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L'Europe forteresse

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De l'après guerre à 1973

L'immigré vient combler un besoin de main-d'oeuvre

En 1967, Droit et Liberté publie un dossier: "Les travailleurs immigrés en France". "Depuis la Libération, un phénomène nouveau est apparu en Europe, et surtout en France: l'immigration d'un nombre toujours croissant de travailleurs venus des anciens empires coloniaux, et du Tiers-monde en général. Ce phénoomène, lié à des mécanismes économiques très complexes, alimente un racisme latent, que certaine presse s'efforce d'attiser et d'utiliser. L'argument le plus souvent repris, et qui rencontre le plus d'audience, prétend que l'Occident n'a pas à entretenir le reste du monde, et particulièrement les ex-colonies qui ont revendiqué et obtenu leur indépendance. Or l'examen des chiffres et des statistiques prouve que l'immigration, loin d'être un poids pour la France, est extrêmement bénéfique à son économie. C'est ce que fait apparaître le présent dossier."
"L'immigré vient combler un besoin de main-d'oeuvre non qualifiée. L'immigré trouve un emploi où et quand on a besoin de lui. Les travailleurs immigrés occupent les emplois les plus durs, les plus mal payés, ceux pour qui la main-d'oeuvre française fait de plus en plus défaut. Toute une industrie : celle des travaux publics et du bâtiment, vit du labeur de la main-d'oeuvre étrangère. Il est impossible de donner une évaluation chiffrée précise du profit que tire la France du travail de la main-d'oeuvre étrangère. Mais un certain nombre d'approximations sont possibles. Elles indiquent que la masse des salaires et prestations sociales (allocations, remboursements de Sécurité soCiale, etc.) versée à la main-d'oeuvre immigrée se situe actuellement entre 10 et 12 milliards de F. Mais que la production assurée par cette même main-d'oeuvre peut s'évaluer, en tenant compte de la marge d'approximation la plus large possible, à 16 à 18 milliards de francs. Le bénéfice net pour l'économie française se montre donc, en comptant au plus juste - c'est-à-dire en considérant le coût le plus élevé et le rapport le plus bas - , à 4 milliards de francs." (voir le document)

Pour une politique de la migration

En 1970, le MRAP publie un doument: "Pour une politique de la migration" "Plus de trois millions d'immigrés vivent parmi nous. Ils représentent dans notre pays 6 % de la population et 11 % de la population active . Qu'ils viennent « spontanément» ou dans le cadre d'accords internationaux, leur présence est voulue par les pouvoirs publics et le patronat, parce qu'elle permet de compenser l'insuffisance de la progression démographique en France et d'accroître les profits en pesant, par de bas salaires, sur le marché de l'emploi. Dans leur pays, l'économie qui les a pris en charge jusqu'à leur départ, se trouve privée de leur capacité de produire. Leur absence comme leurs envois de fonds dispensent dans une large mesure les gouvernants de réaliser les transformations de l'économie susceptibles de favoriser son essor et de la libérer des tutelles extérieures. Ainsi , l'émigration apparaît comme un aspect de l'exploitation de tégions sous-développées par les puissances capitalistes, qui s'efforcent de conserver leur emprise économique, notamment par le néo colonialisme. Ces travailleurs ont été contraints à l'exil pour assurer leur subsistance et celle de leurs familles, quittant des pays que le régime colonial ou d'autres formes de domination économique et politique ont maintenus dans le sous-développement, la misère et l'analphabétisme, On ne saurait donc en changer radicalement la nature et en supprimer les conséquences néfastes que par la modification du système et des méthodes qui prévalent aujourd'hui dans les rapports entre la France et les pays fournisseurs de main-d'oeuvre, Main-d'oeuvre bon marché, ils arrivent prêts à entrer dans la production, leur entretien n'ayant rien coûté à l'économie française , Ils accomplissent les tâches les plus pénibles et les plus mal payées. L'insuffisance criante des structures d'accueil fait que nombre d'entre eux n'ont d'autre recours , pour se loger, que les bidonvilles, les taudis ou les caves, Privés de certains droits sociaux et professionnels, en butte aux discriminations , à la xénophobie et au racisme, des menaces permanentes s'exercent contre eux pour les empêcher. Le MRAP propose: -d'organiser l'immigration en assurant l'accueil, le logement et l'information des immigrés -d'impliquer les pouvoirs publics et le patronnat en particulier dans le financement du logement -de faire respecter de l'égalité des droits -de faire respecter la personnalité des immigrés (voir le document)

Un apport bénéfique à l'économie française

Toujours en 1970 Dl interroge les représentants des syndicats qui tous soulignent l'apport bénéfique des travailleurs immigrés à l'économie française. Ainsi la C.G.T. déclare: "la C.G.T. préconise, en matière d'immigration dans notre pays, une politique de recrutement , d'accueil et de séjour, qui garantisse à cette catégorie de' travailleurs , par un statut de l'immigration , le plein exercice des droits tt des libertés , afin qu'ils puissent vivre en France sans aucune discrimination. C'est une réalité que plus de 2 000000 de salariés dans nos industries sont des immigrés, que le bâtiment , la métallurgie, les mines , l'agriculture , la chimie , etc. n'auraient pu se développer aussi rapidement sans l'apport de la main-d'oeuvre étrangère" La CFDT souligne: "Nous assistons aujourd'hui à une dénonciation de l'immigration dite « clandestine » par le C.N.P.F. Charger cette immigration de tous les maux permet au patronat de décliner toute responsabilité concernant la condition actuelle des travailleurs immigrés. Or, les chiffres les plus récents montrent que cette immigration est largement utilisée par la patronat, encouragée et souvent organisée directement par des entreprises , de l'automobile et du bâtiment notamment." PourFO: "Les travailleurs immigrés sont indispensables à l'économie du pays, ce n'est plus à démontrer. De cela l' Etat devrait tenir compte dans ses dotations budgétaires... La CGC constate: "L'économie française a le plus grand besoin d'une main-d'oeuvre étrangère dans les chantiers des travaux publics et du bâtiment , de la métallurgie et de la mécanique, et également dans la chimie et les industries du bois. Cette main-do oeuvre est principalement employée dans des postes de travail assez pénibles refusés par nos compatriotes...Hélas, sur le plan social , nous constatons et nous déplorons que la France est insuffisamment équipée pour recevoir et héberger convenablement des hommes, ainsi que leurs familles, qui vivent dans des conditions inadmissibles." . (voir le document)

Les immigrés responsables du chomage? Droit et Liberté répond à la question en 1972:
Il convient de constater aussi que le chômage n'existe guère dans les secteurs d'activité où travaillent les immigrés, qui sont en grande majorité des manoeuvres et des O.S. Les Français, surtout les jeunes ayant terminé leurs études, qui représentent une partie importante des chômeurs, refusent ces travaux non parce qu'ils sont dégradants, mais parce qu'ils sont mal payés et ne correspondent pàs à la qualification qu'ils ont acquise. Recherchant le maximum de profit, le patronnat puise autant qu'il peut dans ces réservoirs de main-d'oeuvre à bon marché que sont les pays « sous-développés ». Cette main-d'oeuvre est très recherchée dans tous les pays d' Europe occidentale ; son utilisation abondante va de pair avec le développement scientifique et technique (voir le document)

En 1973 ,Droit et Liberté consacre un dossier au "Tiers monde" et constate:

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L'impérialisme est soumis à des lois objectives , il ne saurait se développer et même seulement survivre qu'en pérennisant et aggravant sa domination et son exploitation du « Tiers Monde». Il lui faut en particulier, par n'importe quels moyens, maintenir sa mainmise sur les matières premières : c'est pour lui une question de vie ou de mort. Certes , le monde n'est pas immobile, les moyens pourront se modifier, mais seulement afin de mieux masquer la persistance et le renforcement des structures fondamentales d'oppression, l'inaltérabilité de l'essence même du système. L'importation massive de travailleurs des pays sous-développés dans les pays industrialisés est l'un de ces moyens nouveaux. Mais il s'i nscrit totalement dans le cadre des impératifs de domination et d'exploitation. Il faut aller plus loin : il est le produit de la domination et de l'exploitation antérieures, qui ont fait surgir dans les pays sous-développés des masses de plus en plus considérables de sans-emploi." (voir le document)

1973: Le durcissement de la politique migratoire

L'immigré bouc émissaire

En 1973 toujours, les travailleurs immigrés sont confrontés au durcissement des procédures de régularisation et à la limitation de l'immigration imposés par la "circulaire Fontanet". Le MRAP propose huit mesures d'urgence visant à amorcer une politique nouvelle, cohérente et humaine, conforme à la dignité et aux droits des travailleurs immigrés et en particulier pour leur éviter toute expulsion arbitraire." . Etudiant le cas des O.S. de Renault, une sociologue analyse: "Au niveau du travail, je ne crois pas qu' il y ait de différence fondamentale entre Français et migrants. Plus précisément, beaucoup de la situation des immigrés se comprend parce qu'ils sont O.S. L'aspect « étranger» joue davantage dans la vie hors-travail , pour le logement, les relations sociales , les difficultés dues aux différences de culture, L'immigré a, par conséquent, un double handicap: d'une part , celui de sa place de travailleur, et celui de sa condition d'étranger ... Il me semble difficile de faire la part des deux . Tout ce que l'on peut dire , c'est qu' il y a cumul...
Enfin, je crois important de détruire définitivement une idée trop diffusée. Le problème des immigrés , ce n'est pas une enclave dans un monde où tout va pour le mieux. C'est , au contraire , un problème significatif d'une situation d'ensemble, et il se situe dans un secteur essentiel de l'économie, Imaginons que tous les immigrés décident d'arrêter de travailler, l'économie nationale serait totalement paralysée..;"
Dans le même numéro, Droit et Liberté s'inquiéte du developpement de filières clandestines livrant les candidats à l'immigration à des passeurs. (voir le document)
Droit et Liberté n°321 rend compte des grèves de la faim menées contre la circulaire Fontanet par un entretien avec l'un des grévistes:" Nous avons fait la grève de la faim, à la fois pour attirer l'attention des autorités et les conduire à régulariser notre situation (ce qui a été fait partiellement) et aussi pour lutter contre certaines dispositions de cette circulaire Fontanet qui nous laisse souvent à la merci des circonstances ou d'employeurs abusifs. (voir le document)
(voir le document)
En 1975, plusieurs émissions de télévision sont consacrées aux problèmes de l'immigration, ce dont se félicite le MRAP. Cependant les réactions incitant à minimiser les problèmes aménent Albert Levy à réagir: "Le danger, aujourd'hui, n'est pas d'exagérer le péril raciste, mais de le minimiser: trop de facteurs jouent en faveur de l'indifférence, du repliement sur soi. C'est le rôle de la télévision, en particulier, de faire voir et comprendre la réalité. Or, la réalité, ce sont aussi les mesures d'intimidation et de répression qui se multiplient contre les travailleurs immigrés depuis quelques mois, ce sont les discriminations et les violences, ce sont des conditions de travail et de logement inhumaines. Si l'on affirme, au contraire, que tout va bien, que les immigrés n'ont pas à revendiquer, ne risque-t-on pas d 'apporter un soutien à ceux qui les présentent comme d'insatiables accapareurs, jamais contents malgré les bienfaits qu'on leur dispense? Il faudrait mettre l'accent sur la communauté des difficultés que rencontrent Français et immigrés. Peut-on l'espérer de ceux qui les escamotent? Il faudrait montrer que les problèmes de l'emploi, aujourd'hui comme en 1929, n'ont pas de solution dans des mesures isolant ou brimant les étrangers. Est-ce possible si l'on masque les données véritables de la crise?" Au cours de l'émission "les dossiers de l'écran" la parole est donnée à l'ambassadeur d'Algérie qui souligne:" Il y a donc toute une série de clichés à dénoncer. On nous dit par exemple que les travailleurs immigrés prennent la place des autres travailleurs et viennent manger le pain des autres. Je crois qu'il est temps de voir les choses autrement. J'ai rappelé tout à l'heure l'exemple des 48 % de travailleurs algériens. qui sont dans le bâtiment. Ils font des métiers pénibles difficiles, qu'il- n'est pas tellement aisé de donner à d'autres, en tout cas à des travailleurs français dont le niveau de vie est plus élevé. Et puis, surtout, les gens qui sont dans le bâtiment font le gros-oeuvre, ce qui permettra à toutes les industries qui sont en aval de continuer leùr travail. Autrement dit, ils ne prennent pas le pain des autres mais ils l'assurent. " (voir le document)
Le CLEPR (Centre de liaison des éducateurs contre les préjugés raciaux) dans un dossier publié par Droit et Liberté, se penche sur les "enfants de migrants": "Initier les enfants étrangers à la langue et à la culture du pays d'accueil, ce n'est que l'une des tâches que l'école a à accomplir dans l'intérêt de ces enfants, l'autre - non moins importante - consistant à les mettre en mesure de garder contact avec la langue et la culture de leurs pays d'origine. Plus loin le CLEPR insiste: "Il faut choisir entre deux politiques: ou bien fabriquer de la main-d'oeuvre non qualifiée pour de basses besognes dont les autochtones ne veulent pas, ou bien donner à l'adolescent toutes ses chances de réussite socio-professionnelle." (voir le document)

La chasse aux immigrés

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La "crise" qui frappe durement l'Europe incite les responsables politiques à rejeter la faute sur les immigrés, Droit et Liberté dénonce la "chasse aux immigrés" et aprés avoir rappelé quelques exemples, Albert Levy s'indigne: "Ce ne sont là que des illustrations récentes de la guerre faite aux travailleurs immigrés par les autorités françaises, car il faut y ajouter le harcèlement, devenu quotidien, dont ils sont l'objet: rafles (au faciès ) dans le métro, suivies de milliers d'expulsions; tracasseries administratives en tous genres; agressions de groupes racistes généralement impunis; campagnes de haine, encouragées par les voix les plus autorisées, tendant à les présenter comme les responsables de la crise. Sans parler des inégalités, des discriminations légales ou ( privées ) qui les frappent, de la dureté de leur travail et de l'isolement dans des quartiers ou des villes-ghettos misérables, où les rejette un ostracisme planifié. Quant aux étudiants africains qui connaissent. eux aussi, les effets d'un racisme aux formes multiples, ils viennent de se voir imposer une limitation draconienne de leur liberté d'association, en vertu d'une loi de guerre, datant de 1939..." (voir le document)
La crise économique incite les pays européens à mettre en place des politiques de contrôle de flux migratoires. Droit et Liberté consacre un dossier aux immigrés européens: "un tiers monde à domicile". et expose les motivations économiques de ces politiques. "Importée pour des travaux délaissés par la classe ouvrière européenne et dans des secteurs d'activité où la mécanisation et l'automatisation sont jugées trop coûteuses par les chefs d'entreprises, renvoyé sans ménagement au gré des évènements politiques ou économiques, la main-d'oeuvre immigrée est un amortisseur de conjoncture. Les politiques européennes d'immigration sont liées, depuis la fin des empires coloniaux, à cette nouvelle forme d'exploitation de la force de travail des pays pauvres, qui présente un double aspect:
1. le transfert de main-d'oeuvre en provenance de pays à forte croissance démographique, mais sans capitaux, vers les industries européennes ;
2. le transfert de capitaux et l'implantation d'usines à capitaux européens ou provenant de multinationales, là où la main-d'oeuvre est abondante et bon marché.
Ce qui a joué de façon anarchique et pléthorique au moment de la croissance économique européenne est devenu, avec la «crise ", l 'objet d'une réorganisation , d'une politique de contrôle des flux migratoires. Le droit a alors été mis directement et plus rationnellement au service de la conjoncture économique."
Et en conclusion:" Enfin, il est certain que les restrictions d'entrées et les menaces incertaines mais constantes d'expulsions massives et autoritaires sont liés de très près à la volonté d'abandonner des branches d'activité dont la rentabilité n'apparaît plus suffisante aux yeux des monopoles tels le bâtiments-travaux publics et la sidérurgie lorraine, branches où les travailleurs immigrés sont particulièrement nombreux. Le départ du territoire national de nombreux travailleurs immigrés travaillant dans ce secteur permettrait au patronat de réaliser une certaine économie dans la gestion du chômage qu 'il a créé. De tout cela il ressort que derrière les apparences quelque peu incohérentes de la politique française d'immigration, s'affirment de plus en plus les intérêts des grandes firmes cherchant à réaliser le maximum d'économie dans la gestion de la main-d 'oeuvre étrangère dont elles ne peuvent objectivement vouloir la diminution massive mais plutôt le renouvellement et la mise en condition la plus favorable pour lui faire accepter des conditions de travail et de salaire qu'elle a tendance à rejeter à partir d'un certain degré d'insertion dans l'économie. Ce qui apparaît aussi clairement, c'est la malhonnêteté de la thèse du redéploiement Îndustriel qui permettrait la substitution de la main-d'oeuvre nationale à la main d'oeuvre immigrée. Il est clair que les conditions de cette substitution ne peuvent entrer dans la logique des trusts dont elles infirmeraient la capacité concurrentielle et donc les profits. Il reste une volonté d'abandon des secteurs non rentables dont sont également victimes travailleurs français et travailleurs immigrés. Economiquement, il ne peut y avoir d'antagonisme sur le marché de l'emploi entre Français et immigrés, l'intérêt des travailleurs français va même dans le sens d'une prise de conscience de plus en plus aigüe par les travailleurs immigrés de leurs droits et intérêts propres et leur insertion dans les luttes de plus en plus unies qui, seules, seront à même de mettre en échec la nouvelle stratégie des grandes firmes." (voir le document)

Immigration et chômage

En 1980, Droit et Liberté publie un article sur le thème "immigration et chômage" et constate: "Six ans après l'arrêt «total» de l'immigration, le nombre de chômeurs s'est multiplié par quatre. Pour la simple année 1979, il a progressé de 6,7% et les perspectives du Ville Plan à l'horizon 1985 le fixent entre 2,2 et 2,5 millions. Il est évident que les phénomènes immigration et chômage évoluent séparément sans jamais se recouvrir. On ne peut donc mettre, sous aucun prétexte, un signe d'égalité entre eux." puis DL analyse: "...le départ des immigrés ne permettra pas de diminuer le nombre des chômeurs, mais plutôt de supprimer un certain nombre de postes, ce qui conduit, à court terme , à la liquidation totale de certains secteurs de l'industrie." puis: "En fait, ce n'est pas les immigrés qui sont responsables de la crise, mais la crise qui est responsable de la campagne haineuse dirigée contre eux. La présence des immigrés reste nécessaire aux maîtres de l 'économie." (voir le document)
A l'ocasion de la journée du 21 mars 1981 le MRAP publie un maifeste sur l'immigration: "...Les millions d 'étrangers qui sont venus travailler et vivre en France ont souvent servi, ces dernières années, de boucs émissaires aux difficultés que rencontre la majorité de la population. Mépris et ressentiment diffus, attentats, assassinats traduisent et alimentent ce racisme de crise, relayé par un véritable racisme d'Etat.... Aujourd'hui encore, les dirigeants de l'économie ne renoncent pas à peser davantage sur le marché du travail, le niveau des salaires et des acquis sociaux, tant par la venue de nouveaux travailleurs européens dans le cadre de l'extension du Marché Commun, qu'en s'appuyant sur la misère des pays en voie de développement. Dans le même temps, les pouvoirs publics accentuent les pressions sur les travailleurs immigrés vivant en France, surtout Maghrébins et Africains noirs, en multipliant expulsions et refoulements. Ainsi se développe un processus de rotation sélective de la main-d'oeuvre étrangère, moyen d'intimidation et source de profits accrus...." En conclusion, "EN CONSEQUENCE, LE MRAP DEMANDE AVEC FORCE, DANS L'IMMEDIAT: - Le respect absolu par la France des Pactes relatifs aux Droits de l'Homme. - Un débat parlementaire global et approfondi sur l'immigration. - La révision des accords bilatéraux avec les pays d'origine pour qu'ils assurent des échanges avantageux pour tous les partenaires. - La fin de tout arbitraire contre les immigrés. - Une présence sans exclusive des cultures de l'immigration dans les émissions de radio et de télévision, assurée avec le concours de toutes.les associations concernées. (voir le document)
Dans une intervention au cours du congrès du MRAP en 1982, une sociologue analyse:"Le problème de l'immigration reste lié à celui de la nature des rapports Nord-Sud, c'est-à-dire de la division internationale du travail qu'organise l'hégémonie du dollar,... Autant dire que la suprématie du capital américain est loin d'être battue en brèche. Et que si les pays du Nord, ont à vivre quelques années difficiles de croissance pratiquement nulle jusqu'aux années 1990, les pays du Sud sont encore pour un moment au pain sec et à l'eau, dans un «éternel ordre économique mondial» à l'intérieur duquel, ils ne sont à peine considérés que comme des fournisseurs de maind'oeuvre et paradoxalement comme des marchés à conquérir." (voir le document)

L'Europe de l'exclusion

L'Europe dans tous ses états

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La construction européenne se poursuit, et les orientations adoptées sur les questions d'immigration inquiétent le MRAP. Un numéro spécial de Différences est consacré à l'"Europe dans tous ses états" qui fait le point des législations en cours dans chaque Etat. L'éditorial souligne: "De toute évidence, les plans des eurocrates subordonnent aux impératifs économiques et politico-militaires, les mesures sociales et culturelles. On le constate, par exemple, à propos de l'immigration, domaine non pas isolé, mais révélateur. Le Parlement européen vient d'établir, sur le vote municipal, une discrimination majeure entre immigrés européens et non-européens. La perspective de 1992 dicte au gouvernement français, le refus de certaines modifications des lois relatives aux étrangers. Pour ce qui est du droit d'asile, les évolutions positives se trouvent bloquées par un accord européen secrètement négocié à Schengen (Luxembourg). Alors que beaucoup militent, en France, pour promouvoir une citoyenneté active, plurielle et responsable, l'administration européenne porte à la puissance douze le système de la délégation des pouvoirs...Le territoire des Douze, petit canton de la planète, foisonne de nationalités, ethnies, communautés, régions, confessions, attachées chacune à son identité, toutes désireuses de s'exprimer et de s'épanouir. Alors que nous prônons en France le respect des différences, peut-on admettre que tout cela soit broyé par le rouleau compresseur de sous-cultures extérieures, sur financées ? Pour ceux qui ont à coeur l'égalité de tous, l'amitié entre les peuples, la solidarité, ce sont là quelques enjeux de l'Europe. Dans le proche avenir et déjà maintenant. Le premier chapitre du dossier est consacré à l'Europe des autres: "Quatorze minions d'hommes et de femmes vivent l'exil dans un des douze pays de la Communauté européenne. C'est l'équivalent de la population des Pays-Bas, c'est la treizième étoile du drapeau européen. C'est l'Europe de l'immigration, l'Europe des autres. Voici le tour d'Europe du racisme et de l'immigration. La gangrène raciste y prend des formes diverses, dans la loi et dans les moeurs, les cibles en sont différentes, les expressions varient. Chez les Douze, c'est pourtant partout que l'exclusion existe.
Le second chapitre est consacré à l'Europe des textes: "A Bruxelles ou à Strasbourg, eurocrates et hommes politiques font l'Europe, loin de nous. Quelle est l'Europe qui naÎt à travers les textes? Quelles idées, quel avenir proposent-ils ceux qui nous représentent? L 'étranger est ici aussi pierre de touche entre des conceptions technocrates ou droitières d'une Europe fermée sur les Douze et celle d'une Europe ouverte et citoyenne. Mais les textes font peu de place aux migrants..."
Différences se penche ensuite sur les enjeux de la construction européenne: "L'extrême droite européenne du racisme existe déiâ. C'est pour partie l'avenir de l'Europe qui se ioue sur ce terrain. Les antiracistes, refusant l'Europe de l'exclusion, multiplient les contacts entre eux. Ils tentent de coordonner leurs activités et de sensibiliser les citoyens â leur combat. Mais la peur de l'Autre n'est-elle pas trop forte ? L'Autre, c'est aussi le tiers-monde avec qui des rapports différents doivent être mis en place. Pour une Europe où l'étranger ne soit pas l'ennemi." En conclusion, au cours d'une table ronde consacrée à la culture, Albert Jacquard insiste: "Le drame commence quand on dit «j'appartiens exclusivement à tel groupe ». La France intègre l'Europe mais elle appartient aussi à la Méditerranée. Et c'est important. Il est bon d'appartenir à des ensembles qui ne sont pas disjoints...Je veux lutter contre cette asphyxie de la pensée qui ne voit dans la vie en société que la compétition permanente. Moi, i'imagine une Europe qui me permette de comprendre que ie suis un terrien" (voir le document)

Le melting pot français

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Dès l'année suivante Différences revient sur le "melting pot" français. L'éditorial expose: "Mis à part les pays « neufs », la France est la nation qui a connu tout au long du 20e siècle l'immigration la plus massive, diverse et permanente. Pourtant, l'immigré apparaît aujourd'hui comme une réalité nouvelle du paysage humain français. Une sorte d'amnésie collective le mène au-devant de la scène dans le rôle du « héros négatif ». L'image de l'immigré charrie tous les cauchemars et les scénarios-catastrophes les plus horribles. Contre cet « ennemi de l'intérieur », au demeurant mal défini, les mots de la guerre sont en place: invasion, insécurité, perte d'identité, submersion, péril, pillage, islamisation, criminalité, misère, encerclement...L'important, comme l'écrivait Fernand Braudel, consiste à « définir le passé de la France, (car) c'est situer les Français dans leur propre existence ». Redécouvrir sereinement cette histoire nécessite de sortir le débat sur l'immigration des approches superficielle, ethnocentriste, politicienne, raciste. Opérer, en d'autres termes, ce que les logiciens appellent une rupture épistémologique qui rende pensable la « question» de l'immigration comme une donnée interne à la société française...."
Puis une première partie souligne: "L'immigration, c'est l'histoire de France. D'horizons différents, sous des formes multiples, mais à toutes les époques, des millions d'hommes et de femmes ont choisi ce pays. Ils l'on fait. Auiourd'hui, de larges pans du nouveau peuplement de la France sont marginalisés et mis en demeure de prouver la légitimité de leur présence. Vagues de démagogie racistes, débat politicien et réglementations sécuritaires stigmatisent le basané, le clandestin, le réfugié, l'immigré. Pourtant, de la Gaule à l'Empire, le visage de la communauté France n'a cessé de s'épanouir des traits les plus divers."
Claude Liauzu écrit: "Réduire, pour les exclure, des millions d'individus à une appartenance d'origine, cette appartenance à une religion, cette religion à l'intolérance, au fanatisme, c'est cultiver un racisme culturel. Une telle tentation est l'un des développements possibles des années à venir, des deux côtés de la frontière entre le Nord et le Sud. Sans doute sommes-nous entrés dans une période historique de « remontées» identitaires qui prennent des allures obsessionnelles et qui se nourrissent les unes des autres. Relever ce défi, qui paraît le plus redoutable de la fin du siècle, n'est possible qu'en faisant de la démocratie une composante de la pluralité et de la pluralité une composante de la démocratie."
Un sociologue ensuite "montre comment, en vingt ans, on est passé de l'immigration illégale, organisée par les grandes entreprises et tolérée par les pouvoirs publics à l'utilisation de l'épouvantail "clandestin" contre toute présence de travailleurs immigrés. Au prix du développement d'un fort courant xénophobe qui pourrit désormais toute l'action politique française."
Gérard de Wengen dénonce: "Comme dans d'autres pays d'Europe, les procédures qui permettent de déterminer et d'accorder le statut de réfugiés, sont, chez nous, de plus en plus restrictives. A mon sens, la convention de Genève est réduite à une peau de chagrin. Résultat: il y a une dizaine d'années 15% des demandeurs étaient déboutés par l'OFPRA. Aujourd'hui, c'est l'inverse: plus de 80% des demandeurs sont refoulés. Pourtant les droits de l'homme sont toujours bien maltraités dans le monde!"
Catherine Wihtol de Wenden retrace le parcours caotique de la politique migratoire française: "Au fil des temps, la politique migratoire française a constamment oscillé entre l'indifférence, la satisfaction des intérêts économiques, la volonté affirmée de contrôle et la pression des enjeux politiques immédiats."...
Françoise Gaspard affirme: "Tant que la réintégration de l'histoire de la colonisation et de la décolonisation dans notre conscience collective ne sera pas faite, nous vivrons de sérieux problèmes, notamment avec les immigrants originaires des ex-colonies. Pour la majorité d'entre eux, le problème de l'intégration ne se pose pas: ils sont intégrés dans la société française, qui dans l'entreprise, qui dans le chômage qui dans le béton, qui dans les difficultés d'accéder à la propriété avec l'endettement qu'elle génère ... La majorité de ces Français ou de ces gens en voie de le devenir appartiennent à l'ancien Empire colonial voilà une vérité historique qu'il faudra faire émerger à la conscience de tous, quitte à ce que le débat soit chaud, contradictoire, et vif. La perspective européenne comporte le risque de nouvelles contradictions : la France se tournerait, malgré et contre son histoire, exclusivement vers l'Europe. Cette histoire l'a intimement mêlée et liée au Sud et à la Méditerranée. Si la France oublie sa culture méditerranéenne, elle sera dans l'incapacité d'assumer son avenir." (voir le document)

Mondialisation et immigration

Invitation au pays des migrants

Au congrès de 1992, Mouloud Aounit dans son introduction aux débats replace le phénomème migratoire dans son contexte mondial: "Le combat contre le racisme qui vise les immigrés doit aller jusqu 'aux causes de l'immigration, c'est-à-dire aux racines de l'émigration. Il ne peut se dispenser de la lutte pour un changement complet des rapports entre les pays du "Nord" et ceux du "Sud". L'inversion de la logique actuelle doit commencer par l'abolition de la dette. Elle passe aussi par l'arrêt du soutien politique aux régimes corrompus, dictatoriaux, répressifs, complices actifs de la misère de leurs peuples. La question des "pays du Sud" n'est pas une question parmi d'autres: elle est centrale pour le monde actuel, et pour les peuples du "Nord" eux-mêmes. Car sa gravité est telle qu'elle peut mener à la catastrophe universelle. (voir le document)

En 1995, Différences publie des extraits du texte final d'une rencontre suscitée par le conseil pontifical de la pastorale des migrants et qui précise la position de l'église, pour laquelle: "Toute personne en situation irrégulière a droit à sa place dans un Etat droit (pays d'origine ou pays d'accueil)" (voir le document)
Sous le titre "invitation aux pays des migrations", Différences publie les conclusions d'une enquête sur les immigrés et leurs enfants. Michèle Tribalat, coordinatrice de l'enquête, analyse: "L'universalisme n'oblige pas seulement les gens qui viennent mais il oblige avant tout l'Etat. Or, les jeunes d'origine immigrée, algérienne notamment, vivent une situation de plus en plus intolérable: ils sont intégralement entrés dans l'univers des mentalités françaises, ils adhèrent au même principe universaliste et donc ils n'apprécient pas du tout de se faire renvoyer leurs particularismes supposés à travers des pratiques discriminatoires. Les jeunes en difficulté le sont parce qu'il y a un problème économique de fond et non parce que le modèle d'assimilation serait en panne." (voir le document)
Dans le contexte de la lutte des sans papiers, une reflexion s'ouvre sur "une autre politique de l'immigration". Dans un entretien pour Différences, Jacqueline Costa-Lascoux souligne: "Depuis 1974, « l'arrêt de l'immigration» est devenu un leitmotiv, y compris à gauche. Or, chacun sait que cela est impossible et serait anticonstitutionnel. Les sociétés européennes ne sont pas des forteresses avec des pont-levis qu'il suffuait de lever. Elles reconnaissent le principe de la liberté de circulation. De plus, nous vivons dans un monde de mobilité internationale croissante. Cette mobilité concerne les capitaux, les biens, les idées mais aussi les hommes. Si on ne veut pas que la mobilité soit une occasion supplémentaire de renforcer les déséquilibres du développement inégal et d'accentuer la précarisation du marché du travail, toutes les personnes doivent jouir de la liberté de circulation. N'oublions pas que plus de deux millions de Français vivent à l'étranger. Les migrations ne sont pas à sens unique. "(voir le document)

Le mois suivant, Différences rend compte des "Assises pour une politique nouvelle des migrations". Ces Assises ont rassemblé plusieurs dizaines de personnes représentant les associations et les collectifs des sans-papiers, des membres d'institutions comme la Commission nationale consultative des droits de l'Homme et la Commission des Libertés publiques du Parlement européen, de nombreux chercheurs, ainsi que des personnalités. Globalement, ces Assises ont posé quelques jalons pour sortir de 'impasse qui désespère les militants solidaires des étrangers: une politique toujours plus répressive et restrictive à l'encontre des immigrés non-communautaires, une politique démagogique et à courte vue dont le seul effet attesté est de faire croire à une opinion publique « chloroformée », selon le mot de Paul Bouchet, que l'immigration est la source de tous les maux. Cette politique est de surcroît dangereuse pour tous les citoyens, dans la mesure où elle crée toujours plus d'arbitraire et grignote lentement mais sûrement les libertés publiques comme les libertés individuelles qui fondent l'Etat de droit... A propos des migrations proprement dites, plusieurs intervenants ont souligné qu'elles ne sont pas, selon la conception dominante, uniquement dues à la misère mais aussi aux liens historiques et linguistiques, à l'insécurité politique et aux traditions culturelles...De plus, l'idée qu'il faut développer ces pays pour fixer les personnes est trop simpliste. Souvent, au contraire, le développement appelle à la migration vers les cieux où les techniques, les savoirs et les pouvoirs s'élaborent. Ce n'est qu'à moyen et long terme que le reflux de la migration devient réalité: c'est bien ce qui s'est passé pour l'immigration portugaise en France, exemple qu'évoquait Jacqueline Costa-Lascoux dans l'entretien paru dans le dernier numéro de Différences. Il faut au contraire, instaurer la liberté « d'aller et venir» car les courants migratoires sont porteurs de potentialités de développement. Aboubacar Diop, l'un des porteparole du premier collectif des sans-papiers, a évoqué le fait que l'aide matérielle apportée par les immigrés africains à leurs concitoyens des pays d'origine représente trois ou quatre fois celle de l'Etat français! Comment concevoir la coopération sans la liberté de circulation des personnes? (voir le document)

Femmes migrantes

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En 2000, Différences consacre un dossier aux femmes migrantes: "La féminisation des mouvements migratoires à l'échelle mondiale est significative. Des femmes non seulement accompagnent ou rejoignent des hommes migrants ou immigrés, mais développent de plus en plus leur projet migratoire propre. Elles viennent trouver du travail, une vie meilleure, elles veulent s'émanciper de situations d'oppression sociale et familiale devenues insupportables, et les demandeuses d'asile cherchent refuge face à des violences de toutes sortes. Ces migrations sont dues non seulement aux inégalités accrues dans un monde plus globalisé, mais aussi aux évolutions sociales dans les pays dominants (avec l'appel croissant de main-d’œuvre pour des emplois de services) et aux transformations de la condition des femmes dans les pays d'origine qui les rend plus autonomes (volontairement ou par obligation)...Des sans-papiers sont sorties de l'ombre, dénonçant la précarité, la surexploitation, les violences, revendiquant leurs droits, avec force et sentiment de légitimité. Mais d'autres restent sans voix, telles ces nombreuses femmes sous la coupe des réseaux de proxénétisme international ou d'autres trafiquants, ou celles enfermées dans des conditions d'esclavage domestique. " L'auteur de l'article souligne: "Pour les femmes aussi, il faut à l'échelle internationale la liberté de circuler et de choisir son pays de résidence. La fermeture des frontières, alors que circulent marchandises, capitaux, informations, et personnes des classes dominantes des pays riches, institutionnalise un apartheid international et met en danger celles et ceux qui malgré tout doivent passer des frontières. Et, pour que la liberté de circulation ne soit pas une pièce dans une mondialisation néo-libérale qui veut des travailleurs et travailleuses flexibles, mobiles et précaires, il faut bien sûr l'égalité des droits dans tous les domaines, l'abolition de toutes ·les discriminations et la citoyenneté pleine et entière pour toutes les personnes vivant sur le même sol et donc faisant partie d'une même société, indépendamment de la nationalité, du sexe, et de « l'origine». Enfin il faut que les femmes victimes de répression et de persécutions en raison de leur sexe puissent obtenir le droit d'asile ." (voir le document)
Dans un dossier "Enseigner l'histoire, former des citoyens", Différences affirme l'importance d'enseigner notre passé colonial et Claude Liauzu écrit: "Cette interdépendance grandissante, ce câblage de la planète, son unification - dans la dépendance, dans l'inégalité, dans l'injustice-, est bien l'un des plus importants phénomènes de notre histoire, de notre passé et de notre devenir. Flux des produits naturels et flux des hommes s'intensifient et s'accélèrent, de même que les flux d'informations. Quand les cours du pétrole flambent, New York et Paris voient leur économie ébranlée. Migrations, déséquilibres écologiques: tout montre une interdépendance de plus en plus étroite. Ce processus s'accompagne d'échanges, de métissages, mais aussi d'ethnocides - de destructions de cultures et de langues - , de chocs de civilisations. L'une des raisons de ces tensions tient à une immense carence intellectuelle : nous ne nous pensons pas comme des citoyens du monde. Il est urgent de mettre à jour notre enseignement, de façon à ce qu'il prépare les nouvelles générations à assumer pleinement cette situation. (voir le document)

Les damnés de la terre

Fuir les pays mouroirs

En 2006, Mouloud Aounit, président du MRAP, intervient en ouverture de l'assemblée générale: La mise en place d'un couvre feu, dans le cadre de l'état d'urgence ressurgi de la loi du 3 avril 1955, ainsi que l'obsession du chiffre en matière de répression de la délinquance et de chasse aux sans papiers, ont généré une mise sous surveillance généralisée des libertés de tous. Ainsi ont été généralisés les fichiers de données personnelles, les contrôles arbitraires et humiliants au faciès, les expulsions de sans papiers, y compris collectives, ainsi qu'une justice de comparutions immédiates de sans papiers raflés en nombre croissant que l'on peut à juste titre qualifier de justice d'abattage. En un an, trois évènements prévisibles, inédits par leur violence et leur caractère particulièrement tragique et dramatique, ont en quelque sorte été le miroir de cette politique. Tout d'abord, près de 7 000 victimes, de 1993 à 2005 (comptabilisées individuellement dans le recensement de l'ONG européenne U lTED, ce qui implique des chiffres réels très largement supérieurs), ont payé de leurs vies les politiques de fermeture des frontières, de chasse aux clandestins et de mise en centres de détention/ rétention de la Forteresse Europe. Cherchant à fuir des pays mouroirs sans espoir, ils sont tombés victimes de la soif et du manque de nourriture dans la traversée mortifère du Sahara, ont dû éviter les zones minées qui longent le "mur" marocain de délimitation du Sahara occidental, affronter les immensités algériennes depuis Gao et la boucle du Niger, jusqu'aux détroits de Messine ou de Gibraltar. C'est ainsi que l'île italienne de Lampedusa et les confettis espagnols de Ceuta et Melilla, sur territoire marocain, ont défrayé la chronique de l'Europe. Ici et là, des vedettes patrouilleuses des pays vigiles de la frontières Sud de l'Europe, assurent par procuration la sécurisation des frontières communes. Ce qui a poussé les candidats africains à la migration à renoncer aux "pateras" et barques meurtrières diverses pour tenter d'atteindre le mirage européen dans les enclaves espagnoles. Depuis les événements tragiques de septembre et octobre derniers autour de Ceuta et Melilla, des images insoutenables de ces damnés de la terre - se fracassant les os au passage des hautes clôtures et s'arrachant les chairs sur les barbelés de la double palissade métallique hispano-européenne - sont venues donner un contenu réel aux décisions feutrées de Bruxelles. On sait désormais qu'un désespoir de plus en plus enragé à poussé quelque 12 000 migrants sub-sahariens à tenter de forcer, au péril de leurs vies, une frontière sans cesse plus étanche au cours de 25 "avalanches" groupées de migrants à l'assaut collectif des clôtures métalliques de Ceuta et Melilla, dont 9 plus massives entre le 23 juin et le 29 septembre 2005. L'horreur ultime de cette politique ultra sécuritaire a trouvé son point d'orgue dans la mort par balles d'au moins cinq migrants (dont deux sous des balles espagnoles). " (voir le document)

Le cas des Roms:

A la situation de quasi plein emploi qui existait à l'époque communiste, s'est substituée une situation d'exclusion sordide des circuits formels du travail. Par centaine de milliers, les Rroms ont été exclus des activités qu'ils menaient dans l'industrie ou l'agriculture collectivisée. Depuis lors, soit, pour le plus grand nombre, depuis 1990, aucune perspective encourageante n'a vu le jour. Pas de reprise du travail, füt-ce à un niveau de faible qualification dans les secteurs industriels, pas de perspectives non plus pour les plus qualifiés souvent en butte à des tracasseries racistes ou xénophobes. Rien non plus en agriculture, d'autant que la redistribution des terres organisée dans plusieurs pays a oublié les Rroms. Restent alors les circuits informels où tous n'excellent guère et l'économie de survie au quotidien. Aujourd'hui, la situation économique et sociale d'un nombre élevé de Tsiganes est déplorable...Dans ce contexte, il est facile de comprendre tout l'attrait qu'offre un déplacement vers l'Europe occidentale. Certains, parmi les Rroms qui s'y engagent, sont prêts à faire le voyage sans même penser à un hypothétique retour. Mais, pour la plupart, l'aller en Europe occidentale ne se conçoit pas sans retour au pays, ou mieux, sans va-et-vient temporaire...La situation qui en résulte s'avère encore aggravée par l'incroyable mise à l'écart collective des Rroms. De très nombreux quartiers tsiganes sont majoritairement marqués par l'état de non-droit et l'on y retrouve tous les stigmates de l'exclusion: absence de voirie et de transports publics, absence . d'eau courante et d'eau potable, immondices, cortège d'habitations dépourvues de tout confort élémentaire, insalubres...(voir le document)

Contre la criminalisation des migrants=

En 2006 Le MRAP relaie un appel du Forum social européen à une journée européenne d'action sur les migrations: "...Les politiques migratoires européennes transforment les migrants en "illégaux". L'externalisation, l'une des principales mesures dee l'Union européenne contre les mouvements et les luttes des migrations, installe hors d'Europe, en Afrique et en Europe de l'est, des camps et d'autres instruments de contrôle des migrations... La 3ème journée d'action sera dirigée contre le déni des droits, contre la criminalisation des migrants et contre tous les contrôles des migrations (voir le document)
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Le colloque "Les migrations à l'ère de la mondialisation"

===Des périples meurtriers===

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En 2008, le MRAP organise un colloque "Les migrations à l'ère de la mondialisation".
Pourquoi ce colloque? interroge Différences: "les sociétés des pays les plus développés, regroupés au sein de l'OCDE, doivent aujourd'hui faire face aux défis d'une « mondialisation» / « globalisation » de plus en plus poussée des économies qui coïncide avec le vieillissement de leur population. Pour y faire face, de manière utilitariste, des États concluent des accords bilatéraux de main d'oeuvre, en vue de recruter les forces de travail qui leur font le plus défaut: travail très qualifié dans les technologies avancées pour alimenter l'économie du savoir, travail saisonnier, assistance à la personne, secteur de santé .... Au sein de l'Union européenne, comme en France, une vision léonine et déséquilibrée fait prôner le dogme du libre-échange des biens et des capitaux comme « alternative» aux migrations, rendues synonymes d'invasion et de plus en plus strictement réglementées. L'immigration « choisie» des « compétences et talents» doit désormais remplacer l'immigration «subie».
Les pays du « Sud » et de l'« Est» [notamment aux marches de l'Union Européenne) connaissent de la mondialisation néolibérale les injonctions d' « ajustement structurel » ainsi "Que des Accords de Partenariat Économique. La destruction des agricultures traditionnelles qui provoque l'exode rural. la « bidonvillisation » des grandes métropoles du Sud, le chômage des jeunes diplômés et la paupérisation croissante des couches moyennes sont des facteurs qui tous contribuent déjà à pousser au départ « à tout prix» jeunes et moins jeunes, étudiants et fonctionnaires, hommes, femmes et adolescents, chômeurs ou travailleurs cherchant à échapper à une misère endémique, étudiants en mobilité à tous les niveaux de leur cursus universitaire, regroupements familiaux, flux de réfugiés et de demandeurs d'asile ... Sans espoir dans leurs propres pays, fuyant la misère et/ou les persécutions, ils et elles préfèrent prendre le risque de périples de milliers de kilomètres à travers le Sahara, de traversées souvent mortelles en Méditerranée ou dans le Golfe d'Aden, de la route de la Chine et du Moyen Orient ou encore de celle de Tchétchénie vers l'Ukraine et la Pologne...

Externalisation des contrôles

En introduction de son exposé sur "la dimension externe des politiques d'asile et d'immigration de l'Union Européenne", Claire Rodier souligne:
Au début de l'été 2007, dans le cadre d'une opération ponctuelle appelée Nautilus, les patrouilles maritimes qui sont intervenues dans le détroit de Sicile sous l'égide de l'agence européenne Frontex ont intercepté 464 migrants, Le commissaire européen chargé des questions d'immigration, Franco Frattini, vient, au vu de ces résultats, d'annoncer qu'à partir de 2008 ces patrouilles seraient permanentes et associeraient des fonctionnaires libyens, L'objectif est de pouvoir refouler plus facilement en Libye les migrants qui tentent la traversée pour rejoindre les côtes italiennes ou maltaises, à l'instar de ce qui se fait déjà vers la Mauritanie, depuis 2006, quand Frontex a commencé à organiser des opérations au large des Canaries, Avec succès: fin août 2007, le ministre de l'lntérieur espagnol annonçait une diminution des arrivées aux îles Canaries de cayucos, les barques sur lesquelles embarquent les boat-people depuis les rives africaines, de l'ordre de 70% en un an, Au cours de la même période, le nombre de cadavres retrouvés sur les côtes canariennes a augmenté, lui , de presque 50%, Le rapprochement des deux chiffres effraie: il signifie clairement que les opérations d'interception maritime mises en oeuvre par Frontex ont moins pour effet de dissuader les départs que de rendre les traversées plus périlleuses, en obligeant les barques à prendre des itinéraires moins directs et leurs occupants à prendre plus de risques..." puis elle définit: "Qu'est-ce que l'externalisation? Vous ne trouverez pas trace de ce terme dans les textes officiels, Emprunté au vocabulaire économique, il a été utilisé par les ONG au début des années 2000 et a été popularisé depuis pour désigner un processus qui consiste, pour l'UE, à effectuer ou à faire effectuer hors de son territoire une partie du contrôle de ses frontières, On pourrait aussi parler de sous-traitance, ou encore de délocalisation..." Elle dénonce ensuite la délocalisation des frontières en particulier par les programmes de protection régionale: "L'idée est donc d'aider les pays situés à proximité des pays de départ des réfugiés à améliorer leurs capacités de protection pour qu'ils soient en mesure d'accueillir les demandeurs d'asile, et d'épargner à ceux-ci les aléas des déplacements jusqu'en Europe...Le problème c'est Que les zones ciblées semblent moins choisies en fonction de leur aptitude à «permettre l'accès à la protection» des réfugiés, qu'à cause de leur position "géographiQue, et partant de leur capacité à jouer le rôle de tampon pour protéger l'Europe des indésirables. Car les pays visés pour faire office de «zones d'attente» avant le visa pour l'UE sont loin d'être «sûrs » au regard des besoins de protection auxquels ils sont censés répondre..." Quand aux accordz de réadmission, "On imagine sans mal les dangers que présentent de tels accords pour les migrants expulsés dans ce cadre. Repris par obligation contractuelle par des pays Qui ne sont pas liés par les règles Qui engagent les États de l'Union européenne [en matière de détention. de droit de recours, de droit d·asile). ils sont exposés d'une part au risque de subir des mauvais traitements, d'autre part à celui d'être une nouvelle fois renvoyés en application d'accords passé , dans un système de "cascade" induit par les exigences européennes, vers d'autres contrées encore moins accueillantes, voire du pays qu'ils ont fui. au risque d'y retrouver d'éventuels persécuteurs.
El Mouhoud Mouhoud, professeur d'économie démontre ensuite: "La mondialisation marginalise les pays du Sud qui ne disposent que d'avantages naturels [main-d'oeuvre à faible coût, ressources naturelles) alors que c'est souvent grâce aux liens que les migrants entretiennent avec leurs pays d'origine que ces pays maintiennent une insertion dans l'économie mondiale malgré les fortes restrictions des flux migratoires, Les transferts d'épargne des émigrés constituent des apports substantiels et stables pour beaucoup de pays du Sud au moment où les entrées de capitaux publics et privés sont plutôt fluctuantes voire négatives, Les migrations internationales sont souvent omises par les analyses standard de la mondialisation alors que la libération des échanges de marchandises et les migrations de travailleurs qualifiés ou non qualifiés, sont complémentaires plutôt que substituables." Joël Oudinet démonte ensuite trois mythes souvent évoqués: "Ainsi entend-t-on tour à tour que les immigés prennent le travail des natifs, ou alors qu'ils font baisser leurs salaires, ou encore qu'ils contribuent au déficit de nos budgets sociaux...Les arguments communément avancés sur les conséquences négatives sur la société d'accueil n'ont pas du tout, du point de vue de la théorie économique, le statut d'évidences que le sens commun leur prête, Au contraire, les modèles théoriques et les études empiriques ont plutôt à une vision positive de l'influence de l'immigration sur l'économie d'accueil. Les pouvoirs publics n'ont pas besoin d'arbitrer entre l'entrée de migrants supplémentaires et la préservation des emplois ou des acquis sociaux des personnes déjà résidentes, et chacun des trois mythes se renverse..."

Contre la montée de la xénophobie

Jérôme Valluy s'interesse aux causes de la montée de la xénophobie: "De cet état des connaissances découle alors une hypothèse qui consiste à considérer les dispositifs anti-migratoires et avec eux le retournement des politiques du droit d'asile, non pas comme une conséquence mais comme une cause de l'activation de la xénophobie, probablement présente à l'état latent dans toute société humaine, mais qui ne peut asseoir son empire sur le champ politique que lorsque des élites dirigeantes désignent l'étranger comme un problème, une menace ou un risque à travers les actes ordinaires de l'action publique...Selon notre hypothèse , la montée en puissance des nationalismes xénophobes dans les systèmes politiques européens serait propulsée par trente ans de politiques disqualifiant les demandes d 'asiles. claironnant la fermeture des frontières, interdisant les regroupements familiaux , soupçonnant les mariages mixtes, multipliant les rafles policières de sans-papiers, focalisant l'actualité sur quelques pateras. créant le délit de solidarité avec les exilés. organisant des expulsions de masses. militarisant les frontières ..." Et Bernadette Hétier conclut: "Sur toutes ces questions, il importe que le MRAP organise davantage de rencontres et de débats, approfondisse sa réflexion interne, produise davantage de documents d'analyse pour lui-même et pour l'extérieur, fasse davantage entendre sa voix afin de participer plus activement à l'action collective contre le rejet de l'étranger, contre cette forme de xénophobie de gouvernement en voie de crista11isation, afin de contribuer à relancer d'urgence en sens inverse le balancier de l'histoire" (voir le document)

L'impossible immigration zéro

Dans le numéro commémorant les 60 ans du MRAP, Différences fait un historique des migrations depuis l'après guerre: "Le système colonial, parce qu'il a organisé l'économie des territoires sous sa domination en fonction des intérêts de la métropole -interdisant aux habitants de ces pays de développer leurs propres industries ou leur propre commerce, les condamnant ainsi à la pauvreté- va être un élément supplémentaire dans le développement des mouvements migratoires des pays nouvellement indépendants en direction de l'ancienne métropole..." "Au milieu des années 70, le début de la crise économique provoquée par le «choc pétrolier» de 1973, faisant suite à la guerre israélo-arabe de Kippour, va entraîner la suspension de l'immigration sauf pour les travailleurs de la CEE. Les immigrés, présentés comme responsables du chômage, vont jouer le rôle de boucs émissaires...Dès lors la politique d'immigration va s'articuler autour de trois axes principaux: limiter autant que possible les entrées, refouler ou expulser les clandestins, inciter les travailleurs à retourner dans leur pays. Regroupements familiaux, droit d'asile seront plus sévèrement contrôlés et les procédures de plus en plus restrictives. Cette suspension de l'immigration entraînera le développement d'une immigration illégale pour répondre aux besoins en main d'oeuvre et aux impératifs de moindre coût que permet l'exploitation maximale de travailleurs sans droits..." "A partir des années 80, le discours gouvernemental sur l'immigration comportera diverses variations sur le thème « maîtriser les flux migratoires pour mieux permettre l'intégration des migrants réguliers », avant de devenir au changement de millénaire « maîtriser les flux migratoires en fonction de nos capacités d'intégration ». "Depuis les accords Schengen et la construction de l'Europe-forteresse, la « pression migratoire» a été éloignée de nos « frontières nationales ». Néanmoins, l'absence de garanties, la militarisation des contrôles aux frontières extérieures de l'Union pour lutter contre une immigration empruntant les voies du Sud et de l'Est a de quoi inquiéter, tout comme le conditionnement de l'aide aux pays de départ ou de transit en fonction de leurs résultats à combattre l'émigration à destination de l'Union européenne par l'imposition d'accords de gestion concertée et de réadmission. Aujourd'hui, l'externalisation des centres de rétention n'offrant aucune garantie quant au respect des conditions élémentaires de traitement, des droits fondamentaux des migrants et du droit d'asile, que dénoncent nombre d'associations est une honte pour des pays qui se prétendent démocratiques et défenseurs des droits de l'homme..." "Cependant, l'immigration illégale ne connaît pas de ralentissement, preuve que rien ne peut arrêter les candidats à l'immigration fuyant la misère ou les guerres. Ni les grillages élevés à Ceuta, ni la situation scandaleuse faite aux immigrés de Sangatte et actuellement « dispersés» sur tout le Calaisis et jusqu'à la Suède, ni la chasse aux sans-papiers par des policiers tenus de faire du chiffre, ni l'horreur que connaissent tous ceux qui n'hésitent pas à prendre la mer sur des embarcations de fortune ne sauraient décourager ceux qui viennent chercher une vie supposée meilleure. Pour le MRAP, cette situation démontre de façon tragique que l'immigration zéro n'est qu'un stupide slogan électoraliste. Le dernier naufrage majeur d'avril 2009 entre les côtes libyenne et italienne qui a causé à lui seul la mort de 300 à 500 personnes montre qu'aucune mesure ne pourra arrêter ce mouvement qui met en lumière la contradiction toujours plus accentuée entre la fermeture des frontières et une accélération du mouvement migratoire provoqué par la mondialisation... Aucune mesure, pas plus le mur construit à la frontière mexicaine que les politiques répressives des pays riches ne pourront contenir cette « pression» si ce n'est un changement profond des structures économiques. Aujourd'hui, la liberté de circulation et le droit d'installation, propositions que le MRAP avait adoptées lors de son congrès de 2001 représentent des éléments forts d'un débat que suscite la mondialisation... (voir le document)

Conséquences désastreuses des politiques mises en place

A l'occasion du meeting militant des 60 ans du MRAP, Claudia Charles du GISTI et de MIGREUROP, détaille les politiques mises en place dans l'Union européenne et en dénonce les conséquences désastreuses: "Conséquences de ces choix : l'existence des camps ou des "jungles" où paradoxalement se trouvent enfermés, dans un endroit ouvert, des migrants qui viennent de pays en guerre, à la recherche d'une protection à laquelle ils ont droit en vertu des conventions internationales. Enfermés parce qu'ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d'origine, enfermés parce qu'ils ne peuvent pas aller dans un autre pays de l'Union, enfermés parce qu'ils ne peuvent pas aller là où ils veulent, c'est à dire en Angleterre, et qu'on veut les renvoyer vers la Grèce où ils ne veulent absolument pas aller. A l'oeuvre, la logique de la grande précarité, la logique de l'errance, sans parler de la violation des droits fondamentaux...Déshumanisation également, que ce soit dans des camps fermés ou des camps ouverts, ici en Europe ou ailleurs, dans tous les camps qui se développent en Algérie au Maroc, au Mali etc....Les conséquences de ces politiques à l'égard des pays tiers, et des migrants sont désastreuses. Aujourd'hui, aussi bien les pays de l'Union que les pays tiers se livrent à une véritable guerre aux migrants. C'est ce que l'on connaît sous le nom d'"externalisation" de la politique européenne d'immigration et d'asile appelée également, par euphémisme "dimension extérieure" de la politique européenne. (voir le document)
En 2011, Différences rend compte du travail de la permanence d'accueil et d'assistance juridique du siège et déplore: "On constate au fil du temps que les critères imposés par l'administration pour le dépôt d'une demande sont de plus en plus compliqués et difficiles à satisfaire, et les préfectures de plus en plus tatillonnes pour l'examen des dossiers....En conclusion, la situation des Sans Papiers est de plus en plus précaire, incertaine et angoissante pour la plupart d'entre eux, notamment pour les malades, les familles et les femmes seules avec des enfants mineurs, les demandeurs d'asile...
Ce même numéro dénonce les déficiences de l'accueil des jeunes mineurs isolés (en majorité afghans): "...Dans ces conditions, après des semaines à errer le jour et à être stockés la nuit dans des conditions précaires, la grande majorité décide de partir, d'autant plus que ceux qui veulent rester doivent encore franchir de nombreux obstacles...".
Différences relate ensuite le parcours d'un couple de réfugiés mongols dans la "douce Europe" et conclut: "...Ce n'est pas du Zola. Cette histoire tragique se passe en 2011, ici, en Europe. Elle est emblématique du traitement indigne infligé aux étrangers en situation irrégulière dans une Union européenne qui ferme ses frontières et enferme les migrants..." (voir le document)
Toujours en 2011 Différences décrit la mobilisation des associations de Saint-Nazaire pour soutenir les Sans papiers, puis la détermination des Sans papiers parisiens 15 ans après Saint-Bernard: "la lutte doit continuer afin d'obtenir: - la régularisation globale de tous les sans papiers par la délivrance de la carte de 10 ans; - la fermeture des C.R.A. ; - l'arrêt des contrôles au faciès; l'arrêt des expulsions; - l'abrogation des lois composant le CESEDA; - la suppression des Accords bilatéraux de réadmission; la reconnaissance de la liberté de circulation et d'installation. Les Sans Papiers et leurs soutiens ne sont pas résignés. Ils lutteront jusqu'au bout pour demander la régularisation globale de tous les Sans Papiers.
Enfin, Différences s'indigne d'un nouvel arrêté : "Le 12 août 2011, le Journal officiel publiait un arrêté portant sur la diminution du nombre de métiers ouverts aux étrangers - primo arrivants - des pays tiers pour lesquels l'administration ne pouvait pas opposer « la situation de l'emploi ». C'est-à-dire des métiers pour lesquels les employeurs ne trouvent pas à embaucher." (voir le document)

Médiatisation de la migration des roms

En 2013, à l'occasion du colloque: Un siècle de fichage, des « Nomades » aux Roms, du carnet anthropométrique à OSCAR, 1912-2010, Différences expose le cas particulier de la migration des Roms: Lorsqu’à partir du milieu des années 60, des Roms yougoslaves sont venus en France, on parlait de Yougoslaves, jamais de Roms. La désignation ethnique ne figurait pas dans le champ des possibles politiques… Il n’y a pas eu de « problème rom », les Yougoslaves ont trouvé travail et logement. A partir des années 89 /90, s’étaient installés dans trois grands bidonvilles de Nanterre, 900 personnes qu’on appelait dans la presse à ce momentlà les « Tsiganes roumains de Nanterre ». A partir de 1992/93, au gré des changements de gouvernements, ils s’étaient répartis au-delà. On parlait déjà de 15000 personnes dont la moitié d’enfants, on ne pouvait considérer qu’ils soient une charge déraisonnable, ni une menace pour le marché de l’emploi...Avec les Roms migrants, les expulsions, n’ont pas été accélérées, seulement médiatisées et instrumentalisées comme outil politique. Une pratique imbécile, inefficace et inhumaine. Imbécile, parce que politique de Gribouille : expulser un camp qui se reconstruisait quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres plus loin, expulser des gens qui en tant que citoyens européens avaient la capacité de revenir sans aucune forme de formalité. Une politique totalement inefficace parce qu’il y a dix ans il y avait 15000 personnes concernéées. Aujourd‘hui, malgré les 10 000 à 11000 expulsions de Roumains et de Bulgares, essentiellement des Roms, ou en tous cas catégorisés comme tels, leur nombre est sensiblement le même, donc pratique parfaitement inefficace ! Inhumaine parce que toutes les tentatives d’insertion par le logement, par la santé, par la scolarisation des enfants, par l’apprentissage de la langue française étaient régulièrement foulées au pied malgré les souffrances individuelles ou collectives que cela entrainait.
Plus loin, Yves Loriette enchérit: "L’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union Européenne en janvier 2007 a suscité un espoir d’intégration pour les populations Rroms. Elle ne s’est pas traduite dans les faits par un flux migratoire important, comme Eric Besson en a convenu lui-même puisque le chiffre avancé de 10 000 à 15 000 personnes est stable depuis des années. On est loin du mythe de « l’invasion ». Hélas il a fallu vite déchanter et les chiffres de reconduite (retours humanitaires) parlent d’eux-mêmes : 2200 reconduites de Roumains et Bulgares à la frontière pour 2007 et 5200 pour l’année 2008 (à quoi il faudrait rajouter les reconduites hors du cadre des retours humanitaires). (voir le document)

La meurtrière chasse aux migrants

La mondialisation de l'ignominie

En 2014 le MRAP lance un appel contre "la meurtrière chasse aux migrants de l'Union Européenne". Il rappelle: "Le total comptabilisé des victimes de traversées maritimes dans l'Atlantique (vers Malte ou Lampedusa) et dans l'océan Indien devrait atteindre pour le moins quelque trente mille depuis vingt ans. Mais il ne tient pas compte des milliers de victimes inconnues et jamais retrouvées, mortes de soif, de faim ou de violences dans la traversée du Sahara en provenance du Sud de l'Afrique, le long des côtes de Somalie et d' Erythrée et à travers le golfe d'Aden. Combien de victimes non comptabilisées sur les routes périlleuses d'Afghanistan, du Pakistan ou d'Iran, à travers les massifs montagneux d'Asie centrale. Combien d'hommes, de femmes auront perdu leurs vies sur ces routes dangereuses, exposés à tous les trafics et à toutes les violences, se heurtant à la guerre de Syrie et parvenant aux portes d'une Europe cadenassée, via la Turquie, pour venir s'échouer en Grèce et y demander asile." Le MRAP rappelle son opposition aux conventions de Dublin qui imposent au sein de I'UE que ce soit le pays de première arrivée qui soit intég ralement responsable de l'accueil ainsi que du traitement de la demande d'asile...Face à des rafiots chargés de fragiles vies humaines d'hommes - et en nombres sans cesse croissants, de femmes, de très jeunes enfants et même de bébés - les polices du Nord de la Méditerranée alliées à celles des pays du Sud (soumis à des très fortes pressions et chantages de I'UE), ont été établies en « chiens de garde» de l'Union Européenne. L'agence européenne Frontex, crée en 2004, en est devenu le triste et honteux symbole :- Frontex qui, des années durant, a fait la chasse aux rafiots de migrants pour empêcher leur arrivée sur les côtes européennes, sans se préoccuper de l'hécatombe ; - Frontex qui a fait usage des pires intimidations pour empêcher les bâteaux de pêcheurs du Nord et, plus encore ceux du Sud, de leur porter secours, violant ainsi toutes les conventions et les principes fondament aux du Droit de la Mer...Aujourd'hui, I'UE poursuit plus que jamais ses « politiques assassines », armée de la force Frontex, contre les migrants et demandeurs d'asile qui fuient par la mer les violences, la misère et la faim qui ravagent. notamment la Corne de l'Afrique (Erythée/Somalie) d'où venaient les quelque 550 passagers du tragique naufrage du 3 octobre 2013. Mais comme ses forces d'intervention rapide aux frontières (sigle anglais RABIT) ne se révèlent pas assez efficaces, I'UE entend déployer EUROSUR, nouvel outil de surveillance des « frontières pan-européennes » dont les objectifs annoncés sont de: -réduire le nombre de migrants arrivants jusqu'aux rivages européens sans être détectés, -réduire le nombre des victimes en mer en leur portant secours, - et, enfin, pour ne pas changer de discours ni d'objectifs avoués, pour renforcer la sécurité intérieure de I'UE dans son ensemble en contribuant à la lutte contre la criminalité transfrontalière. Enfin, le MRAP appelle la France et I'UE à établir enfin de nouvelles politiques de coopération juste, ouverte et équilibrée avec les pays d'origine.
Dans ce même numéro, Différences s'indigne: Oui, la question migratoire est cruciale, plus que jamais peut-être car les boucs émissaires sont de plus en plus lourdement chargés et la mondialisation de l'ignominie encore plus forte que celle de « l'indif férence ». En temps de guerres comme en temps de pai x, qu'entend-t-on de la souffrance muette des « boucs en partance » devenus boucs en errance pu isqu' ils n'arrivent pas, ou si peu, ou si mal car si mal accueillis - centre de rétention administrative, fichage, arrachage d'empreintes, déni de minorité, refus d'asile, files d'attente interminables devant des préfectures dont le service étranger se spécialise dans le non accueil - qu'entend-t-on de leur désespoir discret quand seule la mort les rend visibles, un temps très court, dans quelqu es brèves ? Par fois en partance dès avant naitre ou à l'aube de leur existence, leur odyssée n'a en fait ni début ni fin. Les migrants de tout poil, ces voyageurs de tous sexes avançant en tous sens sont devenus des fardeaux que l'Occident voudrait cantonner derrière ses lisières comme on tentait de maintenir les loups et les ogres au plus profond des noires forêts médiévales. Malheur à ce lui qui pointe son nez à l'orée de notre monde faussement ouvert. Oui, j'entends parler de corridors humanitaires, de règles sécuritaires, de Frontex, de surveillance aux frontières, de présence militaire et j'imagine les crocodiles qui hantent ces eaux-là en embuscade, vaguement ensommeillés ou veillant prêts à punir, à surgir, à refermer le piège de leurs mâchoires sur la chair tendre des songes, à ramener le rêveur imprudent sur sa rive, mort ou vif. Oui, on nous dit les insurrections, les conflits, la faim, le rêve à portée d'antenne parabolique, mais pourquoi ne parle-t-on pas davantage de l'ordre inéquitable du monde qui broie les humains et les met sur les routes du néant seuls ou en hordes déterminées et silencieuses? (voir le document)
En 2015, dans un dossier consacré aux "murs entre les hommes", différences détaille le système des "frontières High Tech"et conclut: Ainsi, entre ces dispositifs de hautes technologies et l'errance à laquelle les migrants sont confrontés, ces derniers arrivent difficilement à trouver un pays d'accueil. Ces dispositifs que les États s'emploient à légitimer, privent les personnes d'une vie digne et les empêchent d'accéder à leurs droits. (voir le document)

Une invasion, quelle invasion?

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Différences rend compte d'une action à Strasbourg, à l'appel d'un collectif d'organisations (dont le Comité local du MRAP de Srtasbourg), sur le thème: "Stop aux naufrages et disparitions de migrants en mer" et qui affirme: Pour enrayer l'hécatombe, il faut inverser la logique d'une Europe forteresse et permettre la mobilité internationale, autoriser l'accès au territoire européen et respecter les règles de protection internationale. Nous demandons aux parlementaires européens de regarder avec vigilance les actions de Frontex et d'exercer leur contrôle démocratique. Pour une Méditerranée solidaire, Pour la Liberté de circulation. Contre la violation du droit international...
Puis J.F. Quantin s'indigne: "Une invasion, quelle invasion?": Partout on affiche des effectifs, censés être effrayants, de migrants clandestins arrivés en Europe, principalement par la Méditerranée. En fait, en 2014, l'agence européenne Frontex en a recensé 274000. Mais ce qu'on oublie de rappeler en même temps, c'est que l'Union Européenne, c'est 507 millions d'habitants, et donc que cette invasion représente un apport ... de 0,05 % ! C'est en effet ingérable! .. .La majorité de ces migrants sont des victimes de guerres ou de régions du monde notoirement invivables, qui génèrent des millions de réfugiés : Syrie, Ethiopie, Erythrée ... Pour la seule Syrie, on avance le chiffre de 4millions d'exilés. Où sont-ils? Massivement en Jordanie, en Turquie, au Liban : ce petit pays en héberge 1,5 M. Et l'Europe, elle, en accueille un nombre dérisoire: la France se ridiculise en en affichant glorieusement 500, l'Allemagne 5 000 et seule la Suède accorde automatiquement l'asile aux Syriens qui arrivent chez elle. Pendant ce temps, ce sont les pays voisins des conflits, souvent démunis eux-mêmes, qui accueillent l'essentiel des réfugiés. Dans le classement du HCR, les pays qui comptent le plus de réfugiés sont de loin le Pakistan et l'Iran...Ces migrations dramatiques en Méditerranée seraient dues aux passeurs? Bien sûr, des mafias criminelles exploitent honteusement la situation. Mais quelle situation? Celle d'un monde où des hommes sont contraints à la seule perspective de migrer et où d'autres régions font tout pour les repousser. Cette situation, les passeurs l'exploitent, ils ne la créent pas. Et plus on érigera des « murs », plus on rendra indispensable et inévitable cette industrie ignoble du passage. Prétendre lutter contre les passeurs est non seulement vain mais parfaitement hypocrite... La réalité, c'est que rien ni personne n'a jamais empêché ceux qui ne peuvent plus ou ne veulent plus vivre chez eux de chercher ailleurs un autre avenir, à n'importe quel prix. Pour spectaculaire et douloureux que soit ce phénomène, il ne faut d'ailleurs pas croire qu'il bouleverse la géographie de l'humanité : l'ONU compte actuellement 220 M de migrants dans le monde, c'est à dire 3% des 7 Mds que nous sommes, dont la moitié seulement se trouvent dans les pays de l'OCDE (les 28 pays les plus riches). Et il n'est pas sûr que la liberté de circulation et d'installation que prônent nombre d'associations, dont le MRAP, changerait significativement ces masses. Bien au contraire, de plus en plus de chercheurs pensent que la répression ne modifie pas réellement les mouvements de population. L'ouverture des frontières (dans un premier temps la facilitation des visas) éviterait simplement le caractère dangereux et inhumain que prennent actuellement ces mouvements. Elle éviterait aussi que des peuples construisent des fantasmes d'invasion qui les amènent à se dresser les uns contre les autres, au lieu de construire ce qui se ra inévitablement le « village planétaire ». (voir le document)

Des ponts, pas des murs

Le MRAP est signataire d'un appel commun de nombreuses associations: "Contre les naufrages en Méditérannée, des ponts pas des murs!". Les signataires expriment leurs revendications urgentes:
Après les drames qui, en Méditerranée, ont provoqué la mort et la disparition d'au moins 2 000 personnes depuis le début de l'année, les chefs d'Etat réunis lors du Sommet extraordinaire de l'Union européenne le 23 avril ont fait le choix, non pas de sauver des vies, mais de renforcer un arsenal sécuritaire en grande partie responsable de ces drames.En vingt ans, plus de 20 000 morts aux frontières européennes : nos organisations sont consternées par cette politique de non-assistance à personnes en danger.
Face à ces renonciations répétées aux valeurs fondatrices de l'Union européenne, elles ont décidé d'agir ensemble pour exhorter les responsables politiques français et européens à mettre en oeuvre une autre politique, qui soit conforme au respect de la vie et de la dignité humaine. Devant l'urgence, nos organisations ont exposé, dans un texte commun adressé au Président de la République, les revendications suivantes : - mettre en oeuvre sans délai une véritable opération de sauvetage en mer, dotée de moyens à la hauteur des besoins et portée par l'ensemble des Etats membres, à même de prévenir les naufrages et de secourir efficacement toute personne en détresse. - mettre en place un mécanisme d'accueil des personnes migrantes et réfugiées sur la base de la solidarité entre Etats membres, en activant en particulier le dispositif prévu par la directive européenne du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées. - ouvrir des voies d'accès au territoire européen pour les personnes migrantes et réfugiées, dans le respect du droit international et européen. - bannir en matière de migrations toute coopération avec des Etats tiers, d'origine et de transit, qui ne respectent pas les libertés et droits fondamentaux.
Puis Différences s'inquiète du pire des murs: la xénophobie. "Car ces solutions, elles sont à portée de main et même plus ou moins évidentes. Non seulement les ONG, mais certains politiciens lucides les nomment : il faut ouvrir des voies légales d'entrée pour les réfugiés, ne serait-ce que pour les sortir des griffes des mafias de passeurs ; il faut organiser leur accueil équilibré dans l'ensemble de l'Europe, ce qui ne pose bien sûr aucun problème matériel ou économique dans cet ensemble de 500 millions d'habitants. Mais l'obstacle est politique. Et les autorités, qui voient bien qu' il faut au minimum« faire quelque chose». se heurtent à un mur qu 'elles ont ell es-mêmes contribué à construire, le pire des murs : celui de la xénophobie. Quand la Commission Européenne propose de répartir modestement 40 000 réfugiés (disons plutôt symboliquement : le petit Liban en accueille 1,3 M ... ), la levée de bouclier des Etats est telle que le projet est abandonné. Quand le gouvernement italien veut distribuer sur son territoire les victimes qui échouent sur ses côtes sud, les autres régions s'insurgent. Quand la mairie de Paris suggère qu' il faudrait mettre à l'abri les quelques centaines de personnes qui croupissent sur les trottoirs, tous les arrondissements et communes de la région s'écrient : oui bien sûr, mais pas chez nous !" (voir le document)
A l'occasion de la journée internationale des migrants, le MRAP réaffirme ses orientations: "Le 18 décembre est la journée internationale des migrants. A cette occasion, le MRAP rend d'abord hommage aux milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui chaque année trouvent la mort au cours de cette périlleuse entreprise qu'est dans notre monde la tentative d'aller chercher dans un autre pays refuge ou vie meilleure. Ses militants apportent tout leur soutien et leur aide à ceux qui doivent surmonter les pires épreuves, physiques ou administratives, pour trouver la paix et un avenir dans notre pays. Les 230 millions de migrants dans le monde ne sont que 3% de la population, mais ils usent d'un droit naturel et éternel de l'homme à se déplacer sur la planète. Quelquefois volontaires, ces changements de pays sont le plus souvent dus à la nécessité de fuir des guerres, des oppressions ou une misère devenues insupportables. Les changements climatiques vont encore engendrer de nouvelles migrations. Mais les politiques d'immigration de la plupart des États ont des conséquences humanitaires désastreuses, en particulier aux frontières de l'Europe, causant des morts par milliers. La politique d'expulsions forcées, brutale et inhumaine, doit cesser. Le MRAP exige que les Etats européens mènent une autre politique migratoire qui tienne compte des réalités. Il refuse les accords qui limitent la circulation et l'installation des migrants extra-européens en Europe. (voir le document)

Les migrations aujourd'hui et demain

En 2017, Le MRAP organise un colloque: "Les migrations, aujourd'hui et demain." Il se fixait comme objectif de faire un état des lieux objectif et à l'échelle mondiale des phénomènes migratoires. Il partait de l'idée que la perception de ces phénomènes par la population française est trop européo-centrée et que les militants euxmêmes, dans leur lutte quotidienne contre la xénophobie ambiante, sont influencés par cette vision déformée des réels mouvements de population dans le monde.
Pour opposer les réalités de la question aux fantasmes et aux angoisses, le MRAP a souhaité s'ouvrir à une vision plus globale et plus informée des migrations mondiales, de leur répartition géographique, de leurs causes diverses, anciennes ou plus récentes, comme les causes environnementales. Mais il voulait aussi ouvrir le débat sur la question trop peu traitée de l'avenir possible des migrations, non plus considérées comme une fatalité qu'on subit, mais comme une composante normale de l'humanité...
Le représentant de l'UNHCR précise les données: "Situons d'abord les volumes : il y a actuellement dans le monde 65 millions de «déplacés» (tous ceux qui ne peuvent plus vivre chez eux). Parmi eux, on compte 21 millions de déplacés internationaux (hors de leur pays), mais seulement 2,1 millions de personnes bénéficient du statut international de «réfugiés», auxquels il faut ajouter 3,2 millions de demandeurs d'asile, en attente d'une réponse.
Enfin, c'est moins connu, il y a dans le monde 10 millions d'apatrides...Il faut également avoir une vision géographique de la question. Le Moyen Orient accueille 39% des réfugiés, et l'Afrique en accueille 29%. L'Europe est donc bien loin, avec seulement 6% des 21 millions de déplacés internationaux."
Catherine Wihtol de Wenden..."attire notre attention sur d'autres aspects actuels des migrations. D'abord sur leur généralisation. Autrefois, il y avait clairement quelques zones d'émigration (comme l'Europe jusqu'au milieu du siècle dernier) et des zones d'immigration (comme les Amériques). Or on peut dire que les migrations se sont généralisées, non pas tant en masse qu'en diffusion : progressivement, la plupart des pays du monde sont devenus à la fois des pays de départ, des pays de transit et des pays d'accu eil. Toutefois, la grande majorité des déplacements restent régionaux, à l'intérieur de grandes zones comme l'Europe, l'Afrique, l'Asie du sud-est ou l'Afrique. Et globalement, contrairement à une croyance répandue, les déplacements « sud-nord » sont à peu près équivalents à ceux « nord-sud».
Parmi les autres tendances générales, il y a également la féminisation 51% des « migrants » sont maintenant en réalité des migrantes! On constate aussi l'apparition d'une proportion importante de migrants mineurs et isolés.
Mais quelles sont donc les raisons qui rendent inévitables, «structurelles», les migrations actuelles? Il ya bien sûr les profonds déséquilibres du monde. Le déséquilibre économique d'abord, qui fait que l'écart de richesse se creuse entre des zones minoritaires où s'accumulent les richesses et une majorité de l'humanité qui reste installée dans la misère. Il se croise avec un autre déséquilibre, celui de la démographie: des pays, voire des continents, commencent un réel déclin démographique, alors que d'autres, l'Afrique en particulier, sont encore dans la transition démographique, avec une forte croissance de population. Ce croisement peut se résumer dans une formule simple mais finalement juste : il y a des pays vieux et riches et des pays jeunes et pauvres. Qui peut croire que ce double déséquilibre peut être traité uniquement à l'aide de murs? De pl us, et c'est nouveau, cette situation se développe sous le feu d'une circulation de plus en plus intense de l'information, de l 'image et des personnes: les pauvres ne sont pas seulement pauvres, mais ils le savent ! Et ils savent qu'ailleurs une autre vie est possible, avec d'autres situations d'habitat, de santé, de travail. .."
Marie-Christine Vergiat, députée européenne, après avoir elle aussi rappelé la réalité chiffrée des migrations dénonce: "En dépit de ces réalités, l'Europe a bien, contrairement à ce qu'on dit, une politique sur les migrations. Le problème, c'est que cette politique est fondamentalement axée sur la répression des arrivées. La méthode à la mode depuis une vingtaine d'années est celle de l'externalisation des contrôles. C'est ce qu'on appelle «le processus de Karthoum ». Il consiste à passer des accords avec les pays du sud de la Méditerranée (pays de transit) ou du reste de l'Afrique (pays de départ). Ces accords, qui reposent en fait plutôt sur des chantages, tendent à marchander une aide au développement contre une fermeture de leurs frontières par les pays eux-mêmes...Sur la question des Roms, on voit aussi la difficulté à faire vivre un cadre européen qui intègre bien, théoriquement, la citoyenneté européenne des Roms qui sont dans I'UE (Roumanie, Hongrie), mais exclut ceux qui n'y sont pas (Kosovo, Serbie, ... ). La crispation des Etats sur leur souveraineté empêche l'évolution vers un véritable droit communautaire...
Enfin Gilles Lemaire souligne la difficulté d'évaluer les mouvements migratoires dans l'avenir en tenant compte endu changement climatique: "Les événements environnementaux ne se limitent certes pas au réchauffement climatique, on peut penser par exemple à la déforestation. Mais on sait quand même que l'ONU estime actuellement à quelque 250 millions de « déplacés » les victimes de changements du climat, et que, au-delà de 2 degrés de réchauffement, ce nombre pourrait doubler d'ici 2060. Une prévision difficile, car aux effets directs connus, comme les sécheresses, les famines, l'inondation des zones littorales (de plus souvent urbaines), il faudrait penser aussi aux conflits nouveaux qui pourraient naître autour de la terre ou de l'eau. Ce n'est qu'une raison de plus d'intégrer les migrations dans notre façon de penser le monde, celui dans lequel nous vivons et celui que nous voulons. Pour cela, il faudra d'abord s'attaquer à démonter les politiques actuelles et surtout les peurs sur lesquelles elles s'appuient dans l'opinion publique. Les principales peurs sont par exemple la crainte d'une menace sur les régimes soc iaux européens. Alors que c'est le contraire : l'apport d'une population jeune est la seule garantie de systèmes qui auront en charge une population européenne inéluctablement vieillissante.
Une autre crainte récurrente est le chômage, alors que toutes les études montrent que l'immigration vient en réalité occuper des secteurs en déficit de main d'oeuvre et qu'une augmentation de population est en elle-même une source de développement. D'autres fantasmes sont à combattre, comme l'angoisse culturelle ou identitaire, l'histoire des nations montrant au contraire que la richesse culturelle d'une civilisation se construit avec des apports extérieurs permanents. Quant à l'argument du terrorisme, une étude attentive des faits prouve qu'il n'est pas le fait, pour l'essentiel, d'éléments importés. Alors oui : préparer l'avenir, c'est d'abord assumer un immense travail d'explication, c'est convaincre que les migrations ne sont pas un danger à surmonter mais un élément normal de la vie qu'il faut aménager de façon positive. (voir le document)

Établissant un état des lieux dans Paris, le comité 5/13éme s'indigne: "Plus que jamais il faut dénoncer l'hypocrisie de notre République qui affiche une volonté d"'accueil" et cependant maintient pendant des mois, voire des années, par dizaines de milliers, des hommes et des femmes dans l'angoisse de leur avenir et dans l'impossibilité de s'intégrer à la société grâce à un travail déclaré. Aucune action de solidarité ne devrait être pénalisée. Les migrants confinés dans les centres doivent être rendus libres de circuler, en mesure d'accepter les offres de travail et d'installation qui pourraient leur être faites et d'imaginer, seuls ou en groupes, toute forme originale d'intégration dans la société française."
De même le comité de Vitry/Ivry souligne l'élan de solidarité citoyenne autour de l'ouverture d'un centre d'hébergement d'urgence, mais insite: "l'État ne peut se contenter des élans de solidarité venant d'élus locaux et de la population. Il doit aller plus loin et étendre l'ouverture de nouveaux centres à toute l'Île-deFrance."...Toutes ces initiatives qui ont eu lieu autour de l'arrivée de ce CHU montre que nous sommes nombreux à refuser l'Europe forteresse que nos gouvernements construisent." Les comités de Paris 17/18 et 19/20 expriment la même inquiétude. (voir le document)
A l'occasion des premiers états généraux des migrations (EGM) J.P. Raoult représentant du MRAP au CNCDH relate: "J'ai rencontré, le 2 janvier 2018, dans le cadre d'une mission de la CNCDH, où j'accompagnais sa présidente Christine Lazerges, des acteurs de cette solidarité, notamment membres de « Tous migrants » J'ai été impressionné par l'ampleur et l'efficacité de cette mobilisation : à cette date, 150 foyers dans cette petite région accueillaient des personnes auxquelles sont dispensés soutien matériel, médical (avec l'aide du Secours en montagne et de l'hôpital), moral et administratif. J'ai été frappé par l'incohérence de l'attitude des autorités, qui varie de certains cas de bienveillance à des comportements scandaleux tels des reconduites immédiates à la frontière ou le tri des mineurs. Je suis revenu de cette rencontre avec un mélange d'indignation et d'espoir. (voir le document)

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