Différences entre les versions de « Différences n°128 - mai 1992 »

De Archives
Aller à la navigation Aller à la recherche
m (Remplacement du texte — « </div> » par « </div>{{Notes de bas de page}} »)
 
(Aucune différence)

Dernière version du 1 mars 2012 à 10:12

Sommaire du numéro

n°128 mai 1992

  • Quand des magistrats réécrivent l'histoire (non-lieu pour Paul Touvier) par Isabelle Avran
  • Chronologie du mois
  • A la surface des résultats électoraux par C. Benabdessadok
  • Comités locaux: Toulouse, comment et pourquoi ils militent
  • Paco Ibanez: qu'est-ce que une maison sans poésie, interview recueillie par C. Benabdessadok


Numéro au format PDF

Cliquez sur l'image ci-dessous pour avoir accès au document numérisé. Cliquez ensuite sur l'onglet "précédent" de votre navigateur pour revenir à cette page.

Voir-pdf.jpg

Texte brut

Le texte brut de ce document numérisé a été caché mais il est encore visible dans le code source de cette page. Ce texte ne sert qu'à faire des recherches avec la fonction "rechercher" dans la colonne de gauche. Si une recherche vous a amené sur cette page, nous vous conseillons de vous reporter ci-dessus au document numérisé pour en voir le contenu.

l l EDITO COMMUNIQUEZ Le sujet a été longuement débattu au sein de l'atel ier "communication interne et externe du Mrap" du congrès. En attendant la publication du compte-rendu de ces travaux dans notre prochaine édition, il ressort bien qu'une information-communication de type horizontal a besoin de se structurer, de s'affiner. La mise en place d'un serveur minitel (lire page 12) obéit à cet objectif. En ce qui concerne Différences mensuel, il apparaît clairement que les nouvelles rubriques ont besoin d'être nourries par la réflexion du Mouvement et notamment des comités locaux. Ainsi l'information quasi-télégraphique transmise à Différences gagnerait, pour devenir pertinente, à être traitée au niveau local et/ou national. Exemple: l'information concernant l'organisation d'une confé rence~débal par tcl ou tel comi~ té ne peut être vivante (en sortant du catalogue froid et répétitif de l'énu~ mération) que si les organisateurs nous livrent d'autres sens: les rai~ sons d'être de cette act ivité, le contexte, les efforts fournis, les pro~ blèmes rencontrés, les objectifs souhaités, l'éva luation quantitative et qualitative, la mise en association de cette activité avec d'autres etc, Une page courrier est également réservée aux lecteurs: nous n'avons pas encore croulé sous le poids des envois, A vos plumes. Aidez~nous à mieux communiquer. Chérifa Benabdessadok 1 9 9 2 N' l , 8 1 0 F. Quand des magistrats réécrivent l'Histoire Le 13 avril, le milicien Paul Touvier, accusé de crimes contre l'Humanité, bénéficiait d'un non-lieu. Indignation et questions. "Constituent des crimes imprescriptibles contN.' l'Humanité, alors même qu'ils seraient également qualifiables de crimes de guerre, les actes inhumains et les persécu. tians qui, au nom d'un Etat pratiquant une politique d'hégémonie idéologique, ont été commis de façon systématique, lion seulement contre des personnes en raison de leur appartenance raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de leur opposition", Selon la définition des crimes contre l'Humanité donnée par l'Arrêt du 20 décembre 1985, voilà donc de quoi ses victimes ou leurs fami lles accusent Paul Touvier, chef du deuxième bureau de la milice française, installé à Lyon, dans le fief de Barbie, en 1943 et 1944. Cet Arrêt dc 1985, rendu au moment de la procédure en cours contre Klaus Barbie, précisait la définition des crimes contre l'Humanité de la Chane du Tribunal International du 8 août 1945, qui énumérait: "l'assassinat, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes les populations cil'i/es, QI'ant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs poli( iques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont élé commis à la suite de tout crime relltrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison arec ce crime", Selon le même article, "les dirigeall/ s, organÎSateurs, provocateurs ou complices qui 0/11 pris part à /' élaboration d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sali/ responsables de tOIlS les actes accomplis par toutes personnes en bécu(ion de ce plan", Le 13 avril 1992, la chambre d'accusation de Paris prononçait le non-lieu de Paul Touvier. Ombres et brouillards sur l'Histoire de Vichy et de la collaboration française? Chagrin et pitié autour d'un jugement qui suscite pour le moins interrogations en cascade? Un tel non-lieu prononcé par la chambre d'accusation de Paris motive la peine et la colère des victimes de Touvier, des parties civiles, des défcnseurs du respect des droits humains, de ceux et celles qui se veulent aujourd'hui héritiers des valeurs de la résistance, garants de la mémoire, "Si votre voix s'éteint, nOlis mourrons", écrivait Paul Eluard, Un pourvoi en cassation a été immédiatement déposé par les parties civiles contre ce jugement des trois magistrats de la Chambre d'accusation de Paris. Ce non-lieu , au-delà de l'émotion ou de l'indignation, nous oblige à réflexion sur aumoins deux grandes questions, La première concerne la nature et les limites des prérogatives du juge dans un système d'Etat de Droit. La seconde concerne le regard que la société française dans son ensemble est capable de poner sur son passé, et en paniculier sur les zones les plus noires de son histoire. Car Touvier est jugé en 1992 pour crimes, imprescriptibles, contre l'Humanité, Mais il avait déjà été jugé et condamné après guerre pour "crimes de guerre" (eux "prescriptibles" selon la loi) mais gràcié par le bon vouloir du Président Pompidou en 1971 ... Et si, aujourd'hui, trois magistrats se pennettent de se déclarer compétents pour juger du "carac- 1ère hégémonique" ou non de l'idéologie du régime de Vichy et osent sur ce point capital le dédouaner, ils provoquent cenes une indignation quasi-générale dans la presse et dans les milieux politiques qui rassure quelque peu. mais ils font aussi malgré eux la démonstration flagrante de la facilité avec laquelle la société française s'est jusqu'ici dédouanée à bon compte ou pour le moins débarassée tranquillement d'un débat national sur Vichy et la collaboration, quitte à laisser en 1992 trois magistrats décider seuls, -"en leur âme et conscience"",- du son de cette période. Ce jugement souligne en effet l'absence d'une véritable réflexion, en près suile pages 6 el 7 ~ CHRONOLOGIE Durant tout le mois d'avril, les combats se poursuivent en Bosnie-Herzégovine. Sarajevo est victime des bombardements de l'armée fédérale yougoslave. 31 mars: le conseil de sécurité de l'Onu vote dans sa résolution 748 par 10 voix pour et 5 abstentions (dont le Maroc) le principe d'un embargo dès le IS avril, à l'encontre de la Libye, sommée de livrer aux justices américaine, française et britanique les auteurs présumés (!) des attentats contre les avions de la Pan-Am et d'Uta, en 1988 et 1989. La plupart des pays arabes condamnent cette décision. les responsables des Eglises d'Ethiopie, craignant une famine équivalant à celle des années 1984-1985 lancent un appel à l'aide internationale, d'urgence. violents affrontements dans le ghetto d'Alexandra, en Afrique du sud, entre militants de l'Anc et de l'Inkhata. Plusieurs morts. 1" avril: suite de la semaine nationale d'éducation contre le racisme. Multiples initiatives dans toute la France. fusillade de soldats israéliens au beau milieu du marché du camp de réfugiés de Rafah, dans Gaza occupée. Bilan: 4 morts et 80 blessés palestiniens. Manifestations de protestations dans d'autres camps. Bilan: au-moins 30 blessés palestiniens. 2 : Pierre Bérégovoy nommé Premier Ministre. à l'appel de la Ligue des droits de l'Homme, manifestation à Cherbourg contre le racisme et l'extrême-droite. Plusieurs associations dont le Mrap se joignent à l'appel. au Tchad, réduction du dispositif français "Epervier", mis en place en 1986. l'Olp demande une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'Onu et la protection des populations civiles palestiniennes. 4 : arrivée de 600 casques bleus français en Croatie. S : hospitalisation de plusieurs Kurdes et Turcs déboutés du droit d'asile en grève de la faim à Vitrolles. Soutien du Mrap DU Mo IS AVRIL 1992 élections régionales en Allemagne. Deux formations d'extrême-droite, les "républicains" et le "Dvu", obtiennent des scores importants, en particulier dans le BadeWurstemberg et le Schleswig-Holstein. raid aérien iranien contre les moudjahidin de M. Radjavi, en Irak. coup de force au Pérou. Le Président Fujimori annonce notamment la suspension du Parlement et des institutions démocratiques. Il reçoit pourtant l'accord du Fmi pour son plan de réforme économique. Pas de réaction immédiate de l'Oea. Le 15, le Vénézuéla rompt avec le Pérou. 7 : l'avion qui ramène le Président palestinien Yasser Arafat du Soudan en Libye est victime d'une tempête de sable et se perd. La France accepte de participer aux recherches. Le 8, l'on apprend que des combattants palestiniens ont péri dans l'accident. Mais le Président Arafat en est sorti sain et sauf. Manifestations de joie dans les territoires palestiniens occupés, ainsi que dans les camps de réfugiés du Liban et en Tunisie. 8 : l'état d'urgence est instauré en Bosnie-Herzégovine. les tests génétiques effectués sur le corps présumé de l'ancien nazi Mengele tendent à prouver qu'il s'agit effectivement de son cadavre. "Médecin" à Auschwitz de 1943 à 1945, il était responsable de la mort de 400000 personnes, tziganes et juives, et d'expériences horribles sur des enfants. 9 : Un membre du Fn élu au sein de l'exécutif du conseil régional de Haute-Normandie à l'issue de douze tours de scrutin. En Alsace, deux vices-présidences sont laissées au Fn. le conseil constitutionnel exige une révision de la Constitution avant la ratification des accords de Maastricht. en Polynésie "française", les trois partis de l'opposition représentés à l'assemblée demandent "un accord en vue de permettre à la Polynésie d'accéder à son émancipation", "à l'instar de ce qui s'est passé en Nouvelle-Calédonie". 2 victoire des conservateurs lors des élections législatives en Grande-Bretagne. Sali Berisha (leader du Pda) élu chef de l'Etat albanais par le Parlement après sa victoire aux élections législatives. lors d'une conférence de presse à Paris, des militants de l'opposition des différents pays du Golfe dénoncent la répression dont ils sont victimes. Un an et demi après la guerre du Golfe ... 10 : lors de sa déclaration d'orientation devant l'Assemblée nationale, le nouveau premier ministre, Pierre Bérégovoy, rappelle que les immigrés ont des droits, mais insiste surtout sur leurs devoirs. Insinuerait-il qu'ils ne les respecteraient pas? Par ailleurs, il revient sur l'immigration clandestine et affirme vouloir s'attaquer au regroupement familial des familles polygames, alors même que, selon le secrétaire général à l'Intégration, Hubert Prévot, cela ne concerne en France qu'entre 1000 et 2000 familles. Alors: démagogie et populisme de nouveau au programme? manifestation contre la venue d'un révisionniste à Taverny, dans le Val-d'Oise attentat à Londres: 2 morts et 90 blessés. Scotland Yard attribue l'attentat à l'Ira. premier tour des élections législatives en Iran. Les premiers résultats officiels donnent le parti de Rasfandjani vainqueur. 10-11 : colloque intemational de juristes et d'associations humanitaires, à Paris, à l'initiative de l'Anafe (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers). Contestation d'un nouveau projet de loi visant à créer des rones de transit après le rejet de "l'amendementMarchand" par le Conseil constitutionnel. La Commission nationale consultative des Droits de l'Homme critique ce nouveau projet qui prévoit la possibilité de retenir 24 jours un étranger non-admis, avec intervention, après 2 jours, du Procureur de la République. 10-11-12 : congrès national du Mrap. Compte-rendu complet dans notre prochain numéro. 11 : la crise politique dans la fédération de Russie aboutit à une sévère mise en garde du 6ème congrès des députés, critiquant la politique de réforme du gouvernement. Celui-ci menaçant de démissionner, le congrès vote la confiance à un exécutif qui prend de plus en plus de pouvoir. Boris Eltsine en sort renforcé. signature d'un pacte entre Touaregs et autorités maliennes. plusieurs attentats meurtriers revendiqués par le Sentier Lumineux au Pérou. 12 : Dalil Boubakeur élu recteur de la mosquée de Paris. 13 : non-lieu en faveur de Touvier (voir notre article infra). Le Mrap, indigné, fait appel. Michel Giraud envisage l'attribution de sièges de présidences de commissions au Fn, au Conseil régional d'Ile-deFrance. à Agen, le Mrap, Sos-racisme, la Ldh et l'Union socio-éducative des Tziganes d'Aquitaine dénoncent une pétition (signée par un élu, maire et conseillergénéral, Pierre Lapoujade): ce texte, émanant de co-propriétaires d'une résidence, refusait que s'installent dans la cité des Tziganes, et des ressortissants du Rmi relogeables par l'office Hlm. Apartheid "bon teint" dans quartier chic et création de ghettos en périphérie? François Mitterrand en Turquie. manifestation de lycéens en Pologne contre l'introduction du catéchisme obligatoire dans les programmes scolaires. 14 : journée de deuil national en Libye, à la mémoire des victimes du raid américain de 1986. IS : fin de la réunion du Gatt. boycott international de la Libye. rencontre officielle entre Yasser Arafat et la délégation palestinienne aux négociations de paix. A Kaboul, tentative de fuite du Président Nadjibullah. 16 : Rafles, tueries, à Istambul, contre le Pkk kurde et le mouvement turc de guérilla urbaine Dev-Sol. l'Onu déplace la frontière irakokoweïtienne de 600 mètres au profit du Koweït, qui récupère des champs pétrolifères. 17 : conférence de presse du Mrap pour alerter sur la situation de 83 enfants étrangers de 12 à 16 ans toujours pas scolarisés malgré de multiples démarches plusieurs mois après leur arrivée à Paris, du fait de nombreuses entraves administratives. rassemblements, notamment à l'appel du Mrap, dans plusieurs villes de France, comme à Mont-de-Marsan, Nancy ou Marseille contre le verdict de non-lieu en faveur de Touvier signature d'un accord de "coopération anti-terroriste" entre Damas et Istambul. au Maroc, Nabir Amaoui, secrétaire général de la confédération démocratique du travail et membre du bureau politique de l'Usfp est condamné à deux ans de prison. la fédération de Russie prend le nom de "fédération de Russie, Russie"(sic), gardant la dénomination de fédération du fait de l'étendue d'un Empire qui intègre de nombreux peuples et territoires. 18 : Washington décide de renforcer l'embargo qui frappe déjà très durement le peuple cubain. Cette guerre économique se poursuit depuis plus de trente ans. 21 : en Afrique du sud, 5 députés blancs adhèrent à l'Anc. 22 : la Première chambre civile du Tribunal de Grande Instance de Paris refuse de sanctionner les propos de Valéry Giscard d'Estaing qui, en septembre dernier, avait parlé "d'invasion" des étrangers dans un article du Figaro-Magazine. Le Mrap, qui rappelle que le racisme n'est pas une opinion décide de faire appel. une explosion de gaz, prévisible, dûe apparemment à des fuites de la compagnie nationale des pétroles, provoque la mort de centaines d'habitants d'un quartier populaire de Guadalajara au Mexique. assassinat à bout portant par une unité spéciale de l'armée israélienne d'un jeune résistant palestinien. la Libye se dit prête à coopérer avec les justices compétentes pour combattre le terrorisme, et le conseil des ministres de la justice des Etats arabes soutient Tripoli, souhaitant que l'Onu accepte de résoudre pacifiquement le conflit en cours, "dans le respect de la souveraineté libyenne". exécution par étouffement au gaz zyklon d'un condamné à mort en Californie. Protestation de plusieurs juges (qui s'étaient prononcés contre la condamnation à mort), contre l'utilisation de ce gaz, qui tue dans de sauvages souffrances. 23 : exécution au Texas d'un condamné à mort. le Programme de Développement des Nations-unies (Pnud), rend public son troisième rapport sur le Développement humain. Le fossé se creuse de plus en plus entre le nord et le sud. 1/5 des hommes se partagent plus de 4/5 des revenus de la planète. Le mal-développement provoque en moyenne chaque année le départ de 75.000 ressortissants du sud. mais les pays riches acceptent plus volontiers les ingénieurs, techniciens, enseignants ... qui font cruellement défaut aux pays du Tiers-monde -par ailleurs soumis, notamment, au poids de plus en plus exorbitant des dividendes de la dette-. 24 : après des mois d'interdiction, Télé-Free-Dom émet de nouveau librement à la Réunion. Son promoteur, Camille Sudre (qui émettait clandestinement de 1986 à février 1991, depuis la saisie ordonnée par le Csa), a remporté 30 % des voix aux élections régionales. Soutenu alors par le Pcr, il a été élu Président du Conseil régional. Les dirigeants de Tel-Aviv empêchent un délégué palestinien, Mohamad Hourani, de quitter les territoires palestiniens occupés pour se rendre à Washington où les négociations israélo-arabes doivent reprendre le 27. Les Etatsunis, en revanche, accordent des visas à quatre dirigeants de l'Olp (dont certains déportés hors de Palestine par les autorités israéliennes ces dernières années): Taysir al- 3 CHRONOLOGIE DU MOIS Aruri, Akram Hanye, Nabil Shaath, et Azni Chweibé. 2S : démission du Premier ministre Cossiga en Italie 26 : profanation du cimetière juif de Berlin. Les soupçons pèsent sur des jeunes, attirés par les thèses nazies. les Républiques de l'ex-Urss font leur entrée au Fmi et à la Banque mondiale. 27 : la Syrie autorise désormais les juifs ressortissants du pays à émigrer. le parlement de l'ex-Yougoslavie proclame une nouvelle fédération yougoslave, composée de la Serbie et du Monténégro. 28: deux députés italiens d'extrême- droite (du "Mouvement Social Italien") déposent une gerbe à la mémoire du dictateur fasciste Mussolini. le Premier ministre turc annonce une aide financière de la Turquie à l'Ouzbékistan. En Côte d'Ivoire, S6 membres de l'opposition qui avaient participé à la manifestation du 18 février sont condamnés à la prison. 29 : A Los Angelès, quatre policiers blancs qui avaient gravement brutalisé Rodney King, automobiliste noir, arrêté pour excès de vitesse, sont acquittés à l'issue de leur procès. Ce déni de justice est "la goutte qui fait déborder le vase" pour la communauté noire américaine. Trente ans après la reconnaissance légale des droits égaux entre blancs et noirs aux Etats-unis, ceux-ci sont toujours victimes d'une justice et d'un système policier à plusieurs vitesses. Dans une société sinistrée par le chômage, les "non-blancs" sont le plus lourdement touchés. C'est le cas également en matière de logement, d'analphabétisme et d'illettrisme, de maladie et d'accès aux soins, de mortalité infantile. Le verdict de ce 29 avril suscite des émeutes violentes et des pillages à LosAngelès de même que dans plusieurs autres villes (Seattle, Oakland, San francisco, Atlanta et même New-York) dans les jours qui suivent. Plusieurs milliers d'hommes des forces armées, sous direction fédérale américaine, sont dépêchés à Los Angelès. Malgré le couvre-feu, les affrontements font plusieurs dizaines de morts, des centaines de blessés, et occasionnent d'énormes dégâts matériels. l'on compte des milliers d'arrestations. Pour le Mrap, "les graves évènements de Los Angelès sont un avertissement sérieux pour toutes les sociétés inégalitaires". Pour ceux qui ne les ont pas encore vus, courez voir les films de Spike Lee et de John Singleton. Après la défaite du régime communiste de Nadjibullah et le départ de celui-ci puis plusieurs jours de combats avec les troupes du fondamentaliste islamiste extrémiste Heykmatyar, le général Massoud, fondamentaliste plus "modéré", reprend en mains Kaboul, à la tête de 10000 hommes. Moudjaddedi assure la présidence temporaire. 3800 Albanais, entrés clandestinement en Grèce au cours du week-end ou des jours précédents, sont arrêtés et expulsés. Nouveaux affrontements armés en Anatolie entre militants du Pkk et de l'organisation de guérilla Dev-Sol, et les forces armées turques. Plusieurs morts. Réouverture partielle de l'université de Bir-Zeit, en Palestine occupée. Les forces d'occupation israéliennes avaient illégalement imposé sa fermeture depuis le début de l'Intifada. Plusieurs étudiants et enseignants de Gaza sont encore empêchés de se rendre en cours. A Alger, la Cour suprême confirme la dissolution du Fis. 30 : Coup d'Etat militaire contre le Président -corrompude Sierra Leone. Pour la première fois, un policier blanc (responsable du meurtre de onze noirs d'un township du Natal, en 1988) est condamné (mais hélas, en l'occurence, à mort) en Afrique du sud. Environ 400000 enfants, sans abri, sans protection, survivent de "petits boulots", en Inde. 600 d'entre eux manifestent dans la capitale. Chronologie établie par Isabelle Avran / ELECTIONS L, Fmat National a doubM le nombre de ses conseillers régionaux entre 1986 et 1992. Un Français sur deux déclare "comprendre" le vote extrémiste. La même proportion -un Français sur deux- considère comme indispensable une "lutte rigoureuse contre le racisme". Comprendre et agir : un vrai défi pour les antiracistes. Points de repère en sU/face. Quel citoyen moyen et néanmoins normalement constitué a réussi à comprendre la légitimité de l'embargo sur la Libye, les raisons qui ont mené les juges de Touvier à se transformer en historiens ou dans un tout autre domaine les débats qui divisent les classes et les courants politiques sur Maastricht? Dans ce contexte, les commentaires des résultats des élections cantonales et régionales de mars dernier ont été vite happés par une surmédiatisation qui rend indéchiffrables des événements déjà fort complexes en eux-mêmes. Le temps ne suffit plus au temps quand les "jactanciers" attitrés ont trente secondes pour présenter des solutions au chômage et une demi-minute pour évoquer t'amour dit universel à naître ... après demain. Parallèlement, les colloques se multiplient, le plus souvent payants, dans une indifférence massive. Là, on refait le droit, la philosophie, la politique, la citoyenneté. Froidement, tranquillement : les "salauds" qui votent Front National sont ailleurs, on n'est pas gêné par les Sans Domicile Fixe (500000 en France, 30000 à Paris), ni par les gosses des banlieues qui négocient leur prochain rodéo contre des images cathodiques fortes enfin concrètes! Différences qui s'interroge, comme tout le monde, sur la portée de son propre message, a fait sien, par la force des choses, ce constat de Bertrand PoirotDelpech

"Il y a plus puissant

qu'un message matraqué: un message rare". Notre message est à la mesure de nos moyens. Le sujet était fixé: que retenir des résultats électoraux du Front National? Ne disposant pas d'observatoire qualifié susceptible de fournir une analyse précise du point de vue de l'antiracisme (ou des antiracismes), allons à la pêche à l'information brute. • / / /Échec ou enracine- /"// ~entduFn? Deux points de vue contradictoires se sont exprimés dans la presse et les médias, parfois dans le même journal du même jour, quand ce ne fut pas dans le même article. Pour le premier le Fn est en échec, pour le second il est en expansion. Dans la première hypothèse, le Fn serait en stagnation car il n'aurait pas provoqué le raz-de-marée attendu. Des chiffres à l'appui: le Fn compte, pour toute la France, trois conseillers généraux. Il en comptait quatre avant ce renouvellement. Il perd les deux cantons renouvelables qu'il détenait a vec Jean Rous sel dans les Bouches-du-Rhône et Yvan Blot dans le Pas-De-Calais. Il fait son entrée au Conseil Général des Alpes-Maritimes avec Jacques Peyrat (Nice), Philippe Adam et Fernand Le Rachinel respectivement conseillers généraux des Bouches-du-Rhône et de la Manche (ces cantons n'étaient pas renouvelables). S'il capte le mécontentement social, le mouvement de Le Pen semble reculer chez les travailleurs indépendants et les paysans, et ne pas pouvoir s'attacher durablement l'électorat de la droite parlementaire. Ainsi, selon Olivier Biffaud, (Le Monde du 31 mars) cinq fois sur six, les "duels" ont opposé un candidat Fn à un candidat Udf ou à un représentant du Rpr ou à un candidat divers droite: sauf à Nice, il n'a gagné aucun de ces bras-de-fer. De ce point de vue, note le journaliste, l'adversaire principal du Fn est la droite. On pourrait en conclure que notre bonne droite libérale et républicaine serait une précieuse arme politique contre le nationalisme néo-raciste. Laissons en conclusion l'hypothèse ouverte, en y ajoutant cette remarque d'O. Biffaud : "dans les "triangulaires", la droite a eu, parfois, à pâtir du maintien de l'extrême 4 droite, mais c'est le Front National qui a enregistré, quasiment partout, une fuite de ses électeurs". Dans la seconde hypothèse le score du Fn est interprété comme l'expression d'un "enracinement" qui n'aurait plus rien à voir avec le vote épidermique et protestataire des premières années de son émergence électoraIe! Avec 3445020 suffrages, il réalise cette année son meilleur score, en gagnant 800000 nouvelles voix par rapport aux élections de 1986 et en doublant le nombre de ses conseillers régionaux (cf. : encadré). Selon les chiffres fournis par la presse, on peut retenir trois caractéristiques: 1) prolétarisation du vote FN avec un taux de 19% parmi les ouvriers ( en progrès de cinq points par rapport aux européennes)

le Fn s'apparenterait

de ce fait à une"composante populaire de la droite française"; 2) diversification toulours active

le journal Libération (24

mars) attire l'attention sur "la capacité du Fn à attirer, sur une base protestataire, des électeurs d'origine fort diverse. Ses listes ont vu se reporter sur elles Il % des électeurs d'extrême-gauche ou encore 6% de ceux qui votèrent, il y a trois ans, pour Antoine Waechter. Le Fn recrute partout ses nouveaux électeurs. Il réalise d'ailleurs un score (16%) supérieur à sa moyenne parmi les nouveaux électeurs de ces régionales"; 3) enfin, troisième caractéristique qui, si elle s'avérait fondée, devrait attirer non seulement l'inquiétude mais de véritables enquêtes: 72% des électeurs lepénistes étaient décidés sur leur vote plusieurs mois avant l'échéance et 78% d'entre eux ont confirmé leur vote régional aux cantonales . Ces deux derniers chiffres confirment la fermeté du vote extrémiste, son enracinement politique et social. • / / /Essayer /"/ / de comprendre Il est facile de constater que les scores du Fn avoisinent les 30% dans toutes les métropoles hexagonales

forte percée dans l'est

ALASURFACE lyonnais (31,22% à Saint-Priest, 27% à Bron, 24,5% à Vénissieux, 28,5% à Vaulx-en-Velin), en banlieue parisienne (notamment 31,4% à Mantes-la-Jolie et 29,44% aux Mureaux) et dans le Nord (26,2% à Roubaix-Est), avec un parallèle significatif entre percée du Fn et taux d'abstention de 5 à 10 points supérieur à la moyenne nationale. De ce point de vue, il est facile de comprendre que la pauvreté française devenant de moins en moins scandaleuse, la peur de devenir comme l'autre -la figure physiquement repérée du plus pauvre, du plus dégradé que soimême- fonctionne comme une condamnation de ce même autre. On peut, de ce fait, " comprendre "comme 55% des Français (selon le sondage CSA effectué pour la Commission Nationale Consultative des Droits de l 'Homme réalisé du 21 au 25 novembre 1991) que l'on puisse voter pour Le Pen. Les choses se compliquent, disons positivement, quand 52% des personnes interrogées par le même sondage se déclarent favorables à "une lutte rigoureuse contre le racisme". Où est ce Français sur deux qui nous fait tant espérer, quel est son profil, que fait-il, comment se représente-t-i1le racisme et "la lutte rigoureuse contre le racisme? Sur ce patrimoine là, les enquêtes n'existent pas ou bien elles sont bien cachées. Là aussi une meilleure connaissance du "terrain" serait d'une aide précieuse pour comprendre comment " lutter avec" et non pas seulement "contre". Car s'il faut bien sortir du cassetête (casse-moral et casse-militant) qui consiste soit à jeter l'anathème sur les "beaufs" et autres "cons" soit à essayer de comprendre les chemins paranoïaques de la malvie, c'est bien sur des pratiques qu'il faut aboutir. Si le racisme comme l'antiracisme sont des discours (ou des idéologies), ils ne sont pas que cela. Ils expriment, révèlent et convient à des pratiques individuelles et/ou collectives. Si le Front National donne à rêver à tous ceux qui risquent de se retrouver non plus sur le pavé de la barricade de la Réforme ou de la Révolution mais sur celui du chômage et du 1 1 DES RESULTATS ELECTORAUX désespoir, c'est que le chantier tout entier est à reconsidérer. Le chantier des banlieues où les Dsq n'ont apparemment fourni que du ravalement de surface comme l'imaginaire sur les frontières que l'Europe ouvre dans un nuage de contradictions et d'informations aussi superficielles qu'opaques. On est bien parti remettre le Koweit dans ses frontières mais le même "on" est bien incapable (ou se présente comme tel) d'arrêter l'émergence dans le sang et la fureur de nouvelles frontières ethnico-religieuses en Europe. Que faut-il penser? A partir de quels principes et de quel droit international peut-on penser? Les colloques, les refondations à droite comme à gauche, les brefs fronts républicains, et les nouvelles citoyennetés sont à l'oeuvre. En pro-fondeur? Peut -être mais en attendant, le Front National confITme son territoire, ses influences, affrrme sa stratégie; tous les ingrédients existent pour que la collusion entre nationalisme et racisme fonde des modes de vie individuel et collectif qui, un jour, peuvent devenir irréversibles. Personne n'ose plus d'un revers de main écarter 1'h ypothèse en assurant que "la France n'est pas raciste". Les discours ont évolué(l). Le monde communiste s'étant éteint, la famine installée comme une banale fatalité dans des régions du monde, hier lieux d'influences et de conquêtes, le discours dominant aussi a changé. Tout le monde s'accorde désormais à placer les maux du racisme dans la société dite duale et les exclusions sociales et économiques, tandis que la couleur de la peau ou la nationalité viennent révéler les dysfonctionnements de la société. Mais la société n'a-t-elle jamais été autre chose que duale. Le thème n'est pas nouveau, son évidence flagrante. C'est d'ailleurs, paradoxalement, le schéma d'analyse le plus classique quant au racisme. Les choses se compliquent très vite sitôt que l'on prend en compte deux paramètres majeurs : 1) la fin de l'illusion progressiste des 30 glorieuses qui faisaient coïncider le bonheur matériel collectif et l'épanouissement individuel ; 2) l'installation dans la durée des coûts humains des mutations technologiques en perte du travail et de sens. C'est tout l'intérêt, le désir de vivre ensemble qui a perdu de ses valeurs classiques, héritées en France du siècle des lumières et de la Révolution de 1789, que ces valeurs soient réelles ou symboliques. • / / /Disgrâces /"/ / intolérables Il n'y a plus sur nos écrans que les sportifs ou les stars pour ne pas subir les rejets en chaîne. Dans ce contexte, l'homme providentiel est un menteur et la politique providentielle une machine démagogique. La peur de devenir un "destitué" ou un "déraciné" dans son propre pays explique probablement les réflexes nationalistes, xénophobes et chauvins. Si la pauvreté est mille fois plus scandaleuse aujourd'hui qu'au début du siècle, non seulement les poches extérieures de pauvreté s'installent dans la banalisation aveugle, mais les réalités intérieures de la pauvreté se déclinent en disgrâces intolérables. Si la pauvreté ne devient pas dix mille fois plus scandaleuse, alors les étrangers ou ceux que l'on considère comme tels continueront de fournir le corpus de la révélation de la société duale et de nourrir par tous les pores de la vie sociale la collusion entre nationalisme et racisme. Et nous continuerons innocemment à considérer (comme les sondages) l'immigration comme une source prioritaire de réflexion et d'action alors que c'est tout l'édifice qui cherche un but à son existence. Les sujets de société sont redevenus hégémoniques dans la presse: signe avant coureur d'un nouveau siècle des Lumières qui en inventerait de nouvelles? En attendant, nous sommes bel et bien "gérés" par 239 conseillers régionaux appartenant au Front National. La liste de ces messieurs et de ces rares dames a été publiée par la revue "Article 31" dans son édition d'avril. Merci. Chérifa Benabdessadok (1) A lire avec attention : "La France raciste" de Michel Wieviorka, Ed. Seuil, mars 1992. 5 Régions ALSACE AQUITAINE AUVERGNE BOURGOGNE BRETAGNE CENTRE CHAMPAGNEARDENNES CORSE FRANCHECOMTÉ ILE-DEFRANCE LANGUEDOC ROUSSILLONLIMOUSIN LORRAINE MIDIPYRÉNÉES NORDPAS DE CALAIS BASSENORMANDIE HAUTENORMANDIE PAYS DE LOIRE PICARDIE POITOUCHARENTES PROVENCEALPESCÔTE D'AZUR RHÔNE-ALPES Totalisation / ELECTIONS Pourcentage Nombre Nombre de voix de voix d'élus 1992 1986 1992 1986 1992 1986 17,16 (13,02) 17441 (96882) 9 (7) 10,29 (7,00) 137926 (l03757) 8 (4) 8,97 (5,93) 57395 (43106) 4 (1) Il,98 (8,40) 87899 (67369) 8 (3) 8,82 (4,90) 106641 (76748) 7 (1) 13,91 (8,39) 146363 (98971) Il (3) 14,36 (9,59) 77406 (61464) 8 (5) 5,10 (7,18) 6508 (5348) 0 (4) 12,57 (9,56) 60404 (53391) 5 (4) 16,22 (11,46) 602640 (503082) 37 (23) 17,41 (13,28) 170316 (141790) 13 (8) 6,52 (3,93) 25353 (17219) 1 (0) 14,62 (10,49) 141132 (118621) 10 (7) 9,42 (6,43) 115154 (86271) 6 ( 3) 2,90 (10,20) 234205 (201931) 15 (12) 11,14 (7,28) 68572 (51193) 5 (2) 3,00 (7,12) 100750 (58594) 8 (3) 8,98 (5,50) 123026 (83798) 8 (3) 13,50 (9,60) 111432 (86384) 8 (4) 9,02 (5,63) 69808 (47410) 5 (1) 23,45 (20,12) 445139 (411020) 34 (25) 17,08 (10,84) 63147 (258114) 29 (14) 13,91 (9,6) 3445020 (2672463) 239 (137) MÉMOIRE ~ de cinquante ans, à l'échelle de la nation tout entière, au-delà du cercle des historiens et spécialistes qui, aux Etats-unis comme en France, ont entrepris depuis plusieurs années maintenant un travail sérieux, précis, dépassionné, sur ces années de cendre. Ainsi, ce n'est pas la première fois que le chef milicien Touvier est jugé. Les 10 septembre 1946 et 5 mars 1947, les cours de justice de Lyon puis de Chambéry le condamnent à mort par contumace, pour trahison et intelligence avec l 'ennemi. Ses complices de la milice lyonnaise sont aussi condamnés, tels Lecussan, chef régional de la milice, condamné à mort -et exécuté- Reynaud, chef départemental , condamné à mort par contumace -puis acquitté en 1951- Gonnet et Reynaudon, eux aussi chefs départementaux, condamnés à mort -et exécutés ... Accusé de crimes de guerre, Touvier, lui, est alors en fuite, bénéficiant d'un exceptionnel réseau de complicités. C'est donc au nom de l'imprescriptibilité des crimes contre l'Humanité que ses victimes ou leurs familles ont demandé un nouveau jugement. Onze chefs d'accusation. Pas moins : l'attentat en décembre 1943 contre la synagogue du quai de Tilsit, à Lyon, l'assassinat de Victor Bach, Président de la Ligue des Droits de l'Homme, et son épouse Hélène, le Il janvier 1944, la rafle de Montmelian le 24 avril 1944 puis celle du 13 juin 1944, les arrestations de Jean de Filippis et d'André Laroche, celle d'Albert Nathan, et son assassinat, celles d'Emile Médina et de Robert Nant, torturés , celles d'Eliette Meyer et de Claude Bloch, déportés, l'assassinat de Lucien Meyer, le massacre de Rillieux-la-pape du 29 juin 1944. Pour les dix premières affaires, Touvier bénéficie d'un non-lieu. A chaque fois, les motifs de nonlieu sont les mêmes, qui remettent en cause la certitude des témoignages des victimes, susceptibles, selon la Chambre d'accusation de Paris, de mal reconnaître Touvier, de confondre, après tant d'années, voire d'identifier devant eux non leur tortionnaire mais la photographie de Touvier parue dans la presse voici une vingtaine d'années. Si n'était l'acharnement à mettre systématiquement en doute les propos et témoignages des victimes, qui revivent sans doute des traumatismes profonds en décrivant aujourd'hui, aussi précisément qu'elles le peuvent, ces drames inscrits dans leurs mémoires, si n'était cette obstination à chercher dans leurs récits d'éventuelles influences extérieures, l'on voudrait se féliciter d'une telle capacité de la Justice à ne se fonder que sur des preuves totalement et définitivement irréfutables avant d'accuser et de condamner un individu. Mais des avocats et juristes sourient ici amèrement, habitués à moins de rigueur dans les tribunaux de flagrants délits ou autres, où des petits larcins, lors de procès vite expédiés, sur la foi de témoignages pas vraiment remis en cause, brisent parfois la vie d'individus se débattant pourtant si souvent dans de multiples difficultés. C'est donc exclusivement du massacre de Rilleux-la-pape que Touvier est reconnu coupable. ,Justice et Etat de Droit Le 29 juin 1944, après l'attentat contre le Ministre de Vichy Philippe Henriot, sept otages juifs sont assassinés à Rillieux, par la milice, sur ordre de Touvier. Restait dès lors aux trois juges à qualifier la nature du crime, à déterminer s'il s ' agit ou non d'un crime contre l'Humanité. "C'est une entreprise hardie que de vouloir, en 1992, au vu de la considérable bibliographie se rapportant à la période 1940- 1944, définir une fois pour toute (souligné par nous, Ndlr). le rôle des hommes et des institutions dans une période aussi trouble et mouvementée de notre histoire", prennent la précaution d'écrire les trois magistrats. En quelques pages d'un arrêt qui en comprend plus de 200, ce n'est plus le procès de Touvier qu'ils font, mais celui de Vichy et de la milice française, considérant que toute la question consiste à savoir si l'Etat français au moment du crime du chef milicien pratique une politique "d' hégémonie idéologique". Vaste question, autant sur le régime de Vichy que sur les définitions mêmes d'idéologie d'Etat et d'idéologie hégémonique. En l ' occurence, les magistrats n 'auraient-ils dû, n 'auraient-ils pu, se déclarer 6 incompétents, ou nommer une commission d'experts, essentiellement d' historiens, avant de rendre leurs conclusions? Ils ont préféré s'ériger eux-mêmes en pseudo-historiens , quitte à contredire les travaux les plus sérieux d'historiens ayant, eux, consacré des années de recherche individuelle et collective à cette période. Les trois magistrats, en effet, tranchent bien curieusement : "cette "idéologie", disent-ils, est d'ailleurs, à strictement parler, plutôt une constellation de "bons sentiments" et d'animosités politiques, qu' un système d'idées rigoureusement enchaînées" . "Bons sentiments"? A quel propos? Et se manifestant de quelle façon? Par la révision, dès juillet 1940, des naturalisations? Par la définition du statut des juifs, promulguée dès le 3 octobre 1940, devançant les voeux de l'occupant nazi? Par la gestion des camps d' internement d'Espagnols, d'autres étrangers, de juifs, de résistants, sur le sol français y compris en zone libre? Par "l'aryanisation" économique? Par la création du commissariat aux questions juives? Par les rafles ordonnées et effectuées par les autorités françaises, dès mai 1941? Par l'instauration du STO y compris en zone sud? Par le remplacement des municipalités élues par des municipalités nommées dans les villes de plus de 2000 habitants en novembre 1940? Par le serment de fidélité imposé en janvier 1941 aux grands corps de l'Etat puis en août aux fonctionnaires? Par la dissolution des syndicats, en novembre 1940, tandis qu 'un mois plus tard était adoptée la loi organisant la "corporation paysanne"? Et tout ceci n'aurait rien à voir avec une volonté d'hégémonie idéologique? Ni les chantiers de jeunesse obligatoires (parallèlement à l'obligation d'enseignement religieux), ni la création des Comités de propagande du Maréchal, ni l'ensemble des lois répressives contre la "propagande anti-nationale", ni la création, en août 1941, des "sections spéciales" censées juger, notamment, les communistes, et contre lesquelles seuls de très rares magistrats se sont alors levés, puis des cours martiales, en janvier 1994, ni les accords Bousquet-Oberg, officialisant, dès avril 1942, la collaboration des polices française et allemande ... ? "Bons sentiments"? Ou allégence au régime nazi? Prétextant du caractère "très composite" d'un "univers politique" "dans lequel vont se produire des luttes d'influence parfois acharnées", les trois magistrats concluent à l'absence de volonté d'hégémonie idéologique de Vichy. Mais l'ensemble des lois énumérées ci-dessus, parmi d ' autres, auraient-elles par hasard été prises clandestinement par une faction en rivalité avec une autre, au sein du gouvernement vichyssois qui prônait pourtant la "Révolution nationale" pour un "ordre nouveau"? Ce serait là un scoop historique. Autre scoop historique: "Il y a certes un courant antisémite puissant qui va chercher à s'emparer de certains leviers de commande de l'Etat, et réussir à faire adopter des mesures légales et administratives de discrimination, voire (on se demande le sens de ce "voire", Ndlr) d'exclusion à l'encontre de citoyens français ou étrangers d' origine juive. mais on n'arrivera jamais, sous la France de Vichy, à la proclamation officielle que le juif est l'ennemi de l'Etat, comme ce fut le cas en Allemagne. Aucun des discours du Maréchal Pétain ne contient de propos antisémites. Ce n'est pas dire que la pratique des administrations vichyssoises fut exempte (sic) d'antisémitisme, mais le problème qui est posé est de savoir si l'on peut affirmer qu'il existait à Vichy une politique étatique ou gouvernementale d' hégémonie idéologique". Aucun antisémitisme donc dans la promulgation du statut des juifs dès l'automne 1940, ou bien ce statut n 'était-il sans doute le fait que d'une administration mal intentionnée indépendante de l'Etat vichyssois, de même que les déportations qui n'ont pas tardé à suivre. Autre morceau d'antologie: "Le nazisme, comme d'ailleurs le communisme (sic!) , ont une idéologie. La volonté de résister au "bolchévisme", leitmotiv de maints discours vichyssois, ne relève en soi aucune idéologie de ce (?) type". Même visite très particulière de l'Histoire à propos de la Milice. Les magistrats reconnaissent les liens entre son secrétaire général, Joseph Darnand, nommé en décembre1943 secrétaire général au maintien de l'ordre puis en juin 1944 secrétaire d'Etat à l 'Intérieur, reconnaissent qu'il était membre des Waffen SS et avait prêté serment à Hitler, que la milice prônait "la lutte contre la dissidence gaulliste, pour l'unité française, contre le bolchévisme, pour le nationalisme, contre la lèpre juive , pour la pureté française , contre la franc-maçonnerie païenne, pour la civilisation chrétienne", mais ajoutent que si l'antisémitisme "est semblable à l'un de ceux qu' affectionnait le parti nazi", "ce n'est pas pour autant qu' il y a adhésion sans réserve à l'idéologie nazie". Et d'affirmer que "la référence à la civilisation chrétienne , la lutte pour l'unité française( .. .) ne pouvait "être toléré" que "provisoirement par le national-socialisme allemand" . Quand est-il dit dans la définition des crimes contre l'Humanité qu"'hégémo nie idéologique" implique copie conforme du nazisme du Reich? Le "nationalsocialisme" vichyssois a non seulement fait acte d 'allégence à l'occupant nazi, mais a aussi précédé ses voeux. En témoigne le statut des juifs! Et c'est sur la base de cette "analyse", de cette révision de notre Histoire, que la Chambre d'accusation de Paris a prononcé un non-lieu en faveur de Touvier. "Réhabilitation du régime de Vichy en catimini"? Le respect de l 'Etat de Droit implique fort justement l'indépendance de la Justice par rapport à l' éxécutif et au législatif. Il suppose aussi le respect de la chose jugée. Mais comment respecter ce que l'on peut considèrer comme un déni de l'Histoire? Où est, ici, l'Etat de Droit? Plusieurs avocats se sont exprimés sur cette affaire. Deux jeunes avocates , Aude Catala et Françoise Cotta ont quant à elles choisi la fronde. En accord avec leurs clients, elles ont refusé de plaider devant ces trois magistrats. "Vous avez donné de l'Histoire une version qui nous semble dénuée de toute objectivité. De ce fait, nous ne nous retrouvons plus devant vous la nécessaire confiance entre magistrats et avocats qui, seule, nous permet d'assurer le fonctionnement normal de la justice", écrivent-elles, ajoutant que si un jour un régime semblable à celui de Vichy se mettait en place en France, il se trouverait des avocats pour ne pas l'accepter. Précisément, on n'en est fort heureusement pas là. Cette position des deux avocates réconforte après le verdict rendu par les trois magistrats. Mais elle ne sera sans doute pas sans poser de problèmes. Notamment car les trois magistrats en question continueront à sièger à l'avenir, et donc à juger des individus, qui auront naturellement besoin d'être défendus. Reste qu 'accepter de digérer un déni d'histoire sous prétexte de "chose jugée" est pour le moins difficile. Pierre Mairat, avocat du Mrap, rappelle que le fonctionnement de l'Etat de Droit permet le pourvoi en cassation. Deux questions se posent alors. Peut -on être sûr que la cour de cassation rejettera ce "jugement" de la chambre de Paris, comme on est en droit de l'espérer? Si, d'aventure, elle rejetait le pourvoi, comment imaginer avoir encore confiance en la Justice? Que faire, dès lors ? La deuxième question que pose Pierre Mairat concerne le temps qu ' il faudra attendre avant que la cour de cassation rende son jugement. On se rappelle que Legay était mort avant d'avoir été finalement jugé. En sera-t-il de même pour Touvier, évitant une fois de plus que la Justice, qui a su juger Barbie, se prononce définitivement sur les crimes de l'un des chefs de la collaboration française? Aucun citoyen français n'a été condamné pour crime contre l'Humanité. Certains affirment que les citoyens français coupables de ces crimes le seraient davantage que les citoyens allemands, car s'étant, en outre, rendus coupables de trahison. Ceci ne semble guère sérieux. Car il reste à savoir de quelle trahison les uns et les autres se rendent ou non coupables. Le respect du Droit humain n'incite-t-il pas à "trahir" de toutes façons un régime illégitimé a priori par sa barbarie? En revanche, n'est-ce pas précisément le sens du "crime contre l'Humanité" que de trahir, (et quelle que soit la "légitimité" formelle du régime), les valeurs humaines élémentaires, sa propre conscience, la conscience universelle? Face à l'horreur, qui plus est commise 7 au nom d'un choix politique ou idéologique, comment pourraitil être question de "nationalité" des coupables? Et c'est quelle que soit sa nationalité qu'il est urgent de juger réellement Touvier, comme le fut Barbie. Et pas à huis clos. Mémoire et "Paix sociale" Il semble aujourd'hui que la société française redécouvre à peine Vichy. Il est grand temps. L' imaginaire collectif sur cette période s'est davantage construit autour de la mémoire de la Résistance. Elle a suscité à juste titre de nombreux romans, de nombreux films souvent passionnés, et passionnants. L'autre visage de la France de cette époque, celle de la collaboration, en revanche, a inspiré peu d'auteurs. Est-ce au nom de la fameuse "paix sociale"? C'est elle, pour une part, qui motiva la décision de Georges Pompidou de grâcier Touvier en 1971. Droit au Pardon? Mais qui a droit de pardonner? N'est-ce pas d'abord aux familles martyres victimes de Touvier (qui n'a jamais fait montre du moindre remords) qu'il fallait demander leur avis? Surtout, comment imaginer pardon sans reconnaissance préalable de l'acte? Quant à la paix sociale, elle se construit. Pas sur les sables mouvants de l 'o ubli . Nul besoin d'être psychanalyste chevronné pour savoir à quel point la "paix" d'un individu ne peut naître du refoulement de l'acte honni ou de la faute, du non-dit. En seraitil bizarrement autrement pour le corps social? Peut on imaginer la "paix sociale" bâtie sur un nondit qui s'éternise, celui d'une participation plus ou moins directe d'une grande part de la société française à la collaboration? Ne pas le dire, c'est maintenir la permanence du danger. Un danger d'autant plus présent que l'extrême-droite française, jouant des non-dits de l'histoire et des ambiguités de son propre discours pour se masquer d'une pseudo-respectabilité de façade, enracine ses thèses d'exclusion et de rejet dans notre société et sert de modèle à l ' extrême-droite européenne. Selon le rapport 1991 de la commission nationale consultative des Droits de l'Homme, 16% des Français éprouvent (no- MÉMOIRE vembre 1991) plutôt de l'antipathie à l'égard des juifs. Certes, l'antipathie ne se transforme pas forcément en acte. Doit-on en conclure qu'il ne s'agit pas de racisme, pour ces 16% de nos concitoyens, lorsque des individus, assimilés d'abord à une communauté, inspirent en tant que tels de l'antipathie? Certes, ce chiffre est très largement inférieur à ceux qui concernent les Asiatiques (23%), les Noirs d'Afrique (24%), les Tziganes et gens du voyage (41 %), les "Beurs" (40%), les Maghrébins (49%), chiffres qui en tant que tels nous inquiètent bien davantage. Mais ils révèlent précisément que plus de 45 ans après 1 'Holocauste, l'antisémitisme existe encore en France et s'exprime , et que le racisme s'exprime aussi, massivement, à l 'encontre d'autres catégories d'individus. Jusqu'où? Regarder notre Histoire en face, c'est aussi prendre conscience du danger, mesurer et faire mesurer "jusqu'où" le racisme pourrait aller. En d'autres temps, y compris plusieurs années après la guerre, d'autres épisodes tragiques l'ont aussi montré, hélas. Ainsi des crimes aujourd 'hui "prescrits" des guerres coloniales (menées au nom d'une "hégémonie idéologique"?). Madagascar. Déportations et massacres. Pas seulement au siècle dernier, mais aussi en 1947 : environ 80000 morts. Indochine. Afrique. Où l'on brûla vifs dans des grottes des villageois qui s 'y étaient réfugiés pour ne pas partir en Indochine. Algérie ... Qui jugera les criminels d'alors? Qui décidera qu ' il ne s'agirait pas de crimes contre l'Humanité? Le 14 avril dernier, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux décidait d'ouvrir une information judiciaire pour "crimes contre l' Humanité" contre René Bousquet, secrétaire général de la police en 1942 et 1943 et Maurice Papon, accusé notamment de plusieurs rafles et d'avoir fait déporter 1690 juifs dont 223 enfants. Ce même Papon que l'on retrouve Prefet de la Seine un certain mois d'octobre 1961. Moins de vingt ans après les massacres des juifs, celui des Algériens ... La Justice, cette fois, refusera- t-elle de re-visionner notre Histoire? Isabelle A vran. 1 ECHos DES COMITÉS MARSEILLE La Fédération s'est dotée d'un outil d'inofrmation "MRAP 13" de douze pages.Le sommaire est alléchant (activités,infos brèves,mrap national, actualités, interview, vu et lu, agenda, dossier) et la conception de qualité. Les fédés qui souhaiteraient créer une publication du même type pourraient prendre contact avec le comité de rédaction de Mrap l3, adresse: 17,av. rue du Refuge 13001 Marseille. DE CASTRES À ALBI Les foulées multicolores (les sixièmes du genre) ont eu lieu le 15 mars dernier (quatre relais de 10 km) coorganisées par l'OMEPS d'Albi, le Mrap, l'ECLA et l'UA de Castres. Onze équipes de plus que l'an passé (soit cinquante sept) y ont participé. Selon le rapport moral présenté au congrès fédéral du Tarn, la conclusion est la suivante: "la Fédé assume le rôle de soordination qui lui incombe, mais pour qu'elle assume un rôle de développement, il faudrait que des militants s'y consacrent, ce qui aboutirait dans l'état actuel de nos forces à diminuer le potentiel des comités locaux quirestent les maillons essentiels du Mrap". ANGOULEME Une trentaine de personnes (selon la presse locale reçue au siège) ont assisté à une conférence- débat donnée par Pierre Krauss à la MJC de la GrandeGarenne sur l'extrême droite: sa réalité, ses réseaux, sa stratégie. Pourquoi si peu d'affluence? BOBIGNY Cinq jours de riches activités à l'occasion du 21 mars, de quoi vous donner des idées: vernissage d'une exposiion sur "les héritages de la liberté", parrainée par Albert Jacquard; débat autour de la génétique animée par Hubert Van Blyenburgh, généticien, commissaire de l'exposition "Tous parents, tous différents" qui se tient acutellement et jusqu'en ocotbre au Musée de l'Homme à Paris; inauguration d'une fresque intitulée "ça roule contre le racisme" réalisée par un groupe de jeunes peintres et le service municipal de la jeunesse. LES MUREAUX A la salle des associations des Mureaux, le 3 mai dernier,le CL et l'association malienne Benkadi ont organisé un concert avec Coumba Sidibe, une chanteuse malienne.Les recettes de cette fête serviront eu financement d'un livre pour l'enseignement de la langue et de la culture bambara, un projet pédagogique d'envergure porté par le CL. C OMITÉS L OCA UX TOULOUSE: comment et pourquoi En marge du Congrès, André Bordeur et Pierre Miani du comité local de Toulouse, ont bien voulu répondre très longuement aux questions de Différences. Nous avons extrait de cette interview ce qui paraît essentiel: les motivations de leur engagement, la palette des actions, une ébauche d'évaluation. Dans quels contextes et pour quelles raisons avez-vous adhéré au Mrap? André Bordeur. J'ai adhéré au Mouvement dans les années 70. Je me sentais concerné par la question du racisme et je souhaitais militer plutôt dans une association que dans un parti politique. Mon antiracisme était plutôt d'ordre moral, je n'avais pas été confronté à des comportements ou à des actes racistes comparables à ceux d'aujourd'hui. Peu à peu, j'ai été amené à prendre des initiatives et des responsabilités. Pierre Miani : Mon parcours est sensiblement différent de celui d'André. Je me suis éveillé à la politique avec l'arrivée de' la gauche au pouvoir. Le début des années 80 correspondait à la fin de mes études, je passais ainsi à de nouvelles préoccupations. J'étais curieux du vaste écho donné à l'alternance politique qui naissait avec l'avènement hypothétique d'une société nouvelle. En 1984, j'ai rencontré André Bordeur. Cette rencontre s'est produite au moment où je cherchais à m'inscrire dans une vie collective sans désirer adhérer à un parti politique. Je pensais que le niveau associatif pouvait beaucoup m'apporter au plan de la réflexion et de mon engagement personnel. Le MRAP a correspondu à ce que j'attendais. Comment vous etes-vous rencontrés? P.M. Tout à fait par hasard. Nous partageons la même passion pour l'Opéra. Des liens se sont tissés, des affinités aussi. Au début, j'ai été un peu effrayé par le fait que l'on me propulse à un poste de responsabilité au sein du CL. On cherche trop vite, me semble-t-il, à "coller" des responsabilités aux nouvelles "recrues". Pourquoi est-ce effrayant? P.M. S'exprimer au nom d'un Mouvement, si l'on cherche à être sérieux, demande une compétence et une assurance qui viennent avec le temps. Au début, on observe, on cherche à comprendre, à se familiariser avec les problèmes. 8 Que vous a apporté d'essentiel votre militantisme au MRAP? A.B. L'essentiel me paraît résider dans la relation avec les autres: avec des militants tellement divers, avec les immigrés aussi; on comprend mieux les difficultés que l'on appréhendait de l'extérieur. On découvre la gravité des problèmes. Par exemple? A.B. Le racisme au quotidien, tels que les refus de service, les réflexions malveillantes à répétition, dont on ne soupçonne pas à quel point il fait du mal. N'êtes-vous pas gagnés par la tristesse de vivre de manière permanente dans la proximité de la souffrance des autres? A.B. Non, parce qu'on est porté par notre fonction à trouver des solutions et à témoigner de cette souffrance. Ma pratique d'enseignant se trouve enrichie par ce vécu militant dans la mesure où je peux témoigner de réalités dont je suis directement informé. P.M. Deux points me paraissent essentiels. D'une part, cet investissement au sein du MRAP m'a permis d'affiner ma pensée politique; ma pensée critique s'est rodée; d'autre part, au niveau plus personnel cela m'a forcé à relativiser les choses. Q. Est-ce que les effets du militantisme sont mesurables? P.M. Je ne sais pas vraiment. Je suis pessimiste en fait. Il faut constater, au regard du développement des idées racistes et de la progression du Front National, que l'influence an*iraciste est quasiment nulle. A.B. Bien que Toulouse appartienne à une région où le FN n'est pas très fort. La tradition républicaine et sociale et son versant "accueil de l'immigré" est réelle. Notre région a accueilli l'immigration espagnole, italienne et maghrébine. Pourriez-vous tracer à grands traits un portrait de votre comité? A.B. Le CL s'appuie sur un peu moins d'une centaine de personnes dont une soixantaine d'adhérents. La moyenne d'âge se situe autour de la quarantaine, sans compter le comité Jeunes qui vient de se créer et qui fait sensiblement changer cette moyenne. Le Bureau est très pluraliste, nous n'avons pas de divergences importantes; quand elles se produisent, elles s'estompent rapidement. Par exemple, lorsqu'a surgi la question du "voile islamique" , nous n'avons pas tous été d'accord sur le point de vue à adopter. Mais la personne qui était en désaccord a eu suffisamment d'intelligence pour mettre en sourdine sa position. Pareil avec la guerre du Golfe. P.M. Je dois préciser que si nous sommes parvenus à dépasser nos désaccords, c'est que nous avions conscience que les affirmer de façon trop tranchée pouvait conduire à l'éclatement. Nous nous sommes retrouvés sur les effets de ces questions sur le racisme sans nous impliquer dans lestrict domaine politique. Quelles sont les actions principales de votre Comité? A.B. Notre comité est composé de nombreux enseignants, à l'image de l'ensemble du MRAP. Depuis douze ans, nous travaillons dans le secteur éducatif. Nous intervenons dans les établissements scolaires du public ou du privé. Nous avons élaboré une valise pédagogique que nous faisons tourner à la demande des enseignants. Cette valise s'adresse aux élèves de 6ème-5ème et de 4ème-3ème. Elle se compose essentiellement de romans, d'ouvrages d'ouverture sur les différentes cultures, de chants et de cassettesvidéo dont le film du MRAP "Enquête d'identité" que l'on prête régulièrement. A SOSRacisme tout dernièrement. Nous tenons beaucoup à cette action scolaire que nous réalisons en collaboration avec l'Inspection Académique du Lot et Garonne. Autour du 21 mars, chaque année, nous organisons une activité. Nous avons récemment fait venir la pièce de théâtre "Un homme ordinaire" qui n'a pas obtenu l'affluence attendue. Nous l'avons représentée dans un quartier périphérique de la ville. Nous avons échoué. La population ne s'est pas déplacée. Comment expliquez-vous cet échec? A.B. Le théâtre n'est apparemment pas une modalité culturelle adaptée à ce public. Nous avons pris le risque. Des jeunes étaient là aux alentours, mais ils ne sont pas venus alors que l'entrée était gratuite. P.M. J'ai pensé que les personnes plus âgées allaient venir. On s'est planté. L'accompagne-ment publicitaire a peut-être été mal pensé, mal fait. On aurait peutêtre eu besoin de plus de temps ou de réflexion pour savoir motiver davantage les gens. De quelle manière avez-vous fait l'information? P.M. Par les voies classiques: affiches, presse, association de quartier y compris des associa- C OMITÉS L OC A UX ils militent au mrap tions d'immigrés. A l'issue de la conférence de presse que nous avons tenue, "La Dépêche du Midi" a publié un article important Quelques jours après, on a passé un film toujours dans le même quartier à l'intention des jeunes du quartier. Un film qui mettait en situation la question de l'immigration aux Etats-Unis. On a pensé que le contexte des Etats-Unis pouvait être un sujet porteur. Et nous n'avons eu guère plus de monde. A.B. Cette manifestation était, en plus, organisée avec SOSRacisme et la Fédération des Oeuvres Laïques dans le cadre de la semaine contre le racisme. Trois films ont été programmés, des discussions intéressantes se sont déroulées. P.M. Pourtant nous avons obtenu la présence de l'adjointe au maire de Toulouse, responsable des services sociaux. Nous en sommes aux interrogations. On ne peut pas reconduire éternellement de telles actions qui manifestement ne fonctionnent pas. Si ça ne touche que les militants, ce n'est pas efficace. Voici l'illustration que nous sommes inefficaces. A.B. Nous agissons aussi sur le plan de la répression. Lorsque des actions racistes sont avérées comme telles, des avocats amis du Mouvement interviennent avec efficacité. Ensuite, le plus clair de notre travail se fait dans les réunions avec les autres associations. A Toulouse, il existe de fait un collectif tout à fait informel dans lequel se retrouvent notamment Sos-Racisme, la Ldh et la Cimade. P.M. La Cimade est à Toulouse très au point sur les problèmes d'ordre juridique et nous a beaucoup aidés en recevant les personnes dont nous avions recueilli les plaintes. Notre manque de compétence en la matière commence à se résorber grâce à un objecteur de conscience qui s'est mis au point sur le plan juridique. La Cimade l'a aidé à le faire ainsi que la permanence juridique du Siège national qui l'a formé. A.B. Parmi les dernières actions, nous avons beaucoup aidé les Kurdes déboutés du droit d'asile. Nous nous sommes d'abord demandés si cela entrait dans notre rôle de les soutenir. Finalement, on a suivi leur demande. Sur 60 à 80 adhérents, combien pouvez-vous compter de militants actifs? A.B. Le Bureau est le noyau des militants actifs. Il est composé de sept personnes dont deux très âgés. P.M. Nous participons aux fêtes locales initiées par les partis ou les syndicats. Depuis 1987, fin juin, un festival dénommé "Racines" auquel de plus en plus d'associations participent se déroule au Mirail. L'an dernier, il y en avait environ quatrevingts. Lorsque "Racines" a démarré il y a cinq ans autour du lac de la Rêverie, on a débuté avec des stands et des tréteaux; on y proposait nos publications, nos autocollants .. . en particulier les quatre associations du collectif. "Racines" a démarré avec très peu de moyens financiers. Curieusement, les gens sont venus assez vite. L'espace s'y prête: on est autour d'un lac, souvent fin juin les soirées sont douces, en faisant beaucoup de bruit avec la sono, on arrive à attirer du monde. Pour nous, c'est très important: cela nous permet de rencontrer des gens du quartier qui ne connaissaient pas le Mrap, de retrouver des associations qui travaillent sur le quartier, et puis au cours des discussions d'appréhender directement les problèmes auxquels les gens sont confrontés. Beaucoup d'activités pour peu de militants? A.B. Très souvent on est très fatigué, on se pose la question de l'efficacité de nos actions quant au recul du racisme. Estce qu'on cible bien? En fait, on aide les victimes du racisme ou de la xénophobie plus qu'on ne réalise un travail de prévention contre le racisme. L'antiracisme de proximité: estce un concept concret pour vous ou quelque chose de vague? P.M. Oui, dans la mesure où l'on s'est demandé si notre implantation dans le centre-ville n'était pas à contre courant de cette notion. S'il ne fallait pas s'implanter dans les quartiers périphériques à risque, parce que c'est là que se trouvent les problèmes liés au racisme. Mais il faut aussi agir dans le centre-ville auprès de la population française à qui il faut expliquer le pourquoi de la présence des populations immigrées sur le sol français. L'interrogation demeure. A.B. On s'aperçoit que tous les milieux sont touchés par le racisme, ce qui n'était pas le cas auparavant, y compris à l'intérieur des classes sociales les plus favorisées ; l'école même, qui était relativement protégée du racisme, est atteinte. Des enfants montrent qu'ils ne sont pas d'ac- 9 cord avec le type de propos antiracistes que je peux tenir. L'adhésion va-t-elle, selon vous, augmenter ou stagner? P.M. Je pense que nous avons touché le fond du panier. J'ose espérer que le militantisme relèvera la tête. On ne peut pas descendre plus bas. Bien qu'il y ait eu loin dans le temps moins de militants. Ces dernières années, l'adhésion a baissé de manière considérable. Espoir de nouveaux militants? P.M. Je mise beaucoup sur l'objecteur de conscience avec lequel je travaille à présenter une image sérieuse. Il peut faire un suivi que nous ne pouvons pas faire, faute de permanents. A.B. Nos permanences sont ponctuelles. On a de la chance d'être tombé sur quelqu'un de sérieux et motivé. De plus, il s'est pris en charge. Par son intermédiaire, nous serons davantage présents dans le milieu associatif. P.M. Nous avons tenu un stand à deux reprises à la Foire internationale de Toulouse. C'est là qu'il faut aller pour se faire connaître, distribuer notre littérature, discuter avec les gens. Malheureusement, notre présence a soulevé l'hostilité, jusqu'à des graffiti pro-Fn sur notre banderole. Sur le plan investissement- temps, c'était lourd, sur le plan financier c'était bon. Nous avons arrêté parce que l'emplacement qui nous était proposé ne nous convenait pas et puis sans aucune réduction. L'amortissement de nos frais devenait impossible. Le Festival "Racines" a pris le relais. Qu'est-ce qui vous paraît essentiel dans ce qui vous vient du National? A.B. La structure nationale nous a beaucoup aidés au niveau juridique. La formation que nous ne pouvons pas solliciter auprès de nos avocats. On a toujours eu une réponse quand on a réussi à obtenir la personne en charge du service. P.M. J'ai découvert que l'information provenant du National permettait d'affiner ma réflexion. C'est incontestable. Différences est un outil essentiel même si nous ne faisons pas assez d'efforts pour le diffuser. C'est la première chose que l'on montre aux gens qui veulent adhérer. Les gens accrochent lorsqu'ils se rendent compte que nous éditions une publication sérieuse. Propos recueillis par Chérifa Benabdessadok 1 ECHOS DES COMITÉS MENTON Dans un communiqué intitulé "Maastricht, vers quelle citoyenneté?", le CL note: "Le droit de vote doit être reconnu à tout citoyen résidant durablement en France quel que soit son pays d'origine. Le Mrap entend combattre toute mesure qui établirait une discrimination entre étrangers européens et étrangers noneuropéens créant ainsi une catégorie de résidents-citoyens et une catégorie de résidents noncitoyens alors même que ces derniers travaillent en France depuis de longues années et participent à la vie économique, sociale et culturelle de notre pays.Une telle discrimination serait pour le moins troublante dans le pays de la Déclaration des Droits de l'Homme.Rappelons que les étrangers votent déjà en Irlande, aux Pauys-Bas, au Royaume-Uni (pour les originaires des pays du Commonwealth)" ... R OUEN Des jeunes d'un atelier de lecture et de soutien scolaire (à Darnetal) ont élaboré une charte d'égalité entre les enfants.Elle comporte sept articles et une conclusion: I-Dès leur naissance, les enfants doivent avoir un nom, un prénom et une nationalité ; 2-Tous les enfats sont égaux entre eux et ont les mêmes droits quelque soit leur couleur; 3-0n a le droit de choisir sa propre religion sans que personne ne se moque de notre choix;4-0n ne doit pas faire de différence entre les filles et les garçons de couleur, ils ont le droit d'être aimés;5-Tous les enfants ont le droit d'aller à l'école et de s'amuser ensemble dans les lieux appropriés;6-Chaque enfant a le droit de manger à sa faim et doit disposer d'une hygiène saine et soins quand il en a besoin;7-Nous les enfants,nous devons tous aide et protection.Conclusion:A l'atelier lecture, on constate qu'avec toutes les cultures qui sont représentées, rien n'empêche une bonne entente.Au contraire, cette diversité nous enrichit les uns les autres. Liliane Lainé du CL de Rouen a participé à l'animation scolaire de cet atelier.Différences publierait avec intéret les données et réflexions sur le contexte d'élaboration de cette charte, sur les effets attendus et recueillis. Merci de nous écrire. NANTES Le CL vous offre pour 8 francs (TTC), un badge en polyester multistyle célébrant le 500 ème anniversaire de la résistance indienne, noire et populaire en Amérique.s'adresser à F. Debot, village, chez Garreau, 44170 Montbert. POÉTIQUE Différences. Le chantre de la poésie espagnole et de la résistance au franquisme que vous avez longtemps été repart en concert, en musique, en poésie. Quel sens donnez-vous aujourd'hui à cela? Paco Ibanez. Nous nous sommes battus contre le fascisme qui nous empêchait de réaliser nos rêves. Je chante aujourd'hui contre et malgré ceux qui ont cessé de rêver; envers et contre les gens qui ont été séduits par l'argent et par un système de consommation permanente. Ils se sont créés eux-mêmes leur propre dictateur intérieur, ils se sont fabriqués un petit Franco personnel qui les empêche de rêver et de réaliser autre chose que des voitures, des frigidaires ou des saucissons. Je chante contre la dictature de l'indifférence et celle de l'arrogance de l'argent. La réussite sociale individuelle à n'importe quel prix se fait massivement au détriment de la collectivité des humains. Ca devient de l'égoïsme généralisé, sans foi ni loi. Cet appel au rêve et à la poésie prend-il en compte l'implosion du "rêve socialiste". Bien entendu. La leçon à tirer est bien celle-ci : les gens ont tendance à déléguer leurs pouvoirs de façon irresponsable. Ils abdiquent leur pouvoir de contrôler bien qu'ils disposent de la possibilité de choisir, d'exiger, d'obtenir. Ils peuvent exiger d'être nourris pas seulement de pain, mais également de poésie. On constate partout que la télévision est "l'abrutisseur" public nO l, mais la TV n'est pas en soi un "abrutisseur". Au contraire ; ce sont les téléspectateurs qui la nourrissent et reçoivent en contrepartie de la mauvaise qualité parce PACO IBANEZ 1 QU'EST·CE QU'UNE MAISON SANS POESIE? Après Madrid et avant Rome, Rafael Alberti et Paco Ibanez ont gagné leur pari début mai au Casino de Paris. Un concert poétique en espagnol, dépouillé à l'extrême, où tout prend sens, la respiration haletante du poète dans un micro justement indiscret comme la tendre et respectueuse interprétation du chanteur-musicien-troubadour. Un morceau de rêve poétique, un peu nostalgique, comme une trêve singulière. Paco Ibanez repart en chansons. Il explique ici les raisons qui le font espérer en un çhant à contre-courant de la maison sans poésie. qu'ils ont fait le choix de la vulgarité, le choix de la culture de masse dans le sens ordinaire. Le pouvoir propose, les gens disposent. Les gens qui ont rêvé du socialisme voulaient construire une belle société, pensaient édifier le plus beau monument du monde; ils en ont confié l'architecture à des usurpateurs et des charlatans. L'édifice avait l'air de tenir, mais comme il était mal construit, il s'est écroulé. L'idée du communisme n'est pas morte. Ce sont plutôt les communistes qui l'ont tué, les dirigeants, les architectes, ce sont eux qui ont trompé tout le monde par les discours tenus, mais aussi par les faits en s'appuyant sur la terreur et la répression. Celui qui levait le petit doigt était éliminé. Dans un pays dit démocratique où les gens peuvent choisir, se ·laissent aussi avoir, pas de la même façon, mais le résultat est le même. Ils se font avoir. Il faut réagir tous les jours. Chaque jour, il faut se lever, regarder le paysage, entendre les gens; chaque jour, il faut cultiver la terre. Chaque jour, il faut contrôler ceux à qui on a délégué son pouvoir, comme on surveille l'éclosion des fleurs; chaque jour il faut les arroser sinon la mauvaise herbe pousse, mange les fleurs et c'est fini. De quelle mamere s'est construite votre appartenance à la France? Comment définissez- vous votre double culture ? Est-elle territoriale? de proximité géographique? Mon identité est culturelle. J'ai vécu jusqu'à l'âge de 14 ans au pays basque dans une ferme avec mon oncle, ma tante, mon grand-père qui était Basque jusqu'à la moelle puisqu'il 10 parlait à peine l'espagnol. Ce vécu-là, on le transporte toute sa vie avec soi. Au début, je ne savais même pas dire "oui" en Français, mais après j'ai appris le français, je me suis intégré. Il reste ce "je ne sais quoi" fait de complicité et d'intimité que vous partagez avec un peuple, un groupe, une culture. Quand tu arrives dans un autre pays, tu découvres d'autres références. Puis tu es témoin avec d'autres des mêmes choses de la vie , tu apprends à en parler avec eux, et ta façon de percevoir les choses se transforme, se rapproche de ia leur tout en restant différente. Il reste toujours une frontière, mais ce n'est pas une frontière de discrimination, de refus . Je n'ai pas vécu en Espagnol professionnel. Je me suis laissé vivre et touché par tout ce qui pouvait m'entourer. Chacun a des capacités différentes. Certains vont plus vite que d'autres. Pour moi, ce fut lent. J'ai découvert les chanteurs, des peintres, j'ai lu des livres, j'ai partagé la table des gens, j'ai eu la chance de faire des tours de France en chantant. Il faut être sourd ou aveugle, il faut être vraiment fermé ou taré pour ne pas s'imprégner de ce qu'on vit, de ce qu 'on sent. Je suis un métèque, un vrai bâtard complètement assimilé. Les Français ont une façon d'être qui est différente de celle des Espagnols et, qu'on le veuille ou non, il y a une contagion, il y a une influence de l'extérieur qui fait que, sans t'en rendre compte, tu finis par voir les choses comme ceux qui t'entourent les voient. Est-ce que vous avez le sentiment que votre travail artistique a été aussi un pont jeté entre les Français qui se sont passionnés pour la poésie espagnole et les Espagnols? J'imagine que oui parce que l'espace porteur de l'âme d'un pays, c'est quand même la culture, la poésie, les artistes. Nous ne sommes pas les représentants- délégués des gens. Mais les gens se reconnaissent dans le bouquet de fleurs qu'on leur offre. De fait, nous devenons les représentants physiques du message artistique. Si les gens reçoivent ce message, c'est parce qu'ils le portent en eux et ils veulent entendre ce message qui est en eux dit par nous. Nous sommes des faiseurs de bouquets. Si les gens ne veulent pas ce bouquet, ce sont eux qui se sont rendus indifférents à ce bouquet. Ils se sont oubliés à eux-mêmes. Ce n'est pas moi qui ai fait faux bond. Chaque jour, je me lève, je prends la guitare, je chante. Chaque jour, j'essaie d'apprendre des chansons. Je suis toujours mobilisé. Si les gens ne viennent pas, c'est qu'ils sont indifférents à ce message. Donc ils sont peutêtre séduits par d'autres messages. C'est à eux à se poser des questions. Mon échec ce n'est pas le mien, c'est l'échec de ceux qui ont cessé d'exister par rapport à ce message. Est-ce que ce n'est pas un peu facile comme explication? S'il Y a échec de la rencontre entre l'artiste et le public n'est-ce pas lié à la nature du bouquet? On est tout le temps missionnaires. Il y a des missionnaires par rapport à Dieu. Ce sont les représentants de Dieu. Nous, nous sommes les représentants de cette terre des humains, de l'âme des hommes. Si je prends le mot mission dans le sens d'une démarche naturelle qui a pour fonction de communiquer, d'aller chercher des fleurs dans la montagne pour les offrir en partage, alors j'accepte cette mission comme transmission des sentiments. Pensez-vous que la société dans laquelle on vit exclut les sentiments? On est en train de faire le vide des sentiments au nom de la réussite, au nom de la possession matérielle des choses et les sentiments commencent à être éliminés. Les sentiments dérangent. Les sentiments apparaissent comme un frein à la réalisation des projets. Leurs projets c'est quoi? S'ils ont une maison, ils en veulent une deuxième. Comment l'obtenir, comment avoir de l'argent. Si je fais autre chose, je peux gagner plus. C'est la course pour obtenir une plus grosse part de gâteau et les gens perdent la notion de l'échelle humaine, de la beauté des sentiments, de la beauté des échanges par les sentiments. J'imagine quelqu'un qui reçoit une mauvaise nouvelle, quelqu'un de sa famille est tombé malade. Sa réaction intime c'est

"Merde, il n'aurait pas pu tomber

malade un autre jour". Ainsi, de jour en jour, de petit événement en petit événement, on se ferme sentimentalement à la vie. On commence à perdre un petit morceau de sentiment et fInalement on devient sans s'en rendre compte un loup. Ma question est celle-ci : une maison c'est plus important que la poésie, mais une maison sans poésie, ça sert à quoi? On est en pleine déshumanisation, en robotisation intensive. On jouit, on apprécie les biens matériels qu'on a obtenus, mais petit à petit, le vide s'installe, une espèce de malaise nous envahit, parce que si l'individu est fait de chair et d'os, il a une âme aussi. Si on ne cultive pas son âme, on s'enlaidit, on devient un paquet de chair et d'os, un tube digestif. Quel est votre point de vue sur la montée du racisme qui s'exprime en France. On l'explique par le fait que les conditions socio-économiques se sont dégradées alors que vous dites "les gens ne sont pas finalement si mal" ... Les gens considèrent que tout ce qui se fait dans leur pays leur appartient prioritairement. C'est ce qu'on appelle le confort. Alors, "les bougnoules", et tous ceux qui viennent des pays où la faim, où le non travail les poussent à chercher là où il y a quelque chose, sont considérés comme dangereux. C'est un réflexe d'autodéfense. Si on y ajoute le manque de projection, le manque de rêve, le manque de sentiments, on comprend bien les possibilités de manipulation par n'importe quel monstre qui tient un langage populiste, qui dit "je vais résoudre vos problèmes". C'est un mélange de tout cela qu'on appelle racisme. Ce n'est pas le racisme. C'est un réflexe d'autodéfense, un peu égoïste, bête, mais c'est un réflexe. Je ne crois pas qu'en France il y ait une montée du racisme. C'est une erreur de l ' appeler comme cela. Les Français ne sont pas racistes parce qu'ils l'avaient été, il n'y aurait pas autant d'étrangers. C'est le pays où il yale plus d'étrangers dans le monde. Peut-on dire qu'en Espagne, il n'y a pas de danger aussi éloquent qu'en France sur la construction des logiques extrémistes à la manière du Fn ? Aujourd'hui, non. Mais l'Espagne est toujours à la remorque: un wagon peut se préparer à avancer; si un train part d'Allemagne, de France ou d'Autriche, de nouveau parce qu'il y aura une montée du fascisme, l'Espagne aura son wagon. Je sens que cela va finir par une explosion parce que les choses sont sous-jacentes, latentes. Elles dorment, mais comme les volcans, un jour il y a une éruption. On essaie de calmer ce bouillonnement en distrayant les gens, en leur offrant des petites maisons, des petites vacances, des petits voyages, on essaie de colmater les brèches, mais quand un pays n'a pas de projet et qu'une société tourne dans le vide, à un moment ou à un autre, le manège s'emballe, En dix ans, l'Espagne a pris possession de manière vertigineuse de ce jouet, nouveau pour elle, qu'est la jouissance matérielle, cette corruption de l'âme. Tout le monde veut sa part du gâteau sur lequel on se jette comme des fauves . Course effrénée à la consommation, avoir de l'ar-gent, toujours plus d'argent. Le rêve spirituel a été complètement abandonné en échange de ce rêveconsommation. Je suis effrayé de voir l'effondrement des valeurs typiquement espagnoles. Qu'est-ce que ces valeurs? L'Espagnol c'est "mafiana"! Demain quoi! Il te promet quelque chose qu'il ne fera pas en temps et en heure, mais il le fera quand même: ça signifiait l'existence forte d'une morale, d'une éthique, d'une générosité . S'ils n'avaient rien à te donner, ils avaient le temps à t'offrir. Maintenant qu'ils ont des objets, ils le gardent et ils n'ont pas le temps, alors ils n'ont plus rien à te donner. C'est ça le développement?! Un tube digestif! POÉTIQUE Qu'est-ce que la poésie et le chant peuvent faire contre cette usure? La poésie a la même fonction que les cloches de l'Église. Elle peut dire attention! annoncer que si l'on suit ce chemin, la suite est un rendez-vous avec le suicide sentimental et spirituel. Quelle est la vertu d'un concert poétique? Si je parle comme spectateur, ce que je reçois c'est le soleil resplendissant. Je suis dans un rapport tellurique, cosmique avec la vie, l'existence. A voir présent dans l'esprit, sentir par tous ses pores la complexité de l'existence. J'ai assisté à un concert de Léo Ferré à Beauvais, il y a trois ans, et il nous a fait faire un voyage tel que nous avons parcouru toutes les galaxies et on est revenu sur terre, mais après avoir pris conscience de l'énorme richesse de la vie. On sort de là plein de désirs; même les choses les plus laides deviennent belles parce qu'il nous avait chargé d'amour, de sentiment, de sensibilité

c'était comme si

j'avais touché les étoiles. Propos recueillis par Chérifa Benabdessadok Les terres, les terres, les terres de l'Espagne, les grandes et désertes et solitaires plaines. Galope, cheval balzan, cavalier du peuple, au soleil et sous la lune. Au galop, au galop, jusqu'à les enterrer dans la mer! Comme un coeur sonnent, sonnent et résonnent les terres de l'Espagne dans les fers des chevaux. Galope, cavalier du peuple, Cheval balzan, cheval d'écume. - Las tierras, las tierras, las tierras de Espaiia, las grandes, las solas, desiertas llanuras. Galope, caballo cuatralbo,jinete dei pueblo, al sol y a la luna. ! A galopar, a galopar, hasta enterrarlos en el mar ! A corazon suenart, resuenan, resuertan las tierras de Espana en las herraduras. Calopa,jinete dei pueblo, caballo cuatralbo, caballo de es puma. Ji -- Rafael Alberti, in "Qui a dit que nous étions morts ?" 11 COMMI SS IONS _ /// Déclaration de //' / Charles Palant au nom de la direction du Mrap. Le non-lieu dont vient de bénéficier Paul TOUVIER et les auendus de la chambre d'accusation tendent clairement li oter toute responsabilil~ au régime de Vichy dans les crimes commis notamment par la milice. Pour comprendre la stupeur que provoquent le non-lieu et les attendus.' il fau l rappeler deux faits majeurs : l e) M. Darnand a été nommé dès 1943 au poste de secrétaire d'Etat à l'ordre pub lic puis promu Ministre de J'Intérieur du Gouvernement de Vichy en J 944. Chef suprême de la milice, Damant avait personnellement prêté sennen! à Hitler. La milice francaise a bicn été une organisation criminelle au service d'un Etat totalita ire et d'une idéolog ie hégémonique s'appuyant sur la tMorie des races et complice de la déportation des luifs et des Tziganes. 2°) Les allendus de la Chambre d'Accusation laissent croire que Pétain n'a tenu de discours antisémite en aucun de ses discours. Pourtant, le statu t des juifs promulgués par Vichy et loutes les mesures anlijuives ont été signés de ce paragraphe: "Nous, Philippe PltaÎn, Marlchai de France, chef de l'Etal'. Ces simples faits panni les plus évidents pennetlent de caractériser les allendus de la Chambre d'accusation comme une mégafaurri ssonnerie. Ils engagent un peu plus notre pays dans la falsification de l'histoire des années noires de l'Occupation. M. Charles Palant, Président du Mrap et ancien déporté, a porté cette quest ion aupr~s de la Commission Nationale Consulta tive des Droits de l'Homme présidée par M. Paul Bouchet. Il reste à espérer que la Cour de Cassation refusera de fermer la porte sur la vérité de la justice. Le 15 Gvril1992 -$ 3615 Mrap : Depuis le 16 avril. vous pouvez de nouveau consulter le serveur télématique du Mrap. Au menu: "Qui sommes-nous?", "Contacts" (adresses des CL), "Communiqués ct Rdv", "Activités" (présentations des commissions nationales) "la Pl" (avec des fiches par ~mes et un rappel de l'actualiti), "Différences". D'ici trois mois, création de boîtes aUII lettres pour les CL. -$ 10000pin's représentant la basket écrasant le mot "racisme" ont été vendu depu is la manifestation contre l'elllrême-droite et pour l'égalité des droits du 25 janvier. 10000 nouveaux pin's seront prêts fin mai. Passez vos commandes auprès de lean-Pierre. _ /// "Ch~o~ique /"// quotidienne de l'extrême-droite en France. 1991 ". Celle brochure réalisée par la commission du Mrap sur l'antisémitisme et le néo-nazisme est en vente dans les comités locaux el au s i ~ge du mouvement. Sélection dans la presse de faits majeurs sur l'elltrême-droite française, cette chronique est précédée d'une présentation glo. baie de l'h istoire récente et des ramifications de l'extrême-droite et d'une conclusion intitulte "qui oublie son passé ut condamllé li te re~'i\'re" (Goethe). Prix 40 F. l'un ité (frais de port compris) À VOIR ET À LIRE Festival VIa d'la banlieue dans l'air: Quatri~me édition du Festival à Bondy (93). Au programme du 9 au 30 mai: musiques. Rap, sport, humour, défilé de mode, dans les roes ou en salles. Avec Lemchaheb, The Soul Connection, MC Solaar, Over seas, Saï Sai, Fellag, Azikmen, Ali Farka Touré, Geoffrey Oruema, El Combo de Puerto Rico, Chaba Zahouria, Cheb Hamid ... Rens. : 48 50 76 43. Extrêmes droites: l'Europe de la haine ordinaire Témoignage Chrétien vient de publier un nouveau numéro spécial, cette fois sur les extrêmesdroites européennes. Une série d'analyses historiques, une étude de la galaxie Le Pen. un tour d'horizon européen, laissés à des spécialistes, et puis une question posée à de multiples acteurs et actrices du politique, en France : "comment résiste rT. A noter: une nouvelle inédite de Didier Daeninck.x. Le nO : 28 Fr. Réductions pour achat en nombre. nI. : 42 46 37 50. CO URRIERS Les différences culturelles Le ton de votre rédactrice en chef était plus vif, à mon avis, que celui du lecteur "mouché" (oil a· t-elle vu "invective" et "étiquetage ]Xllitique")? Si, cependant, le débat est possible, je voudrais di~ que, oui, l'immigration est un arrachement. et pas seulement pour une génération et dire aussi que, oui, accueillir de nouveaux arrivants n'est pas forcément faci le ... quand on est amené à cohabiter effectivement; les différences culturelles sont les plus difficiles à vivre, qu'on l'admette ou non, tellement elles participent à la construction intime des personnalités (mentalité, comporterucn!...) -n'y a·t-il pas d'ailleurs aussi de subtiles différences cul· turelles qui tiennent à l'écart les classes sociales les unes par rapport aux autres aussi sûrement que des ghettos? Un brassage vous parait-il à l'ordre du jour? Prêcher la fraternité au peuple seulement (dans les faits) n'est-ce pas faire de l'antiracisme tronqué? C'est vrai que l'immigration est vécue, et ellprimée, de facon dérangeante voire révoltante dans les milieux ]Xlpu' la ires, souvent en termes de défiance, de rejet, d'hostilité ... Dans une situation déjà fragile et précaire, la peur, quand on est pauvre, c'est de risquer avec l'immigration de devenir ou de le croire. plus pauvre encore, de manquer du travail nécessaire, de manquer du minimum de sécurité Ge ne pense pas à la "sécurilé" sécuritaire, mais la vraie: celle qui fait qu'on se sent à l'aise, tranquille, disponible ... ) Est-ce que ca, on peut le comprendre, quand on est un antira· ciste engagé? Et est-ce qu'on peut prétendre vouloir agir efficacement contre le racisme sans pouvoir comprendre ca? 12 C'est ce qui me semble présenter un obstacle majeur ]Xlur le combat antiraciste d'aujourd'hui avec un autre encore, et votre corres· ]Xlndant de Ste Sévère y faisait allusion. à sa mani~re, en souhaitant "que cesse toute fonne mussive d'immigration": quand. dans nos pays prospères (où du moins les classes prospères le sont de plus en plus) s'accumulent toutes les r ic hesses, toutes les res· sources naturelles et humaines. du reste du monde, sous des formes multiples et sans cesse modifiées de Pillage, cela ne peul se produire sans accélérer à la fois, la pauvreté des pauvres de ces pays ... appauvris et l'atti· rance (l'espoir?) qu'exerce sur eux les pays riches. Alors, quel combat ant iraciste pourrait avoir de l'avenir sans s'i ntéresser aussi à ces deux aspects d'ordre social, dans ce pays et dans le monde? Sytvi Flamenl. Dijon D'accord avec Taguieff Complètement d'accord avec le point de vue de P·A. Taguieff (Différences nOI27). Trop nuancé et pas assez "militant" pour une organisation comme le Mrap? Pounant les "effets pervers de l'antiracisme" m'ont plusieurs fois fa it hésiter à continuer mon soutien au Mrap. SuzeUe Florentin, Nancy • Erratum Deux coquilles (au moins) se sont glissées dans notre dernier numéro. Ii fallai t lire dans l'édito: "lorsque l'armée algérienne décidait d'arrêter le processus électoral pour barrer la roule au Fis et non "au An" comme il était écrit. Dans l'interview de P.A. Taguieff, il fallait lire "la criminilisation de l'électorat de Le Pen est, de ce ]Xlint de vue, complètement catastrophique même si elle peu t s'appliquer à un certain nombre de ses leaders. Différences 89. rue Oberkampf 75543 Paris Cedex I I TH : 48.06.88.00 Tflécopie: 48.06.88.01 Directeur de la publication Moutoud Aounii Géranl bénévole Martiat Le Nancq Rédactrice en chef Cherifa Benabdessadok JournaUste Isabelle Avran Chargée cie communication et cie promotion Mélina Gazsi Publicité aujoumal Abonnements Isabel de Oliveira Conception, ml .. en page Jean·Guy Vizcl Tf1. : 46.63.76.53 Impression Momligeon Hl. : 33.83.80.22 Commission paritaire n° 63634ISSN 0247·9095 DtpôI: Ifgal 1992-05

Notes

<references />

Catégories