Différences n°100- mars 1990 spécial extrême-droite

De Archives
Aller à la navigation Aller à la recherche

Sommaire du numéro

n°100 mars 1990 numéro spécial: l'extrême-droite en face

  • Editorial; enfants de Pétain
  • Le front des extrêmes
    • L'extrême-droite en question par Michel Soudais
    • Les patriarches, les fondateurs: Henri Colson, Maurice Bardèche, Charles Maurras, Léon Daudet, **Edouard Drumont, François de la Roque, Jacques Doriot
    • La nouvelle garde: Jean-Yves Le Gallou, Jean-Gilles Malliarakis
    • De multiples facettes par Jean-Yves Camus
    • Les nationaux catholiques par Jean-Yves Camus
    • Les négateurs: des semeurs de haine; entretien avec Pierre Vidal-Naquet recueilli par René François
    • Laboratoires propres et idées salespar Bernard Lanvin
    • L'heure de l'horloge par Michel Soudais
    • Internationales: les orchestres noirs par Robert Pac et René François
    • Le Pen est-il fasciste par Joseph Algazy
  • 15% pourquoi et vers quoi
    • 4,5 millons d'électeurs entretien avec Hervé Le Bras recueilli par Laure Fasfargues
    • Un électorat en mutation par Philippe Moreau
    • Front national: démontez le programme par René François
    • Le front... ça fait mâle par Marina Da Silva
    • La dictature des seigneurs par Cherifa Benabdessadok
    • Préférer pour exclure par Cherifa Benabdessadok
    • Au nom des chefs: une enquête de Suzanne Kala-Lobé
    • Mensonges et vérités par René François
  • La France à tout le monde
    • Les uns et les autres par Cherifa Benabdessadok
    • Le prix du détail par Jean-Marc Heller
    • Les insuffisances de la loi par Isabelle Andrée
    • Les armes de la démocratie: entretien avec Paul Bouchet recueilli par Cherifa Benabdessadok
    • Paravents par Pierre Krauss
    • Rock against fascism par Luigi Elangu
    • Table ronde: au cœur d'une société malade avec Marie-Claude Vaillant-Couturier, Pascal Périneau, Anne Tristan
    • La bibliothèque du parfait antifasciste
    • Cinéma: images de l'ombre et de l'oubli par Christiane Dancie

Numéro au format PDF

Cliquez sur l'image ci-dessous pour avoir accès au document numérisé. Cliquez ensuite sur l'onglet "précédent" de votre navigateur pour revenir à cette page.

Voir-pdf.jpg

Texte brut

Le texte brut de ce document numérisé a été caché mais il est encore visible dans le code source de cette page. Ce texte ne sert qu'à faire des recherches avec la fonction "rechercher" dans la colonne de gauche. Si une recherche vous a amené sur cette page, nous vous conseillons de vous reporter ci-dessus au document numérisé pour en voir le contenu.

boissons différentes . tous les goûts tous les instants de la journée. E LE PLAISIR DE TOUTE LA F ~a.a.JLJ&J"'" C'EST PRÊT ... Versez,buvez! D 1 T ENFANTS DE PETAIN e Boulanger aux Ligues fascisantes de 1936, de l'OAS à Poujade et jusqu'à Le Pen, les droites radicales ont toujours su avoir deux fers au feu. Un courant populiste et démagogue assure une base populaire non négligeable; dans l'ombre et le secret, un autre courant s'organise en groupuscules violents, encore plus extrémistes. Toute cette mouvance a en commun un ressort idéologique essentiel: l'exclusion et le racisme marié à un nationalisme frileux, appuyé sur toutes les peurs, drapé dans un passé mythifié. Au Front national, c'est la « préférence nationale» qui porte le racisme, largement partagé dans ses rangs et nourri par les propos de ses dirigeants. Dans les groupes néo fascistes comme le PNFE ou l'OEuvre française, c'est le « mort aux bicots» qui débouche sur les ratonnades ou les bombes. Le fond est le même, ils se retrouvent tous sur « la France aux Français ». Avec Pétain, l'extrême droite fut un temps au pouvoir en France et les juifs servaient alors de boucs émissaires. Les Français s'en souviennent-ils comme de moments de bonheur et de fierté nationale? Aujourd'hui, ces mêmes mouvements tuent ou inspirent les tueurs d'immigrés à Paris, Bordeaux, Nice, Castres, Marseille, Lyon ou Lille. Ils agressent et tentent de faire régner la peur dans les communautés étrangères. Ils visent aussi les Français qui refusent de voir ce pays livré au nationalchauvisme. On ne peut cependant s'arrêter au symptôme. C'est la crise qui sert d'engrais à l'extrême droite. C'est la crise qui a déstabilisé et marginalisé des millions de citoyens au point de leur faire paraître tentant le recours à l'autoritarisme le plus extrême. La crise est l'engrais, mais le terreau existait avant. Les vraies solutions passent par des remises en causes profondes du fonctionnement de notre société trop foncièrement inégalitaire. Le Pen et consorts n'ont pas inventé l'exclusion. Ils se sont contentés de promettre aux exclus du système qu'il fallait d'abord en exclure d'autres pour qu'enfin ils existent. Différences o 3 ---MODE MASCULINE-----. On ne trouve pas de soldes au Dépôt des Grandes Marques Vente sans intermédiaires Les griffes les plus prestigieuses des couturiers français et italiens (dont on ne peut citer les noms) à "prix fabricant", Du 38 au 64 atelier de retouches ouvert du Lundi au samedi de 10h à 19h D.G.M. 15, rue de la Banque 75002 PARIS MO Bourse - 42.96.99.04 recommandé par Paris pas cher ----------... sanOfi Votre vie, 'au'ourd'hui et demain. 30 milliards de francs de chiffre d'affaires dont plus de 60 % hors de France 3 secteurs d'activité complémentaires: SANTE HUMAINE BIO-ACT/VITES PARFUMS - PRODUITS DE BEAUTE SA MA TIERE PREMIERE : LA RECHERCHE - 7,8 milliard de FF - un centre pilote en Europe de recherche en biotechnologies - des accords avec des instituts de recherche internationaux SES A TOUTS : SES EQUIPES D'HOMMES - 35 000 personnes dont 7 a 000 hors de France SON IMPLANTATION INTERNATIONALE - Présence dans plus de 7 00 pays + Magazine créé par le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), édité par la Société des éditions Différences 89, rue Oberkampf 75011 Paris. Tél. : (1) 48.06.88.00 TARIFS le numéro spécial : 40 F le. numéro mensuel: 10 F ABONNEMENTS 1 an: 10 nO mensuels et 4 nO spéciaux: 200 F 1 an à l'étranger: 300 F 6 mois: 120 F Etudiants et chômeurs, 1 an: 150F 6mois:80F (joindre une photocopie des cartes d'étudiant ou de pointage) Soutien : 300 F Abonnement d'honneur: 1 000 F DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Albert Lévy REDACTION en chef: René François Cherifa Benabdessadok Maquette/Secrétariat de rédaction: LA GRAF/ (Annette Lucas, Marina Da Silva) Iconographie: Joss Dray ADMINISTRA TION/GESTION Marie-Odile Leuenberger ONT PARTICIPE A CE NUMERO Michel Soudais, Jean-Yves Camus, Bernard Lanvin, Robert Pac, Joseph Algazy, Laure Lasfargues, Philippe Moreau, Marina Da Silva, Suzanne Kala-Lobé, Jean-Marc Helier, Isabelle Andrée, Luigi Elongui, Christiane Dancie, Yves Thoraval, Anne Tristan,Pascal Perrineau, MarieClaude Vaillant-Couturier. Photocomposition: PCP 17, place de Villiers, 93100 Montreuil Tél. : 42.87.31.00 Impressions: Montligeon. Tél. : 33.83.80.22 Commission paritaire nO 63634 ISSN 0247-9095 Dépôt li gal : 1990-03 La rédaction ne peut être tenue p.our resp.onsable des ph.ot.os, textes et d.ocuments confiés. Photo couverture: Ribolowsky/ Rea. L'EITREME DROITE EN FACE o M M LE FRONT DES EXTREMES 8 L'EXTREME DROITE EN QUESTIONS. Michel Soudais. 14 DE MULTIPLES FACETTES. JeanYves Camus. 16 LES NATIONAUX CATHOLIQUES. Jean-Yves Camus. 17 DES SEMEURS DE HAINE. Pierre Vidal-Naquet interrogé par René François. 20 LABO RA TOIRES PROPRES ET IDEES SALES. Bernard Lanvin, et l'HEURE DE L'HORLOGE, Michel Soudais. 22 LES ORCHESTRES NOIRS. Robert Pac et René François. 24 LE PEN EST-IL FASCISTE? Joseph Algazy. 1 5 % : POURQUOI ET VERS QUOI ? 28 4,5 MILLIONS D'ELECTEURS, Laure Lasfargues, et UN ELECTORAT EN MUTATION. Philippe Moreau 31 DEMONTEZ LE PROGRAMME! René François 33 LE FRONT ... ÇA FAIT MÂLE. Marina Da Silva. 34 LA DICTATURE DES SEIQNEURS. Chérifa Benabdessadok. DfFFERENCES A 1 R E 37 PREFERER POUR EXCLURE. Chérifa Benabdessadok. 38 AU NOM DES CHEFS. Suzanne KalaLobé 40 MENSONGES ET VERITES. René François. LA FRANCE A TOUT LE MONDE 46 LES .UNS ET LES AUTRES. Chérifa Benabdessadok 48 LE PRIX DU DETAIL. Jean-Marc HelIer, SO LES INSUFFISANCES DE LA LOI, Isabelle Andrée, et LES ARMES DE LA DEMOCRATIE, Paul Bouchet, interrogé par Chérifa Benabdessadok. S4 ROCK AGAINST FASCISM. Luigi Elongui. p.56 TABLE RONDE AU COEUR D'UNE SOCIETE MALADE Anne Tristan, Pascal Perrineau et Marie Claude Vaillant-Couturier, résistante et déportée réunis par René Fran~ois 62 BIBLIOTHEQUE DU PARFAIT ANTIFASCISTE. Michel Soudais. 6S IMAGES DE L'OMBRE ET DE L'OUBLI. Christiane Dancie. 66 AGENDA CULTURE. MARS 1990 5 REVUE DE TROUPES LE RONT 6 , extrême droite se réunit autour de quelques réflexes et quelques racines historiques et théoriques. En dehors de cela, la diversité des droites radicales rend plus difficile leur appréhension. Groupuscules néonazis, négateurs, nationaux-catholiques, internationales noires ou intellectuels plus ou moins ultralibéraux forment un maquis, à l'abri des regards, derriére l'arbre du Front national. DES EXTREMES Tout débroussaillage demande une connaissance du terrain. 7 L'EXTREME DROITE elativement bien circonscrite à quelques activistes dans les années soixantedix, l'extrême droite s'enfle à mesure que s'accroît l'audience du Front national. Bigo'ts lefebvristes, intellectuels païens émerveillés devant les alignements de Stonehenge ou fous de légendes teutones, maniaques de la désinformation, nostalgiques de l'Ancien Régime, skins ivres de bière et de haine, plastiqueurs de foyers Sonacotra ... tous se retrouvent parfois bien malgré eux sous une enseigne commune, sorte de tiroir fourre-tout de la politique. « On accuse d'extrême droite les gens que l'on veut déconsidérer. »Jean Ferré, le président de Radio Courtoisie, exprime parfaitement le refus de cette étiquette. Ce n'est pas Bruno Mégret, délégué général du Front national, qui le contredira. « Quand on veut tuer son chien on l'accuse de la rage» fait partie de ses proverbes favoris. Même Jean-Marie Le Pen en convient: « Qu'on le veuille ou non, l'extrême droite sent le soufre (1). » Ce faisant, il reconnaît implicitement s'adresser à un public qui ne dédaigne pas toujours s'identifier comme tel, d'où l'injonction à se réclamer d'une bannière plus présentable: « Que cette réputation soit justifiée ou non, on est obligé de tenir compte de la représentation que s'enfait le public. (. . .) Dans un pays où, naguère personne, à part le Front national, n'acceptait de se dire de droite, tant le mot paraissait chargé négativement, on comprend que celui d'extrême droite ne puisse attirer que les romantiques amoureux des causes perdues et du camp des maudits ou les masochistes. » UNE NOTION FLOUE ET POLEMIQUE Sans doute conscient de la faiblesse de cet argument pour empêcher une telle identification négative de son mouvement qu'il assimile à une « étoile jaune », Jean-Marie Le Pen sait se faire, suivant les occasions, linguiste ou politotologue

« Nous ne sommes extrémistes

ni dans nos idées ni dans nos méthodes. » Il y aurait donc un mot de trop dans l'expression identificatrice, un mot qui le gêne d'autant plus que « la sémantique elle-même n'est pas neutre, puisque l'adjectif d'extrême gau- Les droites et droites extrêmes ont toujours été en France variées et multiples avec des liens et des rivalités d'une grande complexité. Le danger des unes et des autres varie avec la situation historique et sociale dans laquelle elles s'ancrent. Qu'en est-il aujourd'hui ? che est gauchiste, et que l'adjectif d'extrême droite est extrémiste de droite, ce qui laisse entendre qu'elle mettrait au service d'idées extrémistes ou révolutionnaires des méthodes extrémistes ou terroristes. » Politologue enfin

ce serait « une notion floue, imprécise,

équivoque, d'usage plus polémique que scientifique ». Sur ce dernier point, on ne peut lui contester une certaine justesse de vue. De moins en moins employée par les politologues, à l'exception notable des études électorales pour lesquelles le positionnement sur « l'axe droite-gauche» autorise seul des comparaisons que ne permettrait pas la valse des sigles, la notion d'extrême droite a été sérieusement malmenée par les travaux de PierreAndré Taguieff. Selon ce chercheur au CNRS, qui lui préfère l'appellation générique de « droites radicales» (le pluriel renvoyant à une pluralité de formes et de doctrines), il ne s'agit que d'une « dénonciation démonisante », une « labellisation figée» empruntée à « la démonologie de propagande de tradition antifasciste », en aucun cas explicative. Bien au contraire, en retombant dans des schémas préétablis, elle ferait l'impasse sur la connaissance du phénomène, à commencer par sa dimension idéologique (2). Un mensuel particulièrement bien informé sur le sujet, le Choc du mois, a pourtant consacré, en mai 1988, un important dossier à « l'extrême droite en France» (3). Provocation ? Sans doute pour une bonne part. Comme l'écrivait Jean Bourdier, nommé depuis rédacteur en chef de National-Hebdo, dans un éditorial, « L'extrême droite est, pour l'Evénement du jeudi, ce que les salaires des cadres sont pour le Point. Et qu'importe si, dans leurs articles, des erreurs matérielles grossières se mêlent aux assimiltions abusives ! » Le dossier du Choc du mois se voulait donc une « mise au point ». Il s'agissait ni plus ni moins de décrire et de raconter. Avec deux sous-entendus toutefois, l'un avoué, l'autre inscrit entre les lignes. En reprenant la terminologie courante dans le titre de leur dossier, les responsables de ce journal souhaitaient en « démontrer précisément l'inanité ». La diversité des organisations rencontrées aboutissant de facto à une diversité telle qu'il devenait impossible de les regrouper sous un seul concept. Plus incidieusement il s'agissait de dédouaner le Front national. Tous les articles étaient consacrés aux petits groupuscules se réclamant qui du royalisme, qui d'une troisième voie ni capitaliste ni marxiste, qui d'un celtisme originel, etc. Comme si le mouvement de Jean-Marie Le Pen n'avait rien (ou plus rien) à voir avec ces organisations. Avec un an d'avance, ce dossier répondait au voeu d'Yvan Blot, député européen de ce parti. Dans une interview au Quotidien de Paris il souhaitait qu'apparaisse « un vrai partifascisant sur sa droite pour que l'on constate que ses thèses ne sont pas si extrémistes que ça ». Selon l'ancien président du Club de l'Horloge, Yvon Blot, le Front national « est un parti national-libéral, ni plus ni moins ». . FN : UN MOUVEMENT HETEROGENE Un jugement que ne partage pas tout à fait Jean-Claude Bardet, le rédacteur en chef de la très sérieuse revue Identité, « revue d'études nationales », créé sous le patronage du conseil scientifique du Front national. Dans une interview donnée au Choc du mois (novembre 1989), cet ami personnel de Bruno Mégret et ancien membre du Club de l'Horloge comme lui, a fait connaître son opposition au libéralisme considéré comme un « en- EN QUESTIONS 8 nemi ». « Je ne pense pas contrairement au Club de l'Horloge, qu'il soit possible d'allier le projet libéral et la volonté identitaire (4). A l'origine, la droite, c'est-à-dire la contrerévolution, avait parfaitement stigmatisé le libéralisme comme ennemi principal. Par la suite, le libéralisme a glissé à droite malgré lui. La Seconde Guerre mondiale ayant massivement contribué à la déligitimation des valeurs qui constituaient le patrimoine de la vraie droite, celle-ci a dû négocier son retour à la scène publique en acquittant aux tenants de l'égalitarisme un droit de respectabilité souvent exorbitant. Dans le contexte de la guerre froide, elle a dû faire allégeance à l'atlantisme et à l'économisme libéral. » Cette époque est pour lui révolue. « La droite doit se remettre au travail, exhausser son héritage propre et créer de nouveaux discours. »On ne saurait être plus clair. Sans doute faut-il voir dans la « droite de conviction », chère à Bruno Mégret, cette « vraie droite» que le théoricien fasciste italien, Julius Evola, opposait à « la droite économique ». Cette polémique récente a le mérite de rappeler que le monolithisme idéologique du Front national a toujours été une illusion. Dès 1972, on y trouve plusieurs tendances, représentants chacune une sédimentation historique

maurrassiens orthodoxes, pétainistes,

ex-députés « Algérie française », nationalistes révolutionnaires auxquels se sont joints par la suite solidaristes, catholiques intégristes, dissidents maurassiens, et dernièrement des « déçus» de l'UDF et du RPR, etc. Cette diversité d'origine induit deux conséquences principales: 1. Bien malin celui qui voudrait établir la filiation historique du parti de Jean-Marie Le Pen. On peut y trouver tout et le contraire de tout. Le Front national, comme son nom l'indique, est un rassemblement. C'est en juin 1972 que le deuxième congrès d'Ordre nouveau adopte une stratégie de « front national. » Une idée lentement mûrie depuis un an, selon Alain Rollat qui explique très bien cette genèse du parti de JeanMarie Le Pen (5). Jugeant alors « possible de doter le nationalisme d'une base populaire solide car la montée des mécontentements rend une bonne partie des Français beaucoup plus accessibles à des solutions radicales» les dirigeants du mouvement néofasciste souhaitent copier le modèle du Mouvement social italien en se fondant dans un groupement électoral plus large. Tout en escomptant bien garder le leadership sur le nouveau mouvement, ils affirment n'avoir qu'une « seule loi », celle « révolutionnaire» de « l'efficacité». Or celle-ci commande que les querelles de chapelles idéologiques s'effacent devant le but à atteindre. Elle commande aussi de confier la direction du Front national à un homme d'apparence modérée. Ce sera, après divers contacts, Jean-Marie Le Pen. Si les jeunes leaders d'Ordre nouveau ont par la suite été dépossédés de leur enfant, il n'est pas interdit de penser que dans ses grandes lignes le projet a été conservé. Au demeurant les analyses qui avaient conduit à son élaboration étaient assez justes. 2. Le brassage d'influences doctrinales nombreuses et variées a eu pour résultat l'élaboration d'une doctrine nouvelle, non chimiquement pure comme c'est de règle en matière d'idée, que Pierre-André Taguieff a choisi de nommer « national-populisme ». NATIONAL-POPULISME Si l'étude de cette doctrine est encore à l'état d'ébauche (6), il est permis d'en tracer les grandes lignes. A commencer par un postulat de départ bien nécessaire : le Front national a une idéologie dont il est trop facile de dire qu'elle constitue le « degré zéro de la politique ». Sa première caractéristique est de se vouloir révolutionnaire. Appel au peuple pour une « vraie révolution française », souhait de « changements tout àfait importants d'orientation et de structures », volonté d' « opérer un rétablissement spectaculaire» en constituent les principales lignes de force. Un révolutionnarisme qui ne craint cependant pas de s'afficher aussi réactionnaire: « Si être réactionnaire, c'est réagir comme un organisme réagit en face de la maladie, eh bien 9 Défilé du FN. Anciens comb,"f"nfs. oui, je suis réactionnaire », confesse JeanMarie Le Pen. Mêlée à un nationalisme traditionnel dans la droite française depuis la fin du XI Xe siècle, celui de Barrès et de Drumont, cette idéologie ne peut entrer dans les catégories instituées par René Rémond dans sa thèse sur les droites en France. L'idéologie frontiste ne se réduit ni au légitimisme ni au bonapartisme et n'a quasiment rien à voir avec l'orléanisme. En revanche, la distinction opérée par Zeev Sternhell entre deux droites antagonistes, l'une conservatrice, l'autre révolutionnaire, qualifiée aussi de « préfasciste » dans sa période 1885-1914, semble plus à même de rendre compte du fossé qui sépare actuellement la droite médiatiquement qualifiée de « parlementaire »du parti de Jean-Marie Le Pen. PREFERENCE NATIONALE OU LOGIQUE TOTALITAIRE Ce nationalisme rénové s'ordonne autour d'une idée clef: la préférence nationale. Un thème qui met l'identité au centre non de toutes les préoccupations mais de toutes les décisions en les faisant procéder d'« une hiérarchie concentrique des affections et des devoirs ». Relativement bien adaptée à la situation actuelle, cette idéologie assure son succès sur deux points principaux: 1. Peu importe que son révolutionnarisme soit 10 cc Celui qui est capable de marcher au pas derrière une musique militaire n'a pas besoin d'un cerveau. Une moëlle èpinière lui suffit. )) Einstein. réactionnaire, à l'heure où le populisme qui n'est pas spécifiquement de droite ou de gauche est abandonné par celle-ci, le Front national répond en quelque sorte à une demande. Ce qu'Alain Rollat avait très bien senti en affirmant dès 1984 que la gauche en se convertissant à un mode classique de gestion de la société avait « cessé de faire rêver ». 2. Alors que la question de l'identité est au centre de nombreuses interrogations, le Front national, à la suite du Club de l'Horloge qui en a forgé l'expression, joue les charmeurs en proposant sous court de « préférence nationale » de remettre au goût du jour, à l'abri des frontières nationales, une « philosophie» de l'agir, véritable logique totalitaire égalisatrice. « Pour une organisaiton qui fonctionne selon le principe de quiconque n'est pas inclus est exclu, quiconque n'est pas avec moi est contre moi, le monde perd les nuances, les différenciations et les aspects pluralistes qui, de toute manière, étaient devenus une source de confusion insupportable pour les masses qui avaient perdu leur place et leur orientation », nous explique Hannah Arendt (7). Si le Front national s'affirme aujourd'hui comme le principal représentant des droites radicales (hégémonique dans le champ politique, dominant dans celui des idées), elles ne s'y réduisent pas pour autant. A sa droite et à sa gauche, pour reprendre des notions classiques, subsistent des partis et mouvements divers. Rivaux entre eux, jaloux de leur autonomie à son égard, leur influence sur lui, voire au-delà de leur champ d'appartenance, n'en est pas moins réelle. Michel Soudais 1. Jean-Marie Le Pen, Les Français d'abord, éd. CarrèreMichel Lafon, 1984, p. 179. 2. Cf. Pierre-André Taguieff « La doctrine du nationalpopulisme en France », in Etudes, janvier 1986, p. 27-46 ; repris et complété dans Le Front national à découvert, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989, chap. 10. 3. Choc du mois, est le dernier « mensuel branché» des milieux nationalistes durs. 4. Pour mieux comprendre la polémique entre les tenants du nationalisme et les « libéraux », provoquée par la 5' université du Club de l'Horloge, on se reportera à l'article de Sylvie Mantrant paru dans Celsius, nO 25 (voir bibliographie). 5. Alain Rollat, Les hommes de l'extrême droite, p. 49-60. 6. Annoncé chez Seuil en septembre 1989, l'ouvrage que Pierre-André Taguieff souhaite lui consacrer n'est toujours pas sorti. Mais plusieurs articles parus en constituent déjà la préfiguration. 7. Le système totalitaire, Seuil, coll. Points, p. 108. 1 LES PATRIARCHES HENRY COSTON : LA MEMOIRE Fête des Bleu-BlancRouge. Les lunettes bien ajustées audessus d'une moustache grisonnante qui semble bien avoir été taillée une bonne fois pour toutes il y a soixante ans, l'homme qui dédicace nonchalemment au fond d'un stand fait corps avec ses livres. Ils sont presque tous là, dans un ordre maniaque. Lafortune anonyme et vagabonde, Le veau est toujours debout, Les financiers qui mènent le monde, Dictionnaire de la politique française, Dictionnaire des pseudonymes, etc. Autour de lui pas de battage commercial, juste le bouche à oreille : « Il est là. »11, c'est Henry Coston. Pour eux c'est« la mémoire de la droite », un surnom donné un jour par François Brigneau et qui lui est resté ; pour d'autres, le « vieil antisémite » ou le« vieux renard» quand ces deux expressions ne sont pas mélangées. Né en 1910, la politique lui tombe dessus à quinze ans sous la forme d'une collection de L 'oeuvre et d'un livre d'Edouard Drumont, Lafin d'un monde. C'est la révélation. Une affiche de l'Action française proclame« La République c'est le règne de l'étranger ». Il adhère et se retrouve propulsé, en 1926, secrétaire de la section de Villeneuve-sur-Lot. Le journalisme est déjà sa passion et le nationalisme drumontien l'emporte sur le royalisme maurrassien. Un petit héritage en 1930 lui permet de monter à Paris ressusciter La libre parole, le quotidien de son grand homme. Il y restera aux commandes jusqu'en 1939, date de son interdiction. En 1933, il fonde un éphémère Front national ouvrier paysan dont la doctrine s'apparentait au national-socialisme. C'est sans doute ce qui lui a valu de faire partie de « cette tourbe» qui, selon l'historien Philippe Burrin, dès cette date« défila à l'ambassade d'Allemagne ». pour y « quêter ( ... ) reconnaissances et subsides. » Mais la politique ne lui réussit pas. Candidat en 1936 à Alger, il est battu. Comme l'explique fort bien son ami, Jacques Ploncard d'Assac, « Drumont nous avait appris qu'il existait des forces occultes derrière les pantins des partis politiques. Juiverie, franc-maçonnerie, ploutocratie étaient les rois de la République. Nous allions passer notre vie à les débusquer, à les reconnaître, à les dénoncer. » L'arrivée de Pétain au pouvoir est l'occasion rêvée. Membre du Parti national-socialiste français dès l'été 1940, Henry Coston se voit confier le dépouillement des archives de la Grande Loge, tandis que le Grand Orient échoit à son complice. Condamné à la réclusion perpétuelle en 1947, grâcié en 1952, il commence, en 1951, à écrire de nombreux livres pour « fournir en munition tous les amis de la bonne cause» et lance, en 1957, une revue mensuelle intitulée Lectures françaises. Une « librairie française» et une maison d'édition du même nom assurent une diffusion suffisante. A la tête d'une importante documentation et d'un gigantesque fichier manuel aussi performant que le système à tringles de l'ancien PMU, il se plaît à révéler l'origine ethnique ou le véritable patronyme (toujours lumineux quand c'est Lévy ou ... Blum) de ses adversaires politiques, des artistes en vue, en agrémentant le tout d'un antisémitisme allusif. Seul devant la tâche, il vend en 1975, sa « librairie française» à Jean-Gilles Malliarakis, ordinairement considéré comme le leader du courant néo fasciste français et actuel chef de file du mouvement Troisième Voie. En 1977, il cède la direction de sa revue à Jean Auguy, un traditionaliste catholique à la tête d'un important réseau de diffusion d'ouvrages contre révolutionnaires. En 1985, il confie la diffusion de ses oeuvres à une Société française de documentation et de prospective qui n'est autre que le nom commercial de la librairie Ogmios. MAURICE BARDECNE Une pipe à la bouche, la main tremblante et le verbe ronronnant, Maurice Bardèche pourrait être n'importe quel vieillard en retraite. A quatre-vingts ans, il a encore publié l'an dernier un ouvrage de critique littéraire consacré à Léon Bloy. Un retraité studieux revenu, ces dernières années, à ses travaux d'antan. Une lointaine époque qui vit ce normalien - il était dans la même promotion que Thierry Maulnier, Jacques Soustelle -, devenu agrégé de lettres, occuper une chaire d'université. C'était avant que la Libération ne frappe sa famille en la personne de cet autre condisciple devenu son beau-frère, Robert Brasillach. Cet événement personnelle jette dans la politique. En 1947, sa Lettre à François Mauriac attaque violemment la législation et 1'« idéologie » de l'épuration. Un an plus tard, il se fait encore plus virulent dans un ouvrage intitulé Nuremberg ou la Terre promise, publié dans sa propre maison d'édition qu'il vient de créer, Les sept couleurs, du nom d'un roman de son tristement célèbre beau-frère. Il y dénonce non seulement la législation du tribunal international sur les « crimes de guerre» auquel il reproche de ne juger que ceux des vaincus, mais annonce aussi ce qui sera le fond commun de toute la littérature révisionniste : « Comme il se trouvait souvent que les lieux ne se prêtaient pas à une reconstitution, on a fait marcher la truelle, et on a bâti, comme au cinéma, des décors complets de torture en des endroits où ils n'ont jamais existé, ou bien, toujours dans la pieuse intention de faire plus vraisemblable, on a construit à Auschwitz et à Dachau, par exemple, des fours crématoires supplémentaires destinés à apaiser les scrupules qui auraient pu naître dans le cerveau de quelques mathématiciens. C'est ainsi qu'on écrira l'histoire: on voit par là même qu'on peut la fabriquer. » Bilan, un an de prison. Devenu « martyr », il participe en 1951 à la fondation d'un Mouvement social européen et fonde sa propre revue Défense de l'Occident. Une revue dans laquelle vont se rencontrer et se former une grande partie des intellectuels de l'extrême droite française. Parmi les signatures que l'on peut y relever, citons: Pierre Boutang, Emmanuel Berl, Michel Mourlet, Paul Sérant, Thomas Molnar, Dominique Venner, Fabrice Laroche (Alain de Benoist), François d'Orcival, Christian de Bongain (Xavier Rau fer) , Pierre Hofstetter, Jean Mabire, François Duprat, Alain Renault, Pascal Gauchon, Jean Madiran, Robert Faurisson, etc. Mais aussi Marc Fredriksen et son second, Michel Faci. En cessant sa parution en 1983 pour cause de retraite, cet « écrivain fasciste» comme il ne craint pas de se présenter peut être satisfait, le témoin est passé. 1\ \ f

0

~t y[~1 \ LA JEUNE GARDE JEAN-YVES LE GALLOU : MONSIEUR IMMIGRATION « Je suis en paix avec ma conscience, j'ai rejoint le Front national. » En paix mais pas en repos. Depuis septembre 1985, JeanYves Le Gallou sert son nouveau « maître » avec une abnégation et une activité toutes monacales. Les honneurs c'est pas son truc. Il se contente de la présidence du groupe du conseil régional d'Ile-de-France. Conseiller écouté du « président », il a amené dans ses bagages un savoir-faire et « profil » modéré. « Depuis, j'ai fait des petits» se plait-il aussi à rappeler. Les plus connus ont pour nom Bruno Mégret et Yann Blot, son double de toujours. Homme d'appareil, le Front national lui doit la rédaction de son programme, une bonne part de la formation des cadres et des élus, mais surtout la théorisation de sa politique d'immigration. Avant d'être le slogan à succès que l'on sait, la Préférence nationale est le titre d'un ouvrage qu'il fit paraître au nom du Club de l'Horloge. Avant cet épisode, Jean-Yves Le Gallou a été au moins une fois « nègre » dans sa vie. L'ouvrage d'Alain Griotteray, Les immigrés: le choc, c'était encore lui. Tout le prédisposait à devenir en quelques sorte le « monsieur immigration» du lepénisme. Toujours partant pour des conférences et des débats sur ce sujet, il multiplie aussi les articles par un habile maniement du traitement de texte. Grâce à lui, les cadres frontistes ne sont jamais à court d'arguments. Toutes les méthodes semblent bonnes. Car sous l'aspect affable d'un ancien membre du comité directeur du Parti républicain sommeille un extrémiste rentré. En octobre, son journal, Colombes et les Français d'abord! publiait les noms à consonances étrangères de « jeunes partis en vacances grâce à des fonds municipaux ». Ce qu'en bon gaulois on nomme de la délation. L'obsession prête parfois à sourire quand il fait de l'immigration la principale cause des embarras de circulation en région parisienne. Jean-Marie Le Pen avait-il besoin d'un énarque pour y penser ? JEAN-GILLES MALLIARAKIS « Lefascisme italien a été une tentative globalement positive, malgré certaines erreurs, de bâtir une troisième voie économique et sociale dans les conditions générales de la première moitié du XXe siècle. » Chef du mouvement Troisième Voie, JeanGilles Malliarakis a incontestablement le goût de la provocation même si ce jugement, formulé dans une interview au Choc du mois auquel il collabore sous le pseudonyme de Gilles de Kassos, dénote la permanence de ses référents politiques. En 1969, déjà, étudiant à Sciences-po, il avait organisé un meeting pour commémorer le 50· anniversaire de la création par Mussolini des « Facsi di combattimento ». Issue des rangs de Jeune Nation, groupuscule alors interdit qu'il rejoint en 1960 à l'âge de seize ans, il se signale très tôt par une intolérance qui le pousse à créer ses propres groupuscules. D'obédience solidariste, il crée le Il février 1979 (jour anniversaire des accords de Yalta) le Mouvement nationaliste révolutionnaire, sur la base d'un refus de la logique des blocs, du marxisme comme du capitalisme. Cette démarche drumontienne l'a conduit après différents avatars à coaliser en 1985 en un mouvement Troisième Voie certains restes du Parti des forces nouvelles, du Groupe union droit et des sympathisants du GRECE. M.S. 13 .................... . DE MULTIPL fois ouvertement néonazis, les groupuscules de l'extrême droite, éclatés, sont nombreux et actifs. A l'ombre de la croix, d'autres groupes, intégristes et nationalistes, prospèrent. Portraits de groupes. e plus ancien des groupes encore en activité est l'OEuvre française, formée en 1970 par Pierre Sidos, créateur de Jeune Nation. Très centrée sur Paris, l'OEuvre recrute souvent parmi les jeunes de milieux populaires, revendique l'exclusivité de l'usage de la croix celtique, et polémique avec tous les autres nationalistes. Un véritable culte de la personnalité entoure son leader. L'OEuvre se veut aussi catholique et pétainiste, mais sa grande spécialité reste « l'antisionisme ». C'est un groupe centralisé, quasi secret, dont le manifeste prévoit entre autres un régime corporatiste, l'interdiction de la double nationalité, et des mesures économiques très nettement orientées contre la communauté juive.L'OEuvre française a organisé en 1989 une tournée de conférences « anti-Bicentenaire » à laquelle a participé François Brigneau, de Minute. Le Parti nationaliste français, plus connu par son mensuel Militant, a tenu son conseil national à Paris les 27-28 janvier 1990. Fondé en 1966, Militant regroupait d'anciens membres d'Europe-Action, dirigés par un ancien engagé sur le front de l'Est, Pierre Bousquet, qui sera en 1972 le premier trésorier du FN. 14 Au FN, le groupe Militant sera l'allié des GNR de François Duprat. Après l'assassinat de Duprat en 1978, l'arrivée des « solidaristes » dirigés par Stirbois entraîne l'éviction progressive de ces encombrants nostalgiques du IIIe Reich, par ailleurs négationnistes (1). Les adhérents rejoignent largement la FANE. C'est d'ailleurs dans Notre Europe qu'en 1980, Pierre Pauty, dirigeant de Militant, annonce sa démission du Front, « écoeuré par les manigances talmudiques de l'équipe solidariste »(!). Le Parti nationaliste français (PNF), fondé en 1983, ne doit pas compter plus d'une centaine de membres. Ses actuels dirigeants, Jean Denipierre, Jean Castrillo, Pierre Pauty, Pierre Bousquet ont tous appartenu au FN. Le PNF est un parti « suprémaciste », croyant à la supériorité de la « race blanche» fondée sur la pseudo-génétique. Militant reprend volontiers la thématique néopaienne, diffuse les écrits négationnistes (2) et justifie le racisme (3). Dans le même registre, mais plus récent, le Mouvement Travail Patrie. Hugues d'Alauzier, ancien du CNIP et du FN avait formé le Front d'opposition nationale avec l'appui du Dr Demarquet. Désormais allié avec Alain Rondanina, ancien conseiller municipal PFN d'Aix-en-Provence, il doit pouvoir compter sur 500 militants. Dans la mouvance du MTP se trouve le journal Persiste et Signe. En septembre 1989, le journal titrait : « Juifs, la fin des lamentations », et affirmait: « L'Europe sera révisionniste ou ne sera pas» (4). Un autre article, intitulé «Quand les juifs tuent », offrait un exemple parfait de manipulation du discours propalestinien, accolant un panégyrique de l'Intifada avec une diatribe contre le« lobby juif en France ». Manipulation traditionnelle dans cette mouvance. Le mouvement Troisième Voie, dirigé par Jean-Gilles Malliarakis, représente la fraction « solidariste » de l'extrême droite, héritière des GAJ (années 75-80) et du MNR. L'idéologie sommaire du solidarisme se résume à une opposition virulente tant au marxisme qu'au capitalisme, jointe à la volonté de construire une Europe unifiée. Troisième Voie, qui édite la revue du même nom, rassemble désormais sous ce label ou celui de la Jeune Garde, les anciens militants du GUD, du MNR, du PFN et les rédacteurs du mensuel Vaincre, pour la plupart étudiants. La revue, outre un encombrant soutien à l'intégrisme islamique et aux mouvements pro-irakiens, n'a guère de sympathie pour les intégristes catho-/ liques. Elle titre occasionnellement sur le « mythe d'Auschwitz ». Les tentatives de recrutement parmi les skinheads avaient abouti fin 1987 à la formation des Jeunesses nationalistes révolutionnaires, avant que le PNFE ou d'autres microgroupes ne s'implantent dans ce milieu. Dans les facultés, les partisans de Troisième Voie ont utilisé entre autres les étiquettes Cercle Louis-Rossel (Paris), CLAN (à Assas) et GNAR (Groupe nationaliste d'action révolutionnaire) à Sciences-po Paris. Le GUD, de son côté, a repris la publication de Rebelles. En décembre 1989, il reproduisait la charte du groupe pour la « défense de l'identité française contre le cosmopolitisme ». Différent des groupes précédents en ce qu'il affiche un maurrassisme orthodoxe, la Restauration nationale a sa place dans cette étude. La« génération Maurras », ainsi qu'elle se baptise publie le Feu-Follet,' nationalisme, régionalisme, écologie sont ses axes de réflexion. Les ennemis sont ceux de toujours: « Les magistrats de la LIeRA» et l'idéologie des droits de l'homme, le cosmopolitisme. Le vieux fond antisémite de Drumont et de l'Action française refait souvent surface, comme la tentation activiste. Les trois jeunes gens interpellés en 1989 après l'attaque du spectacle de la chanteuse Hélène Delavault appartiennent à cette mouvance royaliste. Le plus connu des groupuscules implanté nationalement est le PNFE (Parti nationaliste français et européen) dont le principal dirigeant Claude Cornilleau est, comme d'autres militants, actuellement inculpé pour participation aux attentats contre les foyers SONACOTRA de la Côte d'Azur et contre le mensuel Globe. Au début des années 80, Cornileau est au FN et suit la scission de Militant, pour lequel il commet quelques articles très « antisionistes ». En 1983, il devient conseiller municipal de Chelles (Seine-et-Marne) sur la liste du maire RPR Charles Cova, actuellement acolyte du maire de Montfermeil dans sa croisade antiimmigration au sein du mouvement France debout. ES FACETTES En 1985, il fonde son propre mouvement, dont le journal Tribune nationaliste est à la fois antisémite, négationniste et raciste. Tenant congrès en novembre 1988, il dénonce « les illusions et les mensonges de la démocratie, ses liens avec la secte apatride ( nom de code» désignant les juifs, NDLA), t'asservissement de notre pays aux intérêts étrangers » et les dangers de « la perte de notre identité raciale» (5). Le PNFE, environ 500 membres, a bénéficié du déclin des Faisceaux nationalistes européens (FNE), successeurs de la FANE avec son bulletin Notre Europe. Il a aussi recruté des skinheads du groupe Rebellion blanche d'Olivier Devalez, qui s'en est éloigné. Le fait qu'il ait réussi à enrôler quelques policiers membres de la FPIF, groupés pour la circonstance au sein d'une « section spéciale» du parti désignée explicitement par les initiales « SS », montre que les groupuscules ne sont pas seulement folkloriques. A Strasbourg, le Elsass-Lothringen Partei paraît avoir récupéré les anciens militants des Loups noirs irrédentistes. A Colmar, la Nou- . velle Voix d'Alsace-Lorraine, animée par Fritz Becker (6) et Charles Zind, est coutumière des procès pour écrits négationnistes. A Lyon, le CLAN s'est manifesté lors du procès de Klaus Barbie par des distributions de tracts négationnistes, et se situe à mi-chemin entre la mouvance « skin » et l'ex-MNR. A Nantes et en Bretagne, l'ancien Waffen SS Yves Jeanne anime depuis 1978 le Devenir européen, petite revue néopaïenne. En juin 1985, un de ses militants, Christian Le Bihan, a trouvé la mort dans l'explosion de la bombe qu'il s'apprêtait à poser au Palais de justice de Guingamp (Côtes-du-Nord). Pratiquement tous les mouvements régionalistes possèdent d'ailleurs leurs néofascistes ou adeptes des théories « ethnistes » proches de la nouvelle droite, notamment en Flandre française et en Bretagne (avec La Bretagne réelle). On pourrait aussi étudier en détail la mouvance « évolienne » autour de Totalité, le milieu « skinhead» avec ses « fanzines » et ses concerts, les cercles à vocation « culturelie » comme le Cercle Aumônier para il un défilé duFN. Noël Monier/Aria Alphonse-de-Châteaubriand (Paris), le Cercle franco-hispanique, le Cercle Cadoudal. Depuis le début des années 80, la fragmentation des groupuscules semble s'accélérer. Mais c'est désormais chez notre libraire habituel que l'idéologie raciste et dernièrement le négationnisme s'affichent ouvertement. L'extrême droite, sous toutes ses facettes, diffuse aujourd'hui en kiosque: l'hebdomadaire Rivarol (fondé en 1951), National-Hebdo, organe officieux du FN, Minute, passé sous la férule de Serge de Beketch, Révolution européenne, organe de Troisième Voie dont l'éditorialiste est l'ancien SS Christian de La Mazière, Le choc du mois (qui s'est illustré en 1989 par un numéro consacré au centenaire de la naissance de Hitler), le mensuel intégriste Monde et Vie, proche du FN, l'hebdomadaire royaliste Aspects de la France et le pamphlet négationniste Révision, dont la diffusion par les NMPP et la non-interdiction constituent la meilleure preuve de la faible protection offerte par la loi de 1972. Les groupuscules français de l'extrême droite, dans l'espace politique réduit que leur laisse le Front national depuis 1983, vivent sans leader charismatique, avec au mieux quelques milliers de militants actifs. Tous sont désormais convertis au négationnisme, et leur capacité de nuisance se mesure au nombre des écrits de ce genre : en nette augmentation. Jean-Yves Camus (1) Sur ce point, je renvoie à ma contribution à l'ouvrage Le Front national à découvert, Presses de la FNSP, 1989. (2) Maître Eric De/croix, animateur du Comité Soljenitsyne à Assas vers 1975, a ·été proche du PFN. En 1989, il a été candidat FN aux municipales de Courbevoie. Sa brochure, intitulée Description, analyse et critique de la loi du 1" juillet 1972 dite « antiraciste est sous-titrée loi subversive et délit métaphysique. Le ton est donné, d'autant plus que l'éditeur s'appelle la Libre Parole, comme le journal de Drumont,. et qu'il cache sans doute les activités d 'Henry Coston. (3) Notamment Jean Denipierre, dans Militant, janvier 1990, p. 5. (4) Persiste et Signe nO 4, septembre 1989, p. 5. A l'appui, c'est encore Drumont qui est cité pour son livre La France juive, réédité par les éditions du Trident, donc par Troisième Voie. (5) Tribune nationaliste, novembre 1988, p. 17. (6) Fritz Becker a été, dans les années 50, actif au sein du Mouvement populaire européen dont un autre dirigeant était Henri Roques. Source: Kurt P. Tauber, Beyond Eagle ans Swastika, Wesleyan University Press 1967. LES NATIONAUX-CATHOLIQUES Depuis l'Action française, intégrisme catholique et droite nationaliste ont mené des combats parallèles sans se rencontrer vraiment. Mais en politique, les parallèles finissent parfois par se croiser. Les grands mouvements d' droite contemporains, comme dent et Ordre nouveau, n'ont que l'OAS utilisé la référence intégri la bouge depuis le « schisme » la consécration des quatre évêques d le 30 juin 1988. Première raison: La ni té Saint Pie X de Mgr Lefebvre tient cours ouvertement politique, appelant ter pour le FN. Deuxième raison : J II mélange habilement le conservatisme gieux et politique avec la poursuite du gue interconfessionnel, tandis qu'en la majorité de l'épiscopat intervient, sur problèmes de société, dans un sens oppos . celui de la droite extrême (immigration, ne de mort). Pie X est le pape du « bus », de la condamnation du du libéralisme. Sous son patronage, depuis l'automne 1970 les séminaires ne, dans le Valais suisse et de Flavigny d'Or). Leur supérieur, Marcel Lef pas de tradition maurrassienne mais a le début du concile Vatican II, un Opp;OiW]L.,: des réformes. Reconnu par Rome au il dénonce en 1974 la « Rome de néomoderniste et néoprotestante » turerait le message de l'Eglise de Lors de son discours de Lille, en 1 clare: « On ne dialogue pas avec les francmaçons, avec les communistes, car on ne dialogue pas avec le diable. » Dans la revue Fideliter, les cours de l'Institut universitaire Saint Pie X donnent le ton des convictions politiques, qui sont au demeurant variées. L'interview donnée par Mgr Lefebvre à E. Brigneau dans National-Hebdo est plus explicite et fait apparaître certains chevauchements avec la rhétorique frontiste : même phobie de l'Islam; même hostilité envers l'attitude de la communauté juive dans l'affaire d'Auschwitz (le déménagement du carmel aurait été décidé « uniquement pour plaire à l'opinion publique Juive ») ; même hargne contre la hiérarchie catholique, National-Hebdo, particulièrement, semble, sous la direction de Roland Gaucher, être très favorable aux lefebvristes. Mais l'échec relatif de la manifestation du 15 août dernier organisée par l'Anti-89 a montré les limites de l'audience de la Fraternité, qui s'engage sur 16 la voie des sectes, bâtissant une véritable contre-Eglise·. Certains n'ont jamais pensé suivre le schisme: c'est le cas des rédacteurs de la Pensée catholique, longtemps dirigée par l'abbé Luc Lefèvre. Après les sacres de 1988, l'Eglise « récupère» certains disciples de Mgr Lefebvre. Le prieur du monastère bénédictin du Barroux (Vaucluse), dom Gérard Calvet, soumet. Or il exerce une influence certaiMarie et Jean Madiran, donc » du FN. En .:)1H;Il\"J'O:;Uj~\.I~ l'Eglise» l'innovation liturgique. controverse, l'abbé Georges « Contre-Réforme catholique » sont en perte de vitesse sensible. Maréchaliste en 1940, chroniqueur religieux à Aspects de la France dès 1947, Georges de Nantes s'est engagé en faveur de l'Algérie française. Dès 1956, il publie la Lettre à ses amis qui deviendra le bulletin La Contre-Réforme catholique au XX' siècle. Son échec tient à deux causes: les attaques incessantes de l'abbé contre Le Pen et le FN, et les non moins violentes diatribes contre Mgr Lefebvre. Pour l'abbé, la tare du FN est d'être ... raciste. Idée bien évidemment contraire au catholicisme, si l'on excepte que tous les non-catholiques n'ont de salut que dans la conversion. Mais alors, pourquoi le bulletin de la CRC continue-t-il à dénoncer le prétendu « complot judéo-maçonnique » ? Fondée en novembre 1988, Renaissance catholique, mouvement de laïcs, veut « contribuer à la rechristianisation de la société» (4) par une action essentiellement religieuse. Ses mots d'ordre sont la devise de Pie X « Tout restaurer dans le Christ », et le « rétablissement de la cité catholique ». Renaissance catholique laisse par ailleurs à ses membres le choix d'appartenir au parti politique de leur préférence. Engagé sans équivoque aux côde Mgr Lefebvre, les animateurs du mousont Jean-Pierre Maugendre, Chriset Daniel Raffard de Brienne, mai 1989, ils ont organisé un dont le succès fut au ' ... "'ICui ,,,a,,,,,, catholique formes d'immo... pour la liberté de hplr ltiCln en Italie, aucun proprement politique. catholique intégriste au sein ce rôle de carrefour du rel'idéologique, grâce entre autres acquises dans la presse natiola multiplication des « coupeut à tout moment mettre 'influence des traditionalistes groude Romain Marie et les forcer à » leur action. Ce serait alors, compromission, l'émergence de ce mounational- catholique dont ChrétientéSolidarité semble la préfiguration. J.-Y. C. (1) On lira notamment le numéro spécial de NationalHebdo

« Eglise de France, la discorde », janvier /989.

Dès l'éditorial, Roland Gaucher qualifie Mgr Decourtra)' de « prototype de cet épiscopat qui veut à tout prix trouver des accommodements avec l'Internationale juive ». (2) Jean Arpel, alias Madiran, est à lafois directeur politique de Présent, directeur d 1tinéraires, collaborateur des Nouvelles Editions latines et gérant de Difralivre, une société de vente par correspondance spécialisée dans les ouvrages d'extrême droite. En /989, il était candidat FN à Saint-Cloud, sur la même liste que François Brigneau. (3) Cf. le numéro spécial de National-Hebdo déjà cité, p. 23. Les habitués de National-hebdo qui avaient apprécié les révélations de R. Gaucher sur les « mal lavés de l'extrême droite » (les « transfuges» vers le RPR oU l'UDF) ne s'étonneront pas de la violence des attaques. (4) Le manifeste de Renaissance catholique est publié dans Lecture et Tradition, Septembre /989, p. 30. , NEGATEURS DES SEMEURS DE HAINE cc La petite bande abiecte )) : ceux qui nient les génocides hitlériens. Pierre Vidal-Naquet, professeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, les dénonce. Différences: Qu'est-ce que le révisionnisme, très directement ? • Pierre Vidal-Naquet: Révisionnisme est un mot qui a été usurpé par ce que j'appelle la « petite bande abjecte» : les négateurs de la Shoah. Car en fait, tout historien est révisionniste en ce qu'il retravaille l'histoire: personne n'écrit aujourd'hui sur Louis XIV, par exemple, comme on le faisait il y a dix ou cent ans. Toute recherche en histoire est révisionniste dans son essence même. Je préfère donner aux gens dont nous parlons le titre - qu'ils refusent - de négateurs. Effectivement, leur « originalité» est de nier le génocide des juifs et des Tsiganes et son principal instrument, la chambre à gaz, qui a fonctionné dans les centres d'extermination pure et simple comme Belzec, Schelmno (où il s'agissait plus exactement de camions), Treblinka et Solibor, d'une part, et, d'autre part, les chambres à gaz qui coexistaient avec des camps d'allure plus « ordinaire» comme Maidanek ou Auschwitz; ou encore les chambres à gaz plus primitives, plus réduites qui servaient à l'élimination à Ravensbruck ou Mauthausen ... tout cela est nié en bloc par ces négateurs (1). D : Comment ce courant est-il né ? • P. V.-N. : Les nazis ont commencé puisque, d'une part, la chambre à gaz était un instrument de meurtre anonyme, personne n'étant responsable, et, d'autre part, ils se sont acharnés à détruire toute trace matérielle de ces chambres. Ils ont fait de leur mieux, après l'action Reinhardt par exemple, pour liquider tout ce qui avait été fait à Treblinka, Solibor ... A Auschwitz, ils ont fait sauter les crématoires et les chambres à gaz. D : Comment le négationnisme est-il apparu en France? • P. V.-N. : D'abord chez quelques anciens nazis ou proches des nazis, comme Amaudruz néonazi suisse ou des gens comme Bardèche. Mais le vrai créateur de la chose, c'est Paul Rassinier, communiste, puis ancien député socialiste et responsable de la Fédération socia- 17 liste du Territoire de Belfort, qui fut par ailleurs résistant et déporté. Sa déportation a eu lieu dans des conditions certes désagréables, mais relativement privilégiées puisqu'il en a passé la majeure partie en hôpital. A son retour, il a commencé par accuser la bureaucratie concentrationnaire constituée par les détenus. De là, il est allé beaucoup plus loin en niant pratiquement tous les crimes des nazis et surtout en plaquant le schéma de la Première Guerre mondiale, guerre impérialiste, sur la Seconde, guerre antifasciste. Il a pensé que les deux guerres mondiales étaient quelque chose de strictement identique et il a retrouvé sur ce point quelques historiens américains, comme Barnes. Cela a eu peu d'impact. Ces thèses ont ensuite été reprises par un petit groupe de l'ultra- gauche française, La Vieille Taupe qui considérait qu'entre les trois sortes d'oppression qui se partagent la planète: l'oppression capitaliste, l'oppression de type fasciste et celle de type stalinien, il n'y avait aucune raison de faire de différence, d'en privilégier une. Il fallait par conséquent délégitimer l'alliance des démocraties occidentales et de l'URSS communiste. C'est cela leur base idéologique: rompre le consensus antifasciste reposant sur l'idée que les nazis ont été quelque chose de plus que n'importe quel type d'oppression. Pour eux, casser cela, c'est frayer le chemin à la révolution. Dans cette entreprise, cette secte a rencontré une sorte de monomaniaque que je connais depuis une quarantaine d'années, Robert Faurisson. Cet homme est un provocateur-né, un semeur de paradoxes professionnel, naturellement, antisémite de vieille roche. C'est surtout quelqu'un qui cherche à obtenir une sorte de prestige paradoxal. Ainsi, dans ses études littéraires a-t-il essayé de montrer que Lautréamont, si prisé par les surréalistes, c'était du pipi de chat, un canular de lycéen. Il a fait la même chose pour les chambres à gaz. La rencontre, en France, de ce provocateur et de cette petite bande d'ultra-gauchistes a donné naissance au « révisionnisme » français actuel, celui des négateurs. D : Ce courant « historique » est largement repris en charge par l'extrême droite française? • P. V.-N. : Oui, parce que seule l'extrême droite est ici susceptible de lui donner un public. Seule, elle s'intéresse à cela dans sa double variété, bien connue, de l'extrême droite chrétienne intégriste et de l'extrême droite de type fasciste ou nazi. Or, ce sont ces deux extrêmes droites qui ont fait, en quelque sorte, leur fusion au sein du Front national. C'est pourquoi ce n'est pas un hasard si Jean-Marie Le Pen a repris ces théories. D : Ces gens prétendent tout de même agir au nom de la liberté de recherche ? 18 • P. V.-N. : C'est en effet un de leurs arguments et ils usent de toutes les ficelles. J'ai ainsi personnellement été sollicité plusieurs dizaines de fois: Pourquoi n'acceptez-vous pas de discuter avec ces gens-là ? Des historiens très honorables pensent qu'ils se trompent et qu'il faut le leur montrer ... Non. Il ne peut pas être question de discuter avec eux pour des raison simples et scientifiques. Un astronome ne discute pas avec un astrologue. Je n'irais pas discuter avec quelqu'un qui soutient que la Lune est faite de fromage de Roquefort... c'est impossible. En l'occurrence, les négateurs ne se posent pas la question de savoir s'il y a eu des chambres à gaz, qu'elle a été leur taille, etc. Non, ils suppriment l'objet du débat en le niant. Dans ce cas, il n'y a rien à discuter! D : Le négationnisme n'est-il pas une manière détournée d'affirmer un antisémitisme difficilement acceptable sans ce détour ? Ils se centrent d'ailleurs sur le génocide des juifs sans jamais parler du génocide des Tsiganes. • P. V.-N. : Tout à fait, et ce n'est pas mon cas, je parle toujours du génocide des juifs et des Tsiganes. Eux s'en fichent éperdument des Tsiganes, comme des malades mentaux ou des infirmes qui ont été les premiers "à être exterminés par les gaz nazis, dès 1939. Hitler a même antidaté son ordre d'élimination des malades mentaux et des incurables au 1 er septembre 1939 pour que cela coïncide avec le début de la guerre. Les négateurs ne s'y intéressent pas, la seule chose qui les intéresse, en réalité, ce sont les juifs parce que ce qui les fait mouvoir, c'est évidemment l'antisémitisme. On vient d'avoir une preuve éclatante de la manière dont ils fonctionnent avec l'affaire de la revue Economie et Société. Cette honorable revue est dirigée par un homme d'extrême gauche, Gérard de Bernis qui a beaucoup travaillé dans le tiers monde. Il n'est nullement tenté par le révisionnisme. Il a souhaité faire un numéro spécial sur la vassalisation de la France par rapport aux Etats-Unis. Il a confié cette tâche à Frédéric Poulon, auteur de manuels importants qui ont pris la suite de ceux de Raymond Barre, et professeur à l'université de Bordeaux 1. Ce monsieur a demandé un article à un certain Bernard Notin, lui-même maître de conférences à Lyon III. Ce seul fait aurait dû être un avertissement, car Lyon III est un repaire de néonazis, de fascistes divers. C'est là qu'enseigne Bruno Gollnish (dirigeant du FN) ou encore Jean-Paul Allard qui fut aussi le président du jury de la thèse révisionniste de Roques. MM. Poulon et Notin avaient déjà collaboré ensemble, notamment dans la revue la Nouvelle Ecole, la revue d'alain de Benoist et de la nouvelle droite, dont on connaît les relents racistes et hitlériens. Frédéric Poulon a montré au directeur de la revue un insignifiant article de Bernard Notin, ne comportant pas ou peu d'insinuations antisémites et révisionnistes. Cet article a été remplacé au dernier moment par un autre qui contenait des allusions à la « coterie juive » qui entourerait le président de la République, aux immigrés qui nous prépareraient une France multiraciale et au mythe des chambres à gaz. C'est là typiquement une technique de réseau qui montre que ces gens sont organisés pour faire passer leur marchandise de toutes les façons possibles et imaginables. La thèse de Roques en avait été un exemple, mais celUi-ci est encore plus grave dans la mesure où cette revue est subventionnée par le CNRS. C'est donc toute la communauté scientifique qui est atteinte. D : Quels sont, de votre point de vue, les buts et les fonctions de ce courant négateur? • P. V.-N. : Ce sont des semeurs de haine, des gens animés par des haines très archaïques, persuadés que les juifs sont une population qui veut dominer le monde. Ils reprennent des thèmes que l'on trouvait déjà chez Drumont. Il y a bien sûr des éléments plus raffinés, notamment chez les ultra-gauchistes. Un JeanLouis Tristani (2) par exemple, peiné de descendre d'Abraham - comme le font les juifs, les musulmans et les chrétiens - et qui a donc décidé qu'il était indo-européen et non judéochrétien, Dumézil ayant démontré qu'il y avait eu jadis une idéologie indo-européenne ! Il y a comme cela beaucoup d'autres variétés. "~ L'important, encore une fois, c'est qu'il n'y § a de débouché pour eux, en dehors de minusô~ cules chapelles comme celles d'une certaine .. ultra-gauche, que dans les milieux d'extrême ~ droite. ,~ r;; D: Mais l'extrême droite a tendance, ces 1 1 Profanation antisémite au cimetière de Bagneux. temps-ci et électoralement parlant à s'élargir? Je pense à des dérapages comme ceux du « détail » de Le Pen. • P. V.-N. : Ce ne sont pas des dérapages du tout, c'est quelque chose de tout à fait conscient et organisé. D : Cela donne un élan aux thèses négationnistes? • P. V.-N. : Sans aucun doute. D : L'articulation avec l'extrême droite était évidente dès le départ ? • P. V.-N. : Dès le départ. A preuve, Rassinier qui venait de la gauche pacifiste n'a trouvé audience qu'à Rivarol! Seule l'extrême droite, Bardèche, le groupe de Rivarol étaient susceptibles d'accueillir ce genre de propos. D : ... Comme possibilité de réactiver le vieux courant antisémite toujours présent dans l'extrême droite française ? • P. V.-N. : Ce n'est pas le but de tous, no~ tamment de la secte ultra-gauche, mais c'est ce qu'ils font dans la pratique. D : Ils affirment aussi vouloir briser un tabou sur l'existence consensuellement reconnue - et donc suspecte - du génocide ? • P. V.-N. : Il n'y a jamais eu de tabou sur les chambres à gaz. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a, de la part de certains juifs, une sorte de sacralisation de ce qui s'est passé pendant la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, en employant le mot holocauste (3). Je ne l'emploie jamais, très délibéremment, j'utilise ceux de génocide ou de Shoah. Avec holocauste, une sacralisation se produit qui me paraît extrêmement dangereuse. Je suis pour ma part athée de tous les dieux et de celui-là comme les autres. De plus, il y a un usage, politique au fond, des faits de la Seconde Guerre mondiale. Un usage quotidien par, en particulier, les dirigeants israéliens. Et cela aussi est extrêmement dangereux. Si chaque fois qu'un Palestinien tire une balle, on déclare que c'est la continuation de l'holocauste, comme ils le disent dans leur langage, c'est une banalisation dangereuse. C'est le risque précisément que les gens qui reçoivent, eux, les balles israéliennes, disent : vous nous sortez cela pour des raisons de politique politicienne, c'est donc que vous avez quelque chose à cacher. D'où la tentation, dans certains pays arabes et en Iran de se ranger du côté des négateurs de la Shoah. Tentation à laquelle les Palestiniens, du moins ceux qui parlent en leur nom, ont résisté. La Revue d'Etudes palestiniennes en est un exemple. D : Les négateurs ont-ils une influence internationale? • P. V.-N. : Ils se réunissent tous les deux ans aux Etats-Unis et constituent ainsi une micro-internationale avec deux pôles principaux. Il y a un pôle financier sur la côte Ouest des Etats-unis avec le Liberty Lobby de Willy Camo qui est à la fois antinoir, antijuif et antidémocrate. Le second pôle est en Allemagne, lié essentiellement à la vieille extrême droite allemande, des gens aujourd'hui proches des Républicains et qui considèrent qu'il n'est pas bon d'avoir des choses de ce genre dans son passé national. Mieux vaut nier que soulever la question, pensent-il. D: Y a-t-il corrélation entre une éventuelle progression des thèses révisionnistes et une remontée de l'antisémitisme en France ? • P. V.-N. : Il est évident que les deux choses sont liées, avec aussi la montée du FN et sa haine des immigrés. Ce qui est très intéressant dans l'article de M. Notin dont nous parlions, c'est qu'il mêle de façon très étroite - et, c'est la première fois, aussi directement - négation des chambres à gaz, accusation contre le lobby juif et haine ,~ des immigrés. Jusqu'ici, c'était clair chez Le g,o ~ Pen, mais, dans les milieux intellectuels, c'était ~ toujours très séparé. Vous aviez les uns ou les .~~ autres, mais jamais les trois ensemble ... ~ D: A vec le négationnisme, on fait un pas vers ~ l'antisémitisme? l:: ~ • P. V.-N. : C'est un signe patent d'antisémitisme. Ils n'ont pas d'autre motif profond - sauf quelques huluberlus - à leurs prétendues analyses, que la haine des juifs. D : Existe-t-il un risque réel de voir se développer ce courant idéologique ? • P. V.-N. : Dans la mesure où le Front national n'est pas réduit à quia, tant qu'il existera, il y a danger. D : Parce qu'il est acquis au révisionnisme ? • P. V.-N. : Absolument. Sinon le révisionnisme n'est porté que par une petite bande sans importance. D : C'est quand même là que se croisent toutes les familles de l'extrême droite? • P. V.-N. : La plupart, oui, encore que les maurrassiens par exemple n'aient encore jamais nié le génocide. Ils font exception et seraient même plutôt pro-israéliens, à condition que tous les juifs aillent en Israël. Les autres courants de l'extrême droite sont ou comportent nombre de négationnistes. Propos recueillis par René Fran~ois (/) On lira avec profit : Les Assassin de la mémoire, de Pierre Vidal-Naquet, à la Découverte, Les Chambres à gaz ont existé, de Georges WeI/ers chez Gallimard. Voir aussi: Les Chambre à gaz, secret d'Etat, d'Eugen Kogon, au Seuil, Point-Poche. (2) Maître de conférences à l'université Paris V. (3) Holocauste. Chez les juifs, sacrifice religieux où la victime était entièrement consummée par le feu. Par analogie

tout sacrifice religieux. Petit Robert.

19 NOUVELLE DROITE LABORATOIRES PROPRES ET IDEES SALES Les intellectuels de la nouvelle droite ne se salissent pas les mains: Ils «pensent» pour convaincre de la supériorité de la race et de la culture blanches et laissent l'action aux responsables politiques. 20 es origines du GRECE (1) remontent aux années soixante. Après l'échec de l'OAS, des partisans de l'Algérie française sont restés en contact avec des groupes européens qui pensaient, comme eux, que l'Europe se confonfait avec la race blanche, menacée par la poussée démographique dans le tiers monde et par les risques de métissage. C'est ce qu'ils écrivaient dans Europe-Action, revue fondée par un ancien militant de Jeune Nation, Dominique Venner, qui parut entre 1963 et 1967 (2). D'autres, ou les mêmes, écrivaient aussi dans les Cahiers universitaires, organe de la Fédération des étudiants nationalistes, qui faisait l'éloge des valeurs de jeunesse et de virilité, pour l'élite qui préparait l'avenir. Ils collaboraient encore à Défense de l'Occident, revue fondée en 1952 par Maurice Bardèche. Parmi les noms qui reviennent souvent, ceux de Fabrice Laroche (pseudonyme d'Alain de Benoist), de Jean Mabire, Gilles Fournier, JeanClaude Rivière ... Nouvelle Ecole, fondée en 1968 par Alain de Benoist, a utilisé de nombreux textes d'Europe-Action à ses débuts (3). L'idée du GRECE est née après l'échec de la candidature de Tixier-Vignancour aux élections de 1965 et s'est concrétisée au début de 1968. Les événements de mai 68, qui n'avaient été prévus par personne, appelaient pour les fondateurs de la nouvelle droite une contreoffensive idéologique à droite. Le but du GRECE était de former un« club de pensée» qui agirait auprès des responsables politiques français et leur fournirait des idées. La revue Nouvelle Ecole introduisit des préoccupations nouvelles, tournant autour des idées d'hérédité, d'eugénisme, d'indoeuropéanité, qui s'appuyaient sur des travaux universitaires d'ailleurs contestés. Elle appartenait à un groupe de publications similaires en Europe que M. Billig a étudiées dans son livre sur l'internationale raciste (4). Les mêmes thèmes se retrouvaient dans Eléments, à partir de 1973, tandis que le GRECE s'étoffait, avec pour secrétaires généraux, JeanClaude Valla, puis Pierre Vial. Les idées principales du GRECE se trouvent dans le livre, Vu de droite, publié par Alain de Benoist en 1977, aux éditions Copernic, rattachées au GRECE. Les origines indo-européennes des peuples d'Europe sont appelées à refaire surface: elles s'opposent au judéo-christianisme dominant qui rend coupable (peur du péché) et nivelle les sociétés (égalitarisme). Les différences ethniques d'ordre biologique et/ou culturel doivent être préservées. Elles sont fondamentales et irréductibles ( droit à la différence »). Les Etats-Unis, avec leur mercantilisme et leurs prétentions universalistes, sont aussi menaçants pour la culture européenne que le matérialisme dogmatique venu de l'URSS (5). Si ces affirmations ont de l'importance, ce n'est pas seulement parce qu'elles ouvrent la voie à des formes d'exclusion ou de ségrégation, mais également parce qu'elles ont été cautionnées par des intellectuels, adoptées par certains hommes politiques, surtout dans l'entourage de V. Giscard d'Estaing, lorsqu'il était président de la République, et diffusées à ses débuts par Figaro-Magazine (créé en 1978 par Louis Pauwels). Il faut se souvenir que la droite, encore au pouvoir, manquait d'une pensée organisatrice et que, à gauche, l'effondrement du marxisme empêchait de trouver de bonnes répliques. Tout cela a donné naissance à un grand débat de presse sur la nouvelle droite et sa doctrine, à l'été de 1979 (6). Ce débat, suivi de la victoire électorale de la gauche, des divisions internes sur l'attitude à adopter, du ralliement de la droite au libéralisme (1980-1981), fut défavorable au GRECE qui a perdu beaucoup de son impact. D'autant plus qu'il s'est alors trouvé concurrencé par le Front national. Sans renoncer à leurs anciennes amours, certains militants du GRECE ont rejoint le Front, ou du moins en soutiennent la percée : Pierre Vial, par exemple. Et il est difficile de nier que la « préférence nationale» de Jean-Marie Le Pen ou sa dénonciation du « racisme antifrançais » doivent quelque chose au GRECE. D'autres anciens dirigeants se livrent à de drôles d'activités radiophoniques, comme Guillaume Faye, le vengeur masqué des ondes de Skyrock (7) qui ne risque pas de verser dans la «soft-idéologie» ambiante (8). Deux révisionnistes-négation ni stes font partie du comité de rédaction de Nouvelle Ecole, JeanClaude Rivière et Bernard Notin (9) tandis qu'Alain de Benoist poursuit ses publications et continue la recherche dans sa revue Krisis. Si le GRECE est en sommeil, il a réussi à banaliser des conceptions fondées sur les hiérarchies et les exclusions, condamnées depuis Vichy. Bernard Lanvin L'HEURE DE L'HORLOGE « A-t-on le droit d'exclure? »La réponse à cette question polémique ne fait guère de doute pour les dirigeants du Club de l'Horloge. Plus qu'un droit c'est sans doute un devoir. « La logique de l'anti-exclusion» ne conduit-elle pas, selon Yvan Blot, député européen du Front national « au totalitarisme et à la mort des libertés ? » Le XVIIe Colloque du club qui s'est tenu, le 10 février, dans un salon de l'hôtel Nikko à Paris aura ravi un auditoire avide de bons mots et de formules choc. Cent cinquante personnes, pour la plupart d'un âge avancé, ont pu apprécier les subtilités dialectiques de Pierre Millan, Didier Maupas, Michel Leroy et Henri de Lesquen, respectivement membre du Conseil d'administration, vice-président, secrétaire général et président du Club, Bernard Lemmenicier, professeur de sciences économiques et cofondateur du Mouvement libertarien, Charles Béchet, économiste, et Yvan Blot. « S'il est des exclusions condamnables, il est aussi de justes exclusions. »Condamnables ? La lutte des classes qui « voue à l'exclusion tous ceux, riches ou pauvres, qui seraient du côté de la bourgeoisie ». Le refus de la préférence nationale qui trahirait une hostilité viscérale « aux communautés comme la famille ou la nation» en les privant de leurs attributs exclusifs ... Difficile par contre d'avoir des précisions sur les « justes exclusions» prônées par les horlogers. L'imprécision était la règle de ce colloque qui ne s'est pas donné d'autre objectif que de « produire un argumentaire d'ensemble » à même de servir à la dénonciation du caractère « absurde et dangereux» du « mythe de l'exclusion, nouvelle expression de l'égalitarisme. » A en croire Michel Leroy, le refus de l'exclusion serait la « nouvelle forme de l'idéologie dominante, la nouvelle figure du mal. » Aujourd'hui, à tous les symptômes, vrais ou faux, de malaise on répète « c'est l'exclusion! ». Pour lutter contre ce « diktat de l'oligarchie cosmopolite» imposé par le « néosocialisme » pour « diviser la droite », les intervenants ont cherché, non sans recourir à la caricature, à montrer que « tout ordre social dans ses divers aspects,' droit, morale, économie, institutions, communautés, repose sur des relations d'inclusion-exclusion. » Et Henri de Lesquen de conclure: « Vivre, en un sens, c'est exclure pour préserver la vie avec son identité ». Tout comme le Front national, le Club de l'Horloge considère que « l'opposition politique fondamentale n'est plus entre les tenants du socialisme et ceux du libéralisme, mais entre les tenants du cosmopolitisme et les partisans de l'identité ». Jean-Marie Le Pen n'at- il pas fait sa rentrée politique d'été, à La Baule notamment, en justifiant l'exclusion? Michel Leroy et Henri de Lesquen rappellent que leurs premières prise de positions sur ce sujet, même si elles n'étaient pas systématisées, sont antérieures. Ce n'est pas le seul domaine où le Club de l'Horloge peut se prévaloir d'une certaine antériorité. A la suite d'un colloque un peu étoffé, il publia en 1985, sous la direction de Jean-Yves Le Gallou, un ouvrage intitulé La préférence nationale,' réponse à l'immigration. L'expression était aussitôt reprise par le parti de Jean-Marie le Pen. Ces rapprochements et quelques autres que l'on pourrait encore faire, n'autorisent cependant pas à qualifier les horlogers de « penseurs du lepénisme ». Très sourcilleux sur ce principe, les dirigeants du Club de l'Horloge affirment se limiter à prôner un libéralisme fortement teinté de nationalisme. Nous sommes « parfaitement indépendants des partis et n'avons de liens privilégiés avec aucun d'entre eux ». L'engagement dans les rangs du Front national d'Yvan Blot et de Jean-Yves Le Gallou, ne serait que personnel. D'autres membres militent au RPR, au PR, au CNI... « Favorables à l'union de l'opposition sans ostracisme à l'égard du Front national », les horlogers ne prisent pourtant guère le CDS, objet de nombreux quolibets. Michel Soudais /. Groupement de recherche et d'études sur la civilisation européenne. 2. Aigazy (Joseph), La tentation néo-fasciste en France de 1944 à 1965, Fayard, /984. 3. Taguieff (Pierre-André), Droit et liberté, déc. /979- janv. /980. 4. Billing (Michael), L'internationale raciste, Maspero, /98/. 5. Duranton-Crabol (Anne-Marie), Visages de la nouvelle droite. Le GREeE et son histoire, Presses de la FNSP, 1988, chap. 2. Sur le détournement du « droit à la différence », Taguieff (P.A.), La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, La Découverte, /988, /" partie. 6. Duranton-Crabol (A.-M.), ouvr. cité, chap. 6. 7. Station FM de la région parisienne. 8. Politis, 7-/5 décembre 1989, p. 25. 9. Le Monde, 28-29 janvier /990. 21 --, 1 INTERNATIONALES Une série d'organisations internationales servent de relais, de lieux de croisement aux cercles' d'extrême droite. Sous des formes diverses, les orchestres noirs jouent chacun un morceau d'une sinistre partition dont les échos résonnent aussi en France. a World Anti-Communist League (WACL) est fondée à Taiwan, le 25 septembre 1967, la même année que l'A sian People Anti-Communist League (APACL). Contrôlées à la mort », des antisémites virulents, des membres de la loge P2... Certains fondateurs de la WACL avaient d'ailleurs combattu avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. D'autres étaient représentants de Ebherardt Taubert, organisateur de l' « antikomintern » sous Hitler et Goebbels ... En 1978, le président de la WACL, Roger Pearson entreprit de former une délégation néonazie européenne, l'EUROW ACL, malgré l'opposition de « traditionnalistes » comme Suzanne Labin, dirigeante de l'obscure Union pour la liberté, section française de la WACL. Ainsi, en 1980, lors du procès contre la FANE de Mark Frederiksen, l'avocat Roland Rappaport dénonça les accords de ce groupuscule avec la W ACL. . Autre cas, celui de François Duprat, condiSciple de Jean-Marie Le Pen, qui était délégu.é à la WACL jusqu'à son mystérieux assassInat en 1978. Il avait croisé là le général Paul Vanuxem, ancien de l'OAS. Pearson collaborait également avec la Nouvelle Ecole d'Alain de Benoist, dirigeant du GRECE et membre de la Ligue nordique fondée par Roger Pearson. Ce dernier décl~ra à propos de la Nouvelle Ecole : « Ils travaillent selon des normes très proches des nôtres (2). » traréactionnaire et l'union des régimes anticommunistes. En France, la secte Moon est représent~e par deux associations, Causa et la Conference mondiale sur les moyens d'information. Causa a été fondée en 1980, à New York et soutient tous les dictateurs d'Amérique latine pour lutter contre « l'extension du commu~ nisme ». Elle est dirigée par le colonel Bo HI Pak. . En février 1984, dans la première conventlOn panaméricaine de Causa, à Montevide?, o~ note la présence de Hyacinthe Santom, deputé RPR qui confie être venu à la demande de Jacques Chirac. Sont également présents Philippe Malaud et Michel de Rostolan du Cercle Renaissance (3). En juin 1984, Causa International orga~ise à Washington un séminaire d'informatlOn pour ses sympathisants français. L~ ~aître d'oeuvre en est Pierre Ceyrac, secretaire de Causa Europe, ancien porte-parole de la secte Moon en France, qui sera aussi député du Front national. Il est par ailleurs le neveu de l'ancien président du CNPF. En 1982, déjà, Jean-François Revel siégeait à la tribune de la Conférence mondiale sur les moyens de communication, à Séoul. ~ette Conférence, créée en 1978 est l'émanatlon • r I~ l'origine par la CIA et les services spéciau~ de l'OTAN et de l'OTASE, ces deux orgamsations sont passées sous la coupe de la Corée du Sud et de la Chine nationaliste. Une aide financière importante qui leur a permis de devenir les principaux financiers du tr~fi,c d'opium et d'héroïne dans le Sud-Est aSlatlque (1). , La W ACL est un vrai danger pour la democratie, ne serait-ce que par l'aide financière importante qu'elle apporte à une bonne douzaine de mouvements néonazis dans le monde. LES ORCHES TRES Anticommuniste, la W ACL fait une large place à l' antisémitisme, reprenant à son compte les diatribes de Goebbels sur le « judéocommunisme » et soutenant les thèses révisionnistes.

Dans ses conférences ou travaux, des sénateurs et militaires américains, des responsables des renseignements du « monde libre» ont côtoyé et côtoient des membres de groupes terroristes, des patrons « d'escadrons de Portrait du révérend Sun Myund au stade de New York. 22 La secte du révérend Moon, l'Eglise de l'unification, avait au départ des liens étroits avec la W ACL. Elle prit cependant ses distances à partir de 1975. La dizaine d'organisations qu'elle a fondées opèrent aujourd'hui dans une centaine de pays avec pour objectifs le blanchiment ~e l'argent bien sûr, mais aussi l'anticommumsme la lutte contre le mouvement noir aux Et~ts-Unis, la distillation d'une idéologie uldirecte du groupe de presse de Moon et notamment la Time Tribune Corporation et le Washington Times. Elle tente d'entraîner les médias dans les entreprises du révérend Moon. Chaque année, elle réunit des spécialistes de la guerre idéologique, comme le général US John Singlaub, président de la WACL de 1981 à 1986. L'ancien OAS Jacques Soustelle présida la 6" réunion de la conférenc~, en Colombie en 1983. Les invités français en étaient Georges Suffert (Le Point), Alain Griotteray (Figaro Magazine), Claude Delmas (Valeurs actuelles), Andrès Alfaya (Le Méridional), Jean-Paul Picaper (Le Figaro) et Jean Marcilly, auteur de Le Pen sans band~au et ami personnel du président du Front natlOnal. On retrouve la WACL comme financière d'une autre officine très spéciale: AginterPress. Apparemment agence de presse sans histoire, Aginter cachait en fait un centre d~ subversion fasciste. Il fut découvert en avnl 1974, à la chute de la dictature portugaise. En 1962, les services spéciaux de Salazar avaient aidé un officier français déserteur et proche de l'OAS, Yves Guill~u (alia~ Yves Guérin Sérac) à monter l'affaire. Agmter a servi plus de dix ans de boîte aux lettres, de centre de recrutement et de formation à de nombreux groupuscules nazillons ou extrémistes. Ainsi, le commanditaire de l'attentat de la piazza Fontana à Bologne, en 1969 (16 morts et 88 blessés) était Stephano Della Chiase, lié à Aginter-Press. Selon F. Laurent (4), des contacts avaient déjà été noués en France avec le comité TixierVignancourt, puis avec des groupes comme Occident, le mouvement Jeune Révolution ou bien le GAI (Groupe action jeunesse), solidariste, où le contact était Jean-Pierre Stirbois devenu ensuite dirigeant du Front national. Aginter était également en contact avec l'ancien OAS Pierre Sergent, devenu député du même FN. Toujours en France, l'agence de presse travaillait avec des groupes intégristes comme celui de l'abbé Georges de Nantes, Lecture et Tradition ou encore Diffusion de la pensée française. En Europe, outre le Nouvel Ordre européen (NOE), des relais existaient avec Amaudruz (Suisse), le NPD néonazi (RFA), la CEDADE franquiste (Espagne) ou Ordine Nuevo (Italie). En Amérique, W. Buckley, ancien de la CIA servait de point d'appui; au Chili, Aginter a fourni des hommes pour former les cadres milices fascistes de Patria y Libertad ,. au Guatemala, elle a formé des tueurs contre la guérilla et en Argentine les assassins de l'AAA (Alliance anticommuniste argentine). Aginter a joué un rôle dans la « stratégie de la tension» en Italie ou les néonazis d'Ordine Nuevo et les services secrets tentèrent des coups d'Etat entre 1970 et 1975. L'agence a ainsi initié des néonazis italiens à la lutte armée, en reconnaissance des services logistiques fournis par eux du temps de l'OAS. Car les hommes utilisés par Aginter-Press étaient pour l'essentiel des anciens de l'OAS, rejoints par des fascistes de tout poil. Citons, pour terminer le cas du « braquage du siècle », à Nice en 1976. Son auteur, Albert Spaggiari a agi avec une équipe « mixte » mêlant truands et militants (on parlera beaucoup de Gaétan Zampa, truand mort pendu dans sa cellule). Or, l'argent fut retrouvé en partie entre les mains des Guerilleros du Christ-Roi. Une autre partie fut saisie à l'ATE, organisation de lutte antibasque. Le SOA algérien, opposition liée à l'ex-OAS aurait également été arrosé, tout comme une mystérieuse organisation d'« aide », la CATENA, le point commun de tous ces énergumènes

Aginter-Press.

En Bolivie, sous la protection du CIC (contre-espionnage américain), Barbie avait pu continuer son oeuvre de mort en organisant notamment un groupe néonazi international Les fiancés de la mort. Lors de son procès il bénéficiera des démonstrations de soutien des nostalgiques du ",. Reich. La plupart des spécialistes récusent l'idée d'une organisation centrale. Mais laissons la parole au « spécialiste » : « Si par internationale, on entend une série de rapports coordonnés tendant vers un même but, alors disons qu'il existe une Internationale révolutionnaire qui rassemble tous les groupes néofascistes. Elle ne possède pas d'organe de presse ni de siège: elle a uniquement des points de rassemblement. » (5). C'est un texte de Pino Rauti, député, fondateur d'Ordine Nuevo, nouveau dirigeant du MSI néofasciste italien. Il fut lié aussi à Aginter-Press. Aginter dispersée, où sont les nouveaux « points de rassemblement» ? Robert Pac et René Fran~ols (1) Voir L'arme de la drogue, par H. Krüger, éd. Messidor, 1984. (2) Washington Post, 28 mai 1978. ()) Cercle fondé en 1969, dirigé par d'anciens responsables de l'extrême droite (Ordre nouveau, Parti des forces nouvelles), entrés au Centre national des indépendants et paysans (CN/). (4) L'Orchestre noir, F. Laurent, Stock, 1978. (5) Epoca, janvier 1975. 23 , A D T o N E T Joseph Algazy*, enseignant, écrivain et secrétaire de la Ligue israélienne des droits de l'homme et du citoyen, présente le néo fascisme français comme un héritage « classique » et abâtardi. LEPEN EST-IL FASCISTE? 24 R E N o u v E A u .-M. Le 'Pen et le FN sont-ils fascistes? Cette question, que je me suis posée et que l'on m'a posée plusieurs fois, m'a toujours obligé de précéder ma réponse de quelques réflexions ou remarques préliminaires - concernant le terme fascisme et notre compréhension subjective de ce phénomène trop chargé de complexité - indispensables pour éviter sectarisme et amalgame, et pour dégager autant que possible une réponse globale et adéquate. Le terme fascisme, depuis sa première apparition moderne et jusqu'à nos jours n'a pas réussi à créer un consensus autour de sa définition. Heureusement, parce que la diversité des définitions, même les plus controversées, a enrichi la recherche et a contribué à la compréhension de ce phénomène. Le manque de consensus ne doit pas mener à la confusion. UNE REPONSE MANIPULATOIRE Le fascisme est un système de pensée et d'action global, diversifié et hétérogène, incarné par des modèles et des formes possédant des traits caractéristiques, tantôt semblables, tantôt différents. Il n'existe pas de fascisme « classique» ou à l'état pur ; il est, entre autres, la réponse négative et désespérée d'une nation en détresse, en proie à l'agitation, d'une société en crise généralisée. Il fonce en avant dans des conditions de malaise et de désintégration. Il excelle à profiter de chaque rancune, de chaque mécontentement. Il est démagogique, manipulateur, flatteur; il nourrit tout conflit et simultanément se nourrit de lui. Il émane d'un nationalisme virulent qui dégénère en racisme agressif ; il pratique le culte de la virilité, de la violence et de la terreur au sens large du terme. Il crée une image démoniaque de ses ennemis et lutte contre eux par tous les moyens. Il aspire à l'ordre et à la dictature. Il méprise les droits de l'homme et tient pour nulles les libertés démocratiques. Le fascisme des années 80 a subi une métamorphose

il s'est adapté aux réalités de notre

temps, s'est approprié de nouveaux aspects, de nouvelles stratégies et tactiques, de nouvelles conduites, peut-être même de nouvelles essences et natures que nous devons découvrir incessamment. « Comme Satan, sa dernière ruse consiste à faire croire qu'il n'existe pas» (Chronique sociale, novembredécembre 1975). Dans ce contexte, le phénomène lepéniste, représente sans aucun doute un cas problématique; tantôt sa nature fasciste, ne laisse aucune équivoque ; tantôt elle se dérobe, devient difficile à détecter, à cerner. En suivant l'itinéraire de J.-M. Le Pen depuis les années 50 jusqu'à nos jours et en suivant les métamorphoses des différents avatars du FN, l'on constate que durant toute cette période, Le Pen a milité ou s'est rallié nombre de groupes et d'hommes. Certains se sont déclarés fascistes purs et durs et d'autres l'ont été sans l'exhiber, et enfin, le doute a plané sur d'autres encore. En examinant de près le discours lepéniste et ses slogans, l'on constate nombre de caractéristiques propres au fascisme ou bien qui suscitent des réflexions et des associations d'idées héritées du fascisme. Les convergences du lepénisme et du fascisme sont nombreuses. Rappelons celles décelées par JeanFrançois Kahn: culte du chef, xénophobie et L duel/es, mêmes légitimes, au profit de la Cité » (Identité, juillet-août 1989) ; et encore le discours machiste antiféministe ; parlant du déclin démographique en France et de la baisse du taux de fécondité de la femme blanche française, les lepénistes ont trouvé l'explication de ce « funeste » phénomène « dans le mépris de la famille» ; la femme est, suivant le FN, à l'origine de ce mépris puisqu'elle pratique l'avortement et la contraception. UN PHENOMENE BÂTARD En revanche, l'on peut trouver dans le FN certaines divergences avec le fascisme, qui jouent, à mon avis, un rôle mineur; absence d'aspiration justicialiste dans les rapports sociaux, de remise en cause laïciste du clérica- No comment! racisme, antimarxisme forcené, corporatisme, restauration des hiérarchies naturelles et traditionnelles, appel à l'intervention directe de l'Etat en matière de« morale », rejet de toute philosophie « humaniste », diabolisation de l'adversaire, refus de la tolérance, utilisation de la haine et de la peur comme leviers de radicalisation, phobie de l' « intellectualisme », méfiance vis-à-vis du modernisme, fascination pour la peine de mort, primauté donnée à l'instinct sur la raison, sympathie à l'égard des régimes militaires et exaltation du rôle civique de l'armée (L 'Evénement du jeudi, du 7 au 13 mai 1987). A celles-ci ajoutons d'autres convergences: l'antisémitisme, la négation des crimes commis par les nazis contre l'humanité et contre les juifs en particulier; le rejet des valeurs démocratiques de la Révolution française et en revanche la valorisation de « la virtus romaine, faite de la certitude que l'héroïsme vrai porte à un renoncement aux passions indivilisme, d'exaltation du rôle planificateur de l'Etat dans l'économie, de récupération de la partie « saine» et « nationale» du message socialiste, de référence à un système de parti unique. Ces divergences avec le fascisme chez le FN sont à l'origine des raisons de ceux qui refusent de l'étiqueter du vocable fascisme. Le fait, qu'à côté du néofascisme des années 80, disons « classique », est né un phénomène politoco-social nouveau et complexe qui comporte en même temps des convergences et des divergences par rapport au fascisme , exigerait un vocable pertinent. Dans le cas du Front national dirigé par Le Pen, les épithètes les plus convenants seraient sans doute ceux de fascisme manqué, syncrétiste, bâtard, hybride ou travesti. Joseph Aigazy (*) Auteur de La tentation néo fasci ste en France de 1944 à 1965, Paris, Fayard, /984; L'extrême droite en France de 1965 à 1984, Paris. L ·Harmattan. /989. 25 i l 15% 26 MOUVANCE •• e racisme antiimmigré et la xénophobie semblent être suffisants à cristalliser un vote d'extrême droite. Mais l'implantation électorale durable du Front national a, en fait, des raisons plus profondes. Les électeurs savent-ils pour quoi ils se prononcent et ce qui est en ieu ? Entre les mensonges des uns (les candidats de l'extrême droite) et les ignorances des autl'es (les électeurs), c'est la démagogie qui fonctionne, aHisée par OURQU 01 ET VERS QUOI? la crise, la peur du lendemain et d'un monde en mutation. 27 RENCONTRE 4,5 ILLIONS D'ELECTEURS ••• Directeur du Laboratoire de démographie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, Hervé Le Bras cherche, depuis plusieurs années, à repérer les facteurs clés du vote FN. Il nous explique ici (1) quelles sont, à son sens, les principales motivations de ce choix politique ••• Quelles sont les particularités de l'électorat du Front national, et quels commentaires en faites-vous? • Le plus frappant est sa concentration dans trois régions: le Sud-Est (côte méditerranéenne et Rhônes-Alpes), le bassin parisien, l'Est, le long de la frontière. Cette géographie de l'électorat du Front national est extraordinairement stable depuis plusieurs années. Ces trois régions sont, en France, les plus touchées par la modernisation: les changements à la fois techniques et humains y sont très importants, les liens sociaux moins clairement définis. A mon sens, le vote FN est lié à un trouble de la modernité, à l'achèvement de l'urbanisation et à la réorganisation des réseaux de sociabilité. Pour un paysan de la Marne, aller au supermarché signifie rompre avec un certain type de contacts locaux et abandonner ses habitudes de vie en petits groupes, pour se confronter à des groupes beaucoup plus larges. Ainsi se traduit le phénomène de la modernisation

par ce changement d'échelle, par

une perte de repères et par un mal-être. On est en train de vivre ce que l'Allemagne et l'Angleterre ont connu dans les années 30 ... car la France n'a débuté sa modernisation que depuis une quinzaine d'années. Quels liens entre ce vote et la présence d'étrangers'? • Il n 'y a pas de relation directe entre le vote pour le Front national et la présence d'étrangers. Paul Aliès, dans une étude récente sur le Languedoc-Roussillon, l'a bien démontré. Il ne s'agit pas d'un vote xénophobe en tant que tel mais d'un climat général, de raisons plus profondes et spécifiques. Ce n'est pas l'étranger qui est rejeté, mais ce qui 28 est étranger. Paradoxalement, les trois régions où l'on trouve les plus forts pourcentages de vote pour le Front national sont celles qui ont toujours eu l'habitude d'échanges avec « l'étranger », celles où la circulation des marchandises et des gens, la réception de chaînes de télévision d'autres pays sont les plus importantes. A travers ces votes, se dessine de plus en plus nettement la carte de nos frontières. Il est étonnant que les régions les plus favorables à Le Pen et les plus intolérantes soient les plus habituées aux étrangers. Ce que l'on observe du côté de l'Espagne est éloquent. Ce n'est qu'aux deux extrémités des Pyrénées que les contacts de part et d'autres sont possibles. C'est là que les votes pour le FN sont les plus forts. Au centre (comme dans les HautesAlpes d'ailleurs), les montagnes sont trop hautes pour que les échanges puissent exister

les votes pour le FN y sont bien moins

nombreux. Ces régions frontalières sont également proches de l'étranger par leur généalogie. Il est difficile de trouver un Marseillais qui n'ait pas de sang étranger! Même chose à Nice qui, il y a à peine plus d'un siècle, n'appartenait pas à la France ! Dans tous les phénomènes d'immigration, on constate que les vagues précédentes sont toujours plus hostiles aux vagues suivantes. Elles s'en sentent proches mais voudraient s'en distinguer. Retranchement sur soi par peur de l'autre: en France, le vote pour le Front national est un vote nationaliste. Julia Kristeva, linguiste et psychanalyste, explique ce repli par l'incapacité de faire un pas vers l'autre ... Et que peut-on observer ou déduire dans les régions de France où le Front national n'a qu'un faible impact ? • Ce sont très nettement les régions rurales qui vivent de manière dispersée, dans des fermes disséminées, dans la campagne, qui votent peu pour Le Pen. A l'opposé donc, des régions de France, où l'on vit regroupé dans des villages. Il est frappant de constater que la carte de France de la population agglomérée (Nord-Est, Est, région méditerranéenne) colle parfaitement à celle de la carte des votes pour le Front national. C'est là, comme je l'ai dit plus haut, qu'il y a eu le plus de bouleversements et de modifications des relations de voisinage. Dans les régions d'habitat dispersé, au contraire, les gens ont toujours eu l'habitude de vivre isolés, d'aller s'approvisionner une fois par mois dans un bourg plus grand. Il n'y a pas eu de rupture sociologique, et ces régions rurales « résistent» mieux à Le Pen. Pour un paysan de l'Ouest de la France, si cc Le vote FN est lié il un trouble de la les changements existent, notamment techniques, ils sont moins traumatisants car il reste dans son monde, et les structures traditionnelles ont subsisté. En région parisienne, on retrouve un phénomène comparable, puisqu'on vote moins pour le Front national dans les arrondissements du centre, où vivent les Parisiens d'origine, à l'inverse de la périphérie où l'on vote plus pour Le Pen. A noter aussi que les hommes votent plus FN que les femmes. On trouve cette différence dans les régions où les relations entre les sexes sont restées inégalitaires et traditionnelles ... Comme si le sexe masculin réagissait mal à l'émancipation féminine: ce qui va très bien dans le sens d'un vote de nostalgie et de la crainte devant l'avenir. Autre catégorie de la population qui vote moins pour le Front national : les personnes âgées. Il y a des effets de génération certains, mais, finalement, ces caractéristiques d'âges et de sexes sont bien moins significatives que les écarts régionaux, du fait des troubles sociologiques qu'ils révèlent. modernité ... " Marseille. Pour vous donc, le facteur le plus déterminant est une perte de repères ? • Oui, un des facteurs principaux pour expliquer les motivations de l'électorat du FN est une perte d'explication du monde qui nous entoure, un~ difficulté à se situer dans un nouvel environnement. Aujourd'hui, il est difficile pour beaucoup de gens de comprendre ce qu'est la France et quel est le sens des comportements différents. Pourquoi les Japonais sont-ils actuellement les meilleurs ? Il est bien mal aisé de comprendre la réussite d'un peuple à la civilisation si différente, avec leur « agressivité commerciale )), et leur mode de vie dans un tout petit pays qu'on ne leur envie pas ... contrairement aux Américains, avec leur patrie, leur symbole « de libertés et de démocratie )), qui précédemment étaient ceux qui réussissaient. Pour moi, le vote Le Pen est un vote antijaponais et les Maghrébins qui passent par là se prennent les coups de pied que l'on ne peut allonger aux Japonais. La racine du « mal )) est dans cette peur d'une civilisation qui pose tant de problèmes de compréhension visà- vis du monde occidental. Même si, finalement, le Japon n'est pas si différent de nous, il y a une perte d'explication qui conduit à se réfugier dans le fantasme; et même parfois une quasi-panique. Difficile d'ordonner des choses comme le progrès économique, la répartition démographique, la force des nations, c'est-à-dire un ensemble de données auxquelles chacun de nous a accès par les médias. On entend parfois dire que le vote pour le FN est un vote de protestation, notamment lié au chômage ... qu'en pensez-vous? • Dire qu'il s'agit d'une protestation est une façon d'évacuer des constats embarrassants. Cela ne l'a jamais été. On a fait des comparaisons avec le vote poujadiste. Or les causes sont bien différentes et plus profondes. Sans quoi, on ne pourrait pas comprendre la permanence de ce vote et son étonnante stabilité. Parler des difficultés de saisir ce qui se passe au niveau national et international, me paraît plus proche de la réalité que de parler du chômage ou de la présence des étrangers. Bien sûr, il s'agit de variables liées, mais ce ne sont que des conséquences, et non des causes, d'un même état de fait: la modernisation. On a voulu croire qu'il s'agissait d'un vote de mauvaise humeur. Pour moi, au contraire, il y a des déterminismes sociologiques précis qui expliquent que ce vote est enraciné. On peut évidemment trouver des nuances, des exceptions, localement, comme un vieux paysan breton qui vote FN. Mais ce qui m'intéresse, c'est de chercher les grandes lignes, les causes communes ... Gardons-nous de tirer un portrait de l'électeur moyen FN, c'est-à-dire d'attribuer ie caractère du groupe à un individu. Cela, c'est le schéma du racisme, qui fait de tous les Maghrébins des musulmans et de tous les musulmans des intégristes ! On a aussi volontiers affirmé que l'électorat du FN c'était le lumpenprolétariat. Or dans cet électorat, toutes les couches sociales ont toujours été représentées. On observe d'ailleurs que dans les régions où les votes FN sont plus élevés, le profil social et éducatif est un peu supérieur à la moyenne des Français. Comment l'expliquer? C'est la catégorie de la population la plus soumise aux changements rapides de techniques et d'environnement. A Dreux, pour les dernières élections, on a encore dit que c'était un avertissement, que les élections locales étaient toujours particulières. Or, les élections législatives dans cette région démontrent le contraire. Parler de mécontentement n'a pas de sens, c'est même dangereux. Les votes en faveur de Le Pen sont bien enracinés, malgré ses contradictions, son machisme, son antisémitisme. Quant au chômage, il n'a pas à voir non plus avec ce phénomène. C'est dans les régions où le taux de non-emploi est le plus fort (Bretagne, Haute-Normandie, Pas-de-Calais) que les votes pour le FN sont les plus faibles. Peut-on parler indifféremment du vote pour le FN et du vote pOUT Le Pen ... et que penser justement des dernières élections de Dreux? • Ce que je décris ici vaut pour le Front national dans son ensemble. Si Le Pen a un charisme certain, sa réussite tient essentiellement aux deux thèmes du FN : sécurité et étranger, qui focalisent la peur de l'autre. Que dire de l'élection de Dreux à la fin de l'année 89 ? Les 60 070 obtenus par la candidate du FN à Dreux, c'est ce qui nous attend si on continue à faire des erreurs politiques, si on continue à voter à droite contre Le Pen lorsque l'on est à gauche. Cette attitude, c'est légitimer et s'effacer devant Le Pen, car ce n'est pas lutter au nom de ses propres idéaux! • 29 UN ELECTORAT EN MUTATION Depuis cinq ans, l'on a vu se modifier la carte géopolitique de l'électorat du FN. plus souvent dans des bastions historiques et lors de législatives partiel les. Mais l'influence croissante du FN repose sur une série de facteurs sociaux de fond et pas seulement conioncturels. C'est le terrain social urbain où la « désinsertion » sociale est forte et où la présence des partis traditionnels s'affaiblit qui nourrit le FN. M.-F. Stirbois : 60 % de voix à Dreux. Le vote de Dreux le montre: le Front national ne peut plus être considéré comme un épisode fugitif de la politique française. Le FN s'installe. Jusqu'à présent 25 à 30 % de Français en harmonie avec certaines de ses idées avaient voté à un moment ou à un autre pour Jean-Marie Le Pen. Mais cet électorat restait instable. Pascal Perrineau, chercheur à la Fondation des sciences politiques, a suivi ce changement. Aux européennes de 1984, les 10 % recueillis proviennent d'un électorat de droite radicalisé qui trouve en Le Pen la seule personne capable de battre la gauche au pouvoir. La mutation débute en 1986 et se concrétise réellement en 1988. Une partie de cette droite radicalisée retourne vers ses partis traditionnels pour un vote utile dans un scrutin plus décisif. Cet électorat de départ est remplacé par un vote de protestation provenant de couches sociales défavorisées des zones urbaines. Le score demeure donc à 10 %. Il associe un vote de protestation populaire à un vote de droite traditionnel. Les dernières élections montrent un renforcement de cette alliance qui permet au FN de remporter un succès durable. Les bons scores obtenus l'ont été le 30 Le vote FN est avant tout un vote masculin et un vote de jeunes. Ils sont attirés par le côté « fort en gueule » et violent de Le Pen. Le discours antiparlementaire à peine voilé du personnage et la crise de la représentation politique favorisent leur choix. Cette classe d'âge vit le plus durement la crise et demeure la plus exposée à l'accroissement des inégalités et de la précarisation, constat révélé par les travaux du CERC (Centre spécialisé dans l'étude des revenus et de la consommation). La pénétration est forte dans toutes les classes sociales. Deux d'entre elles dominent trationnellement, les artisans .~ ~ commerçants et chefs de petites entre- .~ prises mais aussi, phénomène nou- 1: ~ veau, la classe ouvrière. Le FN a rem- ~ placé en partie le PCF dans son rôle de ~ protestation. Seuls les intellectuels et les cadres supérieurs y échappent. La carte géographique du FN montre une forte implantation dans les zones urbaines et industrielles telles que l'Alsace, la Lorraine, la ceinture parisienne, le Sud-Est. Cette zone géographique, à l'est d'une ligne Le HavrePerpignan, accumule différents facteurs

concentration urbaine et insécurité,

régions touchées par la crise, la désindustrialisation et présence de nombreux travailleurs immigrés. Ces caractéristiques se retrouvent dans d'autres régions européennes, notamment en Belgique et en Allemagne, qui permettent à des partis d'extrême droite de réaliser de bons scores. Un électeur FN sur deux vient des partis UDF et RPR, 25 % viennent de la gauche et 25 % de ieunes nouvellement inscrits sur les listes électorales ou d'anciens abstentionnistes. Contrairement à une idée reçue, souligne Pascal Perrineau, les électeurs communistes ne sont pas significativement sensibles aux sirènes lepénistes. De ce constat, on tire que le vote Le Pen ne s'enracine pas dans des circonstances fugitives. Vote de crise, le vote lepéniste ne sera réduit que par un traitement de fond des crises politique, économique, sociale et culturelle dont il se nourrit. On mesure l'ampleur de la tâche et le courage politique nécessaires. Philippe Moreau ~ Le vote de Dreux préfigure un avenir possible. Il suffit d'une dramatisation de l'élection (comme le décès de Stirbois) ou d'un durcissement de la crise économique, pour que Le Pen ne soit pas si loin de la présidence de la République. On ne doit pas rire avec cela! Si l'on atteint les 15 070 de chômeurs, même si ce n'est pas eux qui nécessairement voteront pour Le Pen, cela provoquera une peur qui s'ajoutera à celle qui existe déjà vis-à-vis de l'Europe et de l'étranger, et cela pourra alors provoquer un basculement de l'électorat. Il suffit de lire-les interviews des habitants de Dreux pour observer avec quelle facilité déroutante ils ont franchi la « ligne de démarcation ». Marseille, Dreux: de nouvelles couches politiques n'hésitent plus à voter FN. C'est un avertissement sérieux dont certains hommes politiques commencent à prendre conscience. Mais, à mon avis, il y a trop de négligence et trop peu de mobilisation. Comment vous semble-t-il possible d'éviter ce cas de figure ? • Le vote en faveur du FN pose un problème de démocratie locale. Certains partis politiques l'ont bien vu. Si localement, il y a perte de sociabilité, perte de liens sociaux, c'est là qu'il faut intervenir pour que les individus prennent en charge leurs existences, leurs relations

prérogatives qui appartiennent encore

bien trop à l'Etat. C'est le paradoxe du vote Le Pen d'être à la fois un vote nationaliste et un vote anti-étatique. J'y vois la revendication d'un autre type de gestion de relations. A Marseille, la journaliste Anne Tristan a bien montré comment le FN cherchait à créer des cellules accueillantes, des groupes conviviaux (2). La mainmise de l'administration qui ligote de plus en plus la France avec des textes produits par des énarques, suscite ce genre de réactions. Il faut en revenir à un plus fort degré d'autonomie locale. C'est par ce moyen que l'on touchera l'électorat du Front national. Mais la gangrène est là. Il faudra lutter encore longtemps ! Propos recueillis par Laure LASFARGUES (I) Dans l'attente d'un ouvrage à paraître sur le sujet. (2) Anne Tristan, Au Front, éd. Gallimard et Folio. • : 16 % I!!':I: 13,5 à 16 E:; : 10 à 13,5 % o : 10 % -----------' Résultats du FN aux élections présidentielles 1988. NATIONAL DEMONTEZ LE PROGRAMME 1 • Le Front national est régulièrement présent aux élections. Il mène campagne essentiellement contre l'immigration et contre l'insécurité. Mais quel est son programme social et politique ? usqu'à présent, le FN n'a sorti qu'un texte globalisant ses propositions politiques. Publié en 1985, Pour la France juxtapose de grandes orientations et quelques points précis répondant aux attentes des courants composant le Front national. Car chrétiens traditionnalistes, ex-poujadistes, ex-OAS, activistes nazillons, solidaristes, fractions royalistes et conservateurs énervés qui cohabitent en son sein partagent de nombreux points communs et quelques solides désaccords. Le programme de 1985 est donc aussi une synthèse minimale à usage interne avec comme lignes directrices l'exclusion ethnique, l'antisyndicalisme, l'anticommunisme, un fort courant antiparlementaire, des thèmes sécuritaires omniprésents et des thèses économiques libérales pures et dures. Le tout lié d'une forte sauce démago-poujadiste. MYSTIQUE ET MYSTIFICATEURS Pour Jean-Marie Le Pen, préfacier de l'ouvrage, idéalisme et politique priment (p. 8 et 9) car l'économie - le matérialisme dit-il - « ne vaincra pas la mort qui appartient à l'essence de notre destin. Elle ne pourra pas non plus répondre aux interrogations sans limites de nos esprits ni combler les aspirations infinies de nos âmes» (p. 9). Car « la politique S.C.A ... : Section Carrément Anti-Le Pen. est l'art d'assurer la survie de la Nation» et c'est« en servant les communautés dont il est membre et d'abord les principales: lafami/le et la patrie, que l'homme a le plus de chance de construire son bonheur ». Un bonheur qui n'est empêché que par les autres, à commencer par ceux qui n'appartiennent pas à ces communautés, et par une classe politique sclérosée « qui ne défend pas la Nation », le patrimoine et les« héritiers français » que nous sommes. Adossée à ces grands élans mystiques, la traduction concrète des projets lepéniste cède cependant la place très vite à la mystification démagogique. Thème lepéniste de base, rendre la parole au 31 peuple revient ainsi à centrer le débat politique sur des thèmes choisis pour la latitude qu'ils offrent à la manoeuvre: l'identité nationale et la qualité de la vie (c'est ici, d'abord la maîtrise de l'immigration), l'insécurité (et c'est l'exemple de la peine de mort qui est avancé), le désengagement de l'Etat (dénationalisations) ou encore l'utilisation de l'impôt... (p. 37). La mise en avant systématique du référendum comme outil de parole est tout aussi suspecte

le référendum lepéniste est d'abord un

plébiscite antiparlementaire, contre une classe politique « coupée des réalités ... ouverte aux tentations de la décadence ». Le disours mussolinien sur les élites vérolées et cosmopolistes n'est pas loin. Il a d'ailleurs déjà été utilisé au FN. Rendre la parole au peuple c'est en fait, pour Le Pen, lui faire avaliser sa politique d'exclusion en dévoyant les questions et les formes de consultations et de décisions. « Démagogisées », les interrogations de la population se voient transformées en voies de garages réductrices et en portes ouvertes à toutes les dérives sécuritaires, xénophobes et antidémocratiques. L'ETAT MOLOCH La même démagogie est utilisée contre l'Etat, considéré comme Moloch à abattre. Pour Le Pen, il est impératif de le cantonner à la sécurité, la diplomatie et la défense. Le reste, tout le reste, doit être privatisé (services publics) ou dénationalisé (p. 55), même l'enseignement où doit primer la liberté de recrutement des professeurs et des élèves. Les fonctionnaires se verront réduits en nombre, soumis à une hiérarchie puissante, interdits de droit de grève (1) et de tout mandat électif. Ils seront payés au mérite. La réglementation économique et sociale disparaîtra. Pas de contrôle des prix, liberté totale d'embauche et de licenciement (p. 63), liberté des salaires (pas de SMIC garanti) et de la durée du travail (plus de 39 heures), abolition des lois sociales (notamment les lois Auroux), mise en concurrence de la Sécurité sociale avec les assurances privées, relèvement du nombre de salariés nécessaires pour disposer de délégué syndicaux, etc. (p. 155 à 158). Dans ces conditions, le projet affiché de créer des zones économiques franches risquent fort de tourner aux situations du tiers monde : Taïwan ou la Corée du Sud. D'autant que le Front national, très antisyndicaliste, demande que les grèves ne puissent avoir lieu qu'après un vote majoritaire tenu hors des locaux de l'entreprise et sous contrôle judiciaire ! Les ouvriers et employés de Dreux ou Marseille qui, excédés pàr leurs conditions de vie difficiles, sont tentés de voter à l'extrême droite ignorent très certainement que le FN 32 entend appliquer un ultralibéralisme dont il seraient les premiers à souffrir. HLM A VENDRE La « propriété c'est la vie» ou « la liberté» ; pour faire passer la pillule, le Front national envisage (p. 67) de rendre tous les Français propriétaires. Il entend distribuer 70 0,70 des actions des services et entreprises publics dénationalisés aux Français, au prorata du nombre d'enfants de chaque famille, gratuitement. Il est vrai que les lignes suivantes prévoient un système d'obligations convertibles, de conversions de titres et de vente au public des titres restants qui laisse une porte de sortie. En quelques années, actions réalisées et obligations cédées (par les plus pauvres d'abord) ramèneraient l'opération actions gratuites à ce qu'elle est : du vent. Du même tonneau, le FN sort l'idée de revendre les HLM à leurs locataires français. Combien de famille pourraient les acheter? Peu, et l'opération se résumerait à la mainmise de gros investisseurs immobiliers sur un juteux stock de 2,5 millions de logements. Une fois les loyers« libérés », les familles populaires y demeurant seraient, une fois encore, les victimes. CONTRE LE FISC La fiscalité est un autre des terrains de prédilection du FN. Vieille tradition de l'extrême droite: la Ligue des contribuables d'avant-guerre; Poujade et autres démagogues ont montré qu'il y avait là matière à gagner des suffrages. Première idée: l'impôt sur le revenu ne doit plus être progressif mais proportionnel. La différence est énorme. La progressivité de l'impôt signifie que les taux de retenue appliqués aux petits revenus sont moins importants que ceux appliqués au gros revenus. Avec un salaire moyen, vous laissez environ 10 à 15 % dans les mains du fisc. Si vous avez de très gros revenus, cela peut monter à 65 %. L'impôt frappe différemment pour répartir plus justement l'effort. L'inégalité au service de la justice ! Payer 10 % sur 100 000 F est cependant parfois plus compliqué que payer 650 millions sur un milliard. A ce système, le FN préfère la proportionnalité. Les petits salaires paieraient par exemple 10 % ou 15 %, les gros aussi. Apparente égalité qui masque que 10 % de 100 000 F ne laissent pas la même chose que le milliard précité. Encore traîne-t-il dans ce programme l'idée que l'impôt sur le revenu devrait disparaître au profit de la TVA. Or cette taxe frappe, à taux égal, riches et pauvres. Quelles que soient les ressources des uns ou des autres, ils paient la même TVA sur la baguette de pain ou les chaussures. Sauf ceux qui ont des enfants: ils paient plus. La philosophie fiscale du FN se résume ainsi

tous les boxeurs sont des boxeurs. Qu'ils

pèsent 60 ou 120 kg, ils boxent en même catégorie. Les poids coq fiscaux seraient encore les dindons de la farce ... Le même programme exige une lutte accrue contre les fraudeurs fiscaux, question de morale. Morale mise à part, il demande quelques lignes plus loin une large amnistie ... fiscale (p. 76) et que l'Etat « renonce aux procédures inquisitoriales ». L'inquisition, il est vrai, c'est d'abord aux yeux des rédacteurs l'impôt sur les grandes fortunes et l'impôt sur les plusvalues. SOLIDARITE SELECTIVE « La solidarité nationale ne doit intervenir que de manière subsidiaire », sous peine de voir se diluer la responsabilité personnelle. Un credo posé d'évidence par le Front national et qui vise la Sécurité sociale et les prestations sociales. La Sécu, c'est l'ennemi: chère, ouverte aux immigrés, conventionnant les médecins, obligatoire pour les salariés. C'est un symbole du collectivisme et du gâchis étatique (p. 87 et 88). Plutôt les assurances privées, où l'on a ce qu'ont peut se payer et la liberté totale des honoraires des médecins. Une vision très reaganienne dont les résultats sont connus outre-Atlantique: soins inaccessible à de larges parties de la population, retraites anémiques, marginalisation des plus pauvres, etc. EXCLUSION On pourrait continuer ainsi pendant longtemps, il y en a près de deux cents pages. Et nous n'avons pas encore parlé de l'immigration et de la « préférence nationale» qui exclut dans tous les chapitres les immigrés de l'éducation, du logement, de l'emploi, des services sociaux et où la politique du FN apparaît encore plus nettement. Le programme du FN, hors les propositions concernant l'immigration est peu connu. Sous la liberté affichée, c'est le libéralisme économique le plus dur, allié à l'autoritarisme politique affirmé qui est proposé. C'est un programme qui veut fragmenter la société, la parcelliser. L'exclusion en est le fil conducteur; exclusion des immigrés, bien sûr, mais aussi de ceux qui pensent autrement. Exclusion de ceux qui travaillent de toute action socioéconomique, des plus faibles de toute protection sociale, des femmes de tout rôle social en dehors de la gestion du foyer. Les propositions faites par Le Pen entendent assurer et autoproclament le pouvoir d'une caste aisée, mâle, blanche, qualifiée et en bonne santé. La société ici décrite en filigrane n'offre pas de place aux autres, à tous les autres. Le programme du Front national le montre, encore faut-il démonter le programme. René Fran~ois (1) François Bachelot, déput FN, 23 octobre 1986, JO. LE FRONT ••• CA FAIT MÂLE • « La France c'est la terre de nos pères. » Adoptez notre programme parce que c'est un programme d'hommes ... Tout comme la pub, le FN affirme et répète: c'est masculin donc c'est viril. L'univers du FN est un univers de ..g~ « guerriers» qui se gargarisent ~ constamment de références à la ] « virilité » ; le langage y est fortement con- ~ noté de termes militaires. Son idéologie s'ar- Mal 88. Le CHFE fête Jeanne d'Arc. ticule autour des valeurs de puissance, de pouvoir et de domination. C'est un monde qui s'acharne à distinguer biologiquement hommes et femmes pour cantonner celles-ci dans un rôle de reproductrices. Les lepénistes rendent ainsi la femme française responsable par défaut de la décadence nationale, qui serait entraînée par la baisse de leur fécondité. A bout d'arguments pour vanter les charmes de la profession de mère de famille nombreuse .~ ~ à plein temps, Le Pen propose l'instauration- .~ récompense d'un vote familial, c'est-à-dire ~ l'attribution d'autant de bulletins de vote qu'il ya d'enfants mineurs (1). Placée sur le trône ~

de la famille, la femme aura bien du mal à en redescendre. Sauf à devenir Jeanne d'Arc, vierge égérie du FN. Mère, vierge (ou putain ?), voilà les alternatives offertes aux femmes. Marie-France Stirbois, pâle copie désignée de la bergère de Dornrémy, n'existe au FN que comme « Mme Jean-Pierre Stirbois »ou « la Veuve de JeanPierre Stirbois ». Pour ledit Stirbois, elle était « la mère de mes enfants ». Ce discours d'enfermement sait cependant s'adapter aux circonstances de son temps. Au : « ... pour sauver nos sociétés et notre avenir, notre vie individuelle et collective, il faut que les femmes aient des enfants, qu'elles acceptent que ces enfants servent éventuellement et peut-être meurent pour défendre la liberté de la patrie. Il faut qu'il y est une autorité, et nous pensons que l'autorité la plus qualifiée dans un ménage c'est celle de l'homme» (2) s'est substitué un ton plus passe-partout : « un pays qui se dépeuple est condamné à terme à devenir la propriété de l'étranger, la victime de tous les pillages et le cadre de toutes les oppressions. Voilà pourquoi la défense de lafamille est le complément de celle de la Nation ». L'étranger, c'est bien sûr l'immigré, cible privilégiée du FN. A la suite du meurtre crapuleux de Françoise Combier, compagne d'un élu FN, le 31 octobre 1989 à Avignon, par un Maghrébin, on a pu entendre : « Ils voilent leurs femmes et Nov. 89. Fidèles de Mgr Lefébre DU Bourget. tt Ils voilenlleu,s lemmes el ils violenl les nôl,es. " Saumâtre réécriture de l'Histoire par ceux-là mime qui dévoilaient pour violer en Algérie. ils violent les nôtres. »Saumâtre réécriture de l'Histoire par ceux-là mêmes qui dévoilaient pour violer en Algérie ... Phrase révélatrice aussi d'une technique de récupération aguerrie et d'un sens exacerbé de la propriété. Les agressions contre les femmes n'ont lieu pour les lepénistes que commises par l'envahisseur étranger, et seulement sur des Françaises. Ce ne sont jamais des violences contre des individues à part entière mais contre une femme de la horde. LE CNFE Cette idéologie sexiste et raciste a aussi sa section féminine, le Cercle national des femmes d'Europe, fondé en 1985 et dirigé par Martine Lehideux, élue européenne en 1984. Le CNFE ne parle que de « féminité » et de vertu, s'alarme, tout comme ses pairs, de l'indice de fécondité des femmes françaises (1,8 %) qu'il compare avec terreur à celui des femmes algériennes (5,6 %)*. Sa dirigeante s'affole devant le déclin de la nuptialité et l'augmentation des divorces qu'elle impute bravement aux fantômes marxisants qui inflitreraient jusqu'à l'intimité des couples ... Le CNFE, qui aime passionnément ses enfants, beaucoup ceux de ses voisins, et pas du tout ceux des immigrés, réclame l'exclusivité des prestations familiales et la priorité d'accès aux HLM pour les familles françaises et européennes. Son remède contre la décadence nationale est d'une simplicité élémentaire: encourager le mariage en modifiant le droit fiscal au profit des couples mariés, attribuer un salaire maternel égal au SMIC, abroger la loi Veil et supprimer le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. Dédiées à leurs enfants, les mères doivent jouer un rôle dans la transmission des « valeurs », puisque l'école (aux mains des « marxistes ») n'assure plus. Il faut donc éduquer jeune et tôt, et d'abord les filles. « Mille petites règles quotidiennes qui, sous une forme amusante, suggèrent des comportements et une prise de conscience des contraintes de la vie en société» ont ainsi été élaborées par des éditions Sdp à vocation d'assainissement civique, pour la Petite Julie dans la trilogie « D'une petite Française à la maison ». Le CNFE revendique 3 000 adhérentes, sans toutefois préciser si ces nouvelles évangélistes officient sur le seul Hexagone ou crapahutent dans toute l'Europe. Car si les mères de France ont un rôle formateur, la Francemère civilisatrice en a un autre, à plus grande échelle : éduquer les peuples au bonheur. « La colonisation fut à la source de l'éveil à la fois économique et humain des populations africaines» nous apprend Martine Lehideux et « les seuls pays d'Afrique qui demeurent de niveau humain, ce sont ceux qui collaborent de façon officielle avec les pays européens et tout particulièrement la France» (3). Dans ces élucubrations cyniques, la dame nous explique que l'assujettissement des femmes est un idéal parallèle à la colonisation des peuples. Marina Da Silva (1) La proposition de loi nO 986 du 16.10.87, déposée par le FN demande « d'attribuer les voix des filles à la mère et les voix des garçons au père ». (2) La droite aujourd'hui, 1979, Jean-Pierre Apparu Albin Michel. ' (3) Réalités du développement en Afrique, Martine Lehideux, brochure du CNFE, 1987.

  • Selon Georges Tapinos, chef du département de démographie

économique à l'INED : Italiennes: 2,04 Espagnoles : 1,84 Portugaises: 2,23 Algériennes: 4,35 Marocaines: 5,84 En tendance constante à la baisse, se rapprochant des comportements français (l'Express, 14.2.86). 33 Un axiome: favoriser les « nôtres », éliminer les « autres ». Le Français idéal c'est celui qui n'est ni juif, ni noir, ni frisé, ni mal-pensant, ni handicapé. Celui qui n'entre pas dans la case

vous et moi.

uelles que soient ses références conjoncturelles ou historiques, ses options tactiques ou fondamentales, la mouvance extrémiste de droite utilise la xénophobie. Elle exploite à outrance la peur du différent, de l'étranger, de l'inconnu. Par l'élaboration théorisée d'arguments ou par simple distillement pragmatique, au coup par coup, cette peur que l'on dit« naturelle» est rendue active, agressive, systématique. Le principe de sélection offre à l'idéologie xénophobe une prémisse de choix. C'est en son nom que furent instaurés par le nazisme non seulement l'horreur des haras humains du Lebensborn - lieu où fut créée « une institution honnête et philantropique »(Himmler) d'où devait jaillir une race « pure» et « supérieure », confiée aux bons soins d'honnêtes médecins et de consciencieuses infirmières (1) - mais aussi l'application de la « délivrance par la mort» des malades incurables, aliénés, handicapés, soldats allemands blessés, races inférieures et autres « improductifs» ou indésirables (2). En France, on a vu ressurgir dans les années 70 le thème de la sélection artificielle appliquée aux êtres humains. De bien curieux défenseurs de l'avortement le présentent comme un choix « moral» indispensable. Dans une lettre adressée aux députés UDR (22 octobre 1970), le docteur Peyret note: « Les progrès de la médecine font qu'à la sélection naturelle devra succéder de plus en plus la sélection artificielle. »La psychose de la « dégénérescence génétique» va jusqu'à envisager le cas où les parents présentent des tares physiques ou mentales « qui risquent de les rendre inaptes à assurer convenablement l'entretien et {'éducation des enfants ». Gobineau avait déjà au siècle dernier développé les thèmes relatifs à « l'hygiène raciale », qu'on appelle encore « eugénisme ». Du rejet sans recours de la« faiblesse» physique ou mentale, naît ou se répète le fantasme programmatique que le nazisme a porté au degré bien réel de sophistication que l'on sait: multiplier les forts, éliminer les faibles 34 XENOPHOBIE ou prétendûment tels. Le Pen développait il y a plus de dix ans une formulation à la fois proche et atténuée: En privilégiant, enfavorisant par trop les faibles dans tous les domaines, on affaiblit le corps social en général. On fait exactement l'inverse de ce que font les éleveurs de chiens et de chevaux. Je ne suis pas hostile à ce qu'on soulage les malheurs, par exemple les handicapés, mais on aboutit maintenant presque à une promotion du handicapé (3). » Les critères qui permettent de distinguer ceux qui ont le droit de vivre ou d'être secourus de ceux qui ne l'ont pas se fondent sur une nécessaire hiérarchie. C'est au nom d'un ordre préférentiel que se définissent pour l'extrême droite les âges, les sexes, les peuples et/ou races. L'hypermanichéisme organique de l'imaginaire d'extrême droite en appelle à la supériorité intrinsèque et éternelle de 1'« homme blanc». « A bas la démocratie! A bas la société multiraciale! Vive l'Europe libre et unie! Vive la race blanche », s'esclame M. Cornilleau, président du PNFE (aujourd'hui sous les verrous, inculpé d'attentats) dans le premier numéro de Tribune naen permettant à l'extrême droite de faire fonctionner tous azimuts ses schèmes fondateurs : la sélection, la hiérarchie, l'inégalité. Le dispositif argumentaire raciste a subi en Occident et singulièrement en France une sorte de toilettage des arcanes classiques de l'idéologie de l'extrême droite. A l'affirmation d'un racisme biologique se superpose, selon les contextes et les supports, un racisme culturel ou « différentialiste ». A la hiérarchisation des races et leur classification en supérieures et inférieures se substitue le « chacun chez soi ». « L'éloge de la différence », détournée de sa conception égalitaire chère aux antiracistes, ne remet pas en cause le concept de race dans son acception raciste. Elle le contourne et le détourne. La défense de la différence signifie pour l'extrême droite éloge de l'inégalité. « Il y a des inégalités qui sont des justices et des inégalités qui sont des injustices. Nous sommes pour la justice et non pour l'égalité. Le thème de l'égalité nous paraît décadent », dixit Le Pen (4). C'est par ce genre de tours de passe-passe que fonctionne le discours raciste, lequel aboutit à des situations hautement paradoxales, que LA DICTATURE tionaliste (octobre 1985). Et d'ajouter: « La ligne de partage fondamentale incontournable ? C'est la question raciale. » « Europe blanche, contre les bolchevismes », clament les slogans du GUD (Groupe union défense) sur les murs de l'université de Villetaneuse dans la région parisienne Uuin 1988). L'INEGALITE ABSOLUE La haine du mélange interethnique, du cosmopolitisme, de l'idéologie des droits de l'homme fait de l'extrême droite l'ennemie jurée de la Révolution française et des idéaux d'égalité. Le message raciste prend là un sens manifeste : l'inégalité et la discrimination sont non seulement légitimées mais considérées comme des valeurs absolument positives. L'inégalité, raciale, mais pas uniquement, devient une norme de l'action politique que cachent (mal) les oripeaux du discours populiste et les effets de tribune des « grandes gueules ». Tout le dispositif de séduction, en particulier électorale, repose sur la féconde propension à croiser l'apparence et le réel: à partir des apparences sensibles le racisme déduit des réponses simplistes sans aucun rapport avec les réalités profondes qui les gouvernent. Ce dispositif se base sur les critères racistes, comme la couleur de la peau, parce que cette différence présente l'avantage de l'évidence tout l'irrationnel gomme, que la mémoire oublie. Les cheveux noirs d'Hitler et la petite taille de Goebbels ne les ont pas empêchés d'être considérés par les racistes comme appartenant à la race des grands Aryens blonds. Constamment réinventé dans ses formes comme dans ses objets, le discours raciste ne tombe pas facilement sous les coups de boutoir de l'analyse rationnelle. L'efficacité de sa reproduction se nourrit de mythes naturalistes qui perdurent. Ainsi, l'autre psychose, celle de « l'espace vital », se réactive dans la bouche de Le Pen devant le Parlement européen : « Nous devons agir ... en occupant notre espace vital puisque la nature a horreur du vide et que si nous ne l'occupons pas, d'autres l'occuperont à notre place ( ... ) Tous les êtres vivants se voient assignés par la nature des aires vitales conformes à leurs dispositions ou à leurs affinités. Il en est de même des hommes et des peuples. Tous sont soumis à la dure loi pour la vie de l'espace. Les meilleurs, c'està- dire les plus aptes, survivent et prospèrent tant qu'ils le demeurent» (25 mai 1984). La concomittance de l'argument naturaliste du racisme biologique et de l'argument élitaire culturaliste montre la capacité de l'extrême droite à redynamiser le sens d'une notion que l'on croyait aussi morte que l'antisémitisme actif ou déclaré. Plusieurs procès ont émaillé ces dernières années, ces derniers mois, la vie judiciaire fran- Français eux-mêmes (5). »En somme, l'antiçaise. Autant d'indices qui nourrissent l'hypo- sémitisme moderne, constante culturelle depuis thèse d'une résurgence de l'antisémitisme. une centaine d'années lors de la victoire du na- Non pas qu'il ait un jour totalement disparu zisme en Allemagne, se trouve en 1940 en simais, à l'instar des autres formes de racisme, tuation d'entérinement légal. Ce fait d'histoiil persiste et désormais signe. Animateur sur re appartient d'autant plus aux particularités RTL d'une émission intitulée « les auditeurs de la tradition antisémite française que d'auont la parole », Alain Krauss constate: « J'ai tres pays occupés, comme la Bulgarie ou le Datoujours reçu des appels antisémites. Anony- nemark, d'où l'antisémitisme n'était pas abmes dans leur immense majorité. En ce mo- sent, n'ont connu ni la collaboration étatique ment, ils ne sont pas plus nombreux. Seule- ni l'autopromulgation de lois antisémites (6). ment mes interlocuteurs choisissent désormais Il est par ailleurs remarquable de constater que de ne pas se dissimuler. Ils donnent volon- l'antisémitisme moderne apparaît paradoxaletiers leurs nom, adresse, numéro de télépho- ment dans la période où l'émancipation des ne. Ça, c'est nouveau. » L'antisémite hier juifs devient effective (1830/1890). De l'affaire honteux tend désormais à afficher son opi- Dreyfus aux attaques, y compris physiques de nion. Parallèlement, le « Je ne suis pas ra- Léon Blum précisément parce qu'il était juif, ciste, mais ... »est remplacé par « je suis ra- en passant par Maurras, Drumont, Pétain et ciste parce que ... » tous les autres, la permanence antisémite fait LE RACISME DECLARE revêtir au juif la figure du bouc-émissaire La promulgation des « lois juives» par le exemplaire. Tout a été dit et écrit sur la quesgouvernement de Vichy en 1940 ne correspon- tion. L'enjeu principal, qui relève aujourd'hui dait pas à une simple complaisance vis-à-vis 1 a t ê te, rés ide dan s cet t e de l'occupant nazi: « Ilfallait admettre obstination à« repérer le juif sous le masque les édicter, une différence entre ........... ',/0 l'assimilé ». L'antisémitisme est à ce niveau sidents et citoyens, puis entre un précieux révélateur de la logique en spirale du racisme de l'extrême droite. Lorsque le « juif» ou « l'étranger» est suffisamment différent, par la couleur de sa peau, sa culture ou sa religion, l'argument raciste repose sur l'axiome de la supériorité de telle race ou de telle culture : l'autre est méprisable, il faut le faire partir, l'expulser loin de sa propre vue. Lorsqu'il s'assimile au point de perdre sa différence visible, il devient encore plus dangereux, on passe à la légitimation de la « mise hors d'état de nuire ». Le raisonnement de Maurras est à ce titre exemplaire : « Tout juif qu'on voit, tout juif avéré est relativement peu dangereux... il est possible de le surveiller ... le juif dangereux, c'est le juif vague ... C'est l'animal nuisible par excellence et l'animal insaisissable. » Comment sortir de la spirale de la haine, du cercle vicieux ? En payant le prix du sang, répond en substance le nationalisme chauvin. Soit, nombre d'étrangers, tant de juifs et combien de « harkis », sont morts dans les rangs de la MOI ou des autres guerres patriotiques ou coloniales. Mais alors surgit encore ... la suspicion. « Français de papier! », accuse aujourd'hui l'extrême droite qui reven- DES EIGNEURS Drapeau et membre du groupe Jeune Garde. La conception nazie du monde ne manque pas d'adeptes. 35 dique (encore !) une réforme du code de la nationalité. Le mouvement Poujade (dont Le Pen fut député) se méfiait lui aussi des « Français de fraîche date» et reprochait à Mendès-France de n'avoir pas « une goutte de sang gaulois dans les veines» . LAPSUS EN SERIE Le Pen, pour sa part, oscille entre le lapsus antisémite répété et le mea culpa, entre le racisme antiarabe et l'apologie de l'Etat d'Israël, entre le racisme biologique et le racisme culturel inspiré de la nouvelle droite. Toutes histoires, origines, statuts, nationalités, options, âges confondus, les immigrés ont constitué le thème premier de la propagande du Front national durant la décennie qui vient de s'écouler. Le mensonge, par omission, consiste à présenter les mouvements migratoires les plus récents, par ailleurs déjà constitués en populations endogènes, comme un ~ phénomène nouveau. Or, la focalisation anti- ~ immigrés a toujours fonctionné à la « raci- Lorsque ce n'est plus « liberté» qu'on écrit sur les murs ••• sation » d'un phénomène socio-économique. Un tract signé de « la Ligue de la patrie française » datant de 1903 appelait à chasser « les envahisseurs italiens de la Provence ». Et les décrivait ainsi : « Ils volent les emplois. Ils sont sales et emplissent les hôpitaux. C'est l'armée du crime. C'est un complot: la race française sera débordée avant peu à Marseille. Il faut les taxer. Il faut les empêcher de devenir français. » A l'époque, les précurseurs de l'extrême droite d'aujourd'hui appelaient au crime en hurlant : « La Canebière n'est plus française. »Effet immédiat: de véritables chasses aux loubards aboutissant à une série d'assassinats ont jalonné l'histoire de l'immigration italienne. L'exagération aussi mystifiante que récurrente des chiffres nourrit le mythe de l'invasion et son nécessaire antidote : la préservation de l'espace vital. Enfin les thèmes sécuritaires et l'horreur des promiscuités culturelles attisent les réflexes conditionnés. Le programme du FN en matière d'immigration reprend, en les dissolvant quelque peu, les arguments classiques de l'idéologie xénophobe. «Devenir pleinement français ou partir », telle serait l'alternative (7). Mais ce programme,se mord la queue puisque dans le même temps, les « naturalisations » sont comptabilisées dans la rubrique « étrangers » ! La réglementation draconienne de l'accès à la nationalité française est un des thèmes connus du FN. Ce que l'on sait moins c'est que l'annulatiort de la nationalisation est aussi envisagée purement et simplement. La racisation du phénomène migratoire par instrumentalisation des personnes s'accompagne d'une distinction nette entre originaires des pays du tiers monde et d'Europe, lesquels ne seraient pas touchés par cette exclusion à la vitesse grand V. Les « harkis » et « enfants 36 de harkis »sont a priori exclus des tranchées de la guerre ouverte puisqu'ils « ont acquis la nationalité française par le sang versé ». La mystique du « sol et du sang »toujours, qui trace la barrière infranchissable entre les bons et les mauvais, les nôtres et les autres. Le sang versé n'a pas empêché Michel Collinot, alors député européen du FN, de traiter Ali Rafa, 23 ans, un fils de « harki» titulaire de la médaille militaire, sa famille et ses amis de « pègre importée ». A. Rafa venait d'être assassiné (Reims 1989). L'instruction est en cours (8). Assimiler ou raciser Le prétexte de l'inassimilabilité ne tient la route ni devant l'alibi du sang versé ou pas, ni devant les calembours antisémites, trop récurrents pour ne pas signifier, ni devant la présence de personnes appartenant à ces « inassimilables »dans les rangs du FN. La méthode est éculée. Mais le danger est ailleurs. Il réside dans l'installation d'un climat de conflit interethnique attisé et dans la mise sous surveillance des populations immigrées les plus défavorisées. Ainsi les députés du FN proposaient en 1987 une loi visant à obliger le gouvernement à déposer plusieurs rapports concernant les immigrés

nombre et répartition. Au début de

l'année 1989, le conseil régional d'Ile-deFrance vote un amendement du groupe FN consistant à financer une étude pour recenser les immigrés clandestins. A Saint-Gilles, le maire FN a demandé à la préfecture de « procéder à un recensement intermédiaire de la population» précédant d'un an le prochain recensement national. Un recensement commandité par le FN, ce n'est pas vraiment rassurant. Face à cette mouvance xénophobe, à ces succès électoraux qui tombent régulièrement comme des électrochocs, on peut se'- iemander où est passé notre patrimoine de cellules grises. A moins qu'un effort général de décolonisation de notre philosophie occidentale ne reste à faire. Celle-ci a bien produit en toute innocence l'idéologie coloniale dont les références communes avec celles de l'extrême droite sont avérées. Tuer ou assimiler, telle fut le plus souvent, malgré certains présupposés humanistes, l'objet concret de l'aventure coloniale. Et devant l'assimilation impossible naissait l'inévitable racisation. Les Africains étaient à l'époque tous des Sénégalais, tirailleurs ou pas. Aujourd'hui, la racisation en « nègres » ou en « arabes» se poursuit dans un autre contexte. L'extrême droite distille une vision homogénéisante et réductrice des communautées concernées. L'indistinction est totale entre Berbères et Arabes, Zaïrois et Sénégalais, Tunisiens et Algériens, nés en France ou pas, ayant opté pour la nationalité française ou non ... Les mêmes petites cellules grises habitent pourtant toutes les têtes : quels que soient la couleur de la peau, la taille de l'individu, son sexe, le mets qu'il affectionne ou la chanson qu'il se chante. Les racistes, eux, ont-ils encore des cellules grises ? Chérlfa Benabdessadok (1) Cf. « La morale des seigneurs » de Peter Bleuel et le film « Au nom de la race » de Roger Stéphane. (2) Cf. encadré. (3) ln La droite aujourd'hui, J. -P. Apparu, Albin Michel. (4) Les Français d'abord, de J.-M. Le Pen, CarèrelLafon, 1984. (5) L'idéologie raciste, genèse et langage actuel, Colette Guillaumin, Mouton, 1972. (6) Lire « Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal » par Hannah Arendt. (7) Pour la France, programme du Front national, J.-M. Le Pen, Albatros, 1985. (8) Cf. « Différences » mensuel nO 99. SELECTON PREFERER POUR EXCLURE La préférence nationale prônée par le FN est un éloge de l'inégalité. Premiers servis: les immigrés. Ça commence toujours comme ça. La récupération flagrante du « droit à la différence» par les idéologues de l'extrême droite s'inscrit en ligne directe dans une réactivation de l'ethnocentrisme. Celui-ci étant, affirme-t-on, la chose du monde la mieux partagée, la supériorité ici et aujourd'hui de la civilisation « blanche» occidentale serait justifiée. La notion de « préférence nationale », sur laquelle est bâti le programme du FN tout en inspirant l'ensemble des mouvements d'extrême droite, permet d'occulter la réalité des rapports de domination et d'exploitation ainsi que des rapports de force et d'hostilité. Nouvelle version de l'éloge de l'inégalité, la préférence nationale se programme en deux points essentiels: l'expulsion massive des travailleurs immigrés (150000 par an), opération financée par ces travailleurs eux-mêmes, . et la remise en cause de l'ensemble du dispositif juridique et social qui permet aux résidents étrangers d'appartenir à un état de droit : suppression du droit de vote aux étrangers pour les élections aux caisses de Sécurité sociale et aux prud'hommes; mise en cause (pour la France, programme du FN) du droit d'association; réservation de l'emploi aux « nationaux », etc. Un racisme institutionnel en quelque sorte. L'argumentaire de la préférence nationale passe par la mise en scène d'un conflit où se jouent trois mots clés: étranger, immigré, immigration. Le message produit prend une dimension passionnelle et un caractère d'urgence, justifiant la possibilité de recours à tous les moyens, par la stimulation d'obsessions concrètes et quotidiennes : phobie sécuritaire, phantasmes catastrophiques. Deuxième réactivation : la distinction entre patrie et nation. « On aboutit dans le texte frontiste, à une distinction entre deux types de Français: ceux qui n'appartiennent qu'à la nation (les Français par naturalisation) et ceux qui appartiennent à la nation et à la patrie parce que le corps de leur père "redevenu poussière (s'est mêlé) à la terre de France" »(Les Français d'abord, J.-M. Le Pen, 1984) (1). Les références xénophobes induites par cette « préférence» restent le plus souvent implicites. Un choix des mots s'opère. Ainsi, l'expression « vrais Français » est évitée bien qu'il soit clair que certains Français sont plus français que d'autres. Le discours frontiste (programme, presse, discours) se tient en lisière du vocabulaire xénophobe. Il utilise assez rarement le terme « arabe» (trop proche du racisme colonial) mais les expressions génériques relatives aux Maghrébins sont hégémoniques. « L'Afrique noire et l'Asie sont généralement regroupées dans la lexie tiers monde, fortement connotée (indifférenciation, prolifération, arriération, misère, etc). Quant aux immigrés originaires d'Europe ou de la CEE, ils ne sont mentionnés qu'exceptionnellement et en contexte favorable - par exemple lorsqu'il s'agit de démentir la réputation de xénophobie attachée au Front national » (2). Si l'on se réfère à la phrase fétiche du président du FN, on se rend compte que le Français est au coeur d'un réseau concentrique dont les cercles plus ou moins proches définissent les préférences: « J'aime mieux mes La cc préférence natianale )) ou l'art d'occulter la réalité des rapports de domination et d'exploitation. filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines, mes voisines que les inconnus et les inconnus que des ennemis. Par conséquent j'aime mieux les Français, c'est mon droit. J'aime mieux les Européens ensuite, et puis ensuite j'aime mieux les Occidentaux, et puis j'aime mieux dans les autres pays du monde ceux qui sont les alliés et ceux qui aiment la France. » Le Pen se garde bien d'expliciter la valorisation d'une communauté raciale impliquée par cette subjectivité partisane. Le fameux « racisme antifrançais » se développe dans une logorrhée où se disputent les images de l'intrusion, du métissage, du viol, de l'homosexualité, de la prostitution. Exempies: « La patrie n'est pas un hôtel de passe pour six millions d'immigrés» (in L'effet Le Pen, E. Plenel et A. Rollat). Et encore: «Demain les immigrés s'installeront chez vous, mangeront votre soupe et coucheront avec votre femme, votre fils ou votre fille» (in La droite aujourd'hui, J.-P. Apparu). Il yen a des dizaines et des dizaines d'autres du même acabit. A la lumière de ce bref panorama, on se rend bien compte que la récupération xénophobe du droit à la différence relève de l'imposture. Cette imposture n'enlève rien à la célébration des altérités comme sources de vie. A condition bien sûr que la bataille intellectuelle y compris linguistique contre l'extrême droite ne se fige pas dans des dogmes rassurants. Et surtout, qu'elle reprenne l'offensive. Chérlfa Benabdessadok (1) La « hiérarchie des sentiments ». Description et mise en scène du Français et de l'immigré dans le discours du F~ont national, J.-P. Honoré, la revue Mots nO 12 (n 0 spécl~ 1 consacré à : Droite, nouvelle droite, extrême droite, Discours et idéOlogie en France et en Italie), Presses de la Fondation nationale des sciences politiques. âtA~Jl~ ~r, •• 37 Un teint trop basané sert désormais de cible et de défouloir à toutes les « pulsions» nerveuses. Une enquête de Suzanne Kala-Lobé. Pour ne pas oublier qu'il y a des morts. madi Kante, travaillant en France, est tué le 20 décembre 1988, à Epinay-sur-Seine. Ses assassins; cinq jeunes Français qui avaient déjà jalonné la région de leurs exploits, en posant ici et là, bombes, explosifs et autres charmants outils, destinés à nettoyer la France des bougnoules. Ils étaient connus et repérés, mais la police les laissa courir jusqu'au jour où ils tuèrent Amadi Kante. Fin de l'épisode ? Non point ! Parce que des crimes crapuleux comme celui-ci, il y en eut. Il y en a. On commence à les recouper de manière systématique depuis 80. Et « on » commence à les lier avec le moment où la France bascula dans l'absurde; le Front national, parti d'extrême droite, venait de réaliser un score électoral lui permettant de siéger à l'Assemblée nationale; 14 070 ••• Le racisme, condamné pourtant comme délit par la loi de 1972, persistait à n'être en France qu'une opinion qui tue. Dès lors, les crimes succèdent aux attentats organisés et les meurtres racistes endeuillent des familles d'immigrés, comme si la « peste brune» revenait en force. Les victimes; des hommes (surtout) qui n'ont comme handicap qu'un teint trop basané, un nom pas d'ici. La France s'intalle-t-elle dans une barbarie des temps modernes, elle qui fêta avec faste le bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen? Cette interrogation s'appuie sur l'examen attentif des « unes» et « brèves» de quelques quotidiens rapportant les actes violents d'individus isolés ou regroupés se réclamant de l'extrême droite et clamant haut et fort avec leur chef de file que la France doit rester aux Français, physiquement reconnaissables par leur teint, la couleur de leurs yeux, leur patrimoine. Ils ont tué en l'espace de sept ans, 107 Arabes. Ils ont assassiné ces trois dernières 38 CRIMES AU NOM DES années, seulement, près de 50 Mohammed, Amadi, Ali, Majoub ... Ils, ce sont ; des élus du FN, des skinheads, des militants du Parti nationaliste français et européen, des policiers, des paras, des vigiles, des excités éméchés d'un soir (mais si calmes d'habitude ... ), des patrons de café, une boulangère, des bandes de jeunes, quelques jeunes chômeurs, des tout ce que l'on veut. Héros de la déraison, devenus héroïques parce que ; « Ces nouveaux barbares ont reçu un brevet de respectabilité grâce à un nombre de suffrages qui auraient plébiscité l'infamie. » Ils ont tué. Et quelle que soit « l'instabilité psychologique », chronique, conjoncturelle, temporelle de ces assassins, ils n'en restent pas moins des criminels. Bien sûr, tout n'est pas arrivé comme ça. Et à chaque fois l'attentat, le crime ou le meurtre n'était pas prémédité au sens juridique du terme, mais les crimes peuvent être pourtant prémédités de longue date. Trois catégories de crimes. Les attentats 9 mai 1987 ; attentat contre un foyer d'immigrés de Cannes-La Bocca. 19 décembre 1988 ; incendie dans un foyer d'immigrés à Cagnes-sur-Mer par des militants du Parti nationaliste français et européen, fondé par J .-C. Beaussaert, exclu du FN, parce que jugé trop radical. 1 mort. 12 blessés. 18 août 1989 ; incendie criminel d'un hôtel à Clichy. 7 morts. 17 blessés. 19 juillet 1989 ; attaque par un commando d'un hôtel du XXe arrondissement à Paris. 2 morts. 8 mars 1989 ; 15 morts dans un incendie à Belfort. Au total 25 morts pour 5 attentats. Soit une moyenne de 5 morts par attentat. Les crimes fascistes et racistes Commis par des personnalités publiques (des élus du FN), des « inconnus» armés tout au moins verbalement par ces mêmes élus, des ratonnades ultrarapides réalisées par des skinheads ou des individus seuls à la gachette nerveuse; Areski Sadi, tué par Vincent Delebrel (FN), août 80. Karim Ben Hamida, tué par Michel Cliquennois (PFNE), août 84. Bouzia Kacir, poignardé par des « inconnus », connus du secrétaire départemental du FN dans l'Ain, septembre 86. 13 décembre 87 ; des skinheads tuent à Montpellier un Français trop basané à leur goût. 6 avril 88 ; un jeune skin, vigile de profession, tue froidement d'un coup de couteau un jeune Antillais, sur un quai de métro. Janvier 88 ; Nordine Chaouadi est tué par un groupe de jeunes à Saint-Gratien. Décembre 88; meurtre du Mauritanien, Amadi Kante, à Epinay-sur-Seine. Assassiné par 5 jeunes nazillons connus, repérés déjà pour avoir fait « trembler » la région par leurs exploits. Juin 89 ; Nice. Amar Abidi, ouvrier, tabassé à mort par des jeunes nazillons. Juin 89 ; Pierre Vandorpe, député FN à Gennevilliers, tire sur Mounine, son voisin ... Août 89 ; Jacky Portacacago, FN, tire sur des jeunes Maghrébins, à Charvieu, parce qu'il ne veut pas de mosquée chez lui. Décembre 89 ; Abdel Benyahia, est tué à la cité des Quatre-Mille (La Courneuve, SeineSaint- Denis) par un coup de feu « anonyme ». Au total; 10 morts. En y ajoutant les premiers, cela fait déjà 35 morts identifiés ; les assassins sont connus. Leurs mobiles ausi. T Ils ont tué en l'espace de sept ans, 107 Arabes. Ils ont assassiné ces trois derniéres années, seulement, prés de 50 Mohammed, Amadi, Ali, Maioub ••• Tous affirment vouloir combattre « les Arabes et la juiverie ». Tous sont inspirés par les déclarations de J.-M. Le Pen, à la Trinité-surMer, après l'affaire de Charvieu; « Nous sommes les défenseurs de l'esprit de légitime défense. On ne pourra pas faire accepter longtemps aux Français de n'être plus chez eux, de se sentir étrangers dans leur propre pays » ... Fort bien, vont lui répondre en écho des citoyens au-dessus de tout soupçon, nous allons continuer l'oeuvre entreprise, à votre exemple. Les meurtres des partisans de la légitime défense

Aïssa Badaine, assassiné à Saint-Laurent-desArbres, par deux jeunes apprentis. Un Tunisien est poignardé le même soir à Cluses, et un Marocain est tué d'un coup de canif. Deux ouvriers marocains sont tués dans les Bouches-du-Rhône. Hocine Benhadjamor est tué de deux balles dans la tête à Nice. Mahmadou Barry, « bousculé » à mort par deux handicapés dans un bus à Cergy. Il meurt peu après. Farid Oumrani est tué par un vigile, Marc Mongenot, qui lui tire une balle dans le dos. Mohammed Chartoui est agressé par des policiers en service. Boujerra Fetici est tué à Albertville par Claude Perronier. William Normand meurt d'un coup tiré à bout portant par un policier voltigeur à Fontenay-sous-Bois. Habib Grimzi, dont le meurtre inspira le film de Roger Hanin, Train d'enfer, terminera dans l'express Vintimille-Bordeaux son voyage en France. Il meurt tué par Marc Beani, qui voulait entrer dans la Légion étrangère. Mustapha Kouchi, mort parce qu'il voulait danser au bal de vendredi soir, à Novy, dans l'Oise. Et encore ; Amar Djilali, Areski Hadoune, Mohammed Benassa, Snoussi Bouchiba, Abdei Kader, et d'autres, et d'autres ... , victimes directes de ces « héros de la déraison ». Victimes d'une légitime défense, instituant contre toute attente démocratique, l'attentat raciste en tant que réponse ... Les dates, les jours, les heures s'emmêlent. Mais restent les morts. Que dire d'une société où les groupes d'extrême droite, au nom d'une idéologie nazie, assassinent des hommes depuis près de dix ans ? La multiplication voire l'addition de ces gestes « impulsifs» témoignent bien du retour organisé de la « peste brune ». Le bruit des bottes est remplacé par celui des balles dans la nuit, des corps balancés par-dessus un pont, des cris étouffés des victimes. La tactique aujourd'hui est celle d'une « guérilla » urbaine. La cible est repérée et identifiée. Les morts tombent un à un, parfois dans l'anonymat. Les nouveaux barbares ne s'embarrassent plus de rien. Ils tuent, c'est tout. La justice, et avec elle une grande partie de la France consensuelle, s'émeut des larmes des familles, mais ne trouve toujours pas la force d'appliquer sans la moindre concession la loi de 1972. Le peut-elle? Pas tant que le consensus l'autorise à laisser se poursuivre publiquement l'incitation à la haine raciale, acceptation de la légitime défense. Que des excités d'un soir, mais racistes de toujours, continuent à jouer aux cow-boys exterminant des vies humaines, des vies de tous les jours, qui, chaque jour, s'étonnent de vivre encore, se demandant si, demain, on ne leur volera pas, au détour d'une rue, cette vie si précieuse mais si fragile, dans cette France des libertés. Suzanne Kola-Lobé NON, ct: NE SON\" "?A5 DIS C.\\A\.\~~URE~ 1)'t C.LGVIW 39


_.

SOTTISIER MENSONGES Dans sa propagande, l'extrême droite ne pose pas plus les bonnes questions qu'elle n'apporte de justes réponses. En fait, toutes les idées simples qu'elle avance sont viciées. On commence par accepter de parler de l'immigration comme d'une partie de la société - en dehors - et on se surprend à employer le concept de « seuil de tolérance ». Quelques chiffres clairs permettent pourtant de mettre à jour les mensonges les plus évidents. N'en faisons pas l'économie ... ET Il Un immigré de moins, c'est un emploi de plus pour les Français ... Une phrase souvent entendue, répétée à l'excès et presque crue. Elle est pourtant aussi fausse que les autres. Par exemple, de 1978 à 1983, 74 000 travailleurs immigrés ont été licenciés dans le seul BTP (Bâtiment et travaux publics). Ils ont, à eux seuls, représenté 80 0,10 des licenciements de ce secteur. Que l'on sache, cela n'a en rien restauré la situation du chômage en France dans la même période. Dans l'automobile, de 1973 à 1982, 51 000 étrangers ont été débauchés sans que la situation s'améliore; les dégraissages de personnel ont continué, pas un Français n'a pris la place d'un immigré: ces emplois ont été perdus pour tout le monde. Faire partir les immigrés, c'est ruiner l'économie. A preuve, la situation du pays de Montbéliard où Peugeot licencia, il y a quelques années, 1 564 salariés étrangers. Avec les familles, 6 000 personnes des 120 000 habitants de la région disparurent. Le petit commerce a perdu en moyenne 10 % de son chiffre d'affaires. Des commerçants ont fermé boutique. La grande surface du coin a vu chuter de 15 à 20 % son CA, des licenciements s'y sont produits. Dans un premier temps, 30 enseignants ont laissé leur poste, d'autres devant suivre. La SAFC, société de logements, a plongé dans les difficultés, avec 700 logements vides d'un seul coup .. . Au surplus, le chômage qui touchait 378 000 personnes en 1974 (juillet) est passé à plus de 2 500 000 aujourd'hui sans que le nombre de travailleurs migrants ait augmenté. Il a même baissé de 1 649 171 à 1 555 723 entre 1985 et 40 ERITES 1986, selon le ministère des Affaires sociales. A contrario, on doit noter que produisant et consommant en France, les immigrés occupent une place essentielle dans l'économie française. L'exemple de Montbéliard est une maquette à petite échelle de la réalité. Il Ils sont tous payés par le chômage ... L'affirmation énoncée sur le ton de l'évidence est courante. Elle tend aussi à rendre anormal - aux yeux des non-immigrés - qu'un travailleur étranger licencié touche dûment ses droits, pour lesquels il a cotisé comme tout le monde. En ce domaine, la différence entre les cotisations versées par les immigrés (7,5 % du total) et les prestations perçues (8,3 %) représente 0,9 milliard. Une goutte d'ea~. Les travailleurs immigrés, massivement concentrés dans le bâtiment, l'automobile, les travaux publics, la métallurgie ou le textile ont été les premières victimes des restructurations industrielles de ces dernières années et des licenciements massifs qui ont suivi. Mais durant trente ans, la situation inverse a prévalu. Les travailleurs étrangers ont financé les caisses de chômage pour tous les autres, tout en construisant 33 % des logements, 90 % des autoroutes et voies ferrées, 25 % des automobiles de ce pays. Il Ils nous envahissent. Il en arrive toujours. Ils ont de plus en plus d'enfants. C'est la marée maghrébine ... Tordons de suite le cou à un autre canard: la proportion de migrants dans la population n'a pas changé depuis 1931. Elle est de l'ordre de 6,5 à 7 0,10. Signalons au passage que les immigrés actuellement présents en France ne sont pas venus : on a été les chercher. Citons Georges Pompidou en 1963: «L'immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale. » A propos des enfants, connotés comme graines d'envahisseurs dans ce type de propos, il n'est pas inutile de rappeler quelques chiffres. Il % du total des enfants nés en France naissent d'une famille étrangère. Ces familles représentent 7 % du total de la population. Il est donc vrai que les couples étrangers ont plus d'enfants. C'est leur problème et cela ne mérite pas d'en faire une question centrale de la vie politique française. En fait, le comportement des familles immigrées tend à rejoindre celui de leur nouveau pays. Le taux de fécondité des femmes étrangères baisse constamment, jusqu'à rejoindre le nôtre. Les femmes immigrées venues d'Espagne ou d'Italie font moins d'enfants que les femmes françaises (1,75 contre 1,82). Les femmes portugaises sont passées de 4,90 enfants en moyenne à 2,17 entre 1968 et 1982. Dans le même temps, les femmes immigrées algériennes ont divisé leur taux de fécondité par deux. On est déjà très loin des délires racistofantasmatiques sur la « marée nataliste immigrée ». En prenant un peu de hauteur, on peut affirmer, a contrario des idées reçues, que l'immigration et ses enfants sont une chance pour la France. L'immigration nous apporte envi- Remettre la vérité sur ses pieds ron 85 000 naissances par an, et la plupart de ces enfants grandiront, seront éduqués et vivront ici. Pour mesurer l'importance de cet apport, il suffit de rappeler les propos de Bruno Etienne: « A la 3e ou 4e génération, 50 % des Français sont d'origine étrangère. »Que serait notre pays, aujourd'hui, avec 27 millions d'habitants? 11 11 y a 6 millions d'immigrés, plus un million de binationaux (p. 113 du programme du FN). D'autres, à l'extrême droite en comptent jusqu'à 8 millions. Mensonger, le propos tend en outre à présenter les immigrés comme une population immédiatement différente et envahissante. A comptabiliser à part. Sur les chiffres, un journal comme le Figaro a même été encore plus loin: 7 à 10 millions d'immigrés en l'an 2015, rien que pour les non-Européens. Un scoop façon « alerte aux termites qui rongent nos charpentes » et qui mourut de sa vilaine mort de bidonnage le jour où l'INSEE, qui ne passe pas pour complètement nulle, sortit (pour 2010), une fourchette de population étrangère (toutes origines confondues) de 3 à 3,15 millions de personnes. Peu après, le Haut Comité de la population donnait une estimation voisine (2,6 à 3,5 millions de personnes) pour la même date. Notons qu'au Figaro, personne n'avait pensé que ce type de comptage ne présente strictement aucun intérêt. Sauf pour les statisticiens et ceux qui utilisent la peur de l'autre à des fins strictement politiciennes. Les statisticiens savent de quoi ils parlent, pas les démagogues. Pour les informer, qu'ils sachent que la Direction de la population et des migrations a publié, le 18 octobre 1989, un rapport établissant la stabilité du nombre de migrants, depuis plusieurs années. De même, au 31 décembre 1986, le ministère de l'Intérieur dénombrait 4 453 765 étrangers en France. La même année, l'Institut national de la démographie (INED), sur les bases du recensement de 1982 réactualisé, donnait un chiffre de 3 462 000 personnes environ. Il C'est pas la même chose, ces gens-là ... (pour la version soft) ou encore: c'est génétique, les nègres, les Arabes sont moins ... (remplir la case), ou plus ... (remplir aussi cette case). Renvoyer aux travaux d'Albert Jacquard, généticien, devrait suffire à clouer le bec aux élucubrations ethnistes. Ne résistons pas au plaisir de rappeler le rôle des Arabes dans les mathématiques (avec, notamment, la conceptualisation du zéro), l'invention de la poudre par les Chinois, le catamaran polynésien qui démontre son efficacité dans les courses transatlantiques, la musique indienne si recherchée, l'invention des techniques d'irrigation par les Arabes (les canaux fonctionnent encore en Andalousie), etc. Toute érudition a ses limites. Pour les militants d'extrême droite qui s'intéressent à l'art militaire (on ne sait jamais) renvoyons-les à Sun Tsu, qui, quelques siècles avant le Prussien Clausewitz ou le Gaulois Bonaparte, avait compris l'essentiel en la matière. Quant à l'invention de l'eau tiède ... Il Musulmans, ils sont inassimilables ... Dans le Quotidien de Paris (24 janvier 1989), le spécialiste Bruno Etienne explique que la France a déjà absorbé au moins deux vagues d'immigrants musulmans. L'une s'est produite aux VIlle et IXe siècles, l'autre aux XVe et XVIe siècles quand 300 000 musulmans d'Espagne ont rejoint le royaume. Et les structures de l'Etat français n'étaient pas celles d'aujourd'hui! Pour Bruno Etienne, professeur à l'université d'Aix-Marseille, « nous sommes dans une période de basse immigration » ... « Quant aux musulmans d'aujourd'hui, le processus d'absorption est largement entamé pour ceux de la deuxième ou troisième génération. Si 10 % d'entre eux sont tentés par l'islamisme ou le retour au pays, les autres, soit 90 %, sont intégrés. » Le désir d'intégration est réel: l'Humanité (10 janvier 1989) rapporte que faute de personnel dans les services concernés, 40 000 dossiers de demandes d'acquisition de la nationalité française sont en souffrance ... Les mariages mixtes sont trois fois plus nombreux que les mariages entre étrangers. Le nombre de Français épousant des Algériennes a, par exemple, quintuplé : 200 en 1971, un bon millier en 1981. Les immigrés se dégagent peu à peu des cadres anciens. En 1989, par exemple, 27 associations d'Algériens en France 41


~-~-_._--_ .. -

Dans un Parc de 30 hectares A 25 minutes de Paris par A4 Château de Grande Romaine HOTEL***NN RESTAURANT Nouvelle salle modulable de 100 à 300 personnes donnant sur le Parc pour vos réceptions casher ... sous le contrôle du Beth-Din de Paris MARIAGE - BAR MITZV A - BRIT MILA Conférences - Séminaires - Congrès JOURNÉES DE DÉTENTE • 90 chambres*** • 15 salles • Discothèque 42 • Practice golf • Piscines • Tennis (5) • Volley-ball • Sauna • Ping-pong OUVERT TOUTE L'ANNÉE Direction : M. ABITBOL 77330 LESIGNY Renseignements : (1) 60.02.26.01/60.02.21.24 SORTIE VAL MAUBUEE MARNE PARIS Porte de Bercy ,Van.v pJT RN4 ~LEE .MelZ .. constituaient leur propre Fédération, en dehors de l'Amicale des Algériens. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, ce sont des éléments qui inscrivent de plus en plus les immigrés dans le fait français. La question, encore faussée, évite en outre de savoir si l'assimilation est la solution. « De l'uniformité naquit l'ennui... »écrivait le philosophe. Il Les étrangers pillent la Sécu. Ils coûtent 108 milliards par an à la collectivité ... (programme du Front national) Le sous-entendu est clair: la « collectivité », c'est nous, les Français. Les « étrangers» c'est eux, les « parasites ». L'étude qui fait référence en ce domaine est celle faite par les élèves de l'ENA, en 1984, et portant sur l'année 1982. Selon cette étude, les immigrés ont consommé pour 10 milliards de francs de prestations, soit 6,3 % des dépenses totales du régime général (159,4 milliards). Or, ils sont 8,3 % des cotisants et paient 7,6 % des cotisations totales. Les immigrés contribuent pour un milliard de plus qu'ils ne consomment... Pour ce qui est du régime retraite, les immigrés ont touché 5,4 milliards soit 5,03 % des dépenses totales. Or, ils sont 8,3 % des cotisants et 7,9 % des cotisations. Les immigrés paient les retraites des Français, car 4 % d'entre eux seulement ont plus de 65 ans (contre 9,8 % des Français). Ce taux de retraités descend même à une fourchette de 0,3 à 0,8 % pour les Maghrébins, selon la communauté! Pour les prestations familiales, les familles immigrées reçoivent effectivement plus qu'elles ne versent. Le solde est de 6,9 milliards en leur faveur. Les familles immigrées ont plus d'enfants, et ce fait entre pour les deux tiers dans le calcul des prestations. Il faut cependant noter que le déséquilibre tend à baisser, les familles étrangères rejoignant peu à peu le taux de natalité des Français. Surtout, et durant trente ans, la situation inverse a prévalu: les immigrés versaient plus qu'ils ne recevaient, dans ce secteur aussi. Le chiffre cité de 108 milliards est donc faux. Le chapitre du programme du FN qui l'avance annonce d'ailleurs la couleur: « Il s'agit d'une estimation par défaut. » Dont acte. En outre, les allocations familiales des enfants restés au pays et les retraites après le retour restent soumises à des accords bilatéraux où les migrants sont toujours perdants: ils ne touchent qu'une partie de leurs droits. Il Les chambres à gaz n'ont jamais existé ... Outre quelques désagréments judiciaires encourus par Le Pen et quelques autres négateurs, cette assertion a valu à ses colporteurs quelques gifles éditoriales retentissantes. On se reportera avec profit aux ouvrages de Pierre Vidal-Naquet (Les assassins de la mémoire, à La Découverte), de Georges Wellers (Les chambres à gaz ont existé, chez Gallimard) et Eugen Kogon (Les chambres à gaz, secret d'Etat, au Seuil-poche). Pierre VidalNaquet trace d'ailleurs un portrait de ces négateurs dans nos colonnes. Il Dans chaque immigré, Il y a un délinquant qui ne sommeille que d'un oeil ••• Au 1 er juillet 1985, il Y avait 42 758 détenus dans les prisons françaises. Dont Il 607 étrangers, soit 27,3 0/0. Un chiffre brutal qui signifie qu'il y a proportionnellement 4,2 fois plus d'étrangers en prison que de Français (1). Ces chiffres, largement utilisés par l'extrême droite, le sont pourtant malhonnêtement. Plus jeune, plus masculine, la population immigrée est donc, par sa composition plus en prise sur la délinquance. A structure d'âge et de sexe égale, le taux étrangers/Français dans les incarcérations, par rapport à l'ensemble des deux populations n'est plus que de 3,8. (Selon Le Monde, 19/12/85, sous la signature de R. Solé). S'arrêter là signifierait qu'un étranger commet 3,8 fois plus de crimes et délits qu'un Français. Mais s'ils sont 27 % des incarcérés, les étrangers ne sont, au départ, que 15 % des interpellés. Pour la même infraction, 35 % des personnes mises en cause par la police seront envoyées au parquet si elles sont françaises, 38 % si elles sont des DOM-TOM, 56,9 % si elles sont africaines et 63 % si elles sont maghrébines. A délit égal, un Français a presque deux fois moins de risque d'être défféré au parquet qu'un Maghrébin ... qui souvent, aux yeux de la justice, offre moins de garantie de représentation. Au total, en métropole, les délinquances constatées sont 2,4 fois plus importantes chez les étrangers que chez les Français. La proportion tombe à 2,1 si l'on exclut les délits liés au séjour irrégulier (délinquance peu grave et propre aux immigrés) et même à 1,7 si l'on prend les bases chiffrées du ministère de l'Intérieur et non le recensement INSEE. Notons aussi que les interpellations et contrôles ne comptabilisent pas la délinquance, mais l'activité policière. Ce n'est pas la même chose. Le contrôle « à la tête» joue aussi un rôle dans les statistiques. Plus pauvre, moins éduquée (32 % d'illettrés), la population immigrée est cependant effectivement plus délinquante, mais pas dans des proportions qui permettent de rendre crédibles les campagnes racistes lancées sur ce thème. Un dernier chiffre

4,3 % des incarcérés étrangers le sont

pour un crime. Le taux chez les Français est de 7,9 % selon la Direction de la population et des migrations. Une fois l'écart constaté en matière de délinquance, Pierre Berton, membre de la Commission nationale de prévention de la délinquance expliquait en 1985 : « Il y a 15 ans, j'étais responsable d'un foyer d'éducation surveillée à Nogent. La moitié de mon temps était prise par de jeunes Espagnols et Portugais. Je n'en ai plus vu quand leurs pères sont devenus Le SIDA alimente tous les fantasmes. chefs de chantier. Peut-être faudra-t-il quelques années de plus pour voir« disparaître » les jeunes Maghrébins. En cette période de crise, on n'a même plus de petits boulots à leur offrir et beaucoup souffrent (j'une dévalorisation de l'image de leurs parents. Le rapport à la loi est aussi un rapport au père... » L'exclusion, au contraire, fabrique des marginaux. Il Le SIDA vient d'Afrique ... de toute fa~on, c'est la faute aux nègres, aux pédérastes et aux drogués ... Si les Africains n'accusent pas Le Pen de leur avoir expédié le SIDA (syndrome pour décourager les amoureux ... ), celui-ci en revanche ne s'est pas privé de les charger ainsi que les Maghrébins, homosexuels et drogués, bref tous ceux qui ne rentrent pas dans sa boîteà- Français-sains, de la responsabilité d'une pandémie due aux bouleversements sociaux de notre temps. Le SIDA aimante toutes les peurs et tous les fantasmes. Regardons donc un peu derrière l'écran : • Le virus n'a pas d'origine géographique unique. Il existait autant en Afrique qu'en Amérique du Sud et du Nord, et c'est le virus américain qui a pris pied en Europe. • On ne sait toujours pas d'où est venu le virus, apparu dans les années 60, déclaré à l'état d'épidémie dans les années 80, et maintenant répandu sur toute la planète. L'Afrique est enlisée dans la maladie, les pays de l'Est ne sont pas épargnés mais s'esquissent tout juste à l'admettre. Israël cache son SIDA en se refusant à le dépister tandis que l'Asie, qui peut difficilement vivre sans son tourisme sexuel, tait ses chiffres mortels. Les Etats-Unis et l'Europe commencent seulement à dégager des perspectives positives de leur tardive politique de prévention. Ce qui n'empêche pas la France de compter 10 000 malades pour l'année prochaine et 20000 pour dans deux ans ! • Sexe et sang sont les voies de transmission du virus, c'est donc toute la population française qui est concernée. Même si elle continue à penser que la maladie est réservée aux autres

« homosexuels, drogués, prostitués

... » Indiquons, pour contrer quelques « idées » bien établies que la maladie menace maintenant davantage les hétérosexuels que les homosexuels, qui, les premiers touchés, ont su adapter leur sexualité pour se préserver. Et revenons au FN qui dans sa bro:::: chure sur le SIDA, largement diffu~ sée, n'hésite pas à affirmer que : « Le ~ risque existe à chaque fois que le vi~ rus peut pénétrer à travers la peau » et souligne carrément que ce dernier peut être « transporté par des objets contaminés ». Face à cette enzyme gloutonne, il convient donc ,de mettre le FN sous cloche ou bien le reste de la population française. On devine le choix du FN ... : il faut « des centres spécialisés pour les SIDA -malades» et « contre les irresponsables dangereux,' briser les écoles du crime dans les prisons, emprisonnement des petits délinquants et peine de mort pour les trafiquants de drogue ». Pour en savoir davantage sur le SIDA, largement aussi inquiétant que le fléau fasciste, nous conseillons à nos lecteurs de se reporter au n° spécial de Libération de novembre 89, remarquablement bien traité. René Fran~ois 1. Et pas tous Maghrébins! Les Allemands ont un taux de su"eprésentation de 9,6 selon la revue Migration» (décembre 89). La revue, présentant un dossier complet sur cette question, note (p. 8) que sans les infractions liées aux problèmes de situation irrégulière, « la part des étrangers resterait stable dans les statistiques de police depuis 1976 et leur taux de mise en cause aurait même tendance à s'éroder ». 43 5 URL E TERRAIN LA FRANCE A 44 omment combattre l'extrême droite ? La question renvoie aux causes. C'est en abandonnant le terrain qu'on laisse un espace politique de plus en plus important à la droite radicale. C'est donc sur le terrain qu'il faut réapprendre les solidarités essentielles, refuser l'exclusion, faire renaÎtre un espoir collectif. Devant les défaillances des politiques, les associations ont un rôle à iouer. Il leur faut utiliser toutes les ar- OUT LE MONDE mes : la loi, le terrain iudiciaire, la culture et l'explication. 45 La politique, comme la nature, a horreur du vide. L'extrême droite s'est engouffrée sur un terrain laissé à l'abandon. Rénover les liens du tissu social est sans doute une première réponse. chaque lapsus, généralement antisémite, de Le Pen, à chaque succès électoral du Front national, les états-majors politiques se réveillent, s'agitent, s'indignent ou hésitent. Les condamnations fusent. Les petites phrases plus ou moins ambiguës défraient la chronique. De leur côté, les antiracistes, associations et personnalités craignent pour l'âme de la République. Ils organisent des manifestations ou des concerts, font signer des pétitions et distribuent des tracts, élaborent des réseaux de soutien ou d'information, interpellent le gouvernement, voire le président de la République. Souvent, ils se retrouvent pour dénoncer les politiques politiciennes, « bassement électoralistes », à l'échelle locale ou nationale. C'est à Dreux, le 4 septembre 1983, que se conclut pour la première fois l'alliance entre la droite classique et l'extrême droite. Sur un terrain « travaillé » depuis plusieurs années par les époux Stirbois, la liste RPR-UDF-FN l'emporte largement au second tour avec plus de 55 070 des suffrages. Cette victoire a sans conteste libéré un espace politique pour l'extrême droite, avec l'avalisation discrète des états-majors parisiens. Et malgré les voix courageuses et discordantes de quelques trublions. Depuis, on ne compte plus le nombre d'alliances équivalentes : Provence-Alpes-Côte d'Azur aux élections législatives de mars 1986 ; accord de désistement entre J.-c. Gaudin et Le Pen en juin 1988 ; d'autres circonscriptions suivront dans le Var, les Alpes-Maritimes, le Gard, la Haute-Normandie, la Picardie, le Languedoc-Roussillon, l' Ile-de-France ... Charles Pasqua monte au créneau. « Il y a sûrement au Front national quelques extrémistes, mais sur l'essentiel, le Front national se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité. Seulement il les exprime d'une manière un peu plus brutale, un peu plus bruyante », déclare-t-il à Valeurs actuelles (2 mai 1988), une revue connue pour ses positions proches de l'extrême droite. Pourtant le 9 février de cette année-là, Jacques Chirac défendant (encore) son projet de réforme du code de la nationalité affirmait : « Tout 46 TERRAIN LES UNS ET LES doit être fait pour que la petite graine de racisme qui existe, hélas, dans le coeur de chaque homme ne puisse se développer ( ... ). Le racisme, c'est très exactement le contraire de la France. » Encore qu'aucune radiographie n'ait à ce jour prouvé l'existence congénitale de cette petite « graine », les propos de deux fortes têtes du RPR reflètent les valseshésitations des positions de la droite par rapport à son extrême. Il faut ici saluer les prises de position nettes et claires des « dissidents » de la main tendue à l'électorat de l'extrême droite: Michel Hannoun, Michel Noir, Bernard Stasi (qui a osé affirmer« l'immigration, une chance pour la France »), Simone Veil et quelques autres .. S'il fallait se demander «à quoi sert Le Pen? », il serait aisé de répondre: brouiller les cartes. A chaque rencontre télévisée avec lui, les démocrates de ce pays ont laissé tomber une carte-maîtresse : celle de la vérité. Lau- On apprend aux enfants il accueillir ... rent Fabius reconnaissant au chef du FN la capacité à poser de bonnes questions autant qu'André Lajoignie se laissant « coincer» par le seul homme politique français à pouvoir dire tout et n'importe quoi à n'importe quel moment. Certes la menace de Tapie de lui foncer « dans la gueule » a marché mais au prix de l'argument de la violence. Le FN peut brouiller les cartes parce qu'il a très vite pris l'allure d'un repère de transfuges de la droite dure, mais âussi du centre (M. Rampal du CDS a rallié spectaculairement le FN en 1986) et parfois de gauche. On ne compte plus les Chambrun, ex-député MRP puis apparenté UDF (exclu du MRAP en 1986) ; Y. Briant exclu du groupe parlementaire du Rassemblement national ; P. Arrighi, élu RPR à l'Assemblée régionale de Corse

et autres Brunot Mégret, candidat RPR

en 1981, qui l'ont rejoint, encartés ou pas. La crédibilité politique accordée au FN par les ac- AUTRES ••• ... ou il rejeter l'Autre. cordée au FN par les accords déclarés ou tacites lui a ouvert un vivier de candidats « respectables » qui lui faisait défaut (65 en mars 1982, 1 521 en mars 1985). Dans ce contexte, le mouvement associatif a joué ces dernières années un rôle de premier plan, 2 000 associations travaillant avec le FAS (Fond d'action sociale) - qui les subventionne - sont reconnues par les pouvoirs publics comme des partenaires irremplaçables. Elles réussissent notamment à recréer dans le tissu social les relations conviviales et solidaires sur lesquelles les partis et syndicats ont perdu du terrain. Elles ont également permis de faire reculer les offensives menées contre l'immigration

en particulier, l'abandon du projet de

réforme restrictive du code de la nationalité et l'abrogation de la loi Pasqua. Durant l'année du bicentenaire de la Révolution française, l'association Génériques a réalisé l'une des plus belles expositions « France des étrangers, France des libertés », consacrée à l'histoire des migrations, à travers la presse qu'elles ont périodiquement créée; l'UTIT (travailleurs tunisiens) a fait donner des conférences par une dizaine de grands noms du monde universitaire sous le titre coloré « la chéchia et le bonnet phrygien» ; Mémoirefertile s'impose comme une source de réflexion sur la question de la citoyenneté; le CAlF (Conseil des associations d'immigrés en France) entre dans l'ère européenne avec la création d'une structure à cette échelle; la petite main de SOS-Racisme est toujours là ainsi que ses concerts ; Radio Beur se maintient dans le peloton de tête des radios communautaires avec plus d'un demi-million d'auditeurs fidèles; le MRAP organise des Assises nationales, modestes, mais d'une grande qualité de terrain et d'une exceptionnelle diversité d'intervenants; cette évocation ne peut être exhaustive mais citons encore les villes de Cerisay et les Ulis (Essonne) qui poursuivent l'expérience des conseillers étrangers augurée par Mons-en-Barroeul. Tout n'est pas livré à cette exploitation de l'intolérance dont Le Pen est le champion. Il se trouve partout, dans les syndicats (qui dynamisent, semblent-t-il, leurs commissions sur le racisme), les organisations politiques, le monde de la recherche, de l'université, de la musique, des arts et des lettres, des gens qui prennent conscience de la gravité de la situation. La meilleure réponse n'est pas de s'interroger indéfiniment sur le~ « bonnes» ou les « mauvaises » questions. La tâche est lourde dans la mesure précisément où les thèmes de l'extrême droite ont gagné du terrain partout et chez tout le monde, où sa médiatisation continue de nourrir nos conversations quotidiennes et les colonnes de journaux, où les règles de la démocratie se pervertissent au contact du fallacieux. Que faire contre le maire de Montfermeil aujourd'hui « calmé» par des promesses d'attribution de logements supplémentaires et un (ou deux) poste(s) d'enseignant(s). La provocation à la discrimination raciale ne risque-telle pas de faire des émules si l'on continue à réagir en accordant non seulement crédibilité mais aussi satisfaction indirecte? Et l'on entend déjà (ou encore) André Deschamps (maire communiste) affirmer à propos de Pierre Bernard

« Je le comprends, et je dirais plutôt

qu'i! a peut-être manqué un peu de patience. Mais je trouve stupide et hypocrite d'en faire le bouc émissaire d'une affaire dont l'Etat est le premier responsable. » Il est évident que A. Deschamps perd une par l tie de son âme avec de tels propos. Convenons ~ néanmoins que nombre de communes mériteraient, du fait de leurs réalités socio- ~ économiques, de bénéficier d'un soutien finan t cier central plus grand. Mais pas à coup de bulldozer ni d'apartheid scolaire. Non plus par à-coups mais par une politique globale nationale de lutte contre les inégalités, les exclusions, les marginalisations que la mise économique n'a fait qu'aggraver. Par des programmes scolaires universitaires, médiatiques qui réintègrent dans la conscience collective le phénomène migratoire de l'histoire de la France. La vérité des prix ne devrait pas occulter la vérité des hommes. Des hommes et des femmes abusés par une interprétation raciste et xénophobe de la vie sociale doivent pouvoir trouver auprès des pouvoirs publics des actions, des discours, des concertations et de l'argent correctement investi pour se réapproprier leur vie, leur histoire, leur dignité. Une personne trompée par la haine de l'autre, poussée au crime, poussée au racisme perd de sa dignité. Le Pen sert à faire des gens indignes. Notre rôle

placer la dignité de tous au centre de la

vérité pratique, toujours à conquérir. Chérlfa Benabdessadok 47 Contre l'extrême droite, la bataille judiciaire n'est pas à négliger. Mais elle s'apparente souvent à une course d'obstacles et se conclut fréquemment par des sanctions symboliques. 'ascension de l'extrême droite ces dix dernières années, considérée complaisamment par certains comme faisant partie intégrante du paysage politique, s'est aussi traduite par une augmentation de la saisine des tribunaux. La conséquence en est que le lieu du débat politique s'en est trouvé quelque peu déporté. Les citations, les réquisitoires, certains articles du Code pénal, bref, l'ar- 48 PRoeES JUSTICE POUR MAtiRA LE PRIX DU tillerie judiciaire, sont devenus des accessoires quasi incontournables du combat politique. Le rôle ainsi dévolu à la justice mérite que soient analysés la nature et le contenu des réponses qu'elle apporte. Sans pour autant réduire l'extrême droite à la seule personnalité de Le Pen, ce dernier l'incarne malgré tout mieux que d'autres. Impliqué dans de très nombreuses procédures judiciaires, il symbolise la nouvelle extrême droite légaliste, axant principalement son discours simpliste sur l'immigration. De « détail» en « internationale juive », en passant par les « prédateurs» arabes, Jean-Marie Le Pen signe et persiste dans le racisme en général et l'antisémitisme en particulier. Quelques précisions semblent utiles pour rendre compréhensible le jeu judiciaire. Une condamnation peut intervenir sur deux registres différents. Au civil, c'est la réparation d'un dommage liée à une faute en dehors de toute infraction. Au pénal, c'est la sanction d'une infraction légalement prévue au Code pénal ou dans un texte particulier. Par ailleurs, pour qu'un parlementaire puisse être condamné sur le plan pénal, cela suppose que son immunité soit levée par l'assemblée à laquelle il appartient. Ce qui dans la pratique n'est pas une mince affaire! Dans la négative, seule l'action au civil est permise. C'est la raison pour laquelle Le Pen a cru pouvoir affirmer qu'il n'a jamais été condamné pour avoir tenu des propos racistes. Ce qui est archifaux. Citons le jugement du 16 novembre 1987 du tribunal de grande instance de Paris, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris: 5 000 F d'amende, plus 5 000 F de dommages et intérêts pour le MRAP. Cette condamnation est intervenue à l'occasion des propos tenus à l'émission l'Heure de vérité, diffusée par Antenne 2, le 14 février 1984. Finalement, après plus de cinq ans de procédure, seuls les réponses mettant l'accent sur le monde « islamo-arabe qui actuellement pénètre dans notre pays» et le « danger mortel» pour les Français de se voir ainsi « colonisés » ont été retenus comme provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciales. En revanche, comparer l'immigration à une « invasion» et souligner « la constitution de véritables villes étrangères imperméables à l'autorité, au fisc et à la police » n'était pas constitutif du délit de provocation à la haine raciale. La cour d'appel a en effet considéré que dans ce cas, on ne pouvait« reprocher à un homme politique de s 'exprimer librement sur un problème d'actualité touchant la société française sous peine de porter gravement atteinte au principe de la liberté d'expression et d'opinion ». Merci à la cour d'appel de Paris de permettre ainsi à Le Pen de continuer de flirter avec les propos délibérément racistes. En première instance, le tribunal de grande instance de Paris avait été d'un avis différent: « Attribuer aux étrangers un comportement négatif et néfaste, menaçant dès lors les Français dans leur liberté et leur devenir, ne peut qu'inciter ces derniers à les considérer comme des la manière dont 6 millions de personnes furent tuées pendant la Seconde Guerre mondiale, parce qu'elles étaient juives. Au final, qu'aura coûté à Le Pen ce « consentement à l'horrible », selon les termes de la cour d'appel de Versailles, dans son arrêt du 25 janvier 1988 ? Une provision d'un franc, à valoir sur la réparation du préjudice ! « Banaliser, sinon méconnaître les souffrances ou les persécutions infligées aux déportés et plus particulièrement aux juifs et aux Tziganes au cours de la Seconde Guerre mondiale et à ramener ainsi à un simple fait de guerre des actes ayant été jugés constitutifs de crimes contre l'humanité» n'est malgré tout qualifié que de « trouble manifestement illicite » ouvrant seulement droit à réparation sur le plan civil aux survivants des persécutions raciales et leurs familles ainsi qu'aux associations chargées de défendre les intérêts collectifs. Ce sont là les aléas tortueux du droit. A quel prix doit-on se préserver du délit d'opinion? Le débat est ouvert. Cela étant, face à ce qui ne peut être à l'évidence des dérépages, la chancellerie semble désormais décidée à réagir. Après les jeux de mots « DurafourETAIL dumoulin » et Durafour-crématoire »en septembre 1988, pour la seconde fois seulement, le Parquet déclenche indésirables. Il (Le Pen) provoque les auditeurs à la discrimination, à la haine et même à la violence à leur égard. »Cette divergence d'appréciation entre le tribunal et la cour d'appel démontre l'orientation particulièrement restrictive de la jurisprudence quant à l'application de la loi du 1 er juillet 1972. Citer simplement les immigrés originaires du « tiers monde» sans se référer expressément à un groupe déterminé de personnes, à leur origine, à leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion et leur imputer tous les maux de la nation n'est pas, pour les tribunaux, une provocation raciste. Dans l'affaire dite du « détail », à propos des chambres à gaz, la loi du 1 er juillet 1972 n'était pas applicable: contester le génocide des juifs n'est pas pénalement répréhensible! Jean-Marie Le Pen, le 13 septembre 1987, au Grand Jury RTL-Le Monde, put ainsi tenir pour « un point de détail de la guerre» l'action publique (août 1989) pouvant conduire Le Pen devant une juridiction répressive, sans y être obligé par les associations antiracistes constituées partie civile. Et ce, pour diffamation raciale après une interview publiée par Présent dans laquelle il affirmait que : « La maçonnerie et les grandes internationales, comme l'internationale juive, jouent un rôle non négligeable dans la création de l'esprit antinational. » Le 11 décembre dernier, le dernier obstacle, en principe, au renvoi du leader du Front national devant la juridiction répressive a été franchi par la levée de l'immunité parlementaire votée par l'Assemblée européenne de Strasbourg. Le chef du FN est désormais vulnérable. Mais les « coups» de Code pénal ne pourront à l'évidence venir seuls à bout de l'expression raciste de l'extrême droite. A preuve, la récidive récente de Le Pen sur le « détail », le 8 février dernier, dans le Quotidien de Paris. Jean-Marc Helier DEBOUTE ET CONDAMNE Le chef du Front national se vante souvent de gagner ses procès. La vérité est qu'il fut souvent condamné et débouté. Le Pen a perdu le procès intenté au Courrier picord. Le journal avait reproduit des propos de Jean-Pierre Garcia (responsable du MRAP à Amiens) où il écrivait: « Les propos de Le Pen sont, en permonence, une incitation au racisme •.. (ils) sont complices ou provocateurs à l'antisémitisme ou provocation au nazisme » ••• Etaient également dénoncés « le discours de Le Pen, ses paroles provocatrices au racisme et au fascisme » ••• (Les élus d'Amiens) « savent que c'est un adepte de Franco et d'Hitler •.• » Le tribunal a estimé, le 31 octobre 1984, que les propos de J.-P. Garcia ne visaient « nullement Jean-Marie Le Pen, homme privé, mais le chef de file d'un courant de pensée politique » ••• Après avoir entendu maints témoins rapportant des propos racistes et antisémites tenus dans des réunions ou fêtes du Front national, il relaxait les prévenus; décision confirmée en appel. Le 11 mars 1986, Le Pen était condamné par le tribunal d'instance d'Aubervilliers pour « provocation à la haine antisémite ». Le 20 octobre 1985, il avait attaqué quatre journalistes d'origine juive (Jean-François Khan, Ivan Levaï, Jean Daniel et Jean-Pierre Elkabach). Le tribunal affirmait que « l'antisémitisme n'est pas un problème ;uif, mais le problème de tous ». Tous les appels et pourvois de Le Pen seront rejetés. A Lyon, le 31 octobre 1985, le tribunal reconnaît qu'il est vrai que: « L'intolérance, les incitations à la haine, au racisme, à la xénophobie, à l'antisémitisme émaillent les meetings de l'extrême droite. » Malgré une plainte de Le Pen et du Front national en diffamation, le tribunal reconnaît que: « Le fait d'être assimilé à l'extrême droite ne peut être considéré comme une allégation de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de M. Le Pen et du parti qu'il représente. » Le Pen est débouté. Le 23 septembre 1987, le tribunal de Nanterre juge l'affaire du « détail ». Le MRAP, la LIeRA, des associations de déportés et de Tziganes ont porté plainte. Le tribunal considère qu'il y a « trouble illicite causé aux survivants et à leurs familles », a~co~d~ un franc de do.m~ mages et Interets aux assoclaf' 49 LEGISLATION LES INSUFFisaNCES DE LA LOI La législation française contre les discriminations raciales a le mérite d'exister. Mais le texte comme la jurisprudence qui découle de son application présentent des signes sérieux d'inadaptation. Une amélioration s'impose. Isabelle Andrée fait le point*. a législation française contre le racisme a été, pour l'essentiel, élaborée par le MRAP, qui en a présenté le projet à tous les parlementaires dès 1959. n a fallu treize années d'efforts ~ pour aboutir à l'adoption de la loi du ~~ 1 er juillet 1972 par l'Assemblée nationale et 6- le Sénat unanimes. Des compléments à ce tex- ~ te ont été votés en 1975 (sur les discrimina- ~ tions sexistes), en 1977 (sur les discriminations .l; L--__ dans les relations économiques) et en 1985 (sur les violences et crimes de caractère raciste). Cette législation, depuis le début, ne constitue pas une loi autonome. Même le premier texte de 1972 consiste dans une série de modifications apportées soit à la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (provocation à la haine, injures, diffamation), soit à certains articles du Code pénal (discriminations dans les services, l'emploi, le logement). D'où la nécessité de connaître avec précision les modalités de son application, différentes·selon les cas. Après plus de dix-sept années d'application, il nous semble légitime de nous interroger sur l'efficacité de la législation antiraciste. En effet, nous avons conscience du fait que la tolérance recule, que la peur de l'autre en ces périodes d'incertitude et de crise augmente, sans que la loi ne soit d'aucun secours. Même si de nombreuses condamnations ont été prononcées, la loi de 1972 n'est évidemment pas susceptible, à elle seule, de faire disparaître le racisme. Elle offre des possibilités de riposte aux actes racistes caractérisés, avec des sanctions contre les coupables et la réparation des dommages subis par les victimes. Elle joue aussi un rôle dissuasif: la menace des poursuites, le rappel des jugements antérieurs peuvent parfois faire cesser une discrimination ou inspirer de la prudence à ceux qui s'efforcent de répandre l'idéologie raciste. Cependant, la loi n'est pas toujours mise en oeuvre aussi strictement qu'on serait en droit de l'exiger. A cela, deux explications: l'une est d'ordre technique (difficultés d'application de la loi), l'autre est politique dans la mesure où un climat xénophobe croissant a des répercussions sur les décisions de certains tribunaux chargés d'examiner les affaires qui leur sont soumises. UNE PROCEDURE TRES FORMALISTE L'insertion de la loi antiraciste dans la loi sur la presse soumet ceux qui luttent pour son application aux règles impératives de celle-ci. En particulier, certaines dispositions internes à la loi sur la presse comme le formalisme extrême des poursuites, la courte prescription et l'exigence du caractère public du délit, sont très restrictives. S'agissant du formalisme, la loi de 1881 exige l'articulation et la qualification des faits, et ce à peine de nullité. Ce qui implique que soit précisé dès le départ le type de délit - provocation, diffamations ou injure - pour lequel des poursuites sont engagées. La jurisprudence a exclu la possibilité de cumuler les qualifications. Or, la provocation à la discrimination se fait souvent par une diffamation ou par une injure. La distinction entre ces différentes qualifications n'est pas toujours aisée à établir : pour cette raison, des non-lieux ont pu être prononcés par les tribunaux, même quand le caractère raciste des propos poursuivis ne faisaient aucun doute, lorsque les poursuites avaient été engagées sur le plan de la diffamation alors qu'il y avait provocation ou l'inverse. S'agissant de la courte prescription de 3 mois, date à partir de laquelle aucune poursuite n'est plus recevable dans le cadre de la loi sur la presse, elle est particulièrement inadaptée lorsque la provocation résulte de publications. Cette courte prescription a été édictée il y a plus d'un siècle dans le cadre de la presse quotidienne ou hebdomadaire. Mais, elle est totalement inopportune s'agissant de publications, d'ouvrages qui ont une durée de vie infiniment plus longue. Curieusement, la jurisprudence a toujours refusé de saisir toutes les occasions d'atténuer la rigueur de cette courte prescription. On trouve ainsi régulièrement des décisions qui constituent l'impossibilité de poursuivre les ouvrages portés tardivement à la connaissance des associations. Il existe une pratique très courante qui consiste à faire une diffusion réellement confidentielle pendant trois mois avant de faire la véritable diffusion en toute impunité. LE PUBLIC ET LE PRIVE S'agissant de la condition de publicité, aussi bien la provocation, la diffamation que l'injure racistes ne sont poursuivables que si elles sont publiques. En quoi une provocation raciste tenue dans un lieu réputé privé seraitelle moins nocive, surtout si elle a été suivie d'effet? Force nous est de constater que l'injure privée n'est pas spécifiquement réprimée. De plus, certains tribunaux ont des interprétations surprenantes de la notion de publicité. C'est ainsi qu'à Paris a été classée une affaire de diffusion de tracts anti-Tsiganes au motif que le texte n'avait été distribué qu'à une cinquantaine de personnes ! Face à ces difficultés d'application liées aux exigences de la loi sur la presse, il faut souligner le laxisme de certains tribunaux et leur indulgence extrême dans les condamnations qu'ils prononcent. Le montant des amendes oscille entre 250 et 5 000 F. Or 3 000 F d'amende demeurent sans commune mesure avec la gravité d'une provocation à la haine et à la violence raciale. Les problèmes posés par les discriminations dans l'offre d'un bien, d'un service, d'un emploi ou d'un logement sont de nature différente

en effet, on regroupe sous cet intitulé

les articles de la loi de 1972 qui modifient certains articles du Code pénal et ne sont donc pas soumis aux conditions restrictives de la loi sur la presse. Mais, c'est autour de la notion de preuve que l'on rencontre les plus grands obstacles à l'application de la loi antiraciste en la matière. A moins d'avoir affaire à un raciste naïf qui reconnaît ouvertement enfreindre la loi, il est quasiment impossible d'obtenir les preuves du caractère discriminatoire des refus. Ainsi, les condamnations dans ce domaine sont extrêment rares. SORTIR DU LAXISME La permanence juridique du MRAP est confrontée depuis quelque temps à des pratiques discriminatoires d'origine administrative. D'une part, de nombreux refus d'inscription scolaire ont été opposés à la rentrée scolaire 1989 à des parents au motif de leur origine ou de celle de leurs enfants. Lorsque ces motifs ont été déclarés publiquement, le MRAP a pu déposer plainte aux côtés des victimes (M. Bernard, maire de Montfermeil s'est à nouveau fait « remarquer» pour de tels refus). D'autre part, le MRAP a été saisi de pratiques nouvelles de la part de certains maires. Ceux-ci, pour empêcher l'acquisition d'un logement par une personne de nationalité ou d'origine étran- ~ LOI DU 1 er JUILLET 1972 LA LOI FRANCAISE CONTRE LE RACISME La loi du 1 c. juillet 1972, relative à la lutte contre le racisme, modifie dans ses articles 1,2,3,4, 5 et 10 les articles 23, 24, 32, 33, 48 et 63 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : dans ses articles 6 et 7, elle complète les articles 187 et 416 du Code pénal. Dans son article 8, elle modifie l'article 2 du code de procédure pénale. L'article 9 complète l'article 1 de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées. L'article 416 du Code pénal a été complété le 11 juillet 1975 par la condamnation des discriminations fondées sur le sexe ou la situation de famille. PROVOCA TlONS PUBLIQUES A LA HAINE RACISTE ARTICLES 1 ET 2 - Ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public ( ... ) auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur nonappartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 2 000 F à 300000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement. (Art. 23, alinéa 1, et 24, alinéa S, de la loi du 29-7-1881). DIFFAMATIONS RACISTES ARTICLE 3 - La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur nonappartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 300 F à 300000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement. (Art. 23, alinéas 2, de la loi du 29-7-1881 ). INJURES RACISTES ARTICLE 4 - L'injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu'elle n'aura pas été précédée de provocation, sera punie d'un emprisonnement de cinq jours à deux mois et d'une amende de 150 à 60 000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement. Le maximum de la peine d'emprisonnement sera de six mois et celui de l'amende de 150 000 F si l'injure a été commise dans les conditions prévues à l'alinéa précédent envers une personne ou un groupe de personnes a raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur nonappartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. (Art. 33, alinéa 2 et 3 de la loi du 29-7-1881.) (extra;t) 51 E N T R LES ARMES DE LA DEMOCRATIE . gère, exercent leur droit de préemption, sans le mettre en oeuvre lorsqu'il s'agit d'acquéreurs français pour les mêmes logements. 1 Mais la preuve de la discrimination est fort difficile à apporter. Constituée iuste après-guerre, à l'iniliati,,e cie Rene Cassiri, . la Commission nationale consultative cles clroits clel'homm. Cclont l'existence a revêtu cie. formes cliverses selon les périocles) a subi un lifting en 1989 : élargissement substantiel cie sa composition Cexperts et représentants cles pouvoirs. publics et cles associations, clont le MRAp·), mise sous l'autorité clirecte clu Premier ministre, coorclination pratique avec Ica·· ' cellule inter-ministérielle conlre le racisme, enlin clivel'silication cie ses compétences avec la possibilité cI'aulo-saisine, c'est-à-clire cie présenter au gouvernement clossiel's, avis et propositions sur les thèmes cie son choix. . Surtout, la Commission a élargi le champ cie sarénexion. Qu ..... tre groupes cie travail fonctionnent cie manière permanente .: le premier sur la question cles violations cles clroits cie l'homme au niveau international, les trois autres clans une problématique na'ionale : l'accès au clroit e' à la iustice pour les plus clémunis, l'exclusion économique et sociale, les cliscriminations raciales. Ce clernier groupe a élaborè un rapport sur l'état clu racisme en 'rance. Paul Souchet, conseiller cI'Etat et présiclent cie la Commission présente ici les grancles lignes cie ce rapport cc pas comme les autres n.

  • Représenté depuis ]984 par Charles Palant, membre de /a présidence.

Différences: Quel est le contenu du rapport te, mais la discrimination et le délit racistes. sur le racisme récemment présenté au Premier D : Pourtant, selon la loi du 1er juillet 1972, ministre? le racisme n'est pas une opinion c'est un .• Paul Bouchet : Les discriminations ràcia- délit ... les constituent la manière la plus extrême et • P. B. : Le délit est interdit par la loi. Or la plus intolérable de mépriser les droits de les formes du racisme sont plus ou moins sub-: l'homme. Nous avons décidé cette année de tiles, plus ou moins ouvertes. Le repérage est faire un état de la situation française en ma- parfois difficile. Un système de procédures tière de racisme et de lutte contre le racisme. existe pour le prouver. Mais la vieille loi de Et cela en trois volets. Un constat sur les dis- 1881 sur la presse est très critiquée par les gens crirninations en tous genres, les propos, les les plus soucieux de liberté. Je crois qu'il faut mener le combat sur le terrain du débat attitudes et comportements, les délits, voire d'idées. On ne peut pas s'en tirer avec une les crimes ... L'état des réponses. Les propo- simple formule en affirmant : le racisme n'est sitions pour améliorer l'efficacité de l'action pas une opinion. antiraciste et antidiscriminatoire. D : Ce rapport et les outils organisatümnels D : Ce texte n'est-il pas un rapport de plus... que la Commission a mis en oeuvre sans effet durable sur la réalité et les sources réve1eraknMIs une prise deconsCÎence plus du racisme ? aiguë du danger que constituent ['extrême • P. B. ; Ce n'est pas un rapport de plus droite et la xénophobie dont elle est le vecpour la bonne raison qu'il n'en existe pas feur? d'autre. Nous avons mis sur pied un groupe • P. B.·: Le racisme s'exprime sous des for· technique composé d'avocats qui réalise un mes diverses. Parfois offensif et triomphant, travail pratique: fichier informatisé de juris- ou se croyant tel, parfois rampant. Rampant, prudence en matière de délits racistes, avis sur il n'est pas moins dangereux, il n'est que une éventuelle modification de la législation moins repérable. Le rapport de cette année contre les discriminations raciales. En som- tient compte des formes actuelles mais ne s'y me, un travail en profondeur qui puisse co- enferme pas. Il doit donner le goût de le perordonner l'action des associations. Cela fectionner et servir à une réflexion .plus com~ concourra à donner plus d'efficacité pIète. Tout le problème est d'arriver à réponà J'action anti-discriminatoire. Mais, vousle dre à la question :comrnent ne pas faire le savez bien, tout ne se fait pas dans les lit des adversaires de la démocratie, et com- Pour toutes ces raisons, les avocats et magistrats, membres ou amis du MRAP, directement en prise avec la réalité juridique et soi dale du racisme ne se contentent plus de la législation telle qu'elle existe. Le mouvement souhaite donc une réforme de la loi qui aggrave les peines encourues par les racistes et innove en imaginant des formes civiques et pédagogiques de réparation sociale de cette atteinte aux droits de l'homme. Les propositions d'amélioration de la loi sont les suivantes: • extraire la législation antiraciste de la loi 1 sur la presse pour en faire un chapitre indépendant du droit commun. Ainsi, seraient levées les restrictions et les ambiguïtés que nous avons présentées relatives aux poursuites judiciaires

• donner une définition plus claire des délits pour que la loi, plus explicite, ne relaxe plus avec autant de facilités les provocateurs à la haine et la violence raciale ; • envisager d'inclure, autant que possible, les travaux d'intérêt général dans les peines requises par les plaignants ; • avoir recours à la technique du droit de réponse, connue depuis plus d'un siècle dans la presse écrite et depuis 1982 dans l'audiovisuel. En effet, les délais entre une infraction, une provocation à la discrimination et l'intervention d'un jugement sont trop longs pour constituer une dissuasion des médias coutumiers de ces délits. Malgré l'analyse critique qui vient d'en être faite, la loi du 1 er juillet 1972 a au moins l'avantage d'exister et il faut tenter, dans tous les cas où c'est possible, de la faire appliquer. D'ailleurs, la France est l'un des rares pays européens à s'être doté d'une législation antiraciste. Si la plupart de nos voisins ont signé ou ratifié la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, ils n'ont pas forcément adapté en conséquence leur législation interne. Mais gardons-nous d'y voir l'arme absolue. La lutte contre le racisme doit être menée sur tous les fronts, et le front judiciaire n'est pas forcément le plus efficace. Il faut cependant savoir comment s'en servir. Isabelle Andrée tribunaux. Il reste tout ce quine dépend plus ment ne pas renier la démocratie pour la sau; . des tribunaux mais du débat d'idées. De 'plus, ver? La démocratie doit être défendue avec·, . il faut être soucieux du respect du principe les armes de la démocratie. de liberté d'opinion ; ce qui est poursuivi ce Propos recu,i,Jis par' n'est pas l'opinion, fût-elle d'extrême droî- Chérifa8enabdessadok 52 .••••...•..•..•... .. · •• •. i.ii I I ___________________ ~", ""'"~"'·"',.c"'_,, ·""" ....... __ "",..;~:;,;·, · ""_' , ' ;"- ._~ """~"" ..; .. _ """' ~~ .. ,.,'_' .. ~ .. _' .. \:;

  • Pour de plus amples informations se reporter à : « La

loi, le racisme, les étrangers », les dossiers du MRAP, prix: 40 F (35 F pour les comités locaux). Différences nO 94, octobre 1989, dossier: « L'esprit de la loi et son application », à commander au MRAP. L'extrême droite utilise volontiers des organisations annexes, plus rassurantes et plus en phase avec les problèmes quotidiens. En voici quelques-unes, moins repérables que les maisons mères. 1 existe une multitude d'associations sous influence. Certaines sont des coquilles vides, se contentant de décliner sur leur terrain les chapitres du programme global les concernant. C'est le cas du Cercle national des femmes d'Europe (CNFE) qui se contente d'être la branche féminine du Front national. C'est également le cas de certains clubs de « réflexion », trop nettement appendices du FN pour réellement élargir leur influence au-delà. Citons les Comités d'action républicains (CAR) dirigés par Bruno Mégret, ou des organisations plus spécifiques comme la Ligue pour l'application de la peine de mort. Dans le même style, Entreprise et Liberté semble surtout avoir pour rôle de collecter des fonds. L'Institut Schiller, émanation du Parti ouvrier européen ou le Cercle Montherlant (proche du FN) travaillent plutôt en direction des intellectuels. Clubs, cercles et groupes ont en commun la technique de saupoudrage idéologique au profit de la maison mère. Mais les divers groupes d'extrême droite - et pas seulement le Front national - réussissent parfois à élargir leur influence à travers une myriade d'associations locales ou thématiques. Ce sont parfois des associatons professionnelles comme la Confédération des syndicats libres (CSL) dont les « gros bras» font régner l'ordre dans certaines entreprises. Autre exemple, la Fédération professionneUe indépendante de la police (FPlP) qui a obtenu 6 0[0 des voix aux élections syndicales et dont les dirigeants sont liés à l'OEuvre française et au PNFE. Les plus importants d'entre eux sont d'ailleurs inculpés pour les attentats anti-immigrés de Cagnes-sur-Mer et la bombe posée à Globe. Le Syndicat national du patronat moderne et indépendant (SNPMI) évolue également dans cette mouvance, tout comme le Front antichômage créé par le Front national. Ce même FN dispose d'ailleurs de cercles professionnels comme le Cercle national Banques ou Palais-Liberté qui tentent de rassembler notaires, avocats et magistrats ... Dans les milieux chrétiens, les intégristes proche de l'extrême droite sont présent avec des groupuscules comme Lecture et Tradition ou FICHIER PARAVENTS Paris. Manifestation du FN. le CREDO de Michel de Saint-Pierre. La Contre-Réforme catholique de l'Abbé de Nantes, La Fraternité Saint-Pie X de Lefebvre et Laguerrie et les groupes Chrétiens-Solidarité de Romain Marie sont des viviers de cadres et des piliers importants de cette mouvance. Deux pèlerinages à Chartres, l'an passé, ont rassemblé chacun plus de 3 000 personnes. Plus difficilement repérables, des associations spécifiques telles l'Union nationale des assurés sociaux (UNAS), l'Union nationale pour une presse indépendante (UNPI) ont parmi leurs responsables des membres influents du Front national. C'est également le cas de Légitime Défense, de Laissez les vivre (groupe antiavortement). La Ligue contre la vivisection, au look très écolo, n'est pas elle-même insensible à certains thèmes du FN. Côté jeunesse, les Scouts d'Europe, les Scouts Godefroy-de-Bouillon ou les Cadets de la mer assurent une formation de base. Devenus étudiants, l'Union nationale interuniversitaire (UNI) prendra le relais. Cette organisation est membre de la Ligue anticommuniste mondiale (W ACL). Pour les plus virulents, le Groupe universitaire de défense (GUD), connu pour sa violence dans de nombreuses facs, offre un autre type de structure. Au plan culturel, on ne peut manquer de signaler le Cercle Renaissance animé par Michel de Rostolan (exdéputé FN) et qui se veut un point de rencon:; tre entre droite et extrême droite. Relevons aussi l'Union des intellectuels indépendants, très proche du Nouvel Ordre européen (NOE), franchement néofasciste. La mouvance comporte aussi des sectes comme la NouveUe Acropole, l'Eglise de Scientologie et surtout la secte Moon dont l'ancien député du Front nationl, Pierre Ceyrac, est un pivot en France. Il y a même une assocï'ation « antiraciste » dans cet inventaire - forcément incomplet - avec l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française (AGRlF) ! Elle est dirigée par Romain Marie, le même que celui des réseaux ChrétiensSolidarité, jadis poursuivi pour propos antisémites. Pour sortir du cercle associatif, signalons que beaucoup de sympathisant ou exmembres de groupes d'extrême droite ont rejoint des formations plus classiques, moins salissantes. C'est le cas de Gérard Longuet, Alain Madelin, tous deux devenus ministres UDF, après avoir fondé il y a quelques années le mouvement néofasciste Occident. Quant à faire la liste des politiciens de droite collaborant ouvertement dans leur conseils municipaux ou régionaux avec des frontistes, un bottin n'y suffirait pas ... Pierre KrauS% 53 li !: fi ~ l, 1 La musique rock porte la révolte de la jeunesse des banlieues urbaines. Le mouvement des skinheads s'en est emparé dans une tonalité agressive et raciste. A l'opposé, les « redskin » relèvent la tête. Résultats tempos regain de ,t nouveaux, ... ~ solidarité. .~ ~ ROCK AGAINST FASCISM ans une banlieue parisienne, un groupe de skinheads au crâne rasé, équipé de bombes lacrymogènes et lames de rasoir, tente le vol à l'arraché du blouson d'un « hard-rocker» en promenade solitaire. L'allée, en apparence déserte, s'est vite remplie d'une petite foule menaçante de acks-blancs-beurs ». Les skins ont compté sur la rapidité de leurs jambes pour s'éloigner en catastrophe. Une semaine auparavant, trois skins armés de battes de base-bail avaient balafré un gamin de quinze ans dans les couloirs d'un métro. Après avoir pris soin de dessiner une carte de France sur les joues saignantes du garçonnet, le chef présumé de ce gang d'intrépides jeta une poignée de sucre sur la blessure pour que la plaie se cicatrise d'une manière très laide ... Cette fois aussi ce fut la déroute, et plus exactement la ren- 54 contre inopportune d'une patrouille de flics, obligés ensuite de constater avec un certajn malaise que le plus jeune des trois était fils d'un ... collègue! Déjà largement minoritaire dans la seconde moitié des années 80, le mouvement skinhead est aujourd'hui en pleine déconfiture. Rongé sur la « gauche» par la mouvance « redskin », il a désormais tendance à s'atomiser dans quelque appartement privé de la rive gauche ou à se nicher dans l'obscurité des catacombes. Les bombers, ces casquettes noires avec visière, et les paraboots, lourdes chaussures d'armée, éléments décisifs de la tenue vestimentaire des skinheads, sont souvent arborés par des groupes rivaux, parfois de tendance opposée. Déliquescence d'une idéologie primaire et mimétisme y sont pour quelque chose, mais aussi une sorte de détournement symbolique de la « logique de guerre ». « Nous sommes habillés comme des skins, parce qu'on les a dépouillés pendant les bagarres ... » Le chef de la bande « anti-skin » la plus acharnée de Paris et banlieue est un ancien rocker au regard glacial, adepte du « psychobilly », ce rock classique à la sauce punk genre « Meteors ». Avec lui et ses « gars », aucune pitié pour les s bads », les skins d'extrême droite, néonazis et bourgeois, dont les sorties hebdomadaires de soutien au Paris Saint-Germain se raréfient. De nombreuses bandes de chasseurs de skins ont réuni plusieurs dizaines de jeunes, toutes origines ethniques et tendances musicales confondues, du punk au hard-core, sans négliger les nouveaux fans du ska et les « trasheurs ». Fini le temps des agressions impunies. Les skinheads « fachos » se replient dans la militance à petits groupes au sein Mars 88 au Zénith: le 8érurier Noir. Rock politisé cc ant/-faf " et « anti-fllc ". des formations extrêmes d'inspiration hitlérienne et cléricale. Les jeunesses nationalistes révolutionnaires, dont le leader, Serge Ayoub, est justement surnommé « Bat-skin », ont récemment été pourchassés jusque dans les locaux de l'organisation par un de ces groupes de punks et rockers, spécialistes de la contreattaque aux manifestations néonazistes et lepénistes. La survie du mouvement skin semble davantage liée à l'amplification médiatique de certains faits divers qu'à une réalité d'envergure. Jean Pierre, rédacteur en chef de la revue Hard Rock, confie que les skinheads, dans leur composante « bads », « sont surtout des fils à papa du XVIe en quête d'émotions. D'ailleurs, se raser tout le temps la tête et s'habiller comme ils le font ça coûte du fric ... tandis que le fils d'un prolo ça reste toujours un prolo ... Aujourd'hui ils n'arrivent même pas à remplir une salle de concert. Elevés dans du coton, le courage leur fait défaut et ils préfèrent s'en prendre à un vieux pépé plutôt qu'à une bande de rastas ou d'Arabes qui, eux, savent bien répondre ». Souci de minimiser un phénomène inquiétant et de mauvaise réputation pour ne pas salir le courant musical auquel il est lié? Peut-être. Perte de vitesse d'une culture musicale urbaine ralliée à un activisme d'extrême droite au profit de la mouvance contraire? Rien de moins sûr. OUVERTURE MUSICALE ET SOCIALE Car en vérité, pour tous ces groupes, entremêlés dans un bouillonnement inouï, la source est en gros la même et les différences relèvent plus de l'ordre du symbolique et de l'idélologique que de la réalité culturelle. Pourrait-on par exemple, cataloguer à droite La souris déglinguée, ensemble rock typiquement Ile-deFrance, à cause d'une origine skinhead et de textes vaguement « fachos », lorsque les murs de Paris transpirent dans les paroles de ses chansons? N'ont-ils pas composé le morceau Banlieue rouge, pour crier la révolte des jeunes de la périphérie, qui « zonent » dans les soirées parisiennes interdites à ces enfants délaissés ? La musique n'est de gauche ou de droite que dans les projections subjectives de ceux qui veulent en devenir les protagonistes. « La ville est agressive et la musique est aussi violence libérant les fantasmes de cette agressivité, commente le jeune « patron » d'un petit label de « hard-core» qui a élu son siège dans la zone historique de la colline montmartroise. « Aujourd 'hui, dans le rock, il y a une certaine richesse au niveau des idées. Le choix idéologique a cédé la place à une expérience plus fragmentaire. Son attitude est plus « intérieure » sans pour ça perdre un regain de violence et l'influen- ce nord-américaine est toujours présente. Mais l'ouverture ne manque pas sur le plan musical et social: on s'essaye à sortir sonorités et tempos nouveaux. Les textes changent et sur scène on recherche un brin d'originalité. De toute manière, la période de la radicalité politisée de Bérurier noir est bel et bien terminée ! » Le Bérurier noir, justement. Le groupe de rock français qui dans la décennie passée fut l'alter ego du contradictoire mouvement skinhead à tendance réactionnaire. C'est lui qui, avec ses spectacles dans les métros, dans la rue et surtout dans les squatts, donna vie au mouvement alternatif au rythme d'un rock politisé « antifaf » et « antiflic ». Son but étant la création d'un circuit indépendant des grandes compagnies et des contenus commerciaux de la musique du « show-biz ». Il prêchait l'enracinement dans le social, et il l'était, avec fanzines, public, locaux et structures autonomes. Mais il y a quatre mois le Bérurier noir décréta la fin de son existence avec album et concert d'adieu devant les fans: les pionniers du mouvement indépendant en sont aussi les fossoyeurs. Symétrique au déclin des skins d'extrême droite, la dissolution du groupe d'extrême gauche veut probablement signifier que l'imaginaire populaire ne trouve plus ses points de repère dans les anciennes catégories explicatives des contradictions sociales. VIVRE DANS LA VILLE A regarder de près cet univers riche et magmatique, l'impossibilité d'en définir genres et significations n'en décèle pas moins un sens correspondant aux convulsions qui agitent les sociétés modernes. S'il y a une quinzaine d'années l'éclosion du phénomène punk a mis en retrait la mélodie de la chanson pour la recherche pure et simple du « son », il est assurément hâtif de classer dans l'éphémère tout ce qui s'est passé après. C'est la manière de vivre dans la ville, sa vitesse et l'esprit de compétition qui y règne qui font passer les rythmes à une accélération parfois instinctive et primiti ve. Ces sonorités et la violence de relations interindividuelles déter minent les arrangements toujour plus « métalliques » et la présen ce d'une véritable symbolique d, l'horreur dans les textes. C'est ain si que le son fade du son punk d, la première heure se transmu dans la dynamique «hyper speed » du hard-core, et que CI dernier rejoint le « trash metal dans la vitesse du hard rock. L. se trouve la possibilité de la déri ve fasciste, de l'individualisme ex trême, de l'illusion élitaire. Le hard rock et ses formes succes sives ont été marginalisés par le. circuits officiels (dans un ghettt par ailleurs doré au regard de: ventes hyperboliques obtenue: dans les grandes surfaces). S'il gardent les risques de la tentatiOl autoritaire (c'est vrai), ils ne re nient pas moins l'hypocrite affi chage de bons sentiments qui en tourent la résurrection de Young Dylan, et autres J oe Cocker, al son du carnet de chèques. Ce mouvement qui vient de la fil des années 70 bénéficie d'un pu blic et de potentialités commercia les importantes: Sting poum toujours mépriser les « kids »qu assistent aux concerts de harc rock, mais il suffit de lui rappeleJ que Def Leopard a vendu hui millions de disques alors que le: derniers Springsteen et M. Jack son n'ont pas dépassé la barre de: cinq. Certes, bruitage, violence et sec tarisme ne manquent pas. Dans Il hard-core la mouvance « Straigh Edge » prône une espèce de puri tanisme intégriste, mais la tendan ce au regroupement peut signifieJ un regain de solidarité et la maT ginalisation des composante: agressives et racistes. Luigi Elongu NOTES DISCOGRAPHIQUES • Rajos de Poraos: Brasil. Roadrunne (genre: « trash »). • Les Invendables : Dallas sur Seine. Le Si lence de la rue. • Terrorizer: World down fall. Earach, (genre: « death metal »). • Bérurier noir: Souvent fauché toujou~ marteau. New Rose. • Beurk's Band: Rub a dub. Le Silence d, la rue. • D. I. : Tragedyagain. Roadrunner (gen re :« hard-core »). • Masked Raiders: Give me a gun. Le Si lence de la rue. • Treponempal : (sans titre). Roadrunne (genre: « hard-core » industr.) • Les Brigades du sexe : Asile de fous. L Silence de la rue. 55 --~---------------- 56 La crise économique s'attaque aussi aux structures mêmes dont la classe ouvriére s'était dotée. Ces organisations ne font plus ce travail-là, n'ont plus les moyens de le faire. La riposte contre les idées de Le Pen devient donc une riposte individuelle et, bien sûr, plus diHicile. R o N D E AU COEUR D'UNE SOCIETE Différences: L'extrême droite visible c'est Le Pen et ses déclarations antisémites et xénophobes ? • Marie-Claude VaillantCouturier: Ces déclarations scandaleuses, Le Pen veut donner l'impression qu'elles lui échappent. .. or elles sont parfaitement calculées. • Pascal Perrineau : J'ai tendance à analyser ces bavures comme un moyen de réexister médiatiquement et politiquement. Je crois que plusieurs de · ces dérapages s'expliquent comme cela. • Anne Tristan : On ne peut pas parler de bavures, il y a un projet conscient de la part du leader du Front national. Son discours sur le racisme anti-immigré arabe passe bien: il a déjà gagné une bonne partie de l'opinion. En revanche, pèse encore sur l'antisémitisme un tabou et il me semble que ses propos, réguliers, cherchent à briser le tabou. Dans les premières réunions auxquelles j'assistais à Marseille, il n'était question que du danger représenté par les Arabes. Et seulement au bout de cinq mois, ils m'ont dit : « Enfin, le vrai problème, ce sont les jllifs, la ploutocratie, la mainmise des juifs sur les journaux, sur tous les pouvoirs ... ». Différences : Les sorties de Le Pen préparent aussi le terrain à un antisémitisme plus avoué ? • P. P. : L'antisémitisme est une constante dans l'extrême droite française et au Front national, il est aussi vieux que le parti. Dès sa naissance, en 1972, à la fin des années 70, il était encore plus présent qu'aujourd'hui. Le Front a été créé par Ordre nouveau, ouvertement néofasciste, mais Le Pen a compris que si le Front voulait devenir une force électorale, il lui fallait un visage plus présentable. Le courant MALADE utour de l'extrême droite française, de ce qu'elle révèle et de ce qui la nourrit, Différences a réuni trois regards complémentaires: ceux de Pascal Perrineau, de Marie-Claude VaillantCouturier et de la journaliste Anne Tristan. néo fasciste a peu à peu quitté le parti pour fonder d'autres groupes, ce qui ne veut pas dire qu'il ne reste personne de cette sensibilité au sein du Front national. Différences: Ya-t-il un risque de voir arriver ces gens au pouvoir, sous une forme ou sous une autre? • P. P. : Non, pas dans l'immédiat ou le moyen terme. Il ne faut pas transformer ce qui est un réel mouvement d'opinion en majorité politique. Le système institutionnel, le mode de scrutin majoritaire obligent à l'alliance et au compromis. Or s'il est vrai que dans les années 82-87, la droite traditionnelle a fait alliance ici ou là avec le Front, depuis l'automne 1988, à la fois le RPR et l'UDF ont dit explicitement au niveau national, qu'il n'était plus question d'alliance avec le Front national. Cela lui rend les choses plus difficiles. Aucun extrémisme n'a de vocation majoritaire en France. • A. T. : Primo Levi, rescapé des camps de concentrations, a écrit dans Les naufragés et les rescapés que cette question: « Estee que les fascistes vont revenir au pouvoir dans les pays européens ? » le mettait toujours mal à l'aise parce qu'on s'y soucie de demain sans voir que la présence dans l'opinion de ces courants-là suscite déjà une montée de la violence. Cette question induit la réponse : « Non, bien sûr» ,. elle permet de se rassurer et de ne pas riposter au Front national. Différences : Y a-t-il aussi contamination du champ politique ? • M.-C. V.-c. : Je considère qu'il faut prendre très au sérieux le danger de la montée du Front national. Comme il prend l'essentiel de ses voix dans l'électorat de droite, dès maintenant, il la radicali se dans sa propagande, surtout dans les zones sensibles. Je pense par exemple aux élections de Marseille. Il est clair que sur l'axe porteur du FN, l'immigration, les autres ont suivi. Pasqua a reconnu : « Nous avons des valeurs communes avec le Front national. » Sur d'autres problèmes, chômage ou insécurité, il peut aussi y avoir des déçus de gauche, paumés, parmi ceux qui sont tentés par ces solutions . • P .P. : Sur le thème de l'immigration, mais aussi sur celui de l'insécurité que Le Pen a lié au premier, en particulier en milieu urbain, le Front a réussi à fidéliser une part importante de l'électorat de droite. Il n'a pas la possibilité d'arriver au pouvoir, mais il peut empêcher la droite de le faire. La gauche, au moins les socialistes qui gouvernent, se demande comment répondre aux préoccupations de ces paumés auxquels on faisait allusion. Ces gens sont insécures, pas simplement parce qu'on leur fauche un auto-radio, mais insécures économiquement parlant, avec le chômage. Et c'est sur ce terrain que j'appellerais « des inquiétudes urbaines » que Le Pen s'enracine. Et il est peu aisé de désamorcer des inquiétudes. • A. T. : Il y a aussi un sentiment de fragilisation beaucoup plus diffus. A Marseille-Nord, j'entendais souvent dire: « Tous ces gens affamés, ça posera bien problème · un jour. Il faut se défendre contre le raz de marée qui risque de se produire » ... et qui a déjà eu lieu dans la tête de ces gens-là, au Front national. Cette idée était très présente au quotidien. Le déséquilibre de la planète, que l'on perçoit dans ces quartiers-là, est au coeur du sentiment de déclin. Le mot était employé

le déclin de la France ou

de l'Europe, ou des Occidentaux. 57 Répondre à cela est un travail de très longue haleine et qui suppose une volonté politique de rééquilibrage de la planète. • M.-C. V.-c. : La concentration n'arrange rien. Quand on regarde la couronne parisienne, on constate que les foyers et les HLM dans lesquels on concentre les immigrés ne sont presque jamais dans des communes dirigées par la droite. Il y a eu une volonté de ségrégation. • P. P. : Est-ce vraiment la ségrégation le problème ? A mon avis, il était inévitable que ce soit les communes industrielles et ouvrières qui accueillent les immigrés, le plus souvent ouvriers ... C'est là qu'il y avait des entreprises et du travail. Là aussi où étaient les mairies communistes et socialistes. Il y a eu une logique économique et sociale dans cette répartition des immigrés . . • M.-C. V.-C. : Sans doute, mais aussi une volonté politique. Beaucoup de gens n'habitent pas près de leur travail, surtout en région parisienne. On pourrait, si on le voulait, éviter ces conce!!trations. • A. T. : Il y a aussi probablement un problème autour de la tradition internationaliste des organisations ouvrières, des syndicats et partis de gauche. Aujourd'hui et depuis 1974, plus personne à gauche ne conteste le fait que les frontières soient fermées définitivement. C'est évidemment un abandon du contenu internationaliste des idéologies de gauche. Quand le président et le Premier ministre en viennent à dire : « On ne peut accueillir toute la misère du monde », cela rejoint en partie et au bout du compte quand même ce que dit Le Pen : « Chacun chez soi. » • P. P.: Les grands partis n'ont pas développé de réponses sociales, politiques et économiques cohérentes et précises sur le problème de l'immigration. Il y a eu un problème entre les partis de gauche et l'immigration à partir du moment où cette immigration n'a plus-été-etlfQP~enne. Les partis de gauche comme de droite ne se sont pas rendus compte de l'enjeu. Ils ont traité le problème à la hâte et ont laissé le Front national s'en emparer. Et puis il y a eu des maladresses. En 1983, l'UDF et le RPR, avec leurs appareils contaminés, ont fait campagne sur les thèmes du Front national (lui-même peu présent) et lui ont donné une légitimité. A 58 R o gauche aussi le Parti socialiste a pu avoir, dans certaines régions comme Marseille ou MidiPyrénées quelques ambiguïtés visà- vis des thèmes sécuritaires et des élus du Front. En 1980, le Parti communiste a eu dans plusieurs villes des attitudes assez étranges. A Ivry, où la municipalité voulait introduire un quota d'enfants immigrés dans les colonies de vacances, le MRAP a dû réagir. Tous les partis, à des degrés de responsabilité différents, ont légitimé certains axes du Front national. • A. T. : La droite a mené un réel travail de recherche. Au racisme biologique qui a débouché sur les génocides de la période du nazisme, a succédé un racisme identitaire. Dans les Cahiers de la nouvelle droite, cela a été très développé, légitimé. La gauche, elle, n'a pas renouvelé sa réflexion. Je me demande même si c'était possible dans la mesure où, en France, les problèmes liés à la décolonisation n'ont jamais été réellement affrontés. Tout ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie reste un tabou. Ce qu'ont fait les gouvernements de gauche ou de droite de l'époque, et aussi ce que n'ont pas fait les organisations ouvrières, ne fait pas partie du débat public. Je crois que la réapparition du Front national dans les années 80-84 nous fait payer ce silence. L'accueil des Maghrébins reste marqué par cette période-là. • M.-C. V.-c. : Je ne partage pas cette analyse, en ce qui concerne le Parti communiste. Celuici a toujours pris partie pour le droit des peuples à l'indépendance. Il a lutté contre la guerre d'Indochine, contre la guerre d'Algérie. Il propose des mesures concrètes pour l'intégration des immigrés, y compris de leur donner le droit de vote aux élections municipales. Il est pour l'arrêt de l'immigration mais pose le problème d'une aide efficace afin de permettre aux pays du tiers monde de sOJtir de leur sousdéveloppement. Différences: L'extrême droite française et européenne, cela a déjà existé, ne serait-ce que dans l'avant-guerre, avec les Ligues des années 30 ? Y trouvait-on déjà des thèmes voisins de ceux aujourd 'hui utilisés? • M.-C. V.-C. : C'est vrai, mais cela n'avait pas une forme aussi virulente vis-à-vis de l'immigration qu'avec Le Pen. Pour moi, N D E ce que j'ai vu en Allemagne où j'étais étudiante en 1930-31 est beaucoup plus sensible. Le thème de« Il y a du chômage et vous ne trouverez pas de travail, c'est la faute aux juifs qui prennent votre place» était un des thèmes principaux d'Hitler, tout autant que l'espace vital ou le traité de Versailles. Mais ce qui me frappe, c'est que le contexte de crise économique, de chômage, de difficulté à vivre rend les gens perceptifs aux propos racistes. Le parrallèle je le fais quant à la sensibilisation des gens à ce type de propagande en période de crise. • A. T. : La crise économique s'attaque aussi aux structures mêmes dont la classe ouvrière s'était dotée. Les concentrations ouvrières disparaissent. Le syndicalisme s'en ressent. Les travailleurs sont de plus en plus intérimaires et isolés. Il y a affaiblissement des cadres collectifs d'autrefois. Cela m'a énormément frappée à Marseille-Nord. Le Parti socialiste y animait autrefois des cercles de loisirs, d'activités laïques. Le Parti communiste aussi occupait beaucoup le terrain. Ces organisations ne font plus ce travail-là, n'ont plus les moyens de le faire. La riposte contre les idées de Le Pen devient donc une riposte individuelle et, bien sûr, plus difficile. • Différences . La crise économique, l'insécurité ressentie servent de terreau au développement de l'idéologie lepéniste ? • P. P. : La logique du bouc émissaire a été bien théorisée par Léon Poliakov historien de l'antisémitisme, dans La causalité diabolique. Une partie de la population ne se satisfait pas des explications sophistiquées sur les raisons du chômage, de la crise économique et sociale. Elle veut qu'on lui montre des responsables en chair et en os. Dans l'Allemagne et dans la France des années 30, on monre du doigt le bouc émissaire juif. A l'heure actuelle, les immigrés, en particulir maghrébins, ont pris cette place. C'est cela le discours de Le Pen: « S'il y a du chômage et de l'insécurité, c'est à cause des immigrés. Renvoyez les immigrés chez eux et il n y aura plus ni chômage ni insécurité. »Ça ne tient pas la route, mais, auprès d'une catégorie de la population en complet désarroi, il faut bien reconnaître que ce message politique a une certaine efficacité. Marie-Claude Vaillant-Couturier est député honoraire. Elle fut témoin au procés de Nuremberg qui iugea les dirigeants nazis. Etudiante, elle vécut dans l'Allemagne des années 30. Journaliste, elle montra les premiers camps de concentration destinés aux opposants d' Hitler. Résistante, arrêtée par la police de Vichy, elle fut livrée à la Gestapo et déportée. • M.-C. V.-C. : Il faut faire un effort pour lutter contre le racisme. Mon petit-fils de quatre ans est revenu de l'école en disant: « Je n'aime pas les Portugais. » Pourquoi ? « Je ne comprends pas ce qu'ils disent. »On n'aime pas ce qui est différent de soi et il faut surmonter cette première réaction, apprendre la solidarité. • A. T. : Les femmes et les hommes sont très différents et s'aiment parce qu'ils perçoivent leur utilité réciproque ... Je crois que ce que l'on n'aime pas c'est la différence dont on ne p~rçoit pas, ou plus, la richesse et l'apport. C'est une responsabilité de faire réapparaître des solidarités et le fait que les gens, immigrés ou pas, sont dans le même bateau, se complètent et contribuent ensemble à faire les choses. Dans une société où l'autre est systémat! quement présenté comme paraSIte, nous allons avoir du mal à remonter la pente ! • Différence : La résurgence de l'extrême droite laisse une impression de surprise, il y a pourtant une longue tradition française en ce domaine ? • M.-C. V.-C. : Il y a eu les Ligues et « La France aux Fran- R o çais ». Là où il y avait des immigrants polonais, espagnols ou italiens, il y avait un sentiment xénophobe dès avant-guerre. • P. P. : Depuis cinq ans, une force d'extrême droite obtient quel que soit le type d'élection, local ou national, peu ou prou 10 0/0. C'est cela la nouveauté : l'extrême droite s'enkyste dans la société française. • M.-C. V.-C. : C'est sans doute qu'à la crise économique les gens veulent des réponses simples. Or Le Pen donne des réponses simples. Fausses mais simples. Différences : C'est aussi un problème de ressources produites par le pays, y compris par les immigrés, et qui deviennent insuffisantes à contenter tout le monde? • M.-C. V.-C. : Le mot d'ordre « L~ France aux Français », effectIvement la plupart du temps marginal, prend dans cette situation de crise une grande résonance. Les différences de culture jouent encore plus facilement et c'est pour cela que les efforts d'intégration doivent être soutenus par une politique nationale. Concrètement, à l'école, les communes ne peuvent pas faire seules, il faut plus d'enseignants N D E pour cet effort particulier d'intégration. En outre, les enfants qui redoublent constamment sont d'abord des enfants de familles socialement en difficulté. Qu'elles soient françaises ou immigrées, elles sont au si marginalisées. • A. T. : L'amélioration des conditions de vie de tout un chacun pourrait être une réponse. Quant à ~'affaire de l'intégration, cela ménterait une sérieuse discussion, il faudrait savoir à quoi on intègre, dans quoi on intègre. y a-t-il seulement un lieu à intégrer ? Par exemple, qu'est-ce que l'identité française, peut-on seulement la définir? Je ne le crois pas. • P. P. : Il y a aussi une crise sociale, une crise politique et une crise culturelle. Les gens qui vivent en banlieue urbaine, atteints dans leur pouvoir d'achat par la crise économique, n'ont plus l'espoir de s'en sortir. Il leur faut donc apprendre à vivre avec les autres, dans le même bocal. Il y a là un terrain pour la libération des pulsions xénophobes que n'endiguent plus des organisations politiques et des idéologies épuisées. • A. T. : Au Front national par. exemple , d'anciens immigrés: ItalIens ou espagnols que j'ai côtoyés racontaient qu'en arrivant en France, ils espéraient bien passer du taudis au HLM et du HLM au petit pavillon. Avec l'arrivée de la crise économique, le passag. e au p~villon s'est avéré imposSIble et Ils enrageaient de rester là tout près, à côtoyer les nouvelle~ générations d'immigrés. La proximité avec ces immigrés plus récents leur signifiait un échec social. ~ P. P. : La crise est aussi politIque. Cette décennie de la percée du Front national, c'est aussi celle de la crise de la représentation politique. C'est la crise du Parti communiste, du mouvement gaulliste; l'état de délitement incroyable de l'UDF; un Parti socialiste qui se porte électoralement assez bien, mais dont la machine militante va mal. L'espace politique populaire est laissé vacant au vent mauvais du national-populisme du Front national. Un électorat populaire, souvent déboussolé, sans références o:ga~isationnelles est prêt, parfOIS, a toutes les entreprises P?litiques même les plus démagogIques. Démagogie qui s'épanouit dans un véritable champ de ruine idéologique. Les années 80 sont celles de l'érosion des grands systèmes idéologiques. Les références traditionnelles qui structuraien~ l'univers politique français, mar~lsme et gaullisme, ont implose. Anne Tristan est iournaliste. En 1987, el_ le publia Au Fronl, récit de son infiltration au sein d'une section marse illaise du Front national. Aprés un an passé en NouvelleCalédonie, dans les tribus de Canala et d'Ouvéa, e lle vient de donner L'"ulre lJIonde, un p"ss"ge en K"n"ky (les deux livres sont édités par Gallimard). Pascal Perrineau est chercheur, enseignant à la Fondation nationale des sciences politiques. Il a dirigé - avec Nona Mayer - l'édition du Fronl n",ion,,1 il déCOuve" (Editions de la Fondation nationale de sciences politiques). • M.-C. V.-C. : Cela varie. On constate, dans un certain nombre de municipalités communistes que l?rsque l'on s'y attaque, il y a mOInS de problèmes. On peut permettre aux gens de cohabiter. Quand on fait un effort, on réussit. Quand on occupe le terrain. • P. P. : Cela varie beaucoup en effet. Une étude sur la région de Grenoble a montré que les communes qui ont une politique d'intégration, de participation réu~sissent mieux. Là où il y a vraIment volonté, c'est vrai qu'on peut endiguer le phénomène, par une pédagogie de terrain, un travail obscur, quotidien, tenace ... Différences : Le phénomène lepéniste est en fait un symptôme? • M.-C. V.-C. : Oui, absolument. • A. T. : La maladie est aussi politique. Sinon, on peut être amené à dire, comme Laurent Fabius, que Le Pen pose les bonnes questions et y apporte de mauvaises réponses. Non! Le Pen pose malles questions et c'est 59 sCI.m~ un lieu pour vos assemblées générales commissions conseils séminaires réceptions ••• Groupe UNI Mutualité . 10, rue Alibert 75010 Pans ets DANIEL ARTICLES - CADEAUX M •• OOUINERla SERVIETTES· PORTE-DOCUMENTS GROS 1/2 GROS t11CHElER Socl"6 Anonyme au Cepltel le 200.000 Frence 70. RUE DU TEMPLE, 75003 PARIS Tet. : 117.72-11 GlLERIE ARIEL 140, boulevard Haussmann - 75008 Paris Tél. (1) 45.62.13.09 MARCY PRET A PORTER 129, rue d'Aboukir 75002 Paris - Tél. : 42.36.66.89 LES PIEDS SENSIBLES c'est raHaire de SULLY Confort. élégance, qualité, des chaussures faites pour marcher 85 rue de Sèvres 5 rue du Louvre 53 bd de Strasbourg 81 rue St-Lazare Du 34 au 43 féminin, du 38 au 48 masculin. six largeurs CATALOGUE GRATUIT : SULL Y. 85 rue de Sèvres. Paris 6- 5 % su, ~~t.tIOn ,. Cl!n~ annDnC" SOFDAL 8. rue Maurice-Ténine 94260 FRESNES Accessoires Caravanes Bateaux Tél. 668.10.48 R o N D E aussi le symptôme de la maladie politique d'une société qui ne sait plus se poser concrètement et correctement les problèmes. Une société trop éclatée. Différences : A la fête des BleuBlanc- Rouge d'octobre 1989, se trouvaient Coston, qui est un pont à lui seul entre Vichy et le Front, Roques le révisionniste et des groupes ouvertement néonazis qui vendaient leur presse. Que vous inspirent ces voisinages ? • M.-C. V.-C. : On ne peut pas imginer qu'il y ait 60 % de fascistes à Dreux. Mais les Allemands qui ont suivi Hitler au départ n'étaient pas tous des fascistes prêts à accomplir les plus abominables crimes contre l'humanité. Ils étaient des paumés, au départ, et la crise économique a pesé sur des gens qui n'étaient pas fascistes. Mais ils ont suivi Hitler qui l'était et j'ai assisté à la pénétration de son idéologie dans le peuple allemand. lé une droite révolutionnaire, une extrême droite française. • M.-C. V.-C. : La preuve: on retrouve ces thèmes-là dans l'idéologie et la propagande pétainistes. Il ne faut pas oublier que les décrets contre les juifs ont été pris par Pétain avant que les nazis ne les réclament. Mais, dans cette même France, il y a toujours eu des gens, un courant militant, qui s'opposaient à cela. Différences : La vieille guerre de l'affaire Dreyfus? • P.P. : Tout à fait. Ce conflit est fondateur. On en retrouve encore les échos aujourd'hui. Différences : Seuil de tolérance et espace vital ? n Ji a-t-il pas un cousinage dans ces deux notions? migrés et celui du vote Front national ont été réalisées dans l'ensemble des communes du Vaucluse et de l'Isère, pour toutes les élections depuis 1984. Il n'y a pas de corrélation positive. Il n'y a pas, globalement, d'effets directs de la présence d'immigrés sur l'importance du vote Le Pen. Ce qui joue, c'est un effet de halo: les électeurs lepénistes ne craignent pas les immigrés avec lesquels ils ne vivent pas, mais les immigrés qui sont aux marges de la commune, du quartier et sur lesquels ils fantasment. pour le Front national. Les réponses de type social sont des réponses au chômage, à la dégradation des conditions de vie, particulièrement dans les périphéries urbaines. Ce sont aussi des réponses aux inquiétudes identitaires des Français. On ne peut se contenter de discours d'indignation morale contre les thèmes du Front national. C'est très bien, mais ça ne touche pas ceux auxquels ils sont destinés, parce qu'ils ne les entendent même pas. Au-delà des craintes liées à l'immigration ou à ce discours sur le Sud qui va submerger le Nord, il y a aussi des craintes identitaires au plan européen. Qu'est-ce que l'identité française, coincée ente une identité européenne à venir encore floue, parfois inquiétante, et des identités infranationales, confrontée au problème de l'intégration des populations immigrées? On ne peut pas dire que Le Pen est un nazi, ne serait-ce que parce qu'il est français, mais ça ne le gêne pas tant que cela d'être allié au Parlement européen avec le leader des Républicains allemands, Shonhüber, qui est un ancien instructeur de la division Charlemagne, à la Waffen SS. • A. T. : Il me semble que c'est presque une perte de temps que de chercher à savoir s'ils sont ou pas des fascistes. On peut les appeler comme on veut, mais les effets dans la société sont pareillement porteurs d'exclusion et c'est cela qui doit nous interpeller. En savoir où l'on en est aujourd'hui ne passe pas par l'emploi de qualificatifs comme fasciste, mais par la prise de conscience claire et nette qu'une volonté d'exclusion aussi importante dans la société française peut libérer chez certains individus et dans certains groupes une violence et les amener à tuer. Dans certains cas, c'est déjà fait. • P. P. : L'extrême droite, c'est divers, mais le noyau dur commun à toutes ces sensibilités, c'est l'antisémitisme, développé et reConstruit à la fin du XIX· siècle par des hommes comme Drumont dans « La France juive », vendu à des centaines de milliers d'exemplaires. Il s'est agit de dévoyer l'anticapitalisme de certaines couches poPUlaires vers l'antisémitisme. Et c'est là-dessus que s'est constitué ce que Zeev Sternhell (1) a appe- Cette constatation, fondée sur des études scientifiques, a du mal à passer. • P. P. : Cela n'a pas la même signification. La notion d'espace vital rentre dans un système idéo- • A. T. : Il me semble que le seuil de tolérance, c'est bien une affaire d'espace vital. Non plus à conquérir, mais à défendre. A un moment, les gens disent : « Il y a trop d'immigrés, ça nous emtl ~~------------~~ Marseille « La Bousserlne » - Juin 84. logique, le national-socialisme. C'est une notion impérialiste et expansionniste. Le seuil de tolérance est à usage interne. C'est le prétendu seuil - que personne n'a jamais réussi à démontrer scientifiquement - à partir duquel il y aurait affrontement entre communautés. C'est une notion dangereuse parce que ça ne veut rien dire; c'est une notion creuse qui donne une apparence scientifique à une réelle xénophobie. • M.-C. V.-c. : Dans les faits, on voit des communes avec beaucoup d'immigrés et où les problèmes sont résolus de façon acceptable par tous. Dans d'autres endroits, il n'y a pas d'immigré et Le Pen fait des scores importants. Où est le seuil de tolérance làdedans? • P. P. : Des analyses de corrélation entre le pourcentage d'impêche de vivre. »Et là, le seuil de tolérance c'est bien, comme l'espace vital, une hitoire de territoire. Différences : Si donc le moteur médiatique du FN c'est l'immigration, les motivations de ses électeurs seraient plus diffuses ? Quelles solutions alors ? • P. P. : Il y a deux types de traitements. D'ordre politique et d'ordre social. Les solutions politiques sont celles de toujours. Le mode de scrutin, par exemple : un scrutin majoritaire marginalise plus efficacement, pour parler cyniquement, une force politique que le scrutin proportionnel. Il y a des réponses politiques plus fondamentales. Il faut réinventer des organisations politiques qui soient autre chose que des machines électorales groupées autour de présidentiables, sinon le terrain sera de plus en plus libre • A. T. : La question sur les solutions est pour moi compliquée et même douloureuse car il me semble que le phénomène est d'ores et déjà très enraciné. Je ne crois pas du tout que l'on puisse dialoguer avec les électeurs - je dis bien les électeurs, pas les adhérents - du Front national. Ils détestent la contradiction et recherchent le consensus. Je crois dès lors qu'on a intérêt à exprimer haut et fort notre désaccord pour que le ralliement au Front national n'apparaisse pas aussi facile et évident. • M.-C. V.-C. : Sur les réponses politiques, je reste pour la proportionnelle quels qu'en soient les inconvénients. Casser le thermomètre ne supprime pas la fièvre. En ce qui concerne la propagande de Le Pen, je crois qu'il faut répondre par des faits à ces idées simplistes qui apparaissent comme le bons sens et qui sont absolument contraires à la réalité. Les Français ne savent pas que ces idées ne correspondent pas à la réalité, vous en avez donné toutes sortes d'exemples. Enfin, il faut s'occuper des gens, là où ils sont, les écouter, régler avec eux les problèmes. La démocratie n'est pas une démarche spontanée: si l'on ne s'occupe pas de ses propres problèmes, on n'améliorera pas la situation. Ça n'est pas du tout acquis, cela demande de grands efforts. (1) : Naissance de l'idéologie fasciste, Fayard, 1989. La Droite révolutionnaire, Seuil, 1984. 61 BIBLIOTHEQUE DU PARFAIT ANTI-FASCISTE Dans la jungle des études et des pamphlets publiés sur l'extrême droite, il est bien difficile de s'y retrouver. Certains ouvrages ont été écrits par des militants, repentis ou non, mais les bonnes intentions ne suffisent pas toujours à faire un bon bouquin. D'autres, intellectuels ou écrivains, ont compensé. OUVRAGES DISPONIBLES • Les synthèses Les ennemis du système. Enquête sur les mouvements extrémistes en France de Christophe Bourseiller. Ed. Robert Laffont, 1989,218 p., 85 F. Le type même de l'ouvrage fait pour la vente. Un brin racoleur (une moitié pour l'extrême gauche, l'autre pour l'extrême droite), très approximatif et dénué de réflexion, on ne perd rien à le laisser en librairie. L'extrême droite en France de Jean-Christian Petitfils. Ed. PUF, coll. « Que sais-je? », pe éd. 1983, 127 p. Léger comme il se doit. La loi du genre n'excuse cependant pas la désinvolture et l'approximation. Est-ce bien sérieux de remonter deux cents ans d'histoire en si peu de pages? 62

  • Les néo-naz:is de Jean-Marc

Théolleyre. Ed. Temps actuels, coll. « La vérité vraie», 1982, 250 p., 87 F. Désordonné dans sa construction mais bien documenté, ce livre écrit par un chroniqueur judiciaire du Monde reste marqué par le contexte de l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Seul son index permet encore de s'y reporter.

  • Les brigades noires (France

et Belgique) de Serge Dumont. Ed. EPO, 1983, 246 p., 70 F. Démonte la persistance du phénomène néo fasciste en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Son principal intérêt réside surtout dans ce qu'il nous apprend sur la Belgique. Sur ce sujet on pourra avantageusement actualiser avec les revues Article 31 et Celsius. Attention toutefois, on s'y perd vite! Complots contre la démocratie

les multiples visages du

fascisme de Marie-José Chombart de Lauwe. Ed. FNDIRP, 1982, 144 p., 45 F. La preuve du danger n'est plus à faire. L'histoire a donné raison à l'auteur.

  • Vigilance par Marie-José

Chombart de Lauwe. Ed. EDI - Ligue des droits de l'homme, 1987,206 p., 80 F. Ouvrage militant conçu pour des militants. Un bon dossier de presse agrémenté d'une bibliographie et d'un index utile.

  • * * La tentation néofasciste

en France (1944- 1965) de Joseph Algazy. Ed. Fayard, 1984, 432 p., 98 F. Secrétaire général de la Ligue des droits de l'homme en Israël, l'auteur est aussi historien. Inspiré par une surévaluation du danger néofasciste, il nous livre dans ce volume un remarquable travail de recherche historique à base de sources originales.

  • L'extrême droite en France

(1965-1984) de Joseph AIgazy. Ed. L'Harmattan, 1989, 342 p., 180 p. Moins fouillé et plus fouilli que le précédent, ce volume ne le vaut pas. Plus on s'avance dans le temps, plus l'historien, faute de documents neufs, cède la place au militant. Reste une perle: la fiche de RG d'Alain Madelin en 1968 ...

  • * L'Orchestre noir de Frédéric

Laurent (avec la collaboration de Nina Sutton). Ed. Stock, 1978, 442 p., 95 F. Une étude poussée des ramifications des organisations néo fascistes dans le monde, l'ouvrage est remarquable dans son analyse de la « stratégie de la tension» qui faillit faire basculer l'Italie au milieu des années 70. • Le Front national

  • * * L'effet Le Pen dossier présenté

et établi par Edwy Plenel et Alain Rollat. Ed. La Découverte/ Le Monde, 1984,246 p., 75 F. Un classique. La tentative d'explication à chaud du phénomène par ces deux journalistes du Monde a fait école. Cinq ans et demi après on s'y réfère toujours.

  • *Les hommes de l'extrême

droite. Le Pen, Marie, Ortiz: et les autres d'Alain Rollat. Ed. Calmann-Lévy, 236 p., 89 F. Il les connaît bien, mais c'est surtout son récit de la création du Front national par le mouvement néo fasciste Ordre nouveau qui est intéressant.

  • Le système Le Pen par Joseph

Lorien, Karl Criton et Serge Dumont. Ed. EPO, 1985, 336 p., 150 F. Bourré d'infos, truffé d'inexactitudes et de coquilles. A réserver aux connaisseurs.

  • * * Le Front national à découvert

sous la direction de Nonna Mayer et Pascal Perrineau. Ed. Presses de la fondation nationale de sciences politiques, 1989, 366 p., 200 F. La somme de travail de dix-huit politologues. Approches historique, lexicologique, philosophique, statistique, sociologique, psychologique et électorale se conjuguent pour mettre à nu le nouveau venu sur la scène politique. Un peu froid, un tel outil était cependant nécessaire.

  • Les dits et les non-dits de

Jean-Marie Le Pen de Pierre Jouve et Ali MagQudi. Ed. La Découverte, coll. « Enquêtes », 1988, 180 p., 85 F. Pour amateurs de psychanalyse. • Les interprétations

  • Les affaires de Monsieur Le

Pen de Jean Chatain. Ed. Messidor, coll.« Documents », 1987, 178 p., 100 F. L'honnête synthèse d'un journaliste à l'Humanité. L'analyse du PCF. • Les témoignages

  • Retour du Front d'Yves M.

Zelig. Ed. Barrault, 1985, 174 p., 68 F. Sociologue, l'auteur a passé trois semaines avec les militants d'extrême droite lyonnais pendant la campagne électorale des cantonales 1985.

  • * * Au Front d'Anne Tristan.

Ed. Gallimard, coll. « Au vif du sujet», 1987, 256 p. (Rééd. Folio-Actuel n° 14). Témoignage sans complaisance de ce qui a permis l'implantation du FN dans les quartiers populaires de Marseille par une journaliste qui s'est glissée six mois dans la peau d'une militante ordinaire. A méditer. • La nouvelle droite

  • La nouvelle droite de Julien

Brunn. Nouvelles éditions Oswald, coll. « Faut-il brûler? », 1979, 392 p., 60 F. Un ouvrage bien pratique qui regroupe en les introduisant l'essentiel des articles publiés sur la« nouvelle droite » de 1972 à 1979, date de son avènement médiatique.

  • * *Visages de la nouvelle

droite. Le GRECE et son histoire d'Anne-Marie DurantonCrabol. Ed. Presses de la Fondation nationale de sciences politiques, 1988,267 p., 160 F. « Une vision policière du débat d'idée» affirme le GRECE. Une thèse universitaire qui permet d'avoir de bons repères. Libre à chacun de décider ensuite s'il y a lieu de débattre. • Le révisionnisme

  • * * Les assassins de la mémoire

de Pierre Vidal-Naquet. Ed. La Découverte, coll. « Cahiers libres», 1987,240 p., 69 F. La notoriété de l'auteur dans ce domaine n'est plus à faire. Indispensable. .La secte anticommuniste

  • * *L'Empire Moon de JeanFrançois

Boyer. Ed. La Découverte, 1986, 419 p., 98 F. Bourré d'événements, de faits, de noms, cette enquête journalistique fait le tour de la question. • La querelle des historiens Deux positions antithétiques s'affrontent. 1. Le fascisme est idéologiquement né en France. Surtout soutenue par Zeev Sternhell, un historien israélien, cette thèse est loin d'être admise. Certains, à droite, se sont appuyés dessus pour justifier l'équation « fascisme-socialisme». Elle n'en n'est pas moins stimulante. 2. Il n'y a pas de fascisme français mais plutôt une permanence « vichyste » et « ligueuse». Faites votre choix.

  • Naissance de l'idéologie

fasciste de Zeev Sternhell. Ed. Fayard, 1989,424 p., 140 F. Autres ouvrages du même auteur : La Droite révolutionnaire: les origines françaises du fascisme, Rééd. Seuil, coll. « Points », 1984. et Ni Droite, ni Gauche. L'idéologie fasciste en France, Rééd. Complexe, 1987. • Fascisme français passé et présent de Pierre Milza. Ed. Flammarion, 466 p., 129 F. OUVRAGES « INTROUVABLES » Cette qualité ne leur donne pas nécessairement plus de valeur. Dépassés pour la plupart, leur intérêt varie, comme les précédents. Leur cote aussi. • • ·Vous avez: dit fascismes? par un collectif d'auteurs. Ed. Arthaud/Montalba, 1984, 286 p. Parmi les nombreuses contributions rassemblées, on retiendra surtout l'importante étude de Pierre-André Taguieff. Fruit de travaux exposés antérieurement dans divers articles plus courts, c'est une analyse systématique de la stratégie « métapolitique » de la nouvelle droite, dans ses aspects théoriques autant que dans les formes de sa mise en pratique, suivie d'une étude de ses sources doctrinales et d'une critique des modèles d'intelligibilité offerts par l'historiographie et la politologie contemporaines. Moi, j'aime l'extrême droite de Catherine Fouillet. Ed. La Librairie française, 1982, 228 p. Pour se convaincre que ça existe.

  • L'internationale raciste. De

la psychologie à la « science )) des races de Michael Billig. Ed. Maspéro, coll. PCM, 1981,176 p. Le chapitre 6 s'intéresse spécifiquement à l'étude du comité de patronage et du comité de rédaction de la revue Nouvelle Ecole. Les rats noirs de Grégory Pons. Ed. Jean-Claude Simoën, 1977, 256 p. Journaliste au Figarodimanche et membre, à l'époque, du GRECE, son propos était de montrer l'impasse de la vieille extrême droite. Dossier néonaz:isme de Patrice Chairoff. Ed. Ramsay, 1977, 469 p. Deux ans après la sortie de B ..• comme barbouz:e (Alain Moreau ed.), Dominique Calzi (c'est son vrai nom), ancien de Jeune nation et du SAC auquel il a appartenu de 1965 à 1971, a profité d'un séjour en prison pour escroquerie pour vider son sac. Résultat: un livre indigeste mais truffé de noms. A prendre avec des pincettes. L'extrême droite en France par Bernard Brigouleix. Ed. Fayolle, 1977,232 p. L'ouvrage se voulait un guide plus qu'un traité. Il faudrait avoir un motif bien particulier pour s'y reporter. • Les mouvements d'extrême droite en France de François Duprat. Ed. Albatros, 1972, 302 p. Par l'idéologue du FN, mort dans un attentat en 1978. Une vision de l'intérieur maintes et maintes fois recopiée. • • Dictionnaire de la politique française de Henry Coston. Ed. Henry Coston, La Librairie française, 1967-1982, 4 volumes. Pour le trouver, deux solutions: votre bibliothèque municipale est bien pourvue en usuels, ou vous êtes dans une librairie déjà passée à l'ennemi. Sans se méprendre sur la personnalité de l'auteur, un« ancêtre» de l'extrême droite, il n'est pas inutile de chercher parfois des informations biographiques dans les quatre gros volumes de celui qu'ils appellent « la mémoire de la droite. » Mais le cinquième se fait attendre ... Lignes, octobre 1988, nO 4 : « Les extrêmes droites en France et en Europe ». (Librairie Séguier, 3, rue Séguier, 75006 Paris.) A noter aussi dans le n° 7, octobre 1989, deux articles intéressants consacrés à l'extrême droite allemande: l'un analyse les raisons et conséquences des récents succès des Republikaners, l'autre s'intéresse de très près aux convergences écolo-gauchistes et extrême-droitières à travers l'étude de la revue Wir selbst. Raison présente, novembre 1988, n° 88 : « Flash sur la droite ». (14, rue de l'EcolePolytechnique, 75005 Paris.) Les Temps modernes, avril 1985, n° 465 : « La tentation autoritaire en France ». (4, rue Férou, 75006 Paris.) Outre ce numéro spécial, cette revue a fait paraître différents articles qui méritent d'être signalés

« Les redrèsseurs de morts »

par Nadine Fresco (n° 407, juin 1980), consacré à l'affaire Faurisson

« Révolution conservatrice

et nouvelles droites allemandes » par Patrick Moreau (n ° 436, novembre 1982) ; «Alain de Benoist, philosophe » par PierreAndré Taguieff (n ° 451, février 1984) ; « Louis Rougier et l'archéologie de la nouvelle droite » par Gilles Bounoure (n° 490, mai 1987). Mots, mars 1986, n° 12, « Droite, nouvelle droite, extrême droite. Discours et idéologie en France et en Italie ». (27, rue SaintGuillaume, 75341 Paris cedex 07.) Contient une très importante bibliographie universitaire qui vous permettra de prolonger celle-ci. REVUES SPECIALISEES MILITANTES Article 31 (BP 423,75527 Paris cedex Il). Après cinq ans d'existence, cinquante numéros et des centaines d'articles sur les facettes les plus variées de l'extrême droite, cette revue antifasciste est en pleine restructuration. Beaucoup de numéros sont encore disponibles. Se renseigner. .. Celsius (Mantrant, BP 284, 75228 Paris cedex 05). Plus internationale, cette revue francobelge insiste aussi davantage sur les dangers du libéralisme. La cessation d'activité de sa consoeur l'a récemment amenée à se recentrer sur le paysage français. Pour être informé chaque mois. Identités-égalité (67, rue des Orteaux 75020 Paris). Dirigé par Michel Charzat, député du PS. Cahier n° 1 sur le Front national (1984) et n° 2 sur le CNI (1985). Michel Soudais ••• Indispensable, lisible •• Intéressant, lisible • Pas si mal, un peu brouillon Curiosité MRAP MINITEL 36-15 Tapez MRAP 63 12 RUE TRONCHET - 742.53.40 41 RUE DU FOUR - 548.85.88 74 RUE DE PASSY· 527.14.49 TOUR MONTPARNASSE - 538.65.53 PARIS Vous AVEZ DU TALENT. Nous AVONS DU LYON - LA PART-DIEU CONJUGUONS NOS TALENTS. NEW-YORK - 727 MADISON AVENUE TOKYO - 5-5 GINZA Différentes nO' 00 Voilà un an, Dillérentes s'engageait dans un nouveau rythme avec une nouv~lIe formule (mensuelle et trimestrielle). Dillérentes tient la route et célèbre son numéro 100. Dillérentes a besoin de vous pour continuer à vivre. Abonnez-vous, abonnez v'os amis, faites connaÎtre ce numéro. 240 F PAR AN POUR 4 NUMEROS SPECIAUX ET 10 NUMEROS MENSUELS


~-

NOM: .............................................. PRENOM ADRESSE: ••••••••••••••.••••••••••••••••••••••••••••••••••••.•••••••••••••••••••••••••• ..................................................................................... Coi -J2o4i0n t Fu n(1 cahnè)q ue de : 0 150 F (1 a,n - étudiants et chômeurs) , I;::J 120 F (6 mOI.s ) o 80 F (6 mois - étudiants et chômeurs) 0 300 F (etranger) 0 500 F (soutien) 1 000 F (abonnement d'honneur) à l'ordre de DIFFERENCES, 89, RUE OBERKAMPF, 75011 PARIS 64 IMAGES DE L'OMBRE ET DE L'OUBLI Entre le cinéma d'une France dite unanime contre les nazis et un cinéma qui résiste à montrer les faits, quelques films se glissent, plus authentiques. Rares, ils sont d'autant plus importants. n film récent de Bernard Cohn, Natalia, film de fiction montre, comment un cinéaste français, pendant les années d'occupation, en vient de concession en concession, pour continuer sa carrière, à « collaborer » de manière ordinaire, allant jusqu'à laisser éloigner des plateaux de cinéma, son amie, une jeune artiste juive. Une autre actrice, par opportunisme, prend la place de Natalia, Elle n'a fait que donner un simple « coup de pouce » à sa propre carrière en la dénonçant. C'est un film documentaire, Le chagrin et la pitié qui, en 1969, fait basculer les thèmes, les personnages du cinéma français. Ce film dont François Truffaut écrit que : « La télévision française a toujours refusé de le projeter pour ne pas chagriner ceux qui furent sans pitié ... fut, poursuit Truffaut, celui qui rend compte avec le plus d'exactitude et de bonnefoi, de l'éventail des comportements français de 1940 à 1945 (1). » Des portraits, des interviews, des séquences d'actualités de l'époque donnent à voir une autre image de la France de ces années-là. Au revoir les enfants. Louis Malle. On entend un engagé volontaire de la division Charlemagne des Waffen SS français raconter son départ. Raphaël Geminiani affirme péremptoire, aujourd'hui, que « des Allemands, à l'époque, il n 'yen avait pas à Clermont », tandis que sous nos yeux, apparaît une image de la ville arborant des panneaux en allemand, La force des documents du film de Marcel Ophüls va à l'encontre de toutes les images reçues, brise un tabou. La collaboration, le régime de Vichy sont absents des écrans où l'on préfère exalter l'image d'une France unanime dans la résistance de Paris brûlet- il ? à L'armée des ombres (2). Les films des années 50, mais la veine est exploitée un peu plus tard, enc.ore, trouvent dans la guerre et la résistance prétexte à comédie. L'occupant allemand est ridiculisé dans des gags inoffensifs. La vie de château, en mettant en scène des collaborateurs par douce ignorance et des résistants séducteurs développe, sur fond historique, l'éternel thème de l'amant et du mari trompé. Dans le cinéma de l'époque même, pas de personnage incarnant l'idéal collaborateur. Perdurent à ce moment-là les thèmes du cinéma des années 30 (juifs ploutocratie par exemple), renforcés par les appels d'un Lucien Rebatet : « Il faudra tôt ou tard chasser de notre sol plusieurs centaines de milliers de juifs, en commençant par les juifs sans papiers réguliers, les nonnaturalisés, les plus fraîchement débarqués, ceux dont la malfaisance politique ou financière est la plus manifeste, c'est-à-dire la totalité des juifs du cinéma ... Le cinéma français tout entier, de la production aux tirages de films, ou à l'exploitation de la plus petite salle, doit être fermé à tous les juifs sans distinction de classe ni d'origine (2). » Après Le chagrin et la pitié, le cinéma de fiction regarde autrement ces années d'ombre. Le film le plus significatif, et comme dans le droit fil du film d'Ophüls, c'est Le dernier métro de François Truffaut Ses différents personnages constituent tout un échantillonnage de la population du Paris occupé : de ceux qui continuent comme si de rien n'était à ceux qui collaborent et à ceux qui sont engagés dans la résistance. Jouant habilement sur le thème du théâtre - la vérité de la scè- ~ 5 ,~ ne n'est pas celle de la ville -, il renvoie le spectateur à toutes les apparences trompeuses du cinéma chaque fois qu'on lui a montré des images, des histoires de la France des années 40. Deux films de Louis Malle, Lacombe Lucien et Au revoir les enfants, mettent en scène des personnages isolés de collaborateurs. Il en ressort des portraits très ambigus. L'attention est portée à des hommes exclus qui collaborent pour prendre une revanche sur l'humiliation subie. L'instituteur ~ a refusé à Lucien l'entrée dans un ~ réseau de résistants; le jeune homme accusé de vol dénonce les résistants et les enfants juifs cachés dans le collège. Tous les films que nous avons cités sont disponibles en cassette vidéo. Le chagrin et la pitié vient seulement de les rejoindre! Christiane Dancie (1) Préface de François Truffaut pour André Bazin, le cinéma de l'occupation et la résistance, éditions 10-18. (1) Voir les articles « résistant» et « collaborateurs » du Dictionnaire des personnages de cinéma, éditions Bordas, Pompe. funèbre. Marbrerl. CAHEN & Cie 43.20.74.52 MINITEL par le 11 65 • PHOTOS DE SOWETO : un livre luxueux et beau, rassemblant photos et textes sur ce township symbole de l'Afrique du Sud et de l'apartheid. Auteurs: un photographe sudafricain de renommée internationale, Peter Mugabane, David Britow (ex-rédacteur ajoint des journaux The Star et The Sowetan) et Stan Motjuwadi exdirecteur, aujourd'hui disparu, du prestigieux magazine noir Drum. Editeur du livre: JeanPierre Taillandier. Prix: 245 F. On peut aussi le commander au MRAP (Geneviève). • UNE ETOILE DANS L'OEIL DE MON FRERE. Après le livre*, voici la scène. Moussa Lebkiri adapte une étoile dans l'oeil de mon frère. Ce n'est pas un spectacle exotique, mais un moment privilégié aux saveurs d'un autre temps, qui renoue avec la tradition orale, un instant vécu avec les spectateurs. Moussa c'est un autre Ramuz, un nouveau Giono, tous les ingrédients de l'Orient mais ce n'est pas l'Orient. Pour vous en assurer, rendez-vous du 6 mars au 7 avril, Roseau Théâ- 66 A G E tre, 12, rue Bernard, 75002 à 20 h 30.

  • L'Harmattan 1989.

« BIZANCE-PROMOTION » OFFRE AUX LECTEURS DE DIFFERENCES DEUX PLACES GRATUITES SUR PRESENTATION DU BON CIDESSOUS. • THEATRE. L'Antiphon, mis en scène par Daniel Mesguich. Un événement: la création en langue française de la pièce de Djuna Barnes, « Un auteur majeur de langue anglaise en notre siècle ». L'histoire d'une vie racontée comme une terrible légende. Coproduction du Théâtre de l'Europe et de la ComédieFrançaise. Du 13 mars au 13 avril, théâtre de l'Odéon, Paris. 4e Festival d'art magique avec la participation d'artistes français et étrangers. Les 16, 17 et 18 mars à Blois, à la Halle aux grains. L'art magique: une tradition qui remonte à l'Antiquité .. . un art populaire intégrant les progrès techniques. Tél. : 54.74.20.82. Romenko, une création du théâtre Goblune sur R. Queneau, un humoriste et classique du xxe siècle. Du JO au 18 mars à Orly N D A (centre Aragon-Triolet) et du 20 mars au le, avril (studio Berthelot). Tél. : 42.87.86.24. Laure Lasfargues • SOLIMAN LE MAGNIFIQUE. Hommage rendu à l'un des plus grands souverains de l'histoire, symbole de l'apogée de la civilisation ottomane, qui fit de l'Istanbul du XVIe siècle la plus brillante capitale du monde avec ses 700 000 habitants (2 fois plus qu'à Paris et 4 fois plus qu'à Londres). « Soliman le Magnifique », Grand Palais jusqu 'au 14 mai. Grâce au prêt de certaines des pièces les plus prestigieuses du musée de Topkapi à Istanbul, auxquelles se sont ajoutés des trésors du Louvre et de collections nationales françaises, on découvre toutes les ressources de l'art islamique, modelé par la personnalité turque ottomane. La vie de cour et citadine (céramiques, boiseries, vêtements en textiles précieux, art de la calligraphie et du manuscrit) y est montrée ainsi que la puissance militaire d'un empire qui s'étend de la Hongrie au golfe Persique, du Caucase à Oran, et l'activité prodigieuse des milliers d'artisans de toutes confessions de la capitale. Cependant le sommet de l'art ottoman est mis en lumière par l'audiovisuel: l'architecture. Illustrée par l'un des plus grands architectes de tous, Sinan (c. 1489-1588), qui a laissé des centaines de constructions (ponts, hôpitaux, madrésés, hammams, etc.) et surtout des mosquées grandioses, dont les chefs-d'oeuvre sont le Süleymaniyé d'Istanbul et la Sélimiyé d'Edirné. Une exposition à ne pas manquer avant, après, ou à la place de la visite de Topkapi. Yves Thoraval • CINEMA. Le festival des Trois Continents, édition 89, avait invité des réalisateurs cubains, histoire de marquer le coup du trentième anniversaire de la Révolution cubaine. La belle Eslinda Nunez, nous a raconté sa vie d'actrice de cinéma et de théâtre, et comment elle croit que le cinéma après 59, dans son pays a pu aider à donner une autre image de la femme, à lutter contre les stéréotypes machistes. Voulez-vous vérifier les dires d'Eslinda et plus encore? Le centre Beaubourg présente sous la férule de Paulo Antonio Paranagua une rétrospective du cinéma cubain des premiers films de l'île au début du siècle, à nos jours. Qu'on se le dise, c'est jusqu'au 9 avril, salle Garance. Christiane Doucie IMPRIMERIE WEIL 117, rue des Pyrénées 75020 PARIS salerlie denlise rené 196, bouleyard salin.-sermalin 75007 parlis .él. : 42 22 77 57 câbe denlissal James Brown Christo Jim Dine Christian Eckart Nam June Paik James Rosenquist" Circle of 100 wolves " 1989. huile sur toile 213.5 / 244 cm Sol Lewitt Mimmo Paladino Jean-Pierre Raynaud James Rosenquist Edward Ruscha Richard Smith Donald Sultan Tom Wesselmann du 7 mars au 30 avril 1990 Galerie Enrico Navarra 75, rue du Fbg. St. Honoré 75008 Paris

Notes

<references />

Catégories