Différences n°176 - juillet 1996

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Sommaire du numéro

n°176 de juillet 1996

  • Edito: La voix des sans papiers par Mouloud Aounit
  • Entretien avec Albert Jacquart: le souci des pauvres, propos recueillis par Nathalie Berthier
  • L'internement des tsiganes en France (revue Etudes Tsiganes) par Laurent Canat [gens du voyage]
  • Comment le Front National prépare les législatives par C. Benabdessadok
  • Haro sur l'école et le monde enseignant par Alain Pellé
  • Miroir des activités locales présenté par J.C. Dulieu et Sabine Giraud
  • Istambul, conférence internationale sur les disparitions: Susma par Alain Callès
  • La famille Sellami ne sera pas reconduite à la frontière par Paul Muzard


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1 Juillet 1996 - N° 176 0 SOMMAIRE Entretien avec Albert .Jacquard Publication L'internement des Tsiganes en France 3 Laurent Canat lESOUC. SOS Civisme Le FN prépare las législatives 4 Chérifa Benabdessadok Haro sur le monde enseignant 5 ES Alain Pellé International Conférence sur las disparus 8 Istanbul 9 ES Alain Callès Chrono 10 Personnalité scientifique, La gégéne en piéces détachées Chérifa B, Le FN poursuit le MRAP et l'A TMF Le droit et vous L'affaira Sel/ami 10 11 12 membre du Comité d'honneur du MRAp, Albert Jacquard a choisi de s'engager pour la défense des plus démunis, notamment à travers Paul Muzard les actions du DAL - Droit au logement. LIre aussI en pages 6 et 7 le dossier « Déve/op / /nfo » présente par Jean-Claude Dulieu et Sabine Giraud. A l'occasion de la parution de son dernier livre, Nathalie Berthier l'a rencontré pour Différences. <::r page 2 la voix des sans-papiers Le 15 juin nous étions plusieurs dizaines de milliers d'hommes, de femmes ct d'enfants à marcher à Paris, Lille, Toulouse, Lyon, Nice, Strasbourg, Nancy. Les voix des sans-papiers, clandestines jusqu'alors, se sont mêlées aux nôtres pour faire prendre conscience qu'en France on peut être irrégulier sans être clandestin. Il faut remercier ces parents d'enfants français, ces conjoints de Français, ces jeunes vivant depuis de nombreuses années en France, ces demandeurs d'asile déboutés, ces étudiants, ces maîtres-auxiliaires qui ont, avec les associations, dénoncé au grand jour, et à visage découvert, la clandestinité administrative insupportable dans laquelle les lois en vigueur et les pratiques administratives les ont jetés. Le 15 juin restera pour nous une étape importante pour la régularisation de tous ceux qui se trouvent dans des situations similaires, un repère encourageant pour l'avenir des luttes. Des résultats significatifs ont été enregistrés dans le règlement des dossiers à Nantes, à Versailles, à Toulouse et dans les Hauts-de-Seine. Ces victoires nous donnent l'énergie et le ressort pour prolonger notre mobilisation car ailleurs l'issue est incertaine et la régularisation, lorsqu'elle intervient, se fait au cas par cas. Il nous faut désormais avancer et faire progresser l'idée d'une autre politique d'immigration. Une politique qui sorte radicalement des sentiers balisés par le Front national. La politique que nous voulons et que nous revendiquons est celle qui conjugue au singulier comme au pluriel, au présent comme dans le futur, respect des droits et libertés fondamentales, citoyenneté et action réelle sur les causes des déséquilibres entre le nord et le sud de la planète. Au-delà de cette direction, point de salut pour l'Etat de droit. • Mouloud Aounit Il Entretien AIDER LES PAYS PAUVRES À CONSTRUIRE les gens qui s'expatrient pour des raisons politiques, les pays sous-développés connaissent une explosion démographique. La grande priorité est de lutter contre la natalité. Et pour cela, il faut éduquer les filles. Il faut aider les pays pauvres à construire leurs systèmes éducatifs. Les lois Pasqua ne sont pas une solution d'avenir. A cause d'elles, même les stages des étudiants marocains en France sont bloqués. De toute façon, un pays comme la France ne peut pas vivre à l'abri de fortifications. Un pays doit être poreux tout comme le sont les êtres vivants. DES SYSTÈMES ÉDUCATIFS Différences: Quel a été le rôle de la culture scientifique dans votre engagement militant? Albert Jacquard : La science n'est pas la cause de mon engagement. Mais elle l' appuie dans le sens où la science porte un certain regard sur l'homme. Ce regard consiste à dire que chaque homme ne se construit qu'en liaison avec les autres. Si je dis JE, c'est qu'on m'a dit TU. En étudiant l'être humain, on constate que chez tous se retrouvent les mêmes cellules, les mêmes globules. L'homme est une poussière d'étoile, comme dit Hubert Reeves. Du Big Bang, on est arrivé à cet être vivant dont la complexité le distingue de tous les autres. Le cheminement scientifique aboutit à la conclusion que pour vivre et se construire, l 'homme a besoin des autres. C'est dans ce principe même que se trouve la vraie lutte contre le racisme. L'argument scientifique de l'inexistence des races est-il encore efficace pour lutter contre le racisme dans le contexte actuel? J'ai en effet travaillé sur les races humaines en tant que généticien, ce qui m'a amené à dire qu'elles ne peuvent être définies. On croit pouvoir ainsi lutter contre le racisme. Or pour les racistes, aucun argument n'est valable. Ils éprouvent le besoin de justifier le rejet de ceux qui ne leur ressemblent pas par des idées du genre « ils vont nous prendre nos femmes». Cela n'a plus rien à voir avec la science. Le racisme correspond à une peur de l'autre qui provient d'un manque de confiance en soi. Le racisme est en fait une sorte de mépris pour soimême que l'on compense par le mépris de l'autre. De plus, les difficultés économiques liées au chômage donnent le sentiment que l'on n'est plus maître de sa vie, ce qui alimente ce manque de confiance. C'est en prenant les étrangers pour boucs-émis sai - res que les gens pensent pouvoir comprendre leurs propres difficultés. Le fait de mettre en avant les étrangers dans les actions médiatisées du DAL ne contribue-t-il pas à alimenter le fantasme d'invasion, d'une immigration incontrôlable? Le DAL s'occupe de toutes les victimes quelle que soit la couleur de leur peau. Mais il est vrai qu'à la rue du Dragon, il y avait beaucoup d'étrangers. Puisque c'est la réalité, il faut le dire. Il faut montrer les choses telles qu'elles sont: ils sont souvent les premières victimes de la précarité. Je ne crois pas qu'il faudrait se le cacher. Au contraire, il faut montrer y compris devant les caméras ce qui est scandaleux. Le droit au logement doit être un droit tout aussi sacré que le droit de propriété, et ce, pour quiconque. Maintenant, qu'on essaye de limiter l'immigration, je veux bien, mais à condition qu'on aide les gens à rester chez eux. Or, on sait très bien que bien souvent la vie est impossible dans leur pays. Outre Dans votre dernier livre, « Le souci des pauvres », vous avez pris l'exemple de Saint François d'Assise pour appuyer votre réflexion sur les inégalités. Pourquoi avoir choisi un personnage religieux ? J'ai cherché des exemples de personnages qui avaient été capables de dire « non ». François d'Assise aditnon à l'argent, non au pouvoir, non à la propriété, non à la guerre. Qu'il soit un saint ou pas, cela m'importe peu, c'est l'affaire de l'Eglise. Son côté mystique ne m'intéresse pas. J'ai considéré François avant tout comme un homme, et un homme qui s'occupe des autres. En son temps, il a bouleversé l'Eglise. La pensée chrétienne a été complètement rénovée, alors que l'Eglise prenait goût au pouvoir. François est la preuve LE SOUCI DES PAUVRES(1) ---- François d'Assise entend un jour dans une chapelle l'image du Christ lui dire: « François, répare mon église ». Dès lors, inspiré par cette mission divine, il fait voeu de pauvreté et renonce à tous ses biens. S'appuyant sur l'histoire de ce personnage qui a refusé de se laisser corrompre par l'argent et le pouvoir, Albert Jacquard défend dans ce livre l'idée qu'il faut aujourd'hui réactualiser son héritage. Dans le contexte de l'exclusion des pauvres, qui équivaut à une véritable « banalisation de la barbarie », et des inégalités dues à « l'intégrisme économique » de la loi du marché, ce livre est un appel pour restaurer des valeurs comme le respect de l'être humain. En rationaliste et en athée, Albert Jacquard affirme sa foi en la capacité de l'homme à aimer les autres, ce qui ne l'empêche pas de s'inspirer aussi des messages évangéliques Constatant les écarts démographiques entre pays pauvres et pays riches et la répartition inégale des richesses, il explique à quel point il serait bénéfique de mettre en commun les cultures des pays méditerranéens, et de permettre aux plus pauvres d'entre eux d'avoir les moyens de mettre en place des systèmes éducatifs correspondant à leurs cultures. C'est ce qu'il appelle la Communauté culturelle méditerranéenne. Albert Jacquard rappelle que ce sont les utopies qui ont souvent changé les choses au cours de l'Histoire: « Aujourd'hui, affirme-t-il, c'est de l'ensemble des hommes qu'il faut de toute urgence faire une communauté. Ils doivent comprendre leur interdépendance qui rend toute domination maléfique, toute concurrence suicidaire. » N.B. (1) Editions Calmann-Lévy Différences n° 176 juillet 1996 vivante que le fait de dire non peut être efficace. Bien sur, les « non» d' aujourd 'hui ne sont plus les mêmes qu'il y a sept siècles, mais on peut s'en inspirer. Il faut dire non par exemple aux pouvoirs abusifs, et à la loi du marché qui est irrespectueuse envers les hommes. Elle constitue un moyen comme un autre de soumettre les hommes. Il est vrai que le mode de vie de François est inadapté à celui de notre société car nous sommes obligés de nous soumettre à l'organisation collective des hommes. Les textes de l'Evangile proposent un programme d'organisation des hommes de plus en plus nécessaire de nos jours, car il est basé sur le respect des autres. Même en l'absence de foi, comme c'est mon cas, on peut s'en inspirer, peu importe si le Christ était le fils de Dieu ou non. En fait, il faudrait d'autres François d'Assise aujourd'hui. L'abbé Pierre, par exemple, est dans la lignée directe de François. Malheureusement, il a commis une bévue avec l'affaire Garaudy. Son amitié le regarde, mais il ne peut pas cautionner un livre pareil. Il faudrait qu'il le lise. Dans votre livre vous énoncez l'idée de créer une communauté culturelle méditerranéenne. En quoi cela consisteraitil? C'est un projet qui me tient à coeur. Il s'agirait de mettre en commun la culture et l'éducation des seize Etats du pourtour de la Méditerranée. On y trouve toutes les cultures monothéistes. Cela peut constituer un début de pensée commune. Les quatre pays européens, les plus riches, financeraient la majeure partie du projet. Il y aurait un « pot commun financier.» On ne parlerait plus de la « politique arabe» de la France, mais de la politique méditerranéenne. J'ai rencontré le commissaire général au plan et le directeur général de l'UNESCO, il onts paru enthousiasmés par ce projet et m'ont promis de constituer des groupes de travail. Il faudrait fédérer les activités culturelles et éducatives par une série d'institutions supra-gouvernementales comme à Bruxelles. Pourquoi n'y aurait-il pas une commission semblable à celle de Bruxelles qui siègerait dans une capitale symbolique de l'ensemble humain de la Méditérranée, comme Malte par exemple? Une CCM comme il existe une CEE. Nous avons déjà créé des passeports symboliques afin de promouvoir ce projet .• Propos recueillis par Nathalie Berthier Nouvelles de la bibliothèque L'internement des Tsiganes en France La revue trimestrielle Etudes tsiganes (1) a édité un excellent numéro sur l'internement des Tsiganes en France durant la deuxième guerre mondiale. Compte-rendu par Laurent Canat. La partie introductive est constituée de deux textes. Le premier signé par Alain Reyniers présente la construction des appareils juridico-administratifs qui, dans toute l'Europe, servirent à légimiter la répression des Tsiganes, en particulier au XIX· siècle et jusqu'à la « solution finale ». Puis Marcel Cortiade livre une analyse duZigeuner-Buch d'Alfred Dillman ; ce livre paru en 1905 élabore les argument pseudo-scientifiques, notamment l'impureté de la « race tsigane », « qui ont conduit à l'extermination du peuple romani dans les camps du troisième Reich un quart de siècle plus tard» . Vient le corps du dossier, réalisé par Jacques Sigot, le spécialiste du thème et auteur du fondamental Un camp pour les Tsiganes ... et les autres, Montreuil-Bellay 1940-1945 (2). Un premier article intitulé « Camp Allemand ou Camp Français? » circonscrit les responsabilités des deux parties dans l'arrestation et l'internement, concluant sans ambiguïté au rôle prépondérant de Vichy, même si l'occupant intervint pour ce qui est de la déportation vers l'Allemagne de certaines catégories de détenus. Le second décrit les victimes des camps, regroupées sous la catégorie « nomades» : Tsiganes, clochards, vagabonds ... Vient ensuite la description et l 'historique des quarante camps recensés en France et une série de témoignages. Pour compléter, Marie-Christine Hubertprésente le camp de Saint-Maurice-aux-RichesHommes (Yonne) en montrant la situation après l'occupation puisque le camp fut « ouvert» aux Gens du Voyage jusqu'en décembre 1945. Et pour finir, dans un article axé sur l'Auvergne, Joseph Valet rappelle que la fin de l'Occupation ne mit pas un terme au calvaire des Gens du Voyage. Deux bibliographies bouclent ce dossier illustré par de nombreuses photographies, des plans et des cartes, ainsi que de nombreux documents et témoignages . • Laurent Canat (l) Etudes tsiganes, second semestre 1995, diffusion en librairie et au centre de documentation, 2 rue d'Hautpoul, Paris, prix: 130 francs (2) Paris, Wallâda, 1983. Ouvrage réédité et complété en 1994 sous le titre: Ces barbelés oubliés par l 'Histoire, Paris, Wallâda et Cheminement. Sur ce sujet, lire aussi la première synthèse sur l'internement en France: Les Tsiganes en France 1939-1946, par Denis Peschanski, Marie-Christine Hubert et Emmanuel Philippon, Paris, CNRS Editions, 1994 Annonce Action européenne pour le droit des étrangers à vivre en famille C'est bien ce droit qui est l'objet des luttes un peu partout en France. La coordination européenne pour le droit de vivre en famille lance une pétition pour que la révision du traité de Maastricht donne un droit délibératif aux députés européens en matière de droit familial. Ces pétitions seront envoyées à Jacques Santer, président de la Commission européenne ,et à Klauss Hansch, président du parlement européen. Ces pétitions sont éditées en cartes postales, la troisième est à adresser à la Coordination européenne des associations. Demandezles auprès des militants et des comités locaux qui en recevront un exemplaire dans la Lettre du Secrétariat national de septembre avec un dépliant décrivant la mission de ladite coordination. François Prunet Différences n° 176 juillet 1996 • Il SOS Civisme COMMENT LE FRONT NATIONAL PRÉPARE LES LÉGISLATIVES Mettant à profit la pause électorale, le FN cherche à développer son implantation, en particulier dans les milieux populaires et le monde du travail. Synthèse de quelques travaux. L'ENQUETE DE TERRAIN réalisée il y a dix ans par la journaliste Anne Tristan auprès des adhérents et sympathisants du Front national à Marseille (1), reste une référence. Le travail d'implantation qu'elle y décrivait n'a pas cessé de s'approfondir et de porter ses fruits en termes strictement électoraux et plus largement politiques. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le FN a amorcé l'élaboration d'une nouvelle stratégie alliant« préférence nationale» et« conquête du monde du travail» qui pourrait lui permettre de quadriller de manière encore plus serrée de larges pans de la société. Une stratégie de conquête du pouvoir Des élections européennes de 1984 aux présidentielles de 1995, le parti d'extrême droite a constamment amélioré ses scores et diversifié son influence. D'abord circonscrite à certains profils socioprofessionnels - artisans, agriculteurs, commerçants, professions libérales - son implantation électorale s'est progressivement élargie à de nouvelles catégories sociales. Aux présidentielles de 1988, le pourcentage des voix FN chez les ouvriers a pour la première fois atteint les 20 %, 14 % chez les employés et 17 % chez les chômeurs. Les présidentielles de 1995 ont confirmé le caractère durable de cette nouvelle conquête et son amplification avec 27 % des voix chez les ouvriers, 19 % chez les employés et 28 % parmi les chômeurs. Le FN est aujourd'hui fort d'un appareil politique bien rodé et de nombreuses associations satellites (les «cercles nationaux ») qui travaillent tous azimuts; il est servi par une presse contrôlée ou sympathisante dont les tirages cumulés commencent à sortir de l'anecdotique; il dispose des moyens politiques et matériels que lui procure un nombre confortable d'élus: « onze députés européens, deux cent trente-neuf conseillers régionaux et plus de mille conseillers municipaux» (2), ainsi que les trois maires de Toulon (treizième ville de France en nombre d'habitants), Orange et Marignane. Pour aller plus loin, la direction du FN a commencé à structurer théoriquement et à réaliser pratiquement une « nouvelle stratégie» qui serait, selon les articles de presse et les livres publiés récemment à ce sujet, ni plus ni moins qu'une stratégie de conquête du pouvoir par un travail plus systématique d'implantation associative et syndicale. Dans le double but de répondre aux attentes de l'électorat populaire qu'il a réussi à capter et de préparer les élections législatives de 1998, le FN s'est engagé dans la réorganisation de ses structures. Du coup, son discours programmatique s'est infléchi, passant du dogme ultralibéral à un bricolage populiste exposé en 1993 dans les « 300 mesures pour la renaissance de la France », un document sous-titré: « Front national, Programme de gouvernement » (3). Des structures ciblées Un Front Anti-Chômage, créé dès 1987, fonctionne comme« une sorte d'ANPE nationale au sein du parti». Son secrétaire général « procède essentiellement par la mise en relation directe des chefs d'entreprises Différences n° 176juillet 1996 frontistes avec les demandeurs d'emploi qu'il a sur ses listes. » (2) En 1990, Jean-Claude Martinez et Alexis Arette fondent le Cercle national des agriculteurs de France, l'objectif étant de pénétrer le syndicalisme agricole et de devenir une « coordination rurale nationaliste ». Selon l-C. Martinez, « l'évolution est déjà colossale depuis six ans. Nous piloterons des listes aux prochaines élections des chambres d'agriculture. »(2) Le patron de National Hebdo, Jean-Claude Varanne a, pour sa part, créé un cercle national de la Presse dont l'ambition est de devenir« un syndicat de la presse nationale. » (2) Un Cercle national de l'enseignement sert de relais auprès du milieu enseignant du primaire et du secondaire. Ce cercle, trop marqué, est en train de se transformer en un discret « Mouvement pour l'éducation nationale ». (Lire article ci-contre). Il faut aussi ajouter la présentation, pour la première fois, de listes FN aux élections des représentants des locataires siégeant dans conseils d'administration des offices publics HLM au mois de juin ... Un travail rationnel au coeur du monde du travail C'est par rapport aux syndicats que sous l'impulsion de J.-M. Le Pen et Bruno Mégret, délégué général, s'exprime l'objectif le plus neuf et le plus offensif qui consiste à atteindre « le coeur du monde du travail ». Il ne s'agit pas seulement de toucher les électeurs sur les grands « thèmes répulsifs» (immigration, insécurité) mais de privilégier le terrain des attentes professionnelles. « La première étape a consisté à préparer le terrain en noyautant les syndicats déjà existants. Il paraîtrait que certaines cellules entières de Force Ouvrière seraient aux mains de militants lepénistes. Le poids des frontistes au sein de Force Ouvrière est déj à nettement visible dans les transports, et en particulier à la RATP ou à la SNCF. Même la CGT est touchée, essentiellement chez les dockers. » (2). Un fait confirmé par Gérard Chemouil, responsable de l'activité de la CGT envers les travailleurs migrants: « L'idée prônée longtemps que le racisme ne passait pas la porte de l'entreprise pouvait apparaître comme la réalité d'une époque. C'était en fait se camoufler un peu les choses. Au contraire, on a vu monter de plus en plus des actes, des propos, des attitudes racistes parmi les salariés et, nous ne le cachons pas, y compris parmi les syndiqués, voire nos militants ... » (4) La seconde étape de cette implantation consiste en «la création de syndicats ouvertement estampillés Front national. Ceux-ci seront issus des cercles nationaux ou seront souvent une pure création. Afin de vérifier la pertinence de sa démarche, Bruno Mégret a lancé fin 1995 un ballon d'essai avec le Front National Police» (2). Celui -ci avait obtenu, on s'en souvient, 7,5 % des voix aux élections professionnelles de décembre 1995 chez les policiers en tenue. Le FN a également lancé le 25 mars dernier le Front national/RATP. Selon le responsable de l'Union syndicale CGT de la RATP (4), des procédures juridiques ont été entamées par la CGT et la CFDT d'une part, et par la direction de la RATP d'autre part, aux motifs que ce syndicat est directement affilié à un parti politique et qu'il utilise le logo de la RATP dans le sien. --Haro sur l'école-etle monde enseignant L'ordre du Temple scolaire, une pe/ / titesectedeproft barbus, vient d'or" ganiser la semaine dite "antiraciste". Les membres du temple scolaire croient que tout le mal vient du racisme des français et que tout ira mieux quand il y aura davantage d'étrangers en France. La cible principale du Temple scolaire sont les enfants et les jeunes. Le rituel sectaire a toujours le même objectif: bourrer le crâne, laver le cerveau». Ainsi débute un tract diffusé par le Front national de la jeunesse dans le département du Vaucluse. Détail Sont particulièrement visés par l'offensive de l'extrême droite les organisations de jeunesse, l'institution scolaire et le monde enseignant. Ainsi, les militants du FNJ ont-ils récemment été encouragés par leurs dirigeants à« intensifier l'action dans les lycées »en utilisant notamment le climat créé par les récentes affaires de violences et ont reçu des moyens matériels en conséquence (affiches, cassettes ... ). La diffusion de tracts racistes à la sortie des établissements se multiplient, dégénérant parfois en agressions physiques conintéressant: cette prose a été adressée nominativement aux membres des conseils d'administration des établisse- C'est bien de la constitution et de l'implantation d'un réseau tre des lycéens réfractaires au style « national». Les « profs» quant à eux demeurent cultuqu'il s'agit. rellement éloignés de ments scolaires de la ville d'Orange. L'incident a provoqué la réaction des syndicats et des associations; le MRAP a appelé l'attention du ministre de l'Education nationale sur ces manoeuvres. Cet épisode s'inscrit dans la logique de pression et d'intimidation qui marque la chronique orange oise depuis l'élection de Jacques Bompard. On se souvient notamment de la vive réaction du maire frontiste à la rentrée dernière contre les enseignants d'un collège qui avaient solennellement rappelé que leur mission éducative était incompatible avec les thèses de la« préférence nationale». Aujourd 'hui, J. Bompard agite la menace de poursuites à l'encontre de tout enseignant qui se rendrait coupable à ses yeux de « racisme anti-français » ou d'activité« politique ». l'idéologie lepéniste. On peut cependant craindre que le FN ne finisse par prospérer sur la lassitude et l'exaspération de certains d'entre eux, confrontés à la dégradation des conditions d'exercice de leur métier. Si la création d'un véritable syndicat ne semble pas encore à l'ordre dujour, le MEN. (ex« Cercle national de l'éducation») - qui revendique 2500 adhérents - fait montre d'un certain regain d'activisme. Optant pour l'entrisme, il a récemment appelé ses membres a intégrer le SNALC. Infiltration des conseils d'école et des conseils d'administration par les élus locaux et les militants, entrisme syndicaLc' est bien de la constitution et de l'implantation d'un réseau qu'il s'agit. • Alain Pellé Différences n° 176 juillet 1996 SOS Civisme Les jeunes et les étudiants Le syndicat estudiantin, Renouveau Etudiant, créé en 1990, travaille désormais en étroite liaison avec le Front National Jeunesse dirigé par le gendre de Le Pen, Samuel Maréchal « pour un meilleur contrôle et une plus grande efficacité ». Le directeur du Renouveau étudiant, Samuel Bellanger trace un premier bilan : « On assiste depuis 1995 à un renouveau du Renouveau étudiant. Nous avons fait notre autocritique. Avant, on avait exclusivement une démarche politique et syndicale. Depuis le quatrième congrès, on a développé d'autres axes de bataille dans le combat culturel. Nous avons mis en place une stratégie offensive, un peu à la façon du marxiste italien Gramsci. Cela consiste à faire passer nos idées dans le milieu universitaire audelà des voies du syndicalisme étudiant, par l'organisation de conférences, des associations parallèles et des dérivés qui n'apparaissent pas comme officiellement • politiques. Nous avons des professeurs qui nous soutiennent. »Et il précise: « On est là pour recruter des cadres pour le Front National» (2). Le Front National Jeunesse a toujours constitué un pôle important pour la direction du FN. Mais sa place et son influence, à l'intérieur de la galaxie FN comme à l'extérieur' se sont élargies. C'est une structure militante dynamique à laquelle Le Pen a confié l'intendance de sa dernière campagne présidentielle. « Dix-huit heures de travail par jour, trente personnes! Le FNJ, à cette occasion, distribuera plus d'un million de documents de propagande en faveur de son candidat. » Le FNJ revendique 15000 adhérents de seize à vingt-cinq ans et« selon un récent rapport des Renseignements Généraux, le Front National Jeunesse (FNJ) serait devenu le tout premier mouvement politique militant chez les jeunes. »! (2). C'est son directeur national qui a inventé et fait admettre au sein du FN, le slogan « ni droite, ni gauche, Français », auquel sont hostiles quelques caciques du parti, attachés à l'idée de représenter la « vraie droite nationale ». Une reconnaissance qui pourrait appuyer la thèse de la « mutation» du FN. Ce slogan reste en effet ancré dans la conception électoraliste de dénonciation des partis de droite et de gauche institutionnels mais éclaire aussi la stratégie de la récupération des valeurs comme la solidarité et la lutte contre les inégalités - entre Français bien sûr! Gr page 8 Il Dévelop / Info Nouvelle rubrique présentée par Jean-Claude Dulieu, Secteur Développement et formation interne. FACE A L'EVOLUTION DU RACISME et de ses multiples expressions, notre mouvement a mis l'accent sur la nécessité de développer un « antiracisme de proximité ». Cette orientation nous interpelle sur le rôle déterminant des Comités locaux ainsi que sur l'aide que doit leur apporter le « national ». Pour ce faire, nous souhaitons améliorer la circulation de l'information, concernant en particulier les activités des Comités locaux. Nous avons décidé la création d'un bulletin intitulé Dévelop /Info. qui devrait paraître chaque trimestre dans Différences. Nous y consacrerons deux pages au « Miroir des Activités Locales» et deux autres pages sur le développement du MRAP et la formation interne. Nous nous limiterons dans cette première parution à refléter la vie des antennes locales. Cette présentation ne prétend pas à l'exhaustivité mais elle permet de constater que les Comités locaux se battent sur bien des fronts. IROIR A l'occasion du Premier mai, de nombreux Comités locaux, associés aux mondes syndical et politique, se sont mobilisés afm de défendre les valeurs républicames. Les défilés du Premier mai • La manifestation d'Orange avait une valeur symbolique. Ils étaient 3 000 à défiler en faveur du respect de la dignité pour tous, derrière une banderole « Racisme, fascisme, plus jamais ça ! » • A Marseille, la Canebière était envahie par plusieurs milliers de manifestants qui entendaient lutter ainsi contre toutes les formes d'exclusion. • A Poitiers, les 300 manifestants ont exprimé leur désaccord face à une politique qui « aboutit à la destruction du tissu social, à l'exclusion, au racisme, au sexisme ... ». • A Perpignan, Carcassonne, Besançon et à La Mure, les défilés unitaires se sont faits sous le sigle des « libertés et de la démocratie ». Solidarité avec les sans -papiers Les Comités Locaux se mobilisent partout en France pour venir en aide aux étrangers menacés d'expulsion. Les parents étrangers d'enfants français sont nombreux à vouloir faire régulariser leur situation. • Rue Pajol à Paris, un comité de soutien appuie la négociation des familles avec les autorités afin d'obtenir leur régularisation. • Bobigny a été le théâtre de diverses manifestations. Le 6 mai, une cinquantaine de parents étrangers d'enfants français se sont réunis devant la préfecture. Une délégation a été reçue par les services du préfet qui se sont engagés à réexaminer les dossiers de régularisation présentant un « caractère humanitaire ». Le 22, ils étaient 150. • Situation identique à Nantes et à Saint-Nazaire où le MRAP tente de débloquer une situation administrative aberrante dans laquelle se trouvent 75 personnes. • A Versailles, le MRAP a apporté son soutien aux grévistes de la faim, réfugiés dans la cathédrale. Ils ont obtenu la régularisation de leur situation auprès des services de la préfecture . • Situation similaire à Toulouse où six parents étrangers d'enfants français ont entamé une grève de la faim à l'église du Sacré Coeur depuis le 17 mai afm de sensibiliser la population à leur situation. • Dans le Nord-Pas-de-Calais, les grévistes de la faim sont aussi soutenus par le MRAP. • En Dordogne, le MRAP dénonce les expulsions d'étrangers selon des procédures que le Comité local qualifie « d'opaques, discriminatoires et injustifiées ». Le 27mai, son président s'est par Différences n° 176 juillet 1996 , DES ACIlVIIES LOCAIJES ailleurs insurgé contre l' expulsion vers l'Algérie d'un fils de Harki, Boualem Becharef, à sa sortie de prison où il venait de purger une peine de cinq ans. • A Tours, le MRAP est partie prenante dans le comité de soutien en faveur d'un étudiant sénégalais menacé d'expulsion. Même mobilisation àDreux où le comité s'est ému du sort réservé à l'ancien président des Kurdes de la ville, Huseyin Yildrim, à qui la préfecture a refusé le renouvellement de sa carte de séjour. • A Noisy-le-Sec, le 18 mai, à l'occasion d'un rassemblement en faveur du retour d'un algérien expulsé il y a un an, Sylvain Goldstein, le président du MRAP local, est intervenu publiquement pour dénoncer le durcissement des positions de l'administration à l'égard des étrangers. Pour la paix au ProcheOrient • LeComitéLocaldePoitiers a organisé le 22 avril une manifestationcontre la violence au Sud-Liban en se prononçant en faveur d'une reconnaissance rapide par les instances internationales d'un Etat palestinien. • Mobilisation identique à Limoges au lendemain du massacre de Cana, pour demander l'arrêt des hostilités, la fin des terrorismes et l'accélération du processus de paix. • A Menton, le Comité Local a participé à une conférence: « Israël/Palestine: un processus de paix entre espoirs et interrogations ». Contre la loi sur l'immigration L'avant-projet de loi Debré soulève un tollé de protestations tant au sein des associations que des Eglises. Les Comités locaux s'organisent. • ASaint-Nazaire, le MRAP associé à un collectif antiraciste dénonce les propositions de la commission parlementaire à travers la présentation du « Livre Noir de l'immigration ordinaire » et a tenté de sensibiliser la population durant la semaine du 20 au 25 mai. • A Lille, le MRAP tient un rassemblement tous les mercredis place de la République jusqu'au 15 juin pour combattre ce projet de loi qui tend à précariser davantage les étrangers en France. Campagne pour sauver Mumia Abu-Jamal Cette campagne nationale est largement relayée par les Comités et les Fédérations autour de conférences - débats. Beaucoup de comités se sont mobilisés avec la vente de son livre, des tee-shirts et se sont évertués à sensibiliser la population au sort réservé à ce leader noir. • Ainsi,leMRAPdeMenton, prenant pour thème l'ouvrage de MumiaEn direct du couloir de la mort a-t-il organisé une discussion avec Marie-Agnès Combesque le Il mai dernier. La journaliste, membre du Conseil national du MRAP, a démontré que le système carcéral nord-américain sert de régulation sociale et de système d'exclusion, les Noirs en étant les premières victimes. • Le MRAP de Douai a participé le 1 er juin à la conférence sur Mumia Abu-Jamal organisée par le mouvement des jeunes socialistes. Antiracisme de proximité Plusieurs comités locaux ont participé à la semaine d' éducation contre le racisme. Un quatre pages ad' ailleurs été édité, à ce sujet, par le secteur Education du Citoyen. • Racisme à l'école: le 18 avril, la Fédération de l'Essonne s'est adressée au proviseur du lycée de Morangis afm d' obtenir des explications sur l'attitude d'une des enseignantes de l'établissement. Elle avait, en effet, tenu des propos racistes à l'égard d'une élève en pleine classe. Le responsable de l'établissement s'est contenté de minimiser l'incident. • A Valréas, le comité local a présenté lors de la soirée « Entente du Vaucluse» la reproduction d'une exposition du Musée de l 'Homme à Paris Différences n° 176 juillet 1996 « Tous parents-tous différents » qui invalide scientifiquement le concept de « races ». • A Villeurbanne, la MJC a accueilli le 27 avril la « Fête à Palabres» à laquelle le MRAP était associé. • A Limoges, le 12 mai, l'intervention de George Pau-Langevin lors de la 18ème édition de la fête de l'Amitié entre les Peuples, a mis l'accent sur la banalisation de l'intolérance. • A Tourcoing, le 9 mai, à l'occasion d'unejoumée contre le racisme, une projection du film « L'esclavage hier et aujourd'hui» a été suivie par un débat sur les lois concernant l'immigration. • Le MRAP des Mureaux a organisé le 4 mai un spectacle antiraciste d'un humoriste algérien, F ellag. • Sabine Giraud Vous pouvez joindre Sabine Giraud, au (1) 43148353 du lundi au vendredi de 9h à 12h30 et de 14hà 18h. Elle est désormais l'interlocutrice privilégiée des Comités locaux. • Il SOS Civisme suite de la page 5 Ce survol montre comment le Front national est devenu un parti de militants et non pas seulement de notables. Basant sa tactique sur la« respectabilité» et la banalisation de son intervention publique, il « a plus contribué à hausser le racisme et la xénophobie au niveau de la vie politique qu'à encourager des violences racistes et xénophobes du type de celles que l'on observe en Grande-Bretagne ou en Allemagne» (5). Malgré quelques« bavures permanentes », le FN s'est en effet éloigné des stigmates du groupuscule violent et marginal. Il a réussi à capter l'intérêt d'individus et de groupes dont l'angoisse économique et la désespérance sociale continuent à être ignorées, dans les faits, par les élites politiques. Si les discours du FN agitent toujours le chiffon rouge de l'immigration, il a désormais fait entrer dans sa panoplie électoraliste des réponses plus sociales. L'aggravation des inégalités et de ce que l'on appelle « l'exclusion », ajoutée à l'absence de perspective politique puissante et crédible, semblent devoir conduire inéluctablement vers l'extrême droite des couches populaires « à la fois victimes de la crise socio-économique et devenues incapables de se défendre par elles-mêmes» (6). Sur la question de l'immigration, les lois Pasqua et autres projets de loi servent suffisamment la soupe à Le Pen et à ses acolytes pour qu'ils puissent investir en toute quiétude de nouveaux champs eux aussi plus ou moins laissés à l'abandon. (( Quand c'est qu'on va où?» Dans ce contexte, il n'est peut-être pas tout à fait inutile d'écouter des observateurs aussi avisés et aussi tenaces que Pierre-André Taguieff, Michel Wieviorka ou Emmanuel Todd. Il est indubitable, selon eux, que le FN profite directement et profitera toujours davantage du sentiment largement partagé que la nation et l'Etat national, en tant que cadre et réalité politiques tangibles jusque-là, sont abandonnés au profit de la conversion béate de tous à la mondialisation et à l'Europe. Or, « le mouvement national-xénophobe se renforce du rejet élitiste de la nation, à droite comme à gauche » (7). L'adaptation à la mondialisation et aux techniques modernes apparaissant comme un puits sans fond - toujours moins de travail, plus de chômage et de misère - l'hypothèse serait qu'il faille précisément réinvestir le concept de nation (et sa réalité !) de valeurs civiques, républicaines et de solidarité. Ce qui, autre hypothèse de travail, devrait (à gauche en tout cas ?) se décliner en luttes sociales et en conquêtes civiques. Elaborer des stratégies Quant au travail militant directement dirigé contre le Front national et sa propagande, il faut constater que trois structures nationales fédérant des groupes locaux se sont« spécialisées » dans l'action anti -FN. Il s'agit de Ras l 'Front, des Scalp (Sections carrément anti-Le Pen) et du Manifeste contre le FN (animé par le socialiste JeanChristophe Cambadélis). Ces associations recrutent en majorité des militants très ancrés à gauche et à l'extrême-gauche. D'après une enquête menée par Nonna Mayer (8), ces trois structures rassembleraient environ 2 000 militants à travers la France. L'évaluation des actions reste à faire mais il apparaît que là où les collectifs anti-FN sont forts, le FN reste faible. Cette corrélation n'est probablement pas systématique, mais elle se vérifierait en tout cas à Poitiers, Rennes, Brest et ClermontFerrand. L'ensemble du mouvement associatif antiraciste et de défense des droits de l'Homme est directement interpellé par les progrès des thèses du FN. Pierre-André Taguieff, qui a depuis quelques années déjà apporté une critique radicale (voire provocatrice) à l'antiracisme moralisateur et hyper -médiatisé, formule périodiquement des propositions théoriques et stratégiques que l'on devrait peut-être mieux entendre. Construire l'argumentation Il plaide notamment contre les effets pervers de la réduction de l'antiracisme à un antinationalisme et appelle les associations à un travail permanent de contre-argumentation. Un harcèlement argumentatif qui ne pourra à terme porter ses fruits, asphyxier les discours électoralistes du FN que si la bataille se mène aussi sur le terrain politique, c'est-à-dire contre les causes du mal. Pour Taguieff, l'action antiraciste gagnerait à viser en priorité la prévention plutôt que la répression: « Au lieu de s'attaquer exclusivement au symptôme, elle viserait un traitement global des problèmes. Elle passerait de "l'éthico-légal" au politique, du rappel des principes à l'affrontement des problèmes réels. Elle perdrait son caractè- Différences n° 176juillet 1996 re d'abstraction en cessant de se réduire à une posture morale (se dire contre) et à un appel au respect de la loi (la sanctionjudiciaire ne s'appliquant qu'aux effets socialement les plus visibles des modes de "racisation", et ne frappant guère des racismes que les "bavures"). Ni l'exclusion ni le racisme ne sont des phénomènes sociaux susceptibles d'être directement éliminés par une action socio-politique. Il faut passer de la lutte frontale contre l'exclusion au traitement social et culturel des multiples situations d'exclusion, considérer la diversité concrète des processus et des trajections individuelles d"'exclus". Retour au concret, à l'observable, voire au vécu singulier. De la même manière, l'abstraite lutte contre le racisme se montrerait enfin efficace en se redéfinissant comme un ensemble non fermé d'actions contre les situations, les lieux "racistoïdes", les contextes de "racialisation", etc. » Voilà pour la stratégie; le passage à la pratique, si on partageait l'analyse sous-javente, exigerait à son tour réflexion. On peut à ce sujet, s'interroger sur l'absence de débat politique sérieux, hors échéance et simple calcul électoraux, alors que la menace est si lourde. C'est peut-être au prix de remises en question conséquentes que la lutte contre l'extrême droite acquerrait le souffle civique qui lui manque . • Chérifa Benabdessadok (1) Au Front, Le Seuil, 1987 (2) Enquête au coeur du Front national, Géraud Durand, Ed. Jacques Grancher, mai 1996 (3) Lire l'article de Jacques Ballantines, « Un parti qui séduit les ouvriers pour mieux les défaire », dans Ras l'Front, n037, mai 1996 (4) Ras l'Front, n037, mai 1996 (5) « Racisme, racialisation et ethnicisation en France », Michel Wieviorka, Hommes et Migrations, nO 1195, février 1996 (6) « En France, désespérance populaire et démagogie politique» Alain Bihr, Le Monde diplomatique, Déc. 1995 (7)« De l'antiracisme médiatique au civisme républicain », Pierre-André Taguieff,Hommes et Migrations, n° 1197, avril 1996 (8) Conférence-débat donnée au Cevipof (Centre d'études de la vie politique française / Fondation nationale des sciences politiques) le 26 février 1996 Istanbul: Conférence internationale sur les disparitions SUS.A! cette question sur la scène internationale. Alain Callès a représenté le MRAP Le MRAP a participé à cette Conférence en solidarité avec les millions de travailleurs turcs immigrés ou réfugiés en Europe. La situation dans leur pays ne peut pas nous laisser indifférents, elle nous concerne aussi directement que la situation en Algérie, au Maroc, etc ... et pour les mêmes raisons. La Turquie est désormais partenaire associé à l'Union Européenne

est-ce que sa conception de

la démocratie et des Droits de l 'Homme peut être pour autant considérée comme répondant aux normes de l'Union ?Notre réponse est non! à la première conférence internationale sur les disparitions dans le monde qui s'est déroulée à Istanbul au mois de mai. Compte-rendu et perspectives. SUSMA ou « NE TE TAIS PAS» en turc, tel a été le cri fédérateur de la Conférence internationale contre les disparitions dans le monde qui s'esttenue les 16, 17 et 18 mai à Istanbul, en Turquie. Cette conférence autorisée jusqu'au 15 au soir, puis soudainement interdite, a fait l'objet d'une très forte pression policière. Au total, il y aura eu une trentaine d'arrestations, dont deux délégués étrangers qui ont été expulsés de Turquie. Ce pays n'a pas saisi l'opportunité de la tenue d'une telle conférence sur son sol pour tenter de redorer son blason d'un vernis de tolérance et de liberté d'expression. Il a préféré user de son langage favori: matraque et prison. Les arrestations ont eu lieu lors d'un dépôt de gerbes à la mémoire d'un disparu. Cette démonstration symbolique se déroule le 17 de chaque mois, dans la partie asiatique d'Istanbul, sur une place des Droits de l 'Homme, ainsi baptisée par les démocrates turcs et jamais officiellement baptisée, un peu comme le Pont Saint-Michel concernant la rafle des Algériens le 1 7 octobre 1961. sentant du MRAP. Amnesty International avait envoyé un observateur de Londres, tandis que plusieurs délégués venaient d'Angleterre et d'Allemagne. Les délégués du Chili, de Colombie, de Palestine, d'Uruguay, du Zaïre, ont apporté leur témoignage, leur expérience et leur volonté farouche de porter Toute la presse turque a assisté à l'ensemble des travaux, du Dix pays représentés Une centaine de délégués de dix pays est venue témoigner durant trois jours d'un des actes politiques les plus lâches qui soient: la disparition d'opposants. Trois personnes venaient de France: un observateur de la CGT, un délégué de l'Association des travailleurs turcs en France (ACTIT) et un repré- Comme Kerem L'air est lourd comme du plomb Je crie Je crie Je crie Je crie Venez vite je vous invite à faire fondre du plomb. Il me dit Tant Tu prendras feu à ta propre voix et cendre tu deviendras Comme Kerem brûlé à son amour. de misères, si peu d'amis. Les oreilles des coeurs sont sourdes. L'air est lourd comme du plomb. Et moi je lui dis: « Que je brûle Que cendre je devienne comme Kerem. Si je ne brûle pas si tu ne brûles pas si nous ne brûlons pas comment les ténèbres deviendront-elles clarté. L'air est gros comme la terre L'air est lourd comme du plomb Je crie Je crie Je crie Je crie Venez vite je vous invite à faire fondre du plomb. » Nazim Hikmet (Poète turc ayant passé une bonne partie de sa vie dans les geôles turques) matin jusque tard dans la nuit; curieux de voir les défenseurs des droits de l'homme se faire molester par la police, une soixantaine de journalistes a paradoxalement donné une large audience à la Conférence. Les débats ont parfois atteint une grande émotion lorsque des témoins ont raconté la torture qu'ils ont subie ou la disparition d'un proche. Une importante présence de Kurdes nous rappelle que nous sommes aussi au pays de la répression quotidienne de ce peuple. Des propositions concrètes ont vu le jour : sous l'égide d'un Comité international, il est décidé d'établir une liste internationale de disparus et d'interpeller les pays concernés et les instances internationales. Les semaines du 17 au 31 mai seront spécifiquement consacrées à la lutte contre les disparitions. Il a également été décidé d'éditer un Différences n° 176juillet 1996 bulletin et de mettre en place un tribunal international composé de juristes, de défenseurs des droits de l'homme et de proches de disparus. Ce vaste programme a reçu un grand écho en Turquie, bien au delà de la zone d'influence des organisations progressistes et kurdes ou de défense des droits de l 'Homme qui sont à l'origine de la conférence. Briser le silence Un grand nombre d'Etats a pratiqué et continuent à pratiquer la méthode de l'enlèvement et de la liquidation clandestine des opposants. Cette politique de la terreur a pour but ultime d'isoler et de tétaniser toute opposition sociale ou politique. Dans ce contexte, se taire quand notre solidarité est sollicitée, reviendrait à être complices. Il nous faut aider à briser le silence dont bénéficient les pays qui pratiquent les disparitions; un silence coupable souvent motivé par la volonté de ne pas nuire au petit comme au grand commerce. La 2ème conférence sur les disparitions aura lieu en Amérique latine, région où le mot disparition peut se prévaloir d'une longue tradition. D'ici là, on peut souhaiter que des absents d'aujourd'hui, comme le Maroc, l'Argentine ou le Rwanda, auront rejoint et renforcé le Comité international. Pour sa part, le MRAP devait soutenir une telle initiative dans le cadre d'une conférence regroupant diverses sensibilités. Les pistes dégagées pour mener la lutte contre les disparitions paraissent tout à fait adaptées à une démarche à long terme. Le MRAP y contribuera, avec sa spécificité et son expérience, notamment en tant qu'organisation non gouvernementale siégeant dans les instances de l'ONU . • Alain Callès • Il EN BREF • Création d'un diplôme de troisième cycle « droits de l'Homme» (parrainé par plusieurs associations dont le MRAP) à l'université d'Evry. Pour toute information téléphoner au département de la formation continue au : 6947 70 33. • Hommes et Libertés et Hommes et Migrations coéditent un numéro spécial consacré aux réfugiés et demandeurs d'asile (au prix de 75 francs). Pas moins de cent pages pour décrire, analyser et commenter un sujetclé de ces dernières années. Diffusion: Difpop, 21 ter rue Voltaire, tél : (1) 40 24 21 31 • L'Observatoire international des prisons (OIP) rend public le 20 juin son rapport annuel. Présentation dans le numéro de septembre. L'Europe des charters Soixante-deux Roumains séjournant illégalement en France et en Allemagne ont été reconduits par charter le 15 mai vers Bucarest. Le ministère de l'Intérieur a organisé ce vol spécial en collaboration avec son homologue allemand. C'est la dix-septième opération du même type depuis la première, le 22 mars 1995, par laquelle étaient reconduits des Zaïrois interpellés aux Pays-Bas, en Allemagne et en France. L'Europe des charters se porte bien, merci. Associations en zone d'attente Par un courrier en date du 29 mai, Jean-Paul Faugère, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'Intérieur, informe le MRAP qu'il n'a pas été retenu pour accéder aux zones d'attente. Cinq associations sont à l'heure actuelles habilitées à pénétrer dans ces lieux pour assister les personnes retenues

Amnesty

international, La CroixRouge française, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, la Cimade et France Terre d'Asile. LaCNCDHmet en garde le gouvernement La Commission nationale consultative des droits de l'Homme a rendu public le 3 juio un avis, voté à l'unanimité, dans lequel elle juge CHRONO PO « inopportunes et dangereuses » les propositions et les analyses contenues dans le rapport de la Commission parlementaire sur l'immigration clandestine et le séjour irrégulier en France. La CNCDH, présidée par Jean Kahn, « invite le gouvernement à ne pas les reprendre dans tout projet de loi à l'étude ou à venir ». « Extrême droit» de réponse Le 7 juio, la première chambre du tribunal de grande instance de Nanterre a condamné Le Monde à publier un droit de réponse de Le Pen à propos d'un article qui qualifiait le FN de parti d'extrême droite. Le directeur de publication, Jean-Marie Colombani, s'insurge contre cette décision: «Le droit de réponse "général et absolu" invoqué par les juges de Nanterre est un abus de droit. Dans son emploi courant, la procédure du droit de réponse constitue une contrepartie légitime au pouvoir des médias et contribue positivement à la libre circulation des informations. Mais l'utilisation abusive et délibérément dissuasive qu'en fait, de façon systématique, le Front national - au point d'y avoir recours dès que nous le qualifions, à juste titre, de parti d'extrême droite - , VIse clairement à limiter la liberté d'expression à son propos. » Il faut noter que le quotidien avait fait appel du premier jugement du tribunal qui avait donné satisfaction àla plainte duFN. Jugement sur le fond le 28 juio. Libération a, pour sa part, publié le 19 juio les déclarations de quarante responsables politiques qui affirment toutes que le FN est effectivement d'extrême droite. Il est troublant d'y voir figurer le nom de Suzanne Sauvaigo députée des Alpes-Maritimes et rapporteur de la commission parlementaire sur l'immigration clandestine dont les conclusions ont été publiquement et positivement appréciées par la direction du FN. Dequel Klan s'agit-il ? Plus d'une trentaine d'églises appartenant à des « paroisses noires» ont été détruites en dixhuit mois dans le sud-est des Etats-Unis. Bien qu'aucune preuve tangible n'ait été découverte par les 200 agents du FBI mobilisés, le président Clinton a déclaré le 8 juio : « il est clair que l'hostilité raciale est la motivation d'un bon nombre de ces incidents ». Selon une association de l'Alabama qui se consacre à la surveillance du Ku-KluxKlan, celui-ci n'aurait plus que 5 500 militants pour l'ensemble du pays, soit deux fois moins qu'il y a dix ans. Mais en Caroline du Sud, il existe La gégène en pièces détachées L'amour du commerce dans les pays développés (sic) est sans limite: le rapport 1996(1) d'Amnesty International révèle, en effet, que de nombreux Etats laissent le champ libre à la fabrication et à l'exportation du matériel de torture. Aussi, menottes pour les pouces, fers et entraves pour les pieds, pistolets propulseurs de chocs électriques, fils métalliques tranchants qu'un véhicule peut dérouler sur 200 mètres (efficace pour couper les jambes d'une foule un peu trop attachée au respect des droits de l'Homme) et même livraison de salle de torture clés en main, prolifèrent aux quatre coins du monde. Parmi les pays accusés par Amnesty: les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande Bretagne. Cette dernière dispose d'une réglementation: l'exportation du matos est uniquement autorisé ... en pièces détachées. Amnesty International appelle les Etats concernés à faire cesser ce commerce de la terreur dont « les premières victimes ( ... ) sont les plus pauvres et les plus défavorisés, en particulier les femmes, les enfants, les personnes âgées et les réfugiés. » Chérifa B. (1) Editions francophones, EFAI, 95 francs Différences n° 176juillet 1996 UR MÉMOIRE au grand jour un « musée du Ku-Klux-Klan» fondé par un adepte. Bill Clinton a récemment apporté son soutien à un projet de loi visant à faire de l'incendie d'une église un crime relevant du niveau fédéral. Une récompense de 500 000 dollars (2,5 millions de francs) est promise pour toute information qui permettrait d'arrêter les incendiaires. Tsiganes indésirables « Depuis l'automne, les populations tsiganes sont chassées dans tout le département de Seine- Saint-Denis. Chassés pendant la nuit du 12 au 13 juio des communes d'Aubervilliers et de Saint-Denis, les Tsiganes se sont repliés sur Aulnay où plusieurs véhicules de la police nationale les attendaient. Le MRAP proteste vigoureusement contre ces expulsions systématiques qui ne font qu'aggraver le dénuement physique des personnes les plus vulnérables. Il demande aux autorités de trouver une solution d'urgence et de faire appliquer la législation concernant les aires de stationnement des Gens du Voyage. » (Extraits du communiqué du MRAP du 13.06.96). Tour de France des sanspapiers Les responsables de dix associations (Droits devants, Mrap, Pastorale des Migrants, Syndicat de la Magistrature, Fasti, LDH, Gisti, EmmaüsFrance, SAF, Cimade) signent un texte publié par Libération- 13 juio dans lequel ils présentent la mobilisation des sans-papiers à travers la France et la nécessité d'une régularisation collective

« les réfugiés de

Saint-Ambroise, leurs semblables de Colombes, de Créteil, de l'Hayles- Roses, de Lille, de Longjumeau, de Lyon, de Morlaix, de Nantes, Le FN poursuit le MRAP et l'ATMF Le Front national a porté plainte pour diffamation contre le MRAP par une citation directe du 13juin. Les propos incriminés sont extraits d'un communiqué de presse dans lequell'association déclarait à propos du meurtre d'un jeune Français d'origine algérienne à Sens: « Nul doute aussi que le discours de haine, l'appel à la guerre civile du Front national, et la surenchère démagogique contre l'immigration contribuent à alimenter un climat délétère qui favorise ces agissements.» Le FN poursuite de la même façon l'ATMF etson président, Ali Elbaz. Les responsables des deux associations, ainsi que Pierre Mairat, avocat du MRAP, ont donné conjointement une conférence de presse le 18 juin. Audience le 15 septembre. de Saint-Denis, de Toulouse, de Versailles et d'ailleurs doivent être régularisés. Au-delà, s'il veut éviter que leurs mouvements se multiplient à l'infini, il serait salutaire que le gouvernement régularise l'ensemble des sans-papiers qui se trouvent dans les mêmes situations, et qu'il profite de l'occasion pour changer de politique en révisant dans nos lois ce qui crée des situations humainement et juridiquement inacceptables. » Une paire de baffes En visite dans un quartier sensible de Mulhouse, le ministre délégué à la Ville, Eric Raoult, a expliqué le 15 juio qu'« il y a des problèmes qui relèvent plus de la paire de baffes que de la charge de CRS.» La politique de la Ville est en de bons poings ! Léotard hausse le ton contreleFN Au cours d'un colloque consacré au « populisme nationaliste» organisé les 15 et 16 juio à Chateauvallon, près de Toulon, François Léotard s'est attaqué au Front national en rappelant le passé vichyste de certains de ses membres fondateurs et en comparant ses thèses à celle du fascisme des années trente. Libération a vu dans cet événement comme dans les réactions au droit de réponse du FN dans Le Monde l'éveil antiraciste de la droite républicaine. On l'espère de tout coeur. Les vingt ans des enfants de Soweto Il y a vingt ans, le 16 juio 1976, dix mille écoliers et lycéens noirs marchaient à l'appel des responsables de leurs organisateurs pour se rendre à un meeting. Ils protestaient l'introduction de l'afrikaans dans leurs écoles. La police agissant «avec sang froid et un minimum de violence », selon l'expression du ministre de la Police de l'époque, a tiré dans le tas et dans le dos : 140 morts en une semaine d'émeutes, entre 500 et 800 les semaines suivantes! Ce jour là, Steve Biko, l'un des leaders du Mouvement la Conscience noire, était encore vivant. Quelques mois plus tard, il mourait comme tant d'autres en prison, victimes de « suicides» ou d'autres raisons toujours très mystérieuses. La famille de Biko et celles d'autres victimes de la barbarie raciste blanche demandent réparation. Bravo, madame la Présidente Marie-Christine Blandin, présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais a symboliquement jeûné pendant une journée le 20 juio en solidarité avec les étrangers parents d'enfants français en grève de la faim à Lille. Eléments d'information rassemblés par Chérifa Benabdessadok Différences n° 176juillet 1996 EN BREF • Rassemblement pour Véronique Akobe organisé le 30 mai au parvis des droits de l'Homme à Paris par l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Véronique Akobe est en prison pour avoir tué son employeur qui l'avait séquestrée et violée. • Le tribunal administratif de Lyon a rendu le 12 juin la décision suivante: les risques d'excision forcée auxquelles sont exposées les filles d'une Guinéenne en situation irrégulière la rendent inexpulsable vers son pays d'origine. • Selon un article du Monde du 15 juin, le Premier ministre aurait décidé de renoncer, pour le moment, à légiférer à nouveau sur l'immigration. Une information démentie les jours suivants. Info ou intox ? • Il Le droit et vous lA illE SEllAMI NE SERA PAS RECO TE À lA FRONTIÈRE Paul Muzard présente ici l'histoire de la demande d'asile d'une famille algérienne sur laquelle le conseil d'Etat a statué en mai dernier. EN SEPTEMBRE 1994, les habitants du petit village de Pierrelongue, dans la Drôme, sont vraiment scandalisés par la manière musclée utilisée par les gendannes POUf« enlever» la famille Sellami. La localité avait été encerclée au petit matin. Les conditions de cette arrestation, plus que son motif, provoquent J'émotion de ces citoyens qui estiment beaucoup cette famille parfaitement intégrée parmi eux. Déboutés par l'Of pra Il s'agissait d'une reconduite à la frontière algérienne par arrêté du préfet de la Drôme. La famille Sellami, gravement menacée par le Front islamique du Salut, était venue en France deux ans plus tôt munie d'un visa touristique et avait aussitôt sollicité le droit d'asile. Mais l'Otpra, puis la Commission de recours, déboutent M. et Mme Sellami de leur demande. Après avoir laissé l'année scolaire aller à son terme, le préfet procède donc à l'exécution de son arrêté et la famille est conduite en centre de rétention. Elle fait naturellement appel auprès du tribunal administratifde Grenoble. C'est la mobilisation générale: leurs amis de Pierrelongue (maire en tête) et de Buis-les-Baronnies affrêtent un car cependant que le MRAP alerte ses adhérents et sympathisants de Grenoble. Au terme des auditions, le juge administratif déclare fondée la reconduite à la frontière, mais souligne l'erreur d'appréciation du préfet qui voulait faire reconduire les personnes concernées en Algérie; il considère « que les menaces pesant sur la personne de Monsieur Sellami étaient., en l'état du dossier soumis au tribunal, établies; (dès lors), la décision de reconduire monsieur SellamÎ en Algérie comportait en conséquence des risques d'une exceptionnelle gravité ». Mobilisation générale Le préfet assigne alors cette famille à résidence à TainL'Hermitage, près de Valence, dans un appartement qu'il réquisitionne; la famille doit payer le loyer bien que ses membres n'aient pas le droit de travailler. Après avoir vainement cherché un pays d'accueil, le préfet décide de faire appel de la décision du tribunal administratif auprès du Conseil d'Etat. Dès que la décision de l'assignation à résidence est connue, le MRAP alerte les amis de Tain L'Hermitage et de Tournon, ville limitrophe de l'Ardèche. Aussitôt se crée un large comité de soutien qui assure à la famille un minimum de mobilier et intervient auprès du préfet. Pétitions, puis appels de personnalités et initiatives diverses se succèdent tout au long des dix-neufmois d'attente de la décision; il s'agissait d'établir un rapport de forces en cas de conclusion négative. Par un arrêt du 10 mai 1996, le Conseil d'Etat valide le jugementdu tribunal administratif: la famille Sellami ne sera pas reconduite à la frontière. Dès avant que soit connue cette décision, le préfet de la Drôme avait fait savoir que dans cette hypothèse, il régulariserait la famille, aucun pays étranger n'accordant dans la période présente de visa à des Algériens. Il reste, dans l'immédiat, à attendre la confirmation de ces décisions justes et de bon sens. La décision du conseil d'Etat, un acquis jurisprudentiel 1 / L'action du comité de soutien a été déterminante pour le moral de cette famille. Il a accompli un permanent travail de sensibilisation aux problèmes de tous les réfugiés menacés de mort dans leurs pays, dont la famille Sellami est un casexemplaire. Il a dû s'opposer aussi aux rumeurs malveillantes propagées par des menées xénophobes. Il se devait parailleurs, par des contributions diverses, d'assurer le minimum vital aux assignés à résidence. 2 / Le comité de soutien est devenu un interlocuteur auprès des administrations et surtout auprès du préfet. Auprès des administrations pour faire reconnaître les droits des membres de la famille, les enfants scolarisés notamment. Auprès du préfet pour lui rappeler qu'il détenait un pouvoir personnel d'appréciation; dialogue vain, Différences n° 176juillet 1996 le préfet persistant à dire qu'il ne disposait pas d'éléments déterminants. L'arrêt conclut que le préfet ne pouvait légalement décider le renvoi des intéressés enA/gérie. 3 / Enfin la décision du Conseil d'Etat est en contradiction avec celles de l'Ofpra et de la commission de recours. L'arrêt conclut que « le préfet de la Drôme ne pouvait légalement décider le renvoi des intéressés en Algérie. )) Il y a sans doute, en la matière, un acquis jurisprudentiel. • Paul Muzard 89, rue Oberkampf 75543 Paris Cedex II Tél.:43 148353 Téléoopie:43 148350 • Directeur de la publication Mouloud Aounit • Gérant bénévole Martial Le Nancq • Rédactrice en chef Cherifa Benabdessadok • Administration - 9estion Patricia Jouhannet • Abonnements Isabel Dos Martires 120 F pour Il numéros/an 12 F le numéro • Maquette Cherifa Benabdessadok • Impression Montligeon Tél. : 33 85 80 00 • Commission paritaire n" 636341SSN 0247-9095 Dépôt légal 1996-7 1

Notes

<references />

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