Différences n°175 - juin 1996

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Sommaire du numéro

n°175 de juin 1996

  • Edito: Racisme et inégalité dans le monde par Mouloud Aounit
  • Malades, précaires et irréguliers par Nathalie Berthier
  • L'étranger, sa famille et le droit européen par Nina Ventura [législation]
  • Nouvelles de la bibliothèque par Thamar Bourand
  • Le négationnisme et la mémoire par Albert Lévy
  • Actualité de la dénégation par J.J. Kirkyacharian
  • Burundi: une situation explosive par M.C. Andréani
  • Le MRAP défend la Convention internationale sur la protection des travailleurs migrants et leur famille devant la Commisson des droits de l'Homme de l'ONU par J.J. Kirkyacharian
  • Sept moines français assassinés en Algérie
  • Hommage à David Leiba

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1 Juin 1996 - W 175 D SOMMAIRE Enquête Le droit et vous Le droit de vivre en famille en Europe • Nina Ventura Nouvelles de ES, la bibliothèque Deux guides et un essai Laurent Canat et Thamar Bourand Etude Le négstionnisme et /a mémoire Albert Lévy 5 6 P ÉCAIRESET IRRÉG LIERS Dénégation 7 Jean-Jacques Kirkyacharian International Le Burundi Marie-Catherine Andréani Le MRAP à l'ONU J.-J. Kirkyacharian Chrono Chérifa Benabdessadok Rendez-vous le 15juin 8 9 10 10 L'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière est sévèrement réglementé môme lorsqu'ils sont atteints de maladies très graves. Loin des objectifs des caméras et des joutes oratoires sans conséquence. des hommes et des femmes leur viennent quotidiennement en aide. Certains d'entre eux disent être entrés en résistance. Assassinat en Algérie 11 Courrier 12 Une enquête de Nathalie Berthier. Hommage à David Leiba 12 r:r page 2 Racisme et inégalité dans le monde Il est des évidences auxquelles il faut toujours revenir: l'inégalité scandaleuse des conditions de vie (et de mort!) entre « les pays riches » et« les pays démunis » est de celles-là. A l'intense pression médiatique et politique en faveur du néo-libéralisme doit répondre la forte exigence des peuples, du Nord au Sud de la planète, pour une autre organisation des rapports économiques. C'est cette volonté qui s'exprime à travers les manifestations du « Contre-G7». La dette, les politiques d'ajustement structurel, l'écart croissant des revenus, la destruction des économies rurales par les exigences du marché mondial, l'exode des paysans ruinés vers les bidonvilles des mégapoles, ainsi commence le flux migratoire qui draine tant de pauvres vers l'Eldorado des pays du Nord, avec leur misère aux vitrines si brillantes, leurs fantasmes racistes, l'effondrement social qui les menace. Mais notre Mouvement est-il assez actif, assez convaincant dans ses interventions pour un monde débarrassé du sous-développement et du racisme? Le Congrès 95 a marqué une accentuation de nos prises de position. Mais nous devons aller plus loin, et c'est ce à quoi tendra la seconde série de « rencontres transversales » (inégalité dans le monde, racisme et action antiraciste). Il faut pousser encore plus dans cette direction: nous luttons trop exclusivement contre les effets (il faut le faire), nous n'intervenons pas assez sur les causes. Le Mrap n'a pas la naïveté de croire qu'à lui seul il pourrait être efficace - ni même avec quelques autres-contre l'inégalité dans le monde; mais il n'a jamais prétendu qu' il était capable tout seul de mettre en échec le racisme dans notre pays. Sa vocation est de rendre possible le rassemblement nécessaire contre ce désordre majeur dans ses effets comme dans ses causes: racisme et inégalité. Ce n'est pas une question de « solidarité » avec {( les autres », car l'inégalité structurelle met en cause la survie des uns comme des autres. C'est pourquoi il faut que la réflexion sur cette seconde vague de questions soit aussi riche et approfondie que possible, de sorte que les militants en tirent les enseignements pour leur action quotidienne. Jean..Jacques Kirkyacharian, président-délégué du MRAP Il Enquête MALADES, PRÉCAIRES ET IRRÉGULIERS L E FAIT D 'ETRE MALADE, même gravement, ne dispense pas d'être expulsé du territoire français. Ce fut notamment le cas, le 2 mai dernier, d'une femme séropositive de 29 ans, de nationalité marocaine qui vivait en France depuis dixhuit ans. Condamnée pour avoir commis des délits (vols et usage de stupéfiants) Mina D. s'était rendue à la préfecture du Calvados afin de renouveler son titre de séjour . De là, elle a été placée en rétention administrative. L'antenne locale de l'association Aides a dénoncé le fait qu'elle n'avait pas reçu durant la rétention la qualité de traitement que son état exigeait. Le jour même de l'expulsion de cette femme, un député communiste du Nord, René Carpentier, déposait à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à interdire l'expulsion des personnes atteintes de pathologie grave. Cette proposition insistait sur le fait qu'il n'existe aucune forme de protection légale contre la reconduite aux frontières pour ces malades, et que l' expulsion ne signifie rien d'autre pour nombre d'entre eux qu'une condamnation à mort. Pathologies graves et expulsion Depuis la mort en rétention d'un asthmatique, un minimum de soins est assuré dans ces centres. Les détenus peuvent, s'ils le souhaitent, voir un médecin. Mais il revient au fonctionnaire de police sur place de jugerde l'urgence d'un trouble: ce fonctionnaire sans compétence médicale a la prérogative de juger de la bonne foi de la personne qui se plaint d'être malade. Seule la Cimade est habilitée à pénétrer dans les centres de rétention. Mais ses médecins ne peuvent s'y rendre que cinqjours par semaine. Autrement dit si un cas d'urgence se présente durant le week-end, personne n'est là pour intervenir. Les militants des associations humanitaires ont souvent beaucoup de mal à dissuader les autorités d'expulser une personne atteinte d'une pathologie grave. Claire Lesage, assistante sociale à Arcat-Sida témoigne:« Nous avons dû intervenir avec l'aide d'Act-up au dépôt de la préfecture de Bobigny afin de libérer un malade très mal en point. C'est seulement quand ils ont vu la personne se mettre à délirer qu'ils ont finalement accepté de la relâcher. » Malgré la présence des militants dans les aéroports et les risques de voir l'état de la personne expulsée s'aggraver durant le trajet, dans certains cas rien n'y fait. De plus si la personne refuse de partir, elle risque d'écoper de trois mois de prison et d'une interdiction définitive du territoire. « Nous avons eu un malade qui, une fois arrivé à l'aéroport, s'est ouvert les veines par dé- « On a vraiment l'impression de travailler dans un réseau de résistance» sespoir. Il s'est retrouvé en prison », confie Marie-Christine Etienne, assistante sociale à l'hôpital Avicenne de Bobigny. Les militants associatifs et les travailleurs sociaux tendent à se regrouper pour empêcher ces expulsions. Ils conseillent aux personnes concernées de ne jamais se présenter à la préfecture un vendredi, d'éviter de s'y rendre seul et de porter toujours sur soi un certificat médical détaillé. « On a vraiment l'impression de travailler dans un réseau de résistance », commente Marie- Christine Etienne, « une fois, pour empêcher l'expulsion d'un malade d'origine algérienne, nous l'avons convoqué à l 'hôpitalle même jour que l'avait fait le commissariat. Les policiers ont commencé à nous harceler par téléphone, en tentant de nous intimider, afin de nous extorquer l'adresse de la personne qui se trouvait dans une maison de repos en province.» L'autorisation provisoire de séjour pour soins Les personnes en situation irrégulière peuvent néanmoins faire une demande d' autorisation provisoire de séjour (APS) pour continuer à recevoir des soins en cas de maladie grave. Cette demande s'effectue à Différences n° 175 juin 1996 la préfecture. Elle permet de rester sur le territoire français de manière légale, pour une durée de un à trois mois, renouvelable. Mais les choses ne sont pas si simples. Le 29 janvier dernier, un rapport du Conseil national du Sida dénonçait le fait que «les conditions d'attribution de l'APS ne sont pas clairement définies» et que «le traitement des demandes varie d'une préfecture à une autre.» Ce rapport constate également que l'APS n'est délivrée qu'en cas de danger immédiat pour les malades: elle ne concerne donc pas, par exemple, les personnes séropositives. De plus, l' APS présente un inconvénient qui n'est pas sans conséquence. Elle ne donne pas droit à une autorisation de travail, ce qui condamne les bénéficiaires à la précarité. L'APS permet de se maintenir sur le territoire français mais elle interdit de le quitter. Marie-Christine Etienne : « L 'APS condamne les gens à rester; s'ils partent, ils ne seront plus autorisés à revenir. Un de nos patients ne peut pas repartir au Mali pour revoir sa femme et ses deux enfants dont il est sans nouvelles.» Mal informés et traqués Les « sans papiers »font désormais l'objet de délation plus ou moins avérée. Bernadette Hétier, secrétaire nationale représentant le MRAP au sein du collectifURmed (URgence Malades Etrangers en Danger), relate un fait rapporté par une adhérente qui travaillait en 1994 dans un service de maternité

« Une jeune femme venue pour accoucher

a été dénoncée par une surveillante de ce service. Dans cette affaire, il est évident que c'est l 'hôpital qui afait le lien avec la préfecture ». Selon les militants des associations, des attitudes de Aucune évaluation de dénonciations consécutives à des démarches pour soins ne peut être avancée mais le risque est réel. ce geme sont courantes. Néanmoins, les « délations» ne sont pas toujours délibérées. La préfecture est parfois contactée pour des raisons purement administratives, ce qui lui permet dans certains cas d'identifier et de repérer des individus qui ne sont pas en règle. Le fait est qu'aucune évaluation chiffrée de dénonciations consécutives à des démarches pour soins ne peut être avancée. Mais, parce que le risque est réel, les personnes en situation irrégulière craignent de plus en plus les services sociaux et les hôpitaux. Marie-Christine Etienne : « Ils ont tellement peur qu'ils attendent le dernier moment pour venir se faire soigner. Nous avons un malade sri-lankais qui a dû être transféré dans un autre hôpital. Il a tellement attendu avant de venir qu'il est maintenant mourant.». Il arrive aussi que les personnes en situation irrégulière se présentent sous une fausse identité pour pouvoir se faire soigner. L'Assistance publique a fait circuler dès août 1992 une note de service destinée aux établissements hospitaliers concernant la conduite à tenir en cas« d'usurpation d'identité» dans laquelle il est spécifié:« Il conviendra que l 'hô- « Les hôpitaux ne sont pas racistes, ils sont seulement an ti-pauvres » pital dépose plainte auprès des services de police ou de gendarmerie compétents pour fauxetusagedefaux». Le 15 mai dernier, une démarche administrative à l 'hôpital a révélé qu'un patient hospitalisé d'urgence deux jours avant s'était présenté sous l'identité d'une autre personne. L'administration découvrant la véritable identité de ce ressortissant marocain sans titre de séjour a prévenu la direction de l'hôpital qui a immédiatement porté plainte. La police est venue sur le champ lui confisquer son passeport, mais le médecin-chef s'est opposé à sa sortie de l'hôpital. S'il ne bénéficie d'aucune couverture sociale, le malade a droit à une prise en charge pour ses frais d'hospitalisation. A sa sortie, le malade doit demander le remboursement de ses frais par la DDASS auprès de la mairie; cette démarche est rarement adoptée par les malades. Pour Arnaud Veisse, médecin coordinateur du Comede (Comité médical pour les exilés), « les hôpitaux ne sont pas racistes, ils sont seulement anti-pauvres ». Des consignes plus ou moins formelles des services administratifs des hôpitaux existent. Philippe Coucke, médecin régulateur à Reso (Réseau d'accès aux soins pour les personnes en situation de précarité) illustre ainsi les conséquences de cette pression administrative sur les médecins:« Dernièrement, une personne s'est présentée aux urgences. Elle souffrait d'hémorragie pulmonaire. Le chirurgien n 'a pas voulu l'opérer, estimant que ce symptôme de tuberculose n 'était pas urgent à soigner. Cette personne était en France depuis trois mois et en situation irrégulière.» Face à la pression de l'administration concernant la« solvabilité » des malades, certains médecins ont tendance à faire l'impasse sur leur déontologie, notamment sur le fait qu'ils doivent exercer leur profession en toute indépendance. De plus, il est facile de décourager une personne à aller plus avant dans une démarche si elle ne connaît pas ses droits et surtout si elle se sent traquée. Or, quand on va à l 'hôpital, les choses commencent toujours par des formalités administratives. Dès l'accueil, on devrait informer les personnes sans papiers qu'elles ont droit à une aide médicale hospitalière. Celle-ci est délivrée aux personnes vivant en France depuis au moins trois mois et s'accompagne d'une déclaration sur l'honneur qu'elles désirent y rester. Au lieu de cela, il arrive au contraire que les bureaux d'accueil des hôpitaux demandent au malade une avance fmancière avant même qu'il ait reçu des soins. Marie-Christine Etienne : «On a demandé unefois à un malade d 'avancer de l 'argent pour son hospitalisation. Il a donné 500 francs, c'est ce qu 'il avait sur lui. Il n 'a été remboursé que deux ans plus tard.» (service social, hôpital Avicenne) Une fois sorti de l'hôpital, les problèmes continuent. Avec la garantie écrite d'une assistante sociale, certains pharmaciens acceptent de délivrer les médicaments gratuitement pour une personne en attente de l'aide médicale à domicile. Mais il arrive qu'ils s'y refusent pour des personnes « non-solvables ». Malade, es-tu solvable ? Depuis la réforme de l'aide médicale en août 1993, toute personne justifiant de trois armées de résidence sur le territoire français a le droit à une prise en charge départementale. Mais il existe bien des manières de contourner la loi. Dans certaines mairies, tout est fait pour décourager les demandes. On exige une foule de justificatifs, alors que trois seulement sont nécessaires : une pièce d' identité, un justificatif de ressources et un justificatif de domicile. Ce Différences n° 175 juin 1996 Enquête dernier cause bien de l'embarras quand il s'agit d'un hébergement : on craint de plus en plus de loger des personnes en situation irrégulière. L'autre méthode de découragement consiste à faire traîner les dossiers sous n'importe quel prétexte. Ces pratiques obligent les gens à« mendier» des feuillets de soins, délivrés au compte-gouttes et à fréquenter les consultations dites de précarité dans les hôpitaux. Constituer un réseau de résistance Dans la petite salle d'attente du Comede, une quinzaine de personnes attend dès 10 heures du matin. Une centaine de consultations est assurée quotidiennement dont certaines concernent un suivi psychiatrique pour les problèmes psychologiques liés à l'exil. Arnaud Veisse :« Certaines personnes viennent là quand elles n'ont pas réussi à se faire soigner ailleurs. Pour elles, le Comede joue le rôle que devraient normalement tenir les hôpitaux et le système • de soins dans sa globalité.» Face à la pression gouvernementale sur les « clandestins », les services sociaux, les associations, et le collectifURmed s'organisent

il s'agit de constituer un véritable

« réseau de résistance ». Afm d'assurer l'accès aux soins et à une prise en charge médicale à ceux que leur état de santé, leur précarité et leur irrégularité rendent particulièrement vulnérables .• Nathalie Berthier -Les coordonnéesde quelques associations URMED (collectif) 61 rue Victor Hugo 93500 Pantin. Tél: 43 14 8354 (répondeur) COMEDE Hôpital du Kremlin-Bicêtre Pavillon Laforce. Fax : 45 21 3841 ARCAT-SIDA 13 boulevard de Rochechouart 75009 Paris. Tél: 49 70 86 60 CIMADE 176, rue de Grenelle 75007 Paris. Tél : 44 18 60 50 RESO Hôpital Necker Bat. M. Lamy 1 Pte 14 149, rue de Sèvres 75015 Paris Il Le droit et vous l'ÉTRANGER, SA FAMILLE ET LE DROIT EUROPÉEN La Coordination européenne pour le droit de vivre en famille vient d'éditer son premier dossier thématique préparé par Mylène Nys de l'Institut de sociologie de l'université libre de Bruxelles. Ce travail a été présenté lors de la 2ème Assemblée générale de la Coordination européenne à laquelle participait François Prunet pour le MRAP. Nina Ventura en fait ici une brève synthèse. CE RAPPORT CONSACRE AU THEME « L'étranger, safamille et le droit européen» a été conçu, selon les voeux du président de la Coordination européenne Ruben Urrutia, pour servir d'outil de travail et de réflexion aux militants des associations regroupées au sein des coordinations nationales pour le droit des étrangers de vivre en famille. De fait, on y trouve résumées les différentes sources internationales et européennes du droit des étrangers à vivre en famille et leur portée juridique en droit interne. Parmi les textes internationaux cités, on trouve notamment la Déclaration universelle des droits de l'Homme, les recommandations et conventions de l'Organisation internationale du travail, la Convention relative aux droits de l'enfant. La valeur universelle du droit de vivre en famille Ces textes qui soulignent la valeur universelle du droit de vivre en famille ont en droit interne une portée juridique relative. Libellés pour la plupart d'entre eux en termes généraux, ils appellent de la part des Etats des mesures législatives ou réglementaires pour être applicables. L'adoption de ces mesures dépend bien sûr de la volonté politique des Etats à mettre en oeuvre les principes posés par les conventions internationales. Les textes européens qui ont une portée juridique contraignante pour les Etats sont la Convention européenne et le traité de Rome ainsi que les textes qui ont, en vertu du droit communautaire, un effet direct dans les Etats membres. Mylène Nys rappelle que « la Convention européenne des droits de l 'Homme ne garantit pas comme telle droit pour l'étranger d'entrer ou de résider dans un pays déterminé : en cette matière, les Etats signataires disposent d'un pouvoir discrétionnaire de principe. Cependant, les Etats contractants n'en ont pas moins accepté de restreindre le libre exercice que leur confère le droit international général, y compris celui de contrôler l'entrée et la sortie des étrangers, dans la mesure et la limite des obligations qu'ils ont assumées en vertu de la Convention. » Il se peut par conséquent qu'une mesure de police administrative (refus de séjour, arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, arrêté d'expulsion) viole certaines des dispositions de la Convention et que la responsabilité de l'Etat soit engagée. La jurisprudence de la Cour Européenne Par ailleurs, les organes de la Convention - Commission et Cour européennes - développent une conception originale et spécifique de la notion de vie familiale. En effet, selon la jurisprudence de la Commission et de la Cour européenne des droits de l'Homme, la cohabitation ne constitue pas une condition indispensable à la vie familiale entre parents et enfants mineurs. Cette thèse a été soutenue par la Cour dans une affaire où le requérant de nationalité marocaine alléguait que son expulsion des Pays-Bas, en ce qu'elle l'obligeait à se séparer de sa fille mineure confiée à sa mère à la suite du divorce, constituait une violation de son droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Or, le Différences n° 175juin 1996 gouvernement arguant de l'absence de cohabitation entre le père et sa fille en raison du divorce des parents concluait à l'inexistence d'une vie familiale entre le père et l'enfant. La Cour a rejeté cette argumentation en soulignant que la vie commune ne constitue pas une condition à l'existence d'une vie familiale entre parents et enfants mineurs. Elle constate que dans le cas d'espèce le requérant entretenait avant son expulsion des relations fréquentes et régulières avec sa fille. La Cour a donc condamné les Pays-Bas pour violation de l'article 8. Concernant le traité de Rome et les textes ultérieurs pris par l'Union européenne, Mylène Nys souligne que le rapport effectif du principe de libre circulation posé par ces textes appelle de la part des Etats membres une reconnaissance du droit au regroupement familial du ressortissant Ce rapport préconise communautaire. Le droit d'entrée et de séjour de la famille du ressortissant communauun recours systématiq ue à la Convention européenne des droits de l'Homme. taire est garanti par le droit communautaire. Mais si l'un des membres de la famille n'a pas la nationalité d'un Etat membre, les Etats parties peuvent exiger un visa d'entrée et ils doivent dans ce cas le délivrer sans conditions draconiennes et à titre gratuit. Le droit d'entrée et de séjour des ressortissants des pays tiers relève de la coopération intergouvernementale, sous réserve de la politique des visas intégrée depuis Maastricht dans le volet communautaire du Traité. C'est donc dans ce cadre que les décisions touchant au droit de vivre en famille sont prises. Or, le constat que l'on peut d'ores et déjà tirer des décisions qui ont été prises est malheureusement peu encourageant pour l'avenir. Face aux nombreuses atteintes au droit de vivre en famille qui se profilent ou qui existent déjà, ce rapport préconise un recours systématique à la Convention européenne des droits de 1 'Homme, seul texte qui se- • Ion elle « oblige à aborder la question sous l'angle des droits fondamentaux de l' individu et de la famille » .• Nina Ventu ra El Nouvelles de la bibliothèque DEUX GUIDES ET UN ESSAI Face au racisme et à l'antisémitisme Que faire? Guide pratique. Paris, éditions A.J.C.R et S.I.D.I.C., 1995, 143 pages. A la confluence de deux associations oecuméniques (l'Amitié Judéo-Chrétienne de France et le Service d'Information Documentation Juifs et Chrétiens), ce guide pratique s'adresse avant tout aux éducateurs, mais aussi à tous ceux qui aident ou veulent aider à lutter contre le racisme, seuls ou en association. Une première partie regroupe en trois dossiers de courts articles très documentés sur l'histoire, le constat actuel et les réponses traditionnelles de la société à ce problème. La seconde partie propose une initiation à l'éducation contre le racisme, principalement à destination de la jeunesse. Des références choisies dans le cinéma, la littérature et les sciences, des citations, alimentent les dossiers. Notons unjudicieux système de renvois à la troisième partie, le guide pratique à proprement parler. On y trouvera des adresses, des documents et des fiches de travail pouvant servir lors de travaux dirigés; des lieux à visiter et des musées; des films, cassettes et livres; un dictionnaire sur le thème; une bibliographie abondante. Nous vous conseillons de le faire connaître, surtout auprès des documentalistes des collèges et des lycées. Violences urbaines :Ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville Christian Bachmann et Nicole Le Guennec Paris, Albin Michel, 1996. 557 pages. Christian Bachmann, sociologue des marges culturelles et urbaines, poursuit son étude des banlieues sous l'angle de la politique de la ville, en collaboration avec Nicole Le Guennec. Les auteurs reprennent cinquante années d'Histoire de France marquées par la Reconstruction, la construction, les taudis et les bidonvilles, les Français et les immigrés, l'urbanisme des grands ensembles et le logement social, les banlieues enfin. Les thèmes sont mis en correspondance avec les événements ou les groupes qui les ont structurés: la fin de la guerre et la misère, les squatters, l'hiver 54, mai 68, les clandestins, les positions politiques et les politiques publiques, l'émergence de l'étranger comme bouc-émissaire et la réaction radicalisée des banlieues aux exclusions. La moitié de l'ouvrage concerne les vingt dernières années et l'éclairage des années quatre-vingts, appuyé par l'enquête sociologique, réoriente le débat, de l'actualité vers les carences structurelles d'une politique teintée de technocratie, qui n'en finit pas de se mordre la queue. Et de retrouver les mal-logés, les sans-logis, les squatters: en 1990, on comptait 98 000 personnes sans-domicile-fixe, 45 000 vivant dans des abris de fortune, 59 000 dans des centres d'urgence, 470 000 en meublés ou à hôtel, 147000 en habitation mobile, près de 1 500 000 dans des habitations dites « hors norme » ! (D'aprèsleB.I.P.E., 1992,Lessansabri, état des lieux. Cité p. 491). Et aussi Amnesty International, Rapport 1995. Supplément au n° 104 de La Chronique d'Amnesty International, juillet 1995. 380 pages. La situation des droits de l'homme pays par pays, les statuts du mouvement, l'état des pays pratiquant la peine de mort, les traités, et des articles généraux sur les domaines d'action. Observatoire international des prisons, Rapport 1995 - Les conditions de détention des personnes incarcérées, juin 1995. 271 pages. La situation des personnes incarcérées pays par pays, les instruments internationaux, l'état des ratifications des pactes internationaux, les systèmes de protection des droits de la personne détenue, la Convention contre la torture, le répertoire des observateurs; 80 pays analysés. Différences n° 175 juin 1996 Un chapitre sur l'antiracisme n'épargne personne sinon le MRAP (non-cité). Cet ouvrage, écrit simplement et sans jargon, intéressera historiens du social, sociologues et urbanistes ainsi que tous ceux qui furent engagés de près ou de loin dans ces luttes .• Laurent Canat Guide de l'accès des étrangers au territoire français et du maintien en zone d'attente Anafé, 46 Boulevard des Batignolles, 75017 Paris Le guide de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers vient de paraître. La création de l'Anafé en 1989 est venue répondre à la dégradation de la situation des demandeurs d'asile dans les pays européens depuis une dizaine d'années. Des membres des organisations professionnelles des transports ont pris contact avec des associations des droits de l'homme, d'abord pour informer, ensuite pour envisager une action commune. L'Anafé regroupe plusieurs associations dont le MRAP qui en est un des membres fondateurs. Ses objectifs sont la présence et l'aide humanitaire et juridique dans les zones d'attente des aéroports, des ports et des gares, lieux où sont retenues les personnes non admises à pénétrer sur le territoire français. Elle veille aussi au respect du droit et des conventions internationales concernant la libre circulation des individus. Des législations nouvelles ont encore aggravé la situation, les zones d'attente se sont multipliées (plus de cent à l 'heure actue lIe), mais l' Anafé a continué à se développer

elle dispose d'un bureau à Paris,

elle va bientôt être physiquement présente dans les zones d'attente (même si la législation est terriblement limitative). Ce guide de plus de cent pages est absolument indispensable aux militants qui seront présents en zone d'attente et il constitue pour nous tous un outil précieux pour la défense des droits de l'homme .• Thamar Bourand • Il Elude lE NÉGATIONNISME ET lA MÉMOIRE L'affaire Garaudy a soulevé quelques polémiques. Pour tenter de donner une perspective à la question du négationnisme, nous publions ici quelques extraits d'une étude d'Albert Lévy, ex-secrétaire général du MRAP. Ce travail, rédigé en mai 1995, devrait être publié dans son intégralité sous forme de brochure. ON DESIGNE par né gationnisme, non pas une interprétation de l'Histoire, mais l'annulation pure et simple d'une partie de l'Histoire. Pour ceux qui se livrent à cet exercice, le génocide perpétré par l'Allemagne nazie à l'encontre des juifs et des Tsiganes n'a pas existé, et l'extermination par les chambres à gaz n'est rien d'autre qu'une fable inventée, pour en tirer profit, par les juifs et l'état d'Israël, avec la complicité tant des pays « communistes» de l'Est européen que des démocraties occidentales. Autrement dit, ces menteurs accusent le monde entier de mensonge. Par là-même, ils exonèrent Hitler de ses crimes les plus atroces, les plus spécifiques et qui suscitent la réprobation la plus profonde. ( ... ) Le négationnisme, à ce moment, ne se distingue pas des soubresauts et des séquelles du nazisme vaincu. Il apparaît sans conteste comme une tentative désespérée de dédouaner ce système alors que les peuples libérés découvrent toute l'horreur de ses méfaits, et que ses dirigeants sont jugés. C'est la continuation des campagnes antisémites, hélas, bien connues: les juifs, toujours présentés comme une entité globale, sont encore vilipendés pour « leurs tares traditionnelles », l'omnipotence, la rapacité, l'arrogance, la tromperie. ( ... ) La tactique négationniste Au regard des données objectives, soumises à l'examen critique prudent et ferme qu'implique toute démarche scientifique, comment s'y prennent les négationnistes pour semer le doute, pour obscurcir ce qui est clair? Pierre VidalNaquet, entre autres, a minutieusement étudié leurs tactiques. 1 - D'abord, ils récusent en bloc les témoignages des juifs, par essence tendancieux et inspirés par l'appât du gain; des autres déportés, en proie à la douleur et sous influence; des Soviétiques, coutumiers des procès truqués, et des Polonais, agissant sous leur contrainte; enfin, des nazis, dont les aveux seraient le résultat de la pression des vainqueurs et qui veulent sauver leur peau. Quant aux documents, ils ne peuvent qu'avoir été trafiqués (discours secrets de Himmler, Journal de Goebbels, instruction et déroulement du procès d'Eichmann). Ou bien simplement, ils les ignorent. 2 - Quand ils traitent d'un témoignage ou d'un document, choisi par eux, ils les rejettent en entier, s'ils ne leur conviennent pas, en chipotant sur des contradictions apparentes (ou réelles), sur des imprécisions ou des erreurs qui n'en modifient pas le caractère. Par exemple, Faurisson fait grand bruit d'un témoignage recueilli par les Anglais, où une faute de frappe ou d'audition transforme Belzec en Wolzec, alors que le camp est situé à son emplacement authentique. Pour lui et ses acolytes, le Protocole de Wannsee (20.1.42) qui met en place la procédure accélérée de l'extermination des juifs, est « peu fiable, parce que pas signé ». D'ailleurs, disent-ils, il n'existe pas d'ordre écrit par Hitler concernant l'extermination. 3 - Ils prennent à la lettre les textes nazis qui utilisent un langage codé : « solution finale », « traitement spécial »,« action spéciale» ... mais évitent ceux qui leur donnent un sens concret. Aux nombreuses descriptions de ce que les nazis appelaient la« sélection », lors de l'arrivée au camp, ils répondent que les « sélectionnés» étaient envoyés dans des camps de repos, sans se préoccuper de retrouver leur trace. 4 - Selon les besoins, ils modifient la traduction des mots allemands. Pour Faurisson, le même mot (Vergasung) signifie « gazage» quand un historien allemand dit qu'il n'yen a pas eu à Dachau et« chambre de carburation » dans un document de l'époque nazie sur les chambres à gaz. 5 - Ils donnent des explications bien à eux pour étayer leurs théories. Par exemple, ils attribuent l'hécatombe des détenus dans les camps, pour l'essentiel au typhus. Dans son journal, où il décrit les sélections et les gazages à Auschwitz, le médecin SS Johann Paul Kremer rapporte la métaphore énoncée par un autre SS voulant exprimer l'aspect apocalyptique de ce qu'ils voient en disant: «Nous nous trouvons ici à l'anus du monde ». Pour Différences n° 175 juin 1996 Faurisson, c'est une allusion à la diarrhée qui affecte les déportés. 6 - Ils répètent indéfiniment des affirmations mensongères, qui passent d'un livre à l'autre, même une fois démenties, comme un prétendu rapport de l'ONU, réduisant sensiblement le nombre des victimes, et qui n'ajamais existé. 7 - Faurisson s'appesantit longuement sur «l'impossible fonctionnement» des chambres à gaz, telles qu'elles sont décrites à la fois par les témoins et les documents relatifs à leur construction et le mode d'emploi fourni par les entrepreneurs, ou encore sur « l'impossible» utilisation du gaz Zyklon B. Il tranche catégorique: « C'est une impossibilité physique et chimique », passant outre aux comptes rendus et aux expertises. La découverte de traces de cyanure dans les cheveux et les vêtements ne le convainc pas : il renvoie au procès de Marie Besnard, où l'analyse des restes de ses supposées victimes n'a pu démontrer à coup sûr sa culpabilité. 8 - En gros, ils ne partent pas des faits, mais procèdent par raisonnement abstrait, pour conforter à tout prix une idée préconçue, ajoutant au fur et à mesure des affirmations et des dénégations nouvelles aux objections qu'ils rencontrent. Dans son article « Les redresseurs de morts» paru dans les Temps modernes / juin 1980, Nadine Fresco rapproche cette incessante fuite en avant d'un comportement décrit par Freud, illustrant la mauvaise foi: « A a emprunté à B un chaudron de cuivre. Lorsqu'il le rend, B se plaint de ce que ce chaudron a un grand trou qui le met hors d'usage. Voici la défense de A: "1°) Je n'aijamais emprunté de chaudron à B. 2°) Le chaudron avait un trou quand je l'ai emprunté. 3°) J'ai rendu le chaudron intact." Argument supplémentaire de A, proposé par Vidal-Naquet: C'est moi qui ai prêté un chaudron à B, et il était intact ». ( ... ) L'arme de la connaissance Mieux seront connues les réalités du nazisme, et moins les mensonges négationnistes auront de chances de duper l'opinion. Une action en profondeur, préventive, s'impose, dont nous devons mesurer l'urgence. Sous le camouflage d'une saine et libre contestation des idées reçues, le piège tendu peut se montrer efficace. A partir d'une élaboration théorique, conçue, adaptée et martelée depuis un demi-siècle, nous voyons à l'oeuvre l'antisémitisme post-nazi, cheminant sur la seule voie où il ait quelque espoir de subsister après l'effondrement de 1945. Car, dans les consciences de notre temps, la mémoire du crime de génocide est sans doute le principal verrou fermant le passage aux doctrines et aux pratiques racistes. Or les négationnistes s'escriment à le briser. Non seulement ils veulent effacer le génocide de la mémoire collective, mais ils en font une arme supplémentaire, ajoutée à l'arsenal des calomnies contre les juifs. Par un stupéfiant retournement, alors qu'il faudrait à tout jamais discréditer les bourreaux, ce sont les victimes qu'ils clouent au pilori, qu'ils vouent à nouveau à ces haines mortelles, déjà éprouvées, pourquoi ? si ce n'est encore avec des intentions criminelles? ( ... ) Le devoir de mémoire, si fréquemment invoqué, ne consiste pas seulement à honorer les morts d'hier, mais à empêcher que d'autres innocents subissent le même sort aujourd'hui et demain. Pour tirer du passé les leçons, les avertissements nécessaires, on ne saurait s'en temr aux incantations, à la répulsion ou au sentiment de culpabilité: il faut, le plus lucidement possible, comprendre et expliquer pourquoi et comment tout cela est arrivé. Les négationnistes, à travers leur argumentation fallacieuse, ambitionnent de prouver la véracité des mythes racistes qui forment le socle de leur propagande. Le combat pour anéantir leurs bobards, leurs ruses, leur intox, l'obscurantisme qu'ils entretiennent, ne se sépare pas de celui qui attaque tous les aspects du racisme, tous les viols de la raison. ReconnaÎtre les faits de l'histoire coloniale Le négationnisme ne se manifeste pas uniquement à propos des crimes nazis. Prenons, par exemple, le génocide des Arméniens de Turquie, en 1915. Hitler disait qu'au bout de quelques années, on oublierait la disparition des juifs, de même qu'on ne parlait plus de la population arménienne décimée. Que de coupables réhabilités, de cris de douleur étouffés au cours des siècles,jusqu'à maintenant! Il a fallu attendre cinquante ans pour que certains grands médias rendent compte du massacre de Sétif, prélude sanglant à la guerre d'Algérie, déclenché le jour de la capitulation du 3ème Reich. Et les autres exactions du colonialisme, sur tous les continents? ( ... ) Des négationnismes, ouverts ou sournois, plus ou moins consensuels germent sous nos yeux: au Rwanda, dans l'ex-Yougoslavie, en Argentine, dans le Kurdistan turc ou irakien, partout où le totalitarisme se réclame de la religion, de la race, de la nation, voire de la démocratie, où de sordides intérêts prétendent servir la justice, qu'en fait ils méprisent souverainement. • Albert Lévy Les intertitres sont de la rédaction. Elude _ACTUALITÉ_ DE LA DÉNÉGATION LE NEGATIONNISME de l'Etat turc concernant le génocide arménien est lui aussi intéressant à examiner. On ne voit pas en effet pourquoi au juste la République turque serait gênée de reconnaître les crimes d'unrégirne (l'empire ottoman) contre lequel elle prétend avoir fait une révolution. La thèse officielle de la Turquie peut être résumée ainsi: oui, il y a eu quelques massacres sous le règne de Abdul-Hamid II, mais ensuite les jeunes Turcs ont établi l'égalité entre tous les citoyens de l'Empire. Puis il y a eu la Grande Guerre, qui a créé une situation nouvelle à la frontière Nord; l'armée a dû alors évacuer la population arménienne, très nombreuse dans cette région (et pour cause! c'est proprement l'Arménie ... ). Au cours de ce long voyage qui a conduit des centaines de milliers de personnes vers le désert syrien, il s'est produit quelques excès. Mais le mot de génocide est inapproprié et ne fait qu'exprimer le chauvinisme des Arméniens de la diaspora. Des raisons mythiques Ce plaidoyer est ridicule. l'attends seulement - à titre personnel puisque c'est la région où vivaient les miens - qu'on m'explique comment les Arméniens de Cilicie pouvaient aider l'armée russe (à 800 km de là). Il y a cependant des raisons, car rien n'est sans raison, surtout pas la déraison. La Turquie a besoin de la dénégation du génocide de 1915 pour se maintenir dans l'image rassurante de son identité mythique: la révolution kémaliste aurait créé une Turquie moderne, laïque, dans laquelle les minorités ont tous les droits. « Tout ce qui vit en Turquie est Turc» et les Kurdes sont des Turcs montagnards. C'est à peine si on concède qu'il y a des «dialectes kurdes ». La moitié des députés sont d'origine kurde -comme on le voit c'est l'histoire du chaudron:« tune me l'as jamais prêté et d'ailleurs je te l'ai déjà rendu ton chaudron ». La Turquie ne peut pas lâcher prise sur 1915 sans être mise en cause pour tout ce qui s'est passé depuis et qui continue de plus belle aujourd'hui. Il y a dans le monde actuel bien d'autres dénégations du passé: elles sont toutes liées à l'acuité d'un problème actuel. Pourquoi les Japonais refusent-ils de reconnaître la réalité de l'esclavage sexuel auquel ils ont soumis durant la seconde guerre mondiale des milliers de femmes de Corée, Chine, Philippines ... (ils l'ont vite reconnu pour quelques Hollandaises, devinez pourquoi ... ). Le capitalisme japonais veut se faire reconnaître pour le leader naturel des peuples et Etats de cette zone ... et en outre il n'entend pas modifier sa politique à l'égard des immigrés et des femmes immigrées. La France aussi 1 La France, pour sa part, devrait officiellement reconnaître ce qui s'est passé le 8 mai 1945 et les jours suivants dans la région de Sétif, Guelma ... comme du reste ce qui s'est passé en 1947 à Madagascar, sans parler même du 17 octobre 1961 à Paris. Pourtant, si notre pays voulait être à la pointe du combat pour les droits de l'homme dans le monde, pour le droit au développement des peuples africains ... Il ne faut pas laisser les cadavres dans les placards, surtout qu'il y a beaucoup de cadavres. Pour l'amitié entre les peuples, il faut faire cesser les mensonges des Etats et faire taire les politiques de la haine: ces mensonges ne serviront à rien, et la politique de la haine ne mène nulle part .• Jean-Jacques Kirkyacharian Différences n° 175 juin 1996 • Il Burundi UNE SITUATION EXPlOSIVE Dans les années soixante, il apparaît que le Rwanda et le Burundi formeraient deux Etats distincts. Le Burundi accède à l'indépendance en 1962. Une monarchie constitutionnelle calquée sur le modèle belge est instaurée. La République est proclamée en 1966 par le colonel Micombero qui a déposé le roi. De violents affrontements ethniques ne cesseront de marquer l'histoire du Rwanda et du Burundi à partir de 1959. En février dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies renonçait à créer une force d'intervention pour le Burundi de crainte d'attiser les tensions. Marie-Catherine Andréani présente quelques éléments de la genèse d'une situation proche de celle du Rwanda mais où le rapport entre les groupes La situation actuelle En 1993, les élections présidentielles portent Melchior Ndadaye au pouvoir qui est assassiné la même année. Cyprien Ntaryanina est choisi comme président de consensus pour le remplacer. Mais le 6 avril 1994, l'avion qui le transportait ainsi que le président rwandais Juvenal Habyarimana est détruit dans un attentat dont on n'a pas retrouvé les auteurs. Aujourd'hui, c'est une« Convention de gouvernement» qui dirige le pays. Mais en fait, ce sont l'armée, la gendarmerie et la police qui font la loi, échappant complètement au pouvoir politique du gouvernement difficilement mis en place après l' assassinat des deux précédents présidents. Sous prétexte de poursuivre des bandes armées « ethniques» est inversé. L ES SIX MILLIONS d'habitants du Burundi se répartissent entre trois types de populations, les Batwas, artisans qui représentent 1 % du total, les Batutsis, pasteurs éleveurs, et les Bahutus, cultivateurs, qui sont les plus nombreux avec 85% de l'ensemble. Le Burundi est essentiellement rural: élevage et cultures vivrières, ainsi que quelques produits d'exportation comme le café et le coton. Les rares industries de transformation (savonnerie, textile et brasseries) sont concentrées à Bujumbura, la capitale. Colonisé par les Allemands en 1897, le Rwanda et l'Urundi ne formaient qu'un seul pays. En 1923 après la première Guerre mondiale, il est confié à la Belgique et rattaché au Congo par l'administration coloniale. L 'héritage colonial en question Cette administration coloniale va alors jouer un rôle destructeur dans l'équilibre des populations, dégageant une « aristocratie tutsie » de manière tout à fait simpliste et contestable. L'administration coloniale cherchant comme toujours à diviser pour régner jugea utile de diviser la population en isolant l'un des groupes pour asseoir son emprise; ainsi partant du fait que les Tutsis étaient pasteurs-éleveurs, tout propriétaire de plus de dix têtes de bétail était déclaré tutsi par l'administration coloniale. Cette « appartenance ethnique» était alors inscrite sur les pièces d'identité ! Les cadres à former étaient choisis dans ce groupe, lui attribuant des privilèges et des responsabilités greffés sur l'organisation sociale originelle. La distinction entre ethnies avait été diluée depuis longtemps par les mariages et les alliances, une même famille était composée de Tutsis et de Hutus. Souvent les gens ne savaient même plus s'ils étaient Tutsis ou Hutus. A lire • Aux origines des massacres politico-ethniques au Rwanda et au Burundi, André Guichaoua, L'Etat du Monde 1995, Editions La Découverte, p. 47 à p. 52. L'article est accompagné d'une bibliographie • Qui a armé le Rwanda?, Colette Braeckman, Les dossiers du GRIP (Institut européen de recherche et d'information sur la paix et la sécurité Rue Van Hoorde, 33 B-1030 Bruxelles, tel: (32-2) 241 8420), avril 1994 • Les articles du Monde diplomatique: Hantise du génocide au Burundi, (mars 1996), L'interminable descente aux enfers du Burundi, ijuillet 1995), Autopsie d'un génocide planifié, (mars 1995), de Colette Braeckman Connivences françaises au Rwanda, (mars 1995) de Xavier Verschave Différences n° 175juin 1996 apparues au lendemain de l' assassinat du président Ndadaye les militaires, secondés par des milices, tuent systématiquement, pillent, brûlent et saccagent les villages. Des listes de notables, prêtres, cadres, hommes politiques, journalistes menacés de mort paraissent par voie de presse ou sont affichées. Le tableau est dramatique: massacres, populations terrorisées, centaines de milliers de personnes déplacées qui fuient leurs villages et s'exilent pour échapper aux exactions, ajoutant la terreur aux difficultés pourtant immenses de ce petit pays. Plus rien ne fonctionne. La plupart des écoles sont fermées. Des bus, des églises, des marchés, des écoles, des commer- Au Rwanda, des Hutus massacrent les Tutsis, au Burundi des Tutsis massacrent des Hutus ... ces, des dispensaires sont attaqués à la grenade et au fusil puis détruits pour rendre toute vie impossible dans certains endroits. Des organisations humanitaires internationales n'ont pas pu pénétrer dans les zones de massacres pour porter secours aux blessés. S'ajoutent à ces désastres des situations compliquées avec l'Ouganda et le Zaïre où les populations se sont réfugiées. D'autres conflits éclatent, ranimant les tensions entre communautés. Une force d'intervention Le Frodebu, Front pour la Démocratie au Burundi, sorti vainqueur des dernières élections et se réclamant de l'héritage de Melchior Ndadaye, demande avec vigueur l'intervention de la communauté inj .. ternationale, la création d'un Tribunal international pénal sur le Burundi pour juger les auteurs des crimes perpétrées depuis 1993. Monsieur Boutros Boutros-Ghali, le secrétaire général de l'ONÙ, craint un nouveau coup d'Etat au Burundi et a proposé la création d'une « force virtuelle» d'intervention rapide. Mais la communauté internationale est pour une fois très réservée quant à l'éventualité d'une intervention. Il faut dire que celle qui a eu lieu au Rwanda a été très contestée et qu'elle a été catastrophique en Somalie. L'impasse D'une part, des idéologies racistes fondées sur une appartenance ethnique des plus fantaisistes sont responsables de milliers de morts. Au Rwanda, des Hutus massacrent les Tutsis, au Burundi des Tutsis massacrent des Hutus. Des massacres, des meurtres quotidiens, une situation qui ne peut plus durer. D'autre part, une communauté internationale qui ne veut pas pour le moment répéter les erreurs déjà commises. L'Histoire nous enseigne que la responsabilité des massacres actuels, tant au Rwanda qu'au Burundi, est aussi un héritage de la colonisation. Un héritage qui permet aux extrémistes, lors des périodes de crise et de rupture, de s'emparer de théories racistes pour mener les politiques délirantes dont nous constatons les effets. Le Burundi est aujourd'hui dans l'impasse et personne ne peut prévoir la façon dont les choses vont évoluer. Quelques groupes de pacifistes Hutus et Tutsis réunis tentent de raisonner dirigeants et chefs militaires pour la conclusion d'accords de paix, mais ils sont trop peu nombreux et la situation reste explosive .• Marie-Catherine Andréani Action internationale ~----Le MRAP défend----la Convention internationale sur la protection des travailleurs migrants et de leurs familles devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU DANS SA RESOLUTION du 24 février 1994, la Commission a prié instamment les Etats membres d'accepter de signer et de ratifier la Convention internationale sur la protection des travailleurs migrants et de leurs familles. Elle a exprimé l'espoir que cette convention entrerait en vigueur à une date rapprochée. Les ONG étaient invitées à redoubler d'efforts pour informer et faire comprendre l'intérêt de cette convention. En ce qui le concerne, le MRAP a le sentiment de ne pas avoir déçu cette attente. Mais nous sommes encore loin du but. En septembre 1994, le secrétaire général a adressé à tous les chefs d'Etat une lettre à ce sujet. Onze Etats ont répondu avoir mis en oeuvre une procédure de consultation interne. Je doute que la situation ait changé radicalement depuis cette date. Jusqu'ici dans mes interventions sur ce sujet, je me suis régulièrement étonné du peu d'empressement des pays industrialisés car c'est d'eux que dépend essentiellement la protection des droits des travailleurs migrants et de leurs familles. Honorer un engagement Bien entendu, je continue à demander aux représentants de ces pays de tirer les conséquences de leur vote à l'Assemblée générale du 18 décembre 1990 : le vote a été acquis à l'unanimité ou du moins par consensus. J'ajoute que la ratification par ces pays, en premier lieu ceux de l'Union européenne, loin d'être gênante pour eux, leur serait bénéfique à plus d'un titre. D'abord sur le plan intérieur : elle donnerait de nouvelles chances au processus d'intégration, objectif affiché par tous les gouvernements. Ensuite sur le plan des relations internationales: elle donnerait à ces pays une autorité morale et un prestige qui risquent de leur faire défaut auprès des pays du Sud. La question de la divergence croissante d'intérêts entre les pays du Nord et ceux LeMRAP souhaite que la mise en sommeil de cette Convention prenne fin : c'est une question d'humanité et de bon sens. du Sud constitue en effet dès maintenant l'une des lignes de fracture les plus dangereuses de notre époque. Mais les pays du Sud doivent également faire l'effort politique d'adhérer à cette convention. Elle permettrait d'abord une protection plus efficace de leurs ressortissants vivant et travaillant à l'étranger. Il y a aussi pour eux un intérêt politique direct, car cela renforcerait la cohésion de leur propre population; on le voit bien dans le cas des Philippines, où gouvernement et population ont Différences n° 175 juin 1996 mené des campagnes très fortes pour la protection des travailleuses migrantes comme la jeune Sarah Balabagan. dont le sort est bien connu des membres de la Commission. 15 000 employés sans statut en France Il y a encore beaucoup de jeunes filles et de femmes qui se trouvent sans protection légale suffisante en Asie et en Europe. Sur la base d'indications encore partielles, notre Mouvement estime que le nombre d'employés de maisons dépourvus de tout statut légal s'élève en France à environ 15 000. On ne peut les abandonner à leur sort, pas plus qu'on ne peut se satisfaire de la condition de tant d'hommes employés à des travaux harassants, au vu et au su de tout le monde, embauchés le matin dans la rue et payés le soir de la main à la main. Cette situation est non seulement indigne du point de vue des droits de l'homme, mais encore malsaine pour les pays où elle prospère: cela ne peut que renforcer le racisme sous toutes ses formes. Le MRAP souhaite que l'appel du secrétaire général soit entendu et que la mise en sommeil de cette convention si importante prenne fin : c'est une question d'humanité, c'est aussi une exigence du bons sens Intervention de Jean-Jacques Kirkyacharian à la 52ème session de la Commission Genève, 26 mars 1996 • Il EN BREF • Chaque premier vendredi du mois à 11 heures sur Radio Aligre (93.1 FM) une émission sur le racisme et les discriminations animée par Alain Callès pour le MRAP et Philippe Val. • Hommes et Migrations et Hommes et Libertés ont élaboré en commun un numéro exceptionnel sur le thème « Réfugiés et demandeurs d'asile ». A paraître courant juin. Nous y reviendrons dans notre livraison de juillet. • Exposition jusqu'au 18 décembre 1996 au Mémorial du Martyr Juif Inconnu relative à « l'internement des Juifs sous Vichy» : photographies, films, lettres, dessins, documents inédits. Visite guidée: M. Singer tél : 42 77 44 72 Jacques Chirac écrit au MRAP En réponse à une lettre signée de Mouloud Aounit attirant l'attention du président de la République sur la nécessité de voir l'Europe s'impliquer davantage dans la dénonciation du racisme, M. Chirac écrit dans un courrier en date du 2 avril: «Je partage entièrement votre préoccupation sur ce sujet. C'est pourquoi la France, dans son récent mémorandum pour un modèle social européen, s'est prononcée en faveur de la création d'un observatoire européen des phénomènes de racisme et de xénophobie. » Faurisson en profite Robert Faurisson saisit l'occasion de l'hypermédiatisation de l'affaire Garaudy / abbé Pierre pour faire parler de lui. n a publié le 19 avril un communiqué dans lequel il applaudit bien évidemment «tant de personnes» qui «depuis quelques mois volent au secours de la victoire révisionniste. Je déplore, ajoute-t-il, qu'il ait fallu attendre 1996 pour que ces personnes commencent à entrevorr ce qui, dès 1979, aurait dû être, pour tout le monde d'une clarté aveuglante : le prétendu génocide des juifs perpétré notamment grâce aux prétendues chambres à gaz nazies qui n'est qu'un mensonge historique. »On n'en attendait pas moins de Faurisson ; s'il cherchait à occuper les prétoires 1 CHRONO PO UR MÉMOIRE et donc la une des médias, il ne s'y prendrait pas autrement. Le MRAP rappelle dans un communiqué que Faurisson a pourtant déjà été condamné à plusieurs reprises par les tribunaux: en 1983 par la première chambre de la cour d'Appel de Paris

en 1991 par la 17ème

chambre du tribunal correctionnel de Paris; et en 1992 à nouveau par la cour d'Appel de Paris pour « contestation de crime contre l'humanité ». Versailles, la fin de la grève Les parents d'enfants français des Yvelines qui faisaient la grève de la faim pour réclamer la régularisation de leur situation l'ont interrompue le 27 avril après avoir obtenu des garanties du préfet. 144 parents d'enfants français recensés dans le département sont concernés. Les grévistes avaient bénéficié de l'action d'un comité de soutien et de l'appui de plusieurs personnalités dont l'évêque, Mgr Thomas, et le député- maire de Versailles, Etienne Pinte, lesquels se sont félicités de l'engagement pris par le préfet. Alamémoire de Brahim Recueillement des militants des associations antiracistes et des droits de l'homme ainsi que de l'ATMF au pont du Carrouselle 1er mai. C'est sous ce pont que Brahim Bouarram a été jeté à l'eau l'an dernier à la même date par des skinheads qui sortaient du cortège du Front national. Exil ou excision L'excision est-elle une forme de persécution qui justifie l'asile politique? C'est à cette question que des juges aux Etats-Unis doivent répondre en abordant la demande d'une jeune Togolaise dont le cas a été fortement médiatisé grâce notamment à des associations de femmes dont Equality Now. Les autorités judiciaires l'avaient d'abord, en août 1995, condamnée à être expulsée avant qu'une campagne universitaire et médiatique n'amène les autorités à réexaminer son cas le 2 mai. A suivre, tout en sachant que le Canada accepte depuis 1993 d'accorder le droit d'asile aux femmes menacées d'excision et qu'aux Etats-Unis même des juges du bureau de l'immigration ont déjà accordé l'asile à trois femmes sur cette base. Drame à Sens Le 4 mai unjeune homme de dix-neuf ans, Mohamed, a été tué à bout portant. On ne connaît pas encore le mobile du crime. Le MRAP a vigoureusement protesté contre la Rendez-vous le 15 juin Journée nationale d'actions et de manifestations « Nous exigeons l'abandon de tous les projets d'aggravation de la législation concernant les étrangers. Nous condamnons une politique qui, au travers d'une nouvelle restriction concernant le droit des étrangers, s'attaque aux droits de tous. Elle s'en prend aux fondements de la démocratie et rappelle les périodes les plus sombres de notre histoire en instaurant des règles dignes d'un Etat policier. ( ... ) Dès à présent, comme à l'Eglise Saint-Ambroise, apparaissent des manifestations qui révèlent la gravité de la situation de ceux qui, du fait de la législation et des pratiques administratives, ne se voient plus reconnaître certains droits fondamentaux. ( ... ) Nous revendiquons l'égalité des droits pour une pleine citoyenneté. Nous exigeons l'abandon immédiat de l'avantprojet Debré. Nous exigeons l'abrogation des lois Pasqua. Nous appelons, partout en France, la population à organiser ensemble la mobilisation contre ces projets xénophobes, par une journée d'actions et de manifestations à Paris et dans les régions le samedi 15 juin.» (Extrait du tract du collectif de préparation). Différences n° 175 juin 1996 tenue d'une réunion du Front national dans une commune toute proche, Saint-Clément, vingt jours après ce drame. Le MRAP a attiré l'attention du maire et du souspréfet sur les risques de trouble à l'ordre public d'autant plus qu'il ne s'agit pas vraiment d'une renc0!ltre . privée puisque Le Pen doit tenir une conférence de presse. Toulouse en grève Des parents d'enfants français qui demandent leur régularisation sont en grève de la faim depuis le 9 mai à Toulouse. Une manifestation de soutien s'est déroulée le 15 mai dans la ville. « Le MRAP tient à dénoncer une nouvelle fois ces situations de non-droit contraire aux engagements internationaux souscrits par la France et demande instamment aux pouvoirs publics l'adoption de mesures pour que cessent ces atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine. Précisément, c'est au nom du respect du droit de vivre en famille que le MRAP a saisi le préfet de la Haute- Garonne afin qu'il délivre à l'ensemble de ces familles une carte de résident. » (communiqué du 15 mai). Débordements au parc des Princes « Le MRAP tient à exprimer son indignation et sa colère face aux débordements violents et racistes qui se sont produits hier soir au Parc des Princes et ont gâché la fête organisée en l'honneur des joueurs parisiens. »Dans la suite de ce communiqué de presse en date du 10 mai, le MRAP rappelle qu'il a, à plusieurs reprises, attiré l'attention des pouvoirs publics et des dirigeants du PSG sur «la nécessité d'une grande fermeté pour mettre hors d'état de nuire ces supporters connus. »De plus, « un réel problème reste posé: la constitution de partie civile des associations demeure impossible dans ce type d'affaire. En effet, la loi du 6 décembre 1993 relative à la sécurité des manifestations sportives ne permet pas à des associations non agréées par le ministère chargé des Sports de se constituer partie civile. Le MRAP entend saisir l'ensemble des groupes parlementaires aux fins de modifications de la loi du 6. 12. 1993. » Délit d'aide au séjour Une Toulousaine de 21 ans a été condamnée le 23 mai à 3 000 francs d'amende par la cour d'appel pour avoir facilité le séjour en France de son futur mari, un Algérien en situation irrégulière. Elle avait Sept moines français assassinés en Algérie La liste des victimes de l'intégrisme islamiste s'est cruellement allongée le 23 mai: sept moines trappistes français enlevés le 27 mars dernier dans leur monastère ont été exécutés. Le MRAP exprime sa peine et présente ses condoléances aux proches des victimes. « Devant cette épreuve, les antiracistes, quelles que soient leur origines et leurs croyances, qu'ils soient musulmans, chrétiens, juifs, athées, doivent redoubler d'efforts pour construire dans le quotidien la paix et le respect mutuel. Leur action solidaire doit être la réponse à ceux qui cultivent la division et la haine, seul moyen de lever les obstacles pour bâtir un monde plus fraternel» (communiqué de presse du 24.05.96). Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, a invité chrétiens et musulmans à « ne pas oublier le message de fraternité, afin de surmonter ce drame », tandis que le Haut Conseil des musulmans de France annonçait un recueillement oecuménique le samedi 25 mai à la Mosquée de Paris. A l'appel de tous les partis politiques, sauf le Front national, des syndicats et des associations, un rassemblement est organisé place du Trocadéro le 28 mai. Différences n° 175juin 1996 pourtant été relaxée en première instance. Fichiers ethniques Selon un document confidentiel de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), auquelLibération (24 mai) a eu accès, la police préparerait un système de fichage qui permettrait de répertorier les « origines ethniques » ainsi que les « fréquentations» des personnes placées en garde à vue. Ces fiches pourraient être utilisées par tous les services de police. Chaque personne serait décrite en 4 à 20 fiche s. Ce système informatisé serait généralisable à partir de 1999. Les échanges entre le gouvernement et la CNIL sont pour le moment confidentiels. Le Front national poursuit son implantation L'élection des représentants des locataires des sociétés HLM se déroule jusqu'au 15 juin dans toute la France. Pour la première fors, une organisation qui revendique sa filiation avec le Front national - le Front national des locataires - présentera des listes. Peu de listes certes, 35 pour plus de 600 organismes HLM en France, mais suffisamment pour tester l'impact de cette nouvelle organisation du FN, après l'implantation dans la police et la RATP. Eléments d'information rassemblés par Chérifa Benabdessadok EN BREF • Accusé de divulgation du secret de l'instruction dans une affaire de justice qui concerne l'un des leaders du Mouvement des démocrates socialistes, un député de l'opposition démocrate tunisienne a été emprisonné le 18 mai à Tunis. Il a aussitôt fait savoir qu'il entamait une grève de la faim. • L'agence pour le développement des relations interculturelles organise le 1er juin à la Maison du monde d'Evry une rencontre sur le thème: « Racismes et xénophobie, comprendre pour mieux agir ensemble sur la réalité locale ». • Courrier Lecteurs, cette rubrique est la vôtre. Elle a disparu ces derniers mois faute de nourriture. Il ne tient qu'à vous de l'alimenter. A propos de la Mauritanie et du Sahara occidental Je voudrais revenir ici sur les articles de O. Diagne et de M.C. Andréani consacrés J'un au massacre et à J'exclusion des négro-africains en Mauritanie et J'autre à la crise de la création d'un Etat au Sahara Occidental. Ce sont là, à mes yeux, des questions issues d'un seul et même problème: la conception ethnoccntrique et raciste de la construction identitaire de la Mauritanie. Comme J'indique J'article paru dans le nO 140 de Différences, l'organisation de la société mauritanienne était basée sur la domination des négro-africains par les arabo-berbères. Les esclaves affranchis ou pas, tous d'origine africaine, constituaient les groupes sociaux dont la force active faisait vivre l'ensemble social. La colonisation a perpétué ces inégalités sociales, mais, en introduisant les échanges monétaires, elle a brisé les liens des relations sociales traditionnelles. Par le biais de l'école et du fait de la sédentarisation, ces transformations ont plus profité aux noirs qu'aux maures. Pour pallier ce désavantage, le gouvernement mauritanien, aux mains des arabo-berbères, promulgua en 1965 les lois généralisant l'enseignement de l'arabe afin de couper les noirs de leurs liens avec l'ensemble de l'Afrique fiancophone en les amputant d'une partie de leur culture. ( ... ) Aujour de l' indépendance, le 28 novembre 1960, Mokhtar Ould Daddah développa son discours sur la singularité géopolitique de son pays « un pont entre deux mondes )} celui des blancs arabo-berbères et celui des noirs négro-africains, mais l'imposition du parti unique rendit impossible l'expression des particularismes. Avec l'entrée en guerre au côté du Maroc pour le partage du Sahara Oriental et du Rio de Oro peuplés d'arabo-berbères, le gouvernement mauritanien pensait que l'annexion d'une partie de ce pays renforcerait la proportion de la population blanche de la Mauritanie. Ce fut un échec. Le changement d'all iance et l'affinnation arabo-nationaliste du nouveau gouvernement aggrava les tensions entre les arabo- berbères et les négro-africains. La décision d'appliquer la « chari'a)} à la même époque rassura les milieux conservateurs irrités par l'abolition de l'esclavage. Les islamistes profitèrent de la situation pour prospérer dans les milieux défavorisés. Ils regroupèrent les négro-africains et les poussèrent à contester le pouvoir. Hommage à David Leiba David Leiba s'est éteint le 22 avril dernier à l'age de 81 ans. Antiraciste, il luttait contre toutes les inégalités et était depuis de nombreuses années militant du MRAP. Ses parents, réfugiés juifs roumains, choisirent la France comme terre d'accueil. Soldat, en 1940, David Leiba est fait prisonnier. Son activité anti-nazie le conduit de camp en camp pour aboutir à celui de Rawa-Ruska réservé aux évadés, internés et résistants. Son père et sa soeur furent déportés à Auschwitz. Seule sa soeur reviendra .. « Il n'y a pas un seul jour durant lequel je ne pense pas à mon père lt, disait-il à Marina, sa fille, militante du MRAP elle aussi. Dans les années 80, il crée et anime le comité local MRAP de Colombes et multiplie les rencontres entre les comités du département. Il était très attaché à comprendre les événements de l'actualité et à combattre toutes les fonnes d'injustice. II fut un militant acharné de la lutte contre l'apartheid et fervent défenseur de la reconnaissance des droits du peuple palestinien. Cinéaste amateur depuis les années 50, il s'était fait un devoir de témoigner et de laisser des traces des manifestations et des actions militantes qui lui tenaient à coeur. Il a notamment réalisé un document sur les obsèques de Dulcie September, représentante de l'ANC en France assassinée par un commando et un autre sur le séjour en France d'adolescentes palestiniennes invitées par des associations de solidarité. Ces documents nous sont précieux, traces laissées par un homme pour lequel la fratemité, la solidarité, la justice et la paix avaient un sens. L'équipe du MRAP et de Différences présente ici ses condoléances à son épouse, Mado, et à ses enfants. Différences n° 175juin 1996 Il suffit d'un banal incident entre pasteurs mauritaniens et sénégalais en 1988 pourprovoquer une explosion de violence. A la chasse aux maures de Dakar répondirent les massa~ cres anti-sénégalais de Nouakchott. Il semble que le régime mauritanien ait saisi au bond «l'occasion historique}) de régler rapidement le problème noir. Tous ceux qui étaient noirs furent massacrés ou expulsés sans distinction de nationalité. C'était l'aboutissement ultime du processus amorcé depuis la naissance du pays qui, sous prétexte d'arabisation, écartait progressivement puis massacrait brutalement les noirs. ( ... ) Si aujourd'hui les tensions ethniques semblent apaisées, le règlement de cette crise est loin d'avoir trouvé sa solution sans un changement des mentalités des différentes composantes de la société mauritanienne. Auront-elles la sagesse de le comprendre ? Pierre Gourdou Montpellier 89, rue Oberkampf 75543 Patis Cedex Il Tél.: 43 148353 Télécopie: 43148350 • Directeur de la publication Mouloud Aounit • Gérant bénévole Martial Le Nancq • Rédactrice en chef Cherifa Bcnabdessadok • Administration - gestion Patricia Jouhannet • Abonnements Isabel Dos Martires 120Fpourll numéros/an 12 F le numéro • Maquette Cherifa Benabdessadok • Impression Montligeon Té1.:33858000 • Commission paritaire n° 63634 I$SN 0247-9095 Dépôt lég~1 1996·6

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