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Sommaire du numéro

n°87 mars 1989 spécial Bicentenaire

  • Editorial: tous citoyens [identité]
  • L'abbé Grégoire: prêtre et républicain par Mgr Guy Herbulot
  • Un douteux silence (abbé Grégoire) par J.J. Kirkyacharian
  • Toussaint Louverture ou l'abolition des privilèges de la couleur: au delà des caricatures par René Lambalot
  • Jack Lang: Grégoire, Louverture: même combat
  • La sans-culotterie féminine: interview de Dominique Godineau par Cherifa Benabdessadok
  • Les étrangers et la Révolution par Catherine Kawa et Olga Guillen
  • Les protestants et la liberté de culte interview de Jean Bauberot par Cherifa Benabdessadok
  • La citoyenneté et son histoire par Madeleine Rebérioux
  • Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen
  • Citoyenneté: une dimension locale par Véronique de Rudder
  • 1789 au miroir du Tiers-monde par Claude Liauzu
  • L'éthique et le politique interview de Florence Gauthier par Cherifa Benabdessadok
  • L'exclusion des pauvres par Jean Bart
  • Quand ils défendent les droits de l'homme par Claude Ferrand (ATD-Quart monde)
  • De l'égalité des droits par Yves Benot
  • Du droit naturel à la démocratie par Saïd Bouamana
  • Mounsi (chanteur) et l'envers du décor.
  • Hélène Delavault; avec plaisir par Laure Lasfargues
  • Fascisme contre Révolution par Germaine Willard
  • Les anti-89 d'aujourd'hui par Marcel Durand
  • Théâtre; une nouvelle dignité par Laure Lasfargues
  • Lounès Tazaïrt: au nom du père, du fils et du rire par Souad Belhaddad
  • Didier Daeninckx: dix polars pour un extra lucide par René François
  • Nation, Culture et Identité: table ronde avec Julia Kristeva, Maurice Maschino, Etienne Balibar

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'Différences Magazine créé par le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), édité par la Société des éditions Différences, 89, rue Oberkampf 75011 Paris. Tél. : (1) 48.06.88.00 ABONNEMENTS 1 an: 10 n O' mensuels et 4 n"' spéciaux: 200 F 1 an à l'étranger: 300 F 6 mois: 120 F Etudiants et chômeurs, 1 an: 150 F 6 mois: 80F (joindre une photocopie des cartes d'étudiant ou de pointage) Soutien: 300 F Abonnement d'honneur: 1 000 F Algérie: 15 dinars. Belgique: 140 FB Canada: 3 dollars. Maroc: 10 dirhams Publicité au journal Photocomposition: PCP 17, place de Villiers, 93100 Montreuil Tél. : 42.87.31.00 Impressions: Montligeon. Tél. : 33.83.80.22 Commission paritaire n° 63634 ISSN 0247-9095 Dépôt légal: 1989-03 La rédaction ne peut être tenue pour responsable des photos, textes et documents confiés. DIRECTEUR DE LA PUBLICA TION Albert Lévy REDACTION Rédacteur en chef : René François, Cherifa Benabdessadok Secrétariat de rédaction/maquettes: Véronique Mortaigne Iconographie: Joss Dray. ADMINISTRA TlON/GESTION Marie-Odile Leuenberger ONT PARTICIPE A CE NUMERO Souad Belhaddad, Laure Lasfargues, Michel Soudais. Couverture : Joss Dray Photos: Les reproductions de documents historiques ont été fournies gracieusement par le musée de Montreui/-sous-Bois. Remerciements également à Yvonne Benoît. Différences - N° 83 - Mars 1989 MARS 1989 - N° SPECIAL DOSSIER 8 PRETRE ET REPUBLICAIN Figure emblématique de la Révolution, l'abbé Grégoire fut le chantre de l'égalité. Mgr Guy Herbulot, évêque d'Evry retrace le parcours de Grégoire. écarté en son temps par l'église. Il Un douteux silence Le rôle politique de l'abbé Grégoire, ses batailles pour l'égalité justifiaient-ils le douteux silence qui entoure sa mémoire? JEAN KIRKYACHARIAN 1 5 Toussaint Louverture Né esclave, insurgé pour la liberté, général républicain emprisonné par Bonaparte, Toussaint Louverture marque la jonction des révolutionnaires métropolitains avec le mouvement d'émancipation des esclaves. RENE LAHBALOT 1 9 Grégoire et Louverture : un même combat. JACK LANG 10 lA SANS-CULOTTERIE FEMININE \,4 tous les moments, les femmes sont présentes

dans la Révolution. Comment ? Quels droits

acquièrent-elles ou leur refuse-t-on ? DONIHltlfJE GOl1lHMU 11 Les étrangers et la Révolution On commence par reconnaître à certains étrangers la pleine citoyenneté. Mais rapidemment, la législation se durcit. C. KAWA ET O. GUILLEN 14 La liberté de culte Les protestants l'attendent. En butte à la répression depuis des décennies, inexistants légalement, c'est la Révolution qui les émancipent. JEAN BAUBEROT 1

26 LA CITOYENNETE

ET ION HISTOIRE Le concept politique de citoyenneté né en 1789 varie dans sa définition et son contenu au fil du temps. Un chemin tourmenté ici retracé. "rD.LElNE RESERIOUX]

J 1 Une dimension locale

La citoyenneté ne se divise pas, mais c'est au niveau local qu'elle paraît la plus accessible. A vec des /imites. VERONIQUE DE RUDDER 34 MIROIR DU TIERS MONDE La. Révolution s 'est voûlue · universaliste dans son message de dignité. Le miroir du monde est peut-être une épreuve de vérité. CLAUDE UAUZU

J 7 Citoyenneté et droit naturel

FLORENCE GAUTHIER

J 8 L'exclusion des pauvres

Au-delà de la lettre de la Déclaration des droits, très vite, l'inégalité a été entérinée par la loi. JEAN BART 40 DE L'EGALITE DES DROITS La nation française a changé. Les critères de la citoyenneté doivent suivre. YVES BEHO", 41 Du droit naturel à la démocratie ... encore faut-il connaître l'état des lieux. SAID BOUANAHA 4:J L'envers du décor Il raconte son histoire avec verve. Ses dates: 1789, mai 68 et les marches pour l'égalité de 1984. NOUNSI 44 Chanter la Révolution Chanter la Révolution, deux cents ans après, c'est encore prendre des risques. Le risque des coups et celui de notre plaisir. Hélène Delavaux assume. LAURE LASFARGUES ~8 LE FASCISME CONTRE LA· REVOLUTION Les Nazis ont tenté de détruire 1789 dans les consciences. Comment et pourquoi? GERNA/NE M'LARD' 50 Les Antl-B9 d'aujourd'hui Ils manifesteront contre la guerre le 15 août prochain. Activistes de tous poils, fieffés réactionnaires, notalgiques du Christ-Roi ... Voici le portrait de famille. NICHEL SOUDAIS 51 L'agenda du Bicentenaire ACTUALITES 54 Une nouvelle dignité Le théâtre a bien des vertus quand il reste vivant. LAURE LASFARGUES 55 Au nom du père, du fils et du l'Ire. Lounès Tazaïrt, comédien, met en scène sa part d'ailleurs. SOUAD BELHADDAD 56 Dix polars pour un extra lucide Didier Daeninckx fait des polars. Pour lui, le roman noir est d'abord le révélateur d'une amnésie collective de ce qui dérange. RENE FRANÇOIS TABLE RONDE 60 Culture, nation, intégration Etienne Balibar, Julia Kristeva, Maurice Maschino réunis pour débattre de la nation, de l'identité des autres. Des idées à la pelle. Propos recueillis par RENE FRANÇOIS • .. LES CHRÉTIENS DANS LA RÉVOLUTION UN NUMÉRO HORS-SÉRIE DE « TC )) (25 F) L CHRETIENS DAl\!S U\ lJnO~ LE 13 JUIN 1789, JOUR OÙ TROIS CURÉS DU POITOU REJOIGNENT à Versailles la salle du tiers état, aux états généraux, la sainte alliance du trône et de l'autel vacille ... Tout bascule. La Révolution française commence. DES FIGURES ÉTON· NANTES . DES TÉMOI· GNAGES FORTS . DES ENQUÊTES . DES DÉ· BATS CRUCIAUX. UN DOSSIER À NE PAS MANQUER! BON DE COMMANDE NOM, Prénom Adresse .............. . ........................... . Code postal ......... . .. Ville .... . ..... , ...... . ..... . o commande .......... ex. du dossier hors·série Les chrétiens dans la révolution (25 F l'ex.) o verse, à cet effet, ............ F à l'ordre de ETC (CCP 5023-99 S Paris). Bon à retourner, avec votre règlement, à Témoignage Chrétien, service Diffusion 49, fg Poissonnière, 75009 Paris galerie denise rené 196 boulevard saint-germain 75007 paris tél. : 42 22 77 57 câble d enlsgal dorothée bis TOUS CITOYENS N'a-t-on pas déjà tout dit sur le Bicentenaire? L'abondance des projets décrits, des livres parus, des émissions diffusées avant même le début de l'année semble donner à l'anticipation plus de poids qu'à la commémoration elle-même. D'autant plus que celle-ci risque d'apparaître bien superficielle et insipide, à force de rechercher le consensus. Pour nous, le Bicentenaire doit signifier avant tout, une meilleure connaissance ae la Révolution, de ses acquis, de ses valeurs; mais aussi des efforts accrus pour assurer à ces valeurs la plus grande portée dans notre société. On ne le répétera jamais trop: la liberté, l'égalité, la fraternité ne sauraient se réduire à des mots pétrifiés dans la pierre des édifices publics; elles exigent le mouvement, il faut les défendre et les promouvoir sans cesse. Dans l'optique antiraciste, nous estimons essentiel de mettre en avant aujourd'hui la question de la citoyenneté: une citoyenneté sans frontières, active et responsable, fondée, non pas comme autrefois sur le revenu, le sexe ou le lieu de naissance, mais sur la résidence et la participation aux activités socio-économiques dans le pays où l'on vit. Il ne s'agit pas seulement du vote des immigrés, de la loi dite Pasqua-Pandraud, source d'un insupportable arbitraire: il s'agit de la démocratie en France, le bien commun de tous. Nos références sur le Bicentenaire se cristallisent autour de deux personnages clés: l'abbé Grégoire et Toussaint Louverture. Celui qui impulsa l'émancipation des juifs et fut « l'ami des hommes de toutes les couleurs », celui qui a conduit la révolte contre l'esclavage et fait surgir la première république noire, offrent, par leurs paroles et leurs actes, des exemples précieux pour les luttes actuelles. Le MRAP avait demandé à la Mission du Bicentenaire, dès l'été dernier, que soit valorisée leur contribution éclatante au combat pour les droits et la dignité de tous les groupes humains que le racisme opprime. Nous nous réjouissons donc que son président, Jean-Noël Jeanneney, ait vu en eux « des enjeux de la mémoire collective » et souhaité en faire des « figures emblématiques » de la commémoration. Différences y prend, quant à lui, une part active. Mais donner tout son sens à la Révolution ne va pas de soi. Un certain Dictionnaire critique, dont les médias font le plus grand cas, oublie précisément ces deux noms, et encore les mots « esclavage », « colonies », « Saint-Domingue » et même « citoyen » ••• Par ce premier numéro spécial de sa nouvelle formule, Différences répond à un large besoin d'information authentique et d'approfondissement. Sa démarche conduit aux réalités présentes, en ouvrant la voie à de nouveaux progrès et, pourquoi pas à la juste et ferme action de ,chacun. Balayant le conservatisme et l'hypocrisie, en 1989 aussi souffle ici l'esprit sans-culotte . Différences. - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 Il ~.' " JO , JLS I!ETAIENT. IIABBE GREGOIRE, PRETRE ET REPUBLICAIN, ~ , PROMOTEUR DE LA LIBERTE DE CULTE, DÉFENSEUR DES IUIFS, ADEPTE DE LA PLUS LARGE CITOYENNETÉ REIOINT TOUSSAINT LOUVERTURE, ESCLAVE ANTILLAIS, INSURGÉ ET GÉNÉRAL RÉPUBLICAIN. AUTOUR D'EUX, LES eLUS DE IIANelEN RÉGIME, QUI FONDENT LA RÉPUBLIQUE ET .M.lI.lIE:OIENT SUR LITÉ ET LA LIBERTÉ. L'ABBE GREGOIRE PRETRE ET L'abbé Grégoire avait plus qU'une génération d'avance. Ses rapports avec l'Eglise de son temps furent conflictuels. REPUBLICAIN Monseigneur Guy Herbu/ot, évêque d'Evry et Corbeil-Essonnes, penche pour la réhabilitation. Au coeur de Paris, une petite rue porte son nom : rue de l'Abbé-Grégoire, 1750-1831. Il avait glissé dans l'oubli. Les chantiers ouverts par la célébration du Bicentenaire l'arrachent à un enfouissement de deux siècles. Républicain et prêtre, il avait eu beaucoup d'amis et soulevé des passions. Né à Vého (Meurthe-et- • « Jejure de veiller avec soin sur les fidèles de mon diocèse (ou .- de ma paroisse), d'êtrefidèle à la Nation, à la Loi et au Roi et de maintenir de tOi /t mon pouvoir la constituti décrétée par l'Assemblée . tionale et acceptée par Roi. » (décembre 91) Moselle) en 1750, élève au collège des jé suites de Nancy, puis curé d'Em bermenil, député du clergé aux Etats généraux, Henri-Baptiste Grégoire rejoint le Tiers Etat le 14 juin 1789. Fidèle à ses idées malgré les et les disgrâces, • « Je jure d'être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l'égalité ou de mourir en les défendant.» (septembre 92) il défend ardemment des protestants, Aujourd'hui, il suscite l'in-. térêt de milieux fort différents, et pas seulement pour réveiller des souvenirs ... Ils intriguent toujours ceux qui, pris dans l'événement, ont su opter, en fidélité avec leur conscience, pour la meilleure solution, la plus conforme à la dignité humaine. Or, toutes les causes pour lesquelles Henri-Baptiste des Noirs et des juifs, aux quels consacre dès 1785 un travail de recherche pour le concours de l'académie de Metz, intitulé: « Estil des moyens de rendre les juifs plus utiles et heureux en France? » Il plaide pour la liberté des cultes à la tribune de l'Assemblée constituante (août 1789), travaille activement au sein du Comité d'instruction publique, fonde le Conservatoire des Arts et métiers. Au moment de paraître devant le Dieu de nos vies, comment pourrait-il renier une décision prise dans les profondeurs de son être, et dans une unité de relation avec Dieu et ses frères Grégoire fut, en 1791, évêque constitutionnel à Blois, puis député de l'Isère sous la Restauration (1819), rapidement invalidé par le pouvoir en raison de sa fidélité aux idéaux de la Révolution. Il meurt en accord avec lui-même à Paris le 31 juillet 1831. Vingt mille ouvriers et étudiants le conduisent à sa dernière demeure. Pourtant, les ultimes sacrements ne lui sont donnés qu'in extremis, l'archevêque de Paris s'y étant opposé ... humains. Aussi, refuse-t-il de se rétracter. M. l'abbé Guillon, confesseur de la Reine (épouse de Louis-Philippe), estime, en conscience, et contre ses propres opinions, lui devoir ce secours divin et fraternel. Tandis qu'à Paris l'Eglise officielle rejette l'abbé Grégoire et qu'en Lorraine on lui accorde un timide Requiem, en Haïti, les prêtres chantent un office solennel, ponctué par des salves de canon, et à Saint-Domingue, on proclame un deuil public. Grégoire s'est battu, durant la tourmente révolutionnaire, apparaissent aujourd'hui des causes justes. Calomnié et disgracié, il n'eut tort alors que d'avoir raison. Mais prêtre à la Foi solide, il était aussi un républicain convaincu. Etait-ce convenable? Revenons à Paris, le 31 juillet 1831. Un cortège de 20000 personnes, des ouvriers et des étudiants surtout, se dirige vers le cimetière de Montparnasse. Après l'office mortuaire, célébré à l'Abbaye-aux-Bois, rue de Sèvres, spontanément « les étudiants dételèrent les chevaux du corbillard pour porter la bière, accompagnés d'une immense foule ... » (F.P. Bowmann, L'Evêque des lumières). Qui est cet homme? Quelques jours plus tôt, l'abbé Grégoire, ex-évêque de Blois, se mourait. Il avait sollicité les derniers sacrements. Monseigneur de Quélen, archevêque de Paris, avait interdit qu'on les lui donnât s'il ne rétractait pas son serment constitutionnel (décembre 1791 et septembre 1792). Ce serment, pour l'abbé Grégoire, n'était pas un pis-aller, mais un chemin nécessaire pour sa conscience de prêtre. Il n'avait pas été un partisan farouche de la constitution civile du clergé. Mais il l'avait soutenue, car il n'y avait rien vu, disait-il, qui « puisse effrayer les consciences ... (ni) blesser les vérités que nous devons croire et enseigner », mais surtout « ce quifil l'unité profonde de sa vie, c'est lafermeté inébranlable de safoi religieuse et de sa conviction civique confondues au point d'être identiques» (A. Soboul. Portraits révolutionnaires). Prêtre dans un peuple et pour ce peuple, il ne peut que prêter serment: Quel est donc cet homme, vénéré par les uns, écarté par les autres, exhumé soudainement au moment où l'on célèbre le Bicentenaire? Enfant unique d'un couple lorrain, il hérite des qualités communément reconnues aux gens de ce terroir : bon sens, courage, fidélité. Sa famille est solidement chrétienne, plutôt janséniste. Sans être riche, on ne manque cependant de rien à la maison. Vif et intelligent, Henri-Baptiste est envoyé au collège des Jésuites à Nancy, il étudie ensuite à l'université de Pont-à-Mousson. Puis, pour répondre à un appel intime, il se prépare au sacerdoce au Grand Séminaire de Metz. Sa culture personnelle est très étendue. Il dévore les livres et réfléchit beaucoup. Ordonné prêtre en 1775, il enseigne au collège de Pont-à-Mousson (régent en 6e) puis il est profes~eur de théologie. En 1782, le voilà curé d'Emberménil, où il côtoie de près la misère du peuple, qui a faim, la pauvreté du clergé. En 1789, il est le porte-parole des doléances du peuple et le leader désigné du bas clergé lorrain ; délégué par le bailliage de Lunéville à Nancy, il sera envoyé aux Etats généraux comme l'un des deux députés de Nancy. Désormais, le cheminement de l'abbé Grégoire sera jusqu'à sa mort un combat pour les libertés. Sincère et désintéressé, insensible aux coteries, il accomplit une oeuvre immense: • En 1785, il participe au concours de l' Académie de Metz « Est-il des moyens de rendre les juifs plus utiles et plus heureux en France? » Il prend leur défense et plaide en faveur de leur « régénération» physique, morale et politique. Demander qu'ils soient citoyens à part entière était la position d'un esprit libéral et audacieux. Son essai sera couronné en 1788. • Aux Etats généraux, il découvre une autre catégorie d'opprimés: les Noirs esclaves de la Caraibe française, gens des îles, de Haïti et de SaintDomingue... trouvent place dans son coeur. Anti-esclavagiste, cela va de soi (et sans contrepartie), il considère Noirs et gens au sang mêlé comme des frères qu'il faut restituer dans leur dignité. • Le processus révolutionnaire déclenché, il contribuera de toutes ses forces à l'affirmation des droits de l'homme et à la suppression des abus et des privilèges. Que cessent les dîmes abusives et les droits féodaux cumulés; que les récoltes reviennent à ceux qui travaillent la terre et que les privilégiés paient l'impôt. A cette étape de la Révolution, beaucoup de curés partagent les aspirations du peuple, ils • Il a été un avocat résolu de l'abolition de la peine de mort. Pourtant, on l'a accusé de régicide. A la Convention, il reconnaît le droit de juger le roi et de le condamner. Mais comme l'indique un article du journal La Croix (23.11.88), dans le texte soumis: « Nous déclarons que notre voeu est pour la condamnation de Louis Capet ... », il a rayé les mots « à mort» et a joint une note explicative pour dire que « sa religion et sa qualité de prêtre lui défendait de répandre le sang des hommes ... ». On pourrait alléguer qu'Henri-Baptiste Grégoire fut un grand républicain, mais la politique a rarement fait bon ménage avec la religion ; leurs relations sont souvent tumultueuses et leurs alliances méritent discernement attentif. Prêtre par vocation (ce n'est pas si fréquent sous l'Ancien Régime), il a rêvé d'une Eglise pénétrée d'évangile et proche des hommes. Pasteur exemplaire, tant à Emberménil (à côté de Lunéville) que dans son diocèse du Loir-et-Cher, son intégrité morale était indissociable de son zèle apostolique. Il n'a nullement désiré être évêque, il a été élu sans poser sa candidature. Il en a d'abord éprouvé une grande « répugnance » ; selon ses propres termes, « ilfal/ut la voix impérative de la religion qui réclamait de nouveaux pasteurs et l'oront souvent rédigé euxmêmes les cahiers de doléances

persuadés que

misère et aliénations diverses vont de pair, ils attendent un ordre meilleur et espèrent la com- Un drôle de curé quÏ dé:f"end les j uÏ:f"s dre de ceux qui dirigeaient mon âme» (son confesseur, notamment) pour qu'il accepte. Mais une fois son « oui» mûri et donné, préhension du roi et de ceux qui détiennent le pouvoir. • Le 12 août 1790, l'abbé Grégoire intervient à l'Assemblée. La nuit du 4 août avait été une flambée d'espoir, car l'abandon des privilèges du clergé et de la noblesse était un rêve à peine concevable. Il fallait sauver la liberté naissante sans dérapages, en la reliant à son fondement. « Apprenons à ce peuple qui nous entoure que la terreur n'est point faite pour nous! » Il ne suffit pas, insiste l'abbé, d'affirmer les droits de tout homme, mais encore de mentionner ses devoirs, car « si l'homme a des droits, il faut parler de celui dont il les tient et qui lui imprime des devoirs ». • A partir de 1794, il travaille activement au sein du comité d'instruction publique. (Il est alors évêque de Blois depuis 1791). Il milite pour l'abolition de l'esclavage, l'universalisation de la langue française et le renouveau économique de la France. Il fonde le Conservatoire des Arts et Métiers, dont le programme comporte la valorisation du travail des femmes, la protection des savants et des artistes, la lutte contre toute forme de vandalisme. • Défenseur des libertés, il ne peut que chérir la liberté religieuse, soutenir la liberté des cultes. Ille fera non seulement au moment où l'Assemblée Constituante proclame la liberté des opinions religieuses (23 août 1789), mais aux pires moments de la Terreur, où il se rend aux assemblées en calotte d'évêque et chaussettes violettes. En novembre 1793, alors qu'on veut sa démission, il monte à la tribune. « Je reste évêque. J'invoque la liberté des cultes. » Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 il ne reviendra pas en arrière. Arrivé dans son diocèse, à Blois, « il constate. .. que son prédécesseur, émigré à Chambéry, n'a opéré aucune tournée de confirmation depuis 13 ans. L'évêque Grégoire met les bouchées doubles .. . » (La Croix 23.11.88). Avec les prêtres de son diocèse (65 070 sont assermentés), dès sa consécration (13 mars 1791), il entreprend d'évangéliser le peuple qui lui est confié. Il essaie de convaincre qu'aimer la patrie et la religion est la voie chrétienne. Après la grande tourmente, Mgr Grégoire apporte sa contribution au relèvement de l'Eglise. ' Revenus d'exil, ou sortis de leurs cachettes, les prêtres réfractaires reprennent leur place. Tous, non sans mal, essaient de relever les ruines. Le Concile national de Paris, en 1797, réunit une centaine de participants, dont une trentaine d'évêques. Mgr Grégoire, avec ses amis évêques du comité des réunis, en avait eu l'initiative. J'aimerais ajouter que l'abbé Grégoire a toujours affirmé sa fidélité avec le pape. Le lendemain de sa consécration épiscopale, il lui avait envoyé une lettre de communion. Prêtre de Jésus-Christ et de son Eglise universelle, pour lui, c'est tout un. Comment expliquer qu'une telle vie ait sombré dans l'oubli? L'explication principale réside dans la déchirure engendrée par la Révolution entre l'Eglise et l'Etat. La Révolution française a divisé, durant longtemps, la société et l'Eglise. Elle a été pour l'Eglise un choc, non seulement pour le clergé et les fidèles, mais également pour ses structures, profondément déstabilisées. ITINERAIRE (-,,(...(..~ .!lJCharlesl ~~ • A VEHO, SON VILLAGE NATAL « Il n'existe malheureusement plus rien dans notre commune qui témoigne de son passé ; la guerre de 1914-1918 a complètement anéanti le village », écrit à Différences M. Gilles Jacquot, maire de Vého, où naquit l'abbé Grégoire. « Il ne reste aucune archive, ajoute-t-il, à part quelques cartes postales d'avant-guerre et une nouvelle plaque sur une maison reconstruite. » Voici le texte de la plaque: « Sur cet emplacement s'élevait la maison où est né, le 4 décembre 1750, l'abbé Grégoire, président de l'Assemblée nationale constituante, président de la Convention nationale, l'un des fondateurs de l'Institut de France et du Conservatoire des arts et métiers, défenseur des droits de tous les opprimés. » La rue principale de Vého s'appelle rue Abbé-Grégoire et la salle des fêtes porte aussi son nom. « Pour les habitants de Vého, nous dit encore le maire, la figure de l'abbé Grégoire demeure celle qui leur a été décrite par leurs instituteurs à l'école communale ou les quelques lignes apprises dans leur livre d'histoire. » La plaque sur l'emplacement de sa maison natale représente pour eux ce qu'il a été: « L'un des leurs qui, par son exemple, son travail, a voulu redonner toute sa dimension à l'Homme. Pour certains, ce fut le curé révolutionnaire, à l'index, marginalisé. Tous lui reconnaissent son savoir, sa culture, ses réalisations. » Vého compte aujourd'hui 84 habitants. .A EMBERMENIL, OÙ IL FUT CURE A trois kilomètres de Vého, dans le même canton de Blamont, se trouve le village d'Embermenil où Henri Grégoire fut nommé curé en /781. Il compte actuellement 130 habitants, la moitié du chiffre de 1789. Le maire, M. Jean-Paul Martin, constate avec regret: « Dans notre commune, il n'existe rien à l'heure actuelle qui puisse évoquer la mémoire de l'abbé Grégoire. » Cela tient sans doute au comportement négatif de la lit. municipalité, à la mort de r Symbole puissant, le sacre de Reims était le rappel qu'il n'y a qu'un seul pouvoir, celui du Dieu souverain. Avec la Terreur, les pouvoirs se succèdent et le sang coule. La Révolution restera longtemps considérée comme un phénomène antireligieux et un fléau social, même si ce ne fut pas l'unique interprétation. C'est surtout le serment constitutionnel demandé au clergé qui a divisé sérieusement les chrétiens. Les députés de la Constituante ont voulu instituer un clergé fonctionnaire, rétribué par l'Etat (bénéfices et dîmes étant abolis), imposer un nouveau mode de désignation des évêques et des curés, restructurer les diocèses (en conformité avec le territoire des nouveaux départements). Dans cette perspective, le clergé devenait contractuel; un serment était alors imposé aux évêques et aux curés de paroisse. C'était un terrible cas de texte est assez clair pour que très peu de prêtres y consentent. L'abbé Grégoire ne l'a pas signé. Ce fut une dure épreuve pour la conscience de tous les chrétiens. La soudaineté des événements, leur bousculade et leur cruauté, le renversement de principes séculaires ... ne leur laissaient guère la possibilité de mûrir leurs décisions. On a coupé la tête au roi, les évêques sont partis à l'étranger, les curés se cachent... Il y a maintenant une autorité nouvelle, la Nation ; des prêtres lui ont juré fidélité, et le Dieu de Jésus-Christ a fait place à l'Etre suprême. Tout cela est assez troublant et le démêlement n'est pas évident. L'ordre ancien n'était pas parfait, on souhaitait des réformes ... mais c'était un ordre établi, sacré ... et la monarchie avait des siècles d'existence. Le traumatisme est sérieux: toute Révolution s'achève-t-elle dans un bain de sang? révolution et christiaconscience pour tous, les événements s'étaient précipités et un discernement était difficile. Placés devant leur conscience, les prêtres font des choix différents, pour bien des motifs, dont la plupart sont respectables des deux côtés. A peu près COIrl.Irl.ent: expliquer qu'une t:elle nisme peuvent-ils être compatibles? peut-on être chrétien et citoyen ? pire, prêtre et républicain? vie ait: sOIrl.bré dans l'oubli? Avec le temps, bien des événements ont provoqué une évolution et des dépassements. Qui tous les évêques refusent de prêter ce serment ; mais environ la moitié des curés de paroisse l'accepte; certains y ajoutant néanmoins une clause de conscience. Bien vite, les réfractaires sont considérés comme des saints, voire des martyrs. Ils ont le courage de dire « non» au pouvoir impie. Victimes de tracasseries, ils sont contraints soit à l'exil, soit à la vie souterraine des temps de persécution, soutenus par les fidèles, certainement très courageux, souvent aussi par les religieuses que la Révolution a dispersées hors de leurs couvents confisqués. Quant aux assermentés, ils sont habituellement mal jugés, considérés comme des traîtres, mis en quarantaine. On ne s'interroge guère sur leurs mobiles, sur le sens de leur soumission aux autorités civiles, ni même sur leur solidarité avec le peuple qui veut des réformes. A Rome, c'est le silence. Lorsque Pie VI réagit, tardivement, le désarroi en est augmenté. La constitution civile du clergé est condamnée en bloc. Des prêtres assermentés se rétractent, les évêques s'exilent. Sur le terrain, le fossé se creuse avec les jureurs, les évêques nouvellement élus sont des « intrus ». A cette nouvelle étape de la Révolution, le clergé réfractaire est vraiment traqué, assimilé, comme la noblesse, aux ennemis de la patrie et aux défenseurs de l'Ancien Régime. Un deuxième serment est alors imposé à tous les clercs, prêtres séculiers et religieux (le 14 août 1792), plaçant chacun devant un cas de conscience encore plus difficile. Aucune condamnation de Rome, je devrais dire aucune déclaration. Plus tard, le Directoire exigera, de tous les prêtres cette fois, un troisième serment, serment de haine à la Royauté. Le songerait aujourd'hui à contester la défense des droits de l'homme, au moins dans son principe ? Un nouveau regard sur l'évangélisation incline à réhabiliter les prêtres constitutionnels ... Le cortège qui conduit Grégoire au cimetière de Montparnasse le 31 juillet 1831 est un cortège de l'à-venir. « Nous emmenons le conventionnel Grégoire pour que son nom témoigne devant l'arbre calciné du martyre d'Israël. Nous emmenons Grégoire, l'ami des Noirs, pour que son nom témoigne au pied de l'arbre affamé qui meurt en Haïti. Nous emmenons l'ancien évêque de Blois pour que son nom témoigne devant l'arbre indécis de l'Eglise qui le rejeta. Sans lui, pourrions-nous encore lier d'une même voix les mots d'égalité, de liberté, à ceux de l'évangile, sans qu'on nous rit au nez? ». (Michel Séonnet. Jérémie 38-13) A la demande de l'abbé Grégoire, prêtre pour l'éternité, une prière reste gravée sur sa tombe: « Mon Dieu, faites-moi miséricorde et pardonnez à mes ennemis. » La vie quotidienne, en 1989, nous place souvent devant des dilemmes de conscience. Des voix discordantes nous tirent de tous côtés. Voir clair paraît impossible. Affrontés à des choix, il nous faut apprendre à opérer un tri, avec d'autres, pour nous dégager des passions qui enchaînent et adhérer aux forces de vie qui libèrent. Sans tomber dans le piège de la récupération, les chrétiens peuvent puiser dans l'héritage de 89 et, instruits par l'histoire, mener avec tous les hommes de bonne volonté, des révolutions qui portent des fruits de justice et de paix « afin que tous les hommes aient la vie en abondance ». Mgr GUY HERBULOT • Colloque et congrès du MRAP A Grenoble, le congrès du MRAP, AUTOUR DE GREGOIRE qui se déroulera les 10 et J J juin, sera sés aux mairies des deux communes: précédé les 6 et 7 juin par un colloque Vého, 54450 Blamont, et Emberménil, international (ouvert) organisé en • Souscriptions 54370 Einville. commun par la Fédération du MRAP pour deux monuments La mairie d'Emberménil fait savoir, de l'Isère et l'Université des sciences en outre, qu'elle diffuse une plaquethumaines sur l'Abbé Grégoire, la Ré- Le village natal de Grégoire, Vého, te retraçant la vie de Grégoire (20 F), volution française et l'émancipation et celui où il fut prêtre, Emberménil, une assiette en émaux craquelés de desP amri aniollreiutérss,. le père Pihan, membre souhaitent l'un et l'autre marquer le L ongwy repre's en t an t l" eg lI's e d u VI' 11 ad'honneur de la présidence du Mrap, Bicentenaire par l'érection d'un mo- ge et l'effigie d'Henri Grégoire (numéa protesté contre la décision du minis- nument à sa mémoire. rotée, 250 F), et des cartes postales tre des PTT, refusant d'éditer un tim- Deux souscriptions sont ouvettes à avec vue de l'ancienne église (20 F 1EJ~ b re à I ~ lfi l g oe de I ~ b b é G re g o ir e . c e t eL ~ e t. L e s fi o nd s p e u v e n t êt r e a d re s oe s c in q ) . ~ • UN PAYSAN LORRAIN. « L'une des figures les plus exigeantes de la Révolution, mais aussi l'une des plus méconnues, est donc celle d'un Lorrain: l'abbé Grégoire, auquel le bicentenaire de la Révolution va rendre justice, a forgé toute sa personnalité dans cette paysannerie lorraine dont il était issu et dont il devait porter au plus haut point les vertus : le goût au travail, les traditions locales, le culte impérieux et exigeants de la patrie. Celui qui fut appelé « l'ami des hommes de toutes les couleurs » fut dès avant la Révolution un militant actif contre le racisme. Je suis particulièrement heureux qu'il soit rendu justice à cet enfant du pays de Meurthe-et-Moselle qui a su porter haut l'esprit de tolérance et qui a oeuvré toute sa vie pour l'amitié entre les hommes et la dignité humaine des opprimés. » JACQUES BAUDOT, président du Conseil général de Meurthe-et-Moselle • A LA POINTE DU COMBAT. «Son oeuvre fut exceptionnellement enrichissante pour l'humanité tout entière. Pendant tout son mandat à l'Assemblée Constituante, son rôle social et humain sera prépondérant. Tous ses travaux et votes tendent toujours vers le même idéal, qui est l'affranchissement des classes populaires et la liberté de conscience. « Les âmes, disait-il, ont-elles une couleur? » Les récentes persécutions nazies, au cours de la dernière guerre contre les membres de la communauté israélite sont encore trop proches de nos mémoires pour que l'on puisse les oublier. .. A cette heure, à cette minute même, les Noirs de l'Afrique du Sud continuent leur lutte pour l'abolition de la ségrégation raciale. Sous certains régimes, les libertés individuelles les plus essentielles des citoyens sont encore piétinées et bafouées. Chaque parlementaire, où qu'il se trouve sur l'échiquier politique, doit donc plus que jamais continuer la lutte et avoir à coeur de se trouver placé, comme le fut Grégoire, à la pointe de ce combat que livre l'homme pour ses libertés. » MICHEL DINET, député de Meurthe-et-Moselle • CONTRE L'OPPRESSION. « Sur son lit de mort, le curé d'Emberménil faisait dicter cette phrase : « Ma voix et ma plume n'ont cessé de revendiquer les droits imprescriptibles de l'Humanité, sans distinction de croyance, de climat, de couleur et de race. » Alors tous ensemble, soyons le prolongement de l'oeuvre de l'abbé Grégoire, condamnons tout mouvement d'oppression, tout régime dictatorial. » La Commission communale d'Emberménil pour la commémoration du bicentenaire de la Révolution française • APPRIVOISER LES DIFFERENCES. « Son esprit de tolérance lui faisait réclamer la liberté de conscience, la liberté politique et l'égalité des droits civils pour tous. Ses activités l'éloignèrent de notre cité, mais il demeure pour celle-ci un symbole, celui de la volonté d'intégration de toutes les populations dans la communauté française. A l'heure où s'approche la grande Europe, l'avenir est aux sociétés qui sauront apprivoiser, intégrer et mettre en valeur leurs différences. » M. SARY, directeur du Patrimoine historique Musée d'art et d'histoire de Metz Différences - N ° 87 - N° spécial - Mars 1989 • RAYONNEMENT MORAL. « L'Isère a presque oublié son éphémère passage dans la vie publique locale. Elu député en 1819, contre le pouvoir royal, l'abbé Grégoire est immédiatement invalidé par une majorité de monarchistes. Mais les Dauphinois, comme les Français en général, gardent le souvenir de cet humaniste. Il a, en effet, associé son nom à toutes les réformes de la société qui ont assuré le rayonnement moral de la Révolution française. » GUY CABANEL, sénateur de l'lsére, maire-conseiller général de Meylan • TOLERANCE CULTIVEE. « L'abbé Grégoire fournit un immense travail au Comité de l'institution publique: on sait la part qu'il prit à la décision d'imposer le français comme langue nationale entre les dialectes et patois, en particulier dans notre département, non dans l'esprit de brimer les particularismes régionaux, mais pour permettre au plus grand nombre l'accès à la compréhension des enjeux politiques, ce qui passait alors par l'instruction en français pour tous: il fallait sortir du ghetto du patois; on sait moins, en revanche, qu'il joua un rôle déterminant pour la création du Conservatoire des Arts et Métiers, du bureau des longitudes ou encore, en 1795, l'Institut de France. Homme de courage, l'abbé Grégoire ne renia jamais ses convictions religieuses y compris au plus fort de la Terreur. Il fut un ardent partisan de la liberté des cultes. Mais il voulait concilier sa foi et ses engagements révolutionnaires. Après la Révolution, l'abbé Grégoire reste fidèle à ses principes et combat Napoléon comme les Bourbons. A l'occasion du Bicentenaire, il est important qu'à nouveau la mémoire de cet éminent personnage de la Révolution soit honorée. » PAUL SOUFFRIN, maire de Thionville, sénateur de la Moselle ITINERAIRE ~ Grégoire. Celui-ci avait fait don à Embermenil d'un bois de 53 hectares, qu'il possédait sur le territoire du village. Mais la municipalité le refusa, ne voulant rien devoir à un prêtre républicain, et surtout ne pas payer les droits de mutation. Vého, en revanche, accepta et conserve aujourd'hui cette enclave dans la commune d'Embermenil. Le Bicentenaire est l'occasion pour Embermenil d'exprimer reconnaissance et affection à son « cher curé» devenu illustre. « La municipalité, avec le concours de deux associations locales (Comité des fêtes et Foyer rural) entend lui rendre un hommage solennel », écrit le maire. La Commission communale d'Embermenil pour la commémoration du bicentenaire de la Révolution française a rendu public un texte où l'on peut lire: « Pour nous Emberménilois, l'abbé Henri-Baptiste Grégoire reste un grand nom de l'histoire de notre civilisation; Grégoire qui, au travers de son époque, fut le défenseur des opprimés .•. » • A NANCY, LUNEVILLE, METZ M. André.Rossinot, députémaire de Nancy, viceprésident de l'Assemblée nationale, adresse à Différences une évocation très précise de Grégoire: « Géographiquement parlant, l'abbé Grégoire est un Lorrain de pure souche, puisqu'il est né à Vého, entre Lunéville et Blamont. En revanche, il n'était pas sujet du Duc de Lorraine Stanislas, mais sujet du roi de France. La famille d'origine d'Henri Grégoire était une famille aisée, puisque son père était tailleur d'habits; cette famille était originaire du canton de Lunéville, de Manonviller, aussi envoya-t-elle Henri Grégoire au collège des jésuites le plus proche, celui de Nancy, puis à l'université de Pont-à-Mousson qui conduisit Henri-Baptiste à l'ordination en 1775 après une préparation au grand séminaire de Metz. » Et de rappeler son passage au collège de Pont-à-Mousson, où il enseigna la théologie, sa nomination à Embermenil, sa participation au concours de la Société royale des sciences et des arts de Metz dont il fut lauréat (23 août 1788). « Au printemps 1789, il participa aux assemblées de préparation des Etats- ~ m ID ITINERAIRE j ~ Généraux, auxquels il fut , envoyé en tant que député du clergé du baillage de Nancy, au côté de Mgr de La Fare. Dès lors, la carrière de l'abbé Grégoire devint nationale. » Dès 1882, une rue de Nancy - voisine de l'église Saint-Pierre - a été consacré à l'abbé Grégoire. Au musée des beaux-arts de la ville, on peut voir son buste en marbre, réalisé par David d'Angers. Les archives départementales de Meurthe-et-Moselle conservent une abondante documentation sur lui: textes politiques, papiers personnels, brouillons de textes révolutionnaires, pièces comptables et administratives ... A Lunéville, également, indique à Différences, Mme Odile Jacquot, adjointe au maire, il existe une statue de l'abbé Henri Grégoire, et une rue portant son nom. A Metz. c'est depuis 1975 qu'il existe une rue de l'abbé Grégoire. • A BLOIS Venons maintenant à Blois, où Grégoire fut élu évêque constitutionnel, le 14 février 1791. Son diocèse comprenait à la fois le Loir-et-Cher et la Sarthe. « Dès son installation, le 24 mars, écrit à Différences, M. Michel Froment, député du Loir-et-Cher, il tente de réorganiser le séminaire: "Faire revivre la maison, et la faire revivre le plus vite possible", dira-t-il. Sa première tâche est de trouver un prêtre de confiance pour l'aider. Il sollicite l'abbé Grousse et l'abbé Jennat, qui refusent tous les deux ». Entre temps, il avait rejoint son siège de député, à Paris, sans négliger pour autant sa fonction sacerdotale. « Il laissera à Blois, le souvenir d'un homme modeste, généreux, d'une grande rigueur de moeurs et d'une parfaite dignité, et c'est aux hospices de cette ville qu'il lègue ra, à sa mort, tous ses biens. » " existe à Blois un « quai de l'abbé-Grégoire », et un buste de lui, érigé dans le jardin des anciens hospices. " y a une « rue du Conventionnel Grégoire» à Saint-Aignan-sur-Cher. Car, affirme le président du conseil général, M. Roger Goemaere, " le Loir-et-Cher UN DOU 'EUX SILENCE L'abbé Grégoire ne fut pas seulement porteur de valeurs humanistes. Tout le monde désormais reconnaît en Grégoire l'un des pères de l'antiracisme moderne ; tout le monde ou presque, car on trouve des esprits compliqués qui imaginent un Grégoire antisémite, puisque l'émancipation des juifs, qu'il a arrachée à la Constituante et pour laquelle il n'a pas cessé ensuite de rompre des lances, peut être interprétée comme une volonté d'assimilation. A ce compte, pourquoi seulement l'antisémitisme? En combattant la traite et l'esclavage, voulait-il faire, avec les Noirs, des Blancs? Ce n'est pas un hasard si le silence sur Grégoire est surtout le fait, depuis cent ans, de la France colonialiste, anticléricale et progirondine. Il était gênant, ce prêtre, évêque constitutionnel, député de la Convention, opposant à l'Empire et à l'Eglise concordataire, anticolonialiste jusqu'à son dernier souffle et auquel l'archevêque de Paris a tenté d'interdire la sépulture religieuse. C'est Haïti qui a porté le deuil de Grégoire, et pendant longtemps les enfants des écoles françaises n'ont pas connu son nom pas plus que celui de Toussaint Louverture, qu'on redécouvre enfin en tant que général de la République. Néanmoins, ne nous plaignons pas : on va enfin célébrer Grégoire et Toussaint Louverture. Il faut espérer qu'à cette occasion rien ne sera laissé dans l'ombre, et qu'il sera bien rappelé combien Grégoire était ennemi des compromis, dès la Constituante, dans son ministère, contre Napoléon et enfin dans la dernière période et jusqu'à l'agonie, pendant laquelle il murmure

« Les haines sacerdotales et les haines

coloniales sont les pires ... » Au premIer plan à droIte, l'abbé GrégoIre, dans Le serment du Jeu de Paume de DavId. préoccupés d'une nécessaire redéfinition de la citoyenneté, saluons en Grégoire l'un de ceux qui ont le plus vigoureusement combattu contre la distinction entre citoyens « actifs» et « passifs », entre ceux qui votent et décident et ceux qui n'ont qu'à obéir, faute de pouvoir accéder au rang des riches ... Il fut également un homme d'une activité intense. Après de solides études au séminaire de Metz, il se signale en créant pour ses paroissiens d'Embermenil une bibliothèque publique orientée vers l'hygiène et l'agriculture. Sur les juifs, il entasse une documentation considérable, par ses lectures et par les documents que lui fournissent ses amis juifs de Metz. Déjà, la méthode est caractéristique: c'est celle de l'histoire critique et même d'une certaine sociologie. 1 à cause de ses interventions répétées et insistantes dans les débats de ce qui est devenu la Constituante, où il est à la fois très écouté et très rarement suivi (un peu comme son ami d'alors, Robespierre). En particulier, il est, avec le député d'Arras, l'un de ceux qui combattront le plus vigoureusement le système censitaire; proposant même qu'à la Déclaration des droits de l'homme se joigne celle des devoirs, il relie assez lucidement la question du vote à celle de la participation à la vie sociale dans son ensemble. Enfin, il lutte sans relâche pour l'émancipation des minorités et contre le racisme ; cependant le parti colonial réussit à faire maintenir l'esclavage et même à exclure de la citoyenneté des hommes de couleur libres. Pendant la Convention il se consacre surtout à l'étude des problèmes de l'enseigne- Elu député aux Etats généraux, il acquiert ment et de la culture. Ses propositions sur tout de suite une grande autorité. Il sera l'éducation sont proches de celles des l'un de ceux qui feront basculer le Encyclopédistes, mais avec une insistance " les défendit dans de rudes batailles politiques longtemps tues. JeanJacques Kirkyacharian (1) les retrace ici. porté une très grande attention au patrimoine (bibliothèques, monuments historiques), il a insisté tout particulièrement sur la nécessité de créer des institutions culturelles dans chacun des départements. Ses interventions sur le développement du français au détriment des patois s'appuient constamment sur l'argument démocratique: il faut que les citoyens soient actifs et donc qu'ils puissent non seulement comprendre les textes, mais en débattre dans la clarté. La politique ne peut être l'affaire des experts. Elu évêque du Loir-et-Cher, il se signale par sa ténacité apostolique, visitant sans relâche les paroisses. Plus tard, après la Terreur, ayant arraché le principe de la liberté religieuse effective, il travaille à l'organisation de l'Eglise gallicane, ici encore sur la base du sérieux de l'action pastorale. Dès la première séance de la Convention, il intervient pour que soit proclamée la République. Ce qui l'a scandalisé plus que tout, c'est la duplicité du roi, dans la politique étrangère et la guerre, mais surtout dans la question de la constitution civile du clergé. Louis a promulgué cette Constitution, il a signé le décret qui assermentait les prêtres, et en sous-main il a fomenté le Parti réfractaire, poussant ainsi les paysans vendéens à la guerre civile. Lui qui à la Constitante a combattu la peine de mort, comme Robespierre, il découvre ici un crime d'une gravité unique, réellement capital: des masses d'hommes en sont les victimes. C'est pourquoi Grégoire a jugé Louis Capet coupable sans circonstances atténuantes. Au cours de l'épisodl: napoléonien, malgré toutes les avances que lui fait Bonaparte, il demeure républicain. Il se consacre surtout à l'étude - il est membre fondateur de l'Institut, où il côtoie bien des athées ... Il va sur le terrain, aux Pays-Bas, en Allemagne surtout, puisqu'il parle bien l'allemand. 1 !TINERAIRE le département, ajoute-t-il, « furent brefs, mais d'une importance décisive ». • DE BLOIS A GRENOBLE , ..:....'. ;~~::;:t:~~:pire, la . C'est M. Charles Descours, sénateur et conseiller général de l'Isère, qui évoque pour nous les liens - symboliques - de l'abbé ~ Grégoire avec ce département, où il n'a d'ailleurs jamais séjourné: « Sénateur de l'opposition sous l'Empire, député sous la Restauration, l'abbé Henri Grégoire "fut un homme d'un grand caractère et du plus noble coeur", a écrit un historien. Bien qu'ayant été un des premiers à proposer la déchéance de l'Empereur, la Restauration se montra très sévère à son égard. En 1819, le département de l'Isère l'ayant élu député, sur son seul nom qui animait les passions, la Chambre refusa de l'admettre. Son élection fut invalidée. Les Grenoblois, vexés, répondirent en votant pour un autre libéral, moins engagé, Camille Teisseire. » M. Jean Boyer, également sénateur et conseiller général de ce département, précise que Grégoire, à l'Assemblée Constituante, fut « l'un des premiers à . demander la réunion des î trois ordres, (qu7 il prêta le serment du Jeu de Paume, présida la séance du 14 juillet 1789, où les députés décidèrent de siéger en permanence, proposa l'abolition du droit d'aînesse, vota l'abolition de tous les privilèges et fut le premier à prêter serment à la constitution civile du clergé ». « Absent à la Convention lors du procès de Louis XVI, il écrivit qu'il votait pour la condamnation, mais sans se prononcer pour la peine de mort. » , «Membre du Conseil des Cinq-Cents en 1795, et du Corps législatif en 1800, sénateur en 180 l, il fit partie de la petite opposition au Premier Consul, refusa d'accepter le Concordat, et renonça alors à son évêché. " « A sa mort, l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, interdit de lui administrer les sacrements et lui refusa la sépulture chrétienne. » Une rue de Grenoble porte , le nom de l'abbé Grégoire, depuis le siècle dernier. bas clergé vers le Tiers Etat. Représenté particulière sur la diffusion des Lumières au premier plan dans le tableau dans l'ensemble de la population. On ou- (i'.. ..~ c....c...~ .!CharlesJJ~ Pendant toute la dernière période de sa vie, il ne cesse de combattre pour la liberté des Noirs, contre la traite, contre l'esclavage, pour la reconnaissance de la République de Haïti. Il publie même une se souvient ». " se souvient de Grégoire, évêque, mais aussi élu en son temps président du conseil général et député à la II. Convention. Ses séjours dans ,. Grégoire fut un homme de convictions, religieuse et républicaine. Il revint souvent sur la distinction entre tolérance civile et tolérance religieuse ; la première implique la reconnaissance de la citoyenneté pleine et entière de tous ceux qui forment la Nation, quels que soient leur couleur, leur opinion, leur sexe; en revanche, la seconde équivaudrait à l'indifférentisme idéologique, au consensus mou, alors que tant de combats sont encore à mener, pour la République et pour la vérité de l'Evangile. Et, puisque nous sommes actuellement de David, Le Serment du jeu de paume, blie trop souvent de signaler que, s'il a (I)Professeur de phIlosophIe. ~ ~ ID L-__________________________________________________________________________________________________ -'. '-~D~~:y.~ér-e-nc-e-s----N~08 7:--~N~o~s-p-é~c~m~/~-Charlesa~-s-1~9~8~9~----------~--~----------------------~------~~----~------~ La maison natale de l'abbé Grégoire détruite durant la Première Guerre mondiale. (Coll. part.) brochure en faveur de l'émancipation civique des femmes. La fin du vieil homme est superbe : après de mesquines manoeuvres de l'archevêque de Paris, la foule arrache le cercueil et le porte à bras jusqu'au cimetière. C'est l'une des premières manifestations républicaines, qui scanderont la vie du peuple de Paris. A propos des juifs et de leur « régénération » évitons ici l'anachronisme: les positions de Grégoire renvoient aux juifs de l'époque qu'il connaît, en France et en Allemagne. Personne ne s'y est trompé à l'époque, mais il faut aller plus loin. Grégoire, comme les écrivains critiques de son siècle, pratique le style oblique. Ce qu'il dit des superstitions juives renvoie évidemment, par ricochet, à celles des catholiques. Dans tous ses livres, il fait état, avec la plus grande exactitude, de tout ce qui est beau et noble dans la tradition juive, comme il reconnaît les mérites des protestants et de leurs bons théologiens, et comme il se plaît à souligner l'honnêteté de beaucoup de théistes qu'il a côtoyés. Le problème politique n'est pas un problème religieux, et tous les habitants du pays doivent être pleinement citoyens. Le refoulement dans la marge, mieux: l'or- LES COMMEMORATIONS ganisation systématique de zones marginales, voilà ce qui crée la dégradation, la misère et le vice. Les ghettos tiennent à un système de pouvoir. Pour détruire les bases de ce pouvoir, il faut abolir les structures sociales qui favorisent la discrimination, et pour cela donner aux juifs les mêmes écoles, les mêmes métiers qu'aux catholiques et aux protestants. L'un des chapitres les plus hardis qu'il ait écrit dans son Histoire des sectes religieuses vise non pas les juifs mais les Cordicoles, c'est-à-dire les dévots du SacréCoeur de Jésus: tout y est, l'ignorance entretenue, la passion superstitieuse au lieu de la foi, et bien entendu les aberrations de la Vendée. Il était bon prophète, car cette dévotion a eu le succès que l'on sait au cours du XIXe siècle et culmine dans la basilique édifiée pour expier la Commune de Paris. Son intérêt rigoureux et probe pour la foi juive le porte à douter de ce que racontent - en mal - les juifs de Vienne et de Berlin sur les hasidim. Et quoi qu'il dise du laxisme théologique des quakers, il n'oublie pas de souligner fortement qu'ils sont les principaux adversaires américains de la traite et de l'esclavage. Il serait faux et même absurde, de prétendre que Grégoire eût été indifférent et même hostile aux différences de culture et de foi. Ce qui est vrai, répétons-le, c'est que son intérêt ne va pas jusqu'à la complaisance, dont il connaît les arrièreplans politiques. Comme les autres Jacobins, Grégoire a voté la Constitution de l'an l, qui est la plus décentralisatrice qui ait jamais existé. C'est Napoléon qui a rréé les préfets et non Robespierre. D'autre part, il faudrait au moins se rappeler La Lorraine, évidemment, rend, cette A Embennénil, en juin, la fête anannée, un hommage des plus fervents nuelle de la Saint-Jean aura pour thèà l'abbé Grégoire. me les costumes de la Révolution; la Au village de Vého, ont déjà eu lieu date de l'inauguration du monument à une reconstitution de son baptême l'abbé Grégoire, en granit des Vosges, (3 décembre 1988) et une cérémonie n'est pas encore fixée. évoquant ses efforts pour la moderni- Au théâtre municipal de Lunéville, sation de l'agriculture (29 janvier). Le sera présenté, le 20 avril, le Colporteur 7 mai prochain, ce sera l'inauguration de la Révolution, spectacle inspiré de d'un monument, incluant le seul mur l'imagerie populaire et en particulier des encore partiellement debout de la mai- images d'Epinal, réalisé par la compason natale de Grégoire et, le 26 août, gnie Dominique Houdart-Jeanne Heula reconstitution théâtrale de sa vie, clin. Du 17 juin au 24 septembre, se pour le bicentenaire de la Déclaration tiendra, au musée municipal, une expodes droits de l'homme et du citoyen. sition : 1789. Les droits de l'homme. La MJC, associée à la mairie pour ces L'abbé Grégoire. iniliatives, organise par ailleurs, r-"C"":::y: :.-:::-:::::: ;:;::;;;:m le 25 juin, un concours scolaire sur l'abbé Grégoire et la presse révolutionnaire, avec la partici- ; pation des collèges et lycées de \ l'arrondissement. \ que les particularismes, les barrières linguistiques, tout cela faisait partie intégrante du système de l'Ancien Régime, où seuls les notables parlaient français ... Dans l'Eglise gallicane, il tente de faire prévaloir la liturgie en français ; cela se rattache à sa conception du christianisme, qui pour lui n'est pas une religion où devant des ignorants se célèbrent des mystères, mais une religion de l'amour et de la liberté, qui parle à tous les hommes. Le français, ce n'est pas la langue du nationalisme qui commence à contaminer l'esprit national. Le français, c'est la langue de ce peuple qui a conçu le projet d'être peuple de citoyens. Revenons sur le christianisme. Jésus-Christ, pour Grégoire, n'est pas un « philosophe ». C'est bien celui des conciles de NicéeConstantinople, celui de l'Evangile de Jean: la vérité vous libérera. Jésus est celui qui est venu annoncer et donner la liberté aux hommes, aux Blancs et aux Noirs, à ceux qui le reconnaissent et à ceux qui ne le reconnaissent pas encore. Faut-il les convertir? Non, il faut les aider à se libérer. Grand bonhomme que ce petit curé de campagne, auquel la Révolution a permis d'acquérir une stature historique. Grande figure de l'action et de la foi, qui a ému tous ceux qui l'ont interrogé. Albert Soboul en était, qui concluait avec respect sa présentation de la réédition des oeuvres, en citant Saint Paul: « J'ai combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. » JEAN-JACQUES KIRKYACHARIAN A Nancy, une exposition consacrée à l'abbé Grégoire aura lieu au Musée lorrain, de mai à août. Dans le cadre des conférences sur Nancy, la Lorraine et la Révolution, plusieurs communications auront trait à sa vie et à son oeuvre. A Metz, est annoncée une exposition sur « la Révolution et l'émancipation des juifs », organisée par le service municipal du patrimoine. A Blois, exposition également, dans le cadre somptueux du château, du 8 octobre au 5 novembre. Et, le jour de l'ouverture, un colloque scientifique, consacré à la pensée de Grégoire dans les domaines politique, religieux et culturel, ainsi qu'à sa lutte contre toutes les formes de discrimination raciale. TOUSSAINT LOUVERTURE ou l'abolition des privilèges de la couleur « Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance, c'est la seule vertu qui (ait la différence. » La mise en place du système de la traite des Noirs à grande échelle ne fut pas inspiré uniquement par des préjugés raciaux. Sous le règne du Roi-Soleil, est institué le terrible Code noir par Colbert, considéré à l'époque comme « le meilleur économiste de France ». En soixante articles, ce Code est une synthèse entre la nécessité du rendement économique et les alibis religieux qui servent à justifier l'esclavage. Il restera le règlement officiel de l'esclavage jusqu'à l'abolition définitive, en 1848, plus d'un siècle et demi après son élaboration. La Révolution de 1789 ouvre la voie législative et politique à la fin de l'esclavage: la Convention montagnarde déclare le 4 février 1794 Différences - N ° 87 - N ° spécial - Mars 1989 « aboli l'esclavage des nègres dans toutes nos colonies; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouissent des droits assurés par la Constitution ». Toussaint Louverture joue un rôle à la fois effectif et symbolique de premier plan. Né esclave (1743) à Saint-Domingue, il prend la tête de l'insurrection noire pour la liberté. Général de la République, il meurt en 1803 dans les geôles de Bonaparte. Il représente, par son ralliement à la République, la conjonction Un général noir: un rôle symbolique de premier plan entre les révolutionnaires métropolitains et le mouvement d'émancipation des esclaves noirs. ID U-DELA DES CARICATURES Le 7 avril 1803, Toussaint Louverture, général noir de l'armée française, meurt dans l'isolement de sa cellule du Fort-de-Joux, près de Pontarlier. Il était incarcéré dans cette forteresse du Doubs par ordre de Bonaparte afin de l'éloigner de la colonie française de Saint-Domingue, son île natale des Antilles. Toussaint Esclave devenu général républicain, mort en prison pour avoir combattu Bonaparte qui avait cédé aux pressions des colons et qui rétablira l'esclavage Toutefois, Toussaint reçoit un traitement convenable, il est suffisamment chauffé et habillé, sa nourriture se compose essentiellement de biscuits, fromage, viandes salées et vins. Le commandant Baille est surpris par ses demandes renouvelées de sucre et la consommation importante qu'en fait son prisonnier. Le en 1802, Toussaint Louverture est un symbole. Un inconnu aussi : trop de caricatures se superposent pour que son visage soit connu. Une autre façon de réécrire l'histoire. naît esclave en 1743. Il est déjà libre et petit propriétaire lorsque les idées de la Révolution atteignent les lointaines colonies d'Amérique. Au cours des troubles qui suivirent, il prend la tête d'une bande armée noire et se rallie au représentant de la République quelques mois après l'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue par le jacobin Sonthonax. Il personnalise ensuite la création d' « un pouvoir noir », militaire tout d'abord, puis économique, et politique enfin lors de la proclamation de la constitution coloniale le 8 juillet 1801. Il prend alors le titre de gouverneur général à vie avec possibilité de choisir son successeur. Dès lors, Bonaparte s'oppose ouvertement à Toussaint Louverture, cédant aux pressions exercées par les colons blancs. Une forte expédition militaire, commandée par le général Leclerc, rétablit l'autorité métropolitaine dans l'île. Toussaint est arrêté et conduit en France avec sa famille. La loi du 20 mai 1802 rétablit l'esclavage et la traite dans les colonies françaises . Cependant, en quelques jours, la fièvre jaune décime les troupes françaises d'occupation de Saint-Domingue. Leclerc décède. Jean-Jacques Dessalines, lieutenant de Toussaint, proclame l'indépendance de Saint-Domingue et du peuple noir le 28 novembre 1803, puis le 1 er janvier 1804, la naissance de la première République noire au monde: Haïti, célébrant ainsi la victoire posthume de Toussaint Louverture. La rigueur de la détention de Toussaint Louverture au Fortde- Joux s'explique par l'importance même de ce personnage que le gouvernement consulaire voulait éloigner à tout jamais de Saint-Domingue, afin d'y rétablir les structures coloniales d'avant la Révolution. L'évasion de deux chefs chouans, quelques jours avant son arrivée, explique les consignes draconiennes qui sont données pour la garde du général noir: Toussaint entre dans sa cellule le 23 août 1802, après une fouille sévère; il n'en ressort que pour être inhumé dans le caveau de la chapelle du château . On lui retire son argent, puis son rasoir, le papier et la plume. Le commandant de la place militaire comprend mal ce prisonnier de race noire (1), il semble même soulagé de lui retirer son uniforme de général de l'armée française lorsque l'ordre lui en est donné. Une lettre, adressée au ministre de la Marine le 30 octobre 1802, traduit sans arrière-pensée les réactions des militaires de la garnison face à ce prisonnier insolite, à la peau noire et au visage différent: « La composition des neigres ne ressemblant en rien à celle des Européens, je me dispense de lui donner n'y médecin n'y chirurgien qui lui seraient inutils. » gouvernement a bien alloué un crédit suffisant pour son traitement, mais le régime alimentaire et le climat des montagnes du Jura conviennent mal à un homme transplanté des Antilles, les salaisons campagnardes remplaçant difficilement les fruits et autres produits des îles. Le visage couleur d'ébène de Toussaint qui provoquait l'étonnement des militaires de la garnison à Joux et des habitants de Pontarlier, peu habitués à contempler des individus de race noire, ne nous est pas connu ou, tout au moins, trop de gravures très différentes les unes des autres nous sont parvenues. Même la silhouette de Toussaint est incertaine, nous savons qu'il n'était pas très grand, âgé d'une soixantaine d'années au moment de sa mort et vraisemblablement affecté d'un prognathisme. Une bonne vingtaine de visages lui ont été attribués. En fait, il s'agit de gravures réalisées en Europe (2), surtout à Londres ou à Paris, plus ou moins tendancieuses, suivant les idées de l'artiste; les représentations des milieux esclavagistes illustrant par exemple un tyran sanguinaire responsable de la mort de milliers d'Européens. Certains sculpteurs ont peutêtre travaillé à partir de dessins inconnus de nos jours, mais la plupart des représentations semblent purement imaginaires. Un dessin au lavis du peintre lyonnais Volozan existe dans une collection privée et sera présenté au château de Joux dans le cadre de l'exposition Toussaint Louverture organisée pour le bicentenaire de la Révolution. Il a été retrouvé dans les cartons de ce peintre bien connu aux Etats-Unis et qui a fait escale à Saint-Domingue sur sa route de l'Amérique entre 1800 et 1802. Toussaint est représenté à cheval, revêtu de son uniforme de général de division; la fidélité des détails de l'ensemble, notamment l'uniforme, confirme l'exécution d'après le modèle réel. D'autres portraits de Toussaint Louverture sortiront peutêtre de l'anonymat. La célébration privilégiée, dans le cadre du Bicentenaire, de ce personnage important de l'histoire de l'humanité, contribuera certainement à une meilleure connaissance. RENE LAMBALOT Conservateur du musée du Fort de JOux (1) Notons que deux autres prisonniers noirs étaient enfermés à Joux au même moment que Toussaint Louverture: Jean et Zamor Kina, ainsi que le mulâtre Rigaud. (2) Si l'imprimerie apparaît aux Antilles dès le XVIII' siècle, la gravure n'y sera utilisée que graduellement au cours du XIX' siècle. Toussaint: un personnage déconcertant pour ceux de son époque. Une bonne vingtaine de visages lui ont été attribués. En haut, de gauche à droite : une gravure de Fardy, puis une lithographie de Delpech, datant toutes deux du milieu du XIX· siècle. En bas, une gravure de Bonneville, extraite des Hommes célèbres de la Révolution et une gravure anglaise de S. Allen pour la Société pour l'abolitionde l'esclavage. Ci-contre, la Liberté des colonies, gravure anonyme (B.N.) Différences - N °87 - N° spécial - Mars 1989 L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE 1789 6 Juin. Démarche de la Société des amis des Noirs auprès de Necker. La Société regroupe 94 membres, dont Condorcet, La Fayette, Lavoisier, La Rochefoucault, Mirabeau, l'abbé Grégoire ... Elle a été fondée quelques mois auparavant par Jacques-Pierre Brissot, journaliste et homme politique, à l'image de la Société pour l'abolition de la traite, créée en Angleterre par le pasteur Wilberforce. 1791 7. Il et IS mai. Débat à l'Assemblée d'un projet de constitution coloniale puis sur l'égalité des mulâtres: droit de vote aux hommes de couleur et Noirs libres de la seconde génération. Août. Révolte des esclaves noirs de Saint-Domingue. 18 septembre. L:Assemblée abolit l'esclavage sur le sol de France. JO octobre. Grand discours de Brissot. 1791 Après de longs débats, la Législative vote le décret établissant l'égalité politique des mulâtres. 11 août. Loi sur la représentation des colonies • dans la future Convention. 179J 4 Juin. Délégation de Noirs à la Convention, conduite

par Chaumette pour

l'abolition de l'esclavage, soutenue par Grégoire et Chabot. 1794 4 février. Vote à l'unanimité du décret de l'abolition de L l'esclavage dans les colonies françaises. 1801 180J de l'indépendance en Haïti. 181S Abolition de la traite des Noirs par le traité de Vienne, non suivi~ d'effet. , m L'ABOLITION DE L' ESCLAVAGE ~ 18U Martinique et Guadeloupe; droit de vote réservé aux Blancs. Abolition de l'esclavage dans les colonies anglaises. 1848 4 mars et 27 avril. Abolition de l'esclavage par la France, à l'instigation de Victor Schoelcher durant le gouvernement provisoire de la 1/" République. 1852 à 1861 La traite française clandestine se poursuivra vers les Antilles et la Réunion. 50 000 personnes seront déportées durant cette période. 1893 Victor Schoelcher, député de la Guadeloupe et de la Martinique, sous-secrétaire d'Etat à la Marine et aux Colonies, président de la commission qui abolit définitivement l'esclavage dans les territoires sous souveraineté française, meurt. 11 avait été exilé sous Napoléon 11/ et avait écrit (1879) une Vie de Toussaint Louverture. 1/ est inhumé au Panthéon. TEMOINS D'AUJOURD'HUI • UN RÊVE DE LIBERTE A JAMAIS ENFOUI DANS LES NEIGES « Une casemate dans la neige d'où l'on ne ressort pas. » C'est ainsi que, dans l'Otage, Paul Claudel évoque le château de Joux. Les touristes qui, nombreux aujourd'hui, se dirigent vers la Suisse, le découvrent, haut perché sur son roc, au sortir de Pontarlier - une silhouette trapue, hardie, tout un monde de hauts murs et de fossés. C'est là que Toussaint Louverture, héros de l'indépendance haïtienne, est enfermé, sur ordre de Bonaparte, le 23 août 1802. Il avait rêvé la liberté pour son pays ... , un rêve àjamais enfoui dans les neiges jurassiennes. Le climat et l'inactivité eurent, en effet, raison de l'organisme, déjà affaibli de Toussaint. Le 7 avril 1803, à Il heures du matin, le commandant du château le trouva mort, la tête appuyée contre le manteau de la cheminée. On visite aujourd'hui cette longue pièce voûtée, basse et froide, qui vit mourir le« Général noir ». Un document - son brevet d'officier - y rappelle son souvenir. Malgré des recherches renouvelées à plusieurs reprises, les restes de Toussaint ont disparu (le crâne, découvert en 1850, n'est pas le sien, contrairement aux affirmations de l'époque) . Il est probable que ses ossements ont été jetés dans une sépulture qui se trouvait derrière la chapelle Saint-Louis, démolie au moment des travaux réalisés au château, à la fin du siècle dernier. Chaque année, une délégation du gouvernement de Haïti se rend au château pour y rendre hommage au prisonnier disparu. Le 3 mars 1987, le président de la République, François Mitterrand, faisait lui aussi ce pélerinage à la casemate d'un héros de la liberté. ROBERT SCHWINT député-maire de Besanfon • CHACUN DOIT MEDITER ••• « Une rue de Pontarlier porte le nom de Toussaint Louverture. Je pense que la triste fin de Toussaint illustre bien le fait que l'on peut emprisonner un homme (dans ce cas, cet enfermement au Fort de Joux signifiait la mort, et ses geôliers la savaient), mais qu'on ne peut en aucun cas enfermer le germe de la liberté et de l'égalité dont il est porteur. Chacun doit méditer sur le cadavre de Toussaint qui, pour une des plus nobles causes qui soit, l'abolition de l'esclavage, subit un exil fatal dans notre département. Sa présence tragique dans le département du Doubs, nous permet d'appréhender d'une façon encore plus concrète d'une part, les erreurs grossières et l'aveuglement d'un pouvoir politique arbitraire et d'autre part, la foi inébranlable de cet homme dans les vertus républicaines de liberté et d'égalité. Cet épisode de ncrtre histoire n'est pas glorieux pour le département, mais il doit être l'occasion pour nous, habitants du Doubs, de nous souvenir de ce destin hors du commun (esclave employé comme cocher qui devint président) et par-delà cet exemple, de renforcer notre lutte pour les idéaux universels. » LOUIS JOUVET, sénateur du Doubs AUTOUR DE TOUSSAINT • Une pièce de théâtre Ecrit par Jean-Louis SagotDuvauroux et intitulé Toussaint Louverture ou la Révolution d'un esclave africain devenu généraI de la République, un spectacle sera créé à Dakar en mai prochain, à l'occasion du sommet des pays francophones, puis dans plusieurs villes de France, notamment à Lille 'en juin. Cette mise en scène de l'épopée de Toussaint Louverture est servie par des dialogues originaux, reconstitution fictive de situations et synthèse des débats que l'abolition de l'esclavage a suscités. y prennent la parole comme en direct, Toussaint, bien sûr, mais aussi l'abbé Grégoire, Mirabeau, Robespierre, Napoléon (le fossoyeur de l'abolition), Laveaux et d'autres. • Des commémorations dans le Doubs Parmi les illustres prisonniers incarcérés au Château de Joux, Il y eut, avant Toussaint Louverture, en 1775, Mirabeau. Pour le bicentenaire de la Révolution, l'un et l'autre seront évoqués. Deux expositions sont prévues, de mai-juin à octobre: • Toussaint Louverture: de l'esclavage à la liberté, ou la Révolution française face au problème de l'esclavage et des colonies. • Mirabeau au Château de Joux et à Pontarlier. Et aussi, deux manifestations (dates à confirmer) : • Hommage. à Toussaint Louverture (23 avril), avec des participations nationales et internationales; • Journée de la Révolution: animations, concert, conférences, expositions (2 juillet). Enfin, un spectacle théâtral (montage du CAHD), évoquant Toussaint Louverture, Mirabeau et Rousseau, leurs idées, leur passage dans la région de Pontarlier sera présenté au château les 26, 27 et 28 juillet, les 2, 3 et 4 août ; à Pontarlier (Théâtre du Lavoir) les 14, 15, 21, 22 et 23 avril ; à Besançon du 2 au 10 octobre, à Neuchâtel (Suisse) en novembre. • A Champagney (Haute-Saône) La population demanda, dans son cahier de doléances, il y a deux cents ans, l'abolition de l'esclavage. La Maison de la négritude et des droits de l'homme, créée voici plusieurs années en souvenir de cette prise de position, organise une exposition à ce sujet jusqu'au 21 mai. JACK LANG: GREGOIRE, LOUVERTURE, MEME COMBAT! ILS L'ONT DIT « Que les planteurs reconnaissent publiquement: que tous les hommes sont nés libres et égaux en droits, que les Noirs sont les frères des Blancs; qu'ils ont les mêmes droits; que nul contrat ne peut aliéner, transférer la liberté d'un homme à un autre homme; qu'ils reconnaissent l'iniquité de la traite, l'iniquité de l'esclavage, et la nécessité de les abolir l'un et l'autre! " lEAN-PIERRE BRISSOT Note sur "admission des planteurs à l'Assemblée nationale (1789) « Périssent vos colonies s'il doit vous en coliter votre honneur, votre gloire, votre liberté. " ROBESPIERRE Assemblée Constituante, 12 mal 1791 « Si ces messieurs changeaient à l'instant de couleur, ils tiendraient un tout autre langage. » L'abbé GREGOIRE « Ou bien la liberté et l'égalité appartiennent aux deux sexes, ou bien l'immortelle déclaration des droits contient une mortelle exclusion. » Député GUYOHAR IT9~ Pour le miaistre de la Culture, honorer GrégoireétLouverture, c'est raviver une devise, celle de la République : liberté, égalité, fTatemité t Différences : Pour le bicentenaire de 1789, le MRAP et Différences se réfèrent tout spécialement à df~ grandes figures du combat pour l'égalité: l'abbé Grégoire et Toussaint Louverture. Comment situez-vous l'apport de chacun d'eux dans l'ensemble des valeurs et d'acquis que représente la Révolution française ? Jack Lang: Il n'est pas nécessaire de dissocier très nettement l'apport de ' l'abbé Grégoire de celui de Toussaint Louverture. En effet, leur oeuvre est, pour ainsi dire, commune. Tous deux sont à l'origine du message le plus précieux de l'idéologie de la gauche française: l'égalité èt la liberté de tous les hommes. Quand j'abbé Grégoire appelle le juif «son ami », quand Louverture s'adresse à« ses frères africains », ils opèrent la plus noble transformation née de la ' Révolution : ils apportent aux idéaux républicains la dimension de l'universalité. - En prenant des contacts dans les villes et départements que l'un et l'autre ont marqué par leur présence ou par leur oeuvre d'émancipation, nous recueillons l'impression que leur mémoire n'a pas beaucoup été honorée jusqu'à présent. Comment s'explique leur faible notoriété dans l'opinion _. que ~ le Bicentenaire devrait raviver ? - Paradoxalement; je crois qu'on peut se féliciter, d'une certaine manière, de la relativement faible notoriété de ces deux hommes d'espoir. Si le débat n'est plus très vif sur leurs personnes, c'est aussi parce que les Français, dans leur immense majorité, ont assimilé les idéaux dont l'abbé Grégoire et Toussaint Louverture ont été les plus nobles défenseurs. Cependant, l'hydre perverse du racisme et de l'intolérance, bien que très marginalisée, ronge toujours inlassablement l'esprit de quelques adversaires de la République et c'est bien l'ambition de Jean-Noël Jeanneney que de raviver le souvenir enthousiasmant de ces deux précurseurs : rien n'est plus actuel, plus véritablement moderne que la devise de la République : Liberté, Egalité. Fraternité! - On peut affirmer que leurs objectifs ont été, pour l'essentiel, atteints en matière d'égalité des droits: l'èsclavage a été aboli; juifs et Noirs sont en France des citoyens à part entière. Mais n'y a+ il pas encore des progrès à accomplir? En quoi les analyses et les propositions de Grégoire concernant les juifs, alors marginalisés dans la société, intéressentils aujourd'hui le sort des immigrés en .France? Et que dire du système de l'apartheid? - Il reste toujours du chemin à parcourir, c'est certain. Aussi bien la volonté de redonner à l'abbé Grégoire une notoriété digne de son oeuvre est-eUe le signe de la conscience que le gouvernement a des injustices que véhicule notre société. Mais le message de la Révolution ne s'adressait pas seulement à la France et il est tout à fait opportun .d'évoquer cette monstruosité politique qu'est le système de l'apartheid. Il est à ce propos frappant .de songer que les tenants de cette organisation barbare se réclament de ce qu'ils appellent la «race» blanche européenne et de l'Occident, alors. même qu'ils refusent les valeurs fondatrices de notre civilisation : celles du respect de l'être humain, de la tolérance et de l'usage émancipateur de la Raison. Qu'on songe seulement aux pages magnifiques du philosophe allemand Emmanuel Kant sur l'exploitation des Noirs aux Amériques ! La longue maturation de la pensée européenne s'est accomplie dàns le triple message de liberté, d'égalité et de fraternité; le racisme sous toutes ses formesn'est que l'expression néfaste de la pêtise ct de la haine. 0 Différences - N°87 - N° spécial - Mars 1989 MARTINE FH4NCK LA SANS-CULOT."ERIE FEMININE ~,-(..,,~(..~ ~~JCharles La Révolution n'accorde pas le droit de vote aux rr~i \~l femmes. Elles sont pourtant partout: dans les clubs, la rue et dans tous les moments forts de la Révolution. Dominique Godineau (1) retrace l'histoire de leur engagement et de leur exclusion. Différences : Le titre de votre livre Citoyennes tricoteuses semble paradoxal, il exprime une contradiction entre ce qu'on pourrait appeler une activité domestique et une action politique, sociale. Est-ce vrai? Est-ce intentionnel? Dominique Godineau : Au moment de la Révolution, les femmes du peuple suivaient les assemblées révolutionnaires dans les tribunes, où elles tricotaient. C'est de là que vient le terme « tricoteuse » qui était employé par leurs adversaires. Ce terme fut par la suite repris par toute l'historiographie révolutionnaire. Il m'a donc fallu le reprendre et désigner ainsi de « qui» je parlais. Il renvoie à une image fantasmatique. Désigner les femmes du peuple engagées dans la Révolu' tion par « tricoteuse », c'était aussi une manière de les lier à la violence, à l'hystérie, à tout ce que la Révolution a pu produire de plus horrible selon les contrerévolutionnaire. Dans mon livre, j'ai voulu montrer comment ces femmes vivaient au quotidien, aussi bien dans leurs familles que dans la vie politique. En fait, je me suis progressivement rendu compte que tous les sujets de recherche qui se rapportent aux femmes ramènent nécessairement à la notion de citoyenneté. L'accolement des deux termes induit également à mes yeux l'idée qu'il n'y a pas d'un côté des femmes posées et positives qui ont revendiqué d'accéder à la citoyenneté et de l'autre des espèces de mégères, des femmes négatives. Les choses ont été dans les faits plus complexes. J'ai voulu quant à moi parler des femmes anonymes dont on ne parle jamais. - Pourquoi ces femmes ont-elles été occultées, gommées de l'histoire ? - Je crois que cette occultation vient de la Révolution elle-même. A partir du moment où l'action politique des femmes a été réprimée, la place qui leur était reconnue durant les premières années de la Révolution leur a été niée. Et l'historiographie qui débute au XIX· siècle continue sur cette trajectoire. Quand un historien décrit une manifestation de six cents émeutiers, alors qu'il y a six cents femmes pour dix hommes, c'est juste d'un point de vue grammatical mais ça ne l'est pas du point de vue de la réalité. - Quel est le statut des femmes au moment où la Révolution se fait ? En quoi l'époque révolutionnaire constitue-t-elle une rupture par rapport à ce qu'elles vivaient auparavant ? - La première rupture relève du fait que sous l'Ancien régime, il n'y a pas une loi générale, mais des coutumes. Selon ces coutumes, les femmes étaient considérées comme des mineures juridiques. Par exemple, elles pouvaient posséder des ' biens en leur nom propre, mais elles ne pouvaient pas les gérer. La Révolution va promouvoir une loi, pour tous, tous étant civilement égaux, hommes et femmes. - Ce qui signifie ? - Ça signifie que l'on va reconnaître l'existence juridique des femmes, par exemple l'égalité successorale. Le mariage est considéré comme un contrat entre deux individus. La loi sur le divorce est votée le 20 septembre 1792. Sept motifs de divorce étaient considérés, mais aussi l'incompatibilité d'humeur et de caractère, et le consentement mutuel. Dans ces deux derniers cas, le divorce devenait un simple acte d'état civil. - Ces mesures vont-elles perdurer longtemps? - Malheureusement, non. Dès 1795, les restrictions vont devenir incessantes. Avec le Code napoléonien, l'incompatibilité d'humeur est supprimée et de nombreuses barrières empêcheront le divorce par consentement mutuel. Enfin, le divorce devient inégalitaire, puisque les hommes vont pouvoir divorcer pour adultère et pas du tout les femmes. Enfin le divorce est totalement supprimé sous la Restauration, en 1816, et il faudra attendre 1884 pour qu'il soit rétabli, et le consentement mutuel ne réapparaît qu'en ... 1975. - Votre livre montre combien les femmes ont été actives sous la Révolution, pourtant elles sont exclues des droits politiques et notamment du droit de vote. Pourquoi? - Tous les députés sont des hommes, ne l'oublions pas. Les droits politiques des femmes n'ont jamais été débattus. Je pense qu'il y a là plus qu'une opposition, une capacité. Et puis, surtout, il y a une question de pouvoir. Un député qui a été favorable aux droits politiques des femmes l'exprime très bien en disant à peu près ceci : « Nous ne consentirons jamais, nous les hommes, à nous départir d'une autorité qui nous est bien commode, c'est auxfemmes d'acquérir leurs droits. » - Si la question de la citoyenneté politique n'est pas abordée dans les débats, pourtant elle a été développée dans des textes de l'époque ••. - Oui, bien sûr. Le plus connu c'est le texte de Condorcet qui a été publié en 1790 et la fameuse Déclaration de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges, en septembre 1791. En schématisant, on peut dire que toutes et tous se fondent sur la philosophie du droit naturel et sur la Déclaration. La grande idée des révolutionnaires étant que tous les individus possèdent en naissant des droits identiques. Aussi, les femmes disent en fait aux hommes, aux députés: si vous n'appliquez pas les droits qui sont contenus dans la Déclaration vous sapez l'édifice que vous construisez, c'est-à-dire la démocratie. Un député qui s'appelle Guyomar a sur cette question une très belle formule, il dit: « La liberté et l'égalité sont des notions qui s'appliquent aux hommes et aux femmes ou bien l'immortelle égalité des droits contient une mortelle exclusion. » - Les femmes ont-elles revendiqué pour elles-mêmes le droit de vote ? - Il est vrai qu'elles revendiquent rarement publiquement le droit de vote. Je pense que, parfois, c'est affaire de prudence. A l'intérieur des clubs féminins, en revanche, elles remettent en cause le despotisme marital, elles demandent l'accès aux places, ce qu'on appellerait aujourd'hui les fonctions de gouvernement. - Peut-on faire le portrait de la citoyenne, femme du peuple ? - Le fait que le terme citoyenne leur soit accordé est un signe. L'engagement de ces femmes est divers. Les militantes sont particulièrement engagées, c'est la sansculotterie féminine. La femme de la sansculotterie a entre 20 et 30 ans ou plus de la cinquantaine. Ce qui signifie qu'elle a un enfant ou pas du tout, ou bien qu'elle a élevé ses enfants. Donc moins de charges familiales que pour les femmes appartenant aux autres tranches d'âge. A l'époque, les femmes se marient autour de 26 ans. Les militantes travaillent pour la grande majorité d'entre elles: elles sont blanchisseuses, ouvrières en couture, en art, en métaux, etc. Elles vont donc dans les assemblées, elles font de la charpie Elles prennent: la parole, elles l'exigent: puisqu'on ne la leur donne pas. pour les soldats, elles écoutent les débats. Elles prennent la parole, elles l'exigent parce qu'on ne la leur donne pas spontanément. Elles applaudissent les députés qu'elles soutiennent et crient contre ceux qu'elles désapprouvent. A l'époque, la presse est une presse d'opinion, les journalistes s'appellent Marat, Desmoulins, ou Hébert... Dans les moments de crises, elles signent des pétitions, elles déclenchent le plus souvent les insurrections, notamment mais pas uniquement, lorsqu'il s'agit de subsistance. - Quelle est la particularité de leur action dans les clubs féminins ? - Dans les Assemblées révolutionnaires, elles sont spectatrices actives, mais elles ne peuvent pas en être membres, ni voter. Dans les clubs féminins, elles votent, elles ont leurs cartes. Dans les sociétés populaires mixtes, elles ne sont pas marginalisées

elles ont été élues dans des proportions

qui vont du cinquième au tiers. Revenons aux clubs strictement féminins

ce mouvement est parti de province

durant l'année 1790. A l'origine, il Différences - N ° 87 - N° spécial - Mars 1989 s'agit de femmes de notable locaux qui ont une intervention de bienfaisance. Mais à côté des activités féminines traditionnelles - éducation, soins aux malades, assistance aux pauvres - , on y lit collectivement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le journal, les nouvelles lois ... Ces clubs se radicalisent à partir de 1793. A Paris, le club le plus connu - le club des Citoyennes républicaines révolutionnaires - qui a été créé le 10 mai 1793, se donne un double but: d'une part, lutter contre « l'ennemi intérieur », c'est-àdire les Girondins, d'autre part s'armer dans la garde nationale. Ces militantes, très actives, mènent campagne dans la rue contre les Girondins, elles participent à l'insurrection antigirondine de mai et juin 1793, puis, à l'automne 93, elles vont s'engager aux côtés de ceux qu'on appelle les Enragés. Elles s'éloignent progressivement des Jacobins, et du pouvoir. La sans-culotterie a été très forte à l'automne 93. Lorsque le mouvement décroît, elles vont être très clairement attaquées et leurs acquis pratiques remis en cause. - De quelle manière va-t-on déposséder les femmes de leurs acquis ? - Quatre décrets répressifs sont concernés. Par deux de ces décrets, les femmes ne peuvent plus assister à aucune réunion politique et n'ont plus la possibilité de se regrouper dans la rue à plus de cinq. Le troisième met sous contrôle des municipalités les femmes de députés arrêtés. Le quatrième reste à l'état de projet: il s'agissait d'inclure parmi les femmes les « terroristes », c'est-à-dire ceux qui avaient soutenu Robespierre. - En conclusion, qu'a apporté de fondamental la Révolution aux femmes ? - Elle a de toute évidence ouvert un espace politique. On ne les a pas invitées à l'occuper, mais elles l'ont investi d'ellesmêmes. Elles étaient, avant le déclenchement de la Révolution, sur la scène publique mais durant cette période la scène publique s'est aussi transformée en scène politique. Ce qui est resté des lois adoptées et remises en cause par le Code napoléonien, c'est qu'elles seront désormais considérées comme des personnes civiles. Bien que le terme« homme» de la Déclaration soit ambivalent dans la langue française, les principes contenus serviront aux féministes du XIX· siècle pour revendiquer l'égalité des droits. Interview réalisée pal' CHERIF A BENABDESSADOK ( 1) Historienne, auteur de « Citoyennes tricoteuses II, éditions Alinéa, Alx-en- m Provence. m NGERS ET LA REVOLUTION ,'-'-~~'t. .,...J~~J. Les lois de la Révolution vont d'abord lever les ~ ~ restrictions imposées aux étrangers installés en France, avant d'adopter une législation restrictive et suspicieuse. Parmi les étrangers établis en France en 1789 pour des raisons professionnelles, les Suisses et les Allemands étaient les plus nombreux ; ils fournissaient des régiments entiers de soldats mercenaires à la monarchie, soldats qui, démobilisés, devenaient souvent domestiques ou employés. Un petit nombre d'entre eux avaient d'autre part fait carrière dans la haute finance, dont les plus célèbres furent Necker et Clavière. On recontrait encore en France des Irlandais, le plus souvent soldats, des Savoyards, des Espagnols et des Italiens pratiquant le grand commerce dans les principaux ports du royaume. D'autre part, avaient afflué en France de nombreux réfugiés politiques, vaincus lors des tentatives révolutionnaires qui s'étaient succédé en Europe occidentale depuis le début des années 1780 ; quelques Irlandais immigrèrent en 1784. Près de cinq mille Hollandais se réfugièrent à Paris et dans les villes du Nord. De très nombreux révolutionnaires belges et liégeois ayant échappé à la répression austro-allemande de 1789-1790 affluèrent à Paris, où, comme les Hollandais et les Suisses réfugiés dans les années 1789- 1790, ils formèrent des clubs et même parfois des « légions» patriotiques et révolutionnaires. Tous ces réfugiés constituèrent lors des quatre premières années de la Révolution un groupe de pression organisé et efficace qui poussait les assemblées révolutionnaires à entreprendre en Europe une guerre de propagande et de libération révolutionnaire, soit qu'ils espérassent l'aide de la France pour mener à bien la révolution dans leur pays, soit même qu'ils n'eussent plus d'autre espoir après leur défaite que la réunion de leur nation à la nation de la Révolution, même au pris de la perte de son identité. Dans la tradition cosmopolite de l'Europe des Lumières, de nombreux étrangers cultivés voyageaient en France en « touristes », soit à des fins d'observations scientifiques, soit pour s'entretenir avec les philosophes, les savants et les écrivains qui faisaient la réputation de la France dans l'Europe du temps. Les plus connus de ces voyageurs sont le philosophe et économiste anglais Arthur Young, l'Allemand Jean-Baptiste Cloots, qui fut très lié ensuite au groupe girondin et qui chan- Necker, un prInce de la fInance, d'orIgIne autrIchIenne. gea son prénom en celui d'Anarchasis, le poète italien Alfieri, le mathématicien piémontais Lagrange, le prince russe Paul Stroganof, les Américains Jefferson, Thomas Paine et Miranda, futur champion de l'indépendance des colonies espagnoles d'Amérique. Les options politiques de ces étrangers devant la Révolution furent diverses, mais si certains regagnerent leur pays dès le début des troubles, d'autres, comme Anacharsis Cloots, n'hésitèrent pas à s'engager. Dans un premier temps, la nation française s'est voulue libérale et généreuse envers les étrangers, inaugurant ainsi une grande tradition d'accueil et d'amitié entre les peuples. C'est ainsi que le décret du 6 août 1790 supprima sans réciprocité le « droit d'aubaine» : désormais les étrangers résidant en France jouiraient des mêmes droits civils que les citoyens français, dont ne les distinguait plus que l'exercice des droits politiques. L'assemblée Constituante prit, le 14 juillet 1791, le décret suivant: « L'Assemblée nationale, voulant que la bonne intelligence et l'amitié qui règnent entre la France et les nations étrangères soient constamment entretenues, ordonne aux corps administratifs, aux municipalités, aux commandants des forces de terre et de mer et généralement à tous les fonctionnaires publics, de fa ire jouir les étrangers, dans toute l'étendue du royaume, et particulièrement dans les ports de France, de la liberté, de la sûreté et de la protection qui leur sont garanties par les traités. » Le 3 septembre 1792, la Convention nationale fait libérer tous les étrangers détenus sur les galères françaises pour des crimes commis hors du territoire national, attendu que « ce serait une atteinte à la souveraineté des peuples, à laquelle la France donnera toujours l'exemple du respect, que de retenir sur ses galères des étrangers qui n'ont point blessé ses lois ». P ar ailleurs, les conditions exigées pour être citoyen français furent débattues au cours des discussions sur la Constitution, le 30 avril 1790 et les 9 et 10 août 1791. Le décret du 30 avril 1790, présenté par le Comité de constitution de l'Assemblée Constituante et adopté sans débat, fixe les conditions de la naturalisation des étrangers

elles sont fort libérales, puiqu'il suffit

de résider en France depuis cinq ans, d'y avoir fondé une famille ou un établissement mobilier ou immobilier, et de déclarer se soumettre à la Constitution en prêtant le serment civique auquel sont assujettis tous les fonctionnaires, pour devenir citoyen français. Le 9 août 1791, l'Assemblée vote l'articie II du titre 1 de la Constitution, qui déclare citoyens français tous les natifs du territoire y ayant leur résidence et tous les descendants de Français nés à l'étranger, et revenus en France pour y prêter le serment civique. En outre, le pouvoir législatif pouvait naturaliser tout étranger résidant sans autre condition que le serment civique. L'Assemblée définit également les cas de déchéance de la citoyenneté française Uugement de contumace, dégradation civique pénale, naturalisation ou affiliation à un ordre ou un corps étranger). L'Assemblée Législative usa parfois du droit de priver de la citoyenneté française des groupes qui avaient démérité de la patrie : elle dégrada ainsi, le 31 août 1792, la ville de Longwy et tous ses habitants qui, assiégés par les Prussiens, et contre l'avis du commandant de la place, avaient ouvert leurs portes à l'ennemi après seulement trois jours de siège. En revanche, Avril 1792 la France en.re en guerre con.re la -- BohèID.e les ID.alheurs des ét:rangers COID.ID.encen. elle prit aussi quelques décrets de naturalisations collectives en faveur de philosophes étrangers déclarés « bienfaiteurs de l'humanité ». C'est ainsi qu'elle déféra le titre de citoyens français à dix-sept apôtres étrangers de la liberté, le 26 août 1792. Le 22 mai 1790, lors du débat constitutionnel sur le droit de paix et de guerre, l'Assemblée adopta sans discussion ce que l'on a appelé la « Déclaration de paix au monde », déclarant que « la nation française renonce à entreprendre aucune guerre, et qu'el!e n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple ». Cependant, l'affirmation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne pouvant que susciter les oppositions résolues des monarques européens, et poussée d'autre part par des considérations de politique intérieure aussi complexes que contradictoires, la nation française en vint, le 20 avril 1792, à déclarer la guerre « au roi Différences - N° spécial - N° 87 ~ Mars 1989 de Bohême et de Hongrie », inaugurant ainsi un conflit qui allait opposer la France à toutes les puissances européennes. Cette guerre épuisante provoqua un revirement complet de la politique suivie à l'égard des étrangers résidant en France, devenus des ennemis potentiels. De février à août 1793, la Convention, entérinant souvent des initiatives populaires spontanées, mit en place une législation répressive de contrôle des ressortissants étrangers. Le 26 février 1793, un décret obligeait les étrangers à se présenter au comité de leur commune. Le 18 mars, la Convention adoptait le principe de l'expulsion du territoire de tout ressortissant d'un pays en guerre avec la France qui n'exercerait pas de profession ou qui n'aurait pas acquis une propriété immobilière avant la Révolution. Le 7 août 1793, un décret ordonna l'arrestation et l'expulsion de tous les étrangers qui ne pourraient obtenir un « un certificat d'hospitalité» attestant de leur dévouement ou de leur utilité à la République. Cette législation très rigoureuse ne fut cependant que très inégalement appliquée, en raison notamment de l'implantation très variable des comités de surveillance qui en étaient chargés et de la diversité des situations locales. Néanmoins, les étrangers en France étaient devenus, du fait de la guerre, suspects par définition aux yeux de l'opinion publique révolutionnaire et du gouvernement. La Révolution française mit en place une politique en contradiction avec l'esprit généreux des principes qu'elle avait elle-même proclamés et qui constituent le patrimoine libéral de la nation française. • CATHERINE KAWA et OLGA GUILLEH Extraits de la pochette intitulée L'oeuvre émancipatrice de la Révolution française éditée par le MRAP et rédigée par Catherine Kawa et Olga Guillem, et dont voici le sommaire. Chapitre premier: Les Déclarations des droits de l'homme (situation avant la Révolution, l'oeuvre de la révolution, 1789, 1793, an III, textes et documents, chronologie). Chapitre II : La nation française et les étrangers (la situation avant la Révolution, l'oeuvre de la Révolution, textes et documents). Chapitre III : L'émancipation des protestants (la situation avant la Révolution, l'oeuvre de la Révolution, textes et documents). Chapitre IV: L'émancipation des juifs (la situation avant la Révolution, l'oeuvre de la Révolution, textes et documents). Chapitre V: L'émancipation des Noirs (la situation avant la Révolution, l'oeuvre de la Révolution, textes et documents, chronologie). Annexes: Petit index institutionnel; index sommaire des personnes citées; notices biographiques; chronologie ~énérale ; bibliographie ; filmographie spécifique. En deux tomes (30 F l'un). m 1 LES PROTESTANTS ET LA LIBERTE DE CULTE Un million de protestants n'ont aucune existence légale à la veille de 1789. ~ 4I:~ Avec la reconnaissance de la liberté de culte, ils acquièrent en quinze ans ,......--t"'i ~'des droits qui transforment leur situation. Jean Bauberot, directeur du département d'histoire et sociologie des protestantismes à l'Ecole pratique des hautes études de Paris, met en lumière la particularité française de l'émancipation des protestants. Différences : - La liberté en France est liée dans nos consciences aux acquis de la Révolution. Elle n 'a cependant pas été appréhendée sans mal par l'opinion et dans les débats politiques de la période révolutionnaire. Jean Bauberot : - L'histoire de la liberté religieuse en France est une histoire en dents de scie. L'Edit de Nantes (1598) est tout à fait en avance par rapport à la législation européenne et à la mentalité de l'époque, y compris en France. Il aborde déjà la notion de liberté de conscience et la reconnaît pleinement aux protestants réformés. La Révocation de cet Edit, au XVIIe siècle, est en revanche très en retard par rapport aux droits en vigueur dans nombre de pays européens. Les traités de Wesphalie (1), à caractère international, respectaient la dévotion privée

c'est-à-dire le droit au culte familial.

C'est ce qu'on appelle aussi le culte obscur ou sans publicité. Au XVIIIe siècle en France, il y a encore la persécution violente des protestants avec des pendaisons, des mises à mort, des galères. Dans le reste de l'Europe, soit les pays sont devenus monocolores sur le plan religieux avec l'expulsion des minorités, soit ils sont bigarrés et plusieurs cultes cohabitent. D'ailleurs, les protestants français revendiquent, à la veille de la Révolution, des droits équivalents aux catholiques anglais. - Que s'est-il passé d'important à ce moment-là qui favorise l'émancipation des protestants ? - En 1787, les protestants obtiennent un Edit de tolérance. Il est limité dans son contenu, mais important symboliquement, dans la mesure où il désavoue de fait la Révocation. Les protestants acquièrent ainsi le droit à l'état civil: leurs mariages sont enfin reconnus et non plus considérés comme des concubinages. Il reconnaît donc le fait protestant en France mais n'accorde rien au protestantisme. Les cultes sont toujours interdits, y compris le culte obscur, les protestants n'ont pas accès à tous les emplois, et notamment au poste d'instituteur, particulièrement important puisque l'enseignement est confessionnel. - Qu'apporte la Révolution OJlX protestants, dans quelle ambiance ? - Les cahiers de doléances du Tiers Etat réfèrent peu à la liberté de conscience pour les protestants. On en trouve davantage trace dans les cahiers de la noblesse qui, de ce point de vue, sont plus libéraux. Quant au clergé, dans sa globalité, il a peur de la concurrence que pourrait lui apporter un protestantisme reconnu. La Révolution apporte une percée importante qui va être stabilisée par Bonaparte, premier Consul. Tout d'abord, le 7 juin 1789, un culte public est célébré pour la première fois à Paris. L'effervescence révolutionnaire permet donc aux protestants de transgresser l'Edit de Nantes sans qu'ils soient réprimés. Les pro"tes"tan"ts, béné:f'ÏcÏaÏres de la Révolu"tÏon en France, III.aÏs ac"teurs aÏlleurs Le 24 décembre 1789, l'accessibilité des protestants à tous les emplois est acquise et le 3 septembre 1791 la liberté de culte est affirmée. Puis, il y a eu la Terreur, un épisode de la Révolution qu'il ne faut pas oublier. Les protestants n'ont pas eu d'ennuis au moment de l'Eglise constitutionnelle, ils ont fait le serment à la Constitution et ça ne les gênait pas. Les protestants qui ont été pris dans la tourmente de la Terreur l'ont été pour des raisons politiques: ils étaient en majorité Girondins, même si on entrouvait parmi les Montagnards. C'est le cas de RabautSaint- Etienne (2) qui a été guillotiné en décembre 1793. Néanmoins, les protestants ont été décontenancés par la suspension du culte qui s'est produit. En effet, les cultes ont été considérés par les révolutionnaires et, à ce moment-précis, comme s'opposant aux idéaux révolutionnaires. Néanmoins, pour les protestants les révolutionnaires étaient des alliés qui les avaient aidés à s'émanciper. - Lors de la Révolution, les protestants se sont-ils sentis solidaires des juifs qui revendiquaient, eux aussi, un statut plein de citoyens? - Avant l'Edit de tolérance, les israélites avaient droit au culte obscur. Les protestants disaient à ce moment-là: « Pourquoi pas nous? ». Lorsqu'il fait son grand discours le 26 août, Rabaut-SaintEtienne revendique la liberté de culte pour les deux communautés. Au-delà du XIXe siècle, nombre de protestants luttent pour la liberté de l'athéisme. Ayant fait l'expérience des persécutions, ils ne pouvaient qu'être solidaires des revendications de liberté de conscience. - Comment les protestants vont-ils commémorer le Bicentenaire ? - Pour les protestants, il y a une réflexion globale qui ne leur est pas propre sur la trilogie républicaine Liberté, Egalité, Fraternité, dans un souci d'actualisation. Et puis plus spécifiquement, les protestants disent: « Ne soyons pas trop franco-centriques, ce problème de la conquête de la liberté et des droits de l'homme déborde le cadre purement français. » Les protestants sont sensibles au fait que les révolutions anglaises au XVIIe siècle et la révolution américaine ont été des étapes importantes de cette conquête. Il faut avoir un point de vue plus international et se rendre compte que si en France, le protestantisme a été bénéficiaire des acquis de la Révolution, ailleurs il a été pleinement acteur. On commémore, par exemple, la naissance du premier Etat dans le monde (aux Etats-Unis) qui a adopté en 1739 la liberté religieuse dans sa Constitution. Propos recueillis par CHERIF A BENABDESSADOK (1) Ces traités, conclus en 1648 à Munster et Osnabrück, entre l'empereur gennanique, la France et la Suède, mettaient tin à la guerre de Trente ans. Ils donnaient aux princes allemands du Nord, dont les territoires étaient agrandis, la liberté de religion, le droit d'alliance ayec l'étranger. (2) Célèbre député des assemblées réyolutionnaires, porte-parole de fait des protestants, autour notamment des « Réflexions impartiales sur la situation présente des protestants et sur les moyens d'en changer» parues dans les années 1780. Enfin, des regards neufs sur des problèmes vieux comme le monde. LES ENJEUX DES DROITS DE L'HOMME Cet ouvrage rappelle l'histoire des droits de l'homme et dresse un panorama des points chauds du globe au regard des libertés. Mais de nouveaux enjeux surgissent dans l'actualité, posés notamment par la génétique, par l'informatique ... Voici une synthèse documentée, réalisée avec la collaboration, notamment, de : Hélène Carrère d'Encausse, Noël Copin, Jacques Fauvet, René Rémond, Paul Ricoeur, Jean-François Six, Evelyne Sullerot..., qui éclaire de façon inédite les grandes questions politiques et l'implication de l'évolution scientifique et technique dans notre vie quotidienne. Un volume cartonné (17 x 22,5 cm), 260 pages, 25 photos, cartes et graphiques. LA MOSAïQUE FRANCE Collection MENTALITÉS: VÉCUS ET REPRÉSENTATIONS L'actualité soulève des préoccupations et des craintes qui, parfois ... , ont une histoire. Reconstituer cette histoire, c'est la perspective originale que propose la nouvelle collection MENTALITÉS: VÉCUS ET REPRÉSENTATIONS, pour comprendre ce que nous vivons aujourd'hui en France. Second titre de cette collection: LA MOSAïQUE FRANCE, histoire des étrangers et de l'immigration en France. Cet ouvrage, réalisé sous la direction de Yves Lequin, préfacé par Pierre Goubert, retrace l'évolution des apports successifs d'étrangers qui ont contribué à édifier la France et, au cours des siècles, à former cette mosaïque de riches et multiples réalités humaines. Mais la société accueille ou rejette l'étranger selon qu'elle est sûre ou non de son identité. La période actuelle ne résonne-t-elle pas de ces lointains échos? Un volume relié sous jaquette (18,3 x 25,3 cm), 480 pages illustrées. Dans la même collection: LES MALHEURS DES TEMPS, histoire des fléaux et des calamités en France. LA CITOYENNETE lET SON HISTOIRE La citoyenneté n'est plus ce qu'elle était. Né avec la Révolution, ce concept politique a varié dans sa définition et son contenu. l~'\IP~) ,,.,-(""'("""cc- 17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)' La notion de citoyenneté naît sous la Révolution française. La France est le seul pays où la Déclaration des droits de l'homme, liée à la nature humaine, s'accompagne de la déclaration des droits liés à son statut de citoyen. Ces droits sont « déclarés» pour dégager les principes à partir desquels allait être rédigée la Constitution. C'est ainsi que sont définis les termes d'un contrat social entre les habitants de la France. Ce qui ne signifie pas la fin de la Monarchie (la Constitution de 1791 est une constitution monarchique, la République ne sera proclamée que le 22 septembre 1792), mais la fin de l'arbitraire du pouvoir monarchique. Au centre de la notion de citoyenneté, il y a donc le politique. Le citoyen est défini dans la Déclaration des droits, dans la Constitution et les textes qui les accompagnent, comme celui qui participe au « souverain », c'est-à-dire, en 1789, à la Nation. La citoyenneté n'existe pas si le peuple est sans droits. Cette constitution du peuple en souverain exige la participation à la production et à la transformation de la loi. Que cette participation soit directe ou déléguée. Les droits civiques des citoyens (produire et transformer la loi) sont présentés comme les garants des droits naturels de l'homme. Ainsi entendue, c'est la citoyenneté qui définit la nationalité. On est membre de la Nation française parce qu'on est citoyen. La citoyenneté inclut tout naturellement les étrangers qui sont en France: rien ne s'oppose à ce que, dans certaines circonstances, ils jouissent des droits du citoyen. C'est le fondement à la fois juridique et moral de ce qu'on appellera le jus soli. De ce fait, des Américains des Anglais, des Allemands seront élus à la Convention. Ayant proclamé ces principes, il fallait bien passer à des problèmes concrets. Les débats ont surtout porté sur ceux qui ne jouiraient pas de l'état civique. L'Assemblée Constituante a reconnu, plus ou moins lentement, l'accès à l'entière citoyenneté d'abord des protestants, puis des juifs (seulement en 1791), puis des hommes de couleur libres (les mulâtres, non les esclaves). De longs débats ont également concerné les exclus traditionnels de la société française dont les Tsiganes, qui sont aussi devenus citoyens. Et les comédiens, a-t-on dit? D'accord, citoyens aussi. La seule fraction de la société pour laquelle le problème de ces droits n'a même pas été abordé, ce sont les femmes! Pourtant, de grandes figures de la Révolution, comme Condorcet, avaient déclaré dans leurs ouvrages que les femmes devaient jouir des mêmes droits que les hommes. Mais, pour prendre l'exemple de Condorcet, dans les assemblées dont il a été membre, il n'a pas dit un seul mot sur ce sujet. Il était tellement peu pensable à l'époque que les femmes puissent être citoyennes qu'on n'en débattit même pas! La distinction est vite apparue entre citoyen actif et citoyen passif. Des débats de la Constituante a émergé cette catégorie surprenante de « citoyen passif» : l'expression vient de l'abbé Sieyès, un des pères du système constitutionnel. Ces citoyens-là ne pourraient ni élire les députés, ni, bien sûr, être La Révolution met en place un pouvoir local élu démocratiquement. Hals le suHrage est censitaire, des citoyens en sont exclus. Deux cents ans plus tard, nombre de nos concitoyens subissent encore cette exclusion. Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 Madeleine Rebérioux (1) retrace deux siècles d'histoire parfois agitée et propose quelques directions pour l'avenir. candidats. Les citoyens passifs étaient ceux qui ne payaient pas comme impôt l'équivalent de trois journées de salaire (cette somme étant fixée de manière différenciée, par département). L'argument invoqué pour justifier la « passivité» du citoyen était que ces personnes étaient placées sous la dépendance économique d'autrui. De ce fait, tous les domestiques étaient bien sûr exclus, mais aussi les petits paysans et tous les petits salariés qui gagnaient si peu que l'on pensait qu'ils devaient dépendre d'un système de secours, et donc dépendre d'autrui. Les pratiques de citoyenneté pourtant ne se réduisent pas au système de la délégation de pouvoir, au fait de voter ou de ne pas voter. Comment s'expriment ces pratiques? D'abord par la démocratie directe: les assemblées de section, les clubs, discutent et préparent les textes que les députés présenteront par la suite devant l'Assemblée. Ainsi, Robespierre défendra devant le club des Jacobins, en 1793, un projet de déclaration des droits. D'autres pratiques de démocratie directe existent. Il s'agit des pétitions et des délégations. La Coristituante, la Législative, la Convention consacrent toutes leurs matinées à recevoir des délégations. Il y a là une pratique civique de démocratie qui dépasse la démocratie de délégation. Il faut joindre aux données précédentes les pratiques emblématiques de la citoyenneté. Par exemple: le tutoiement. Les bons citoyens se tutoient. De ce point de vue, les femmes sont citoyennes: elles tutoient et elles sont tutoyées. Et on les appelle « citoyennes », elles à qui, quelle que soit leur fortune, le droit de vote est refusé. Le sans-culottisme est aussi une manière de s'habiller. Le port de la cocarde, du bonnet rouge sur la tête pour les femmes, du bonnet phrygien pour les hommes, ce sont encore des emblèmes de la citoyenneté. Les transformations ne se limitent jamais au droit. Elles englobent les pratiques sociales, ethnologiques, anthropologiques, etc. Or, dans ces pratiques de la citoyenneté, les femmes sont ultra-présentes. Exclues du droit de vote et d'égibilité, puisqu'on n'en n'a même pas débattu, les femmes sont en effet citoyennes dans tous les autres domaines jusqu'à la fin de 1793. Jusque-là, elles manifestent, elles sont dans les clubs avec les hommes ou dans des associations qui leur sont propres. Ce sont elles qui vont chercher à Versailles le roi, la reine et le petit mitron, et les hommes suivent. Elles prennent la tête des manifestations en battant le tambour. Jugées indignes par essence de voter, les voici donc ultraprésentes dans les pratiques civiques. En fait, dès la Révolution, il y a plusieurs conceptions de la citoyenneté. Mais toutes tournent autour de politique. Il faut percevoir la signification sociale de cette exaltation de la citoyenneté politique. Elle exclut la possibilité, pour les salariés, les ouvriers, d'avoir des droits qui leur soient propres. La loi Le Chapelier, de juin 1791, interdit en effet aux Français de s'organiser pour défendre leurs « prétendus (1) Vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme m intérêts» professionnels. Ce qui signifiait: « Vous êtes citoyens, mais vous n'êtes que cela ». Le triomphe de l'individualisme est ainsi consacré. Il y a le « souverain », l'Etat né de la souveraineté, et les citoyens. Entre l'Etat et les citoyens, il n'y a rien. La société est appréhendée comme une somme d'individus: la Nation est le résultat de cette somme d'individus. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, se mettent en place des phénomènes qui élargissent la citoyenneté. Tout d'abord, l'extension définitive de la citoyenneté entendue comme droit de vote et d'égibilité à tous les Français mâles en 1848. Alors que se réalise cet élargissement de la citoyenneté politique, plusieurs signes montrent que les choses ne vont pas de soi : les femmes sont de plus en plus exclues. Exclues même des pratiques civiques auxquelles elles avaient été ardemment mêlées pendant la Révolution. ce à désigner par le terme de travailleurs immigrés se voient attribuer des obligations spéciales : obligation de déclarer leur résidence (1888), obligation aux gens du voyage de porter des carnets anthropométriques d'identité (1919) ; enfin, la carte d'identité va être imposée à tous les étrangers entre 1917 et 1920 alors que les Français n'en ont pas. Telles sont les marques spéciales qui sont affectées, en somme, aux travailleurs immigrés et qui les définissent comme une catégorie particulière de non-citoyens. La situation a rapidement évolué depuis 1944. Quelques mots sur les étapes de cette évolution. • En octobre 1944, les femmes acquièrent enfin la pleine citoyenneté. Grâce à une ordonnance du général de Gaulle au titre du gouvernement provisoire ... • Puis l'âge électoral est abaissé de 21 à 18 ans. Cette décision, plus tardive, est due à la D'une certaine manière avec leur propre accord: il n'y a pas, sauf en régime nazi, d'exclusion qui ne s'accompagne quelque part d'un certain accord des exclus. Elles se définissent, en effet, de plus en plus en tant que mères : les mères des citoyens. La femme mère du citoyen a pour fonction d'élever le citoyen, de forger en lui la citoyenneté. La femme se trouve ainsi rejetée dans le domaine de la famille, de la vie privée, alors même qu'elle est Ce n'est: qu'en 1944 que les :feID.ID.es acquièrent: la pleine cit:oyennet:é _ pression des jeunes dans une société profondément renouvelée par le baby-boom. • Une conception plus large de la citoyenneté se développe grâce à des organisations comme la Ligue des droits de l'homme. Apparaît, en effet, l'idée que les droits du citoyen doivent pouvoir s'exercer, y compris dans les lieux où ils étaient traditionnellement interdits, ainsi l'armée. Ces associations font campagne pour la suppression des tribunaux militaires (et De « ID.ères de cit:oyens », elles redeviennent: les cit:oyennes de 1789 par ailleurs ouvrière laborieuse. Ainsi se construit une certaine image de la femme même si certaines refusent cette exclusion et mènent des débats publics, notamment en 1848, autour d'un journal qui s'appelle la Voix des Femmes. Telle est la première limite, absolue, à l'élargissement de la citoyenneté. La France se définit dès la fin de la Révolution, et cela s'accentue pendant le Premier Empire, comme la grande Nation. Pourquoi? La France républicaine a pu faire front à la coalition de toutes les armées, conquérir (pour y apporter les droits de l'homme) une partie du territoire européen et, avec Napoléon, quasi toute l'Europe. Seule, la Russie l'a arrêtée. Les Français intègrent, du coup, l'idée qu'ils sont la grande Nation : pas besoin de loi pour cela; cette certitude devient un élément de la conscience nationale. Dès lors, être national, être français, devient prioritaire dans la conscience des gens. Et la citoyenneté devient une conséquence de la nationalité. Au cours du XIxe siècle et durant la première moitié du 20e, les conditions historiques du statut des étrangers changent, du fait de l'arrivée en France de travailleurs étrangers. Dès les débuts du Second Empire et de la Ille République, dès la construction de la grande industrie en France, il devient clair que les Français ne sont pas assez nombreux pour répondre aux besoins. A la veille de 1914, il y avait en France plus d'un million d'étrangers et sans la loi de naturalisation de 1889, ils auraient été deux millions au moins. Quel est le statut de ces étrangers? D'une part, le jus soli est confirmé par la loi de 1889, à condition de passer par la naturalisation. Dans certaines conditions, les étrangers qui sont en France peuvent être naturalisés français ; une fois français, ils deviennent citoyens, mais une citoyenneté restreinte

pour être éligible, il faut être naturalisé depuis dix

ans ... D'autre part, ceux de ces étrangers que l'on commenl'obtiennent avec l'arrivée de la gauche au pouvoir), pour que soit reconnu le droit des militaires à s'associer: il ne l'est pas encore! • Se précise aussi, peu à peu, le concept de citoyenneté dans l'entreprise. Les syndicats étaient devenus légaux depuis 1884, mais l'entreprise restait sous l'autorité monarchique du patron. Cette situation a commencé à changer en 1936. L'évolution se poursuit à la Libération, puis en 1968 avec la reconnaissance de la section d'entreprise. Les lois Auroux, enfin, vont, en 1981 -1982, reconnaître des droits aux individus. Savoir s'ils sont toujours respectés est un autre problème: l'histoire ne se fait pas qu'avec des lois. Le problème ne peut plus être « résolu» comme à la fin du XIXe siècle. En effet, les travailleurs immigrés ont le plus souvent renoncé à rentrer dans leur pays, ils ont fait venir leur famille . Par ailleurs, ils viennent souvent des anciennes colonies françaises, ce qui pose le problème des rapports passionnels de la France avec ses anciennes colonies et celui, aussi, de l'attachement de nombreux immigrés à leur pays d'origine. Des difficultés sérieuses, par conséquent, dans l'opinion. Mais, en face, une exigence: songeons que dans l'entreprise les droits des travailleurs ont été acquis par tous, Français et immigrés. La solution est claire : il faut dissocier en France la nationalité et la citoyenneté. La Ligue des droits de l'homme a affirmé ce principe dès 1980, et ses conséquences : le droit de vote des étrangers et plus particulièrement des immigrés, ceux qui sont plus particulièrement victimes du racisme et des lois discriminatoires comme la loi Pasqua-Pandraud. Concrètement, il s'agit d'abord d'obtenir ce droit aux élections locales. Le MRAP, le PC, le PS en sont d'accord en principe. SOS-Racisme s'est aujourd'hui rallié à ces objectifs et nous nous en réjouissons. Il reste à rendre cet objectif totalement populaire. Il reste à l'imposer. Ce sera un immense événement dans l'histoire de la citoyenneté. MADELEINE REBÉRIOUX DECLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN La Déclantion des droits de l'bomme et du citoyen du 26 août 1789 a été placée ensuite en tête de la Consdtution de 1791 Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les , seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présénce et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen. ARTICLE PREMIER - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne, peuvent être fondées que sur l'utilité commune. ARTICLE 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits n,aturelset imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. ARTICLE 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. , ARTICLE 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui; ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de èes mêmes droits ; ces , bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. " , ARTICLE 5 - La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. ARTICLE 6 - La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre-distinction que celle de leurs ver' tus et de leurs talents. ARTICLE 1 - Nui homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites, Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant; il se rend coupable par la résistance. ARTICLE 8 - La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'urie loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée. ARTICLE 9 - Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'i! ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 doit être sévèrement réprimée par la loi, ARTICLE 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. ARTICLE 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. ARTICLE 12 - La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. ARTICLE 13 - Pour l'entretien de la force publique e~ pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. ARTICLE 14 - Tous les citoyens ont le droit de ' constater, par eux"mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. ARTICLE IS - La société a le droit de demander compte à tout agent pub1ic de son administration , ARTICLE 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de constitution. ARTICLE 17 - La proprié" té étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. FAUT·IL CNERA LE UNE D/MENSIDNLDCALE La citoyenneté ne se divise pas. Mais c'est au niveau local qu'elle est le plus directement accessible et enracinée. Véronique de Rudder (1) en détaille les possibilités et les limites. Si l'on admet que la citoyenneté est à la fois une pratique et une reconnaissance de cette pratique, il n'y a pas de raison théorique, intellectuelle, pour isoler le niveau local des autres champs de son application. Les découpages politiques à l'intérieur d'un Etat national (la commune, la circonscription, le canton, la région, l'Etat) sont en grande partie conventionnels. Ils sont également en continuité les uns avec les autres. L'ensemble et son articulation constituent les lieux de la représentation, de la décision, et en fin de compte de l'organisation politique de la société globale. Si l'on isole les différents échelons les uns des autres et donc les différents niveaux où s'exerce la citoyenneté, on risque de s'enfermer dans une définition strictement politicienne et étroitement juridique. Ce qui entraînerait une déviation grave par rapport au sens fondamental de la notion de citoyenneté. Prenons l'exemple du droit de vote des immigrés aux municipales. Il faut remarquer qu'il est difficile de dire précisément où commence et où s'arrête l'échelon local. Cela d'une part; d'autre part, si la question du droit de vote est essentielle, elle ne peut pas être réduite à la simple dimension du statut d'électeur. Le droit de vote n'empêche nullement la marginalisation sociale et politique de certaines catégories qui disposent bel et bien de ce droit. On ne peut pas, enfin, isoler l'échelon local des autres, parce que bien des décisions qui engagent les sociétés locales, et l'avenir des populations qui habitent ces localités (y compris les immigrés) sont prises à d'autres niveaux, et qui, pour certaines d'entre elles, engagent le niveau national et législatif. Ces appréciations ne visent pas à sousestimer le niveau local. Mais si l'on s'y intéresse, c'est pour s'interroger sur les lieux, les circonstances, les formes que la citoyenneté peut prendre dans un exercice enraciné dans le niveau local. La localité n'est pas nécessaire ni indispensable à la revendication de la citoyenneté ni à son exercice. Il est cependant possible et probable que pour beaucoup de gens, la vie sociale et politique locale, le quartier, la commune, la cité, sont des lieux plus directement accessible que d'autres. L'échelle locale peut donc constituer un lieu privilégié d'engagement personnel, de confrontation (avec d'autres forces et groupes sociaux) et de solidarité. Et c'est en cela peut-être que le niveau local ouvre le champ à une socialisation particulièrement en prise sur la vie quotidienne. Cette relative accessibilité du local s'origine bien sûr dans le fait que le quartier, la cité, la ville, les espaces publics sont précisément les lieux de l'interaction sociale. C'est prioritairement là que les groupes sociaux sont en contact, conflictuels ou solidaires, avec entre ces deux extrêmes toute une série d'équilibres ou de déséquilibres qui vont de la coopération à l'ignorance mutuelle, de la méfiance au Le sent:ÏInent: d'ÏInpuÏssance polÏt:Ïque : largeInent: part:agé. conflit ouvert. Là, les stratégies individuelles ou collectives, convergentes ou divergentes, sont plus visibles qu'à d'autres niveaux. De ces solidarités et de ces conflits qui se forment au sein de l'interaction sociale surgissent des solutions de négociation qui peuvent permettre aux résidents d'être et de paraÎtre comme des citoyens. L'exercice de la participation locale est en même temps une revendication et une pratique de la citoyenneté. Bien sûr, les solidarités et les conflits que l'on observe au niveau local ne trouvent pas toujours leur origine à ce niveau. Si l'on prend l'exemple des relations de classes qui interfèrent sur les relations de cohabitation, de même que les re~ations interethniques, on se rend bien compte qu'elles s'enracicent dans les structures macrosociales. Ce n'est pas dans l'agencement local des forces en présence que s'expliquent, ni même dans certains cas, que se résolvent les conflits. Le local est aussi par ailleurs Sociologue. un relais. Lorsque des groupes s'organisent pour agir ou pour revendiquer, ce n'est pas toujours au niveau local que cette association se justifie. Lorsque se revendique le droit de vote, la pleine et entière citoyenneté, elle s'exerce en fait au niveau national et même international. Le local apparaît ici comme un relais de mobilisation pour parvenir à former un mouvement social suffisant destiné à repousser les frontières et les limites assignées à la citoyenneté. L'échelon local apparaît pour beaucoup comme le plus facile d'accès. Certes. Mais il oppose à son tour de nombreux obstacles. L'absence de citoyenneté juridique concernant les immigrés de nationalité étrangère constitue de toute évidence un obstacle, puisque les résidents de la cité n'ont pas le droit de concourir à la définition de la politique de cette même cité. Cet obstacle n'est pas le seul. La distinction entre droits réels et droits formels permet de saisir la complexité de la question. L'obtention des droits civiques pour les immigrés de nationalité étrangère serait à la fois une condition d'exercice de leur pleine et entière citoyenneté, mais aussi une reconnaissance de la participation réelle qu'ils exercent déjà aujourd'hui. Il y a donc non seulement une distinction à faire entre droits formels et droits réels, mais aussi une distinction entre droit réel et reconnaissance symbolique. Le symbolique étant ici un enjeu tout à fait essentiel. La vie associative est assurément une des voies importantes par lesquelles passe l'expression des résidents dans la vie de la cité. Mais cette vie associative ne tient pas, loin s'en faut, l'audience qui devrait être la sienne. Il y a de nombreuses raisons à cela. Je citerai d'abord le fait que cette vie associative est souvent dominée par des couches petites-bourgeoises qui prétendent représenter l'ensemble des résidents du quartier, de la cité ... La vie associative est également encadrée par du personnel politique qui, généralement, se trouve lié à la municipalité. Cela n'est pas un jugement de valeur, mais ce phénomène prive de débouchés sur la vie politicolocale et d'expression, un certain nombre de gens non organisés politiquement. Ceux-ci participent peu ou mal à la vie associative, ils désertent les associations, parce qu'ils ont du mal à s'y insérer. En outre, les formes de la représentation des associations font souvent défaut. La vie associative n'est favorisée, il faut le dire, que l'orsqu'elle est strictement culturelle, pour ne pas dire folklorique. Lorsqu'elle risque de déboucher sur des revendications, la vie associative ne se concrétise réellement que si elle sert à la constitution d'interlocuteurs ou si elle vient au secours de la politique adoptée par la municipalité. Permettre le plein exercice de la citoyenneté au niveau local revient donc à rendre plus nombreuses; plus diverses et plus accessibles, les voies par lesquelles l'action des citoyens devient possible et visible par tous. Que ces citoyens le soient juridiquement ou pas. On constate une sorte de surlocalisation du politique. Ce qui signifie que lorsque des problèmes se posent, on a tendance à oublier que ces problèmes réfèrent nécessairement à un ordre social, politique et économique national. Il y a là une dépolitisation du politique. Et lorsqu'on dépolitise le politique, qu'il soit local ou national, on prive la notion de citoyenneté d'une partie essentielle de sa définition. Cela est d'autant plus important que le sentiment d'impuissance politique et social est largement partagé par des gens qui ont le droit de vote et l'exercent ou ne l'exercent pas et par ceux qui sont en butte à la discrimination. Ce sentiment d'impuissance, toutes les enquêtes le montrent, s'exprime souvent du point de vue politique par la constitution de boucs émissaires. Je renvoie aux études des motivations des électeurs du Front national. Dans la question de la citoyenneté, se joue le problème des groupes sociaux minorisés et discriminés mais aussi de toutes sortes de gens qui se sentent, et n'ont pas toujours tort de se sentir, exclus. La citoyenneté pose donc des questions plus larges que le simple droit de vote des immigrés de nationalité étrangère. Revenons à une question de terminologie. Nous sommes dans une période extrêmement difficile. Plus personne aujourd'hui ne peut raisonnablement savoir comment nommer certains groupes La vie associative: une vole royale pour l'expression de la vie de la cité. Différences - N°87 - N° spécial - Mars 1989 sociaux. On parle d'immigrés pour une bonne partie de personnes qui n'ont jamais migré, d'étrangers qui, pour certains sont déjà ou deviennent des binationaux ou des nationaux. On parle de minorité, sans prendre le soin d'y adjoindre un adjectif, ce qui ne veut rien dire et recouvre des tas de réalités socio-historiques différentes. Soit on parle de minorité nationale et l'histoire de la France n'a pas permis de constituer de telles minorités, soit on parle minorité culturelle, de minorité religieuse, sexuelle, etc. Tous les termes aujourd'hui utilisés pour désigner des populations d'origine étrangère sont l'objet d'un enjeu idéologique central. Nous avons du mal à définir de qui nous parlons, de quoi nous parlons et pourquoi nous nous empaillons sur ces termes. La notion d'intégration reçoit plusieurs acceptions différentes. L'une désigne un assimilationnisme qui a de la patience. On est assimilationniste en attendant un peu. C'est le cas du discours qui parle de l'intégration en l'accompagnant d'une volonté d'érosion culturelle qui rendrait imperceptible toute tradition culturelle considérée comme minoritaire. Y a-t-il même des traditions culturelles majoritaires ? La notion d'intégration ne doit pas être tabou. Il ne faut pas l'abandonner aux tenants de l'assimilationnisme, ce serait faire leur jeu ; je ne crois pas, par ailleurs, qu'il y ait aujourd'hui des luttes sociales des groupes issus de l'immigration qui n'aient pas pour enjeu l'intégration. Mais quelle intégration? On ne doit pas s'interdire le débat idéologique, qui est aussi un débat politique, sur cette question. Il rejoint le débat global et national sur le type de participation que l'on souhaite voir émerger dans cette société. Pour que s'exerce la citoyenneté, ne serait-ce qu'au niveau local, il faudrait que soit admise l'idée que des projets et des objectifs sociaux puissent naître ailleurs que dans les bureaux des hommes politiques, à quelque niveau que ce soit. Ces projets et ces objectifs devraient être relayés, favorisés, repris, confrontés, mis en oeuvre, et pourquoi pas, votés. De ce point de vue, le mandat électif ne suffit pas. En votant pour un programme politique ou pour un candidat, les électeurs n'ont pas tout dit de ce qu'ils souhaitent. Et ce qu'ils souhaitent, c'est d'avoir les moyens d'exercer pleinement leur statut de citoyens. ES VERONIQUE DE RUDDER 1 TB' AU MIROIR DU TIERS MONDE La Révolution s'est d'emblée voulu universaliste et son message de dignité a effectivement passé les frontières. Le Tiers- Monde, affirme Claude Liauzu (1), est aujourd'hui l'épreuve de vérité de sa signification. Si, bien sûr, la dimension tragique des luttes politiques paraît anachronique dans la France d'après les années 1960, il reste que la République est d'abord une culture civique. Cette culture est-elle un héritage de grands souvenirs à cultiver pieusement, alors qu'elle est soumise à la dissolution de la « post modernité », ou un capital à faire fructifier? Les droits de l'homme sont-ils définis tout entiers dans les tables de la loi de 1789 ou sontils une utopie toujours confrontée à la réalité, s'enrichissant de cette distance et de cette confrontation ? Le débat sur la citoyenneté rappelle, lui aussi, que des conceptions opposées en ont été élaborées par notre histoire: citoyens actifs et citoyens passifs, hommes et femmes, Français et immigrés ... Dès 1789, enfin, la Révolution s'est affirmée comme ayant une portée universelle. Non que le patriotisme français y conduise naturellement, comme le croit volontiers notre orgueil national, mais par le dépassement de ce que tout nationalisme, de ce que toute appartenance, recèlent d'exclusive et de limites. C'est la conviction qu'un peuple libre ne pouvait le demeurer dans un monde d'ilotes et d'esclaves qui anime tous les grands moments que 1789 a initiés. C'est l'accès de la « société civile» à la politique par l'abolition de tout pouvoir émanant d'un ordre transcendant, d'une loi extérieure à la société, qui a déclenché la réaction en chaîne de la démocratie, en ouvrant ce que Tocqueville appelait « l'ère des masses ». Peut-être, dans le monde d'aujourd'hui, la question clef est-elle l'attitude envers cette réaction en chaîne et l'entrée en politique de ces masses qui, désormais, à l'échelle mondiale, se comptent par milliards. La ligne de partage entre les familles de pensées conservatrices et progressistes a en effet séparé, dès l'origine, ceux qui considéraient la Révolution comme finie, et ceux qui la considéraient comme appelée à s'élargir tant dans l'espace que dans ses multiples dimensions. L'association et la tension, féconde si elle est une utopie concrète, entre les trois exigences que constituent les droits de l'individu, la citoyenneté, qui inscrit la vie collective dans l'Etat-nation et la communauté humaine, est l'immense pari issu de 89. De ce point de vue, le Tiers-monde est, sans aucun doute, l'épreuve de vérité la plus révélatrice pour une réflexion sur la signification de la Révolution. Quelques enjeux de ces débats sont signalés ici. La Révolut:ion est:-elle :f'inie ? Lors d'un 7 sur 7, François Furet, sacré roi de la Révolution par Libération, s'inquiétait de la confusion entre droits fondamentaux et multiplication de droits dits « dérivés» (ce que l'on appelle« générations des droits de l'homme» : droits sociaux, droits des peuples ... ) et tenait à souligner la prééminence de la liberté de l'individu. Ce faisant, il marque bien la clef de voûte de la différence entre la tradition libérale et la tradition démocratique. La première, dès 1789, oppose les citoyens actifs et les exclus; le prolétaire du XIxe siècle, le Tiers-monde et le Quart-monde aujourd'hui. Ne concevant le social que comme rapports inter-individuels, le libéralisme rejette, au XIXe siècle, la revendication du droit au travail comme il rejette, aujourd'hui, un droit international du développement respectant le droit au développement. En clair, il refuse toute limite à la liberté. Ce faisant, il achoppe sur une contradiction logique, car il répudie toute différence de nature entre les hommes. Aussi, comme au XIXe siècle, la pensée libérale écarte-t-elle cette contradiction par un mélange de compassion et d'obsession sécuritaire, envers les classes souffrantes et dangereuses hier, envers les barbares campant sous les murs de notre cité interdite· aujourd'hui. Or, c'est bien ce qui domine, dans les consciences occidentales, les représentations du Tiers- (1) c. Llauzu est l'auteur d'un ouvrage aux éditions Arcanthères : La Crise orientale de la conscience occidentale. les représentations du Tiers-monde, depuis une décennie surtout. Tel est le sens profond des campagnes fondées sur l'aide d'urgence humanitaire, à l'occasion des famines et des catastrophes en tous genres. L'irrésistible ascension du médecin dit sans frontières ou du monde, des show, chansons, marches et danses contre la faim accompagne une régression de l'idée de développement. Le néo-caritatisme est aux antipodes de la notion de solidarité; il est une idéologie de crise, de légitimation de la crise. Paradoxalement, les réaffirmations universalistes n'auront jamais été aussi cultivées par les intellectuels français que dans ce temps de régressions ethnocentristes généralisées, au nord comme au sud. Mais, sauf à s'enfermer dans l'universalisme abstrait de nos nouveaux philosophes, toute la difficulté est d'opposer à la « barbarie différentialiste » des valeurs communes. Valeurs communes qui ne peuvent être décrétées de manière univoque, mais fondées à partir de la réalité plurale du monde. Il est certain que le relativisme culturel, s'il justifie toutes les pratiques d'une société sous prétexte qu'elles sont liées à la préservation d'une identité collective ou la négation de la liberté individuelle, sacrifiée au peuple ou à la communauté, aboutit au racisme comme l'a montré P.-A. Taguieff. Le droit à la différence, mais chez eux, dans leur Bantoustan, telle est bien la philosophie de la nouvelle droite, qui rejoint là, par l'autre bout, tous les intégrismes biologiques ou culturels. Cependant, la « barbarie universaliste », que nous avons mise en oeuvre à travers notre histoire coloniale, par exemple, appelle elle aussi un bilan critique. Dans son immense majorité, la gauche intellectuelle et politique a opposé aux résistances à notre conquête et aux nationalismes, jusqu'à la fin des années 1950, la supériorité de notre modèle de civilisation et d'émancipation. Il est vrai que les libérations nationales ont écarté les droits de l'individu, des minorités, de la femme ... , qu'elles portaient des germes totalitaires. Il n'est pas moins vrai que nous n'avons Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 exporté ni notre anticléricalisme, ni notre Etat de droit. Comme le souligne l'un des chefs historiques du FLN, s'il y a un mouvement des droits de l'homme dans les pays du Maghreb actuel, il est à la fois un héritage de l'influence française et une rupture avec la domination française. Mais penser l'universalisme aujourd'hui, c'est surtout, et ce sera de plus en plus définir les questions liées à l'universalisation des sociétés. L'émergence d'un monde unifié par l'économie et par les transnationalisations culturelles et démographiques, d'un monde dont l'unification est contradictoire, porteuse de dépendances, d'aliénation, d'exclusions, est bien la question à résoudre. Elle ne pourra l'être que si elle est posée en termes nouveaux, que si la crise, comme il est convenu d'appeler la situation qui perdure, suscite des alternatives, le dépassement des limites du système dominant qu'elle met à nu. Ce qu'elle révèle, c'est l'incapacité de toutes les cultures à maîtriser les déséquilibres financiers et économiques, les déséquilibres socio-écologiques croissants, eIHre rythmes technologiques et rythmes naturels. C'est un immense déficit intellectuel face aux trois défis, éthique, scientifique et politique, que doit affronter l'exigence d'un universalisme effectif. A ussi, pour la première fois sans doute dans l'histoire, cette crise fournit-elle la possibilité de la prise de conscience des insuffisances de tous les systèmes de pensée, de leurs caractéristiques relatives et subjectives. Non, la Révolution n'est pas achevée, elle a ouvert l'époque que Georges Balandier nomme le désordre, désordre fécond, s'il mobilise les masses humaines pour la construction de leur devenir. CLAUDE LlAUZU (1) Un groupe de travail s'est formé, en fonction de la démarche sommairement résumée dans ce texte, pour intervenir dans les débats concernant le Bicentenaire, pour cerner les enjeux intellectuels, éthiques et politiques des solidarités nord-sud. Il rassemble des spécialistes de la Révolution française et du Tiers-monde, qui bénéficient du soutien de la mission du Bicentenaire et préparent une semaine sur le Bicentenaire au miroir du Tiers-monde. Un bulletin sur ces problèmes peut être commandé au GEMDEV, 9, rue Malher, 75004 Paris. Au sommaire du Bulletin Représentations du Tiers-monde nO 3 de février 1989, Le Bicentenaire au miroir du Tiers-monde: 1 - Universalisme, droits de l'homme et Tiers-monde. II - Représentations du Tiers-monde. III - Enseignement et altérité. Paul CHRISTOPHE TOUR DU MONDE Les voyages du bonnet rouge Chant révolutionnaire de 1792, par Salle Le bonnet de la liberté Brille et voyage avec fierté, En dépit des despotes Sa course embrasse l'univers Partout il va briser les fers Des braves sans-culottes. Déjà ce signe rédempteur Imprime une juste terreur Sur le front des despotes. I/s s'arment en vain contre lui! Les sceptres tombent,aujourd'hui Devant les sans-culottes. A Rome, à Londres, à Berlin, A Vienne, à Madrid, à Turin, On voit les fiers despotes, Sur ce bonnet, en lettres d'or. Lire tous l'arrêt de leur mort, Au gré des sans-culottes. L'esclave, enfant de Mahomet, Libre en recevant ce bonnet, Va frapper ses despotes. Déjà sous les yeux du sultan 1/ bénit le nouveau turban Des Français sans-culottes. Enfin, de Paris au Japon, De l'Africain jusqu'au Lapon, L'égalité se fonde. Tyrans, le sort en est jeté: Le bonnet de la liberté Fera le tour du monde. Raoul DUBOIS R"OUl DUBOiS 1789 la révolut ion racontée aux enl~lnts 98 F GRÊGOIRE ET CATHEUNEAU OU LA DÈCHIRURE 1....-_-.-____ --1 70 F L'abbé Grégoire et Cathelineau, deux figures emblématiques, symbolisent le choix crucial offert aux chrétiens durant la Révolution française. MASSES OUVRIERES CATHOLICISME ET REVOLUTION Une question qui demeure Suzanne CITRON L'Histoire de France en question 80 F Larry PORTIS LAIIIIY l'tIITlS LEI CLAISES sacwES El FRAICE IIEm lJ:~C:O:I:I~:t~lo:n~"~M~é~m~moI~~ém~oiSre~ ded f~ol"' ~ho~m~m~e~s~.17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)Charles::17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)17 janvier 2012 à 14:39 (UTC)lJ L'ETHIQUE ET LE POLITIQUE POUl' Florence Gauthier (1), la Révolution française est toujours à faire. La meilleure manière de s'en convaincre consiste à revenir aux sources philosophiques de 89. Et à répondre à une question clé : quel est le but de la vie en société 1 Différences : Les valeurs de la Révolution française ont trouvé leurs sources dans la philosophie humaniste du droit naturel. Que peut-on en retenir pour comprendre les problèmes d'aujourd'hui? Florence Ganthier : La philosophie du droit naturel consacre l'émergence d'un droit universel qui ne signifie pas, contrairement à ce qu'on croit généralement, la généralisation de l'oppression. Le système capitaliste, impérialiste et colonialiste s'est réalisé en violation des droits de l'homme. Il y a plusieurs siècles déjà, un homme comme Bartholomé de Las Casa affirme, contre le massacre des Indiens d'Amérique, l'unité du genre humain. Plus tard, avec John Locke (2), la théorie politique du droit naturel se constitue. - Quelle est la place du civique et du politique dans cette conception ? - Ce qui est intéressant à retenir, c'est que dans cette philosophie le politique est subordonné à l'éthique. Le droit naturel est défini comme étant la liberté sous ses deux aspects : la liberté personnelle et la liberté en société. Selon le droit naturel, on est libre en société lorsqu'on obéit à des lois à l'élaboration desquelles on participe. Aussi, tous les gens qui vivent aujourd'hui en France et qui n'ont même pas le droit de participer à l'élaboration des lois sont traités au regard de la philosophie du droit naturel comme des îlotes, c'est-à-dire comme les esclaves de Sparte. - Vous insistez beaucoup sur cette idée de l'antériorité du droit naturel à l 'ordre politique: qu'est-ce que cela signifie? - Dans cette théorie, on ose poser une question de fond : quel est le but de la société ? Et on y répond: c'est la conservation des droits naturels. En somme, la nature de l'homme est conçue ainsi: l'homme est fait pour être libre et la société politique est le moyen, non le but, de la réalisation de cette condition. - Peut-on considérer, comme on le pense généralement, que la Révolution de 89 n 'a été qu'une révolution politique ? - Pas du tout. Il y a eu un vaste débat autour de droit à la propriété. Il y a eu à ce moment-là une accélération de la formation du marché de gros privé de grains, des formes capitalistes d 'échanges plus nettes, qui devenaient intolérables au peuple. Cette politique économique libérale a été analysée par le mouvement populaire et ses représentants comme un despotisme, comme une politique homicide. Sur le plan économique et politique comme du point de vue du droit naturel, cette organisation économique est considérée comme contr.aire aux droits de l'homme puisqu'elle s'en prend à la vie des gens, spécule sur les denr#s de première nécessité. Le droit: est: universel, ou il n 'est: pas Aussi, le mouvement populaire suggère de mettre en place un autre système qu'on désigne par le concept d'« économie politique populaire» par une opposition à l'économie politique tyrannique. Il y a redistribution des terres, ébauche d'une réforme agraire. Le droit à la vie, à la liberté, à l'existence et aux moyens de la conserver rend anticonstitutionnelle système de la liberté économique illimitée. Le mouvement populaire propose la construction d'un programme économique alternatif, ni féodal ni capitaliste, y compris à l'échelle mondiale. Cette histoire, on le voit bien, n'est plus étudiée, elle est occultée parce qu'il est de bon ton d'affirmer que l'économie libérale n'a jamais été critiquée. - Il ne s'agit plus à partir de 1795 de faire la Révolution des droits de l'homme mais de réaliser le système politique des possédants. Le système censitaire est rétabli, et il faut se débarrasser de la philosophie du droit naturel et de la théorie politique qui en découle et qui consiste notamment à interdire toute guerre de conquête, toute oppression d'une autre nation, toute oppression de l'homme par l'homme. Ce processus de révolùtion/contre-révolution ouvert depuis n'est pas achevé. Tout simplement parce que les droits de l'homme ont été tués, massacrés en 1795. - La nouvelle citoyenneté telle que la définissent et la revendiquent un certain nombre d'associations, dont Texture, Mémoire Fertile ou le MRAP, vous parait-elle une manière de poursuivre la Révolution de 89 ? - Oui, j'affirme que la révolution n'est pas terminée. Il faut se battre aujourd'hui en France pour l'universalité de la citoyenneté, pour les Français comme pour les étrangers qui y vivent depuis un certain temps. Il faut, pour le bien général de ce pays, que la citoyenneté passe par la définition d'un nouveau contrat social. Il faut repenser le contrat social qui unit tous ceux qui vivent ici en leur accordant des droits civils et politiques égaux. Le droit est commun à tous, il est universel ou il ne l'est pas. - L'égalité des droits passe-t-elle selon vous, par ce qu'on nomme l'intégration? - Moi-même, en tant que française, je n'ai pas envie d'être intégrée. Intégrée à quoi? Je me le demande. J'ai le droit de refuser cette conception de l'assimilation, quel que soit le terme que l'on veut bien lui substituer. L'identité nationale, tout le monde le sait, ça n'existe pas. Ce sont des rêveries qui servent à occulter les raisons pour lesquelles on vit en société et auxquelles répond la philosophie du droit naturel. Le discours sur l'intégration passe, à mon avis, à côté du sujet. La question fondamentale est celle de l'exercice des droits politiques et de la citoyenneté par tous. 1 - Ce mouvement populaire a été battu. Alors comment analysez-vous les acquis démocratiques de la période révolutionInte",/ ew réalisée par CHERIFA BENABDESSADOK ( 1) Maître de conférences à l'université de Paris VII. A assuré la codirection, avec G.R. Ikn/, de La guerre du blé au XVIIIe siècle, Paris, Ed. de la Passion, 1988. Auteur de Triomphe et mort du droit naturel en révolution, à paraître prochainement. (2) Pbllm.ph, '"~';'. "" .. d. D , ua'" ml, ~~ ______ Charles __ ~ -Charles ______ ~ _n_a_i_re_?__ _____________________________d_ u:g_Ou_v_e_m_e_m_en_t~c~iv~il~, 19Charles,~t ra d~. P an ·s:,~V ri:n,~l:9~77 .~ Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 L'EXCLUSION DES PA Il faut regarder au-delà de la lettre de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aHirme Jean Bart (1). Et voir comment, très vite, l'inégalité des droits a été cautionnée par la loi. Lorsque, au début de l'été 1789, les Etats généraux se transforment en Assemblée nationale chargée de donner à la France une constitution, c'est-à-dire un texte écrit et solennel qui organise les pouvoirs en les séparant, nul ne songe à accorder le droit de vote à d'autres qu'à des hommes, à des hommes adultes et français. Les débats sur le droit de vote se déroulent, à la Constituante, à la fin d'octobre 1789. Dès juillet cependant - avant même la discussion de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - , Sieyès a donné le ton. C'est lui qui semble être à l'origine de la distinction des citoyens actifs et des citoyens passifs. Dans une longue intervention au comité de constitution, il sépare nettement les droits naturels et civils des citoyens et les droits politiques, qualifiant les premiers de droits passifs et les seconds de droits actifs. Et d'ajouter: « Tous les habitants d'un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif: tous ont droit à la protection de leur personne, de leur proprié- (1) Professeur de droit à l'Université de Dijon. QUAND ILS DEFENDENT cc Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré. )} Telle est l'inscription que le fondateur du mouvement ATDQuart monde, le père Joseph Wrésinski, a voulu graver sur l'esplanade du Trocadéro à Paris, dans le marbre du Parvis des libertés et des droits de l'homme et, ajoutait-il, du citoyen. Comment, dès lors, ne pas se demander ce que les plus exclus peuvent gagner à la célébration du bicentenaire de la Déclaration de 1789 1 té, de leur liberté, etc., mais tous n'ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l'état actuel, les enfants, les étrangers, ceux encore qui ne contribueraient en rien à soutenir l'établissement public, ne doivent point influer ac- Depuis deux ans la France dispose avec le rapport Wrésinski (1), d'un programme d'action pour une lutte globale contre la grande pauvreté. Celui-ci afai! l'objet d'une étude approfondie et d'un accord très large au Conseil économique et social. Les plus pauvres s'y reconnaissent. De nombreux hommes politiques y voient une approche et de véritables solutions cohérentes, globales et prospectives. Bien d'autres pays l'étudient. Il est le fruit de trente ans de travail et d'engagement tenaces du père Joseph Wrésinski et des familles les plus pauvres dans le mouvement A TD-Quart monde. L'élaboration d'une loi d'orientation pourrait donner au Bicentenaire le sens d'une mise à jour des droits de l'homme et du citoyen. Elle rappellerait l'exigence de garantir à tous les moyens de particitivement sur la chose publique. Tous peuvent jouir des avantages de la société; mais ceux-là seuls qui contribuent à l'établissement public, sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs, les véritables membres del'association. » per à la vie politique, sociale et associative. Par exemple, il est évident que les citoyens sans domicile sont spoliés de toute une part de leurs droits, à commencer par celui de voter. L'obtention de cette loi d'orientation est aujourd'hui en France l'objectif politique principal du mouvement A TD-Quart monde. Le MRAP s'y associe. A vec lui, plus de 80 associations ont signé un manifeste en ce sens et lancé, le Il février dernier, une campagne publique pour la demander (2). Un autre objectif, d'ailleurs étroitement lié au précédent, est de convaincre la sensibilité et la pensée contemporaines que la misère viole les droits de l'homme. La misère reste en effet souvent classée dans les faits divers. Notre génération est encore marquée par une culture archaïque, parente de celle dans laquelle les esclaves VRES Remarquons au passage que si le célèbre leader du Tiers Etat assimile les femmes et les étrangers .. . aux enfants, il ne rejette pas pour autant définitivement le suffrage féminin. Mais retenons surtout la comparaison de 1'« établissement public », autrement dit de la chose publique ou de l'Etat, à une société par actions, à laquelle certains citoyens seulement peuvent participer, notamment par leurs apports, les autres restant en dehors de 1'« association ». Comment, cependant, tracer la ligne de séparation entre les premiers et les seconds? Quel doit être le critère de la citoyenneté active/passive? étaient réputés n'avoir pas d'âme. L 'homme défiguré par la misère, lui, est considéré comme insensibilisé, fataliste, voire content de son sort inhumain. Ainsi se prolonge la distinction historique entre bons et mauvais pauvres. Cette distinction doit disparaître car elle autorise le déni des droits de l'homme aux plus pauvres. Il faut en parler à l'occasion du bicentenaire de la Révolution. N'est-ce pas parce que la méconnaissance de l'histoire des plus pauvres empêche de comprendrejusqu'à ce qu'ils disent? Les trous de la mémoire nationale et l'ignorance de leur réalité de vie interdisent de parole ces sans-voix d'aujourd'hui. Comment les plus pauvres pourraient-ils faire entendre leur contribution de citoyens s'ils restent privés de leur droit à {'identité? C'est de ce droit que fait partie, pour chacun d'entre nous la possibi- On aura compris, à lire Sieyès, que le critère doit être matériel et quantitatif ; il est constitué par le montant des apports du citoyen à l'association, autrement dit par le montant de ses contributions (le terme va devenir à la mode, pour se substituer à celui, péjoratif, d'impôts) ; seuls peuvent voter ceux qui versent à l'Etat une certaine somme annuelle : un cens qui témoigne d'un certain niveau de revenus. Ceci n'est certes pas du goût de tous les députés: l'abbé Grégoire« redoute l'aristocratie des riches, fait valoir les droits des pauvres, et pense que pour être électeur ou éligible ... il suffit d'être bon citoyen, d'avoir un jugement sain et un coeur français ». Robespierre, quant à lui, déclare: « Tous les citoyens, quels qu'ils soient, ont droit de prétendre à tous les degrés de représentation. Rien n'est plus conforme à (la) déclaration des droits, devant laquelle tout privilège, toute distinction, toute exception doivent disparaÎtre ... » Mais ces voix favorables au suffrage universel sont isolées. En outre, quel que soit le montant de leur imposition annuelle, les domestiques sont privés du droit de vote; ils sont considérés comme trop dépendants de leurs maîtres pour avoir un jugement politique sain et libre. Ainsi, la loi du 22 décembre 1789 définit de la manière suivante « les qualités nécessaires pour être citoyen actif» : 1) être français ou devenu français ; 2) être majeur de vingt-cinq ans accomplis; 3) être domicilié de fait dans le canton, au moins depuis un an ; 4) payer une contribution LES DROITS DEL'HOHHE ••• lité de dire lui-même sa propre histoire, celle de sa famille et celle des groupes auxquels il appartient, donc sa manière d'être de la cité. La citoyenneté des victimes de la crise, celle des immigrés ne progresseront vraiment que si nos associations des droits de l'homme savent rejoindre celles des victimes de cette crise, celles des immigrés dont la qualité d'homme est le plus mise en cause. N'ont-ils pas eux aussi, eux d'abord, le droit fondamental de s'associer en tant que défenseurs des droits de tout homme? Si des hommes sincères et des opinions publiques se lassent parfois de la cause des droits de l'homme n'est-ce pas parce qu'elle apparaît souvent, à tort ou à raison, confisquée aux victimes et réduite à une machine de guerre des rivalités de pouvoir (pays, fractions politiques, ethniques, etc.). Comment éviter cette déna- Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 directe de la valeur locale de trois journées de travail; 5) n'être point dans l'état de domesticité, c'est-à-dire de serviteur à gages ». La Constitution de 91 ajoutera à ces conditions celle d'être inscrit dans la municipalité de son domicile sur la liste des gardes nationales, et d'avoir prêté le serment civique. Les plus pauvres sont ainsi privés de l'exercice des droits civiques, et ils sont assez nombreux pour amputer le corps électoral d'un nombre important de citoyens (2 à 3 000 000 vraisemblablement), soit un peu plus d'un tiers de la population masculine en âge de voter. Cependant, aux yeux des constituants, leur exclusion n'est pas définitive, car les pauvres ont la possibilité d'accéder au droit de suffrage: il leur suffit. .. de s'enrichir. « L'exclusion des pauvres, dont on a tant parlé, n'est qu'accidentelle; elle deviendra un objet d'émulation pour les artisans, et ce sera encore le moindre avantage que l'administration puisse en retirer », nous dit le rapporteur de la loi. Le suffrage universel masculin verra cependant le jour, en même temps que la République, en 1792. On ne distinguera plus alors citoyens actifs et citoyens passifs

tous les hommes de plus de vingt et

un ans pourront voter ... sauf les domestiques toujours frappés du même opprobre. Mais dès 1795 on reviendra au système censitaire et il faudra bien des luttes populaires pour que le suffrage devienne universel. JEAN BART turation ? Pour la première fois, le 17 octobre 1989, le mouvement ATD-Quart monde publiera des témoignages de tous les continents. Beaucoup émanent de personnes très pauvres qui témoignent pour d'autres qu'elles. Tous ces témoins veulent apprendre de ceux qui luttent pour rester des hommes ce qu'est l'immense cause à laquelle ils nous demandent de nous associer. Ce jour-là tout particulièrement, nous voulons rassembler nombreux les défenseurs des droits de l'homme autour de ceux d'entre eux qui subissent la misère, violation des droits fondamentaux indivisibles. Prenons date! Au 17 octobre prochain! CLAUDE FERRAND Délégué général d'ATD-Quarl monde (1) Gronde pauvreté et précarité économique et sociale, rapport présenté au nom du Conseil économique et social par M. Joseph Wrésinski (10 et 11 février 1987), Journal officiel des A vis et rapports du Conseil économique et social 28 février 1987. (2) On peut l'obtenir auprès de la délégation nationale du mouvement A TD-Quart monde, 33, rue Bergère, 75009 Paris. Tél. : 42.46.81.95. ml ! II~ DE L'EGALITE DE. DROITS Depuis deux cents ans, la nation fran~aise a changé, ô combien, d'espace territorial et de composition sociologique. Aujourd'hui, aHirme Yves Benot (1 J, il faut définir d'autres critères que nationaux pour assurer l'égalité des droits. L'étranger existe-t-il ? « Nous sommes tous des étrangers », a déjà répondu l'ingénieur Kawaguchi dans La Cigogne d'Armand Gatti. Autrement dit, il n'y a pas d'étrangers. Sans avoir eu à se poser la question, la foule qui se mettait en mouvement le 12 juillet à la seule annonce du renvoi de Necker ne devait pas penser différemment, puisque la Révolution authentique, celle de la rue, s'engageait ainsi pour la défense d'un ministre qui n'était pas de nationalité française. La seule chose qui pourrait faire problème, c'est que ce point, nullement indifférent, soit toujours occulté dans la Révolution telle qu'on nous l'apprend. Et pourtant, le citoyen qui va exclure l'appellation toute féodale de « Monsieur» (Mon Sieur) ne dépend pas d'une quelconque carte d'identité, nullement du pays où l'on se trouve être né, mais de la fidélité aux grands principes. Mais c'est bien cette même Révolution, dans ses sphères légiférantes, qui commence à délimiter les domaines respectifs du national et de l'étranger. Non pas que l'Ancien Régime n'eût pas su les distinguer, mais les frontières restaient floues et variables. La Révolution, celle des hommes de droit qui sont la majorité dans les assemblées, fait la chasse à l'arbitraire, donc, il lui faut des codes précis. Il est vrai que les définitions du citoyen français, telles qu'on les lit dans les constitutions révolutionnaires de 1791 et 1793 peuvent nous faire envie par leur largeur d'esprit. toyenneté pour tous, sans distinction d'origine, tout comme l'abolition de la distinction entre citoyens passifs et actifs l'a élargi pour le droit de vote. En outre, et en dehors de l'acquisition du droit de citoyenneté par l'exercice de ces vertus que sont l'adoption d'un enfant et l'entretien d'un vieillard, sont aussi citoyens français ceux que le corps législatif juge « avoir bien mérité de l'humanité ». Il y a de quoi s'abandonner à la nostalgie de ces belles formules, de quoi rêver. Et s'il est vrai que, comme çà et là on s'est plu à le rappeler ces temps derniers, la sévère période de l'An II introduit des restrictions, telles que l'exclusion des députés étrangers de la Convention (ils sont deux : Anacharsis Cloots et Thomas Payne), il ne s'agit que de mesures de circonstance, présentées comme telles, et qui ne changent rien à une Constitution réservée pour le moment heureux du rétablissement de la paix. Même après 1789, rien n'est figé ni acquis en matière de droits. En 1871, les communards défendaient l'héritage de la Révolution mis à mal par des années de Restauration et de bonapartisme. Seulement, si larges soient les définitions, elles n'en sont pas moins des définitions, donc des restrictions, et qui travaillent à tracer quelque part une ligne de démarcation au-delà de laquelle on entre dans le vaste domaine de l'étranger, de l'étrange. Certes, et c'est une qualité qui reste actuelle, ces formulations mi-juridiques, mi-humanitaires écartent sans ambiguïté la référence à la trinité du sang, de la terre et des ancêtres qui alimente les haines nationales, les processus d'exclusion - comme on dit aujourd'hui - et plus simplement les fascismes de tout poil. Ce n'est pas rien, et de ce point de vue, il n'est pas inutile de se replonger à cette source, en corrélation avec une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen où la notion même de nationalité ne trouve aucune place. Pour autant, on n'y trouvera pas réponse à nos problèmes du xxe siècle expirant. Car on a beau célébrer la Déclaration des droits de 89 - celle de 93 n'ayant, semble-t-il, pas voix au chapitre, ni celle de 1946, pourtant incorporée dans la Constitution gaulliste - , aujourd'hui, ce n'est pas l'adhésion à la Déclaration, celle que symbolisait le serment civique de la Révolution, qui définit le citoyen. Mais bel et bien toute une série de dispositifs complexes dont la plupart reposent en définitive sur la naissance et la filiation. Quant au principe qui voulait que nul ne paie d'impôts qu'il ne les ait consentis directement ou par ses représentants, il est ouvertement bafoué quand le fisc s'en prend à des non-citoyens, autrement dit à ces travailleurs immigrés dont la présence change les données de la question. Dans La réforme intellectuelle et morale en France, livre infâme, publié dans le climat de l'infamie du massacre des communards, Renan écrivait en 1871 que « La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre ... La conquête d'un pays de race inférieure par une race supérieure, qui s'y établit pour le gouverner, n'a rien de choquant. »Mais la colonisation directe, à longue distance, peut aussi être remplacée par la fabrication de colonies à l'intérieur ; les Etats-Unis, au temps même de Renan, pratiquaient déjà la méthode avec leur population noire. D'ailleurs, sur sa lancée, Renan constatait, sans y trouver à redire, que la France fait « exécuter toutes ses besognes pénibles, exigeant de l'application, par des étrangers» (en fait, pas plus de 350000 approximativement en ces années-là). Or, tous les grands pays industrialisés de nos jours ont systématiquement développé cette forme de colonisation à l'intérieur par l'importation de travailleurs immigrés, à la fois pour diviser la classe dangereuse des ouvriers et pour ratisser de meilleurs profits, aussi pour disposer de gens que l'on pensait pouvoir renvoyer chez eux quand le besoin s'en ferait sentir, enfin pour avoir des non-citoyens à moindres droits que les autres. Légalement, ces millions de travailleurs - parmi lesquels il y a aussi des travailleurs intellectuels - demeurent des étrangers, quels que soient les détours oratoires dont on prétend envelopper cette réalité. Mais alors, il faut en venir à ce que l'on appelait la nation. Car la nation et sa souveraineté dans la Déclaration de 89, c'est bien l'ensemble du peuple par opposition aux privilégiés parasites et aux monarques avec leurs ministres et serviteurs; en d'autres termes, l'ensemble des forces vives et productrices, non pas spécialement en France, mais de tout peuple. Mais alors, est-ce que tous ceux qui travaillent, c'est-à-dire, produisent des richesses dans un lieu donné, ne devraient pas avoir les mêmes droits de citoyens? Sur tous les plans, y compris politique, cela va de soi. Ils ne sont ni des saisonniers ni des touristes. Ni de ces millionnaires qui peuvent, sans doute pour rester dans les limites de l'Hexagone, se payer un appartement avenue Foch ou une villa de luxe sur la Côte d'Azur, et y séjourner autant qu'ils le désirent, sans que les inconvénients des discriminations légales ou illégales viennent les déranger. Ce n'est pas moi, c'est un ouvrier algérien parlant dans la commission du droit de vote au colloque du MRAP en 1984 qui s'écriait: « Je ne suis tout de même pas, dans ce pays, un étranger de la même manière qu'un touriste riche qui passe quelques jours dans un palace. »Une telle exigence d'égalité est la seule qui soit conforme aux principes de 89 pris dans leur sens littéral et dans toute leur extension. Ils n'ont pas prévu, certes, l'immigration massive, permanente, et devenue un élément essentiel du bon fonctionnement du système capitaliste. Mais le thème général n'en reste pas moins valable. La condition des immigrés aujourd'hui est une inégalité tout aussi flagrante et inadmissible que celle de la roture en 1789. Ils n'ont, disent certains, qu'à se faire naturaliser. Mais cela, c'est leur affaire, non celle de la loi. Cela soit dit, sans même tenir compte que ce n'est pas non plus si facile de se faire naturaliser. Les droits des immigrés, ils les ont acquis par leur travail ici et depuis tant d'années. Quoi, voteront-ils, demandet- on avec un effarement, vrai ou feint? Les mêmes ne voient pas d'inconvénients à ce que votent quelques personnes qui professent ouvertement des idéologies racistes ou fascistes contraires aux lois existantes. Pour toutes les élections? Pourquoi non ? ils sont bons pour tous les travaux, y compris pour ceux qui sont dangereux et malsains. Ce serait un autre type de nation, dira-t-on enfin. Et pourquoi pas, si ce type-là cor- DELICATESSEN POUR HOMME - FEMME - ENFANT 69. AV. DE WAGRAM 75017 PARIS - 42273479 ARTICLES - CADEAUX ••• OOUI ••• I. SERVIETTES - PORTE-DOCUMENTS GROS 1/2 GROS MICHELER Soc"" Anonyme au Caplta' de 200.000 Francs 70, RUE DU TEMPLE, 75003 PARIS r6l. : 887.72-11 Imprimerie - Papeterie s. PICARD Ch. PICARD Successeur SPIlCIALITIl DE REGISTRES TIMBRES EN CAOUTCHOUC To!Uphone 4770 26 17 SIRET 571108 318 00017· C.C.P. PAJ.lS U.694-20x En 1791, un étranger résidant en France depuis 5 ans qui y a « acquis un immeuble ou épousé une Française ou formé un établissement d'agriculture ou de commerce» a les droits de citoyens pour peu qu'il prête le serment civique. Certes, les objectifs bourgeois sont visibles à l'oeil nu dans cet article qui ignore superbement les salariés ou domestiques. Mais enfin, tel quel, si on l'appliquait aujourd'hui aux petits épiciers « étrangers» établis en France? En 1793, on va plus loin, car cette fois, non seulement, il suffit d'une année de résidence, mais surtout, la formule « tout étranger ... qui vit de son travail », élargit le champ de la cirespond à la réalité nouvelle? S'il est devenu une condition ( 1) Enseignant et Journaliste, auteur de La Révolution française de l'égalité! J9, Rue du Faubourg Poissonnière, 75009 PARIS m ~~e~t~la~f~ln~d~es~c~o~lo~n~l~es~.~E~d~.~La~D~é~co~u~v~e~rt~e __ ~t ______________________________________ ~Y~V~E~S~B~ECharlesO~T~ __ ~::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::~ , Différences - N°87 - N° spécial - Mars 1989 DU DROIT NATUREL A LA DEMOCRA TIE Jeune sociologue issu de l'immigration et militant associatif, Saïd Bouamama (1) se méfie du droit naturel. 1/ défend le concept de nouvelle citoyenneté qu'il voudrait voir inscrit non seulement dans la législation française, mais aussi dans le droit international. Vaste programme. L a définition de la nation donne lieu entre 1789 et 1795 à un conflit ouvert entre les différents courants républicains. Les conceptions robespierristes basées sur l'idée de corps politique et celles de Danton sur l'idée de nation-territoire s'affrontent. Napoléon Bonaparte dont le règne symbolise le passage à l'Etat impérialiste, sanctionne définitivement, en 1804, la victoire de la conception territoriale, juridique et close de la nation. La citoyenneté devient nationalitaire. Ou encore, la nationalité donne le moyen juridique et légal de fabriquer des privilèges et des exclusions. L'étranger n'a plus le droit de choisir entre les différents protagonistes des luttes sociales, mais entre la naturalisation et le statut juridiquement légal d'exclu. L'ensemble des polémiques entre jus soli et jus sanguini ne concerne plus l'accès à la citoyenneté, mais uniquement l'accès à la nationalité. Le projet de réforme du Code de la nationalité de 1986 et les débats qui en ont découlé indiquent en quoi rien n'a vraiment évolué depuis deux siècles sur cette question. La nationalité est encore aujourd'hui le seul moyen d'adhérer à la nation, et ce faisant, d'acquérir des privilèges. Il est significatif, à cet égard, que le terme choisi ait été naturalisation (rendre naturel) et non nationalisation (rendre national), marquant ainsi la prééminence sur la nation politique de la nation naturelle qui correspond à une vision chauvine, voire raciste. Les révolutionnaires de 1789 devaient trouver une nouvelle base de la légitimation du pouvoir politique qu'ils mettaient en place. Ils l'ont cherchée dans l'idée d'un ordre naturel duquel découlent des droits naturels pour chaque homme. L'objectif de la Déclaration des droits de l'homme est de rendre explicites et inviolables ces vertus naturelles en les intégrant dans la Constitution. La philosophie des droits naturels pose problème dans la mesure où la nature, comme les hommes qui en font partie, n'est ni figée ni constante, mais en perpétuelle évolution. Les droits ne peuvent être ni naturels, ni éternels, mais ils évo- ( 1) PrésIdent de Mémoire fertile, agir pour une nouvelle citoyenneté. luent au rythme des transformations de la société. Les droits sont sociaux ou ne sont pas. Aussi, en 1789, les droits naturels sont de l'ordre de la garantie (protection de l'Etat) et non de la participation politique (participation des citoyens au pouvoir de l'Etat). Les droits naturels font aboutir la définition de la nation comme conglomérat d'individus isolés, sans classes sociales, sans minorités culturelles, sans communautés distinctes. L'unité de la nation se superpose à une unicité culturelle et politique. Cette vision totalisante est le fruit d'une démarche totalitaire niant les divergences d'intérêts, les conflits de classes sociales et la pluralité culturelle. Le seul cri-tère capable de nourrir une nouvelle ci-toyenne-té : la résidence La théorie de la volonté générale de JeanJacques Rousseau légitime cette vision de la démocratie, ne prenant en compte que des individus considérés d'emblée comme égaux. Rousseau opère une distinction en deux catégories: l'homme et le citoyen. Ainsi, l'être humain se trouve sollicité comme tel dans sa vie privée et comme citoyen dans la sphère publique. La citoyenneté française ne pouvait dès lors que privilégier une citoyenneté individuelle, niant totalement la citoyenneté collective, laquelle renvoie nécessairement à la réalité sociale, aux groupes sociaux, aux structures économiques, aux diversités culturelles. Les conséqt:ences de ce processus sont très prégnantes aujourd'hui et pèsent lourd dans les mentalités collectives. La citoyenneté française comporte ainsi certains traits qui vont à l'encontre de la démocratie : • La citoyenneté nationalitaire. Les étrangers peuvent bénéficier des droits de l'homme abstraits, mais en aucun cas des droits du citoyen. Pour cela, il faut se naturaliser. • La citoyenneté capacitaire. Le principe est le suivant: seuls les personnes capables de saisir la« volonté générale» pourront avoir accès à la citoyenneté. Les autres doivent au préalable être éduquées. Ce qui a permis dans le passé d'exclure de la citoyenneté les ouvriers, les femmes, les colonisés, et, aujourd'hui, les étrangers du droit de vote. • La citoyenneté unicitaire. La diversité culturelle des régions (et aujourd'hui de l'immigration) n'est pas reconnue. • La citoyenneté individuelle. La participation du citoyen au pouvoir politique se limite à son rôle d'électeur. En remettant en cause le lien entre nationalité et citoyenneté, les populations immigrées ou issues de l'immigrationxévèlent donc des questions qui concernent l'ensemble de la société française. Les mentalités collectives, l'imaginaire politique et les institutions ont été forgés pendant deux cents ans sur la base de cette citoyenneté nationalitaire. Le « droit des étrangers» est ainsi élaboré sur des principes contraires à la notion de droits inaliénables. Exemples: • Le principe de territorialité. Certains droits ne s'exercent que s'il y a présence sur le territoire français. Ainsi, les immigrés qui cotisent pour les droits sociaux sont privés de ces droits lorsque leurs familles habitent encore le pays d'origine. Le principe de territorialité attache les droits au sol et non à la personne. • La fonction publique nationalitaire. Dans la citoyenneté nationalitaire, la cité est abstraite. Le quartier, la commune, le département, l'école ... ne sont considérés que comme de simples subdivisions d'une entité supérieure qu'est l'Etat. Etant exclus de la citoyenneté nationalitaire, les étrangers sont exclus de la fonction publique. Le seul critère qui permettrait les exclusions et de nourrir une nouvelle citoyenneté est le critère de résidence. Le véritable combat est de faire rentrer la citoyenneté dans le droit international, un droit qui deviendrait exerçable en tout lieu où habite durablement un citoyen. 0 SAïD BOUAMAMA OUNSIET L'E NVERS DU DECOR Dans un style volontairement lyrique, le chanteur MoulISi raconte un épisode de sa propre histoire. Nanterre et les événements de 1966 lui servent de toile de fond, mais aussi les marches pour J'égalité et les yaleurs de 1769. L e verlan d'Arabe donne Rebeu, lequel à son tour devient Beur. L'expression a fait fortune pour une autre raison. Elle a été utilisée par la presse, d'abord avec guillemets, puis sans guillemets, enfin, par les grands médias. Il me semble aujourd'hui que, pour certains, le vocable « Beur» permet d'éviter ce qu'il pourrait y avoir de compromettant ou de compliqué dans « Arabe ». Si je vous en parle, c'est que je viens de l'envers des mots. Lorsque surgit la marche de 70 000 jeunes sillonnant la France, acclamée sur les routes pour venir mourir à l'Elysée, ce fut une révélation pour toute la société. , Ils ont marché avec la volonté peu '" commune que donne la naïveté, un peu comme ceux de 1789 l'avaient fait et, pour les stimuler, c'était bien cette image qui les habitait. Allait-on prendre en compte leurs aspirations: la forma- A Nanterre où je vécus, dans un décor tian, l'emploi, l'école, le logement, une de terrains vagues, de chemins boueux, participation plus active aux affaires de de lotissements de bois, hommes, femla cité, le droit de vote aux immigrés? mes, enfants étaient entassés là. Ce fut une désillusion parce que les Nous étions donc là, quelques adolesidéaux de 1789 qui étaient dans les tê- cents, bruns et basanés, comme sous tes des Beurs ne leur étaient pas desti- les tropiques, quand s'est soudainenés. Ils allaient servir d'autres intérêts. ment manifesté un phénomène mysté- Mon but n'est pas de dénoncer les rieux dont certains éléments restent mystifications ou de décerner des di- conservés en ma mémoire. Nous preplômes de morale, mais plutôt de com- nions pour la première fois contact prendre. Et pourtant, le Citoyen nou- avec les « maoïstes» de la« Cause du veau ou le Nouveau Citoyen était là, dans cette foule, au sein de cette géné- Peuple ». Je crois me souvenir que ce ration en état de légitime différence, rapport fut pour eux une expérience dans ce pan d'histoire commune où semblable à celle offerte à l'ethnologue nous avons appris sur le terrain des découvrant le fragment d'une société droits de l'homme à affronter les affi- indigène et primitive. nités et les diversités. Je renonce toutefois à vous narrer mille Je ne sais plus qui disait« c'est la mar- petits détails pittoresques, car ge qui tient le cahier ». quelques-uns parmi ces explorateurs l'aimerais retracer la ligne de cette sont depuis devenus directeurs de marge dont je suis issu. grands quotidiens et peuvent servir à Je pense parfois à tous les flux migra- la promotion de ma jeune et talentueutoires qui ont suivi, ici ou ailleurs, les se carrière d'artiste lyrique. Mais je les chemins de l'influence coloniale des , revois, le visage illuminé, le teint cianciennes puissances européennes. reux, le regard charbonneux, les che- Eux, étaient en quelque sorte déjà Eu- veux longs qu'ils portaient sur les épauropéens. Mon père, lui, était dans la les et la barbe également qui poussait modernité absolue de ce pays; il tra- dans tous les sens, aux quatre vents, et vaillait sur les chaînes des temps mo- le bérêt à large bord, à l'image de Che dernes. L'avantage que j'ai, en ce qui Guevara. 'concerne la culture, c'est que, contrai- - Tu connais Karl Marx? fit J'un rement aux cultivés, je n'ai pas à l'ou- d'eux. sumé juif, étranger ou anarchiste. Nous pensions, pauvres de nous, à l'énumération de ces noms,qu'i! s'agissait.là de fausses identités données par quelques copains des cités à la suite d'un mauvais coup. Nous vérifiâmes tout de suite ... - Il crèche à quelle cité, ton lascar Karl Marx? demanda Farid Lachouma surnommé« Le dernier des Mohicans » et qui était un singulier personnage. - C'est des keufs ces queumés, murmura Madjid, les yeux expressifs et les lèvres déformées par un rictus mobile, l'te l'dis moi qu'c'est d~s keufs, ajouta-t-il discret, se tournant vers moi. C'est ainsi que nous prîmes, en ces temps troublés de l'après-Mai 68, des révolutionnaires, animateurs d'ouvrages de synthèse dont l'ample dess~in restai( au service du sous~prolétariat, pour des inspecteurs de la brigade des mineurs. l'ai mis trente ans pour passer de la page des faits divers à la page des specta~ cles. Un artiste n'est pas un mythe, c'est aussi un citoyen, un individu conscient, qui sait qu'en s'exprimant il est, qu'il le veuille ou non, un instrument de mesure d'un monde en pleine mutation. Il est dàns le monde, et son interprétation à un sens. Il est juste entre « la » et « le » politique et, bien sûr, cela implique en lui un processus contradictoire, car en politique, il n'y a pas de transcendance possible du réel. Je n'ai jamais vécu dans un rapport ré· fléchi avec l'art, mais dans une espèce de sensation qui me venait du hasard et me touchait toujours d'une façon inattendue. C'est ce que je nomme l'émerveillement des naïfs, qui n'a rien à voir avec le goût raÎfiné des esthètes. Tout ce que l'on perd chaque jour dans le quotidien, on le retrouve dans le signe d'un artiste; et c'est là que commence le mystère, dans ce moment de vie intense où tout ce que l'on ign'ore de soi et des autres nous apparaît soudain avec force. Je vous remercie d'avoir écouté mon délire tremens, et souvenez-vous qu'il faut boire pour illuminer, fusse l'Evian de nos accords . blier étant donné que je ne l'ai jamais ..,. Et Lenine ? dit un autre. L:: P O SS é dé e . :- E t T fO t Sk y ? , ré p o n d it I 'é C h:O P:f é- :::: " O U N . 'SI ~mi Différences - N°87 - N° spécial - Mars 1989 HELENE DELA VAULT:rcAVEC PLAISIR" • •• Des chansons réalistes, pathétiques ou frivoles, des musiques graves ou légères : Hélène Delavault évoque avec originalité et sensibilité deux siècles de révolutions. Son récital, la Républicaine trace de subtiles correspondances à travers les époques. Pas de frontière pour l'émotion. Sur un panneau, dans le grand hall de la faculté de droit, rue d'Assas, un groupe d'extrême droite lance un appel: « Libérez nos camarades ! » Il s'agit des trois « royalistes» inculpés et écroués pour avoir agressé Hélène Delavault pendant son spectacle La Républicaine, le 6 janvier aux Bouffes du Nord. Parce qu'elle ravive avec talent et humour, les valeurs de la Révolution, la chanteuse fut jetée à terre, frappée et « gazée» - dixit Le Pen, toujours prompt à détourner le contenu des mots chargés d'horreur par le nazisme. « En 1789, en prenant la Bastille le peuple a pris la parole. On a chanté dans les cafés, dans la rue et même à l'Assemblée nationale. Il y a eu une jubilation à célébrer l'actualité à se moquer de la cour. A vant, on était emprisonné pour cela. » Tâche délicate que de choisir des chansons révolutionnaires parmi des milliers de textes. Surtout lorsque l'on souhaite donner un panorama non pas de la Révolution, mais des révolutions, sans oublier les différents protagonistes de ces moments intenses dans l'histoire des hommes. Si Hélène Delavault chante de manière privilégiée les exclus de l'histoire, ici ou là, ceux qui revendiquent le droit à la parole et à la dignité, elle n'a pas négligé les membres de la famille royale, les aristocrates ... ni même Marie-Antoinette. Amusantes sont en effet les divagations poétiques de la reine. Evocatrices dans le même temps du rôle que jouait la cour. Hélène, la républicaine, vêtue de rouge dans une ambiance bleu infini, s'offre sa révolution. « Je n'écris pas, mais j'ai aimé créer des liens, faire des clins d'oeil. C'est ce qui a guidé mon choix dans la profusion des chansons. Dans la seule année 1794, 701 chansons ont été imprimées ! » A vec finesse et humour, elle a associé les genres, textes ou musiques. Une chanson drôle et satirique sur les noms des premiers députés : Couffé, Menu, Menon, Tonnerre,. Legras, Allard, Cochon, De Lagne, Praze, De Prez, Beaupère, Barbie ... répond ainsi à une seconde, critique et antirévolutionnaire, sur ces mêmes députés. La Révolution en vaudeville qui ironise sur l'assemblée met à jour le côté hautain et méprisant des aristocrates ( Il s'en trouve chez eux qui ne pourraient donner leur nom, pour amuser la canaille, tous ceux qui n'ont ni sous ni maille »). Dans l'année 1794, 701 chansons on. é.é ÏID.prÏID.ées ! La romance de madame Cléry (épouse du valet de chambre de Louis XVI) montre les revers et les horreurs de la guerre. Elle précède Der Soldat de Robert Schuman, chanson réaliste d'un soldat obligé de tirer sur un ami. « L'ironie et la légèreté n'empêchent pas de montrer la complexité des problèmes. La Révolution, ce n'est pas seulement des idées abstraites. Des gens sont morts et pasforcément des salauds. C'est une question pas résolue: est-il indispensable de tuer pour faire la révolution? "La Républicaine" n'est pas Répondant à la lettre de solidarité que lui avait alors adressée Albert Lévy, Hélène Delavault écrit: « Je suis en tournée en province pour toute l'année avec La Républicaine. Je continue à chanter avec plaisir, ce qui est la meilleure réponse que je puisse faire aux nostalgiques de la tyrannie. Heureusement, je vois qu'il y a beaucoup de monde avec nous. Vive donc la République, même si elle est toujours à faire ( ... ). Je vous souhaite beaucoup d'énergie et de succès dans les combats que vous menez, en 1989 et toujours. » un spectacle militant ou simpliste. C'est un spectacle tout simplement humain », commente la cantatrice. La voix et le talent d'Hélène Delavault transcendent de façon magnifique le lyrisme des chansons. Résultat, une prestation à la fois légère et bouleversante. Les arrangements musicaux d'Yves Prin ajoutent en profondeur et en humour ; les instruments sont tour à tour romantiques, pathétiques ou revendicateurs. Dans le récital, tous les styles sont mélangés. Un menuet est par exemple associé à une chanson de Brecht (diffusée en Tchécoslovaquie en 1968). « Je n'ai pas de vénération pour l'art. On peut chanter Chopin en français, le spectacle doit être avant tout agréable. Le plaisir est trop souvent suspect, aujourd'hui, sous des prétextes intellectuels, pense la chanteuse. L'art c'est avant tout le domaine de l'émotion et du sentiment. Et l'émotion fait avancer la pensée. » Hélène Delavault s'amuse aussi avec les textes de Maurice Boukay ( des pissenlits, frères germains du prolétaire, on vous écrase il faut vous taire »). Deux siècles plus tard beaucoup de chansons de l'époque paraissent exaltées et emphatiques, voire ridicules. Comme par exemple la prise de la Bastille ( Quelle étonnante merveille frappe aujourd'hui l'univers »). L'ironie permet de dépasser le premier degré des textes. La Marseillaise bacchique, sur un air d'accordéon est irrésistible. Et pas plus francofrançaise, que ' le reste du spectacle. La Pologne, Cuba, la Tchécoslovaquie: la Républicaine n'est en effet pas une prestation « bleu, blanc, rouge» . La chanteuse n'a pas voulu exalter la gloire française, mais bien des idéaux de droits et de liberté. « Lefondement de la République, c'est que l'homme devienne sujet et donc citoyen. Il est important de rappeler qu'en France et dans le monde tout n'est pas résolu ni l'esclavage terminé. »( Vous êtes Noirs mais le bon sens, repousse un préjugé funeste. » La liberté des Nègres, 1794). Hélène Delavault évoque avec éloquence le mépris dont les femmes sont victimes depuis si longtemps et sa chanson Fille d'ouvriers est belle et émouvante. ( Du matin au soir ça turbine, chair à travail ... pour deuxfrancs ça fait la culbute, chair à trottoir ... ») « Ce spectacle m 'a fait prendre conscience du statut de l'artiste et réfléchir à sa fonction au-delà des honneurs et des applaudissements. Aujourd'hui, le citoyen français ne va plus en prison pour une pièce de théâtre ou des chansons. Mais il existe encore des dictatures. Des hommes et des femmes payent par la torture et la mort leur attachement aux droits de l'homme. Il y a encore beaucoup à faire. » LAURE LASFARGUES La Républicaine, mise en scène Jean-Michel Rateux. Disque compact Olt cassette chez Chant du Monde. Le 18 mars: Fontenay-aux-Roses. En mai: le 9 Villeneuve-d'Ascq, le JI Angers, le J8 Angoulême, le 19 Poitiers, le 20 le Mans, le 25 La Rochelle, le 27 Foix. LA LIBERTE DES NEGRES Piis - /794 Air: « Daignez m'épargner tout le reste » Le saviez-vous, Républicains, Quel sort était le sort du nègre? Qu'à son rang, parmi les humains Un sage décret réintègre; Il était esclave en naissant, Puni de mort, pour un seule geste ... On vendait jusqu'à son enfant. Le sucre était teint de son sang, Daignez m'épargner tout le reste .. .(bis) De vrais bourreaux, altérés d'or, Promettant d'alléger ses chaînes, Faisaient, pour les serrer encor, Des tentatives inhumaines. Mais contre leurs complots pervers, C'est la nature qui proteste Et deux peuples, brisant leurs fers, Ont, malgré la distance des mers, Fini par s'entendre de reste. (bis) Tendez vos arcs, nègres marrons, Nous portons la flamme à nos mèches, LA REVOLUTION PAR LES CHANTS La lecture des textes des chansons de la Révolution procure une joie profonde à tous ceux dont le coeur sensible peut être ému par le rappel d'idées généreuses et profondes du siècle des Lumières. Nous ne sommes pas loin, à la fin de ce premier semestre de 1789 - période où Thomas Rousseau a écrit sa chanson La Déclaration des droits de l'homme - du moment où le Chevalier de Boufflers, gouverneur du Sénégal, avant d'être académicien, se déclarait satisfait d'avoir vendu 30 000 Noirs par an (le trop fameux bois d'ébène) à destination des différentes Antilles, d'Amérique du Sud, de Louisiane. Dans cette chanson, Thomas Rousseau veut que des droits inaliénables soient reconnus« en France comme au Paraguay» et il dit aussi: « Oui, tous les hommes sont égaux. » Cette lutte pour que des conditions de vie dans la dignité soient données à tous les êtres humain est difficile; des villes comme Bordeaux et Nantes ont accumulé d'énormes richesses; et parmi les êtres qui ont mené ce combat, il faut citer Olympe de Gouges qui a écrit en 1784, une pièce intitulée L'Esclavage des noirs, où elle met en lumière les cruautés exercées par des « maîtres féroces »sur des malheureux Africains, et veut éveiller « la bienveillance sur ces déplorables victimes de la cupidité ». Comme elle part de nos canons, Que la mort vole avec vos flèches. Si des royalistes impurs, Chez nous, chez vous, portent la peste, Vous dans vos bois, nous dans nos murs, Cernons ces ennemis obscurs, Et nous en détruirons le reste! (bis) Quand dans votre sol échauffé, Il leur a semblé bon de naître, La canne à sucre et le café N'ont choisi ni gérant, ni maître. Cette mine est dans votre champ, Nul aujourd'hui ne le conteste, Plus vous peinez en l'exploitant, Plus il est juste, assurément, Que le produit net vous en reste. (bis) Américains, l'égalité Vous proclame aujourd'hui nos frères. Vous aviez à la liberté Les mêmes droits héréditaires. Vous êtes noir, mais le bons sens Repousse un préjugé funeste ... Seriez-vous moins intéressants, Aux yeux des Républicains blancs? La couleur tombe, et l'homme reste! (bis) Cette lutte est d'autant plus difficile à mener que le racisme n'est pas conscient pour bon nombre de gens: les esclaves ne sont pas des êtres humains, puisque ces derniers sont libres par nature. Les Ecritures invitent à mettre l'esclave à l'ouvrage et s'il n'obéit pas, « mets-le aux fers ». Dans une chanson de Sallé : Les Voyages du bonnet rouge, ce bonnet est le symbole de la liberté, « partout, il va briser les fers .. . L'esclave, enfant de Mahomet, libre en recevant ce bonnet va frapper ses despotes ... Enfin de Paris au Japon, de l'Africain jusqu'au Lapon, l'égalité se fonde ». Et l'auteur prophétise que le bonnet de la liberté fera le tour du monde. Il ne faut pas oublier La Liberté des nègres parue en février 1794, écrite par Piis, ni La Réunion du blanc au noir, du citoyen Albert (ces deux chansons ont été publiées dans L'Histoire de France par les chansons, de Pierre Barbier et France Vernillat) qui marquent que les grands rêves ne sont pas près de s'éteindre, puisque de 1794 à 1802, la vente d'esclaves sera théoriquement interdite, mais il faudra attendre 1848 pour qu'elle soit supprimée. GEORGES ET GINETTE MARTY Auteurs de Dictionnaire des chansons de la Révolution 1787/ 1799 - Ed. Tallandier Hélène De/alfau" dans La Républicaine. Différences - N°87 - N° spécial - Mars 1989 j 1 , EACTIDNNA ILS LE RESTENT, ILS HAïsSENT LA GUEUSE. EN CETTE ANNÉE MÊME DU BICENTENAIRE, INTÉGRISTES DE TOUS POILS, NAZILLONS, EXTRÉMISTES DE DROITE ET NOSTALGIQUES DE I!ANCIEN RÉGIME SE RETROUVENT DANS LA RÉACTION ANTIRÉPUBLICAINE. FASCISME CONTR E EVOLUTION L'idéologue nazi Alfred Rosenberg prononce en novembre 1940 une conférence devant le tout-Paris de la collaboration. Germaine Willard ( 1) analyse l'argumentaire du fascisme anti-B9. P eu de révolutions ont eu, dans l'histoire contemporaine, une influence, aussi profonde et durable que la Révolution française. Car, pour l'emporter, la bourgeoisie révolutionnaire dut montrer - dans les idées comme dans l'action - une audace, une intrépidité, une créativité qui donnent à la Révolution une fécondité historique exceptionnelle. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen constitue sans doute l'exemple le plus significatif de cette influence. «Acte de décès de l'Ancien Régime» (Aulard), ses articles successifs sont la condamnation précise et concrète des aspects de l'Ancien Régime dont la bourgeoisie entreprend alors la destruction. Mais cet acte révolutionnaire prend la forme positive de la référence à des principes fondamentaux, valables pour tous les hommes, en tout lieu et en tout temps. De même, l'insurrection du 14 juillet 1789, destinée à briser la résistance du roi et des privilégiés, est justifiée au nom d'un des « droits naturels et imprescriptibles» : celui de « la résistance à l'oppression ». Ainsi, les Principes de 1789 dont Goebbels que et ouvrier qui émerge à partir de 1848 s'éclaire au phare de l'an II et de la période jacobine. Bientôt, Jaurès évoquera les potentialités contenues dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, pour la classe ouvrière et le mouvement socialiste. Dans les années qui précèdent la Seconde guerre mondiale, la référence à la Révolution française prend une dimension nouvelle. Contre le danger fasciste intérieur et extérieur, le mouvement démocratique et patriotique réactive le souvenir des grandes luttes menées autrefois pour la liberté et la défense de la nation; il se réapproprie, symboliquement, la Marseillaise. La Révolution française apparaît ainsi dans l'histoire contemporaine comme l'événement fondateur de la démocratie, dont l'héritage alimente sans cesse la combativité des forces de progrès. Tout mouvement résolu à briser ces forces doit s'attaquer à l'héritage révolutionnaire; en premier lieu, le mouvement que Georges Politzer appellera «la contre-révolution du xxe siècle », c'est-à-dire le nationaldénonce socialisme. l'article premier ( Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ») est la base fondamentale, vont devenir une référence universelle. Il est bien connu que, dans toute l'Europe du XIxe siècle, courants et mouvements émancipateurs les invoquèrent en même temps qu'ils s'appuyaient sur l'expérience révolutionnaire. Symbolique est le destin de la Marseillaise

exprimant la détermination

et l'héroïsme d'un peuplecitoyen défendant sa nation révolutionnée, elle est reprise par tous les mouvements progressistes (nationaux, libéraux, démocratiques) et ponctue les assauts révolutionnaires, y « les gerID.es ID.orbÏdes » L'Allemagne nazie est le pays où l'entreprise de liquidation de l'héritage révolutionnaire a été poussée le plus loin. Pour atteindre ses objectifs essentiels - en premier lieu écraser le mouvement ouvrier et démocratique - il lui fallait annihiler toutes les institutions qui pouvaient permettre à ce mouvement de s'exprimer et de s'organiser; il fallait exclure impitoyablement de la société les hommes qui refusaient l'ordre nouveau. Mais, pour conduire jusqu'au bout la liquidation des acquis démocrade 1789, Rosenberg la « populace jacobÏne au t:eÏnt: :foncé », 1VI:ussolÏnÏ pose le :fascÏsID.e en ant:Ït:hèse des « prÏncÏpes de la Révolut:Ïon » compris celui d'octobre 1917 en Russie. En France, l'héritage demeure si vivant qu'il se trouve au coeur des grands affrontements qui marquent l'histoire du pays. Les acquis de la Révolution sont obstinément mis en cause par les forces les plus réactionnaires se réclamant des principes inégalitaires, autoritaires, monarchiques d'avant 1989. Ainsi, se maintient en France un mouvement qui se situe dans la ligne de la contre-révolution, et que représente bien, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l'Action française. Au contraire, le mouvement républicain proclame hautement sa filiation directe avec la grande Révolution. La Ille République, notamment par l'école, développe, dans le peuple français, la connaissance et l'exaltation de la Révolution française. Les nouveaux courants, qui apparaissent en rapport avec les transformations de la société, puisent aussi aux sources de la Révolution. Ainsi, le mouvement démocrati- Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 tiques accumulés et développés dans la lutte depuis des générations, il fallait en extirper la racine originelle: l'oeuvre de la Révolution française. Le national-socialisme se mobilise d'autant plus contre elle que les Allemands sont l'un des peuples où la Révolution a eu le plus d'échos, nourrissant en particulier ce grand courant humaniste que doit détruire le gouvernement hitlérien. Dans le discours fasciste, l'injure est rituelle à l'égard de la Révolution française. Elle revient en leitmotiv dans les grands prêches de Nüremberg ; Goebbels dénonce les « germes morbides de 1789 » et affirme, comme Mussolini, que le fascisme « représente l'antithèse de tout l'univers des "immortels principes" de 1789 ». La doctrine nazie se présente en effet ( 1) Agrégée d'histoire, vice-présidente du Musée de la Résistance nationale L4tohscurantisme au XX e siècle RAMEAU Le d.isèours que M. Rosenberg est venu prononcer à Paris en novembre ckrnÎer, et qui fut pUblié sous les titres « Sang et Or :. et C Règlement de compte. avec les idées de 1789 », était destiné à produire . ur nous une très grande impression. C'est pour la première fois, en somme, que les mystères de la Rassenseele étaient révélés directement à ru.age cksFrançais dans le cadre solennel et $ymbolique, du moins on le croyait, de la saUe des séance de la Chambre des Députés. Et ·les Françaia devaient éprouver ou, selon la terminologie de M. Rosenberg c ,erleben ' , « vivre ), non p 15 simplement l'étalage de la force, mais la pui,sallce de l'idée. Ils devaient- retirer du discours de M. Rosenberg cette c~viètionque le « Règlement de comptes avec les idées de 1189 :. n'était pas uniquement le nom donné à .la destruction de la dimocratie pa·r la force. mais l'avènement d'une idi-ologie « supérieure» ; qu'il,. avait au fond du racisme hitlérien que M. -Rosenberg appelle « l'idéo .. logie du xx- siècle :.. des vérités autrement vraies que ceUes que nous avons PUÎtées dans les E$sais. d.an~ le Discours Je la Méthode, dans les P,.ooinciales, dans l'Encyclopédie et, d'une manière plus générale, dans la .oence et dans la philosophie; que les pompes et les décor$ dt) 'rad.me nOU$ introduisaient dans l'intimité de penseurs autrement grand, et vrais que ces Montaigne, Descartes. Pascal. Voltaire, Rousseau. d'Alembert, Diderot, Hegel, Karl Marx et autres « penseurs exaltés » qui ne doivent, en 6n ~ compte, leur réputation surfaite qù'à l'habileté diabolique des FrancsJMaçon.s et des Juifs. Et la tribune de-Ia Chunbre des Députés devait appafaÎtre aux 'Français comme un nouveau Mont Sinaï d'oùM. Rosenberg leur révèle, par magnanimité, au son des 'fret et aux accents du Horst-Wusel./Lied. la nouvelle Table de nos valeur. intellectuelles. Mais les Ffallçais ~nt très peu « wagnériens ., au sens où Niebche entIendait ce mot. Ils ont trop peu de « religiôsc$ Cemütlr » pour oublier que Iesr3Ies de Wotan et de Siegfried sont tenus par des acteurs du u· ti~l~t et que Jes éclairs mét"ysiques sont fournis par les trusts de l'éleetraclté. M. Roeenberg qui était venu àPar;s pour proclamer la mort d~ ,la ~évolution Française. a manqué·tous ses effets à causé des traces lu. 'flVanle$ qu'eJle a laiMé dans l'âme de! Français. Première page de l'article de Politzer publié dans la Pensée libre de février 1941. « Depuis longtemps, j'ai rejeté loin de moi l'esprit de nationalité, sentiment étroit, mesquin, qui ne peut engendrer que le mal. L'égoïsme national fait commettre tant de crimes, est la source de tant de maux, qU'on ne saurait trop le flétrir. )) FLORA TRISTAN Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 comme la négation des fondements de la Révolution Française. Au rationalisme et à l'humanisme des Lumières, elle substitue le mystique du sang. Au coeur de son édifice, elle place le principe de l'inégalité fondamentale des hommes, radicalement opposé au principe de l'égalité en droits. A insi, au principe clé de 1789, qui affirme la valeur et la dignité de chaque homme, le nazisme substitue un principe justifiant toutes les oppressions sur les individus, les groupes, les peuples considérés comme inférieurs, voire même nuisibles. Et c'est au nom des droits naturels de la race supérieure qu'est condamné le « crime »de la Révolution française qui a, par la Terreur, éliminé les « chefs germaniques » du peuple français (la noblesse) : « La populace jacobine au teint foncé traînait à l'échafaud quiconque avait la taille élancée et les cheveux blonds ... Depuis ce temps, l'homme alpin à métissage méditerranéen apparaît au premier plan» (Rosenberg: Le mythe du xXe siècle). C'est ce même Rosenberg, grand « théoricien » du nazisme, qui est appelé à la rescousse, au lendemain de l'occupation de la France, pour diriger la guerre contre la Révolution française. Elément fondamental de l'identité nationale, le patrimoine révolutionnaire ne manquerait pas en effet de nourrir les refus d'accepter l'oppression établie dans le pays, qui constitueront la Résistance. Le 28 novembre 1940, devant un parterre de hauts responsables du parti nazi en France, Rosenberg prononce un réquisitoire qui sera largement répercuté dans la presse allemande et la presse française légale, sous le titre Règlement de comptes avec les idées de 1789 ou Sang et or. C'est Georges Politzer, philosophe et communiste, qui lui répond immédiatement dans la presse clandestine : dans le numéro 1 de la Presse Libre (L'obscurantisme au xxe siècle) sous le pseudonyme de Rameau et dans une brochure intitulée Révolution et contre-révolution au xxe siècle. Ces deux textes imprimés en février-mars 1941 démasquent les mythes nazis et leur fonction, et rappellent la portée libératrice de la Révolution française. Ainsi, de façon significative, dans la France écrasée des lendemains du désastre de l'été 40, l'un des premiers grands actes de la lutte nationale fut la défense et l'éloge de la Révolution française. GERMAINE WILLARD lm 1 LES ANTI-B' D'A L'extrême droite fran~aise appelle ouvertement à combattre les idéaux de 89. Les intégristes catholiques manifestent le 1 S août prochain contre la cc Gueuse JJ. Qui sont-ils, comment agissent-ils, que veulent-ils 1 L débat autour des valeurs de 89 ne comporte plus ni enjeu politique réel, ni investissement psychologique puissant. » L'affirmation lancée par François Furet, en 1978 (1), n'a jamais été autant démentie qu'en cette année de bicentenaire. Parce que de la Révolution découle toute notre vie politique (cette fameuse « exceptionnalitéfrançaise »qu'il reconnaît aujourd'hui pour mieux en prédire la fin) , et d'abord la coupure droite-gauche, le Bicentenaire ne pouvait pas laisser indifférent le camp des « vaincus », incarné de nos jours par l'extrême droite. L'importance qu'elle a prise ces dernières années avec l'irruption du lepénisme, l'ont rendu particulièrement combative contre« la scandaleuse commémoration ». Pour Jean Bourdier, une de ses grandes plumes: « Ce Bicentenaire criard est peutêtre, au fond, l'utile occasion d'un utile bilan. » Divisée entre «démocrates churchilliens », néo-fascistes et monarchistes orléanistes ou légitimistes, agnostiques, païens et catholiques romains ou lefebvristes ... la dénonciation de la Révolution est un des rares thèmes qui fasse son unanimité. Prenant délibéremment le contrepied de la célèbre formule de Clemenceau, un des rédacteurs de l'Anti-89 ne craint pas d'affirmer que« la contre-révolution aussi est un bloc ». Certes les motivations diffèrent. Les divers mouvements royalistes regrettent toujours l'âge d'or d'une unité nationale personnifiée. Les traditionalistes, forts des travaux de l'historien Jean de Viguerie, dénoncent une révolution avant tout anticatholique : la constitution civile du clergé et l'instauration des droits de l'homme sans Dieu marque la négation de l'ordre naturel au profit de l'idéologie démocratique honnie; l'homme déicide s'est érigé en valeur. Pour d'autres, elle est le fruit d'un gigantesque complot judéo ou protestanto-maçonnique visant à mettre en place un gouvernement mondial niant les cultures et les nationalités. Pour tous, la liberté, l'égalité, la fraternité, la démocratie, c'est la faute à la Révolution. Une association semble faire la synthèse de toutes ses récriminations. C'est le 1 er mars 1987, lors de la célébration du dixième anniversaire de Saint-Nicolas du Chardonnet qu'est née publiquement l'idée d'un «rassemblement national, pour l'honneur de la France ». Une procession de Notre-Dame de Paris à la Concorde, suivie d'une grande messe de réparation devrait en constituer le programme. Pour préparer cette protestation solennelle d'une centaine de milliers de personnes, l'Association 15-août-1989, Des lect:eurs ÏnvÏt:és à devenÏr correspondant:s de guerre sur l e :f'ront: de l 'I-IÏst:oÏre édite depuis dix-huit mois un mensuel de quatre pages, l'Anti-89, sous-titré: Bulletin de liaison et de défense des contrerévolutionnaires français. Codirigée par l'abbé Aulagnier, supérieur de la Fraternité Saint-Pie V en France, et l'abbé Louis Coache, un prêtre intégriste indépendant, animateur du journal Le Combat de la foi, l'association a reçu le soutien actif de François Brigneau. Engagé dans la milice le 6 juin 1944, le vieux briscard de l'extrême-droite passe auprès de ses amis pour le plus grand polémiste de la presse française. Son style très avantguerre, teinté d'antisémitisme et d'antimaçonnisme, fait la joie de tous les aigris. Fondateur de Présent après avoir été l'un des collaborateurs de Rivarol et de Minute, il èst actuellement chroniqueur à National-hebdo et au Choc du mois, le mensuel chic et branché de l'extrême droite. Pour motiver ses troupes, l'Anti-89 dénonce, chaque mois, à longueur de colonnes les horreurs de la Révolution et interpelle les membres du clergé soupçonnés de s'associer aux manifestations officielles du Bicentenaire : « 109 hommes et femmes d'Eglise assassinés à Lyon: que va faire Mgr Decourtray ?» (n° 1) ; « La Révolution à Nantes: des centaines de prêtres noyés. Des fusillades par milliers. La guillotine non-stop! Mgr Mareus, oserez-vous honorer le bicentenaire de ce sang et lumières? » (n ° 2), etc. Tels sont les titres portés à la une. Pour nourrir cette soif de spectaculaire, François Brigneau invitait, dès le premier numéro, ses lecteurs à devenir « les correspondants de guerre (civile) sur le front de l'histoire ». Soutenu par la quasi-totalité de la presse d'extrême droite, l'Anti-89 peut déjà se flatter d'avoir une réelle audience. Quelques réunions organisées ici ou là en prélude au grand rassemblement prévu le 15 août à Paris permettent de se faire une idée du public draîné. Le 21 janvier, alors que l'on recensait deux cents messes à la mémoire de Louis XVI, un peu partout en France, l'Anti-89 organisait, à Paris, une « grande journée contre-révolutionnaire ». Trois mille personnes se sont ainsi retrouvées, à la Mutualité, autour des stands de la Restauration nationale (héritière de l'Action française), du Choc du mois, du Mouvement chouan, de la Renaissance catholique, organisation fondée par des dissidents des comités Chrétientésolidarité de Bernard Antony (2) ... Le midi, un banquet réunissait en outre les deux principaux représentants du néo-fascisme français, Pierre Sidos et Jean-Gilles Malliarakis, leaders de l'Quvre française et du mouvement Troisième voie. Les nombreux jeunes présents n'ont pas fait mystère de leur activisme. Par un tract ou des prises de parole virulentes, certains demandaient la libération de leurs « camarades emprisonnés à la suite d'un chahut étudiant contre le spectacle d 'Hélène Delavault ». D'autres commentaient les actions contre La Dernière Tentation du Christ. Le stand de National-hebdo, et la présence de militants connus, ne pouvaient à elles seules faire oublier l'absence des dirigeants du Front national. S'agit-il d'un désaveu ? IOURD'HUI D ébut janvier (3), Bruno Mégret, délégué général du Front national, était on ne peut plus explicite: «L'établissement, c'est-à-dire la classe politicienne et tous les lobbys, vont chercher à exploiter idéologiquement cet anniversaire. ( .. .) Face à cette entreprise, il nous importe de riposter. La première contre-offensive est à lancer sur le plan historique afin de rétablir la vérité sur la Révolution: 1789 a débouché sur 1793, c'est aussi la terreur, les génocides, la fin des libertés, notamment religieuses; la France heureusement n'a pas commencé en 1789. Ce débat doit être mené et il a été engagé à la périphérie du Front national. Notre mouvement, qui est un mouvement politique, doit, de son côté, lancer la contre-offensive sur le plan politique et prendre l'établissement à contrepied: Vous commémorez le Bicentenaire de la Révolution et vous nous parIez des progrès à accomplir aujourd'hui, en France, au nom des valeurs de 1789 ? Eh bien, parlons-en! ». Dès le 27 décembre, Jean-Marie Le Pen se confiait au quotidien d'Hersant: « La Révolution est à refaire. La démocratie vacille et la Ve République ressemble à la Différences - N°87 - N° spécial - Mars 1989 1789 : les Vendéens font la contre-Révolution. 1988 : manifestation ingégrlste devant la statue de Jeanne-d'Arc à Paris. monarchie finissante de Louis XVI. Les Français ont encore des bastilles à conquérir et des privilèges à abolir. » Afin d'en dresser la liste, il n'a pas hésité, le 31 janvier, à appeler de ses voeux « la réunion des Etats généraux des provinces et des métiers ». Le 27 février, un meeting réunissait autour de lui, les « vaches à lait» du régime: commerçants, artisans et membres de professions libérales. Le poujadisme est de retour. Provocateur, le bougre a plus d'un tour dans son sac. Confié aux bons soins de son « conseil scientifique », un colloque sur la Révolution devrait se tenir en avril. Comme l'an dernier, il appelle ses supporters à défiler dans les rues de Paris le 1 er mai, pour fêter le travail. Enfin, ultime affront: la fête des Bleu-Blanc-Rouge se déroulera cette année les 14, 15 et 16 juillet. Alors que François Mitterrand convie les chefs d'Etat des pays les plus industrialisés à fêter, ce jour-là, à Paris, les droits de l'homme et la fraternité, les dirigeants du Front national seront-ils les seuls à poser la question des privilèges à abolir et des nouvelles bastilles à prendre? MARCEL DURAND (1) Penser la Révolution française, Gallimard. (2) L'un des dirigeants de Renaissance catholique, Michel Valadier, est toujours inculpé pour ses activités dans la campagne contre le film 'de Scorcese. BI (3) La lettre de Jean-Marie Le Pen, nO 86. 1\ l m AGENDA DES MILLIERS D'IDEES • JOUER A PRENDRE LA BASTILLE. L'agence Olympio a conçu et réalisé un jeu collectif de sensibilisation aux droits de l'homme. Principe: deux équipes sont en compétition pour « prendre la Bastille ». Les joueurs vont détacher les « pierres » constitutant le mur qui leur fait face. Chaque « pierre » symbolise une atteinte aux droits de l'homme. Lauréat du concours « Inventer 89 », labellisé par la Mission du Bicentenaire. Association culturelle Olympio : 24, rue G.-Lapostal, 92150. Tél. : 45.06.12.08. • A BEAUBOURG. Le Forum de la Révolution a déjà commencé au centre GeorgesPompidou. Plusieurs pôles d'attractions: une médiathéque, un mur d'images, un centre d'information sur toute l'actualité du Bicentenaire, des conversations internationales en vidéotransmission, un cycle de débats et d'ateliers. Le MRAP interviendra le 15 avril en salle d'a ctualité au point-info-droits de l'homme. Plusieurs expositions, un colloque et un livre-cassette sont également programmés. BPI. Tél. : 42.77.12.13. • UNIVERSITE REVOLUTIONNAIRE. L 'Intitut national de la jeunesse de Marly-le-Roi organise en juillet une session internatione de réflexion, de formation et de réalisations artistiques sur le thème Ombres et lumières de la vertu révolutionnaire. Huit ateliers accueilleront les stagiaires. Les candidats à ce stage peuvent joindre, pour de plus amples informations, Marie-Noelle Thiller avant le 15 avril au 39.58.49. 1 1. • CULTURES DES BANLIEUES. Tel est l'intitulé autour duquel se sont regroupée plusieurs associations de jeunes issus de l'immigration de la région parisienne dans le but de célébrer le bicentenaire. Premier projet en cours de réalisation: un festival en juin. Tous les partenaires institutionnels ou associatifs seront les bienvenus. Il suffira d'appeler le 39.61.61.49 ou le 43.49 .64.29. • POUR SONTHONNAX. Léger Félicité Sonthonnax fut le précurseur de l'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue. C'est dans sa ville natale dans l'Ain, qu'une association Mémoire de L.-F. Sonthonnax s'est créée dans le but de faire connaÎtre cet anti-esclavagiste trop méconnu. Actions prévues: publications, expositions, apposition de plaques commémoratives, financement de projets d'action éducative. Adresse de l'association, 6, rue T.-Ozanam, 01 100 Oyonnax. • LA NOUVELLE MARSEILLAISE. Les Poètes de l'amitié, une association créée en 1974 à Dijon, pensent que la Marseillaise a besoin d'un lifting. Ils ont lancé un concours destiné, notamment, à éliminer « des formules outrancières et surannées à partir du texte de Rouget-de-Lisle et de rechercher une version plus conforme à la sensibilité et aux aspirations pacifiques d'aujourd'hui ». Belle idée. A vos plumes citoyens. Centre municipal des Associations BP n° 65-21021 Dijon-Lac. • HOMMES NOUVEAUXNOUVEAUX DROITS. Depuis plus de dix ans, Nouveaux Droits de l'homme défend l'idée qu'il faut étendre et compléter les principes de 1789. L'association affirme qu'il faut aujourd'hui : un nouveau projet de société; des droits de l'homme complémentaires (sur les plans politique, scientifique, économique, social et culturel) ; une nouvelle politique étrangère de la France car {( la France n'est plus porteuse d'un message positif ». L'idée est ambitieuse puisqu'il faudrait de nouveaux Etats généraux ... Mais ça vaut le coup d'y réfléchir, avec NDH, 22, rue Pierre-Leroux, 75007. Tél. : 45.66.96.75. • CHECHIA ET BONNET PHRYGIEN. jusqu'en juin, l'Union des travailleurs immigrés tunisiens (UTIT) anime une série de conférences autour de : la citoyenneté, une idée neuve. Saïd Bouamama, Florence Gauthier, Maxime Rodinson, Danièle Lochak, Claude Liauzu, Pierre-André Taguieff participeront, entre autres, à ce cycle. Rens. 67, rue de Dunkerque, 75009 Paris. Tél. : 42.80.01.37. ACABIO (Association des communautés africaines pour le bicentenaire) prépare une série d'initiatives. Colloques, rassemblements, éditions de matériels pédagogiques ... Tél. : 42.85.04.10. Pour connaître les manifestations qui cé/èbreront, la Révolution franfalse (théâtre, danse, musique, audiovisuel, colloques, etc.) : demandez le programme à la Mission du Bicentenaire de la Révolution franfalse, 7, av. Franco-Russe, 7S007 Paris (Tél. : 4S.67./7.89). THEATRE • « Où est-ce qu'elle est ma vie? » lancent, provocantes, les adolescentes d'un institut de rééducation (le Moulin Vert, à Etrepagny, dans l'Eure). C'est le titre qu'elles ont donné à leur production théâtrale. «L'adolescente est à l'individu ce que la révolution est à la société. » Ce sont des périodes de mutation comparables par le malaise et les crises qu'elles font naître. Dix tableaux déroulent successivement ces étapes. Le 24 mars au théâtre Dejazet à Paris, puis en tournée (château d'Etrepagny, tél.: 32.55.72.47). • « Ce n'est pas à l'école que l'on enseigne l'histoire des émigrés, des réfugiés, des déracinés, des apatrides, des dépaysés, quand il s'agit d'exprimer le monde, de faire comprendre pourquoi il va comme on voit comme il va, le monde. Pas à l'école, au théâtre alors? » Un banlieusard retraité, grande gueule, voit arriver un jour dans un pavillon mit01,en, unefamille d'immigrés. L Ankou, de Jean-Jacques Varoujean. Mise en scène de Roland Monod. Jusqu'au 31 mars au TEP. MUSIQUE On connaissait déjà le fameux « Ah, ça ira, ça ira, les artistocrates, tralalala », mais on ignore tout des autres textes et chansons que la Révolution a produits. Le Comité 89 en 93 (ceux là-mêmes qui ont organisé la « Faites de l'égalité» à l'emblème du zèbre) ont édité un fascicule avec cassette sous le nom de Révolutionfrançaise et mouvement populaire, avec des extraits de discours, de décrets et de chants de l'époque. Côté chansons, on retiendra plus particulièrement la Liberté des Nègres qui, chanté le 8 février 1794, fait écho au décret abolissant pour la première fois l'esclavage dans toutes les colonies françaises, quatre jours avant (le 4 février 1794). Et vous apprendrez également que, avant d'être surnommée la Marseillaise, le célèbre texte de Rouget de Lisle avait le titre un peu effrayant de Chant de guerre pour l'armée du Rhin ... Aujourd'hui, divers artistes soufflent à leur manière les bougies de cet anniversaire de la Révolution française : Isabelle Aubret, Catherine Lara, Francesca Solleville, Fabienne Thibault, Georges Moustaki, Lenny Escudero, Henri Tachan et d'autres encore dédient une ou plusieurs chansons à la République. Ce sera dans le cadre d'une manifestation musicale 14 artistes pour le 14 juillet répartie dans toute la France. Autre projet musical organisé par le maire de Saint-Denis - et pas le moindre ! - : la Révolution sous forme de jazz: Henri Texier et Luis Sclavis se prêteront à une réécriture « j azzifiée» de chansons connues de l'époque (la Carmagnole .. . ). Ça s'appellera Le top 89 des tubes de la Révolution. Enfin, pour ceux qui voudraient tout savoir : le Dictionnaire des chansons de la Révolution. S. B. Révolution française et mouvement populaire, avec les voix de Catherine Berriane et Daniel Mesguich. Comité 89 en 93. Tél. : 45.43.48.77. 14 artistes pour le 14 juillet dont certains axeront leur spectacle sur la Révolution. Rens. Variétés contemporaines. Tél. : 42.06.05.59. Le top 89 des tubes de la Révolution, rens. mairie de SaintDenis. Tél. : 48.20.63.83. Dictionnaire des chansons de la Révolution, de G. & G. Marty. Tallandier, diffusion Hachette. SOFDAl 8, rue Maurice-Ténine 94260 FRESNES Accessoires Caravanes Bateaux Tél. 668.10.48 LES PIEDS SENS1BLES c'esll'aflaire de SULLY Confort, élégance, qualité, des chaussures faites pour marcher 85 rue de Sèvres 5 rue du Louvre 53 bd de Strasbourg 81 rue St-Lazare Du 34 au 43 féminin, du 38 au 48 masculin, six largeurs CA T ALOGUE GRATUIT SUl.L \'. 85 rue de Sèvres, Paris 6· 5 0'0 sur p'~$entatlon de cette annonce GAeD 27, rue Bleue 75009 Paris Différences - N° 87 - N° spécial - Mars 1989 MATT SPORTSWEAR PRET-A-PORTER 84 rue de Turenne 75003 PARIS Tél. : 271.19.11 MARCY PRET A PORTER 129, rue d'Aboukir 75002 Paris - Tél. : 42.36.66.89 PORCELAINE DE PARIS 8, rue de la Pierre-Levée 75011 PARIS Tél. : 43.57.40.35 lm , UNE NOUVELLE DIGNITE Le théâtre d'intervention sociale ou quand le théâtre fait une place à ceux qui n'en ont pas ou n'en ont plus: jeunes en difficulté, chômeurs, personnes âgées, reconquièrent sur scène le droit d'être écouté. En marge des grosses productions, l'art vivant défend sa mission sociale. Guy Bertil met en scène des spectacles depuis trois ans à travers un stage gratuit pour demandeurs d'emploi. Résultat: un vrai lifting moral. Différences : Une soixantaine de participants, un metteur en scène, dix jours de travail intensif: monter ainsi un spectacle professionnel avec des amateurs, n'estce pas un peu périlleux ? Guy Bertil : Oui, mais la forme très structurée du spectacle le permet. Je l'ai écrit pour que les stagiaires se sentent suffisamment en sécurité et qu'ils y trouvent toute leur spontanéité. Je ne veux pas les mettre dans une position qui les infériorise. C'est bien l'inverse que je vise, car se produire sur scène valorise. Le public rit, applaudit. C'est toujours un succès. Le théâtre social n'est pas rébarbatif s'il est créatif et sensible. Il ne s'agit pas de revendiquer mais de suggérer. Je propose un énorme travail, mais il y a très rarement des abandons. La peur attire, le magique aussi, et la scène, la musique, les lumières. Nous présentons toujours le spectacle dans un lieu professionnel, dans des conditions profes- ,/ sionnelles, devant une salle pleine, et souvent bouleversée. - Qu'est-ce que dix jours de travail théâtral apportent à un demandeur d'emploi? - Tout d'abord la rencontre et la richesse d'un groupe et de gens différents, de l'illettré maghrébin à la femme ex-cadre supérieur. C'est une émulation. Des amitiés se nouent. En se mesurant aux autres, on évolue, on comprend ses faiblesses, ses forces et ses qualités. C'est primordial de savoir s'évaluer avant et après un rendez-vous d'embauche. D'avoir aussi une voix forte, assurée. Je propose, non pas des recettes, mais des exercices et une pratique adéquate. Par exemple énoncer une phrase dans un espace limité. On se plante, on s'écoute. On apprend aussi en regardant les autres. Je travaille beaucoup dans cet atelier sur les résistances, pour que chacun trouve la manière de les dépasser. Je me souviens d'une femme enrobée qui 'n'avait jamais imaginé monter un jour sur la scène de l'opéra de Lille. Les stagiaires retrouvent confiance en eux et dépassent ce sentiment terrible qu'ils n'ont plus rien à dire. Un demandeur d'emploi qui reste chez lui perd l'envie d'être beau. Sur scène, il retrouve la trouille de paraître moche. Je cherche donc à ouvrir ce qui s'est fermé, à libérer les énergies par la musique ou la danse, et à développer l'imaginaire. En dix jours, je les vois changer physiquement. Ce stage porte bien son nom de stage de redynamisation. Beaucoup de participants ne cherchaient plus. A l'issue du stage, la plupart « ré-attaquent ». - Alors thérapeute ou metteur en scène? - Oh, certainement pas thérapeute, ni assistant social, ni formateur. Je ne propose pas du psychodrame, mais bien un travail créatif. Même si mon objectif est social. Et que certains stagiaires souhaiteraient que l'on fasse de la thérapie. Je réponds toujours que je ne suis pas là pour gérer les problèmes de 50 ou 60 personnes. En revanche, on peut tout dire dans les improvisations, dire physiquement ce que l'on ressent. J'essaye d'être le plus humain possible, de travailler avec ma sensiblité et ma vulnérabilité. . Le théâtre est thérapeutique par essence. Ce n'est pas utile d'en rajouter. Retrouver le rire, l'humour, le plaisir, apprendre à être rapide et spontané : quand on est en situation de demandeur, on ne dit plus que des choses qui emportent l'adhésion, et que l'on croit essentiel. Des employeurs ont constaté que les chômeurs n'osent plus parler personnellement. Je ne dis donc pas : « Dites cela dans un entretien », comme on le fait dans d'autres stages. Mais plutôt: «Prenez le risque d'être vous-même. Ni résigné, ni superficiel, ni monotone ». On ne réussit qu'avec ses défauts, sa différence, sa personnalité ! - Par le théâtre, vous proposez donc à des gens souvent exclus de la vie sociale de retrouver le droit ... et le devoir de parole? - Le devoir oui, aussi, car quand on travaille en groupe et qu'on se trouve sur la scène, on doit s'exprimer. Le théâtre est l'art de la communication directe par excellence, de l'instantanéité. C'est une de ses missions. Ce qui m'intéresse, c'est que chacun découvre son propre charisme. Aujourd'hui, le statut de citoyen est trop lié à l'emploi. Il y a ceux qui sont utiles et il y a les inutiles. Les chômeurs conservent le droit de vote ... mais ils perdent quand même le droit à la parole. Ils ne sont plus insérés dans les réseaux où l'on peut s'exprimer et participer. On ne se sent plus citoyen, non plus, quand on ne peut plus payer ses contraventions ou les étrennes de sa gardienne ou s'offrir les gadgets de la vie moderne. Au théâtre, on est citoyen: on offre ses idées, son look, son travail. On est responsable par rapport aux autres acteurs et au public. On est reconnu. Retrouver le droit au regard des autres, le droit d'être entendu, le droit à l'échec: c'est conquérir une forme de citoyenneté. Quand un stagiaire quitte ce stage, il cherche à retrouver cela dans la vie. Pour éviter la cassure qui se produit inévitablement après ces dix jours, nous projetons de mettre sur pied un suivi pour travailler le moyen d'être créatif et inventif dans les recherches d'emploi. LAURE LASFARGUES Guy Bertil est président de l'Association la pêche des chômeurs, 12, rue Jacques-Coeur, 75004 Paris (tél. : 48.04.06.44). Stages sur toute la France. Prochaine présentation du spectacle (Chome qui peut) au Café de la Danse, à Paris, début avril. Lounés Tazaïrt AU NOM DU PERE, DU FILS ET DU RIRE Tout y passe : le père, la « Pigeot », le fils qui aurait préféré ne pas s'appeller Mohamed ... et tout est dans le rire, la totale dérision. On découvre Lounés Tazaïrt, excellent comique beur. Surtout ne pas comparer Lounés Tazaïrt avec Smaïn. En France, des Guy Bedos et des Michel Boujenah cohabitent sans que le nom évoque nécessairement celui de l'autre. Il doit en être de même pour les comiques beurs, malgré leur nombre encore trop restreint. Lounés Tazaïrt se doit donc d'avoir une place tout entière - à lui et rien qu'à lui - dans l'espace du comique et du théâtre. Car voilà bien la première définition de ce basané à la voix tantôt « bledarde », tantôt shakspearienne : comédien. Dans le spectacle qu'il a écrit, Maghreb de canard, qu'il interprète seul et qu'il a porté à bout de bras, à bout de foi, Lounés Tazaïrt est totalement innovateur. Il met, pour la première fois en scène, l'histoire du père (Algérien), du fils (né ici) et des (mauvais) esprits - les flics, les cauchemars de charters ... Mais qu'on ne s'y trompe surtout pas: ce n'est pas l'histoire de l'immigration que Lounés met en scène, c'est l'histoire de France. Celle que les manuels ne sauraient rappeler: Verdun, Monte Cassino (quand les Algériens servaient de chair à canon dans les premiers rangs), la Normandie et, plus tard, bien plus tard, les balayeurs dont les fils, parfois, rêvent et s'acharnent à être comédiens. Cette histoire de France, refoulée, Lounés nous la raconte parce que sa mémoire est vive, encore, et tenace. Pas question cependant, pour lui, de jouer les porte-parole ou les moralisateurs, mais juste de « rendre à Mohamed ce qui est à Mohamed » ... Pas question d'oublier, pas question d'éluder le mot gênant d'Arabe derrière celui, plus rassurant pour beaucoup, de beur. Il y a, dans le travail théâtral de Lounés, un héritage paternel totalement assumé. L'histoire des pères algériens est rarement mise en scène, Lounés en affronte là tous les tabous - les fautes de français, la dignité de ceux qui savent leur voisin raciste sans rispoter - dans une dérision presque déroutante. Les fils ne sont pas négligés non plus! ... Ceux convaincus d'« être des blocs de talent à l'état pur », comme acteurs ou rockers et qui n'ont leur place nulle part, ceux rageurs de s'appeler Mohamed quand ils sont amoureux d'une Juliette ... Tout et tous y sont. .. Et là où le drame est à craindre (les scènes de contrôle de flics, le balayeur de carrière ... ), la poésie éclot, l'imaginaire de Lounés donne aux habituels clichés des lueurs poétiques qui rendent le rire très tendre. Car Lounés, vous l'imaginez bien, fait vraiment beaucoup rire. C'est un comique. Mais - et ça, le saviez-vous? - Lounés est surtout un rêveur ... SOUAO BELHAOOAO Maghreb de canard, écrit et interprété par Lounés Tazaïrt, mis en scène par Salah Teskouk, Tour de Nesle, la galerie de Nesle, 8, rue de Nesle. Tél. : 43.25.11.28. Relâche dimanche, lundi, jusqu'au Il mars. • Alléluia! Le roman noir français se porte bien, et nombreux sont ses prophètes. Didier Daeninckx est l'un de ceux qui font ce renouveau du polar français. Certains de ses livres ont fait quelque bruit: Meurtres pour mémoire, Métropolice, le Bourreau et son double, Lumière noire ou Play-back. Le racisme, la guerre d'Algérie, le charter des Maliens, les tueries parisiennes d'octobre 1961, servent, après enquête, de toile de fond. La mort n'oublie personne (Denoël) est le dixième livre de Didier Daeninckx. En décor: les règlements de compte d'une certaine bourgeoisie de notables avec la Résistance. Didier Daeninckx DIX POLARS POUR UN EXTRA-LUCIDE Différences. Tu as la réputation de travailler avec enquête et documentation précise: tes livres tiennent-ils plus del'enquête de société que du polar? Didier Daeninckx. Il y a une idée de la littérature où elle serait pure imagination

l'écrivain seul dans sa chambre

créant un monde avec son stylo. C'est l'image dominante de l'écrivain. Je pense, moi, que toute littérature a à voir avec l'expérience et le réel, je ne peux travailler sans me confronter à la réalité, sans confronter mes personnages de fiction à la vie. Je fais un travail de vérification du parcours de mes personnages, je les invente pour les placer dans des situations réelles. Je tiens à voir comment l'histoire ou le passé modifie leur comportement dans le présent. - Tu t'attaques très souvent à des problèmes non pas marginaux, mais occultés

le charter des Maliens, les tueries antialgériennes

d'octobre 61, les dérapages à la Libération ... ? - C'est une démarche personnelle, mais il est vrai que la structure même du roman policier facilite les choses. Le roman noir a toujours été la manière de donner la parole aux marges, aux exclus, à tout ce qui est à côté de l'histoire officielle. C'est aussi mon histoire personnelle, je me suis toujours retrouvé-là. Dès le départ, j'étais dans les marges de Paris, mes amis en sont. Le terrain du roman noir est donc pour moi idéal. La guerre d'Algérie, par exemple, est en marge du discours historique officiel. Les historiens ne s'y attaquent pas, pour des raisons politiques, idéologiques, mais aussi de carrière. Quel est l'historien qui s'investira sur les massacres d' octo bre 1961 à Paris ? Il est sûr de briser sa carrière à tout jamais et de ne jamais avoir de chaire en Sorbonne ou ailleurs. Ces blocages existent. Autre exemple, la sidérurgie lorraine. C'est un événement essentiel de ces quinze dernières années; la région entière s'est vu niée, depuis des années, toute une histoire d'industrialisation, vantée pendant des dizaines d'années, présentée comme un modèle de développement. .. tout cela a été flingué et, en même temps, la tête de 200 ou 300 000 personnes. Un véritable génocide social. Ces faits-là, et d'autres, sont totalement absents des préoccupations littéraires, c'est rayé. Ce sont pourtant des choses essentielles sur ce qu'on est en train de vivre. Là aussi, le polar a été un outil pour sortir tout cela. - Un moyen de sortir tout ce qui est enterré ou inavouable ? - C'est l'histoire même du polar depuis son émergence aux Etats-Unis, dans les années 30. Quand Mac Coy écrit On achève bien les chevaux, l'histoire des marathons de la danse, il empêche que soit oublié cet épisode-là de l'histoire; l'avilissement des chômeurs dans les années de la crise. Ce livre reste aujourd'hui comme une image emblématique de la crise des années 30, au même titre que les Raisins de la colère, de Steinbeck, qui est d'ailleurs, pour moi, un écrivain de roman noir, même s'il n'est pas sur la même étagère de bibliothèque que Mac Coy, Chandler ou Hammett. Des gens comme Steinbeck, Hemingway ou Dos Passos sont aussi de la famille. Les romans noirs de Chester Himes furent de vrais révélateurs de la condition faite aux Noirs américains et du racisme. - Les écrivains américains ont longtemps été le « must » sur le marché français, ça n'est plus vrai? - Tout s'est joué dans l'après-guerre. Hammett était déjà publié dans les collections blanches. Mais la Série Noire est née en 47-48, et les Américains ont déferlé, noyant tous ceux qui dès les années 30 avaient, en France, une écriture matinée de populisme; Carco ou Céline même. Les écrivains de romans noirs de talent, comme Jean Amila, ont pris des pseudos américains. Les autres ont végété comme André Héléna, contraint d'écrire 200 romans en dix ans, dont certains innommables. Ensuite, le néopigallesque s'est installé, le folklore a occupé le deva nt de la scène jusqu'à l'arrivée de Gérard de Villiers avec ses SAS, qui a pris tout le marché français. Tout commence là, avec, en réaction, la venue de Manchette, Vautrin, ADG au début des années 70 ; une écriture au scalpel, avec un contenu politique, la dénonciation de certaines situations. Derrière, se sont engouffrés les jeunes; Vilar, Pennac .. . - Tarte à la crème: c'est 68 qui est passé par là, et le roman noir devient plus celui des marges sociales et politiques que celui des marges crapuleuses ? - C'est vrai! Et le thème qui revient souvent, c'est la violence d'Etat. Pas la justification du loubard comme anarchiste répondant à la violence d'Etat, mais la description d'un Etat oppresseur, avec des structures policières et judiciaires qui ne sont pas des entités oeuvrant au bien commun. Tous les organes de pouvoir sont suspects dans ces romans-là. - Dans tes livres, plus que l'Etat, c'est en fait la société tout entière qui occulte les faits. Octobre 61, c'est une amnésie générale? - Là, le roman noir permet beaucoup de choses, c'est son côté clandestin. Meurtres pour mémoire, qui parle de ces massacres, a été accepté par la Série Noire, mais refusé par beaucoup d'autres éditeurs. C'est vrai qu'il y a occultation générale. Le Bourreau et son double, c'est une façon de dire que la torture en Algérie n'a pas été seulement le fait de quelques unités spécialisées de paras caricaturaux, l'image type du facho. Les centres de torture avaient beaucoup de main-d'oeuvre du contingent, 15 000 sont passés dans ces centres pour torturer les Algériens. Il y a dans ce pays 15 000 fantômes dont personne ne parle et qui sont parmi nous. Tous ceux qui ont fait cette guerre en Algérie sont pour moi suspects d'avoir pu participer à cela. Je suis d'une génération qui peut le dire à des gens qui n'ont que 5 ou 6 ans de plus que nous, et tous ces gens n'en parlent pas non plus. Il y a un silence absolu à ce sujet. Il y a des responsables (amnistiés) et des fantômes, donc j'accuse les fantômes en disant; la seule façon de se rattraper, c'est d'en parler, de mettre les choses à plat et de travailler l'histoire pour comprendre comment cela a été possible! - C'est grave d'être obligé de passer par des formes de littérature dites mineures pour pouvoir parler de tout cela ? - Bourgeade, Guyotat et un ou deux autres en ont parlé, mais c'est resté marginal. Cela accuse la littérature française. Son âge d'or fut celui de la confrontation au réel, et, depuis 25 ou 30 ans, la littérature française est captée par des couches sociales très réduites ; une grande part de ce qui se passe dans la société ne nourrit plus l'imaginaire des écrivains. Des pans entiers de la société échappent à leur regard. La littérature est donc d'un inintérêt croissant, puisqu'elle ne joue plus son rôle d'interrogation du présent et du réel. Je le pense vraiment. - Le polar fut d'abord américain et la littérature noire y est souvent jugée meilleure ? - Le recrutement des écrivains américains est plus large, plus interclassiste. En France, c'est vraiment le domaine réservé de professions artistiques qui s'autoreproduisent, de profs de fac qui ont des loisirs, d'avocats dont le cabinet tourne tout seul... - Dans ton dernier livre, le polar est loin ? Est-ce le passage à une littérature plus « sérieuse» ? - Je n'ai pas l'impression d'avoir fait autre chose, j'ai toujours ce même besoin de savoir, de porter le couteau dans la plaie. C'est vrai que la critique ne parle pas du roman noir, il y a comme une déconsidération de ce type de livre et même si l'on combat cela, on le subit. Mais en aucun cas je ne dirais que ce livre est le premier, je n'en renie aucun. J'ajoute que dans ce dernier volume, j'ai conservé la structure d'enquête d'un polar. « J'ai toujours ce même besoin de savoir, de porter le couteau dans la plaie. » Revenons à l'enquête justement? Je pars d'une qüestion réelle; le showbizz, par exemple, dans un de mes livres. C'est l'envers du décor qui m'intéresse alors, ces gens qui font des livres en les faisant écrire par d'autres pour vendre leurs souvenirs ou des bains de siège. Et le livre devient en fait les souvenirs du nègre, du double. Là-dessus, est venue se greffer la sidérurgie lorraine, cette région dépersonnalisée, partie du mythe de l'ouvrier, de la fabri cation de l'acier pour arriver aussi au show-bizz; 40 000 emplois supprimés pour 300 emplois de Stroumpfs. A ces gens fiers de leur métier, on a dit;« Vous êtes en bleu de travail, vous restez en bleu, mais vous êtes des Stroumpfs. » C'est la pire des choses qu'on puisse faire à un homme, ces gens-là sont en droit de sortir la kalachnikov quand on les humilie à ce point. Bref, le thème du nègre littéraire, de la dépersonnalisation en rejoignait un autre et je suis parti là-bas enquêter dans les villes, les cafés, rencontrer ces gens. Différences - N°87 - N° spécial - Mars 1989 - Et pour ce dernier livre, si peu polar, c'est la même chose? - Je suis tombé sur le fait qu'en 1948, un juge a pu reconstituer une amicale collaborationniste pour juger des résistants. J'ai vu comment il a pu profiter des failles dans un réseau de résistants pour monter un procès inique. J'ai épluché la presse de l'époque et re~ cherché les gens. Certains m'ont viré, qui avaient été condamnés et vivaient avec cette honte depuis quarante ans. D'autres m'ont parlé. Tout cela était occulté, même dans les familles. Mais le livre n'est pas un reportage, c'est une fiction. - Le réel est toujours là, comme chez beaucoup d'auteurs de roman noir. Estee aussi un engagement personnel ? - Tous ces auteurs ont un parcours qui remonte au milieu des années 60; - Jonquet, Pennac, Vilar, Vautrin, tous - et qui fait que les textes qu'ils écrivent en sont modifié. Savoir si ces livres influencent d'autres consciences ... il faut espérer que ce ne soit pas en vain. Mais je n'ai aucune volonté pédagogique. J'ai une révolte absolue quand je découvre le 17 octobre 61 ; entre 200 et 400 morts algériens à Paris, et que je sais que le mec qui me gouverne, signe mes déclarations d'impôts - des gens comme Maurice Papon - en est le principal responsable. Cet homme est maintenant traÎné devant les tribunaux pour crimes contre l'humanité, pendant l'occupation. Et il a été ministre! c'est insupportable. J'ai envie de mè défe'ndre, d'intervenir contre cette amnésie. Ainsi, la guerre d'Algérie, c'est 800000 morts algériens, 40 000 français, une telle disporportion montre que cette guerre a tenu du génocide à certains moments. Il n'y a jamais eu de procès, mais une amnistie rapide. C'est le silence judiciaire, on ne considère pas qu'avoir passé 50 ou 60 Algériens, hommes, femmes ou enfants au lance-flamme soit un crime. On considère que c'est du maintien de l'ordre, il n'y a pas eu officiellement de guerre. Je pense, moi, que ce furent des crimes de guerre. - Le polar moderne pourrait se définir comme un coup de sonde dans le faisandé ou l'invisible? - Je ne sais pas, mais quand on se promène dans Paris, dans une ballade d'une journée, on peut croiser 150 ou 200 hommes de trente ans avec un panneau ; « J'aifaim ». Ces gens-là ne sont pas très loin de casser une vitrine pour prendre de quoi manger, attaquer quelqu'un dans la rue ... il y a ainsi beaucoup de gens en danger de devenir dangereux. Où sont les responsables? On se promène sans arrêt à travers le désastre et beaucoup de gens ne voient rien. Propos recueillis par iii RENE FRANÇOIS Il ! 1 i LES INDIENS SONT LA , • Robert Pac est un provocateur, le seul titre de son livre : Les Guerres indiennes aujourd'hui en fait foi. Nous savons bien, nous autres, que les Indiens ont disparu d'Amérique du Nord après un dernier baroud d'honneur qui coûta la vie au général Custer. Les westerns de notre enfance en sont témoins. Sauf qu'on nous a menti : les Indiens existent et ils se battent pour leur survie contre le génocide silencieux qui se poursuit. Ils sont de un à trois millions aux Etats-Unis, un million au Canada. Leurs peuples ont été victimes du plus grand génocide de l'histoire. Ils étaient environ douze millions à l'arrivée des premiers colons, 250000 seulement au début de ce siècle ! Le livre de Robert Pac, par ailleurs collaborateur de Différences et responsable de la Commission Amérique du MRAP, est la démonstration précise que cela continue, moins brutalement, de façon plus pernicieuse. Les maux imposés aux Indiens s'appellent aujourd'hui misère, chômage, dispersion, vol de terre, mise sous tutelle, malnutrition, suicide, alcoolisme ... alors c'est la guerre. Les mécanismes institutionnels mis en place par les gouvernements, la cupidité des groupes industriels et financiers sont combattues aujourd'hui sans relâche, par les manifestations, les sit-in, l'éducation des enfants, la reconquête d'une identité niée, l'utilisation des procédures de justice, l'appel à l'opinion, à l'ONU, etc. Tous les moyens sont bons, car en face, les pouvoirs n'hésitent pas: meurtres de dirigeants non corrompus, emprisonnements des leaders, corruption ... Le sol est volé par les compagnies pétrolières ou charbonnières, l'eau détournée au profit des grandes compagnies, l'air empoisonné par la pollution. L'armée installe des missiles nucléaires au coeur des réserves. Même les terres sacrées des Black Bills sont en danger de détournement. Robert Pac avec deux Indiens Mohawk, l'une des six nations iroquoises qui vivent à cheval sur la frontière Canada-Etats-Unis. Chiffres, documents, déclarations, cartes viennent à l'appui d'un ouvrage très documenté, entièrement de parti pris tant l'injustice finit par exaspérer. Trop c'est trop et l'on se prend à désespérer de l'avenir de ces peuples. Puis au détour d'une page, on note une victoire par ci, un succès par là et dans chaque recoin du livre une énorme volonté de survivre. Les Indiens ne mourront plus, le progrès qu'ils ont imposé en quelques années augurent plutôt bien de l'avenir. Personne ne peut plus les ignorer, nier leur identité et c'est une première très grande victoire. Familier de ces questions, reçu en ami dans les tribus indiennes, Robert Pac nous offre un document qui, lui aussi, prend partie dans ces guerres, avec les Indiens. 0 R. F. Les Guerres indiennes aujourd'hui, de Robert Pac, Ed. Messidor. GALERIE FRANKA BERNOT 1 l, rue de l'Echaudé - 75006 Paris Tél. : 43.25.52.73 et 58 37 EN VRAC • Hérodote, revue de géographie et de géopolitique, a consacré son numéro 50/5/ à la France, une nation, des citoyens. Plus qu'une revue, chaque livraison est un véritable livre (260 pages environ) et rassemble nombre de spécialistes et de signatures sur un sujet unique. Ce numéro compte ainsi plusieurs articles sur le vote lepeniste, un article important sur la citoyenneté, un choix? un autre s'interrogeant sur Renier les parents pour s'intégrer? et une interview de Jean·Pierre Chevènement. A noter également une étude de Pierre Tafani sur les Corses ou les mille et une manières d'être français. (La Découverte) • Béni ou le paradis privé, d'Azouz Begag. C'est le prolongement du Gone de Chaaba, la vie au quotidien d'un gamin de /'immigration entre l'école et la famille, rêves et grands ensembles. Beurs ou pas, les banlieusards des métropoles s'y retrouvent aussi. Drôle et grave, savoureux comme la vie (Seuil). • Les Tunisiens de France, de Salah Rimani. Qui sont les 180000 Tunisiens vivant et travaillant en France? Comment se sont-ils répartis, dans quelles professions, avec quelles particularités? Sur la base d'une recherche universitaire, un livre utile et précis (l'Harmattan). • L'interférence, de Jean-Joseph Rabéarivelo. Un roman d'un des grands auteurs malgaches, mort en 1937. L'occasion de découvrir une littérature différente et une autre image de Madagascar (Hatier). • Pour Jérusalem, croisade et djihad, de Pierre Willemart. Historien et archéologue depuis trente ans, l'auteur nous offre un double regard (côté chrétien et côté musulman) sur les croisades, du XIIe siècle. Sanctuaire de trois religions, point de rencontre et d'affrontements pour des millions d'hommes, Jérusalem fut un enjeu mystique et stratégique. Deux guerres saintes s'y affrontent au long des croisades dont les résonances ne sont pas éteintes. Cartes et photos appuient dans ce volume une étonnante érudition. (Félin). • Pour une histoire profane de la Palestine, de Lotfallah Soliman. La sacralisation des causes en présence au Proche-Orient masque le réel, affirme l'auteur: les affrontements y sont en fait le produit d'une histoire politique liée à la colonisation anglaise et au jeu des grandes puissances. Un regard original, une bonne information et le rappel de quelques vérités parfois occultées (La Découverte). • Où gitent les étoiles, d'Avrom 1 mil Sutzkever. Les poèmes en vers et en prose ~::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::~~ -~d:'~u~n~t~r:è:s~g~ra:n:d~p~o~è~te~y:m:d:~:h~r~e~s~c~ap~e~' __ -1~~ des ghettos et du génocide hitlérien. La traduction des textes (magnifiques) est assurée par Charles Dobzynski, Rachel Ertel et un collectif d'universitaires (Seuil). • Journal d'une prison sudafricaine, de Tshenuwani Simon Farisani. Le récit net d'un pasteur noir happé par la répression au pays de l'apartheid: quatre cent quarante-deux jours d'enfer dans les prisons des racistes. Ni exception (les prisons de Botha sont pleines) ni martyr, l'auteur témoigne, jour après jour (Centurion). • La Mort indigne de Malik Oussékine, de Nathalie Prévost. La mise à plat d'une bavure policière meurtrière qui secoua la France et les tentatives d'étouffement qui l'entourèrent. Le rôle de la commission parlementaire d'enquête y est largement mis en lumière. Robert Pandraud (sousministre de /'Intérieur de l'époque) y répond à quelques questions de l'auteur, d'une manière où l'odieux le dispute au ridicule (Barrault). • Tsiganes: identité, évolution, textes réunis par Patrick Williams. Un gros volume qui regroupe les actes d'une rencontre qui, les 5 et 6 décembre 1986, réunit à Paris 49 spécialistes de 16 pays autour de l'identité et de la culture tsiganes. Plus de 500 pages, des notes et une bibliographie complète à l'appui. Une somme! (Syros) • Obsession Sécurité-Ennemis ou solidaires, dirigé par Marcel Marcus. La fraternité proclamée il y a deux cents ans n'est plus d'actualité. Le consensus, c'est la peur des autres, qui nourrit l'exclusion et parfois, la violence, les rumeurs à Marseille (Anne Tristan), les « Iles» (Philippe Videlier et Brigitte Trillat), la police. la délinquance ... de multiples entrées pour un sujet explosif. Pour comprendre (Autrement). • Marseille, histoires de famille, un tour d'horizon dirigé par Jean-Claude Baillon. Ville de tous les excès, porte-avion du Front national, chaudron d'immigrations successives, ville de combines et de truands, Marseille est une galégeade. dit-on. BRESIL. Lucia Villar Guanaes, née à Sao Paulo, vit en France depuis 1971. Après dix ans d'exil, elle porte sur son pays un regard neuf. Brésil pauvre, Brésil mystique, pays de forêts, de mer, de jungle urbaine, d'eau et de sécheresse, tout cet immense paradoxe, Lucia l'a parcouru avec tendresse et distance à la fois. Cette jeune photographe a su saisir la sérénité d'un peuple au milieu de la débâcle. Le résultat est un bel album, cent douze photographies simples et sans folklore. Brasil-Brésil, de Lucia Villar Guanaes. Ed. Marval. Mais foin des poncifs et des clichés. c'est ici l'histoire. la géographie humaine, les maux et les rêves d'une ville·peuple que l'on aborde. UN LIVRE MEMOIRE Une découverte, une plongée dans une ville qui a beaucoup fait l'actualité ces dernières années (Autrement). les jeunes immigrés ne sont pas tiu gibier ! Financé par la Mission du Bicentenaire, le ministère de la Culture et le FAS, un livre-album consacré à l'affiche antiraciste vient de sortir. Une véritable mémoire de la bataille pour l'égalité et la dignité. Des luttes ouvrières aux grèves des foyers d'immigrés, des protestations contre les meurtres racistes aux manifestations contre la loi Pasqua: trois cents affiches éditées, au fil des années, par de multiples associations, syndicats et partis. • Histoire des migrations à Marseille, ouvrage collectif. Courant 89 sera publiée chez Edisud une série de volumes sur l'histoire des migrations à Marseille. Sous le titre générique Mosaïque. quatre tomes se succéderont: la préhistoire de la migration (1482-1830), l'expansion marseillaise et /'invasion italienne (1830-1918), le cosmopolitisme de l'entre-deux· guerre (1919-1945) et le choc de la décolonisation et les données nouvelles de la migration (1945-1990). Sociologues ou historiens, plusieurs universitaires sont à la base de cette réalisation. Une souscription est d'ores et déjà ouverte à Edisud. La Calade, RN7, 20 ans d'affiches antiracistes. L-______________________________ ---I Association Affiche de 1982, signée Lallaoui, maÎtre d'oeu- Black-Blanc- 13090 Aix-en-Provence. vre de ce volume dédié à tous les antiracistes. Beur. lm TION, CULTURE ET IDENTITE Réunir Julia Kristeva, Maurice Maschino et Etienne Balibar autour d'une table, c'est prendre le risque de la diversité. Trois parcours, trois points de vue conduisent cependant à une vision plus large. Ce qui bouge transparaÎt dans cet entretien pour peu que l'on veuille bien ne pas croire qu'une JULIA KRISTEVA. Linguiste et psychanalyste d'origine bulgare, vit en France depuis 1966. Chercheur au CNRS, elle est aujourd'hui professeur à Paris VII et enseigne également à l'Université de Columbia à New York. Son dernier livre, Etrangers à nous-mêmes (Fayard) porte directement sur l'altérité: comment vivre avec les autres, sans les rejeter et sans les absorber, si nous ne nous reconnaissons « étron-. gers à nous-mêmes )} ? Ml'URICE MASCHINO. Journaliste et professeur. D'origine russo-italienne, il a la double nationalité française et algérienne. Révolté par la guerre d'Algérie (le Refus et le Reflux), carrefour de cultures différentes à lui seul, il vient de sortir un nouveau livre, Etes-vous un vrai Français? (Grasset) Un livre tonifiant et provocateur sur ce qu'est être ou ne pas être Français aujourd'hui. loi-cadre puisse cerner et résoudre l'ensemble des questions que pose l'altérité à notre société. La complexité et la profondeur des enjeux du débat actuel sur la citoyenneté ressortent immédiatement : classe, nation, droits de l'homme, identité, Etat, démocratie se retrouvent à ce mot carrefour. ETIENNE' BALI BAR. Philosophe, enseigne à l'Université de Paris 1. Auteur de nombreux ouvrages, il vient de publier Race, Nation, Classe, les identités ambiguës (La Découverte). Un livre qui soutient /0 thèse que le racisme n'est ni un épisode, ni une survivance, ni un préjugé, mais un rapport social indissociable des structures .. mêmes de ce monde. Etienne Balibar a également participé au n Q spécial des Temps Modernes (1984) sur l'Immigration maghrébine en France el au volume~sur la Citoyenneté (Edilig, 1988) de la Fondation Diderot, Différences: - Qu'est-ce qu 'un étranger ? Julia Kristeva : - Je donnerais une définition provisoire : l'étranger c' est celui qui ne possède pas les titres d'identité du pays où il habite. C'est une définition juridique, l'étranger n'a pas la carte d'identité française (puisque nous sommes en France). Mais à partir de là, on pourrait essayer d'entrer dans ce qui caractérise la psychologie, le malaise et peut-être aussi les avantages de cette situation. L'étrangeté commence avec le sentiment de ma différence, et s'achève lorsque nous nous considérons tous étrangers à nous-mêmes ... C'est un volet de réflexion possible. L'autre, c'est de voir en quoi cette personne étrangère pose question à la 'communauté nationale sur le plan culturel et enfin sur le plan politique. Quelqu'un est avec nous, donne sa force de travail, participe à la création de notre bienêtre économique et culturel et, en même temps, cette personne n'a pas de statut légal comme nous, elle est juridiquement et politiquement marginalisée. On devrait commencer à aborder l'étranger sans complaisance, sans rejet et sans acrimonie : nous serons tous étrangers à plus ou moins long terme dans le monde moderne qui unifie de plus en plus l'économie et l'information. Avec l'Europe, il n'est pas exclu que les Français soient amenés plus rapidement qu'ils ne le pensent à se considérer étrangers, 'déjà dans le vieux continent, et ensuite à partir d'une ouverture des frontières plus grandes. Etienne Balibar : Théoriquement, rien n'est plus simple et plus clair que la définition juridique. Au fond, nous avons tous en tête qu'une ligne de démarcation bien nette passe entre ceux qui ont la carte d'identité et ceux qui ne l'ont pas. Ceci parce que nous sommes imbus d'une idéologie qui correspond évidemment à de très puissantes réalités historiques et qui est celle de l'EtatNation. Cela fait partie à la fois de la conscience de soi et de la pratique de l'Etat-Nation de se représenter lui-même comme une communauté parfaitement définie dont les membres peuvent être recensés sans équivoque. Or, d'un point de vue historique, les critères de définition de l'identité nationale n'ont cessé d'évoluer et par conséquent, dans le temps, ce type de répartition exhaustive - qui est au coeur d'une certaine définition de l'exclusion - n'a pas la netteté idéologiquement désirable. Soit la question de savoir qui était français à l'époque du grand empire colonial : on bute immédiatement sur ce fait massif que des millions d'individus étaient « français» sans l'être du point de vue juridique parce qu'ils étaient dans l'espace de la souveraineté française, mais n' étaient pas citoyens de plein droit. Donc, dans le temps , tout cela est extrêmement fluctuant et nous vivons en permanence dans les conséquences, les traces de ces Maurice Maschino, vous mêlez plusieurs cultures et deux nationalités. Où et comment êtes-vous l'étranger ? Maurice Maschino : Il me semble que l'étrangeté commence quand on dit : « Qu'est-ce que c'est que ce mec ... ? » Julia Kristeva l'a très bien expliqué: c'est cette partie de moi-même que je n'accepte pas. Le problème de l'étranger, c'est donc le problème de celui qui invente l'étranger, comme le problème juif, c'est le problème de l'antisémite

l'analyse de Sartre vaut

dans les deux cas. S'occuper du statut juridique de l'étranger, c'est important dans la mesure où cela peut le mettre à l'abri d'un certain nombre d'exactions étatiques. Sinon, je ne vois pas très bien ce que change cette carte jaune qu'on leur promet ou leur refuse. Par exemple, tous ces enfants de harkis présents depuis 25 ans et qui sont fran- Le problème de l'étranger, c'est le problème de celui qui invente l'étranger, comme le problème juif, c'est le problème de l'antisémite transformations. Dans l'actualité, les choses ne sont pas simples, non seulement à cause des hésitations sur les critères de naturalisation, mais parce qu'il existe toujours une population très importante dont la nationalité n'est pas fixée pour toute la vie et dont on puisse dire qu'elle « appartient» à tel Etat-Nation plutôt qu'à tel autre. Il y a alors un choix décisif à faire d'emblée: est-ce que nous considérons que ces phénomènes sont, en quelque sorte, pathologiques, qu'ils ne devraient pas exister, ou bien considérons-nous qu'ils sont la vérité - en tout cas une partie de la vérité - de ce droit national, de cette identité de l'Etat national? Je crois que nous entrons dans une période où c'est la mono-nationalité ou la mono-identité nationale, la prétention des Etats à s'approprier pour la vie les individus, qui va se trouver en porteà- faux pour toute une série de raisons. çais : ils vivent une condition d'étranger, ils ne sont même pas sécurisés quand ils passent une frontière. Il arrive qu'on leur demande une carte de séjour ! On sait bien que pour être intégré, il faut être conforme. On est déjà suspect dès qu'il y a une petite différence - un nom, une couleur de cheveux, un nez - si grande, dans ce pays, est l'allergie à la différence. « Que pas une tête ne dépasse! ».' la plupart des Français ont une mentalité d'adjudant. Alors se battre pour que les étrangers aient le carton jaune, bien sûr, mais on parle d'intégration: les intégrer à quoi? C'est quand même une espèce de raisonnement magique: comme s'il y avait deux cercles, celui de la communauté française et dans l'autre, une espèce de magma où il y aurait les étrangers. Imaginons qu'on leur donne le papier jaune. Très bien, mais après? Ces sous-prolétaires étrangers deviendront des sous-prolétaires français. Je ne vois pas par quel miracle ils seraient intégrés, et intégrés à quoi? Une nationalité c'est, comme le rappelle Danièle Lochak, un contrat juridique qui nous lie à un Etat. Ni plus ni moins. Ce n'est pas une valeur, c'est un fait. Et cela ne règle en rien les problèmes de l ' exi stence concrète - qui ne se posent pas en termes de nation, mais de classes et de lutte de classes. En ce qui me concerne, j'ai plusieurs appartenances: l'italienne, la russe, la française , l'algérienne .. . ça se vit très bien, sans état d'âme particulier. - Nous voici au coeur de la question : acquisition de la nationalité, insertion, intégration ou ... quoi? J .K. : Le problème est bien situé, avec ses deux aspects: l'un juridique et qui ne doit pas être abandonné et l'autre, plus profond, qui est peut-être psychologique, physique, religieux, philosophique ou métaphysique et qui concerne l'altérité ou la menace de l'altérité. Il faut réfléchir sur ce second point, sinon on risque de rester un peu à la surface des choses. Je voudrais revenir sur la nécessité de ce «petit papier jaune ». Certains juristes comme Danièle Lochak l'ont déjà noté: une juridiction est sacrée pour ceux qui s'y soumettent parce qu'ils participent à son élaboration et c'est le cas de la Constitution. Or, les étrangers sont exclus de l'élaboration de la loi et, de ce fait, ils ne sont que des ... objets de la loi: on leur demande d'obéir à une loi à l'élaboration de laquelle ils n'ont pas contribué. Ceci revient à les mettre dans la situation de patients ou de passifs, mais pas de sujets. Du point de vue des droits de l'homme, il s'agit d'une situation inacceptable. D'autre part, les textes qui concernent les étrangers n'émanent pas de la loi centrale mais de décrets, arrêtés et autres dispositions qui varient selon la situation économique ou politique. On s'expose donc à beaucoup d'abus, quand ce ne sont pas les abus de l'administration elle-même, ceux de ID tel ou tel individu. On comprend que le problème des droits politiques des étrangers est très important pour le statut de l'étranger et sa dignité d'homme. - L'intégration - par la naturalisation par exemple - serait la solution? Et d'abord ya- t-il volonté de s'intégrer ? Et jusqu'où? J.K.: On a le sentiment qu'aujourd'hui le désir d'intégration des migrants est moins nettement affirmé qu'auparavant, non pas au niveau juridique et politique où l'intégration est un objectif prioritaire, mais il manque le désir - constaté dans les vagues migratoires précédentes d'intégration culturelle et ethnique. Aux Etats-Unis, même à la deuxième génération, les Hispaniques et les Asiatiques ne veulent pas apprendre l'anglais. C'est une attitude compréhensible si l'on tient compte de l'individualisme propre au monde moderne, où chacun veut sa particularité, tient à son altérité et ne souhaite pas abandonner sa croyance, sa langue, ses coutumes parce qu'il a le sentiment d'une dignité maghrébine ou mauricienne aussi importante que la dignité française. Ce qui n'était pas forcément le cas autrefois. Dans ces conditions, le législateur doit assurer la reconnaissance juridique et politique des migrants. Mais cela le conduira à constituer un Etat-puzzle avec plusieurs participants qui tiennent à leur identité. Pour la garantir, on est obligé de considérer quelque chose que Montesquieu appelait le droit privé et qui devrait s'élargir au niveau des différences ethniques de manière à reconnaître les particularismes divers. Par le respect du privé, on respectera votre sexualité, votre culture, votre ethnie, votre cuisine, votre langue et vos coutumes ... donc un substrat de ce domaine que les religions occupaient autrefois et que constitueraient peut-être actuellement l'éducation, la morale et une information par les médias. Ce privé-là représenterait un double-fond par rapport à l'intégration politique et juridique, où serait garantie la différence en contrepoids à l'intégration nivellante. - C'est dire que culture et nationalité ne sont pas superposables ? On emploie cependant souvent le terme de culture française? E.B. : Je ne suis d'accord ni avec l'idée de la nationalité comme « contrat» ni avec l'affirmation selon laquelle le « désir d'intégration à la culture » aurait diminué. Tout cela me paraît dangereusement abstrait. En français, il y a une double signification du terme culturel dont l'équivoque joue constamment. La culture, c'est entendu à la fois comme la civilisation d'un pays, une certaine tradition historique supposée unitaire et, en même temps, comme la culture scolaire, la culture savante, le comportement des élites par opposition à ceux des paysans, des travailleurs. Pour parler brutalement, il y a là un phénomène de classe. On ne peut discuter du désir ou du nondésir d'intégration culturelle si on ne fait pas entrer en ligne de compte des facteurs de ce genre. Plus que jamais ces migrants, ces étrangers ou ces fils de migrants à la seconde génération (c'est encore plus frappant) ont un violent désir d'intégration culturelle, c'est-à-dire d'intégration à la culture ou d'intégration par la culture. Mais la question se pose bel et bien de savoir - pour eux comme pour nous - si cette culture devra être labellisée comme « culture française » d'une façon exclusive et afortiori si on aura dit quelque chose de son contenu en lui collant cet adjectif. D'autre part, il faut se méfier des analogies. Identité, sacralisation de la loi, sentiment, difficulté ou refus d'appartenance, tout cela ne fonctionne pas de la même façon dans le modèle français et dans le modèle américain. Ce sont d'ailleurs des modèles idéaux, fictifs, mais dont la puissance sur l'imaginaire et la vie politique est très forte. Ce qui caractérise - jusqu'à un certain point - le modèle américain, c'est l'idéalisation de la diversité ethnique au sein d'une «nation en formation ». Il y a des effets pervers étonnants de cette reconnaissance: l'obligation, à la limite, de cataloguer les gens par leur ethnicité, ce qui fait qu'on est américain ou censé être américain en tant que juif-américain, irlandais-américain, polonais-américain. Reste alors les inclassables : les Indiens, les Noirs et, de plus en plus, les Hispaniques, soumis à un phénomène de rejet. Dans le cas français, il y a eu une dénégation absolue de l'idée de composante ethnique de la nation. En simplifiant brutalement, ce n'est pas le ment liée à la nôtre, ceux qui sont les plus proches de nous et avec qui nous partageons le plus de questions communes et donc d'éléments culturels communs. C'est une évidence, si l'on veut bien donner de la culture une définition dialectique: le fait d'avoir une histoire commune et donc d'affronter les questions de l'avenir à partir d'un passé qui est largement commun. M.M. : Quelle culture française ? Les travaux de Le Bras et Todd montrent que si l'on entend par là mode de vie, tradition ... c'est extrêmement dif- La Nation résume-t-elle tout l'horizon possible ? modèle de la pluralité ethnique, mais celui de la pluralité régionale : vous êtes français parce que vous êtes breton ou provençal, parisien ou lorrain, ou un peu de tout cela. Ici encore il y a des effets pervers, avant tout, ceux qui perpétuent le passé colonial. Dans le cas des Algériens, l'ambivalence extrême du désir d'intégration, la fierté et, de l'autre côté, le préjugé tiennent non seulement à une différence culturelle, mais à une histoire très précise: celle d'une domination et d'une lutte sanglante qu'on n'a jamais regardée en face. Pourquoi ces étrangers-là sontils ceux dont les traits suscitent les réactions les plus violentes de la part de la population française? Ce n'est pas bien que mais parce que, de tous les étrangers juridiques (ou exétrangers) que l'on peut rencontrer, ils sont ceux dont l'histoire est la plus intimeférent d'une région à l'autre: qu'il s'agisse des rapports enfants-parents, des vieux, des femmes, c'est la plus grande diversité qui règne. Où est LA culture française? Si l'on entend par culture les productions intellectuelles, artistiques, quel rapport entre culture et nationalité ? Si Proust n'était que Français, serait-il Proust? La valeur d'une oeuvre culturelle ne dépasse-t -elle pas les frontières ? L'identité nationale, c'est un mythe. On l'apprend aux enfants dès l'école, en guise d'histoire. C'est un vrai bourrage de crâne, comment s'étonner que, devenus adultes, ils soient chauvins? Pour moi, l'identité nationale, c'est vfaiment un mot creux. Ma francité se résume à la possession d'une carte jaune et à la pratique d'une langue. Pour le reste, je me sens beaucoup plus chez moi à « l'étranger» (à Vienne ou à Moscou) que dans « la France profonde ». J.K. : Il me semble important de distinguer deux niveaux : les étrangers veulent suivre par exemple les grandes écoles pour ne plus être, comme leurs parents, des parias de la société française. Cependant, il demeure un sous-entendu, beaucoup plus net qu'autrefois, de garder une doublure de culture qui est celle de leurs origines. Une culture dont ils sont fiers et qu'ils ne veulent pas abandonner. Il en résultera un éclatement de l'homogénéité nationale. Celle-ci est peut-être mythique, mais ce mythe a été réalisé dans l'histoire: c'est l'identité de la nation française où chacun abandonne ses particularités et retrouve un certain niveau d'homogénéité ou de cohésion nationale. Ce qui nous conduit au thème de l'identité nationale ... - Vous dites dans votre livre que sur ce point, le débat est en France, passionnel et idéologique ? Et ailleurs ? J .K. : Il ne faut pas oublier que la nation française a été bâtie par ses traditions administratives et éducatives depuis des siècles: Richelieu, les Jacobins, Bonaparte, l'école primaire, etc., et qu'une identité est née, parfois de force, ne serait-ce qu'au niveau de l'unification de la langue à partir des patois régionaux. Cette homogénéité, l'étranger la ressent. Il est à la fois plus fasciné par sa solidité et plus rejeté par elle en France qu'ailleurs. Cette cohérence culturelle française, qui est une difficulté pour les étrangers, possède aussi des avantages. La conscience nationale française ne s'enracine pas dans des archaïsmes comme le culte du sang ou la mystique de la langue, ce qui fut le cas des romantiques allemands et a dégénéré dans le nazisme. L'idée nationale française s'enracine dans le désir de se connaître, elle est cartésienne, elle peut rire d'elle-même, et surtout elle exige toujours un espace politique pour se réaliser : la Cour de Versailles ou les arènes de la Révolution. Ainsi, en France, le problème de l'autre, qui est fondamentalement un problème religieux, arrive à dépasser l'espace du culte et à s'énoncer en discours politique, au point où le politique peut rejoindre le moral. «On n'est nulle part plus étranger qu'en France et nulle part mieux étranger qu'en France », parce qu'il y a cette préoccupation de savoir qu'estce que c'est que l'étranger et ne. Face à cette conception des choses, le cosmopolitisme des Lumières propose un respect des droits nationaux au sein d'ensembles supérieurs, et on comprend l'intérêt des peuples de l'Est européen, entre autres, pour l'héritage français qui commence par un appel à l'éveil national. Nous connaissons bien les heures noires du nationalisme français - de l'affaire Dreyfus à Vichy - , mais il existe aussi cet héritage national tout à fait honorable, qui se connaît et peut se dépasser par son propre mouvement : Montesquieu est peut-être le penseur le plus fort de cette tradition qui passe par le respect des nations sans nivellement des étrangers, tout en envisageant l'association des nations dans des ensembles supérieurs. Peut-être, seul un étranger peut-il attirer l'attention sur ceci sans paraître nécessairement chauvin. Il est clair qu'il y a d'ores et déjà des espaces de citoyenneté qui ne sont pas purement et simplement ceux de la citoyenneté nationale comment va-t-on régler ce problème, non pas sournoisement, mais à partir de la conscience de ce qu'est la nation française, de son relativisme, et à partir de là, comment trouver une place politique et morale aux étrangers. En privilégiant ainsi la France dans son rapport aux étrangers, j'exprime sans doute une idée hégélienne qui suppose un certain évolutionnisme dans le rapport à l'autre qui s'accomplirait en France. Ceci cependant n'exclut pas les autres peuples de cette possibilité d'évolution. Evoquons un instant un autre modèle de « règlement » de la question nationale

l'internationalisme prolétarien.

On s'étonne parfois que M. Gorbatchev, qui se montre souvent souple dans les questions économiques, ait été si brutal face aux revendications nationales des Arméniens, par exemple. On oublie que pour l'internationalisme prolétarien, auquel de toute évidence Gorbatchev souscrit, il s'agit d'étouffer le caractère national pour le résorber dans la prétendue unité prolétarien- M.M. : Vous parliez d'homogénéité en disant que l'étranger la ressent. N'est-ce pas ce qui se passe quand on rentre dans un compartiment de train où il y a déjà cinq personnes ? Du couloir, on sent en effet quelque chose comme une homogénéité, mais une fois dedans, ce qui apparaît, c'est la diversité. Le «groupe» n'était qu'un leurre. C'est à peu près pareil pour une nation. Plus généralement, dès que quelqu'un commence à exister pour nous comme personne, sa nationalité s'estompe, elle n'a plus aucune importance. Prenez le violoncelliste Y 0 Y 0 Ma. Il est né en Chine, il a les nationalités française et américaine, il vit à Londres, joue avec un pianiste britannique d'origine polonaise: a-t-il besoin d'une nationalité? La nationalité est le diplôme du pauvre. Einstein n'a pas besoin d'une nationalité pour exister. Julia Kristeva parle de « l'honorable héritage français» en citant Rousseau, Montesquieu, c'est en effet tout à fait honorable. Mais en face, on peut citer le Code noir, la Déclaration des droits de l'homme qui ne valait à l'époque que pour les hommes, blancs et de bien, pas pour les femmes, pas pour les pauvres, pas pour les Noirs, pas pour les enfants ... Montesquieu ? Bien sûr, mais aussi Bugeaud, Bigeard, Massu, Le Pen... aussi français que les Encyclopédistes. La France : un pays comme les autres. Avec ses ombres et ses lumières. Il n'y a vraiment pas de quoi se sentir supérieur ! J.K. : Je dis seulement: n'humilions pas le sentiment national, soyons un tout petit peu psychanalyste en politique. E.B. : Redescendons un peu sur terre, si vous voulez bien. C'est vrai qu'on a changé d'époque, ces vingt ou trente dernières années. Yo Yo Ma ou Einstein (plus exactement les Einstein d'aujourd'hui) sont des individus parfaitement représentatifs d'une élite à la fois sociale et culturelle et qui de plus en plus existe comme élite transnationale. Ils peuvent jouer sur la pluralité des identités. Mais pour la masse des gens du commun, la situation est tout à fait différente. Le frappant est que le cosmopolitisme pratique se rencontre aujourd'hui aux deux extrêmes de l'échelle sociale: les migrants sont ou tout en haut de l'échelle sociale ou tout en bas. Ça n'est évidemment pas vécu de la même façon. Cela pose la question de savoir quels sont, de fait, les cadres de la citoyenneté. Si nous interprétons la citoyenneté dans un sens concret, c'est-à-dire comme un ensemble de droits - de devoirs aussi - qu'on peut effectivement exercer, de pouvoirs dont on dispose collectivement sur son propre destin, il est clair qu'il y a d'ores et déjà des espaces de citoyenneté qui ne sont pas purement et simplement ceux de la citoyenneté nationale. Mais ces espaces de citoyenneté, tout le monde n'y pénètre pas avec la même facilité, ce ne sont pas des espaces de citoyenneté pour tout le monde. Au fond, pour qui la citoyenneté européenne commence-t-elle aujourd'hui à avoir un début d'existence: d'abord pour les financiers, les hommes politiques, hommes de lettres ou universitaires ... Mais ce n'est pas le cas pour le Français moyen, ce sera moins que tout le cas pour le Turc, le Pakistanais ou l'Algérien installés sur le territoire de tel ou tel pays européen comme prolétaire. - Le moins que l'on puisse dire, c'est que la citoyenneté est en mouvement? J.K. : Il y a eu évolution: des gens d'origine étrangère participent indirectement à la gestion de leur localité ou à la vie des syndicats, ce qui est une forme de vie politique. Mais ce n'est pas reconnu dans le droit, il y a un décalage entre la réalité et le label citoyen qu'ils ne possèdent pas. Par ailleurs, de plus en plus de gens participent à des entreprises européennes mais ne se vivent pas comme citoyens européens pour des raisons idéologiques ou parce qu'ils ne participent pas à la gestion de l'Europe. Ces décalages exacerbent le sentiment de ne pas savoir à quoi on appartient, un sentiment identitaire que beaucoup de gens (des jeunes, des intellectuels contestataires) ne partagent pas, mais qui, pour la plupart, est quand même une détermination importante. C'est pour cela que j 'insiste sur la nécessité de reconnaître le droit à l'orgueil national, tout en reconnaissant le relativisme national et en visant un cosmopolitisme . On ne peut reconnaître son étrangeté et l'étrangeté des autres qu'a condition d'avoir une estime de sa propre identité. On peut se demander si on peut aller au-delà du nationalisme sans l'avoir vécu et épuisé. M.M. : Autant dire que pour jouir de sa santé il faut d'abord avoir souffert du choléra ! Non, ce qui définit un individu, ce n'est pas sa nationalité, c'est son engagement conscient, sur un certain nombre d'objectifs. Pendant la Seconde Guerre mondiale, qui était plus français, des collabos qui avaient la Légion d'honneur et allaient à l'église ou Manouchian et les Iraniens morts à Bir-Hakeim? E.B. : En citant Manouchian, vient là un élément très précieux

dans une conjoncture

comme celle-là, où le choix national et la façon de ce choix, qui implique l'honneur, est si importante (être collabo ou résistant, sans oublier la masse de ceux qui ne furent ni l'un ni l'autre), il y eut aussi des engagements - qui ont peut-être joué un rôle déterminant dans la défaite du nazisme - et qui n'étaient pas principalement déterminés par le facteur national. En tout cas pas uniquement. Derrière Manouchian, il y a justement cet internationalisme prolétarien qu'évoquait tout à l'heure Julia Kristeva. Totalement perverti, il a donné finalement son masque idéologique nécessaire à l'empire grand-russe pour perpétuer sa politique d'oppression des nationalités, mais il a été aussi une composante indispensable sans laquelle peutêtre il n'aurait pas été aussi simple de choisir entre le patriotisme et le chauvinisme fascisant. Il y a des individus, des groupes, des collectivités entièberrichonnerie, se demandant qui est ou n'est pas berrichon. N'est-ce pas ce qu'on est en train de faire quand on parle de l'identité française? - Alors, ne faut-il pas contribuer à désacraliser, démythifier la nationalité et la nation ? J .K. : On ne les désacralisera pas en les combattant inconsidérément. Au contraire, en humiliant le sentiment national, on risque de provoquer des attitudes de haine réactionnelle. Et je me demande si une partie de l'irritation que la petite bourgeoisie éprouve aujourd'hui contre les étrangers n'est pas due à notre précipitation à combattre le fantôme de l'image nationale. Il ne faut· pas sous-estimer la réalité nationale psychologique et politique. - Dans l 'année du Bicentenaire, ne voit-on pas mieux encore toute l'ambiguïté du couple homme-citoyen, celui de la Déclaration des droits ? On ne peut reconnaître son étrangeté et l'étrangeté des autres qu'à condition d'avoir une estime de sa propre identité res qui, dans certaines circonstances historiques, peuvent choisir des engagements qui ne sont pas fondamentalement caractérisés comme nationaux. Et ça peut importer beaucoup à l'histoire d'une nation, qu'elle comporte en son sein des individus qui s'engagent de cette façon, qui se dressent contre la tyrannie, le fascisme ou les guerres coloniales, au nom de l'internationalisme. Reste qu'il s'agit d'exceptions historiques, jusqu'à présent. C'est vrai que la nationalité n'est, le plus souvent, pas un choix, mais si on l'intériorise, ça devient un horizon d'une vie, de soi et d'une famille, et des générations suivantes. C'est pourquoi la crise des nationalités et des nationalismes est bel et bien une crise d'identité. M.M. : Un horizon qui se limite à l'Hexagone, quelle tristesse ! Ce qu'on dit d'un pays, appliquons-le à une région: cela devient grotesque. Imaginons des « sages » discutant à Châteauroux de l'essence de la J.K. : Tenant la Déclaration, on constate qu'au bout de trois articles, elle ne parle plus de l'homme, mais du citoyen. La réalité historique qu'il fallait prendre en compte - une Nation devi~nt souveraine contre la royauté - est un fait capital, mais le Citoyen a servi d'écran qui a caché les différences: femmes, étrangers, pauvres. Et le rejet de l'étranger va se perpétuer à d'autres niveaux de l' esprit révolutionnaire. E.B. : Le terme qui me paraît essentiel au contraire est celui de citoyen, parce que c'est celui-là qui a la précision nécessaire pour marquer le changement de souveraineté. C'est celui qui signifie qu'il n'y a plus de sujets avec un roi audessus d'eux, mais des individus qui font collectivement la loi et qui sont donc collectivement leur propre maître. C'est le terme auquel est suspendu un avenir ouvert, dans lequel de nouveaux droits pourront être constamment conquis ou contestés. C'est l'avenir républicain et démocratique. L'actualité de ce texte aujourd'hui est d'ailleurs liée à cette notion de citoyenneté, car c'est pour elle ou pour son extension que nous sommes amenés à nous battre, y compris lorsque nous exigeons que la citoyenneté ne soit pas identifiée à la nationalité. En rattachant cette idée-là à la notion de l'homme en général, il y a probablement recherche d'une sacralité, d'une garantie, d'un fondement transcendant. C'est là que réside l'ambiguïté du texte, car vous ne pouvez parler des droits de l'homme sans proposer en même temps une image de l'homme. Et cette image de l'homme combine de façon extraordinairement contradictoire l'universalisme formel du terme avec toute les restrictions qui sont déjà apparues dans ce débat

en réalité, sont hommes

au sens plein du terme les adultes, mâles, civilisés donc en réalité u~e partie seulement de l'humanité. Bref, l'humanité est quelque chose, ici, de hiérarchisé. Il ne s'agit pas d'attaquer la notion de droit de l'homme, il s'agit de dire que cette notion, au moment où elle est invoquée et telle qu'elle continuera de l'être dans la suite de l' histoire est intrinsèquement ambivalente parce qu'il n'a jamais été possible de définir l'homme autrement qu'en y faisant entrer des préjugés de classe, de sexe ou de culture. En revanche, la notion de citoyen est une notion purement politique et c'est cela qui en fait tout le prix. Elle ne se substitue pas à la définition, par chaque individu ou groupe d'individus, de sa propre identité, des liens qui font qu'il se sent membre d'une communauté ou - pourquoi pas - de plusieurs communautés. Il n'y a rien dans la notion de citoyen qui oblige à ce que le citoyen soit un homme et pas une femme, un Blanc et pas un Noir, un catholique et pas un protestant. J.K. : Notons cependant que l'emphase mise sur le terme « citoyen» exclut le noncitoyen. Par ailleurs, je ne pense pas que l'insistance sur la notion d'homme soit une abstraction inutile et métaphysique. Certes elle appartient à l'héritage d'une tradition métaphysique, mais elle rompt avec cette tradition et s'inscrit dans l'esprit des Lumières qui déclare l'homme naturel et universel. Il y a là comme une appropriation de l'héritage religieux qui se transforme en exigence morale et éthique, en doublure du politique. La conséquence en est que le politique ne se réduit pas au moral ni le moral au politique. Cet espace maintenu entre les deux est le véritable garde-fou pour une société : même si les formes politiques évoluent - et elles ne peuvent qu'évoluer - il y a reconnaissance d'un statut de l'humanité irréductible à ces formes historiques. Je dirais que c'est parce que ce principe d'homme est abstrait qu'il est valable: à partir de l'étranger, le Noir, l'adulte, l'enfant, la femme, dire qu'il y a un homme, c'est reconnaître notre symbolique commune, notre aptitude à parler, à communiquer, à penser et à nous dépasser. - Etre citoyen aujourd'hui, ce devrait être quoi ? M.M. : Avoir des droits dans la cité! Je ne vois pas pourquoi des personnes qui sont ici depuis un certain nombre d'années, qui vivent dans ce pays comme moi, qui y travaillent, qui probablement vont vivre là jusqu'à leur mort et n'ont pas envie de retourner dans un pays qui leur est en partie devenu étranger, je ne vois pas pourquoi ces personnes n'auraient pas les mêmes droits que moi! Il me semble qu'une solution démocratique consisterait à ouvrir très largement l'accès à la nationalité, c'est-à-dire de faire de son acquisition un droit et non plus une faveur. De la même manière qu'on s'abonne au PTT ou à EDF, on devrait pouvoir s'abonner à la société France. Sans honte, sans fierté! Par souci pratique d'abord, et puis, si l'on y tient, pour participer avec d'autres à des luttes politiques. Le droit à la citoyenneté, c'est aussi l'un des droits de l'homme. E.B. : Je vois très bien pourquoi, de mon point de vue, il faut que les immigrés aient les mêmes droits que moi. Il est essentiel pour nous, vital, que les étrangers aient ces droits parce que nous avons les mêmes intérêts culturels, d'avenir dans le monde transnational qui vient. Ce qui obscurcit fondamentalement la discussion sur ce point en France, c'est la confusion entre la notion de droit et celle de privilège. C'est peutêtre le caractère de classe de cette société, ou bien les restrictions qui peu à peu ont été apportées à l'idée même de démocratie, mais le fait est que la plupart de nos concitoyens tendent à s'imaginer que leurs droits sont plus grands quand ils sont les seuls à en bénéficier, quand d'autres - et si possible le plus grand nombre - en sont exclus. Je suis prêt à soutenir la définition suivante qui trace une ligne de démarcation entre ces deux notions : un privilège c'est quelque chose qu'on doit monopoliser, qui est d'autant plus grand qu'on est moins nombreux à en bénéficier, tandis qu'un droit c'est quelque chose qui par définition s'accroît d'autant plus qu'on est plus nombreux à en jouir et qu'on peut collectivement le faire valoir. Les étrangers sont par excellence des individus qui ne sont pas citoyens, mais presque exclusivement sujets, sur lesquels s'exerce un pouvoir discrétionnaire, notamment de l'Etat. Or, on constate, dans la pratique, qu'un Etat, une police, une administration, qui ont des sujets à leur disposition comme cela, ont une tendance permanente à élargir le champ de leur pouvoir discrétionnaire, y compris sur ceux qui sont nominalement des citoyens. Je suis persuadé que c'est seulement par la communauté des intérêts, la solidarité, l'action collective de ceux qui sont formellement des nationaux et de ceux qui ne le sont pas que le champ de la citoyenneté pourra s'agrandir pour tous, et celui de la sujétion se rétrécir dans le rapport que tous les habitants de ce pays entretiennent avec cet appareil d'Etat. - Aujourd'hui, nombre d'associations se battent pour une nouvelle citoyenneté. Ce pourrait être une voie ? J.K. : C'est un combat juste qui ne saurait aboutir sans un long travail d'explication et de débats. Actuellement, je ne suis pas sûre que les Français soient prêts à accepter cette nouvelle citoyenneté. Ces associations précipitent les choses, mais il faut peut-être les précipiter pour ouvrir la discussion et faire avancer les mentalités. Aujourd'hui, l'opinion considère que donner des droits politiques aux immigrés leur accordera une situation privilégiée qui les rendra beaucoup plus compétitifs sur le marché du travail, qui s'est rétréci, au lieu de les maintenir dans le cadre d'une main-d'oeuvre marginalisée et accessoire ... Mais le refus vient aussi de causes psychologiques plus profondes

de notre incapacité ou

difficulté à vivre avec quelqu'un d'autre. Est étranger aussi celui dans lequel je projette mes propres différences, mes propres malaises, ma propre étrangeté et j'en fais un bouc-émissaire. Même si, rationnellement, j'accepte que l'étranger a les mêmes droits que moi, inconsciemment je ne le permets pas parce que, par une logique immémoriale, je lui attribue mon malaise, mon mal-être. - Faut-il briser ce lien citoyenneté/ nationalité? Que pourrait être une nouvelle citoyenneté à naître? J.K. : Dans l'immédiat, ce qui paraît possible sans trop de problèmes, c'est une citoyenneté européenne. Mais je ne pense pas que la réalité de la Nation soit économiquement, politiquement et encore moins culturellement et psychologiquement dépassée. On va, au mieux, vers une coexistence des nationalités: Français et Européen, Anglais et Européen ... E.B. : Le problème de la citoyenneté doit-il être enfermé dans cette problématique-là? Cela se situe peut-être à un niveau plus quotidien, plus terre à terre. Il y a là un certain nombre d'enjeux sur lesquels on peut discuter, militer, se battre collectivement sans avoir besoin de décider à l'avance si la nationalité française va se fondre ou pas dans un ensemble supranational. Je crois qu'il faut, dans les discussions et dans les mouvements de lutte, essayer de passer de la notion de citoyenneté française à celle de citoyenneté en France, de construire peu à peu un ensemble de droits qui de facto ne soient pas attachés à l'identité nationale et dont la convergence, l'addition progressive aboutissent de plus en plus à faire que tous les individus installés sur le sol de ce pays, qui sont là pour des raisons absolument indéniables, soient de plus en , plus des citoyens et de moins i en moins des sujets. Cela passe par des droits sociaux, des droits face à la justice, mais débouche inévitablement sur la question des droits politiques c' est-à-dire le contrôle sur la loi. J.K. : Ce qui m'intéresse, c'est comment à partir des particularismes ethniques, culturels, linguistiques et, plus généralement, nationaux, on est conduit à penser un monde à la fois unifié et divers. Il faut réserver une place privilégiée au « privé », qu'il soit national, ethnique, sexuel, linguistique, pour éviter le Goulag ou Orwell. Il s'agit d'un espace pour l'exercice de nos différences, d'espace subjectif au sens noble du terme; de ce qui n'est pas prescrit par une autorité institutionnelle, par un pouvoir politique ou économique. Un espace de liberté et de divergences. - Autre avis, quelles sont les perspectives sur 20 ans, sur ces problèmes d'insertion et de citoyenneté? E.B. : l'ai pensé, il y a quelques années - vers 84-85 - que les mouvements de jeunes issus de l'immigration, et autour d'eux une sorte de cristallisation des aspirations culturelles ou politiques d'une partie de la jeunesse dite française, était quelque chose qui avait beaucoup d'avenir. Il a fallu constater que les choses étaient plus difficiles et le sens de ce mouvement moins défini que nous l'imaginions. Mais il me semble qu'il y a des aspects positifs. D'abord, cette campagne pour les droits remet sur le tapis la question de l'égalité. Or, cette notion à la fois générale, formelle, et immédiatement articulée aux problèmes quotidiens, est essentielle. C'est bien que cette question n'ait pas sombré et ressurgisse aujourd'hui comme mot d'ordre politique, du côté du MRAP ou du côté de SOS-Racisme, sans oublier d'autres mouvements qui ne sont pas structurés de façon nationale. Ainsi, les mouvements de lutte ont jugé que le discours du président, le jour de l'An, c'était bien, mais que la question de fond restait si oui ou non on allait abroger la loi Pasqua, parce que dans la pratique, c'est de ça que dépendent les conditions de vie des individus. Ils se battent et c'est l'important. Ce n'est pas très facile, mais la question qui a été soulevée avec l'égalité et renvoie à des notions aussi fondamentales que celle de citoyenneté et de nationalité est une question qui ne se laisse pas enterrer. Cela prouve que nous sommes dans le réel quand nous posons ces problèmes. J.K. : Je pense que les réflexions de fond qui se mènent promettent. Je crois que l'entrée de la France dans l'Europe, avec un élargissement au Sud, va permettre aux Français de se mesurer à d'autres cultures dont ils reconnaissent désormais l'égalité avec la leur. Ce sera une grande thérapie d'humilité et de relativisme culturel pour pouvoir se situer avec plus de réalisme dans l'Hexagone même. Avec les Les Petites Annonces de Différences Vacances et repos au refuge de la Madone d'Utelle 06450 à 50 km de Nice. Renseignements au (16) 93.03.19.44 (nO 406). Vivez à l'anglaise en séjournant en familles très sélectionnées. Jolie station balnéaire du sud de l'Angleterre. 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Texte et règlement à Différences: 89, rue Oberkampf, 75011 Paris. Tél. : 48.06.88.33 Les membres de la Société des amis de Différences bénéficient d'une insertion gratuite par an (maximum 5 lignes) 1 1 1 · 1 mouvements qui se font jour à l'intérieur, de remise à jour de la citoyenneté, des droits politiques aux étrangers, etc., on peut prévoir la constitution d'un pluralisme dans l'Etat, reconnu ne serait-ce qu'au niveau culturel et ethnique. Avec l'Etat-Nation, qui a une longue vie devant lui, coexistera un Etat-puzzle de différences ethniques et culturelles qu'il faut savoir reconnaître et valoriser. Cette même logique va se retrouver non seulement au sein d'un pays, mais bien évidemment dans les grands ensembles internationaux comme l'Europe et, dans l'avenir, au-delà. M.M. : Je suis beaucoup moins optimiste que Julia Kristeva. Beaucoup trop de Français ne reconnaissent nullement l'égalité des cultures, tant l'idéologie dominante est encore national-chauvine . C'est à la quatrième génération - seulement - que les immigrés européens (Polonais, Italiens ... ) ont été, pour l'essentiel, intégrés. Les Maghrébins le seront-ils à la cinquième, à la sixième ? Nous ne sommes qu'au début d'un processus, très lent, très long ... Raison de plus pour se battre, bien sûr. Mais sans se raconter d'histoires: le pouvoir - quel qu'il soit - dans ce pays ne reconnaît les droits de l'homme que contraint et forcé. Propos recueillis par /' RENE FRANÇOIS Pompe. funèbre. Marbrer.e CAHEN & Cie 43.20.74.52 MINITEL par .e 11 Trois volontés face à l'avenir. La volonté d'entreprendre est la condition essentielle de la réussite. C'est animés par ce même esprit que les hommes des Postes, des Télécommunications et de l'Espace font face aux grands défis technologiques et économiques. Ces 3 volontés conjuguées sont aujourd'hui les armes les plus sûres de la France dans la compétition internationale pour la communication. Ministère des Postes, des Tèlécommunications et de l'Espace 273 , RUE SAINT-HONORÉ, PARIS 8 TÉL. 42.61.41.14 54, RUE BONAPARTE, PARIS 6 TÉL. 43.26.84.11 23 , AV. VICTOR-HUGO, PARIS 16 TÉL. 45.00.83.19

Notes

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