ta ~ d4#et ~~ d4a te ~ ~ ~ ta pMe ~ à, .tOIt~. )) 18 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 Des programmes contre les fondamentalismes religieux flictuelles entre ces deux pays depuis la partition en 1947. Le Forum indo-pakistanais de février 1995 à Dehli et les deux Conventions qui lui succédèrent, en novembre 1995 à Lahore et en décembre 1996 à Calcutta ont permis de faire entendre d'autres voix que celles, belligérantes, des dirigeants et de forcer ces derniers à les écouter. Ce fut l'occasion de nouer les premiers contacts. Les 14 et 15 août 1996, en signe symbolique, des élèves de Bombay et de Karachi ont prêté serment ainsi : « La paix est la seule façon pour les peuples et les pays de vivre en bon voisinage, dans l'amour et sans la guerre. » Depuis, un échange de correspondance, malgré les difficultés des liaisons postales et téléphoniques, a commencé entre les jeunes de l'Ecole internationale de Bombay et l'Ecole d'études supérieures de Karachi ainsi qu'entre des enfants des quartiers pauvres de Tussawadi et de Lahore. Tous les mois, Sabrang Communications consacre dans son magazine, Communalism Combat, deux pages à cette initiative. Communalism Combat est envoyé à 5 000 écoles en Inde et à 7 au Pakistan. A la suite d'articles parus dans cette revue et dans la grande presse, des demandes individuelles de jeunes Indiens désirant entretenir une correspondance avec des Pakistanais sont parvenues à l'association qui a constitué une banque d' adresses et qui s'efforce de garder le contact avec ces jeunes et de suivre leurS parcours. En 1997-1998, des étudiants de Karachi et de Bombay ont pris part à un programme d'échanges comprenant, dans les deux sens, une semaine de visite et une semaine d'enseignement. • Une association, fondée à Bombay, s'efforce de mettre en oeuvre des programmes scolaires et des échanges pour faire reculer le « communalism », terme issu de l'anglais indien qui désigne les sentiments de rivalité entre communautés. Fiche établie par Laurence Flécheux Sabrang Communications a été fondé à Bombay à la suite de la destruction de la mosquée Babri Masjïd par les fondamentalistes hindous, en décembre 1992. Cet organisme développe des initiatives variées de prévention et de lutte contre le« communalism », terme issu de l'anglais indien qui désigne des sentiments de mépris et parfois de haine entre communautés ethniques et surtout religieuses, notamment entre hindous et musulmans. Il publie le mensuel Communalism Combat et diffuse des documents concernant les violences entre communautés et leurs conséquences sur les droits de l'Homme. Parmi ces initiatives, il pilote depuis juin 1994 un projet d'éducation laïque «Kojh» auprès d' enfants des écoles et d'enseignants bénévoles. En effet, en Inde, l'éducation est le secteur principal que le gouvernement tente de manipuler: depuis dix ans, sous l'influence des idéologues politiciens hindouistes, on constate une orientation cynique des programmes scolaires et, en particulier des manuels d'histoire, afin d'entretenir des préjugés discriminatoires. Des programmes scolaires alternatifs Le projet« Khoj » met en place, progressivement, une série de modules d'éducation, à la tolérance et à la laïcité. D'abord expérimenté dans trois écoles privées de Bombay auprès des élèves, ce projet s'est poursuivi, avec l'autorisation de la municipalité de Bombay, dans 25 écoles publiques. Au total, 3 500 enfants ont été concernés par ces tests dans des environnements socio-économiques et religieux . différents. Ce programme fonctionne selon une pédagogie interactive entre les élèves et les enseignants. Il porte sur une série de thèmes : l ' Inde, le Pakistan, la paix, les différences religieuses ... Son objectif est de donner à l'enseignant les informations et les connaissances nécessaires pour aborder le thème, ainsi qu'une démarche pédagogique lui permettant de répondre aux questions des enfants et de les faire réfléchir sur leurs propres représentations et sur leurs stéréotypes. Dans ces modules, une centaine de questions sont posées et des réponses y sont apportées. Dès le lancement du projet, les enseignants ont montré un vif intérêt pour cette démarche, quels que soient la langue d'enseignement (hindi,marathi,ourdou) et le milieu social. Repenser l'enseignement de l'histoire Sabrang Communications compte aussi créer de nouveaux manuels scolaires d'histoire. Des professeurs d' histoire et des historiens se sont associés pour étudier une nouvelle façon d' enseigner cette discipline, non-alignée sur le programme officiel qui déforme ou tronque la réalité. Celle-ci doit être abordée sous divers angles : aspect humain et social, aspect géographique en étudiant par exemple l'origine des frontières et des divisions . .. L'enseignant a besoin d'un matériel de base et de contenus nouveaux. Un module est déjà terminé. Il a pour objet de faire réfléchir ensemble enseignants et enfants sur les histoires de leurs familles, leur histoire personnelle et celle de leur pays. Un livre et une bande dessinée sur les stéréotypes ont également été édités. Parallèlement, un séminaire d'enseignants s'est tenu à Bombay sur le thème de « l' histoire et ses altérations ». A la suite de cette rencontre, une association de professeurs d'histoire s'est formée. Dans le prolongement de cette conception d'une histoire vivante, Sabrang Communications a proposé de célébrer le cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Inde, un an avant la date officielle de la partition, en août 1947, pour souligner que l'Inde n'a pas toujours été figée en deux communautés hostiles. Cette célébration anticipée a pour but de donner aux enfants la possibilité de se forger euxmêmes une idée de leurs « voisins », les Pakistanais. 1998 marque la fin de l'étape d' expérimentation et de recherches. La nouvelle phase de travail concerne la rédaction des modules et des nouveaux manuels. En mai-juin 1999, les 15 modules pour les enfants de 10 à 12 ans seront achevés. Pour les manuels d 'histoire, il faudra attendre plus longtemps, car leur conception est délicate tant au niveau du contenu que de la présentation. Programme d'échanges de correspondance entre élèves du Pakistan et de l'Inde: l'Aman Peace Pen Friends. Sabrang Communication met en oeuvre un autre projet depuis 1996, celui de faire correspondre des enfants pakistanais et indiens. Cette opération, baptisée «Aman », ce qui signifie branche d' olivier, veut être une réponse aux relations con- Texte rédigé à l'issue d'une rencontre avec Teesta Setavald, responsable de Sabrang Communications, paru dans « Se former à l'intercu/ture/, expériences et propositions ), reproduit avec l'aimable autorisation du Centre de Documentation Tiers-Monde et des éditions Charles Mayer. CDTM : 20 rue Rochechouard 75009 Paris. Tél: 01 42820751. Site: www.globenet.org/ritimo/cdtm75 Différences n° 234/235 Novembre-Décembre 2001 19 , " " TRAVAUX D'ELEVES A RODEZ Au Lycée Foch de Rodez, un professeur d'histoire mène un patient et constant travail de formation de ses élèves. Recourant à des méthodes et techniques actives, il cultive chez eux l'examen critique et le sens de l'analyse.Focus sur des extraits de travaux de groupes réalisés ces dernières années. Naissance d'un enjeu pOlitique

~n 1934, l 'affaire Stavisky

Avec Jean-Philippe Marcy et ses élèves d"a It scandale et les lI' gues extreme droite accusent le Une formation politique à la citoyenneté. L'objectif est de s'appuyer sur l'histoire vécue pour former de véritables citoyens, c'est à dire des individus conscient de leur cité. L'Histoire constitue un instrument qui permet d'étudier le passé, de s'interroger, de mieux comprendre le monde d'aujourd'hui. Ainsi dans le cadre d'une formation pratique à la citoyenneté, les élèves ont été amenés à s'interroger sur la place des étrangers dans des sociétés très différentes. Par ailleurs, ils ont analysés les différentes formes de racisme ou de l'antisémitisme aussi bien en France qu'en Allemagne au XIxe et xxe siècles. Il y a enfin la volonté d'étudier les évènements les plus tragiques de la Seconde guerre mondiale. L'objectif est bien d'assumer un passé en ne laissant pas planer l'idée d'une culpabilité collective. Jean-Philippe Marcy On peut pratiquer des méthodes modernes et poser très sagement pour la photo de fin d'année. RACISME DIFFERENCES IMMIGRATION Le Lycée Foch expose du 9 février au 20 février 1993 MJC de RODEZ Médiathèque de RODEZ g?uven;ement de l'avoir fait d.I spadraItre' : a près la d e' ml.s - SIOn u cabInet Chautem ~:mplacé par celui de Dal~~ ~er, elles organisent 1 nIic:e s t atl.O n du 6 c:' . a ma- . levner Les P~rtIS de gauche contre~ma dm'f estent (le 9 févn'er) pourenoncer la menace c: . A' . lascIste I~S.I, sur fond de trouble; polItIques graves . . de ' , malS aUSSI cnse é . (503 000 ch ~OnOmIque 19 omeurs en 35: soit 4,3 % de la 0- pu. latlOn active) , 1a vagpu e x~nopho?e ne fait que l' aml pltfier : a travers une viol'e nte ' camp agne de presse extreme droite assène jour~ nelleme.n t l'e . quatl.O n chôDmage' = Immigra tI' On.}) ossler « L'étranger en France de 1920 à 1939 .II. Quelques illustres métèques « Au ve siècle avant J.-c., le métèque était un étranger autorisé à rester en Attique pour une durée indétenninée. Le métèque, qui se distingue de l'immigré, est méprisé par l'ensemble de la population, tout en bénéficiant de certains avantages. Bien que les métèques soient exclus de la vie politique de la cité, certains ont acquis de la notoriété dans les domaines de l'art, des sciences et de la philosophie. C'est ainsi que le philosophe Aristote et l'orateur Lysias sont passé à la postérité. » Dossier « Les métèques à Athènes AI. J'analyse des images , e est un voyage cons- « Cette sequenc , t le présent. Le tant en t re le passe e . du souvee fond \' évocatlOn temps s . " te . fleurs sur le ternir est omnlprese~ d~ la mort, image m inus des" c onvlO'arlSri ère-plan a1 o rs qu e de la camera a , filmer les images 1 . tcensee 1 . cel e-Cl es . M ' '\ Y a aUSS1 le plan que l'on VOlt . all'és cl ran surleque1 e st où nous voyons Il a alors trois insprojeté ~e fil~. ~nt . le moment où tants qUl se me\~~g le ~oment où il a l' on regar~e le l m't C'est cet avant , 't ume et avan . ete r?, ar le drapeau, par que 1 on evoque, P . d Ce lieu . ' les mlra ors. les \ltantes, par t lourd de soubl hors du temps e . sem e " le metteur en scene venirs: ~ atl;:~~re cette atmOSphère a Ch01Sl de filmant sans pro- . d'horreur en 1 empnse ff< t de lumière, noUS jecteur, sans e de 't triste et quelque montrant un en r~ans compter cette peu glauque.(.) , nt le film mOnévocation pass~pres~, ~xtrêmement tre quelqu,e ~. o~ent des familles, fort: le dec 1re . ' détruire t des nazIS a l'acharnemen , dans les camps l'identité des de~e~us 1 chiffres. et surtout l' abohtlOn :~n:e que derEn effet, cette oeuv,re et chaque chifrière chaque numerosonne des souffre se cache une per e hu~anité, une frances, des pleu~~, u: séquence du âme. » Etude u; d'Emmanuel fifm «Voyages » Finkiel. C'était à Aigues-Mortes « Selon le rapport du 22 août 1893 d procureur général de Nîmes, l'attaqu~ contre ~es Italiens fut sanglante et la protectIOn d,~s gendarmes ne fut pas suCharlesnte. et 1 mtervention de M. le préfet a ete ~nd~spensable : celui-ci, les a fait condUIre a une tour de fortifications où ils furent enfi~ en sûreté. Enfin, vers sept heures du ~olr, les Italiens, réfugiés dans la boulan?ene et les rescapés de l'attaque des Franç~IS, ont pu être conduits à Nimes et à ~ar~ellle en train. Le 17 août, la population d Algues-Mortes s'est calmée. Cependant d~s l;s environs, des hommes annés, ayant qUItte .les chantiers de la Compagnie, pourSUIvent encore les Italiens en fuite Cette.chasse à l'homme se poursuivra jusqu,à ~a ~Ult du 18 au 19 août. Au lendemain des evene~ents d'Aigues-Mortes, la police frança~se p~ocède à de nombreuses arrestatIOns: Il y aura 39 inculpations dont 38 pfO?oncées contre des Français. On ~ss~te a un exode général des ouvriers ItalIens. » Dossier « Le racisme anti-italien en France AI. Fos-sur-Mer fait des histoires ... Reproduction d'un livret édité par l'Association Ville Lecture à l'issue d'un travail d'atelier d'écriture réalisé avec la collaboration du Mrap de Fos-sur-Mer. 'MriHff Les étudiants concourent je L'aime /~--t~ ~~Nc~ -~CrÂV)c' • Créations graphiques pour un concoursd'a.iJ;ches su~ i;îh~me du racisme et de la différence auprès d'étudiants d'écoles d'arts graphiques. (Olivier de Serres, ESAG ... ). Ces travaux ont été édités sous forme d'affiches ou de cartes postales par le Mrap national. L'Histoire est au coin de la rue Les habitants juifs du quartier bavarois de Berlin ont été décimés par le nazisme. En 1993, les Berlinois décident de ne pas oublier et d'inscrire sur les murs de leur ville les traces de leur Histoire. Visite guidée par Alain Pellé On sait combien le rappel et l'étude des traumatismes de notre passé peuvent servir à éclairer et à structurer une meilleure compréhension des enjeux du présent. Dans cette perspective, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale a longtemps occupé une place centrale dans les actions d'éducation contre le racisme. L'ampleur et la profondeur de l'événement semblaient lui conférer une exemplarité si éloquente, une charge affective si lourde, qu'on pouvait se passer du renfort de toute démonstration. Mais cette référence, pour nécessaire et légitime qu'elle demeure aujourd'hui, conserve-t-elle encore toute sa force d'évidence pour les enfants ou les adolescents ? Il est clair qu'ayant perdu de cette immédiateté elle requiert une médiation, celle du passeur, celle du savoir. Cela implique de l'aborder à travers des approches éducatives originales. A cet égard, un petit détour par Berlin s'avère particulièrement fructueux .. . été appréhendée outreRhin que sous l'angle de la culpabilisation et de l'expiation. Cette perspective, qui privilégie l'approche émotionnelle, se révèle désormais largement inopérante, notamment avec les jeunes générations chez qui elle provoque au mieux un désintérêt poli, au pire un rejet. Ce constat amène à explorer d'autres manières d'interroger le passé nazi. L'exemple de ce qui a été réalisé ces dernières années dans le quartier dit « bavarois» de Berlin fournit une illustration particulièrement éloquente d'une approche dynamique. Cet espace résidentiel comportait, avant 1933, une importante population juive dont il n 'est pratiquement pas demeuré de survivants au sortir de la guerre. Jusqu'à une période récente, rien ne venait rappeler aux habitants cette phase de l'histoire de leur quartier. En 1991, une exposition installée en plein air durant plusieurs mois à l'initiative de la municipalité permettait de surmonter cette amnésie. Ce premier pas franchi, la population opta, au terme d'une large consultation, pour un programme ingénieux transformant l'ensemble du quartier en un étonnant mémorial. Ainsi, depuis 1993, quelque quatrevingts panonceaux sont disposés auprès des plaques des rues ou sur les poteaux supportant l'éclairage public: chacun de ces panneaux arbore sur une face une illustration colorée au graphisme simple, presque naïf. Certaines de ces images semblent en relation avec le contexte de la rue (le tracé d'un jeu de marelle à proximité d'une école, une pile de boites de conserve à deux pas d'une épicerie ... ) ; la présence d'autres est plus déroutante et ressemble à une énigme ... Le passant intrigué ne tarde généralement pas à découvrir au revers du dessin, le texte d'une loi antisémite prise par le pouvoir hitlérien et retranscrite sans commentaire dans toute sa sécheresse et sa brutalité, avec pour seule indication la date de sa promulgation: la marelle renvoie ainsi au décret interdisant aux enfants juifs la fréquentation des petits Aryens et l'accès des jardins publics ... Effet garanti. Prises isolément, ces citations laconiques étonnent souvent par leur mesquinerie, par un caractère apparemment anecdotique qui confine parfois à l'inepte voire au grotesque. C'est leur Il est interdit aux juifs de fréquenter les bibliothèques publiques. 2 août 1941 Il est interdit aux juifs d'acheter des livres. 9 octobre 1942 accumulation proliférante qui progressivement les constitue en système, toutes ces mesures apparaissant alors, dans leur finalité meurtrière, comme autant de prodromes de la catastrophe ultime. Ces modestes panneaux véhiculent aussi un message plus implicite, se transformant en témoins des petites abdications et des grands renoncements qui ont peu à peu laissé la voie libre à la planification du meurtre de masse. Une déambulation dans le quartier et les échanges avec les riverains convainquent aisément de la force et de la pertinence d'un semblable dispositif dont les panonceaux ne constituent cependant qu'un aspect, le plus visible et sans doute le plus suggestif. En effet, l'effort de remémoration entrepris ici s'est parallèlement alimenté d'un travail d'enquête et de collecte de témoignages auprès des vieux habitants, recherche dont les écoliers du quartier ont été des agents particulièrement actifs. Non sans réticence, par delà les édulcorations et les oblitérations, une parole s'est lentement libérée, une mémoire collective s'est édifiée, se confrontant parfois à la leçon rigoureuse des faits. Maison par maison Cette démarche de longue haleine a été ponctuée par des moments d'échanges et de rencontres permettant à chacun de s'approprier ces bribes d'Histoire(s). Autant d'occasions pour renouer le fil du souvenir et de la transmission, entre les générations voire au sein même des familles. La publication et la large diffusion d'une brochure retraçant 1 'histoire du quartier a parachevé cette étape. L'ouvrage comporte notamment la liste des anciens habitants juifs, victimes des déportations ; au caractère arbitraire et anonyme de l'ordre alphabétique on a choisi une présentation en fonction des adresses : c'est très concrètement maison par maison, rue par rue, que resurgit la trace de ces existences abolies. L'exemple du « quartier bavarois» apparaît très révélateur du parti pris résolument actif qu'une nouvelle génération de responsables de musées ou de mémoriaux a adopté: l'enjeu aujourd'hui est moins de toucher ou d'émouvoir que de donner à comprendre pourquoi ce passé nous concerne encore, en mettant au jour les processus individuels, les mécanismes collectifs qui mènent insensiblement à la barbarie. La préoccupation première est de s'attacher plus à l'explication des causes, à l' ingénierie du totalitarisme et à cette « banalité du mal» diagnostiquée par Hannah Arendt. Un autre témoin de cette évolution est fourni par l'exposition« Topographie de la terreur », préfiguration du complexe muséal actuellement en Station de métro « Place de la Bavière» . « L'effort de remémoration s'est alimenté d'un travail d'enquête et de collecte de témoignages auprès des vieux habitants, recherche dont les écoliers du quartier ont été des agents particulièrement actifs. construction sur l'emplacement du siège de la Gestapo et qui sera dévolu à une radiographie du système hitlérien. Ainsi à la génération des « musées des victimes » succède en quelque sorte celle des « musées des bourreaux ». Cette option ne traduit cependant pas un mouvement unanime ; les âpres débats qui se sont développés autour du projet de Mémorial de la Shoah à Berlin l'ont récemment encore spectaculairement illustré. Mais par delà la polémique (sur la taille de ce monument, son emplacement, la pertinence d'une telle forme de cristallisation du souvenir .. . ), l'interrogation est légitime: au service de quelle mémoire, de quelle interpellation, à destination de quel pu- ~ blic ces mémoriaux sont-ils ~ constitués? Rappeler le deuil, .~ assurer la transmission: il ne ~ s'agit pas bien sûr d'opposer ar@ tificiellement ces deux dimensions mais seulement de distinguer que chacune relève d'une logique distincte et d'une grammaire propre. La leçon du « quartier bavarois» dépasse, à l'évidence, le simple contexte allemand et on se prend à rêver des applications d'un tel esprit à notre histoire récente (à propos de Vichy et, pourquoi pas, de la période coloniale ... ). Demeure en tout état de cause une invite à privilégier une pédagogie qui sorte du discours de plus en plus inefficace de la commémoration, afin que l'avertissement des catastrophes d'hier reste audible pour les adolescents d'aujourd'hui .• l es juifs employés à des postes de direction peuvent être licenciés sans indemnité ni assurance chômage. 12 novembre 1938 les juifs ne peuvent utiliser les transports en commun que pour se rendre à leur travail. 13 septembre 1941 les transports en commun sont totalement Interdits aux juifs. 24 avril 1942 les juifs sont exclus des associations de sport et de gymnastique. 25 avril 1933 Il est interdit aux juifs de sortir de chez eux après 21 heures (après 20 heures en été). La fréquentation des piscines berlinoises est interdite aux juifs. 3 décembre 1938 1er septembre 1939 Denise Causse est directrice de l'Accueil, de l'Education et de la Solidarité au FAS. MUTUALISER Le FAS et la Semaine d'éducation Chaque année, autour du 21 mars, journée internationale contre le racisme, plusieurs dizaines d'associations, dont le Mrap, joignent leurs efforts pour faire de la Semaine nationale un moment fort de l'action éducative. Le Fonds d'action sociale, désormais Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), leur apporte un soutien constant. Les raisons de cet engagement: Denise Causse L A Semaine d'éducation contre le racisme - initiative part~gée d'organisations de natures dIverses

antiracistes, mouvements de jeunesse

et d'éducation populaire, associations militantes des droits de l'Homme - participe de la requalification d'une action publique, longtemps focalisée sur les populations immigrées, en lutte contre les discriminations orientées vers l' ensemble des membres de la société. L' ethnicisation croissante des rapports sociaux où la référence à l'origine « ethnique » en vient à gommer à la fois les conditions socio-économiques et la diversité des situations, justifie de renforcer la sensibilisation des jeunes et de la communauté éducative aux risques du recours aux stéréotypes et à une lecture ethnique des situations, à l'origine d'un traitement inégalitaire. La réalité de la discrimination ethniciste met à mal la cohésion sociale, alimente les mécanismes de mise à l'écart, d'assignations territoriale et identitaire. Difficile à établir, la réalité objective de la discrimination fait partie du quotidien de nombreux jeunes

il est essentiel de maintenir des espaces

d'expression, d'échanges, d' informati on pour en prévenir le développement. Et c'est précisément dans le champ éducatif qu'il importe de faire vivre le sentiment d'appartenance à une collectivité riche d'apports multiples, la conscience d'avoir des droits et des devoirs, et le principe élémentaire de justice qui fait que chacun ait sa place dans l'organisation sociale. Le fait de penser cette sensibilisation à partir du lieu de l'éducation, en termes d'approches pédagogiques du racisme à vocation préventive, en référence à l'universel républicain et « la communauté des citoyens» institue cette Semaine d'éducation contre le racisme comme un 24 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 , man 2000 ,~- .. :-;: ::0... ,,/ '\ ~c::.. .~ ,._.-.... .-_ . -- \. éducation -- le rae L'affiche officielle de la Semaine 2000 temps fort de notre société démocratique. Tel est le sens du soutien que le FAS apporte à cette initiative, et qu'il entend souligner, à un tournant de son histoire institutionnelle et de sa mission où s'inscrivent, dans sa dénomination même, les priorités qui sont désormais les siennes: Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD). Il s'agit de mobiliser au moment-clé de l'arrivée sur le territoire français, les représentants des services publics pour engager les processus d'accueil et favoriser l'acquisition des compétences sociales. Mais surtout de déconstruire et combattre les mécanismes d'exclusion et de relégation étroitement liés à une approche ethnique de l'immigration qu'il convient de resituer dans sa filiation historique (le colonialisme, notamment) et son environnement. Tel est le sens de la redéfinition des concepts de l'intégration exprimée par le directeur du FAS, Olivier Rousselle, dans la demière Lettre du FAS, où il nous invite à « passer du stade du traitement social de l'immigration à un traitement citoyen », où chacun, et particulièrement les services publics, a un rôle central à jouer dans le respect du principe d'égalité et la relance du modèle républicain d'intégration . • Poster réalisé par le collectif national, à la fois objet visuel et support d'animation, à destination des 9/13 ans (diffusé dans des milliers d'écoles et centres de loisirs) DU CÔTÉ DES ASSOCIATIONS Transmettre les savoir-faire Le monde associatif est ingénieux, actif, inventif. Il a désormais besoin de réaliser un nouveau saut qualitatif: penser avec plus de professionnalisme son intervention, admettre la nécessité de l'évaluation permanente, transmettre les savoir-faire. Tour d'horizon par Valérie Rogé La Semaine nationale d'éducation contre le racisme a pour objectif de s'adresser aux enfants et aux jeunes mais aussi aux adultes. Il s'agit d'amener les « gens» à comprendre, à réfléchir sur les mécanismes de rejet. Cela concerne aussi les discriminations? même si celles-ci ne sont pas nécessairement le produit d'un racisme, en principe théorie construite. Trop nombreux sont les paroles et les comportements pouvant être assimilés à du racisme, en tout cas à une forme inconsciente. Dès lors, il s'agit moins de s'adresser aux personnes qui se proclament ouvertement racistes qu'à celles qui n'y ont jamais vraiment pensé. Ce sont des actions, in fine, à vocation préventive. Pour ce faire, \es supports sont multiples. Cependant, bien souvent, leur « invention »procède d'une sorte de pédagogie intuitive, dans le but de s'adresser au mieux aux publics visés, en tenant compte notamment de l'âge. On alliera la lecture et le film, le concert et le débat, l'exposition et le conte traditionnel. On traitera d'une grande variété de sujets: racisme, différences, égalité, laïcité, discri- La Fédération des oeuvres laïques de la Loire - T : 04 77 49 54 85 - a réalisé ce cédérom intitulé« Racisme: Sens interdit )) : il est conçu comme une banque de données articulée autour de six thèmes: l'économie, l'Histoire, la loi, la science, la lutte au quotidien, l'apport des étrangers et des immigrés. " est disponible sur Site Internet: www.foI42.1aligue.org minations. Aujourd'hui, le foisonnement des actions et la diversification des supports posent avec acuité la question de leur capitalisation. Peu de projets font l'objet d'une « évaluation» apte à mesurer l'écart entre les objectifs souhaités et les résultats obtenus. Le monde associatif tend à conserver sa production mais il reste à transmettre de façon plus significative les méthodes et les outils. Outre les traditionnels affiches, journaux, posters pédagogiques, la possibilité de produire des dédérom permet désormais de concevoir des outils-ressources de très bonne qualité. L'union régionale des fédérations d'oeuvres laïques de Rhône-Alpes a ainsi créé un cédérom actualisable, intitulé «Racisme Sens interdit », qui aborde la question de la lutte contre le racisme par plusieurs entrées

science, culture, économie,

loi, sport, etc. La tâche n'est pas aisée, il convient cependant de s'y astreindre afin de ne pas réitérer les erreurs ; ainsi, tous les outils n'étant pas adaptés à tous les publics, il faut prendre le temps de la réflexion avant de se lancer dans une action. Par ailleurs, les contenus des thèmes abordés sont inégalement maîtrisés. Que viset- on précisément lorsque l'on parle de laïcité, de racisme ou de discriminations ? Les approches ne sont identiques ni parmi les associations agissant dans ces domaines ni au sein de chacune d'elles. Là aussi la réflexion et la transmission sont essentielles. Ne pas en tenir compte risque d'induire des effets inverses à celui escompté

paternalisme inconscient, sentiment

post-colonial de culpabilité, trop grande naïveté face à certains « arguments culturels », appel excessif au droit, voire remise en cause involontaire des aspects les plus intéressants du modèle français d'intégration. Il faut donc attacher de l'importance aux processus mis en oeuvre et prendre en considération les caractéristiques économique et sociale des publics visés. Il convient de permettre à chacun d'appréhender la complexité du monde et de développer un sens critique. Carton rouge . I:luIssons Inluüne. dI!S. stades! rle s menaces cachées L de la géné1ique Cette démarche suppose donc d'accorder une attention particulière aux diverses voies permettant de transmettre les expériences les plus novatrices. Valorisant les individus, les actions s'appuyant sur l'image et la parole (débats, expressions culturelles, éducation à l'image) trouvent toute leur place. Elles doivent être menées dans la durée, sans laquelle il n'y a pas d'éducation. Il est également indispensable d'établir des liens entre les actions, les rendre plus visibles en utilisant les nouvelles technologies et favoriser le transfert des savoir-faire. Ce sont tous ces éléments qu'il faut prendre en compte dans l'évaluation. Ce n'est pas facile, mais à ne le tenter que trop peu souvent, c'est l'objectif même des actions qui en est affaibli . • Valérie Rogé est chargée de mission Solidarités et Territoires à la Ligue de l'Enseignement Po> Journal d'information pour les adolescents (plus de 100 000 exemplaires distribués) Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 25 Un réseau de 220 écoles « Ecole Sans Racisme)} représente un cadre de référence en matière de structuràtion d'un réseau associatif spécialisé dans l'offre éducative. ESR a essaimé dans d'autres pays d"Europe (lire ci-contre), tandis qu'un projet de partenariat est conclu avec des organisations néerlandaise et espagnole. Gros plan par Chérifa Benabdessadok Créée par un groupe d'écoliers et d'animateurs anversois, «Ecole Sans Racisme» est née il y a treize ans. Depuis, elle a fait des petits en Belgique et dans d'autres pays d'Europe. Ce mouvement a pour référence commune à tous ses membres un Appel qui définit sept principes : pas de racisme ni de discrimination dans l'école qui y adhère ; diffusion d'informations correctes sur les immigrés, l'immigration et le racisme ; enseignement de la connaissance d'autres cultures, non seulement sur le plan cognitif, mais aussi pour réfuter le racisme sur le plan affectif; interdiction des organisations et de la propagande racistes; organisation pour tous les enseignants et les lycéens d'initiatives communes sur le racisme et la société multiculturelle ; affirmation vers l'extérieur comme Ecole Sans Racisme et diffusion de ses options à la société; partage de cette option par une large majorité des lycéens, des enseignants et du personnel de direction. Remise des prix du concours de poésie et de dissertation « Plume de Pan ;;,1998 Ecole sans racisme se défmit « à la fois comme une revendication et comme une action. On exige le droit à l'existence d'écoles sans racisme et on commence à les réaliser ». Signer la charte Les volontaires qui s'engagent doivent passer un contrat moral et s'exercer à une pratique démocratique

pour qu'une école obtienne

le label (on lui fournit un panneau qui peut être apposé à l'entrée de l'établissement), il faut que 60 % au moins des élèves, de l'ensemble du personnel et de la direction, aient individuellement signé la charte. Il faut aussi qu'elle organise au moins une action par an. En janvier dernier, la structure nationale d'ESR, qui dispose également de trois antennes régionales (Bruxelles, Anvers et Charleroi) a publié un manuel de 180 pages rassemblant données, « tuyaux » et informations susceptibles d'aider les élèves à s'inscrire dans le projet, à persua- Des élèves belges rendent visite à leurs correspondants hollandais à la Maison Anne-Frank, Amsterdam, 1998 26 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 der leurs camarades, à développer des arguments, etc. Il existe aujourd'hui 220 écoles de ce type en Belgique et plusieurs dizaines dans d'autres pays d'Europe, notamment en Allemagne (lire article ci-contre). Bien que l'action se soit essentiellement développée dans l'enseignement secondaire, il y a désormais des ESR dans le supérieur, le primaire et en maternelle. Cela ne signifie bien évidemment pas que les autres écoles sont racistes, mais il s'agit de bâtir, de faire vivre et de rendre visible un réseau qui refuse la banalisation du racisme, de la xénophobie et des discriminations. D'ailleurs les écoles doivent renouveler l'Appel ou faire signer chaque année les nouveaux arrivés. Les fondateurs de l'association, précise Ali Hammout, animateur pédagogique, sont partis d'un constat : les difficultés rencontrées par ceux qui souhaitaient mener des actions éducatives contre le racisme à trouver des outils, une formation, un soutien et des expériences. Au fil des ans, le secrétariat d'ESR a donc développé une offre pédagogique conséquente

il fournit de l'information

pour des travaux, des formations, des brochures, des jeux, du matériel éducatif. Il organise, par exemple, pour les jeunes de plus de quatorze ans des «voyages scolaires alternatifs ». Programme de la journée: la matinée est consacrée soit à un circuit-découverte d'un quartier de Bruxelles, soit à un circuit thématique sur l'islam, les réfugiés, le fascisme ; l' aprèsmidi, les élèves s'adonnent à des activités comme la calligraphie arabe, la percussion marocaine, la danse africaine, un atelier de henné ... Un dossier d'accompagnement est proposé aux enseignants et animateurs. Des supports à destination de générations diverses (de la maternelle au supérieur) sont élaborés dans les deux langues du pays. Ainsi pour le primaire et le début secondaire, une «valise de mon grand-père et de ~ Manifestation nationale contre le racisme, Bruxelles, mars 1997 Inauguration de la valise pédagogique ALLEMAGNE Schule Ohne Rassismus Trois personnalités - Smudo, célèbre ~~anteur d'un groupe de rap, Cern Ozdemir, député Vert au Bundestag, Ignatz Bubis, président du Zentralrat der Juden (Conseil central juif) et une association - Aktion Courage - ont été en 1995 à l'origine de l'adoption en Allemagne du projet Ecole Sans Racisme. Soixantedix écoles ont aujourd'hui obtenu le label, des centaines d'autres sont candidates. Le collège Kathe Kollwitz à Osnabrück, dans le nord du pays, est devenu ESR le 12 septembre 2000. Sebastian, 17 ans, en a été l'instigateur avec un groupe d'une dizaine d'élèves, après qu'une enseignante en eut suggéré l'idée. Le groupe a d'abord fait un travail d'information et de persuasion puis a organisé le vote; les résultats furent plus qu'encourageants: 90 % des membres de l'établissement se sont déclarés favorables (le minimum des suffrages requis étant de 70 %). Très vite, à la demande des élèves, les cours ont été suspendus pendant une semaine laissant place à des ateliers portant notamment sur l'exclusion et sur la violence raciste. Puis, les élèves installèrent une « boîte aux lettres» dans laquelle chacun pouvait glisser un message, suggérer une idée ... C'est ainsi qu'est née l'initiative de nettoyer l'établissement des tags racistes ou sexistes. IGS Glinde, école située dans la banlieue de Hambourg, est ESR depuis l'année 2000. La préparation a commencé plusieurs années auparavant et le groupe d'élèves mobilisé, après avoir convaincu les enseignants et les élèves, a défmi cinq principes de travail en faveur desquels 70 % de la communauté scolaire s'est prononcée: 1) nous disons NON au racisme et à la discrimination

2) nous nous obligeons à contrer toute expression

raciste ou discriminatoire; 3) nous allons prendre des initiatives contre le racisme et pour le dialogue entre toutes cultures et tous les êtres humains; 4) nous résistons contre toute organisation raciste et sa propagande; 5) nous organisons chaque année des journées pour faire reculer le racisme et la violence. Là encore, pendant une semaine les élèves ont travaillé en ateliers sur les thèmes tels que les enfants soldats, les réfugiés, le racisme aux EtatsUnis et en Afrique du Sud, le racisme dans le cinéma et la littérature anglophones. Mais toutes les initiatives ne furent pas immédiatement musicien Smudo (3e à partir de la droite) entouré de lycéens de l'Aggertalgymnasium d Engelskirchen couronnées de succès. Ainsi, lorsqu'ils voulurent organiser une grande ïete pour s'adresser à un public plus large, ils durent chercher longtemps avant qu'un groupe de rock, Scycs, y souscrive. Lorsqu'ils s'adressèrent à des commerçants pour demander des aides financières, non seulement les bourses ne se délièrent pas facilement mais ils subirent quelques fois des injures ... Alors ils comptèrent sur leurs propres forces: c'est un groupe de musiciens composé d'élèves qui donna un concert au centre ville d'Hambourg et recueillit 820 € ! La ïete ne fut pas une réussite totale : pour le professeur Christian Witt, très satisfait de l'engagement de ses élèves, le mauvais temps ne fut pas pour rien dans le manque d'aftluence mais surtout l'absence d'information dans les médias n'a pas permis que l'événement obtienne un plus large écho. A l 'heure actuelle, une grande rencontre est inscrite au calendrier: tous les écoles, collèges et lycées de la commune sont conviés à une journée d'information et d'échanges. Enfin, une provocation a été organisé: pour tester les capacités de réaction de leurs camarades des élèves ont accroché clandestinement des af~ fiches proclamant « Etrangers dehors ! » et «Femmes aux cuisines! ». Signe de bonne santé antiraciste et antisexiste : toutes ces affiches ont été immédiatement arrachées. Benjamin Krüger Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 27 ~ ma grand-mère au Maroc» est composée de deux coffres remplis de matériel sur le Maroc, l' immigration marocaine et les préjugés. Enfin, pour terminer ce rapide tour d'horizon, un jeu appelé Safi, conçu pour des groupes de jeunes (6 à24 personnes), a pour objectif de leur faire prendre conscience de la réalité des discriminations: les enfants ont des cheveux rouges, verts ou orange, et c'est cette couleur qui détermine le traitement qu'ils vont subir au cours du jeu. Un animateur accompagne la circulation du jeu. ESR a récemment tenu sa journée annuelle au cours de laquelle professeurs, élèves et animateurs étaient invités à parler de leur travail antiraciste et à exprimer leurs besoins en la matière. Plusieurs ateliers ont focalisé l'attention des participants. L'un d'entre eux portait sur la façon de susciter l' intérêt de la communauté scolaire sur la question des réfugiés. « Dans mon école, remarque un participant, je ne peux imposer de but en blanc un débat sur les réfugiés. Je dois procéder de ma- Cours d'initiation à la ni ère tactique. Si j'invite un groupe musical dans lequel jouent des réfugiés, je peux entamer le dialogue ». Un débat approfondi a également eu lieu sur la façon de concevoir une « bibliothèque informatique» à destination des professeurs. Mutualiser les compétences, telle est l'idée maîtresse de cette oeuvre en réseau. Ainsi, «lorsqu'une enseignante d'Anderlecht a une idée percutante de leçon sur l'histoire de l'immigration, pourquoi ne pas en faire "profiter" un professeur de Gembloux. Si une classe de Gand veut visiter le musée de la mine de Beringen, pourquoi ne pas recourir aux conseils de ce professeur de Charleroi qui organise, depuis des années, de telles visites ». En défmitive, ESR parie sur la formation: « Grâce à la formation d'une génération d'enfants et de jeunes combattant le racisme, en mettant sur pied un réseau d'Ecoles Sans Racisme, nous construisons maintenant et dans le futur un mur (une digue) contre le racisme dans notre société » .• Faites de votre école une École Sans Racisme Vous fréquentez une école avec très peu d' élèves d'origine étrangère, mais avec d'autant plus d'élèves qui critiquent « ces immigrés ».Vous voulez y faire quelque chose ... Faites de votre école une Ecole sans Racisme ! Vous donnez cours et vous voulez réserver au fascisme, au racisme et à l'exclusion une place primordiale dans le programme scolaire. Vous pensez que c'est un élément essentiel du développement de la personnalité chez les jeunes ... Faites de votre école une Ecole sans Racisme! Vous êtes une directrice d'école primaire et vous trouvez important de ne pas limiter à l'école la formation antiraciste et l'entente entre les enfants de toutes origines. Vous voulez faire passer un message clair vers l'extérieur: « Nous sommes une école sans racisme ». Quelque chose dont élèves, professeurs et directeurs puissent être fiers. Faites de votre école une Ecole sans Racisme! Vous voulez que vos enfants grandissent dans un climat d'égalité et d'amitié. Vous voulez qu' ils aillent dans une école où le respect et l'égalité des chances ne soient pas un vain mot... Faites de votre école une Ecole sans Racisme! Vous avez un bronzage qui ne pâlit pas au soleil d'hiver. Et vous voulez fréquenter une école où vous êtes considéré pour ce que vous voulez et valez, pas pour la couleur de votre peau ... Faites de votre école une Ecole sans Racisme! Manuel d'information et de formation édité par ESR. Extrait de l'avant-propos d'André Petithan, vice-président et enseignant. ESR: Rue des Alexiens 37, 1000 Bruxelles T: 0215111636. Site: www.ecolesansracisme.be Racisme aux Pays-Bas, 1996 Atelier « culture indienne )) dans le cadre d'une journée sur les réfugiés à Gand 1 © Toutes les photos illustrant cet article appartiennent à Ecole Sans Racisme. Comme une rue de papier Il Y a cinq ans naissaient les éditions Rue du monde avec l'ambition d'encourager le regard critique des enfants. Alain Serres, directeur éditorial Avec le nom qu'elle porte notre maison se devait d'offrir des chemins vers les autres enfants de France! D'autant plus que le monde du livre pour enfants a toujours tendance à les mettre à l' abri des grands problèmes. C'est d' ailleurs sur ce constat que j'ai souhaité créer Rue du monde. Mille enseignants et bibliothécaires nous ont aidés à réunir les fonds nécessaires. Cette histoire atypique nous impose moralement quelques responsabilités: permettre à des livres innovants de naître. Des livres qui offrent aux enfants l'occasion de se construire euxmêmes des repères clairs. Sur la question du racisme, notamment. Bien sûr, l'Autre n'est pas une figure fantasmatique dont les enfants ignorent tout. Ils tapent dans le même ballon dans la même cour de récréation ... Cependant, les enfants sont perméables aux idées toutes faites et aux propos démagogiques. C'est pour cela que nous avons fait paraître un « Grand livre contre le racisme» très documenté pour les 10/15 ans. Je crois qu'il fait aujourd'hui référence. D'autres ouvrages, comme « Cuisine grande comme le monde» pu « Tour de terre en poésie» ont pour ambition de proposer des passerelles vers les autres. Je crois beaucoup à la fiction et à l'imaginaire : loin des discours ficelés et des faits implacables, ils permettent à l'individu de laisser libre court à des impressions, des sensations, des prises de position. Pour notre cinquième anniversaire, nous avons réalisé « Le premier livre de toutes nos couleurs », livredocumentaire sur la différence, accessible dès l'âge de six ans, et une exposition « La Terre est ma couleur », destinée aux 6/12 ans. Nous comptons sur l'animation, l'action autour de nos liplus de 6 milliards d'humains vi dans le monde et chaque fois ql la population mon( de 254 000 personnes; des fill qui ne sont identiques à aucun de personnes q ui ont vécu sur notre: débt chacun a « 1,2,3 ... Planète! )) Reproduction d'un dessin de Zaü extrait du « Premier livre de toutes nos couleurs )), (6/9 ans). vres : par exemple, une soirée de « lectures multilingues », l'élaboration par une classe d 'un sketch ou la réalisation d'affiches une classe pour la Semaine d'éducation contre le racisme, en s'appuyant sur nos albums, etc. Si notre travail pouvait trouver une telle fonction sociale, j e crois que nous aurions gagné notre pari. Et si nos livres donnent du grain à moudre aux militants antiracistes en leur permettant d'améliorer leur efficacité, c'est très bien .• « La terre est ma couleur », tel est le titre d'une exposition constituée de 14 panneaux destinée aux enfants. Son objectif est de fournir une réflexion documentée et une solide envie d'aller vers l'autre. Elle est disponible en deux prsentations différentes : papier et carton rigide. Les livres Rue du monde sont en vente dans toutes les librairies. Contact: 01 30 48 08 38 Lilliputiens, et alors? « A mettre entre toutes les mains» est une collection spécialisée dans les domaines de la citoyenneté et de la santé qui s'adresse à un public allant du pré-adolescent au jeune adulte. Les contenus de ces mini-livres, réalisés par Iconovox aux éditions Biotop (1), sont élaborés à partir d' ateliers organisés avec les jeunes, de leurs questionnements. L'édition n'est réalisée qu'après relecture par un réseau de professionnels et par les jeunes euxmêmes. Ainsi, pour le volume consacré à la déontologie de la police, des jeunes du conseil local de la ville de Blanc-Mesnil, l'animatrice Zouina Meddour et Maurice Smadja (Iconovox) se sont longuement rencontrés avant l' élaboration du livre. «L'objectif, précise Maurice Smadja, est de fournir aux jeunes une ~nformation et des documents afin qu' ils prennent connaissance de la réalité de leurs droits. Ils appréhendent souvent droits et possibilités de recours comme une pure forme. Il s'agit aussi de les amener à accepter que droits et devoirs vont de pair, et qu'ils ne peuvent, en l'occurrence, critiquer la police, stigmatiser les comportements racistes ou discriminatoires de certains policiers, sans remettre en question leurs propres stéréotypes. Une rencontre avec une association de policiers a permis de lever le voile sur quelques préjugés ». L'un des prochains lilliputiens portera sur la loi française contre le racisme et sera réalisé en collaboration avec le Mrap. Iconovox: 01 45 91 2062 F : 01 45 91 2063 (1) Format Biotop 3/2 Alain Pellé est permanent du Secteur Education du Mrap Reproduction d'une illustration de l'exposition « Citoyenneté L'EXPÉRIENCE DU MRAP Au service d'un réseau Les associations apportent au monde éducatif, qu'il soit scolaire ou extrascolaire, une plus-value résultant de leurs expériences propres, de leurs compétences particulières et de leur statut d'intervenants extérieurs. Par son engagement, sa connaissance du « terrain)} et la diversité de ses approches, le Mrap a bâti une solide expertise. Etat des lieux par Alain Pellé EN quoi l'expérience, l'expertise du Mrap en matière de racisme et de discrimination peut -elle être utile aux responsables éducatifs? Parallèlement à son action de défense des victimes, à sa fonction d'interpellation et de vigilance, le Mrap mène de longue date une action préventive au travers de programmes et d'initiatives de sensibilisation. Dans cette optique, les jeunes et les adultes qui les encadrent constituent un public privilégié. Nous intervenons ainsi tant dans le cadre de l' apprentissage scolaire que dans celui d'activités récréatives (centres de loisir; maisons de quartier .. . ) ou de l'accompagnement socio-éducatif (foyers; lieux de vie). L'enjeu de ces interventions est variable

une partie importante se décline

principalement sous un angle informatif, visant à apporter des repères à la connaissance et à la réflexion ; d'autres s'inscrivent dans des contextes plus délicats, potentiellement ou ouvertement conflictuels. C'est l'effet « pompier de service », avec parfois le risque de se retrouver otage de situations dont les paramètres ne sont pas toujours explicités. Nous constatons souvent un certain désarroi d'équipes éducatives soudainement confrontées à des situations, des comportements individuels ou collectifs qui mettent - ou semblent mettre- enjeu les mécanismes du préjugé et de l' exclusion. Notre premier rôle est de les aider à poser le diagnostic de la situation rencontrée, à envisager les différentes stratégies pédagogiques susceptibles d'être mises en place, à évaluer l'intérêt des outils éducatifs disponibles voire à en forger de nouveaux. L'effort diagnostique constitue un préalable essentiel. Il doit se prémunir contre plusieurs difficultés et quelques fauxsemblants. Cela implique notamment de résister à la tentation de lire toutes les tensions, les attitudes de provocations voire de violence qui peuvent surgir dans une collectivité comme relevant nécessairement du racisme. Les adolescents en particulier excellent à traduire leur malaise et leurs difficultés dans des termes convoquant de manière plus ou moins explicite le spectre de l'intolérance raciste, religieuse ou xénophobe. Cette instrumentalisation est d'autant plus tentante que le racisme demeure perçu par les jeunes comme une transgression majeure, susceptible en tout cas de provoquer chez les adultes une réaction significative. S 'y conjugue souvent une posture de victimisation qui place les acteurs dans une logique manichéenne et permet de se dédouaner à bon compte: «Je suis "beur", "noir", "juif', "musulman", "minoriet égalité des droits» Mrap/Léo ~ Lagrange Q; 30 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 taire" etc, donc victime, doncje n 'ai pas de question à me poser sur mon comportement ». Ces deux pièges sont fréquents et pas toujours aisés à contourner. Un troisième écueil est celui de la dramatisation à laquelle cèdent, de façon plus ou moins consciente, certains adultes. Ainsi, tel proviseur de lycée professionnel, confronté aux attitudes perturbatrices d'un petit groupe d'élèves en danger d'échec ou en quête de reconnaissance, interpellera le Mrap en agitant l'épouvantail de la « bande ethnique ». Il s'agit la plupart du temps de problèmes liés aux désordres et au grégarisme propres à l'adolescence, et qui doivent être traités comme tels (aujourd'hui on parle d' « incivilités ») : le recours à une grille de lecture « communautariste » s'avère rarement pertinent et résonne plus comme un appel à l'aide ou un aveu d' impuissance. En l'occurrence, que le hasard statistique, conjugué au déterminisme de la filière professionnelle, puisse rendre ce groupuscule majoritairement « bronzé» dit moins la prétendue dimension « ethnique » de ces jeunes que la prégnance de certains mécanismes de ségrégation sociale à l' oeuvre dans le processus d'orientation scolaire. Mais, éclairé ainsi, le constat a moins de chances d'être consensuel. .. Ainsi, il importe de ne pas accepter sans examen de traiter un problème dans les termes que les protagonistes prétendent tacitement ou non nous imposer. Pour autant, il ne s'agit pas de nier que d'authentiques situations de racisme existent, y compris chez les jeunes, tantôt sourdes tantôt vivaces, parfois d'une violente âpreté ... Mais celles-ci sont déjà suffisamment délicates à appréhender pour qu' il ne soit pas besoin d'en imaginer d'artificielles. Le privilège d'extraterritorialité Le racisme et la discrimination mettent enjeu une part considérable d'intime et d'affectif Ils sont en effet liés aux représentations, à l' identité, à l'image que l'on a de soi-même et des autres, à l'image de soi que l'on veut donner aux autres et à celle qu' ils nous renvoient, dans une oscillation entre pudeur et douleur. Ici, l'intervenant associatif bénéficie d'une liberté des plus appréciables. Il ne représente pas a priori une parole instituée et si on lui fait généralement crédit de posséder quelque compétence sur le sujet, son avantage tient moins à son aura d'expert qu'à sa position tierce, à une sorte de « privilège d'extraterritorialité» lui permettant de s' abstraire des rapports de force, frustrations, rancunes et non-dits que cristallise le conflit (ou le soupçon raciste). Cela lui permet d'assumer assez naturellement une fonction ~ VITROLLES Cet étranger bien de chez nous Malgré l'environnement politique que l'on sait, le comité local de Vitrolles mène une riche activité éducative. Deux grands axes de travail ont marqué la dernière période. Récit d'Evelyne Pierrot Il Nous vivons depuis quatre ans dans un grand isolement culturel; cette situation nous a conduit à imaginer des actions éducatives variées, alliant sérieux et convivialité lorsqu'elles s'adressent aux plus jeunes. En 2001 , la collaboration avec le collège Henri Bosco autour du thème « Cuisines d'ici et d'ailleurs» a été l'un des projets les plus aboutis. Il a fédéré plusieurs centaines d'élèves, leurs parents, une vingtaine de professeurs, ainsi que le Musée des Arts africain, amérindien et océanien de Marseille et plusieurs associations locales. Le succès fut à la mesure de la richesse des cultures familiales et ce projet s'est inscrit positivement dans la recherche de plusieurs objectifs concourant à la pratique de la tolérance: établir des liens entre les générations et entre les pays d'origine, faire émerger les mémoires familiales tout en observant le caractère évolutif de toute tradition; ainsi, le secret de grand-mère prend toute sa saveur quand il est interprété par les petits-enfants. Sans le haricot, cet étranger qui nous vient d'Amérique, le plat typique de notre terroir, le cassoulet, n'aurait pas son goût inimitable. Le Mrap a participé à l' organisation et à la tenue d'un concours de recettes de cuisine accompagnées d'un texte à la forme libre (catégories adultes et scolaires). Nous étions membres du jury et avons récompensé les classes gagnantes d'un livret écrit par les adolescents avec la complicité de Marie-Françoise Delarozière, Le cédérom qui nous vient de Rouen Intitulé « "fous citoyens égaux », ce cédérom a été réalisé par un groupe d'étudiants en formation DEFA et par le Comité local du Mrap de Rouen. Public visé: à partir de 12 ans. D'une utilisation très simple, il permet d'aborder les phénomènes de discriminations racistes sous différents angles : définitions, exemples (audios, vidéos ... ), textes législatifs, jeux, les réactions possibles, contacts (Mrap, COdac, 114) ... Disponible auprès du Mrap de Rouen, participation aux frais 5 € à l'unité, pour commande en nombre prendre contact avec le comité. T: 02.35.98.56.25 - Mail: mrap.76@wanadoo.fr écrivain (1), qui a joliment calligraphié les textes. Un pique-nique pluriculturel a couronné l' ensemble du projet lors de la Semaine nationale contre le racisme

plus de trois cents personnes

- adultes et adolescents - se sont rassemblées au collège. Nos amis de Tirana Une jeune étudiante en droit, Lamia Ouafek, ayant participé en 1998 à une rencontre de jeunes Allemands et Français organisée par le Secteur Education du Mrap, nous nous sommes appuyés sur son expérience pour monter un projet de relations avec l'Albanie. Pour le moment, nous continuons à réfléchir mais nous avons déjà eu de tous premiers résultats grâce à l'association Albania dont je suis membre en tant que Mrap. Nous avons établi des contacts avec une association culturelle de Tirana, Lindart, qui prépare la lecture publique de textes littéraires choisis pas le comité local de Vitrolles : « 0 vous frères humains» d'Albert Cohen, « Le sommeil déchiré» d'Andrée Chedid, « Le jazz et la java » de Claude Nougaro ... Pourquoi l' Albanie ? Parce que le comité local s'est occupé d'une famille albanaise réfugiée du Kosovo et parce que la jeunesse de ce pays à 1 'Histoire mouvementée est d'un grand dynamisme. Nous allons très probablement participer à une rencontre internationale avec six jeunes, trois Albanais et trois Vitro liais, qui se seront préalablement investis dans une réflexion sur l'amitié entre les peuples .• (1) Auteur de Cuisines d'Afrique, Edisud Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 31 N ~ . ~ a. ~

~

ô @ ~ de régulateur, de médiateur ou d'arbitre. Son anonymat relatif, sa fausse naïveté constituent pour l'intervenant extérieur d'indéniables atouts: les rôles joués habituellement par chacun perdent de leur efficace et sont, pour un temps, remisés au magasin des accessoires. Sa préoccupation n'est pas d'évaluer ou de juger, son registre n'est pas plus celui de la sanction que celui de la connivence démagogique : il permet que s'expriment des paroles, des inquiétudes, des fantasmes qu'il faudra ensuite collectivement décrypter, nuancer, corriger. Cette réelle liberté autorise par ailleurs une grande latitude méthodologique, et large est la gamme des options pédagogiques possibles. Lorsque le contexte de l' intervention est sans ambiguïté, ou que l'urgence nous impose son rythme, une approche frontale présente bien des avantages et permet de saisir la question à bras le corps. Cette démarche privilégie un rappel de la norme, de la règle, de la loi et joue de l'articulation du permis et de l'interdit. Cela peut de prime abord sembler un peu rudimentaire mais ce genre de rappel, rarement inutile, fait aussi partie de l'éducation. Il s'agit seulement de ne pas pêcher par excès de zèle en sombrant dans un discours injonctif et incantatoire : tout est affaire de dosage, même si l'alchimie antiraciste est loin d'être une science exacte. L'analyse de cas réels illustrant « grandeur nature » le rôle de la loi permet d'ailleurs d'atténuer heureusement ce que pourrait avoir d'abstrait et de lointain ce genre d'option. Cependant, il s'avère parfois plus pertinent et plus efficace d'user de biais pour aborder la question du rapport à l'autre: on engage alors un travail sur le préjugé 32 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 et les représentations, qui peut croiser assez largement les préoccupations de l'éducation à l'image. Le matériau utilisable est abondant; qu'on songe seulement à celui que fournit la publicité et les stéréotypes qu'elle exploite (la publicité les crée-t-elle ou se contente-t-elle de les utiliser? comment les percevonsnous? quel crédit leur accordons-nous spontanément? Pourquoi ?). Le cinéma peut lui aussi être mis à contribution; l'exploitation des courts-métrages de la série « Pas d 'histoires! douze regards sur le racisme au quotidien» en a fourni récemment une nouvelle illustration. La diversité des codes et des pratiques culturels peut fournir un autre angle d'approche. Ainsi des ateliers se sont-ils développés sur le thème des calendriers et des différents modes de computation, sur les différents systèmes d'écriture, sur les dimensions culturelle et symbolique des diverses façons de se nourrir. De semblables programmes, souvent menés dans la durée, permettent aux jeunes d'élargir l'horizon et les amènent à d'utiles et salutaires questionnements sur leurs propres usages. Pareillement, des actions menées autour des notions du contact, de l'emprunt, de l' osmose et du métissage permettent d' appréhender la différence d'une manière dialectique. Des initiatives ingénieuses, basées sur l 'histoire et l' origine des mots du français par exemple, ont mis en reliefl'efficacité de cette option. Ce catalogue n'a rien d'exhaustif et la typologie qu'il esquisse illustre qu'en matière de pédagogie antiraciste l'inventivité ne saurait nuire. Les déclinaisons sont multiples et les seules contraintes sont celles que nous imposent le contexte éducatif de l'intervention, les compétences et les énergies disponibles et, surtout, le temps dont on dispose ... Celui-ci est souvent limité et il ne nous est pas toujours donné de pouvoir inscrire nos initiatives dans la durée. Aussi, il est important de diffuser largement savoirs et savoir-faire auprès des animateurs, travailleurs sociaux, éducateurs ou enseignants. Le conseil et la formation méthodologiques en direction de ces publics constitue donc naturellement un axe fort de la fonction éducative du Mrap. Cette préoccupation trouve à s ' investir - hélas encore trop rarement - dans le cadre de la formation initiale ou continue des personnels de l'Education nationale, et nous amène de manière croissante à mettre en place, à la demande des organismes les plus divers, sessions voire véritables cycles de formation sur les contenus et les méthodes. Cela peut se structurer autour d'un aspect technique très circonscrit (comme l' initiation à une technique d'animation ou au maniement d'un support éducatif particulier) ou appréhender un spectre plus large de questionnements. Un service municipal de la jeunesse peut ainsi nous solliciter pour bâtir une session de plusieurs jours à destination des animateurs de ses centres de loisir qu'il estime insuffisamment préparés, voire dangereusement ambivalents, face à certains phénomènes. Mises en situation Le programme intègre alors un apport théorique au travers d'éclairages contrastés (anthropologues, psychologues, juristes, pédagogues .. ) et des mises en situation permettant d'envisager concrètement le réinvestissement de ce savoir dans une pratique professionnelle. Cela aide les participants à discerner les chausse-trappes du vocabulaire et les approximations terminologiques relayées ou alimentées de façon équivoque par les médias (cf. « racial », « ethnie », « communauté » ... ). Cela les contraint aussi à se situer de manière plus rigoureuse et à mieux assumer ce que leur statut peut avoir d'inconfortable (par exemple, pour les animateurs les plus jeunes ou les moins expérimentés, à sortir du rôle facile du « grand frère », sans doute très valorisant sur le plan affectif mais dangereux d'un point de vue éducatif). Cela leur fournit enfin l'occasion de prendre la mesure de certains mécanismes pervers dont ils sont parfois eux -mêmes inconsciemment les rouages : ainsi lorsqu'on s'avise que la participation des jeunes aux activités du centre de loisir a tendance à se répartir tacitement en fonction de la « couleur» ou de « l'origine» de l' animateur (ou de son sexe. Même si ce phénomène ne traduit seulement qu'un réflexe rudimentaire d'identification (illusion de la connivence, de la proximité avec l'adulte) et qu'il serait maladroit de stigmatiser d'emblée le jeu subtil des affinités, il importe de clairement réaffirmer que certaines « préférences », lorsqu'elles deviennent les symptômes d'une tentation du repli et du rejet, sont définitivement illégitimes et que toute complaisance devient alors coupable. Militants associatifs ou professionnels de l'éducation, chacun a sa place, relais d'une même vigilance et d'un effort quotidiennement renouvelé. Sisyphe est vraisemblablement adhérent du Mrap . • LEÇONS DE CHOSES À Clermont, on se fait calligraphe Les innombrables fenêtres qui ouvrent sur le monde peuvent toutes servir à éduquer, dans la joie, les enfants (et les grands). Le comité local de Clermont-Ferrand a acquis une belle tradition dans les Lettres ... Jean Berthier anime des ateliers de calligraphie / Un intellectuel algérien est venu nous serrer la main avec chaleur après avoir observé un groupe d'enfants calligraphier avec soin le mot « paix» en français, en arable et en hébreu, au cours de l'un de nos ateliers de calligraphie. Depuis, ce professeur de biologie exilé en France, est devenu notre ami et il nous apprend à prononcer correctement certaines consonnes si difficiles pour une oreille gauloise ... Le Mrap 63, qui a à son actif une douzaine d'expositions sur l'Amitié entre les peuples et la tolérance (1), expérimente depuis deux ans, à des niveaux très divers, le thème de la calligraphie et des arts plastiques. Nous intervenons dans les écoles (dès la maternelle ou le cours préparatoire) ou dans les centres municipaux de lajeunesse et des loisirs. En 1999, le CEDP régional accueillait nos expositions et ateliers pour le cinquantième anniversaire du Mrap. En mars 2001, la Maison de la vie étudiante du campus des sciences nous offrait sa grande salle polyva~ente pour plusieurs semaines d'activités ... Depuis, certains de nos jeunes visiteurs sont devenus adhérents actifs du Mrap. Des projets importants sont à l'ordre du jour avec le Département de mathématiques pour coupler l'histoire mondiale des « chiffres» à celle des « lettres ». Le Mrap a enfin été chargé d'illustrer de calligraphies arabes un recueil de poésies enfantines rassemblées en 1999 au cours de la Semaine de la poésie par l'IUFM de Clermont. A l'été 200 1, durant six semaines, la médiathèque d'un petit village du Mâconnais a présenté l'une de Reproduction extraite de l'ouvrage (à paraître) « L'arbre à la fenêtre », travail d'écriture de Chantal Dupuy dans une classe de CP, calligraphie arabe de J. Berthier. nos expositions (2) et soixante stagiaires ont participé aux activités .• Jean Berthier (1) Lettres algériennes (conçue comme un dialogue entre peintres et auteurs d'Algérie) 1997; Cris et écrits du Maghreb, 1999 ; Tsiganes et Gens du Voyage, 1999 ; L'humour contre le racisme, mars 1997; Le poids de la plume: textes anitracistes et pour la paix, mars 1998 (2) L'aventure des écritures, juillet 2001 Qui mange quoi? et sans inhibitions. Évidemment, pour compléter cette approche disciplinaire du problème, rien n'interdit d'engager parallèlement une action large de sensibilisation de tous les écoliers aux différentes dimensions (biologiques, sanitaires, culturelles .. . ) de la nourriture et de l'alimentation. Et c'est le sens de notre intervention auprès de l'équipe éducative . .. Il existe d'ailleurs sur ce sujet des supports très réussis et attrayants pour des . élèves de cet âge (expositions, sites Internet etc.). Nul doute qu'à l'issue d'un semblable programme les crispations enfantines autour de tel interdit ou de telle prescription alimentaire ne s'en trouvent singulièrement relativisées et amollies. Il ne s'agit pas bien sÛT d'accabler les enseignants concernés par cet exemple mais simplement de comprendre en quoi il est emblématique de ces pièges de la dramatisation et de l'instrumentalisation dans lesquels chacun, avec la meilleure volonté du monde, peut aisément tomber .• A l'heure de la cantine, dans une école primaire parisienne, l'attitude d'un petit groupe d'élèves de cours moyen suscite l'inquiétude des adultes: pressions psychologiques, mesures vexatoires, insultes se multiplient à l' encontre des élèves mangeant du porc, considéré comme « impur ». Le Mrap est alors sollicité par le chef d'établissement afin de trouver « un intervenant musulman» (sic) susceptible d'expliquer aux fauteurs de troubles en quoi leur comportement est peu respectueux et peu conforme aux préceptes de l'Islam. S'agit-il réellement d'un problème religieux ? Eu égard au très jeune âge des enfants en cause et de leur vraisemblable inculture théologique, il est permis d'en douter . .. Pourquoi donc admettre qu'un problème qui relève simplement de la discipline et du respect des règles élémentaires de la vie sociale soit investi d'une dimension religieuse qui n'est en l' bccurrence qu'accidentelle ou instrumentale? Pourquoi penser que la « leçon» à prodiguer aux enfants, leçon civique au demeurant, nécessite l'intervention d'un adulte légitimé par sa « compétence» en matière religieuse? Pourquoi d'ailleurs réserver cet utile rappel des règles de la vie collective aux seuls enfants musulmans (ou perçus comme tels) ? Cela ne pourrait en tout état de cause que conforter ceux-ci dans leur sentiment de constituer un groupe, groupe distinct et relevant de traitements ou d'égards dérogatoires à la règle commune . .. L'échec éducatif serait alors total. Au demeurant, il n'est pas plus certain que l'action à mener requière (du moins de manière visible) l'intervention du Mrap puisqu'on peut postuler, sous bénéfice d'inventaire, qu'elle n'a pas à être déclinée principalement en termes de racisme. Les enseignants ont ici toute leur place, en assumant leur rôle pleinement A.PeUé Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 33 À L'ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE Une enseignante heureuse Professeur d'éducation civique, juridique et sociale (ECJS) dans un lycée professionnel, Mme M. souhaite conserver l'anonymat car, dit-elle, « mes élèves me font confiance, ils sont mineurs et de ce fait ils doivent être protégés ». Cette matière, introduite dans les lycées professionnels à la rentrée 2000, a pour vocation de « promouvoir des comportements citoyens». Il ne s'agit pas d'introduire de nouveaux contenus (sauf en Droit), ni de donner libre cours à des débats improvisés. La démarche pédagogique vise à bâtir un cadre, à apprendre à construire une argumentation, constituer des dossiers documentaires, s'initier aux nouvelles technologies, s'intéresser à l'actualité. Les enseignants concernés sont essentiellement les professeurs de Lettres, d'Histoire, de VSP - Vie sociale et professionnelle - , et de Droit, regroupés, avec les documentalistes , en équipes pluridisciplinaires. N'étant pas sectorisé, l'établissement où travaille Mme M. accueille des élèves de toute la circonscription académique, leurs parcours sont divers. «Ici, affirme Mme M., le racisme n'existe pas, en tout cas pas en tant que comportement volontaire et conscient. Les élèves sont très solidaires, ils prennent fait et cause pour un camarade en difficulté. Bien sûr, ils peuvent se traiter de portos, d'Algériens, de "Blacks" ... Mais, il nefaut pas prendre ces invectives au premier degré; ils disent aussi "nique ta mère" et cela ne signifie pas qu'ils détestent leur mère ou celle du voisin. Le racisme est une forme de pensée et c'est par la pensée qu'il faut le combattre, d'ailleurs pas forcém ent en s y attaquant de front, car le groupe ou certains de ses membres peuvent se sentir agressés. Lorsque je fais travailler mes élèves sur des oeuvres picturales, je les fais voyager dans les cultures et le temps ... On sort du discours stéréotypé flle racisme c'est pas bien" pour entrer de plain-pied dans le monde de la liberté, un mot qui a pour les jeunes une vertu magique. » Mme M. est une enseignante heureuse : et si on l'appelait Marianne? • Chérifa B. Allô, ici ados-relais La notion d'« adolescent-relais », présente depuis fort longtemps en Belgique et dans les pays scandinaves, s'inscrit en France dans l' esprit de la politique des Zones d' éducation prioritaires. Assistant social au Lycée Galilée de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), M. Rosier a accueilli favorablement la mise en place de la formation d' adolescentrelais en 1995 dans son établissement. L'objectif étant d'aider à la communication entre jeunes et adultes, de lutter contre la loi du silence, de favoriser le sentiment d'entraide, de prévenir la violence, de responsabiliser les jeunes, la formation s'adresse à des élèves de seconde, choisis sur la base du volontariat par un groupe de pilotage issu du Comité d'environnement social, parmi les leaders « positifs» ou « négatifs », filles et garçons. Deux heures par semaine, des intervenants le plus souvent extérieurs, présentent des thèmes comme l'écoute, la sexualité, la citoyenneté, le racisme .. . M. Rosier a constaté que le mandat de ces élèves chargés de déceler les problèmes de leurs camarades sont le plus souvent reconduits sur trois ans, ce qui permet une continuité de la seconde à la terminale. Au sein du lycée l' amélioration des relations est patente tandis que l' oeuvre de dialogue et de médiation des ados-relais s'étend parfois à la cité ou au quartier . • Emmanuelle Rigaud 34 Différences nO 234/235 Novembre-Décembre 2001 « Amin Maalouf s'interroge dans un essai puissant, simple et très personnel sur « Les identités meurtrières ». Il analyse les ressorts du désir d'appartenance collective et du besoin d'identité, il pointe les effets désastreux des désignations réductrices. Avec pudeur et humilité, il lève le voile sur les illusions et les pièges que nous tendent des habitudes de pensée et des peurs plus ou moins conscientes mais potentiellement dangereuses. Ce livre est une belle invitation à un patient examen d'identité qui nous révèle tels que nous sommes: uniques et multiples. Extrait reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur (qui vient de faire paraître un nouveau roman « L'amour de loin ») et des éditions Grasset. I L m'arrive de faire quelquefois ce que j'appellerais «mon examen d'identité », comme d'autres font leur examen de conscience. Mon but n'étant pas - on l'aura compris - de retrouver en moimême une quelconque appartenance « essentielle» dans laquelle je puisse me reconnaître, c'est l'attitude inverse que j'adopte: je fouille ma mémoire pour débusquer le plus grand nombre d'éléments de mon identité, je les assemble, je les aligne, je n'en renie aucun. Je viens d'une famille originaire du sud arabique, implantée dans la montagne libanaise depuis des siècles, et qui s'est répandue depuis, par migrations successives, dans divers coins du globe, de l'Egypte au Brésil, et de Cuba à l'Australie. Elle s'enorgueillit d'avoir toujours été à la fois arabe et chrétienne, probablement depuis le Ile ou le lIt siècle, c'est-àdire bien avant l'émergence de l'islam et avant même que l'Occident ne se soit converti au christianisme. Le fait d'être chrétien et d'avoir pour langue maternelle l'arabe, qui est la langue sacrée de l'islam, est l'un des paradoxes fondamentaux qui ont forgé mon identité. Parler cette langue tisse pour moi des liens avec tous ceux qui l'utilisent chaque jour dans leurs prières et qui, dans leur très grande majorité, la connaissent moins bien que moi ; lorsqu'on se trouve en Asie centrale, et qu'on rencontre un vieil érudit au seuil d'une medersa timuride, il suffit de s'adresser à lui en arabe pour qu'il se sente en terre amie, et pour qu'il parle avec le coeur comme il ne se hasarderait jamais à le faire en russe ou en anglais. Cette langue, elle nous est commune, à lui, à moi, et à plus d'un milliard d'autres personnes. Par ailleurs, mon appartenance au christianisme - qu'elle soit profondément religieuse ou seulement sociologique, là n'est pas la question - crée elle aussi un lien significatif entre moi et les quelque deux milliards de chrétiens dans le monde. Bien des choses me séparent de chaque chrétien, comme de chaque Arabe et de chaque musulman, mais il y a aussi avec chacun d'eux une parenté indéniable, dans un cas religieuse et intellectuelle, dans l'autre linguistique et culturelle. Cela dit, le fait d'être à la fois arabe et chrétien est une situation fort spécifique, très minoritaire, et pas toujours facile à assumer; elle marque profondément et durablement la personne; s'agissant de moi, je ne nierai pas qu'elle a été déterminante dans la plupart des décisions que j'ai dû prendre au cours de ma vie, y compris celle d'écrire ce livre. Ainsi, en considérant séparément ces deux éléments de mon identité,je me sens proche, soit par la langue soit par la religion, d'une bonne moitié de l'humanité ; en prenant ces deux mêmes critères simultanément, je me retrouve confronté à ma spécificité. Je pourrais reprendre la même observation avec d'autres appartenances: le fait d'être français, je le partage avec une munauté dite grecque-catholique, ou melkite, qui reconnaît l'autorité du pape tout en demeurant fidèle à certains rites byzantins. Vue de loin, cette appartenance n'est qu'un détail, une curiosité; vue de près, c'est un aspect déterminant de mon identité

dans un pays comme le Liban, où les

communautés les plus puissantes se sont longuement battues pour leur territoire et pour leur part de pouvoir, les membres des communautés très minoritaires comme la mienne ont rarement pris les armes, et ils ont été les premiers à s'exiler. J'ai, quant à moi, toujours refusé de m'impliquer dans cette guerre que je jugeais absurde et suicidaire

mais ce jugement, ce regard distant,

ce refus de prendre les armes ne sont pas sans rapport avec mon appartenance à une communauté marginalisée. Melkite, donc. Cependant, si quelqu'un s'amusait à chercher, un jour, mon nom sur les registres d'état civil- qui, au Liban, on s'en doute, sont établis en fonction de l'appartenance religieuse - , ce n'est pas chez les melkites qu'il me trouverait mentionné, mais dans le registre des protestants. Pour quelle raison ? Ce serait bien trop long à raconter. Je me contenterai de dire ici qu'il y avait, dans notre famille, deux traditions religieuses rivales, et que traditionnellement les enfants vers les écoles américaines ou anglaises ; c'est à cause de ce conflit que je me retrouve francophone, c'est en conséquence de cela que je suis venu m'installer, pendant la guerre du Liban, à Paris plutôt qu'à New York, à Vancouver ou à Londres, et que je me suis mis à écrire en français. Vais-je aligner d'autres détails encore de mon identité ? Parlerai-je de ma grand-mère turque, de son époux maronite d'Egypte, et de cet autre grand-père, mort bien avant ma naissance, et dont on me dit qu'il fut poète, libre-penseur, peut-être franc-maçon, et en tout cas violemment anticlérical ? Remonterai- je jusqu'à cet arrière-arrière-grandoncle qui fut le premier à traduire Molière en arabe et à le faire jouer en 1848 sur les planches d'un théâtre ottoman ? Non, cela suffit, je m'arrête là, pour demander: ces quelques éléments disparates qui ont façonné mon identité et esquissé, dans les grandes lignes, mon itinéraire, combien de mes semblables les partagent avec moi? Bien peu. Peut-être même aucun. Et c'est bien sur cela que je voudrais insister: grâce à chacune de mes appartenances, prise séparément, j'ai une certaine parenté avec un grand nombre de mes semblables; grâce aux mêmes critè- L'examen d'identité d'Amin Maalouf ou le bonheur d'être multiple soixantaine de millions de personnes ; le fait d'être libanais, je le partage avec huit à dix millions de personnes, en comptant la diaspora ; mais le fait d'être à la fois français et libanais, avec combien de personnes est-ce que je le partage? Quelques milliers, tout au plus. Chacune de mes appartenances me relie à un grand nombre de personnes

cependant,

plus les appartenances que je prends en compte sont nombreuses , plus mon identité s'avère spécifique. Sije m'étendais un peu plus sur mes origines, je devrais préciser que je suis né au sein de la comje fus, tout au long de mon enfance, témoin de ces tiraillements; témoin, et parfois même enjeu: sije fus inscrit à l'école française, celle des pères jésuites, c'est parce que ma mère, résolument catholique, tenait à me soustraire à l'influence protestante qui prévalait alors dans ma famille paternelle où l'on dirigeait res, pris tous ensemble, j'ai mon identité propre, qui ne se confond avec aucune autre. En extrapolant à peine,je dirai: avec chaque être humain,j' ai quelques appartenances communes; mais aucune personne au monde ne partage toutes mes appartenances, ni même une grande partie de cellesci sur les dizaines de critères que je pourrais aligner, il suffirait d'une poignée pour que mon identité spécifique soit nettement établie, différente de celle d'un autre, fût-il mon propre fils , ou mon père. Les supports éducatifs du Mrap L·4IIl:·",~I . Qu·,.,! • .,. q<H' c 'nf ' <0' ..-c...._.-.. ...'.....'.. _- .'. .'..'" ". Arc-en-ciel est un cyberjournal édité par le Mrap et rédigé par et pour les enfants de sept à treize ans (primai~ et début du coUège). U leur permet de partager leurs idées autour des valeurs de respect, d'ouverture à l'autre et d'égalité. CORSultable sur la Toile, Arc-en-ciel révèle la variété et la richesse d'expression des enfants: ils font vivre cet outil singulier en composant des poèmes, réalisant des dessins ou des reportages, écrivant des recettes de cuisine, des saynètes dialoguées et des contes, coUectant des sons, etc. La formule s'enrichit et se renouvelle au fur et à mesure de leurs contributions. Arc-en-ciel www.mrap-arcenciel.net offre aux écoles, centres de loisirs, maisons de quartiers de présenter leurs initiatives, projets et récits contre le racisme et les discriminations. Des liens sont établis avec d'autres sites afin que l'Arc·en·ciel serve de guide et de tremplin pour accéder au plus grand nombre d'informations sur les thèmes qui nous sont chers. Le Secteur Education assure la mise en ligne et le suivi technique du journal; il conseille et accompagne les équipes éducatives désireuses de s'associer au projet. Il facilite, en fonction de la demande, la recherche documentaire, suggère des pistes de travail, suscite l'exploration de formes originales et d'axes inattendus. Individuelles ou coUet:tives, toutes les réalisations sont les bienvenues. Ce journal appar· tient à tous ceux qui l'alimentent. ~ Des expositions " Racisme: du préjugé à la discrimination" - Dernière née des productions du Mrap, une exposition en vingt panneaux pour cheminer au coeur des mécanismes du stéréotype. des logiques de l'intolérance et de la ségrégation. Dimension psychologique. gros plans historiques. repères pour l'action: richement iconographié. un parcours proposé à tous publics à partir du collège. " Citoyenneté et égalité des droits" - Réalisée en partenariat avec Léo Lagrange, elle appréhende les différents moments et lieux de l'expression de la citoyenneté. Elle propose ainsi en douze panneaux, notamment à travers l'exercice du suffrage, un tour d'horizon thématique et chronolo· gique : « l'accès au suffrage universel », « le combat des femmes pour l'égalité », « la place des jeunes dans la Cité ), « l'Europe et le droit de vote des étrangers » ... ~ Un jeu de loi Racisme hors-jeu, une façon ludique et active d'analyser des situations concrètes de racisme au quotidien. Un jeu collectif qui initie les jeunes à l'outil que représente la loi dans le combat pour l'égalité. ~ Des films Le Secteur Education propose une gamme de films-vidéo foumissantéclairages documentaires et supports d'animation adaptés aux différents publics (du primaire à l'âge adulte) sur des thèmes tels que les étrangers dans la Résistance, le rapport à l'autre, l'esclavage, racisme et humour, le racisme au qUOlidien ... Il propose parallèlement des outils d'accompagnement pédagogique (notamment pour la série de courts-métrages « Pas d'histoires! ») et aide à la préparation d'initiatives éducatives basées sur l'image. Pour toute information complémentaire ou commande, prendre contact avec le Secteur Education au siège du Mrap. mrap.education@free.fr

Notes

<references />

Catégories