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Les Outre-mers

Saint-Christophe, Guadeloupe, Martinique, Saint-Louis du Sénégal, Saint-Domingue, Sainte-Lucie, Grenade, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Sainte-Croix, Guyane, Ile Bourbon (Réunion), Marie-Galante, Gorée, Louisiane, Ile de France (Ile Maurice), Tobago, Seychelles: le point commun de ces territoires est d'avoir connu un régime d'esclavage sous la domination coloniale française entre les années 1620 et 1848. Diff n°271 p7 (voir le document)

L'esclavage

Différences n°290

Voir aussi le dossier Dossiers thématiques - L'esclavage
Voir le dossier de Différences n°290 :

Les Antilles

Le peuplement

Le débarquement en Guadeloupe eut lieu le 28 juin 1635; en Martinique, en septembre 1635. Comment se composait la population des Antilles? Toutes les classes de la métropole lui fournissaient, plus ou moins, des représentants. Ainsi, les chefs des premières expéditions appartiennent pour la plupart à la noblesse. Les uns sont poussés par l'amour des aventures, les autres par le désir de rompre avec leur passé: le départ pour l'Amérique aidait à liquider une situation malaisée, ou bien à effacer quelque faute, à fuir une lettre de cachet. Du moins, là-bas, ceux-là se "rachetaient" en servant bien le roi et la nation, puisqu'alors c'est tout un. Après eux, viennent les fonctionnaires, d'abord uniquement ceux des Compagnies, puis les officiers du roi. Il faut citer aussi parmi les premiers arrivants les religieux des divers ordres, Jésuites, Dominicains, Carmes, Capucins, Jacobins, Frères de la Charité, sans parler des religieuses.
"Au-dessous de cette double aristocratie de naissance et de profession, ou plutôt à côté d'elle, car les distinctions de la métropole se perdaient aux Antilles dans la fusion de toutes les classes blanches, venait l'élément bourgeois avec sa consistance héréditaire, son esprit de prudence et de patience pratique, sa laborieuse persévérance et bienfaisante parcimonie". (Leroy-Beaulieu).
Enfïn, en dernier lieu, viennent les "engagés" qui se recrutaient un peu partout et n'importe comment. Ils étaient ou volontaires ou forcés. Les premiers comprenaient des gens sans ressources, domestiques sans place, compagnons sans travail ou dégoûtés de ne pouvoir devenir maîtres, paysans las de la corvée et aux yeux desquels on faisait miroiter le rêve d'une propriété qui leur appartiendrait. Les seconds étaient des vagabonds, des fraudeurs ou bien des fils de famille déshérités.
Venaient enfin les "nègres" importés, d'abord en petite quantité, puis progressivement en quantité industrielle, afin de remplacer définitivement le travail des engagés blancs, soit que ceux-ci s'épuisent à la tâche, soit qu'ils refusent les conditions draconiennes de travail qui leur étaient imposées et s'enfuient en "marronage" comme les nègres. (Extrait du dossier "L'esclavage"
Sous le règne du Roi-Soleil, est institué le terrible Code noir par Colbert, considéré à l'époque comme « le meilleur économiste de France ». En soixante articles, ce Code est une synthèse entre la nécessité du rendement économique et les alibis religieux qui servent à justifier l'esclavage. Il restera le règlement officiel de l'esclavage jusqu'à l'abolition définitive, en 1848, plus d'un siècle et demi après son élaboration. Extrait du dossier "abolition de l'esclavage": (voir le document)

Abolition de l'esclavage

La première abolition date de 1794:
"La Convention Nationale déclare aboli l'esclavage des nègres dans toutes nos colonies: en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouissent des droits assurés par la Constitution".
L'esclavage est bien vite rétabli par Bonaparte en 1802: "Dans les colonies... l'esclavage sera maintenu conformément aux lois et décrets antérieurs à 1789 ... La traite des Noirs et leur importation dans lesdites colonies auront lieu conformément aux lois et décrets existants avant ladite époque de 1789".

Il faudra attendre la révolution de 1848 pour voir l'abolition définitive de l'esclavage: "Le gouvernement de la République, considérant que nulle terre française ne peut plus porter d'esclaves, décrète: une commission est instituée auprès du ministre provisoire de la Marine et des Colonies pour préparer dans le plus bref délai « l'acte d'émancipation »."
Il convient toutefois de souligner que l'abolition ne fut pas qu'un décret, ainsi que le montre les dates de commémoration de l'abolition:
Quelle date choisir? Pour la France, proposa le gouvernement, le 27 avril, date du décret préparé par Schoelcher en 1848 . Dans chacun des départements d'Outre-Mer, les Conseils Généraux optèrent d'emblée pour des dates différentes , selon leur histoire propre : le 22 mai pour la Martinique, le 28 mai pour la Guadeloupe, le 20 décembre pour La Réunion, le 10 juin pour la Guyane. Pourquoi ces dates? Parce qu'elles correspondent à des insurrections, c'est-à-dire à des libérations conquises et non octroyées. Il s' agissait sous la pression spontanée des populations de souligner l'importance primordiale des luttes incessantes des Noirs déportés. Car l'histoire de l'esclavage, ce n'est pas autre chose que l' histoire des luttes d'esclaves. Le gouvernement français accepta ces dates, et la loi nouvelle décida qu'elles seraient, dans les DOM, fériées, chômées et payées. (extrait du "dossier pochette" du MRAP sur l'abolition de l'esclavage) (voir le document)

La Réunion

La France prend possession de l'ile en 1642, les premiers colons s'y installent à partir de 1665. Au XVIII éme siècle, la culture du tabac, puis de la canne à sucre, entraîne un important recours à l'esclavage qui comme dans les Antilles ne sera aboli qu'en 1848.

Nouvelle Calédonie

La Nouvelle Calédonie passe sous souveraineté française en 1853.
La colonisation implique la dépossession des terres des populations autochtones au profit des immigrants, souvent des déportés. En 1887, le gouvernement français impose en Nouvelle Calédonie, comme dans les autres colonies, le code de l'indigénat soumettant les autochtones à des travaux forcés. Le code ne sera aboli qu'en 1946. Cette même année intervient la loi de départementalisation qui en principe garantit une citoyenneté pleine et entière aux "ultramarins".

Les "outremers" dans les revues du MRAP

Hommages aux héros de la résistance à l'esclavage et au colonialisme

Le MRAP dans ses publications rend hommage aux héros de la résistance anticolonialiste

Toussaint Louverture

Le général Toussaint Louverture

Esclave devenu général républicain, mort en prison pour avoir combattu Bonaparte qui avait cédé aux pressions des colons et qui rétablira l'esclavage en 1802, Toussaint Louverture est un symbole. Au moment de la révolution," L'Europe monarchique est en guerre contre la République régicide. Les Anglais, qui ne perdent pas le nord, profitent de leur supériorité maritime pour s'emparer des colonies françaises. Maîtres pour maîtres, les esclaves étaient jusque-là restés dans un attentisme prudent. Libérés, ils choisiront de défendre la liberté, c'est-à-dire la France. Leur renfort est d'autant plus urgent que les colons, inquiets de la radicalisation révolutionnaire, complotent avec l'ennemi et s'apprêtent à se ranger sous ses ordres. Le jour même où la Convention abolit l'esclavage, la flotte britannique paraît sur les côtes martiniquaises. Livrée par les propriétaires, l'île tombe sans combat. La Guadeloupe est envahie dans le même mouvement." Diff n°51: (voir le document)
Mais à Saint-Domingue, Toussaint Louverture mène le combat:
Il est déjà libre et petit propriétaire lorsque les idées de la Révolution atteignent les lointaines colonies d'Amérique. Au cours des troubles qui suivirent, il prend la tête d'une bande armée noire et se rallie au représentant de la République quelques mois après l'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue par le jacobin Sonthonax. Il personnalise ensuite la création d' « un pouvoir noir », militaire tout d'abord, puis économique, et politique enfin lors de la proclamation de la constitution coloniale le 8 juillet 1801. Il prend alors le titre de gouverneur général à vie avec possibilité de choisir son successeur.Toussaint est arrêté et conduit en France avec sa famille. La loi du 20 mai 1802 rétablit l'esclavage et la traite dans les colonies françaises . Cependant, en quelques jours, la fièvre jaune décime les troupes françaises d'occupation de Saint-Domingue. Leclerc décède. Jean-Jacques Dessalines, lieutenant de Toussaint, proclame l'indépendance de Saint-Domingue et du peuple noir le 28 novembre 1803, puis le 1 er janvier 1804, la naissance de la première République noire au monde: Haïti, célébrant ainsi la victoire posthume de Toussaint Louverture. Diff n°87 (voir le document) ; Diff n°51(voir le document) ; Diff n°52;(voir le document) ;Dl n°87(voir le document)

Louis Delgrés et Jean Ignace

En Guadeloupe, en 1801, "L'évolution de la situation française n'est en effet pas favorable aux esclaves libérés. Le 18 brumaire el la prise du pouvoir par Bonaparte sont te signal de la reprise en main.
Mais le goût de la liberté est fort. Le 26 octobre 180l, lassés par les exactions du représentant consulaire, le capitaine-général Lacrosse, les officiers noirs prennent le pouvoir sous la pression de la population," "Bonaparte lance une expédition militaire pour mater la révolte; Ce sont des officiers noirs, Louis Delgrès et Jean Ignace qui organisent la résistance. Delgrès déclare: Cette résistance est la conséquence de la volonté de certains hommes de ne voir les Noirs que dans les fers de l'esclavage; la rêsistance à l'oppression constituant un droit naturel, la divinité même ne peut en être offensée ; notre cause est celle de la justice et de l'humanité"
Delgrès et Ignace sont vaincus par les forces du général Richepance supérieures en nombre, et l'esclavage est bientôt rétabli en Guadeloupe. Diff n°1:(voir le document); Dl n°114:(voir le document)

Frantz Fanon

"L'homme, né en 1925, mort en 1961, est un Français de Fort-de-France, Antillais descendant d'esclaves noirs, qui, à dix-huit ans, découvre le racisme des Français de la métropole quand il s'engage contre le nazisme, avec son ami d'enfance Marcel Manville, futur cofondateur du Mrap, dans les Forces Françaises Libres; il ne s'en remettra jamais. L’œuvre culminera en 1961 avec "Les Damnés de la terre", réquisitoire éclatant et terrible contre la colonisation européenne, au titre magnifique, aux accents parfois proches de ceux de Rimbaud.
La terre, cc fut l'Algérie, patrie d'adoption de Fanon, où il arriva en 1953 comme médecin-chef de l'hôpital psychiatrique de Blida, où il entra en rébellion contre la France légale. (extrait du compte rendu d'un livre sur Frantz Fanon) (voir le document)
En 1982, lors d'un hommage à Frantz Fanon, grande figure de la lutte contre le colonialisme, DL revient sur l'histoire de la décolonisation: "Pour la première fois depuis des siècles, l'esclave refusait d'obéir et le maître craignait de le punir." : DL n°411-412 (voir le document)

Les 16 de Basse Pointe

Fichier:Basse pointe.jpgg
Extrait de droit et Liberté n°87 en 1951

En septembre 1948, à Basse Pointe en Martinique, une bagarre éclate au cours d'une grève, le représentant d'un grand propriétaire trouve la mort. Ne pouvant trouver qui a porté le coup mortel, l'Administration arrête 18 travailleurs particulièrement choisis pour leur activité syndicale.
Deux d'entre eux sont libérés après 2 ans de détention provisoire, le procès des 16 autres s'ouvre à Bordeaux en 1951. Droit et Liberté rend compte de l'ouverture du procès: "Les machinations des "Békés créoles" et de leurs soutiens de l'administration seront appuyées n'en doutons pas par le haut commerce bordelais qui compte tant de parents de "békés créoles"...Soyons plus forts que les békés créoles et ceux qui les soutiennent. L'opinion publique, les juges et les jurés de Bordeaux déjoueront les plans des racistes colonialistes." Dl n°83 (voir le document)
"Les 16 otages de Basse Pointe, arrêtés à la suite d'un meurtre dont on n'a jamais retrouvé le coupable, comparaitrons devant la cour d'Assises de Bordeaux. La victime...était un blanc, il a été tué alors qu'il s'avançait revolver au poing sur un groupe de travailleurs en grève. C'est leur qualité de militants syndicaux qui a désigné les 16 à la fureur raciste des gendarmes. A la Martinique, département français, il faut bien 16 noirs pour "payer" un blanc, ainsi en a décidé la police. Et comme la cour d'Assises de Fort de France n'offrait pas toutes les garanties, elle a été dessaisie pour cause de "sûreté publique" au profit de la Cour d'Assises de Bordeaux. Bordeaux qui fût le premier port français pour la traite des noirs. Dl n°86 (voir le document)
La cour de Bordeaux rend un verdict d'acquittement: une réception est organisée pour célébrer cette victoire.
Droit et Liberté commente: "Devant l'intransigeance des planteurs qui ne respectent mème pas les conventions collectives qu'ils ont signées, les ouvriers n'ont qu'un moyen de lutte: la grève, et la grève est férocement réprimée chaque fois la police intervient, chaque fois il y a des blessés, des morts"; Un des syndicalistes libérés décrit la situation aux Antilles. "Imaginez des familles de cinq, six, sept enfants vivant dans des cases, véritables taudis, qui appartiennent à leur employeur. Imaginez ces hommes qui après de longues journées d'un travail éreintant ne rapportent dans leur foyer que la somme maximum de 1500 francs par semaine. Imaginez les vivant dans un semi esclavage, se nourrissant de fruits sans valeur nutritive et obligés de se vêtir de sacs de farine. Imaginez les, marchant pieds nus et ne connaissant que misère et lutte constante contre la faim; quand vous aurez imaginé tout cela vous comprendrez la réalité antillaise". DLn°87(voir le document)

Les "émeutes" aux Antillees

Cette "réalité antillaise" est source de fréquents incidents, pouvant dégenerer en véritables émeutes.
Ainsi en décembre 1959, la Martinique s'embrase. A la suite d'un banal accrochage la situation dégénère en de violents affrontements avec les forces de l'ordre. Plusieurs personnes perdent la vie.
Marie Magdeleine Carbet écrit dans Droit et Liberté: "Tous ceux qui, s'intéressant aux Antilles, sont initiés à leur tout spécial climat social, sont d'accord sur un point : les évènements qui viennent d'endeuiller la Martinique ne sont pas le fait du hasard...Ce serait un crime que d'ignorer l'étendue du danger menaçant, de considérer comme accidentelle la crise apparemment passagère qui sévit aux Antilles.
"Ni la matraque des C.R.S., ni les boulets éventuels du « de Grasse » n'en viendront à bout. Il faut remonter aux sources, chercher les remèdes pendant qu'il en est encore temps."
"L'inimitié est désormais ouverte. Elle s'affirme chaque jour, à chaque heure, au marché, dans les boutiques, dans la rue. La preuve, cette collision de deux véhicules qui fournit aux forces de police prétexte à charger d'inoffensifs badauds." Dl n°187 (voir le document)
Me Marcel Manville, membre du Bureau National du MRAP relate ses impressions lors d'un voyage en Martinique, son pays d'origine et analyse:
"Le racisme qui revêtait, avant la guerre, des formes atténuées entre population d'origines diverses, a connu évidemment une brusque poussée sous Vichy, et le venin ainsi inoculé avait laissé quelques traces après la Libération ; mais depuis 1956, il prend des formes de plus en plus virulentes. Pourquoi ? Parce que de nombreux Français, fonctionnaires ou non, ayant quitté le Maroc, la Tunisie, l'Afrique Noire, et maintenant l'Algérie sont venus s'installer en Martinique, et ils ont transporté dans leurs bagages leurs préjugés racistes. Leur attitude méprisante et hostile a provoqué des protestations dignes mais vigoureuses de la population martiniquaise, que les Européens, auparavant avaient appris à respecter.
Bien qu'il soit incomplet de dire que les sanglants événement de Fort·de·France, en décembre 1959, aient eu une origine uniquement raciale - car il y avait des problèmes politiques sous·jacents la cause directe en fut un incident opposant un "Français d'Algérie" à un Martiniquais, qu'il avait traité de "sale nègre" C'est dans le climat ainsi créé, et qui va se détériorant, que s'opère aujourd'hui une véritable mutation, dont le résultat est que les Martiniquais souhaitent avoir plus de responsabilité dans la direction de leur propre destin, et ce souhait est corrélatif à leur sentiment de dignité humaine." Dl n°201(voir le document)
Dans la continuation de cette révolte, apparaît un mouvement réclamant l'autonomie de la Martinique. Les responsables sont poursuivis .
En 1963, c'est le sénateur Jean Geoffroy qui lance une "alerte aux droits de l'homme" dans Droit et Liberté: "LENTEMENT, trop lentement, l'opinion publique est informée de l'évolution des événements dans les départements d'Outre-Mer. Des jeunes gens sont emprisonnés à la Martinique et inculpés d'atteinte à la Sûreté de l'Etat. Leur crime ? avoir exprimé leur besoin de justice, avoir essayé d'ouvrir les yeux qui s'obstinent à demeurer fermés, avoir rappelé à des administrateurs trop zélés que la France est la patrie des Droits de l'Homme.
Car, chaque jour, les Droits de l'Homme sont méconnus, bafoués dans les départements d'Outre-Mer. La libre circulation des personnes n'y existe pas ; on expulse, on refoule les habitants, comme on le ferait d'un pays étranger. En 1946, on a prétendu arranger définitivement les choses en baptisant "départements"nos plus anciennes colonies. Ce tour de passe-passe était insuffisant pour régler la question. Très vite, il est apparu que la « départementalisation » n'avait rien changé aux problèmes propres à ces territoires, et même, ce qui est plus grave, que la « départementalisation » avait créé une fiction, UN ECRAN QUI CACHE DANGEREUSEMENT LA REALITE...CAR TOUT SE RAMENE, en vérité, AU PROBLEME DU RESPECT DES DROITS DE L'HOMME." Dl n°220 (voir le document)
Et Michel Leiris réagit à la lourde condamnation de plusieurs inculpés. Il développe 3 points:
La situation de la Martinique est objectivement coloniale; la France paratique une politique d'assimilation culturelle; la Martinique a sa spécificité culturelle.
Il conclut: "Dans ces conditions, je ne m'étonne pas de l'état d'esprit qu'on voit se développer dans la jeunesse martiniquaise. Le mécontentement de cette jeunesse très -nombreuse (comme dans tous les pays à forte poussée démographique) est compréhènsible. Elle dispose de très minces débouchés et bien des éléments sont obligés de s'en aller loin de chez eux pour trouver un emploi.
Pour peu qu'elle réfléchisse, cette jeunesse est bien obligée de se rendre compte que, malgré la réforme de 1946, la Martinique est demeurée, au moins économiquement, une colonie et que les conditions d'existence y restent difficiles. Au point de vue culturel, elle prend conscience d'une originalité antillaise. De là, l'anticolonialisme et l'éveil d'un sentiment national." Dl n°227 (voir le document)

En 1967 c'est en Guadeloupe qu'à la suite d'une grève, des affrontements avec les gendarmes causent plusieurs morts.
Droit et Liberté commente: "...Ces émeutes, on le sait, avaient fait une dizaine de morts et une centaine de blessés. Les incidents avaient commencé à propos d'une grève, qui opposait les ouvriers du bâtiment à leurs employeurs. Il y eut quelques accrochages entre grévistes et policiers lorsque, spontanément, la violence gagna les quartiers pauvres de la ville, qui sont aussi les quartiers noirs sont aussi les quartiers noirs. Ce fut un déferlement où, racontèrent plusieurs témoins, le racisme antiblanc ne fut pas absent. Mais ce que l'on met moins en valeur, c'est le fond de misère de racisme et de violence légale sur lequel se sont déchaînées ces émeutes. L'opinion guadeloupéenne noire était très montée depuis les élections législatives, où la fraude avait été éhontée..." Dl n°265 (voir le document)

Devant les procès visant des membres d'organismes politiques ou sociaux les plus divers, un collectif d'avocats, dont Mes Hermantin et Manville souligne: "Les prévenus ne sont inculpés que pour leur prise de position en faveur d'un changement de statut de la Guadeloupe. A l'heure où la plus haute autorité française proclame que c'est le génie dé notre temps que chaque peuple puisse disposer de lui-même, ces hommes sont convaincus que le peuple guadeloupéen a le droit de disposer de lui·même, et s'attachent à proposer des solutions qui concernent tout particuUèrement leur pays." Dl n°266 (voir le document)
Des manifestations de soutien sont organisées à Paris: " Plusieurs centaines de personnes, Antillais et Français, ont manifesté le 3 novembre dernier à Paris, boulevard du Montpamasse, à l'appel des comités guadeloupéens et français d'aide et de soutien aux détenus guadeloupéens. Les manifestants ont rappelé que les 26 et 27 mai, à l'occasion d'une grève des ouvriers du bâtiment , les forces de l'Ordre avaient ouvert le feu , faisant 15 morts et des centaines de blessés à Pointe-à-Pitre. Depuis, quelque cinquante patriotes guadeloupéens sont emprisonnés soit en Guadeloupe soit en France (huit d'entre eux ont fait une grève de la faim qui a duré deux mois). La Ligue française des Droits de l'Homme a d'ailleurs rappelé que « depuis trop longtemps le colonialisme, grâce notamment aux élections préfabriquées, fait régner sur les Antilles et les autres « départements d'outre- mer » injustice, misère et racisme. Un changement est devenu indispensable. Pour cela, un dialogue honnête et sincère doit s'engager sans plus tarder. C'est aux Antillais de choisir librement leur destin et de dire de quelle nature doivent être les liens qu'ils entendent conserver avec la France.» Dl n°268 (voir le document)
Droit et Liberté résume les événements: "Le 20 mars dernier à la Guadeloupe, à BasseTerre précisément, un négociant en chaussures, lançait un chien de berger sur un Guadeloupéen. Il avait été paraît-il excédé de voir ce dernier travailler - il cloutait des chaussures- devant son magasin! De graves incidents allaient suivre, qui firent de nombreux morts et blessés. Basse-Terre connut trois jours de manifestations. Le 25 mars, un engin explosait à Pointe-à·Pitre et cette explosion entraîna l'arrestation de plus de quatre cents personnes (qui furent relâchées). Le 26 mai, les ouvriers du bâtiment manifestaient pour que l'augmentation des salaires décidée soit réellement appliquée, là encore il y eut de violentes bagarres. Le 27 mai, les étudiants manifestaient à leur tour pour protester contre les violences de la veille. De nombreuses arrestations allaient être opérées, tant à la Guadeloupe qu'en France. Depuis des mois, plusieurs dizaines de personnes sont emprisonnées, tant dans l'île qu'à la Santé. De nombreuses personnalités ont protesté contre la prolongation de cet emprisonnement." Dl n°270 (voir le document)
DL publie le verdict du procès: "Six peines de prison avec sursis. treize acquittements à Paris dans l' « affaire des Guadeloupéens»." Dl n°272 (voir le document)


L'émigration massive

En 1969 Droit et Liberté consacre un dossier à l'émigration antillaise et réunionaise vers la métropole et des problèmes de racisme en découlant:
"Sous l'Ancien Régime, les Antilles et la Réunion représentaient l'élément le plus riche du premier empire colonial français....Ces temps sont révolus. A l'écart des grandes zones industrielles de notre temps, ces archipels sont aujour- d'hui pauvres, confrontés aux problèmes que connaissent les pays du Tiers-Monde."
Michel Leiris écrit: "L'émigration pour quoi, aux Antilles et ailleurs, beaucoup sont conduits à opter n'est-elle pas l'un des signes les plus patents d'un état social si malsain qu'à une grande part au moins de la jeunesse de ces régions l'avenir apparaît bouché ?" il conclut: " Il semble donc qu'on n'excède pas les limites d'un très élémentaire bon sens en se bornant à cette affirmation : instaurer aux Antilles françaises des conditions telles que l'émigration n'y apparaîtrait plus, à nombre parmi les jeunes, comme, l'unique issue, est une tâche à laquelle, ici autant que là-bas, chacun devrait avoir à coeur de s'atteler dans toute la mesure où il le peut."
Fred Hermantin analyse: "jusqu'à 1960, les mouvements migratoires antillais et réunionais en France étaient pratiquement nuls. Quelques centaines d'étudiants qui, depuis les années 1920, se retrouvaient dans les mêmes universités...
"En dix ans, cette situation a été modifiée de fond en comble. Sans qu'il soit possible de préciser le chiffre annuel des émigrés, leur nombre est aujourd'hui considérable." "Dans ces trois territoires subsistent aussi bizarre que cela paraisse au xxe siècle - les séquelles d'une vieille pratique coloniale: l'exclusif. La colonie, dépourvue d'mdustrie, devait se contenter de fournir des matières premières à la Métropole, qui les faisait transformer par ses propres industries avant de revendre les produits finis aux populations de cette même colonie...Cette politique, qui interdit toute création d'industries, est génératrice de sous-emploi...De surcroît, le secteur agricole, où la propriété de la terre est concentré entre les mains, de quelques gros colons, ne permet pas davantage le plein emploi..." Replaçant la situation dans la continuation de la traite négrière, il écrit: "A deux siècles d'intervalle, les Antillais et les Réunionais ont franchi deux étapes de ce voyage triangulaire d'Afrique vers les Antilles, enchaînés à fond de cale, puis des Antilles vers la France, dans le contexte de l'émigration. Quelle sera la troisième étape pour ce peuple errant?..."
Joby Fanon souhaite une autonomie véritable pour ces territoires: "Seule la prise en mains par les Antillais et Réunionnais des pouvoirs de décision en matière politique, économique et sociale permettra de définir les solutions à apporter au grave problème de l'emploi. Ces solutions sont le désengagement des économies de ces territoires, la diversification des cultures, l'industrialisation, l'inventaire rationnel des ressources naturelles, prospection des marchés extérieurs, protection des productions locales, etc. En bref, la mutation de ces économies qui permettrait l'utilisation' sur place des hommes. Bien sûr, pendant encore quelque temps des hommes de ces pays devront chercher ailleurs le travail. Mais il faut concurremment préparer activement la fixation sur place des jeunes qui dans cinq ou six ans arriveront sur le marché du travail. Nous sommes convaincus qu'un aménagement rationnel des ressources, une redistribution équitaible des revenus, une rèforme agraire indispensable au démarrage de l'industrialisation doivent permettre aux jeunes de nos pays de trouver dans un avenir raisonnable des emplois en rapport avec leurs capacités et leurs légitimes aspirations..." Marcel Manville analyse les "voies de l'émigration" et conclut: "Tel est le mécanisme de la politique dite de migration mise en place par le gouvernement pour pallier le sous-développement des D.O.M . Ce mécanisme bien rodé, servi par des organisations étatiques et para-étatiques, disposant de budgets importants, a réussi à « importer» depuis 1960 un minimum de cinquante mille personnes. C'est dire l'importance de la saignée infligée à notre pays par une politique consciente et délibérée"
Dans une intervention à l'Assemblée Nationale, Aimé Césaire déclare: "Cependant, il est des points au'on ne saurait passer sous silence, sous peine de donner des D.O.M. la plus fausse image. Que constate-t-on : Eh bien, il y a l'échec de la réforme agraire, il y a l'échec reconnu, par tous nos rapporteurs, de l'industrialisation, il y a la stagnation de la production agricole à la Guadeloupe et son effrondrement à la Martinique. Il y a, dans les deux îles, la généralisation du chômage qui touche maintenant un tiers de la population active. Il y a l'échec humain de la politique d'émigration, avec tous les problèmes insolubles auxquels se heurtent les Antillais et Réunionnais déracinés : problèmes de logement. problèmes de l'emploi, problèmes psychologiques et sociaux, problèmes professionnels aussi, si l'on en juge d'après les « défalcations» - c'est l'euphémisme qu'on emploie dans l'administration hospitalière pour désigner les licenciements abusifs dont sont victimes cette année, à Paris, quelque huit cents agents d'origine antillaise et réunionnaise ... » Fred Hermantin propose des pistes de réflexion: "Mais entre la fuite par ses propres habitants d'un pays dépourvu d'industries et l'industrialisation préalable des Iles, capable de mettre en valeur ce qui peut l'être, il y a une marge qui, Jusqu'ici, n'a jamais été explorée. Entre l'exode massif et désordonné d'une jeunesse non préparée professionnellement et psychologiquement. et le départ volontaire d'ouvriers préalablement formés sur place et capables de réexpédier dans leur pays d'origine une partie de leurs revenus, il y a une solution pour une politique d'émigration qui ne soit pas une continuelle saignée humaine et économique..." DL n°280 (voir le document)

Document: "La voix de l'immigration", journal du regrouprment de l'émigration martiniquaise dont le directeur de publication est Maitre Manville. (voir le document)


En 1970, un colloque sur l'émigration des antillais, réunionais, guyanais vers la france métropolitaine se déroule en Martinique, une résolution est adoptée qui souligne:

Droit et liberté n°295 1970

"L'émigration s'oppose à l'épanouissement spirituel de l'homme antilloguyanais. Elle ne peut prétendre être une solution aux problèmes démographiques et économiques se posant dans nos pays ( ... ) L'émigration ne fait qu'accentuer le sous-développement en retardant la mise en marche dans nos pays d'une véritable politique sociale, économique et culturelle propre au progrès de nos populations Il semble qu'aucune solution juste et respectueuse de la personne ne puisse être envisagée sans que soit résolu le problème d'une véritable décolonisation de ces derniers territoires sous domination française et l'accession de ces peuples à l'initiative, à la responsabilité et à la liberté. Ainsi pourront-ils développer leurs potentialités naturelles dans leur intérêt propre. Il Les participants au colloque affirment leur soutien aux revendications des travailleurs antillais, guyanais et réunionnais émigrés pour que soient prises en leur faveur des mesures susceptibles de pallier dans l'immédiat les difficultés qui les assaillent " Albert et Fanny Levy, présents à ce collloque, profitent de leur séjour pour étudier la société antillaise et publient dans Droit et Liberté leurs notes de voyage:
Ils dénoncent: "De l'émigration, le colloque de Fortde-France a démontré les dangers et l'inefficacité. Tout en vidant les D.O.M. de leurs forces vives, elle ne peut absorber la totalité des sans-travail, dont le nombre croît au rythme des excédents démographiques. Quant au tourisme , plutôt que d'emplois et de devises, il est, jusqu'à présent, source de désillusions. On a choisi le tourisme de luxe, et dirigé la publicité vers les Etats-Unis et le Canada. Mais la construction de grands hôtels, même si elle permet à certains Békés des investissements profitables, ne peut qu'offrir des débouchés limités...Il faut le voir pour le croire : dans ces Îles où tout pousse, où les agrumes, par exemple, sont excellents, si vous commandez un jus de pamplemousse, vous lirez sur l'étiquette qu'il vient du Maroc, et qu'il a été mis en boîte à Ivry On importe en Guadeloupe et en Martinique, chaque année, 3000 tonnes de lait frais, 250 tonnes d'oeufs, 34 millions de francs de viande . L'élevage demeure stagnant. Dans ces îles entourées de mers poissonneuses, on importe de la morue séchée et du hareng-saur...." DL n°295 (voir le document)

En 1978, Droit et Liberté revient sur la situation à la Réunion et publie un communiqué de l'UGTRF (Union générale des travailleurs réunionnais en France) qui s'indigne du mépris du gouvernement envers les réunionais: "Face aux problèmes sociaux at économiques que lui posait une de ses dernières possessions africaines, le département d'Outre-Mer de la Réunion, le gouvernement français n'a pas hèsité sur les moyens à utiliser. Cédant à la facilité, il s'est efforcé de réduire au maximum le nombre d'habitants de cette ne sous prétexte que la surpopulation relative du pays était la cause essentielle de la misère qui y régnait. Au début des années 60, on mit alors en branle deux grands types d'actions: le premier visant à faire quitter annuellement de l'ne 6 à 8.000 jeunes, c'était l'émigration organisée vers la France; le second dont l'objectif avoué était de limiter au maximum le nombre des naissances." DL n°375 (voir le document)
Puis en 1980 Dl dénonce "la pompe à main d'oeuvre": "La lutte contre l'émigration qui se mène aujourd'hui.à la Réunion et dans l'ensemble des DOM est significative de la révolte devant une situation qui est le.résultat direct du colonialisme et du partage inégal des ressources de la planète...Il y a ainsi environ 80.000 Réunionnais qui sont venus en France depuis 1963. Si l 'on considère la politique très active de limitation des naissances menée notamment par Michel Debré (il est allé jusqu'à préconiser la pause du stérilet à partir de l 'âge de 13 ans), on est fondé à parler, comme le font certains, de véritable génocide. C'est le peuple de la Réunion qu'on est en train ainsi de faire purement et simplement disparaître DL n°392 (voir le document)


Le racisme ordinaire

En métropole, les antillais et réunionais sont confrontés au "racisme ordinaire".
Dès 1959, le MRAP est à l'initiative d'un meeting de protestation contre des agressions racistes: "L'émotion était vive à Paris, à la suite des attentats commis fin avril, au Quartier Latin, contre l'écrivain camerounais Ferdinand Oyono, et fin mai, près de la gare du Nord, contre quatre étudiants antillais. Dans l'un et l'autre cas, l'attaque avait été perpétrée par des commandos organisés du « Mouvement Jeune Nation" qui reprochaient à leurs victimes de se trouver avec des jeunes filles blanches." DL n°182 (voir le document)
En 1963, M.M. Carbet décrit les rapports entre noirs et blancs dans la société antillaise: "Il ne faut pourtant pas en conclure que noirs et blancs ne se fréquentent pas en Martinique. Au bistrot, comme sur le terroin de sports, ou travail ou dons la vie courante, devant une tombe ouverte, noirs et blancs échangent les marques de la plus sincère sympathie, de la plus vive amitié. Il est des nuances de voix, des regards et des sanglots qui ne peuvent mentir. Mais les sentiments sont une chose et les rapports sociaux une autre. Les premiers n'ont pas de frontière. Les seconds se heurtent aux huis clos de nos demeures. DL n°217 (voir le document)
Toujours en 1963, DL rend compte du "refus de servir un noir" dans un bar lyonnais, des brutalités subies par la victime et de la réaction du MRAP. DL n°223(voir le document)

Puis c'est à Paris l'affaire du "Paris Londres". Le MRAP avait été alerté de l'attitude adoptée dans ce bar envers les gens de couleur. Plusieurs de ses dirigeants sont présents pour constater le refus de servir.

Les victimes et leurs avocats

Une plainte est déposée et le MRAP insiste: "Il faut que des sanctions exemplaires soient prises" Dl n°224 (voir le document); DL n°226 (voir le document)
L'Amicale Générale des travailleurs antillais et guyannais réagit par un tract où elle dénonce les manifestations de racisme en France. Evoquant l'affaire du « Paris-Londres », dont les cinq victimes sont des Guadeloupéens, ce tract souligne que si le racisme est moins spectaculaire ici qu'en Amérique, il n'en n'est pas moins une réalité, qui se pratique sous des formes multiples. Quel est l'Antillais, poursuit-il, qui n'a pas été victime du racisme dans son travail, ses études, son habitation, etc. A de nombreuses reprises, nous nous sommes heurtés au refus d'intervenir des agents de l'ordre, Chargés de faire respecter la loi." Le ministère de l'intérieur cherche à minimiser l'affaire, et Charles Palant s'indigne: "Comment peut-on faire dire, place Beauveau, à une délégation du M.R.A.P., par un haut fonctionnaire du Cabinet, que le Ministre entend prendre une part active à la lutte contre le racisme et, d'autre part, expédier en quelques phrases, un cas aussi typique de racisme, qui plus est, en tenant des propos offensants à l'égard du Mouvement antiraciste auquel on a donné de telles assurances?" Dl n°227 (voir le document)
En 1966, Droit et Liberté rend largement compte du déroulement du procès et Charles Palant se réjouit du verdict: "Le jugement rendu dans l'affaire du "Paris Londres" par les répercussions qu'il a eues et qu'il ne manquera pas d'avoir longtemps encore. C'est 1a première fois, non pas que des discriminations raciales taclales sont exercèes a Paris, mais qu'elles trouvent une juste sanction. Cette jurisprudence. favorisera les efforts des antiracistes pour mettre fin à ces odieuses pratiques. Les noirs, les Nords-Africains qui en sont victimes, se sentiront eqcouragës à défendre leurs droits et leur dignité." Dl n°250 (voir le document)
Le racisme et le colonialisme se manifestent aussi à l'encontre de fonctionnaires originaires des D.O.M. et mutés arbitrairement car "leur comportement paraît dee nature à troubler l'ordre public". Droit et Liberté rend compte de leur grève de la faim menée pour faire valoir leurs droits et dénoncer l'ordonnance applicable aux seuls D.O.M. permettant ces mutations. Dl n°309 (voir le document)
Joby Fanon membre du Bureau National du MRAP, entame une gréve de la faim Après l'arrêt de cette gréve, Joby Fanon dénonce: "Depuis près d'un mois que la grève est arrêtée, aucune initiative n'est prise par le gouvernement. L'opinion, un moment alertée se reporte sur d'autres problèmes. La technique du pourrissement semble réussir. Plus grave, le gouvernement durcit sa position et prépare l'accentuation de la répression...Qui plus est, loin d'abroger l'ordonnance, son extension à tous les fonctionnaires serait à l'étude. Dl n°310 (voir le document)
Joby Fanon obtient finalement satisfaction, mais les autres fonctionnaires restent frappés par l'ordonnance: C'est dire que la lutte doit continuer pour que soient levées les lois d'exception en usage dans les départements d'Outre-mer. Dl n°311 (voir le document)


Scandales à la Réunion

En 1972 DL dénonce les scandales électoaux à la Réunion: "On savait depuis longtemps ce département d'outre-mer (D.O.M.) propice aux fraudes électorales en tous genres, l'automatique unanimité politique des électeurs paraissant aux observateurs pour le moins suspecte...La liste s'allongerait que cela n'apporterait rien de plus au raisonnement de ceux qui dénoncent les conséquences du statut colonial en vigueur dans les D.O.M., en dépit de la "départementalisation". Elle confirme qu'à La Réunion, plus particulièrement, sont bafoués impunément les droits d'un peuple à décider de son sort ; que certains n'hésitent pas à user et abuser de méthodes inadmissibles, où l'obscurantisme le dispute à l'absolutisme, pour imposer leur présence, bâtir des fortunes sur la misère d'une île, alors que sont régulièrement frappés ceux qui tentent de protester contre ces manquements graves à la loi , qui réclament, tout simplement, le respect des Droits de l'Homme et de la Démocratie."dl72_315 Dl n°315(voir le document)
DL étend la dénonciation à l'ensemble des DOM TOM :"Et la fraude dans les départements et territoires d'outre-mer (D.O.M.-T.O.M.) ? On n'en dit rien. Ou l'on admet le fait comme inéluctable. Un épais mur de silence gêné l'entoure. Et pourtant, elle existe ... A la Réunion, à la Guadeloupe, à la Martinique, etc., certains députés, certains maires ne le seraient jamais si était respecté le suffrage universel. Des preuves? Elles pullulent. Et justement, nous avons pu en réunir un certain nombre. Accumulées par le Comité permanent de coordination pour l'autodétermination des D.O.M.-T.O.M. qui put envoyer dans ces vieilles colonies françaises des missions d'enquête et d'observation, elles constituent un réquisitoire accablant contre les agissements des autorités. Dl n°320 (voir le document)


Ces colonies devenues D.O.M.

Le congrès du MRAP souligne en 1973: " Sur le plan politique, économique, social, culturel, les originaires des D.O.M . et des T.O .M., loin d'être citoyens à part entière, se sentent de plus en plus des citoyens entièrement à part. Infériorisés chez eux, ils rencontrent, lorsqu'ils émigrent en France, des discriminations, des conditions de vie qui rapprochent souvent leur sort de celui des travailleurs étrangers. « Des courants qui deviennent majoritaires et que, ni les truquages, ni les violences, ne parviennent à étouffer, se prononcent pour une autonomie véritable, assortie de relations amicales avec la France. Prendra-t-on à temps les dispositions nécessaires pour éviter que les situations ne deviennent explosives, les oppositions Irrémédiables ? On sait ce qu'il en a coûté en d'autres lieux." dl73_318 Dl n°318 (voir le document)
Et dès 1971, Fred Hermantin appelle au dialogue: "Il existe de grands courants auxquels aucun gouvernement ne peut s'opposer. La décolonisatipn est une de ces forces historiques . Celle des Antilles se fera inéluctablement. Avec la France si possible. Contre elle si elle ne s'y résout pas! Le dialogue est encore possible , souhaité par tous ceux qui se veulent lucides et qui savent le prix d'une libération . Il peut s'engager pour sauvegarder tout ce qui peut l'être et pour féconder l'avenir. Il est temps maintenant. Mais demain ..." Dl n°303 (voir le document)
En 1973, consacrant son numéro 319 au Tiers monde, DL dénonce la situation dans les D.O.M.: Une fiction juridique veut que depuis la loi du 19 mars 1946, certaines colonies soient appelées départements d'outre-mer, d'autres territoires d'outre-mer. Ces contorsions du langage masquent les véritables intentions : perpétuer dans le fond des choses le vieil ordre économique colonial. Mais il y a quand même à tirer leçon du recul du colonialisme traditionnel. Le rétreclssement des sphères d'influence - conséquence de la décolonisation - entraîne une accentuation de la politique coloniale dans les dernières poussières de l'empire français. Le profit est maximisé en surprofit colonial. Une paupérisation bien orchestrée vide ces pays de leurs ultimes forces." dl73_319 Dl n°319 (voir le document)

En 1974, une nouvelle vague de violence secoue la Martinique dont DL rend compte: "Le mois de janvier, a vu un développement considérable des luttes revendicatives à la Martinique, contre la vie chère, pour l'augmentation des salaires, le respect des libertés syndicales. Grèves, manifestations se succédent entrainant des dizaines de milliers de travailleurs et d'étudiants. Ce mouvement s'est poursuivi au mois de février avec l'entrée en lice des travailleurs agricoles des plantations de bananes. Au moment de mettre sous presse, nous apprenons, que de violents affrontements, dus à l'intervention des forces de police, ont fait un mort .et des blessés" DL74_327 Puis analyse: "Les récents événements de la Martinique traduisent une' nouvelle fois sous une forme dramatique la tension qui s'aggrave dans les départements et territoires d'outre-mer. La condition misérable où est maintenue la masse de la population, les illégalités sociales, les atteintes aux libertés démocratiques, le sous-développement économique qui caractérisent la situation dans les D.O.M. et LO.M. témoignent de la persistance d'un «ordre qui tarde à se dégager du passé colonial ". Pour prévenir de nouvelles violences, pour ouvrir des perspectives de développement équilibré et de bonnes relations avec la France, il convient de tenir compte des aspirations profondes des populations, qui souhaitent prendre part pleinement à la direction de leurs propres afflO1ires et à la détermination de leur avenir." Dl n°329 (voir le document)

Les mots, la réalité, l'avenir

En 1975, Fred Hermantin revient sur les promesses non tenues de "large décentralistion administrative" et décrit la situation aux Antilles: "Sur fond de cartes postales pour féérie touristique, la réalité antillaise est pourtant là, s'inscrivant en chiffres sombres. Moins de 0,4 % de la population, grands propriétaires blancs concentrant à eux seuls 55 % des surfaces agricoles, tandis que 16 000 petits propriétaires, soit 96 % des possédants, ne disposent que de 30 % des surfaces. Un secteur primaire de l'ordre de 11 %, en constante diminution devant un secteur tertiaire excessif de 55 %, dominé par une quinzaine de familles blanches monopolisant l'import-export, le grand négoce et les affaires juteuses. Une population comprenant ' 18 % de chômeurs, laissant indifférente une administration locale, alors qu'en France, dépasser le seuil de 1 % de chômeurs prend l'allure de drame national. Une balance générale des paiements faisant ressortir un solde de transferts privés vers la France supérieur aux transferts publics. Bref, une situation coloniale typique susceptible de déboucher sur des lendemains inattendus." Dl n°335 (voir le document)
En 1976, Droit et Liberté rend compte de "l'éruption culturelle aux Antilles" sur fond de misère et de solidarité est organisé le festival culturel de Fort de France: "Vivant sur une terre merveilleuse, mais que la colonisation, ou son substitut. : la départementalisation, appauvrit de jour en jour, 1'Antillais voit son angoisse augmenter : angoisse de perdre le maigre emploi qui lui permet tout juste de survivre, lui et sa famille, ou de perdre même l'espoir de trouver un « « job » d'un mois ou de quelques jours, s'il est au chômage. Français « entièrement à part »plutôt qu'à part entière, s'il n'a pas la mince chance d'être fonctionnaire ou d'appartenir à la petite bourgeoisie commerçante ou libérale. Spolié des droits élémentaires, il percevra peu ou prou ses allocations familiales - quand encore les autorités représentant la France ne s'en servent pas pour faire pression sur lui en période électorale, (quant à l'allocation chômage, elle n'existe tout bonnement pas dans les Départements d'Outre-Mer)... 11 ne suffisait pas en, effet d'affamer ce peuple, il fallait aussi nier son histoire, detrulre ses structures de pensée, ses traditions, liquider ses souches culturelles. En un mot, le système esclavaglste, puis le,systeme colonial n'ont cessé de dépersonnaliser 1'Antillais, de 1 aliener en valorisant la culture européenne en substituant aux valeurs d'une culture locale, les valeurs d'une civilisation etrangère et ségrégationniste dans les faits. Voilà pourquoi depuis cinq ans, le succès et l'audience de ce festival grandit. C'est que, pour survivre, les Antillais n'ont pas seulement besoin de la canne et de voir le ventre plein de leurs enfants, mais aussi d'autres nourritures qui pour être de l'esprit n'en sont pas moins « terrestres ». Dl n°351 (voir le document)
Dans un dossier intitulé "Adieu Madeas", Droit et Liberté décrit l'émigration vers "la mère Patrie" et les désillusions qui attendent les migrants: "Plus de 50 % des Antillais vivent dans des logements de moins de 20 m2, 65 % vivent dans une seule pièce habitable, contre 14 % des Français. 50 % des migrants des D.O.M. ont connu au moins trois changements de logement depuis leur première installation. 22 à 25 % de leurs revenus sont consacrés au 'paiement des loyers contre 12 à 13 % pour les Français (selon les chiffres officiels qui minimisent la part du loyer dans les deux cas). Ceux qui ont des enfants rêvent de H.L.M. dans la lointaine banlieue... la demande a été déposée depuis des années déjà!...En conclusion, on constate qu'à l'instar de la plupart des travailleurs immigrés, les travailleurs des D.O.M. subissent de multiples traumatismes dont le racisme n'est pas le moindre. Leur adaptation difficile tient autant à la réalité même qu'ils connaissent aux Antilles, le sous-développement de " départements" qui ressemblent à s'y méprendre à de bonnes vieilles colonies des familles, qu'aux conditions d'accueil où éclate l'hypocrisie d'un statut qui fait d'eux des citoyens "entièrement à part". Le racisme dont ils sont victimes est d'autant plus durement ressenti qu'on leur avait fait miroiter l'image déformée d'une " mère-patrie" accueillante et généreuse. Mais ils participent activement aux luttes auxquelles ils sont mêlés aux côtés des travailleurs français, et de plus en plus, l'immigration devient aussi un moyen de prise de conscience de l'évolution inévitable des D.O.M., en même temps que de la société toute entière. dl77_355 Dl n°355 (voir le document)

De la plage aux pavés

A l'occasion d'un voyage de J. Chirac aux Antilles et en Guyane, G. Pau Langevin analyse: "Trop souvent en effet, les D.O.M. sont considérés comme des départements assistés, soutenus à bout de bras par la nation. Or on constate que si le volume des transferts publics en direction de ces départements est important, dans le même temps, le volume des transferts privés vers l'extérieur n'arrête pas de croître autant ou davantage. Autrement dit, les fonds injectés par l'Etat ne font que transiter par les D.O.M. pour aller enrichir quelques particuliers en métropole." ,s'inquiète de "l'annonce à grand fracas d'un plan de développement, axé sur l'amélioration de l'infrastructure routière, l'exploitation intensive de la forêt et surtout, l'implantation massive de colons français et conclut: "Quand se décidera-t-on à reconnaître à l'homme de ces territoires le droit à la différence, le droit d'avoir une personnalité, d'exister?" Dl n°345 (voir le document)

En 1981, Droit et liberté dénonce les mesures électoralistes visant à aligner les droits sociaux sur ceux de la métropole sans pour autant agir sur les véritables problèmes :"• On a ruiné 1'économie traditionnelle de ce pays• L'homme martiniquais est un homme dépendant, assisté, réduit à l'état infantile. Pour accéder à l'indépendance, ajoute Almé Césarro, il faut d'abord remettre sur pied une économie complétement évanescente Au lieu de oela, les pouvoirs publics avaient choisi de gâter ces "grands enfants". Les DOM importent en moyenne cinq fois plus qu'ils ne produisent. dl81_402 Dl n°402 (voir le document)
En 1982, Dl se réjouit de la disparition du BUMIDOM (Bureau de migrations des DOM): "les pouvoirs publics ont tenu à ne pas renouveler la triste expérience du BUMIDOM, qui n'offrait qu'un billet d'aller vers la Métropole aux « Domiens » en quête de travail et qui, à ce titre, était honni du plus grand nombre. L'ANT devra donc désormais veiller « au maintien des contacts familiaux et culturels des migrants, avec leur collectivité d'origine et à leur réinstallation chez eux », au cas où ils pourraient y obtenir un emploi (la tâche et fort peu aisée, aux Antilles le taux de chômage chez les jeunes atteint 40%). .Cependant, la volonté d'organiser le flux migratoire dans son ensemble, et dans les deux sens, est présente." Dl n°410 (voir le document)

Puis c'est Différences qui se penche sur l'avenir des DOM TOM et interroge des représentants politiques Diff n°11 (voir le document);
puis consacre un dossier aux Domiens passant "de la plage aux pavés" avec en particulier un dialogue entre le père Lacroix, aumonier des antillais et guyanais en France et George Pau Langevin qui échangent leurs constats. Le père Lacroix analyse l'historique de l'émigration et l'action du BUMIDOM:: il a été créé en 1963. La migration est cependant antérieure mais elle était beaucoup moins massive. et le fait. essentiellement. de militaires et de fonctionnaires (guerres. mutations, fonctionnaires antillais de l'administration coloniale ... ). Des Antillais, de classes modestes. partaient aussi avec des Métropolitains de passage,ou avec des bourgeois locaux, comme personnel de service. Ces personnes étaient plus directement motivées puisque volontaires pour cette aventure. Des étudiants aussi s'établissaient ici après leurs études. Avec la mise en place du BUMIDOM.les choses changent. Il payait le voyage aller seulement et proposait une formation dans deux centres: pour les filles à Crouy-sur-Ourcq dans la région parisienne. pour les garçons à Simandres, près de Lyon. avec inscription dans un centre de formation professionnelle. Les candidats s'imaginaient pouvoir obtenir une formation professionnelle rapide et facile et beaucoup ont été déçus." puis il constate: "On dit souvent, et c'est vrai, que la venue en France constitue pour mes compatriotes un choc, aujourd'hui le plus souvent déstabilisant. Là-bas, la France leur apparaît comme un pays mythique. Ici, ils sont perçus comme étrangers et maints petits heurts le leur rappellent." George Pau Langevin souligne le problème de la nouvelle génération:: "En fait, ils ne se sentent pas vraiment Guadeloupéens ou Martiniquais et s'interrogent. Comme pour leurs parents, ce qui serait fontamental serait de leur reconnaître le droit à la différence, le droit de conserver une identité spécifique dans une société qui peut s'enrichir d'être pluri-ethnique et pluri-culturelle." Diff n°12 (voir le document)

En 1984, Différences s'interroge sur l'avenir desDOM TOM: indépendance ou pas? Edouard Glissant, pour la Martinique, apporte une réponse nuancée: "Ce qui plaide contre l'indépendance de la Martinique, c'est d'abord le problème de la survie de ce pays après l'indépendance: la Martinique n'a aucune production réellement exportable...Par conséquent, une indépendance octroyée, c'est-à-dire débattue avec des élites autour d'une table, ne mettrait pas assez en jeu la conscience collective du pays pour que cette indépendance mobilise un élan national...Mais un peuple ne peut pas vivre éternellement d'assistance,... L'indépendance aurait l'avantage de mettre les Martiniquais en face de leurs responsabilités. Indépendants, ils seront obligés d'inventer des solutions pour survivre. Si les premiers temps risquent d'être difficiles, cette indépendance, si elle n'est pas acquise à un trop fort prix humain, sera assez extraordinaire à vivre. Sortir d'un état de mendicité globale et essayer d'imaginer pour soi et par soi-même des solutions à ses problèmes, il y a là quelque chose d'exaltant..." Diff n°31 (voir le document)
Ce problème va se poser de manière cruciale en Nouvelle calédonie.


Violences en Nouvelle-Calédonie

Retour au passé colonial

Dés 1964,,Droit et liberté dénonce "le retour au passé colonial en Nouvelle-Calédonie": En 1951, pour la première fois, en Nouvelle-Calédonie, les autochtones participaient aux élections législatives. Celles-ci avaient lieu au collège unique. Par l'apport massif de leurs voix nouvelles, c'est leur candidat, M. Lenormand, qui était élu député et l'est resté depuis lors, L'ancienne politique locale dominée par le Haut-Commerce et la puissante Société "le Nickel" se trouvait mise en échec par ce changement...Les installations atomiques en Polynésie française et le renforcement de la base stratégique de Nouméa allaient étre l'occasion pour les tenants de l'ancien régime colonial de prendre une revanche espérée et patiemment attendue. Et le 10 décembre dernier, à l'Assemblée Nationale, dans un débat à la sauvette, en fin de session , le Gouvernement a fait voter d'urgence une loi qui supprime le gouvernement local de la Nouvelle-Calédonie." Les groupements autochtones dénoncent: ""Veut-on non seulement nous enlever les charges politiques et administratives qui nous étaient confiées, mais aussi modifier la. structure actuelle de la société autochtone et contre notre gré ? Si on touche aussi facilement à nos institutions, nous sommes en droit de nous demander ce que vont devenir nos coutumes, nos réserves, auxquelles nous somme tout aussi attachés qu'à nos institutions politiques ? .. .Pourquoi veut-on donc aujourd'hui, pour des raisons qu 'on ne nous dit pas, punir les enfants de ceux qui ont défendu une France qu'ils ne connaissaient pas en leur enlevant ce à quoi ils tiennent le plus ? .. . Nous retournons à l'époque coloniale." De plus, Lors de la récente discussion du budget des Territoires d'outre-mer, le rapporteur spécial de la Commission des finances, M. Pierre Bas (U.N.R.), a demandé pour la Nouvelle-Calédonie une réforme agraire permettant l'implantation d'une immigration « pied-noir ». L'inquiétude des Mélanésiens, menacés d'une nouvelle vague de colonisation européenne, ne serait donc pas vaine." DL n°228 (voir le document)
Puis en 1978, DL revient sur les "bantoustans de Nouvelle-Calédonie". Jean Guiart, professeur d'ethnologie, écrit: "La Création récente, imposée par la complicité des pouvoirs publics et de parlementaires RPR ignorants des données du problème, de deux circonscriptions électorales aux élections législatives, l'une à majorité européenne (Nouméa et côte ouest de la Nouvelle Calédonie), l'autre à majorité mélanésienne (Iles Loyalty et côte est) est une nouvelle forme du double collège dont les hommes politiques européens ont toujours rêvé. Il aboutira au même résultat: rendre impossible la coexistence des deux peuples l'expérience montre que, dans le cadre de l'équilibre actuel des forces dans le monde, c'est toujours le Blanc qui s'en va. Il serait pourtant si facile, dans un si petit pays, d'organiser la coexistence en réparant les injustices du passé et en amenant la société blanche à jouer la carte de la technologie au lieu de la laisser s'accrocher à des terres volées et même pas mises en valeur." dl78_371 (voir le document)
En 1983, aprés des violences à Coindé, Jean Guiart lance un nouvel avertissement: "Le problème actuel est posé par la plus jeune génération, qui échappe aux Eglises aussi bien qu'aux partis. Elle est condamnée au chômage par la politique d'immigration à tout va pratiquée par le RPCR depuis quinze ans. Cette génération, sortie de nos écoles, passée par le service militaire ne croit plus aux jeux politiques pratiqués à Nouméa. La droite locale crie au complot, incapable de voir que le complot est de son fait." Diff n°21 (voir le document)

Opposition à toute forme de colonialisme

Des violences éclatent en 1985, le MRAP prend position: Le MRAP souhaite qu'une solution conforme aux droits des peuples à disposer d'eux-mêmes soit apportée de toute urgence pour éviter que la France ne s'engage dans une situation dramatique comparable à celle de la guerre d'Algérie". "Sans doute, les Canaques, preiers occupants de l'Ile, jouissent d'un droit imprescriptible à accéder dans de bonnes conditions à la gestion des affaires de leur pays . Ce droit ne saurait être exercé au mépris des autres communautés installées de longue date sur le territoire, où s'est créée une société pluriethnique destinée à vivre dans le respect de ses diverses composantes". dl85_435 (voir le document)
Le MRAP reçoit à Paris le président du FLNKS: "le lundi 28 janvier, le MRAP a reçu à son siège Jean-Marie Tjibaou, président du FLNKS. Il y a été accueilli par un grand nombre de membres de Paris et de la Région Parisienne du Bureau National, du Secrétariat National et de la Présidence du Mouvement. Au cours de l'échange de vues qui a eu lieu, le MRAP a exprimé sa solidarité avec la juste cause du peuple Kanak, fondée sur les mêmes principes qu' il a défendus lors des conflits d'Indochine et d'Algérie: l' opposition à toute forme de colonialisme, le droit des peuples à l' autodéterminatlon, l' égalité entre les hommes, la libre expression des cultures. C'est ce qu'ont souligné, dans leurs interventions, à la fois, Charles Palant et Albert Lévy. Le leader kanak nous a dit qu'il comptait sur nous pour faire grandir en France ces idées généreuses." dl n°436 (voir le document)
En mai 1985, le MRAP déplore la dégradation de la situation et publie un communiqué dans Droit et Liberté: "Le 8 mai 1985 en Nouvelle-Calédonie, 40 ans après les massacres de Sétif qui avaient fait des dizaines de milliers de morts, des violences racistes contre la population kanake, ont montré la volonté d'une poignée de privilégiés de recourir aux moyens les plus brutaux pour sauvegarder leur domination, en entraînant dans leur entreprise néfaste de simples gens qui n'ont rien à y gagner. Le MRAP a, tout en rappelant les évènements de Sétif lors des rassemblements du 7 mai, appelé les démocrates sincères, ici et là-bas, à méditer les leçons de l'Histoire, et à agir pour la justice et le respect des droits du peuple Kanak. Dans cet esprit, il a participé à la manifestation du lundi 13 mai de la Nation à la République." DL n°439a (voir le document)
J.M. Ollé dans Différences, s'entretient avec Jean Guiart qui dénonce la politique de peuplement: "L'idée était de modifier l'équilibre et faire perdre aux Canaques la majorité du corps électoral... Cette politique de peuplement est, pour eux, la cause essentielle de la dégradation de la situation: la population mélanésienne a perdu sa confiance, relative, dans le système, en même temps qu'émergeait le désir de se gouverner soi-même, de ne plus être commandé.", puis déclare: "S'il y a tant d'incompréhension, la solution, est-ce la partition du pays, comme certains la proposent ? Certainement pas. « Tenter la partition... c'est entériner une sorte de développement séparé, et faire que les communautés se battront sur la frontière qui séparera un pays canaque vaste et misérable, et un Etat européen petit et prospère » Diff n°41 (voir le document)
Différeces publie un "paidoyer pour éviter un massacre" et rappelle: "On peut peut-être rappeler qu'il y a eu là-bas, sous le régime précédent, une politique de colonisation forcée des territoires occupés, pour reprendre une terminologie en usage dans d'autres points du globe. Depuis les colonies de déportés jusqu'à l'importation massive de population ces dernières années, c'est l'Etat français en général, et la droite en particulier, qui est entièrement responsable de cette situation." Diff n°42 (voir le document)
En 1987 Différences dénonce un référendum dangereux pour la paix civile Diff n°70 (voir le document)
; puis rend compte d'un mmeting et de l'intervention de J.M. Djibaou: "...Depuis la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France, nous assistons à une succession de statuts, chaque nouveau ministre érigeant un nouveau texte. Cette force étrangère qui régit et aliène notre peuple démontre bien la logique coloniale. De plus en plus, le gouvernement s'engage un peu plus dans l'impasse. Bien sûr, il fait mine de négocier avec le FLNKS, mais, en réalité, il s'agit d'un dialogue de sourds. Nous parlons tous d'un référendum, mais il faut savoir sur quels critères la consultation doit être organisée chaque étape devant être communiquée..." Diff n°67(voir le document)
A la suite du référendum de septembre 1987, boycotté par le FLNKS, Différences donne à nouveau la parole à Jean Guiart qui analyse : ": Le problème n'est pas politique. Il est psychologique et economique. Il faut que l'économie soit partagée dans ses conséquences entre les Canaques et les Européens, que les Canaques aient leur part de l'emploi, que les revenus de ce pays Ssoient partagés entre les gens qui le composent. Ce qui est parfaitement concevable, on peut trouver une formule. Mais, pour cela, il faut que les deux parties négocient... (La Nouvelle Calédonie) c'est une Afrique du Sud en miniature qui ne veut pas dire son nom. Les Africains du Sud sont plus honnêtes intellectuellement que les Caldoches. C'est un apertheid dont les frontières sont invisibles et on les voit quand on pratique le pays et on les rencontre à tout moment. Cela provoque la colère des Canaques qui ne sont plus d accord pour le supporter." Diff n°71 (voir le document)
En 1988 Différences titre: Nouvelle-Calédonie,la poudrière: "Depuis mars 1986, ..les durs du RPCR font ce qu'ils veulent en Nouvelle-Calédonie, avec l'aide de l'armée et d'une justice dont le procès de Hienghène - acquittement général pour un massacre de militants kanaks - a révélé la complicité....Dans une lettre au président de la République, Jean-Marie Tjibaou tire la sonnette d'alarme: «Français et Kanaks sont considérés comme des adversaires. De plus en plus, ils vont devenir ennemis. A moins que vous acceptiez de tracer avec nous un chemin de liberté pour le peuple kanak et pour tous ceux qui habitent la Nouvelle-Calédonie ... » Diff n°78 (voir le document)

Les accords de Matignon

En août 1988, des accords sont signés entre le RPCR et le FLNKS, instituant un statut provisoire de dix ans puis un référendum d'autodétermination sur la question de l'indépendance. Différences revient vers Jean Guiart qui exprime ses réserves et définit, selon son point de vue, les conditions de la réussite: "Tout dépendra du terrain" "C'est une façon de mettre la situation au réfrigérateur en espérant que cela va se décanter parce que l'Etat jouera son rôle d'arbitre en particulier sur le plan de la formation des Kanaks, de l'attribution des postes dans l'administration aux Mélanésiens...Le système d'apartheid de fait est extraordinairement efficace. Les Kanaks n'ont pas d'emploi parce qu'on ne leur en donne pas. On s'arrange pour cela et tout le monde est complice... "Si le haut commissaire faisait appliquer la loi française - qu'on n'a jamais appliquée depuis trente ans - si les fonctionnaires expatriés faisaient leur boulot pour que l'Etat et le service public soient absolument objectifs et ne favorisent pas systématiquement les caldoches, ce serait presque une révolution. Après le référendum, et jusqu'aux municipales, c'est là que la démonstration doit être faite de l'efficadté de l'administration française qui n'a pas été efficace là-bas depuis un demisiècle sinon d'un seul côté. Alors ça n'est pas rien ! "Diff n°82 (voir le document)


En 1989 les leaders canaques J.M. Tjibaou et Y. Yéwéné sont assassinés, Différences exprime sa tristesse et son inquiétude: "L'assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de Yéwéné Yéwéné, le 4 mai dernier, a frappé de stupeur tous les amis des Kanaks et tous ceux qui pensaient que les Accords de Matignon avaient définitivement réglé la question néocalédonienne. C'était ignorer les traces profondes qu'ont laissé là-bas des années de lutte anticolonialiste difficiles, les morts de Tiendanite, le mépris caldoche, la tuerie d'Ouvéa et le sentiment très net d'une partie des Kanaks d'avoir été floués, laissés sur le bord du chemin. Ces hommes, sans perspectives réelles de voir aboutir leurs revendications corsetées par un accord limité, se sont sentis trahis. Diff n°91 (voir le document)

En 1998, un nouvel accord repousse le référendum sur l'indépendance ou le maintien au sein de la République entre 2014 et 2018. En 2009, Différences analyse: Politiquement la situation reste toujours régie par les accords de Matignon de 1988 et celui de Nouméa signé dix ans plus tard. Elle est en partie déterminée par les rapports démographiques entre les communautés: celle des Kanaks (40%) et celle des Caldoches et métropolitains; les Kanaks accusant le gouvernement français de favoriser la venue de ces derniers. Néanmoins depuis vingt ans, la Nouvelle Calédonie connaît un relatif consensus politique basé sur la reconnaissance de ces deux légitimités même si l'accord Matignon n'a pas été accepté par tous dans chaque camp. le report du référendum d'autodétermination prévu dans les dix ans suivant l'accord Matignon, c'est-à-dire au plus tard en 2018, montre bien que ces accords, s'ils ont permis un retour à la paix, n'ont pas réglé la question de l'avenir institutionnel. Diff n°271 (voir le document)

Des iles de rêve?

En 1983, Différences enquête sur la situation contrastée des iles des Antilles. entre prospérité due aux pétro-dollars chez certains et misère chez les autres Diff n°21 (voir le document)
Puis dans un dossier sintitulé "Vacances modes d'emploi" dénonce la présentation idyllique des Antilles :"Aussi les dépliants rivalisent-ils de qualificatifs pour décrire une Nature ployant sous l'abondance. Cette utilisation systématique d'un vocabulaire illustratif où reviennent sans cesse «l'opulence », la «luxuriance », voire « l'exubérance» de la faune et de la flore crée une ambiance . propre à écarter le touriste de toute sensibilisation aux problèmes de ces régions. Débarrassée des cyclones et du volcanisme, cette nature tropicale, nourricière et accueillante, présente tous les aspects du paradis terrestre. Partir vers ces contrées équivaut pour le touriste à retrouver un paradis perdu... Dans cé contexte, les hommes sont réduits à n'être que des objets de curiosité et, comme le note Roland Barthes pour le Guide Bleu, ils n'existent plus en tant que tels mais ne servent qu'à composer un décor au même titre que les paysages ou la flore; exemple : «Les Martiniquais dont l'accent est aussi succulent que les fruits tropicaux. » Enfin, en présentant ces populations uniquement occupées d'artisanat, de pêche ou de petit commerce, on aggrave dans l'esprit du touriste l'écart objectif de condition et de niveau de vie entre lui et l'autochtone. La description de cette économie « retardataire » le conforte dans la croyance en l'immuabilité de cet écart de richesse; par extension elle semble démontrer la supériorité de l'Européen se divertissant du spectacle de ces peuples différents. Telle cette description du dialecte des îles : « Le créole ... vous amusera » . Ce type de représentation place de fait la relation entre le touriste et l'autochtone sous un rapport dominant/dominé . Diff n°24_25 (voir le document)
Dans ce mêm numéro, Différences s'inquiéte du developpement d'un phénomène nouveau: le tourisme sexuel: "La prostitution est fille de toutes les misères, on le sait bien. Il est plus mystérieux que des hommes qui ne fréquentent guère les « rues chaudes » de leur pays aillent plus que volontiers dans celles du bout du monde. Et Différences dénonce le problème des fillesà soldats à Tahiti. Diff n°24_25 (voir le document)

Identité et vitalité

En 1987, Droit et Liberté publie un dossier "Les DOM TOM" préparé par G. Pau Langevin qui constate: "...La Loi-Programme proposée par le nouveau ministre des DOM tourne le dos à la démarche de la décentralisation au grand dam des élus locaux . Plus largement, dans tous les départements d'Outre-Mer, l'aspiration à la reconnaissance des identités spécifiques, à l'exercice du pouvoir, à une véritable égalité, apparaît plus forte que jamais . Parallèlement, la situation économique et démographique fait ressortir toujours plus cruellement l'insuffisance et les distorsions du développement. Quelles perspectives pour des sociétés où des pans entiers des économies tradi tionnelles, tel que le sucre , se sont écroulés sans être remplacés, où le chômage menace une grande partie de la population active, où le commerce, et singulièrement l'importation, constituent les seuls secteurs florissants, où les inégalités sont toujours criantes? La solution proposée ces temps-ci n'a rien de surprenant puisqu'il s'agit de reprendre l'immigration vers la Métropole. Mais la situation a bien changé depuis les années 1970 où la France recourait à l'immigration pour faire tourner son économie. Aujourd'hui, de nouveaux migrants risqueraient de rejoindre les 500.000 originaires des DOM déjà installés en Métropole, qui y rencontrent déjà souvent des difficultés d'insertion considérables, puisque le chômage ici aussi les frappe et, avec la crise, se sont confortées des attitudes de rejet et d'exclusion à leur égard." dl87_459opt Dl n°459 (voir le document)

En 1987 toujours, c'est Différences qui consacre un dossier à la Réunion et fait le point sur la complexité des relations sur l'ile: "Les Réunionnais, très fiers de leur île-mosaïque, vantent d'abord leur communauté heureuse pour reconnaître ensuite que tout ne va pas pour le mieux...." Diff n°70 (voir le document)
Différences s'interesse également à la situation à Tahiti: "La gentillesse légendaire des Tahitiens s'estompe peu à peu, et l'hostilité à l'égard des militaires et fonctionnaires français devient plus nette ... Avec en toile de fond , de plus amples informations sur les retombées des essais nucléaires ; et la fracture produite par la brutalité de la répression de la grève des dockers dont les leaders sont aujourd'hui en prison. La façade paradisiaque se craquèle, la violence et le mépris des autorités face aux revendications tahitiennes nourrissent le courant indépendantiste. Un schéma déjà vu ,en Nouvelle-Calédonie ." Diff1987_73opt Diff n73 (voir le document)
Ce même numéro évoque les problèmes internes des Antilles, et la situation des Saint-Luciens victimes du racisme des Martiniquais! Diff n°73 p7 (voir le document)
En 1989, Différences s'interroge sur "l'identité": Qui suis-je: "... depuis quelques années, la notion d'identité est de plus en plus invoquée pour faire valoir les attaches positives de l'individu à sa communauté historique, culturelle, ethnique ou religieuse. D'aucuns confondent à tort cette composante normale de la personnalité avec le repliement sur soi et le rejet de l'autre. De fait, il se trouve une infinité de combinaisons possibles entre un être humain et ses différentes appartenances. C'est quand l'une d'elles est bafouée, méprisée ou niée qu'il s'en réclame avec le plus de véhémence. C'est lorsqu'elle est reconnue qu'il peut le mieux s'ouvrir à l'universel..." puis Différences témoigne: "Depuis une quinzaine d'années, un véritable bouleversement a transformé le rapport à l'art des Antillais. Grâce à un travail créatif et dynamique de jeunes artistes sont venus porter témoignage d'une nouvelle manière d'assurer l'identité antillaise. ...Mais rien de ce bouillonnement culturel n'aurait été, s'il ne tirait sa force de son enracinement dans une dynamique politique sociale d'ensemble des populations antillaises, dynamique dont il est à la fois le reflet et l'aiguillon. Cela est vrai aux Antilles, mais aussi en France, où l'immigration antillaise présente, aujourd'hui, trois caractéristiques essentielles: une stabilisation et une prolétarisation des populations, une accentuation de leurs difficultés d'insertion sociale, et un renforcement des formes d'expression et de mobilisation où priment les solidarités de type communautaire et la vitalité culturelle... Diff n°93 (voir le document)

En 1991, Différences consacre un dossier à l'ensemble des Caraïbes: "Tout l'ensemble caribéen reste marqué par les stigmates du sous-développement. Les rapports entre les îles, entre elles et les territoires ou nations limitrophes, entre les « communautés» ellesmêmes, portent par quelque nuance que ce soit les traces de l'esclavage et de la conquête coloniale. Prolongée sur plusieurs siècles, l'intervention des Espagnols, des Anglais, des Américains, des Français, des Hollandais a détruit, puis reconstruit des économies (des marchés), des langues, des liens de parenté, des imaginaires, des habitudes. L'esclavage est mort et le racisme a reculé mais la mémoire persiste (proteste) comme une blessure mal soignée... A écouter les Antillais de la migration, comment ne pas entendre que leur(s) couleur(s) leur colle(nt)à la peau malgré leur nationalité française ! Pourtant, l'une des solutions avancées, la décentralisation, appliquée depuis 1982 devait précisément s'accompagner de l'égalité économique et sociale et d'une plus grande attention aux réalités locales. En somme sortir de l'assistanat pour entrer dans le développement. Tout porte à croire que les effets attendus ne sont pas encore inscrits dans la réalité. Le dossier évoque la situation dans l'ensemble des iles: Cuba, Haïti, Jamaïque... puis détaille les différentes facettes de la réalité des Antilles française incluant la Guyane. Isabelle Avran s'interroge: "Quoi de neuf sous le soleil?": "...Quarante-cinq années de départementalisation maintiennent donc des inégalités criantes, même si les Domiens vivent sans aucun doute beaucoup mieux que les habitants des îles voisines. Et si les Domiens demandent quelle égalité réelle leur a apportée la loi de 1946, ils s'interrogent surtout sur les politiques de développement mises en oeuvre - ou non - dans leurs départements ... Vers quoi s'engagent aujourd'hui les trois DOM « français» d'Amérique? Plus d'autonomie, une réelle indépendance éventuellement dans le cadre d'alliances privilégiées avec la Fance et l'Europe parallèlement au développement des échanges régionaux ? Il ne semble pas aujourd'hui que la question se pose massivement en ces termes. Ce qui est certain en revanche, c'est que les plans de développement sérieux sont nécessaires pour sortir ces départements de leur misère. Et que l'écho des mouvements réunionnais se fera peut-être entendre bientôt outre-Atlantique parmi des jeunes contraints jusqu'à présent au chômage massif sous le soleil des bidonvilles ou à l'exil vers une métropole pas toujours très accueillante..." Diff n°115 (voir le document)

Cette même année 1991 c'est la Réunion qui plonge dans la violence déclenchée par la suppression d'une télévision locale: "La Réunion, l'île dont on n'a eu de cesse de louer la beauté et la douceur de vivre, s'est mise à vomir la violence qui travaille sa chair. Les 23, 24, 25 février ont éclaté de sanglantes émeutes - quelque dix morts - avant que n'interviennent, une vingtaine de jours plus tard, lors de la visite de Michel Rocard, de nouveaux troubles...L'économie réunionnaise est essentiellement organisée par le Centre métropolitain. Elle implique une production interne proche de la nullité et une dépendance financière presque totale...Ce sont donc bien ces structures mêmes, notamment économiques, qui sont en cause dans les émeutes de la Réunion, des rapports sociaux fondamentalement inégalitaires, qui condamnent la masse des Réunionnais à des conditions précaires, à un avenir couleur de nuit... Diff n°116 (voir le document)
En 1993, différences se fait l'écho des inquiétudes des DOM devant le "Marché unique": "Plus de quarante cinq ans après la transformation de leur statut juridique de colonies en "départements d'outre mer", les Dom continuent à être étroitement dépendants de la métropole, à souffrir d'un sous-développement du primaire et du secondaire parallèlement à une hypertrophie du tertiaire et à accuser un net retard social ...Ils s'inquiètent fortement du Marché unique de 1993..." Diff1993_138opt Diff n°138 (voir le document)

La crise de 2009

Différences n°271

De nouveaux mouvements sociaux secouent les Départements d'outremer en 2009, Différences consacre un dossier aux "Outremers" "Ce dossier présente diverses approches et différents points de vue. Il est cependant loin d'être exhaustif. En donnant la parole aux personnes directement concernées, il se veut une invitation à approfondir la connaissance sur ce qui se joue dans ces territoires et qui interpelle la République tant dans ses fondements que dans ses institutions. Il démontre l'intérêt que le MRAP porte à une situation où la contestation est tout à la fois politique et sociale."
Différences publie des extraits du manifeste pour les produits de haute nécessité, cossigné par plusieurs intellectuels antillaises:

"C'est en solidarité pleine et sans reserve aucune que nous saluons le profond mouvement social qui s'est installé en Guadeloupe, puis en Martinique, et qui tend à se répandre à la Guyane et à la Réunion. Aucune de nos revendications n'est illégitime. Aucune n'est irrationnelle en soi, et surtout pas plus démesurée que les rouages du système auquel elle se confronte... Cette grève est donc plus que légitime, et plus que bienfaisante, et ceux qui défaillent, temporisent, tergiversent, faillissent à lui porter des réponses décentes, se rapetissent et se condamnent... Ainsi, chers compatriotes, en nous débarrassant des archaïsmes coloniaux, de la dépendance et de l'assistanat, en nous inscrivant résolument dans l'épanouissement écologique de nos pays et du monde à venir, en contestant la violence économique et le système marchand, nous naîtrons au monde avec une visibilité levée du post-capitalisme et d'un rapport écologique global aux équilibres de la planète ...."
Edouard Glissant, un des signataires du manifeste, accorde un entretien à Différences il ajoute: "Le Manifeste..., rend compte de la situation telle qu'elle est aujourd'hui, à savoir que les Antillais ont découvert que non seulement il fallait revendiquer pour des questions salariales, qu'il ne faut pas négliger parce que la pauvreté loin d'être théorique est bien réelle, mais, que du point de vue de la destinée de ce pays, il y a autre chose d'essentiel, en particulier la dignité et la responsabilité collective et que ces valeurs font partie de ce que nous appelons les produits de haute nécessité qui ne sont pas seulement les produits de première nécessité." Puis "..contrairement à ce qui s'est passé il y a deux ou trois siècles, les pays des Antilles se rapprochent considérablement les uns des autres, non seulement sur le plan artistique, arts plastiques, cinéma mais aussi fondamentalement sur le plan de la littérature. Aux Antilles, il y a des littératures hispanophones, anglophones, francophones, mais toutes obéissent à des tendances, à des pulsions qui les rapprochent les unes des autres. Nous autres écrivains des Antilles et de la Caraïbe avons la même confiance dans les mots, avons un sens du rythme, de la répétition, de la circularité des thèmes ... Ce qui fait que. nous avons à peu près le même langage alors que nous avons des langues différentes. Nous sommes beaucoup plus proches d'un écrivain caribéen hispanophone que d'un écrivain français."

Fichier:Pwofitasyon.jpg
Différences n°271

Françoise Vergés s'interroge sur "les outremers et le République: "Entre 1948 et aujourd'hui, des dizaines de manifestations violentes ou de très longues grèves ont secoué les terres de l'outre-mer français laissant derrière elles des destructions, des blessés, des morts. Pour les quatre départements d'outremer seulement, nous pouvons signaler : en Martinique, manifestations, émeutes, longues grèves en 1948, 1959, 1961, 1971 et 1974 ; Guadeloupe: manifestations, émeutes, longues grèves en 1951-1952, 1967, 1971, 1975 ; La Réunion : manifestations, émeutes, longues grèves en 1958, 1962, 1973, 1978, 1986, 1991 ; Guyane: manifestations, émeutes, longues grèves en 1962, 1974,1996,2006,2008. Il faut y ajouter la longue grève de 2009 qui a mobilisé pratiquement la totalité de la population de Guadeloupe, et les grèves en Martinique, Guyane et La Réunion...La fragilité de leur économie, les choix successifs des gouvernements de gauche comme de droite, la faible inscription dans leur environnement régional, et l'hégémonie du lien « métropole/outre-mer » qui entravent initiatives et créativité, posent de manière urgente un renouvellement de la pensée qui prenne en compte les héritages de la République coloniale, l'héritage colonial et post-colonial des sociétés outre-mer et les défis qui se présentent."
Le Dr Stéphanie Melyon Reinette analyse: "Cette crise, qui a débuté comme une simple grève, s'est transformée en un mouvement révolutionnaire, emportant la population via les discours, les forums sur le net, des sites communautaires antillais ou de facebook, les conférences, les manifestations de rue. Elie Domota, porte-parole du collectif LKP (Lyannj Kont Pwofitasyon), a développé un réquisitoire fondé sur le désir de mettre en oeuvre un projet garantissant une société plus équitable pour les Guadeloupéens, alors que beaucoup y voit, sous cape, un projet libertaire avec pour finalité l'indépendance. Ce mouvement de grève qui a secoué les Antilles est la conséquence d'une trop longue négligence de la France à l'égard de ses " compatriotes" ultra marins : une éternelle indifférence à nos différences....Cette énième manifestation visait à rompre avec une tutelle exogène qui n'a que trop duré. En filigrane, on devait comprendre : nous sommes las de vivre comme des enfants sous tutelle, jugés incapables de décider pour eu x-mêmes. C'est un peuple aspirant à participer au débat social et soucieux de faire respecter ses spécificités qui s'exprimaient dans les Mas(7) dans les rues de la Guadeloupe. La décolonisation politique avait eu lieu en 1946. C'est une décolonisation des esprits et des corps qui s'opère, libérés des entraves sociales et psychologiques qui nous ont affaiblis"

George Pau Langevin conclut le dossier: "Au mois de janvier dernier quand le programme revendicatif du LKP a été diffusé, on a bien compris qu'il recueillait une large approbation de la population et il a suscité des débats infinis non seulement sur la situation économique et sociale de la Guadeloupe mais aussi sur les revendications culturelles et identitaires auxquelles il se référait... Ainsi, le taux de chômage demeure considérable, de l'ordre de 25 % surtout pour les jeunes. Ceux-ci sont donc quasiment condamnés à l'exil même s'ils sont diplômés. On comprend donc qu'ils apprécient modérément de voir arriver régulièrement des personnes assurées de travailler même si elles sont moins titrées. Une forme de répartition du travail subsiste et il est toujours aussi difficile pour les autochtones d'accéder à des fonctions de responsabilités dans le monde économique...Les salariés craignent que leurs victoires de mars n'aient été éphémères. Les produits dont les prix ont baissé ont tout simplement disparu de bien des rayons. Des augmentations salariales ont bien été accordées, mais cela n'empêche pas les entreprises de déposer le bilan, ou de licencier... Comment faire pour que cette crise, exceptionnelle par son intensité et sa durée, puisse être utile à l'avenir de ces régions? L'impression dominante est comme une sensation de " gueule de bois" après une fête trop arrosée. Cependant les débats intenses qui ont accompagné ces événements ont permis de verbaliser quelquesuns des maux essentiels qui caractérisent le mal développement de ces régions..." Diff09_271opt Diff n°271 (voir le document)