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Sommaire du numéro

n°268 de octobre 2008

  • L'opposition bolivienne tente le passage en force par Sébastien Brulez |Amérique latine]
  • Retour de Palestine par France Weyl [moyen-orient]
  • Xénophobie d'état, xénophobie de gouvernement par Christian Delarue
  • Mumia Abu-Jamal: un nouveau déni de justice
  • Dossier: état d'urgence dans le monde face aux émeutes de la faim, sous la responsabilité de R. Le Mignot et B. Hétier
    • Faim et FMI un communiqué du CADTM
    • La nourriture en Afrique par Odile Tobner (SURVIE)
    • Déclaration de la 7e édition du forum des peuples à Koulikourou
    • L'iniquité de la dette: interview de Paul Muzard
    • Faim dans le monde et flambée des prix: une réforme de fond en comble s'impose par Oxfam
    • Pour d'autres politiques agricoles et alimentaires en Europe: une nouvelle régulation internationale par ATTAC
    • La planète alimentaire rongée par la gangrène libérale par Gérard Le Puill
    • Biocarburants et crise alimentaire par Salim Lamrani
    • Réfugiés de la faim par Jean Ziegler
  • Dunkerque: le nouveau Calais
  • Supplément: Albert Lévy, une vie debout, Merci Albert
    • Allocution de Charles Palant
    • Hommage de Moujoud Aounit à Albert Lévy
    • Éloge d'Albert Lévy par François Grémy
    • Extrait d'un entretien avec Albert Levy
    • Mémoire du MRAP: témoignage d'Albert Lévy


Numéro au format PDF

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Texte brut du numéro

· , 1 erences Albert LÉVY, une vie debout « Diffél'ences » 43, bd de Ma"Qenta - 75010 PAR15 Tél.: 01 53 389999 - Fax: 01 40 40 90 98 mail: jcd.dif@wanadoo.fr 6€ le numéro / Abonnement: 21€ [4 numéros/an) Collectifs de direction DiT'ecteuT' de la publication: Mouloud Aounit DiT'ecteuT' de T'édaction * : J,-C. Dulieu Responsable de publication* : Palmyre Bur"Qaletta Assistant pT'od./T'édaction * : J . Grzelczyk AdministT'atT'ice* : M.-A. Butez [ * ) : Bénévoles Conception/lmpT'ession: Marnat -Tél.: 01 56 80 0919 Commission paT'itaiT'e n° : 0108H82681 Dépôt lél!al : Juillet 2007 Déjà 6 ans! Courant 2002, la question du devenir de notre journal était fortement posée. Je proposais de relever le défi en transformant notre journal en une revue trimestrielle exclusivement basée sur le bénévolat. Un défi fou! Et pourtant 6 ans sont passés et 24 numéros de qualité ont été édités. J'espère que, pendant cette période, « Différences» a su devenir un outil efficace entre les mains des militants que vous êtes. Aujourd'hui, pour des raisons d'ordre personnel et comme je l'ai annoncé à la direction du mouvement en juin dernier, je suis obligé de quitter cette belle aventure. Je tiens à remercier et à féliciter les amis qui y ont participé; tout particulièrement Marie-Annick Butez, Palmyre Burgaleta, Paul Muzard, Serge Golberg, Fatma Braik et Johan Grzelczyk. Je souhaite bonne chance à la future équipe. Jean-Claude Dulieu L'OPPOSITION BOLIVIENNE TE TE LE PASSAGE EN FORCE par Sébastien Brulez, journaliste, animateur du blog http://voixdusud,blogspot.com Le référendum du 10 août dernier a réaffirmé la légitimité du premier président indigène de Bolivie. Élu en 2005 avec 53,7% de voix, Evo Morales a en effet été réélu par plus de 67% des électeurs. Mais ses principaux opposants, les préfets autonomistes des riches départements de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija, ont également été ratifiés lors de ce scrutin. Ils parient désormais sur un passage en force pour tenter d'enrayer le processus de transformations sociales en marche. « Nous démontrons une fois de plus que le Beni est unis, qu'il va défendre son autonomie et ses recettes provenant de l'IDH (Impôt direct sur les Hydrocarbures). Ces manifestations ne sont rien d'autre que l'exécution d'un plan que nous avons élaboré pour la récupération de l'IDH ». Telles sont les déclarations du président du Comité civique juvénile du Beni, José Luis Pefiafiel, après la prise des installations du Service départemental d'Education de cette région du nord du pays. Durant l'action menée par les membres du Comité, un dirigent paysan et une femme furent malmenés par les assaillants. Ce type d'action est devenu monnaie courante depuis l'échec de l'opposition bolivienne de révoquer le président Morales par les urnes. Voyant le vent tourner, les préfets autonomistes avaient même un moment envisagé de boycotter un référendum qu'ils avaient eux-même exigé. Le 15 août dernier, les membres de l'Union des Jeunesses de Santa Cruz ont essayé d'occuper par la force le siège départemental de la Police nationale. Les membres de cette organisation de droite radicale ont attaqué les installations policières à jets de pierres, bâtons et pétards. Selon l'aveu de Pefiafiel, les opposants à Evo Morales n'hésiteront pas a exécuter « de telles mesures radicales» dans les prochaines semaines, notamment pour récupérer les recettes provenant de l' IDH. Sur décision du gouvernement bolivien, 30% des recettes de cet impôt (l'équivalent de 166 millions de dollars par an) destinées aux régions, sont actuellement utilisées pour financer les retraites des personnes de plus de 60 ans, sous le nom de « Rente de la Dignité» (Renta Dignidad). Le panorama reste complexe Les mesures sociales comme la Renta Dignidad, les politiques d'éducation pour tous appuyées par un plan d'alphabétisation avec l'aide de Cuba et du Venezuela, ainsi que la politique de nationalisation et de récupération des ressources naturelles, entre autres, ont convaincu 67,41% des boliviens (2 103 732 personnes sur 3 120 724 votes valides) de permettre à Evo Morales et à son vice président, Alvaro Garda Linera, de terminer leur mandat Lors du scrutin du 10 août, les préfets de huit des neuf départements du pays se sont également soumis à référendum. La neuvième, Savina Cuellar (1), du département de Chuquisaca, venait d'être élue en juin suite à la démission de l'autorité précédente et n'a donc pas dû se soumettre à l'épreuve des urnes. Deux préfets d'opposition ont été révoqués, il s'agit de Manfred Reyes de Cochabamba et de José Luis Paredes de La Paz. Du côté des appuis à Evo Morales, tous ont été 3 4 Notes: (1) Savina Cuellar est une dirigeante indigène qui a rallié les rangs l'opposition. Elle fut membre de l'Assemblée constituante à laquelle elle fut pourtant élue sur la liste du MAS (Mouvement au Socialisme, parti d'Evo Morales). Avant cela, elle avait appris à lire avec la méthode cubaine d'alphabétisation « Yo sr puedo ». (2) L'USAID (United States Agency for International Development) avait déjà été exclue de la région indigène du Chapare pour les mêmes motifs, avec l'appui massif des mouvements sociaux locaux.

  • Pour l'instant, le référendum est fi xé

au 25 janvier 2009 Un collectif national de solidarité avec la Bolivie a été créé à l'initiative du MRAP et de France Amérique Latine Il regroupe pour l'instant: Altercultures, Américains contre la Guerre, América Latina El Chasqur ' Publicaciones, ATTAC France, Cercle bolivarien de Paris, CIALN (Comité d'Information sur l'Amérique Latine de Nanterre), Comité Pro'Bolivia, Confédération Paysanne, Collectif communiste Polex, Coordination Populaire Colombienne à Paris, Cuba Si France, Forum Social d'Ivry, France Amérique Latine, France Cuba, Les Alternatives, Les Verts, Ligue Communiste Révolutionnaire, Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les peuples, Parti Communiste Français, Petite Amérique, Racines Cubaines, Pour la République Sociale, Tribunal International d'Opinion' Affaire sud de Bolivar (Colombie), Union des Associations latino'américaines en France ... confirmés dans leurs fonctions. Après dé· pouillement de 100% des urnes, la Court na· tionale électorale (CNE) a annoncé fin août la ratification de justesse d'Alberto Aguilar, du département d'Oruro, avec 50,85% des voix. Mais si le référendum révocatoire était censé clarifier le jeu politique, la ratification des préfets autonomistes, qui avaient orga' nisé des consultations régionales (considérées illégales par la CNE) en faveur d'une autonomie départementale, n'a pas permis de débloquer la situation. Appelés au dialogue par l'exécutif national au lendemain du 10 août, les leaders de l'opposition ont bien vite claqué la porte des négociations et appelé à la grève générale. Celle-ci ne fut suivie que partiellement mais les dirigeants ({ civiques» et les préfets d'opposition, réunis au sein du Conseil national démocratique (Conalde), ont ensuite annoncé fin août des blocages de routes, l'occupation d'installations pétrolières et la fermeture de valves de gazoducs, notamment dans la région de Santa Cruz. Et ce de manière indéfinie jusqu'à obtenir la récupération de la totalité de l'IDH pour les budgets départementaux. Le 22 août, un porte-parole du Comité civique de Tarija avait même déclaré ne pas exclure des actions plus radicales allant jusqu'à « obliger» le gouvernement du président Morales à ({ rendre ce qu'il a volé ». Face à ces menaces, le gouvernement bolivien a sommé l'armée de garantir la sécurité des installations gazières et pétrolières, principales ressources économiques du pays. L'exécutif a également répondu par un décret établissant des sanctions aux préfectures, mairies ou fonctionnaires qui se feraient écho de telles actions. Selon l'Agence bolivienne d'Information (ABI), les coûts qui découlent de la réparation et de la remise en marche des installations affectées par les blocages, ainsi que les pertes occasionnées à l'Etat, devront être assumés par les entités concernées. Retarder l'approbation de la constitution Malgré sa victoire dans 95 des 112 provinces du pays, Evo Morales n'a pas obtenu la reconnaissance espérée d'une opposition qui se radicalise de jour en jour. Le référendum révocatoire était déjà un stratagème avancé par la droite pour retarder l'approbation de la nouvelle constitution,les revendications sur l'IDH en sont un autre. Le gouvernement bolivien doit maintenant s'atteler à convoquer de nouvelles élections à Cochabamba et La Paz pour remplacer les préfets révoqués, ainsi qu'à faire voter la nouvelle constitution. Rédigé par une Assemblée constituante, le nouveau texte fondamental fut approuvé en décembre dernier par celle-ci, malgré le boycott des partis de droite. Fin août, Mr. Morales avait annoncé la réalisation des deux scrutins régionaux (Cochabamba et La Paz) pour le 7 décembre prochain, ainsi que la tenue du référendum national sur le texte constitutionnel. La journée devait également inclure une consultation populaire sur le nombre maximum d'hectares autorisés pour les propriétés terriennes privées (5 000 ou 10 000 hectares), article qui figure dans le projet de constitution et qui n'a pu être tranché par l'Assemblée constituante. Cependant, quelques jours plus tard, la Court nationale électorale rejetait le décret émis par le Président de la République et exigeait que la convocation se fasse par un projet de loi qui doit maintenant être approuvé par le Congrès. La date du prochain référendum reste donc encore floue (*), d'autant plus que l'opposition va essayer de bloquer ce projet de loi au Congrès. La ratification d'une nouvelle constitution, qui permettrait une réélection du président Morales et enclencherait surtout la mise en oeuvre d'une réforme agraire interdisant les propriétés agricoles de plus de 5 000 ou 10 000 hectares, n'est pas du goût des latifundistes locaux. Certains d'entre eux sont en effet à la tête d'exploitations pouvant aller jusqu'à 200 000 hectares. Pour empêcher cela, beaucoup sont prêts à aller jusqu'au bout. C'est le cas par exemple du président du Comité civique de Santa Cruz, Branco Marinkovic. Fils d'immigrés croates collaborateurs du régime oustachi, il est aujourd'hui à la tête d'une grande entreprise dans l'industrie du soja et, entre autres, ex président de la Fédération des Entrepreneurs privés de Santa Cruz. La haine raciale qui anime également ces secteurs a occasionné en mai dernier des actes d'humiliation de paysans indigènes dans la ville de Sucre, capitale du département de Chuquisaca. Ceux-ci furent à moitié dénudés, rués de coups et obligés à marcher à genoux, et leurs vêtements brûlés sur la place publique. Ambassadeur US persona non grata Récemment, le 10 septembre, le président Morales a déclaré persona non grata l'ambassadeur des Etats-Unis en Bolivie, Philip Goldberg, et exigé son départ du pays. Goldberg, qui avait occupé par le passé le poste de chef de mission à Pristina, au Kosovo, est accusé par les autorités boliviennes de ({ conspirer contre la démocratie et promouvoir la division de la Bolivie ». Cette mesure n'est que l'aboutissement d'une série de plaintes officielles du gouvernement bolivien face à l'administration étasunienne. A plusieurs reprises, La Paz avait accusé Goldberg d'exercer des fonctions qui allaient au-delà de la simple mission diplomatique, et notamment de soutenir financièrement les groupes d'opposition à Morales (2). Enfin, accident ou sabotage, l'hélicoptère Super Puma prêté par le Venezuela et qui transportait régulièrement le président Morales s'est mystérieusement écrasé en juillet dernier, lors d'un vol entre Cochabamba et la ville de Cobija à la frontière brésilienne, tuant 4 militaires vénézuéliens et un bolivien. Le préSident Morales, qui aurait dû utiliser l'appareil quelques heures plus tard, affirma par la suite que ({ le processus de changement continuera à coûter du sang, pour certains en luttant et pour d'autres, comme ces pilotes, en servant le peuple bolivien ». 'Q uand on est un peu militant, on part là bas avec l'idée qu'on sait et qu'on va approfondir ce que l'on sait, et voir pour de vrai ce que l'on sait et que l'on a vu à la TV. C'est bien la première et plus grossière erreur: on ne sait rien de rien et c'est sans doute ça le plus grave. On ne sait rien et ce que l'on croit savoir est à des lieues de la réalité, et la réalité est indicible, inconcevable pour un esprit humain normalement constitué, ayant un minimum de références civiques et historiques. Je voudrais raconter mes rencontres avec les ({ arabes israéliens» qui refusent qu'on les appellent ainsi car ils sont des palestiniens, l'ostracisme et les graves discriminations pour ne pas dire apartheid dont ils sont les victimes en Israël. Je voudrais partager ma soirée sur le toit du camp de Balata où une mamie et sa fille me racontaient leurs exodes de 1948 et de 1967 dans de grands éclats de rire, et la peur de cette même mamie à l'idée des incursions de chaque nuit de l'armée israélienne dans le camp. Je voudrais vous décrire la vieille ville d'Hebron dont les colons israéliens ont décrété qu'elle était leur, et qui avec la protection de l'armée la vident avec la plus grande brutalité d,e toute présence palestinienne. Je voudrais vous parler de tous ces palestiniens que j'ai rencontrés, de leur force tranquille et pacifique, de leur gentillesse et de leur ardeur, eux qui nous réconfortaient quand ce qui nous était donné à voir était trop dur! Je pourrais aussi vous parler de la libération de 200 prisonniers palestiniens et la fête à laquelle elle a donné lieu et vous interroger à cette occasion : savez-vous que le plus vieux prisonnier du monde était palestinien? Il a été libéré ce jour là après 31 ans de prison ... Savezvous que plus de 11000 personnes sont actuellement détenues (ou même seulement retenues sans procès) dans les prisons israéliennes, dont 300 enfants traités de la même manière que les adultes, traitements inhumains et dégradants compris? Israël, considéré par la communauté internationale comme un État de Droit ( démocratique), bafoue tous les principes les plus élémentaires du droit international. Peut-être (et en tout cas pour moi) le plus symbolique, le plus intolérable, le plus grave au sens du droit international et des droits humains est la construction du Mur par son objet et ses effets, et par l'immense mensonge qui l'entoure. Il suffit de passer quelques jours en Palestine, TO, pour comprendre que ce mur n'a aucune vocation de préserver la sécurité des israéliens contre des attentats kamikaze: son tracé est éloquent tant il s'éloigne des frontières de 1967 sur lesquelles portent les accords d'Oslo. Le ({ no mans land » qui l'entoure est constitué de terres agricoles prises aux palestiniens : des kilomètres de routes goudronnées encadrées soit de barbelés, soit de mur de bétons qui sillonnent la campagne. Combien d'oliviers, d'amandiers, de vignes abattus et détruits et chaque fois sur des terres palestiniennes? Il s'agit de chasser les palestiniens de leurs terres. Les palestiniens que j'ai rencontrés parlent de la troisième Nakba. Car il s'agit de le faire ({ en douceur », sans véritable effusion de sang : la communauté internationale ne tolère rait pas une réédition de 1948 et de 1967. Alors pour les chasser de chez eux il faut leur rendre la vie impossible: on leur prend leur terres pour y construire le mur, on détruit les vergers, les oliviers, les cultures. C'est cela le véritable objet du mur: prendre la terre et enclaver ce qui reste des villages et des terres palestiniennes pour y enfermer les palestiniens qui ne peuvent en sortir sans autorisation des israéliens et sans passage de check-point ou de tout autre point de contrôle ( il en est 711 à travers ce que l'on appelle la Cisjordanie). Car le Mur et l'occupation de la Cisjordanie par Israêl c'est aussi, et par voie de conséquence, le contrôle et la présence de l'armée israélienne partout. En si peu de temps je n'ai pas tout vu, mais j'ai fait l'expérience de points de contrôles volants imprévisibles qui tout d'un coup bloquent une file de voitures pendant plusieurs heures sous un soleil de plomb: peu importe où ils vont, ce qu'ils ont à faire, s'il y a des enfants ou des personnes âgées; il faut attendre le bon vouloir des militaires et les palestiniens attendent! Et puis j'ai aussi fait l'expérience des points de contrôle fixes, dont les check-points, du plus frustre ressemblant à un passage de frontière ordinaire, au plus ({ élaboré» : passage étroit entre deux murs de grillages, tourniquet, repassage entre grillages, retourniquet (derrière lequel se trouve l'individu armé invisible qui hurle les ordres ({ avance recule arrière papier ... ») pour, derrière le tourniquet, se retrouver devant un scanner et un portique. Mais comment décrire et faire comprendre ce que cela représente vraiment? Soit les mots sont trop plats, soit ils sont trop violents car il est des comparaisons que nous ne sommes pas autorisées à faire. Je n'en ai pas passé beaucoup, je ne les ai pas passé en conditions extrêmes aux heures de plus forte affluence et pourtant à chaque fois une idée, des images ne m'ont pas quittées: ({ Le pianiste» de Roman Polanski ou le marquage du bétail dans les films de cow-boys ... J'en suis sortie, et je suis revenue de Palestine, pleine de colère et d'une sorte de honte: comment la Communauté Internationale, si prompte à réagir en d'autre cas, peut-elle continuer à tolérer cela, et le mépris, les violations permanentes des droits les plus élémentaires ? Faudra-t-il qu'un jour on nous dise ({ on ne savait pas» ? Mais je suis aussi revenue avec une impérieuse envie de me battre et d'y retourner! 5 6 , XENOPHOBIE D; ÉTATI XENOPHOBIE DE GOUVERNEMENT par Christian DElARUE. membre du Bureau exécutif et du Conseil d'administration du MRAP Le bureau a décidé de poursuivre la réflexion engagée dans le MRAP à la suite de la publication dans « Dif" férences » (n0265) des analyses de Jé" rôme VALLUY sur la xénophobie de gouvernement telles qu'il les a présentées lors du colloque sur les migrations le 20 octobre 2007. Ma présente contribution prolonge cette réflexion. Pour l'auteur, l'absence de cristallisation et le fait que nous soyons dans un Etat de droit empê" cheraient de parler de xénophobie d'Etat. Mon propos s'oppose à ces objections. Sans doute sommes"nous dans un Etat de droit; mais lequel? Sans doute n'y a"t"il pas cristallisation mais, pour autant, la xénophobie ne plane pas dans les airs ... Par ailleurs, ainsi qu'il le développe, elle n'est pas simplement le fait de l'extrême droite ni le fait des seuls élites ayant accès aux médias. En consé" quence de quoi je vais vous présenter une analyse en défense de la xénophobie d'Etat qui va jusqu'à évoquer l'hypothèse d'un Etat xénophobe. Le terme xénophobie d'Etat est de plus en plus employé notamment suite à un texte de sensibilisation d'Olivier LE COUR GRANDMAISON qui a été relativement dif" fusé eu égard à ce qui peut s'écrire ailleurs dans des cercles plus confidentiels. Si xénophobie d'Etat il y a c'est qu'un contexte extérieur y pousse ou du moins le permet. Ce contexte a pour nom néoli" béralisme. 1 - Le cadre extérieur de l'Etat xénophobe: Il s'agit ici de décrire brièvement sous trois points un contexte porteur, favorisant la xénophobie d'Etat. " LE NEOLIBERALISME : Le néolibéralisme est le nom donné au monde contemporain qui apparaît comme plus instable, plus inégalitaire et hiérar" chisé qu'auparavant. Au"delà de ses ef" fets, il se définit comme la nouvelle phase du capitalisme qui est apparue dans les années 1980 et qui s'est pleinement déployé ensuite avec la globalisation financière. Le néolibéralisme est fondé sur 7 piliers destructeurs et non pas seule" ment le libéralisme politique et le libéra" lisme économique . " DEUX TYPES DE GUERRES MEUTRIERES: GUERRES (ARMEES) ET « GUERRE ECO" NOMIQUE» Les guerres génèrent la fuite massive des populations pour des raisons qui sont à la fois politiques et économiques. En tout cas je ne distingue pas à ce niveau d'explica" tion l'asile, l'exode, l'immigration « éco" nomique ». Le premier effet du néolibéra" lisme est de réinsérer les guerres et une dynamique guerrière quasiment partout sur la planète. Ce premier point mérite dis" cussion car la période antérieure n'était évidemment pas un monde de paix (ex : Israël/Palestine) mais la chute des pays de l'Est en 1989 et 1991 a ouvert une période de reprise des conflits armés. Le second effet du néolibéralisme est que la guerre proprement dite, disons « mi" litaire », n'est qu'une des formes des dé" gâts sociaux et écologiques qui sévissent durement sur la planète. C'est pourquoi il convient d'ajouter la « guerre économique « qui débouchent sur l'appauvrissement d'une majorité et l'enrichissement d'une minorité, sur le « mal développement» (ou développement inégal et combiné du ca" pital), sur la montée en puissance des mi" grations partout dans le monde. La pseudo théorie du « choc des civilisations» sert de ciment idéologique pour souder les « troupes» dans ces deux types de guerre. L'ensemble de ces phénomènes inter" nationaux liés au néolibéralisme mon" dial poussent fortement quoique se" Ion des formes variables à l'adoption d'une politique sécuritaire à l'intérieur des Etats. Le sécuritaire ne signifie pas nécessairement Etat xénophobe mais il le permet. " DEUX CADRES D'AFFRONTEMENT: OCCIDENT / ORIENT ET NORD / SUD Le premier type de cadre d'affrontement est partiellement trompeur car il reprend le thème du « choc des civilisations» de Samuel Huttington. Mais cette idéologie dangereuse est devenue une force ma" térielle et politique qui mobilise non seu" lement les Etats notamment via l'OTAN donc au travers de l'atlantisme mais aussi les acteurs économiques. En fait les USA enclenchent des guerres qui répondent à des analyses stratégiques éloignées de l'idéologie professée. Ils interviennent sur des zones précises de la planète" le Moyen Orient, la zone Irak - Iran, l'Afghanistan " à partir d'enjeux économico"politiques éloignés de l'apologie de la démocratie li" bérale et de l'économie de marché. Le second cadre d'affrontement évoque le renouvellement de l'impérialisme des grandes puissances contre les pays du Sud. S'agissant de la France et de l'Europe je pointe à ce titre d'une part les accords de partenariat économique" APE " élabo" rés sur le modèle de l'OMC à l'encontre des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifi" que" ACP " et d'autre part le système de la dette qui profite au Nord, à sa couche dominante au dépend du Sud. S'il importe d'évoquer le cadre extérieur pour repérer les contraintes qui poussent à la formation d'une xénophobie d'Etat, cela ne saurait suffire. Il faut aussi repérer les dynamiques internes qui agissent aus" si vers la constitution d'une xénophobie d'Etat et même d'un appareil d'Etat tour" née vers l'accomplissement d'une mission xénophobe. Il - La dynamique interne de consti" tution d'un appareil d'Etat xénophobe Pour une analyse complète il faudrait faire état de dynamiques contradictoires, donc aussi des résistances qui font obstacle à la constitution d'un réel Etat xénophobe. Cela n'a pas été fait. A) La réalité matérielle de la xénophobie d'Etat Un appareil d'Etat spécialisé dans le mal traitement des migrants L'Etat xénophobe possède non seulement un ministère spécialisé dans la réalisation de la mission et des objectifs xénophobes mais aussi des injonctions précises et très contraignantes à l'encontre des autres mi" nistères. Et il ne s'agit pas d'évoquer des ministères à forte composante « puissance publique» comme la police mais aussi des appareils d'Etat orientés« service public» comme les écoles, les administration so" ciales ou de santé. Plus cette ramification est étendue, y compris dans la Justice, et plus la caractérisation d'Etat xénophobe est pertinente. Cela suppose un président de la République qui impulse une politique xénophobe et un gouvernement qui en as" sure la déclinaison dans tous les appareils d'Etat. L'Etat xénophobe qui crée, entretient et reproduit la haine des étrangers (au point de les chasser ou de les maintenir dans un asservissement prononcé) se fonde sur des politiques qui sont bien antérieures à sa matérialité constitutive. Mais l'Etat xé" nophobe apparaît symboliquement et ma" tériellement comme tel aux yeux de tous quand un appareil administratif prend le nom d'un ministère spécialement chargé de la gestion « ferme» des politiques mi" gratoires. L'Etat xénophobe se voit alors doté d'un personnel spécifique et d'un budget financier conséquent pour accom" plir sa mission qui apparaît de plus en plus comme le « sale boulot» contre une large fraction de la population étrangère rési" dente. L'Etat xénophobe suppose par défi" nition un appareil administratif, des camps de rétention et une politique cohérente et globale qui ne cache pas ses objectifs: renvoyer chez eux certains migrants, en conserver d'autres dans la semi clandesti" nité pour les travaux particulièrement dif" ficiles et non réalisés par des nationaux, en accepter légalement une petite mino" rité décroissante. Le « sale boulot» : la xénophobie de l'Etat c'est la guerre aux migrants " le fichage sous des formes diverses le nom, la photo, l'estimation de l'âge, l'ADN •.. " le discours de la fermeté qui justifie une guerre sans merci contre les migrants " la traque de la police, la quantophrénie ou la politique du chiffre "les dégâts humains : souffrances, les morts, tout ce que vous savez sur la mal vie " la honte de voir cette politique élevée au titre insupportable de « priorité natio" nale » ! B) Le passé vecteur du présent sous deux formes. 1) L'Etat sécuritaire et policier (faisant suite à l'Etat socia/) prépare aussi l'Etat xénophobe L'Etat sécuritaire n'est pas arrivé tel quel sous l'effet de mode de ce qui se faisait aux USA en la matière. Avant de privilégier le « tout policier » l'Etat social a com" mencer par abandonner les politiques publiques tendant à bénéficier aux cou" ches sociales d'en"bas (avec des ni" veaux de vie variables et relativement garantis; l'Etat social ce n'est pas le socia" lisme) au profit d'une« politique de la ville» et des quartiers qui s'en prend aux effets de la crise mais pas à ses causes. Pour le dire un peu sommairement elle aménage le bâti et le cadre de vie mais ne réponds pas au chômage et à la précarité montante. En fait, et ce n'est pas toujours dit, c'est sur la base des insuffisances de l'Etat so" cial limité par le fait de son inscription au service du capital qu'apparaît une période transitoire constituée par les politiques de la ville qui aboutit assez rapidement à dé" velopper un Etat policier sécuritaire contre les classes dangereuses. Puisque le chô" mage est devenu de longue durée et que la précarité a cesser d'être exceptionnelle pour devenir la norme sociale, il est ap" paru des conditions matérielles réelles qui font que les couches sociales les plus défa" vorisées penchent plus facilement vers la délinquance. Mais la réalité du phénomène est dépassée par sa représentation phobi" que qui tend à voir globalement chez les jeunes ou chez les résidents étrangers des délinquants en puissance. L'idéologie s'est rajouté à ce mécanisme de distorsion pour confondre incivilité et délinquance quand la stigmatisations des couches dangereu" ses s'est affirmée. 2) Les autres facteurs idéologiques et juridiques Il y a aussi Sarkozy et sa campagne élec" torale qui a grandement participé en quelques mois à une « rupture », à une construction idéologique qui a valorisé une identité nationale mythique pour une nation fermée et menacée. La candidate socialiste n'a pas contré ce discours, bien au contraire. Je renvoie ici à un précédent exposé. Un discours économique abstrait et réifiant qui met « à plat » tous les flux humains ou non Le discours sur les« flux migratoires» réi" fie les hommes et les femmes qui migrent. Ce n'est pas faire de l'humanisme naïf mais au contraire porter un regard critique que de remettre les choses ou les processus abstraits à leur place c'est à dire comme inférieures aux humains. Dans le même mouvement de pensée les analystes sou" mis au néolibéralisme élèvent aux rang de choses sacrées ou du moins quasiment intouchables les autres flux (économiques notamment) qui eux sont sur"valorisés, fétichisés. L'Etat xénophobe est préparé par le « racisme présidentiel» èt une législation répressive des migrants. L'Etat xénophobe c'est aussi une construc" tion juridique plus ancienne, ayant pour acronyme CESEDA, qui concerne donc les dernières modifications de l'ordonnance de 1945 sur le statut des étrangers. On trouve antérieurement aux modifications CESEDA (de Sarkozy aussi d'ailleurs) des mesures sévères à l'encontre des migrants. Danièle LOSCHAK a parler d'un infra"droit il y a bien longtemps. Or ce droit frelaté n'a cessé de pourrir pour aujourd'hui permet" tre la « guerre aux migrants » ... MI lA AL •• un nouveau déni de jusli,e la justice fédérale rejette le recours de la défense au mépris de sa propre jurisprudence ! En juin dernier, Maître Robert R. Bryan (avocat principal de Mu" mia Abu"Jamal) avait déposé un recours contre la décision de la Cour d'appel fédérale qui, en avril 2008, avait annulé la sentence de mort tout en mainte" nant la charge de culpabilité à l'endroit de Mumia dans l'assassinat du policier Faulk" ner en 1981. Cette décision avait été prise par deux voix contre une. Le juge minoritaire s'était pour sa part prononcé, comme le demandait la défense, pour un nouveau procès sur le fond en raison du fait que la sélection du jury lors du procès de 1982 était entachée de racisme (récusation massive des jurés afro"américains), ce qui constituait une violation flagrante de la Constitution des Etats"Unis. S'appuyant sur les textes constitutionnels, renforcés par la jurisprudence de la Cour fédérale du 3ème circuit et surtout celle de la Cour Suprême des USA (arrêt Batson), Maître Robert R. Bryan demandait à la justice fédérale de réexaminer sa décision contraire au droit. Rappelons que cette jurisprudence garantit à tout citoyen améri" cain la réouverture d'une instruction dès lors qu'un seul juré a été écarté en raison de son origine raciale. Dans l'affaire Mumia, ce sont les deux tiers des jurés noirs présélection nés qui ont été écartés! Quelques jours seulement après le dépôt de la requête de la défense démontrant une nouvelle fois les très nombreuses discriminations raciales qui avait entaché le procès de 1982, la justice fédérale a rejeté le recours (22 juillet 2008). A l'évidence, comme le déclarent Mumia et son avocat, « les protagonistes du procès raciste sont encore en place à Philadelphie et continuent à oeuvrer pour pérenniser un système où la discrimination et l'injustice priment sur le droit ». Maître Robert R. Bryan a indiqué qu'il saisissait immédiatement la Cour Suprême des Etats"Unis de ce déni de justice. Il a précisé qu'il disposait de trois mois pour dépo" ser un mémoire (20 octobre 2008) et peut être d'un délai supplémentaire. En toute hypothèse, la nouvelle étape judiciaire de l'affaire Mumia coïncidera avec l'élection présidentielle américaine. En résumé, la situation judiciaire est la suivante : • Mumia n'est plus condamné à mort mais la justice lui refuse toujours un nouveau procès pour défendre son innocence; • l'accusation n'a toujours pas fait appel en vue de la constitution d'un jury qui aurait à se prononcer sur la requalification de la réclusion à perpétuité en peine de mort; • dans l'attente, Mumia est toujours dans le couloir de la mort; • la très réactionnaire Cour Suprême des Etats"Unis devra donc dire si elle fait droit à l'ouverture d'un nouveau procès conformément à sa propre jurisprudence ou si elle décrète « l'exception Mumia Abu"Jamal ». Pour sa part, le Collectif Unitaire National (80 organisations françaises) dénonce ce nouveau déni de justice dont Mumia Abu"Jamal est la victime. En lien avec les orga" nisations américaines de soutien à Mumia, il prendra prochainement de nouvelles initiatives de mobilisation avec l'objectif qu'enfin justice et liberté soient rendues à cet homme courageux et innocent. 7 8 DANS E ON FACE AUX cc ÉMEUTES DE LA FAIM » dossier sous la responsabilité de Renée Le Mignot et Bernadette Hétier, membres du collège de la présidence, et de Christian Delarue, membre du BE « Ouand j'ai donné à manger aux pauvres gens ils m'ont appelé saint. mais quand j'ai demandé: pourquoi y a-t-il d~s pauvres? alors ils m'ont appelé communiste» (Evêque Helder Camara - Brésil) « Vous voulez les pauvres secourus je veux la misère abolie» (Victor Hugo) A près celles de l'Égypte, du Burkina Faso, de Mauritanie, de Côte d'Ivoire, du Mexique, de Thaïlande, du Sénégal, et de Madagascar, des « émeutes de la faim» ont éclaté en Haïti au printemps dernier. Le prix moyen d'un repas a augmenté de 40% dans le tiers-monde et des dizaines de millions de personnes ont basculé dans la misère absolue, celle où il devient impossible de se nourrir. Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de la faim ou de ses suites immédiates, soit plus de 6 millions en 2007. Toutes les quatre minutes, quelqu'un perd la vue à cause du manque de vitamines A. 854 millions d'êtres humains sont gravement sous-alimentés. C'est l'Afrique subsaharienne qui paie le plus lourd tribut: 186 millions d'êtres humains y sont, en permanence, gravement sous-alimentés, soit 34 % de la population totale de la région. La plupart d'entre eux souffrent de ce que la FAO appelle « la faim extrême », leur ration journalière se situant en moyenne à 300 calories au-dessous du régime de la survie dans des conditions supportables. Un enfant manquant d'aliments adéquats en quantité suffisante, de sa naissance à l'âge de 5 ans, en supportera les séquelles à vie. Régis Debray nomme ces enfants les « crucifiés de naissance ». Et pourtant cette situation n'est pas une fatalité. La FAO constate qu'au stade du développement actuel de ses forces de production agricoles, la planète pourrait nourrir sans problème 12 milliards d'êtres humains, soit le double de l'actuelle population mondiale. Cela signifie que ce crime contre l'humanité a des responsables: - les effets multiples d'une mondialisation ultra-libérale au profit de multinationales sans scrupules; - les politiques mondiales d'ajustement structurel qui ont contribué à l'affaiblissement des économies des pays du Sud et sont, encore aujourd'hui, responsables de l'extension de la pauvreté; - la Banque mondiale et le FMI qui ont imposé aux pays du Sud l'abandon des cultures vivrières au profit de produits de base dont l'exportation promise se heurte à l'inacceptable concurrence des produits subventionnés du Nord; - les grands groupes qui en sont bénéficiaires et pilotent des spéculations criminelles; - la hausse des prix de l'énergie, engrangée par les compagnies pétrolières, qui pousse dans le même temps à produire des bio-carburants qui non seulement retirent de vastes surfaces à la production de denrées alimentaires mais constituent aussi une catastrophe écologique en abattant des pans entiers de la Forêt mondiale; - la destruction des cultures vivrières des zones rurales traditionnelles; - les dépenses militaires mondiales qui s'élevaient à 1204 milliards de dollars en 2006 et sont en perpétuelle augmentation: il suffirait de 135 milliards de dollars, soit 10% de ces dépenses, pour arracher les habitants de la planète à la misère. Plusieurs pays du Sud ont interdit les exportations agricoles. Mais l'OMC persiste à imposer, sanctions à l'appui, la libéralisation d'échanges inégaux, à interdire les subventions agricoles pour les plus pauvres ainsi que les droits de douanes. On en voit un exemple éloquent dans les accords de Partenariat Economiques-APE, que l'Union européenne tente d'imposer à leur corps défendant à l'ensemble des anciens pays ACP, après que la convention de Cotonou soit arrivée à échéance fin 2007. « Les prix de l'alimentation, s'ils continuent comme ils le font maintenant... les conséquences seront terribles» a déclaré Dominique Strauss Kahn, Directeur du Fonds Monétaire International. « Un choc alimentaire se prépare » a annoncé, de son côté, la Commission Européenne qui prévoit « un tsunami économique et humanitaire en Afrique ». Une telle situation conduit l'humanité entière à la catastrophe. Des inégalités de plus en plus criantes ne peuvent que favoriser les mouvements extrêmistes qui prônent la violence et cherchent à exploiter le désespoir des plus pauvres. La faim devient aussi une arme redoutable au service des nantis. Après les guerres de l'eau qui sont déjà à l'oeuvre partout dans le monde, au coeur de multiples conflits politiques et territoriaux, les guerres de la faim se profilent. Dès lors, ce ne seront plus « seulement» quelque 180 à 200 millions de personnes, selon les évaluations d'aujourd'hui, qui auront quitté leur lieu de naissance pour chercher ailleurs protection et survie. Jour après jour, il apparaît que les centaines de millions de « migrants forcés» de demain seront de plus en plus des réfugiés - climatiques, de l'eau et de la faim - en demande de protection dans les contrées plus riches et plus clémentes du globe terrestre. Il Y a urgence à prendre à bras le corps cette question, l'Union Européenne toute entière doit y contribuer. Tout doit être fait pour que soient effectivement atteints les « Objectifs du Millénaire pour le développement », adoptés par l'ONU en 2000, afin de diminuer de moitié la pauvreté mondiale d'ici à 2015. Un communiqué du CADTM le CADTm (Comité pour l'Annulation de la Dette du tiers monde) pointe les responsabilités des mesures imposées par le Fmi et la Banque mondiale dans la catastrophe alimentaire mondiale. Lors de leur Assemblée de printemps à Washington, le FMI et la Banque mondiale ont souhaité tirer la sonnette d'alarme contre la forte hausse des prix des denrées alimentaires de base dans le monde et les émeutes de la faim qui en ont résulté dans plusieurs dizaines de pays. En effet, en un an, les prix du riz et du blé ont doublé, celui du maïs a progressé de plus d'un tiers. Les stocks céréaliers sont au plus bas depuis 25 ans. Le coût d'un repas a fortement augmenté et les risques de famine sont très inquiétants. Le CADTM souligne que la Banque mondiale semble surtout inquiète pour les troubles sociaux que cette situation engendre. Ces troubles pourraient sérieusement malmener le système économique néolibéral promu avec force depuis 25 ans par le FMI et la Banque mondiale: un système structurellement générateur de pauvreté, d'inégalités, de corruption, interdisant toute forme de développement et de souveraineté. Le CADTM a identifié cinq grandes causes pour expliquer cette envolée des prix: dérèglements climatiques réduisant la production, hausse du prix des transports répercuté sur celui des marchandises, demande croissante de la Chine et de l'Inde en matières premières, développement catastrophique des agrocarburants qui excluent plus de 100 millions de tonnes de céréales par an du secteur alimentaire, spéculation intense suite à l'éclatement de la bulle de l'immobilier aux Etats-Unis. Mais ce n'est pas tout. Le CADTM tient aussi à pointer la responsabilité du FMI et de la Banque mondiale. Après la crise de la dette du début des années 1980, dont l'effondrement du cours des matières premières était un élément déclencheur, le FMI et la Banque mondiale ont contraint les pays du Sud à adopter des politiques d'ajustement structurel qui se sont révélées dramatiques sur de nombreux plans. Au programme notamment: réduction des surfaces destinées aux cultures vivrières et spécialisation dans un ou deux produits d'exportation, fin des systèmes de stabilisation des prix, abandon de l'autosuffisance en céréales, fragilisation des économies par une extrême dépendance aux évolutions des marchés mondiaux, forte réduction des budgets sociaux, suppression des subventions aux produits de base, ouverture des marchés et mise en concurrence déloyale des petits producteurs locaux avec des sociétés transnationales ... Aujourd'hui, les populations du Sud paient le prix fort. Pour le CADTM, la question de la responsabilité du G8, du FMI et de la Banque mondiale doit être posée de manière claire et ces institutions doivent rendre des comptes sur leurs agissements depuis 20 ans. Un timide mea culpa de leur part dans un rapport semi-confidentiel ne peut suffire car elles continuent de défendre un modèle économique qui a fait la preuve de son échec en termes d'amélioration des conditions de vie et de développement humain. Pour le CADTM, l'annulation totale et immédiate de la dette extérieure publique des pays du Sud et l'abandon des politiques néolibérales sont des étapes indispensables pour enclencher une logique économique radicalement différente, soucieuse de l'intérêt des populations du Sud et du principe non négociable de souveraineté alimentaire. 9 10 par Odile Tobner, Présidente de SURVIE La population en Afrique est rurale à 80 %. Cette population paysanne englobe 70 % des Africains souffrant d'une pauvreté et d'une sous-alimentation extrêmes. Si les paysans africains n'arrivent pas à se nourrir, ils nourrissent par contre l'Europe puisque nombre d'entre eux, parmi les plus pauvres, travaillent pour produire des denrées d'exportations : arachides, palmier à hui le, cacao, café, bananes, coton, hévéa. Ces cultures, introduites par la colonisation, pourvoient aux besoins des pays développés. La pression des organismes internationaux a confiné des régions entières dans la production d'une monoculture. Des vivres essentiels, notamment le riz, doit être acheté sur le marché mondial, plus compétitif paraît-il que la production locale. Mais que viennent des fluctuations sur le marché mondial et des populations entières sont condamnées à la famine, faute de pouvoir se procurer les denrées de base. Le petit producteur du Sahel et l'ouvrier agricole sur les grandes plantations équatoriales ne gagnent pas assez pour nourrir leur famille. On pense à la description que fa isait La Bruyère de la misère paysanne en France au XVII" siècle: « L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des L'association Survie milite en faveur de r assainissement des relations franco-africaines, de r accès de tous aux biens publics et contre la banalisation du génocide. femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible: ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine; et, en effet, ils sont des hommes, ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir; d'eau et de racines: ils épargnent aux autres hommes la peine de semer; de labourer et de recueillir pour vivre et méritent ainsi de ne pas manquer du pain qu'ils ont semé ». La suffisance alimentaire en Europe est récente. En France elle n'a été acquise qu'après la deuxième guerre mondiale. Aujourd'hui les agriculteurs comptent 7 % de la population. Le productivisme agricole, encouragé par les subventions de la PAC depuis des dizaines d'années, cause une surproduction qu'on subventionne à nouveau à l'exportation. Par contre le schéma féodal est reproduit à l'échelle mondiale avec l'exploitation de la paysannerie des pays du Sud, qui meurt de faim destinée à produire pour la consommation du Nord, sans pouvoir satisfaire à ses propres besoins. Dans Le cauchemar de Darwin, Hubert Sauper refait le constat de la Bruyère, avec la même brutalité, suscitant les mêmes réactions de dénégation hypocrite. Des miséreux vivent sur des tas de déchets, incapables de subsister avec le maigre salaire du travail qu'ils fournissent pour pêcher et conditionner les énormes carpes dont les filets, débités, sont destinés aux rayons surgelés des supermarchés des pays développés. Les cu ltures vivrières et le petit élevage de porcs et de poulets fournissent la subsistance des villageois dans les zones de la forêt mais leur exploitation commerciale souffre de nombreux obstacles. Il y a la concurrence des produits de l'élevage intensif dans les pays du Nord, dont la surproduction est écoulée avec l'aide de primes à l'exportation et inonde, sous forme de surgelés, les marchés des grandes villes du Sud, empêchant le développement de l'élevage local. Il y a le manque d'infrastructures de communication et le coût des transports qui nuit à l'écoulement de la production des campagnes. La ville de Kinshasa est approvisionnée par des importations de vivres d'Afrique du Sud, faut de moyens de communication avec l'intérieur du pays. Il y a enfin l'impossibilité des paysans d'accéder à des financements pour développer leur production, parce qu'ils sont tenus à l'écart de l'économie bancaire, inaccessible aux gens modestes en raison de ses coûts. Les prêts de l'AFD (Aide française au développement) et les facilités bancaires sont réservés aux gros producteurs, souvent étrangers, de cultures d'exportation. L'Afrique est très peu peuplée (35 habitants au km2 , contre 150 en Asie), ses capacités de production agricole sont considérablement inexploitées. En RDC un dixième seulement des terres cultivables est exploité. Qu'on n'aille pas raconter que seule la culture du maïs transgénique sauvera sa population de la faim. Cela ne servira qu'à rendre les producteurs du Sud esclaves des multinationales de l'agroalimentaire. Il est faux de parler complaisamment d'émeutes de la faim, comme si l'Afrique ne pouvait pas nourrir sa populat ion. Mais on doit reconnaître la flambée, qui va aller s'amplifiant, des émeutes de la misère, parce que le paysan africain est surexploité et abandonné à son sort sans aide et sans protection. Les habitudes alimentaires évoluent. La cuisine traditionnelle était le fruit d'une longue expérience, adaptée aux ressources de l'environnement. Les changements dans le mode de vie introduisent des déséquilibres alimentaires difficiles à corriger faute d'éducation. L'utilisation du lait en poudre, s'il libère les femmes des longues et épuisantes périodes d'allaitement, est peu compatible avec les moyens rudimentaires dont disposent la plupart des gens pour st ériliser l'eau et les récipients. Les diarrhées infantiles sont une des causes de mortalité. La malnutrition des enfants les rend également très sensibles aux ravages du paludisme, première cause de mortalité, et aux épidémies de fièvres infantiles, dont sont victimes des populations trop pauvres pour accéder à la protection des divers vaccins existants. L'introduction dans l'alimentation des citadins d'un pain de mauVaise qualité, fabriqué avec des farines importées, vendu à bas prix, chasse les produits locaux, bâtons de manioc, plantains, qui pourraient être préparés et distribués de façon industrielle sans cette concurrence. Il n'y a pratiquement pas d'industrie agro-alimentaire de transformation des produits locaux pour la consommation locale. Tout est à faire en ce domaine mais il n'y pas d'organisation et de soutien financiers pour cela. La souveraineté alimentaire dépend de la souveraineté économique. Les APE (Accords de Partenariat Economique) entre les pays ACP et l'UE ne peuvent qu'accentuer la dépendance économique et l'asphyxie des pays du Sud, qui ont surtout besoin de se protéger pour pouvoir se développer localement. Ces accords, que les puissances économiques veulent imposer, sont majoritairement rejetés par les pays du Sud conscients de la vulnérabilité de leurs populations. Hélas les pays du Sud n'offrent pas un front politique uni, capable de contrer les pressions des grandes puissances. La question de l'eau se pose aussi dans le domaine de l'alimentation et de la sant é. Là aussi ce n'est pas la ressource qui est en cause. D'immenses ressources existent jusque dans le sous-sol des régions désertiques. Ce qui est en question c'est l'accès à l'eau. Il faut résoudre les problèmes de puisage, d'assainissement et de distribution. Sous la pression de la banque mondiale les Plans d'Ajustements structurels ont contraint les Etats à céder la gestion de l'eau, de l'électricité, des transports et autres services à des capitaux privés. Les multinationales s'en sont emparées et les prix de ces services se sont envolés, écartant du même coup la grande masse de la population de l'accès à ces fournitures élémentaires. Dans son livre « Un nouveau modèle économique: développement, justice et liberté », Amartya Sen, Prix Nobel d'économie, écrit: « La faim n'a pas trait seulement à la production alimentaire et à l'expansion agricole, mais aussi au fonctionnement de toute l'économie, ainsi qu'aux arrangements politiques et sociaux qui peuvent directement ou indirectement influencer l'aptitude des personnes à se procurer de la nourriture et à vivre en bonne santé. » (Oxford University Press, Oxford. 1999. p. 162). Le cadre stratégique pour le FIDA 2002-2006 » va plus loin encore dans ce sens quand il affirme: « La pauvreté ne veut pas seulement dire revenu insuffisant et absence de ressources. C'est plutôt un état de vulnérabilité, d'exclusion et d'impuissance. C'est l'érosion de la capacité (des populations) à se libérer de la peur et de la faim et à faire entendre leur voix.» L'état de famine ne vient pas en Afrique de l'absence de ressources mais du détournement de toutes les ressources disponibles, en hommes, en matières premières, en numéraire, au profit d'un système colonial baptisé désormais « ordre mondial» qui alimente les profits gigantesques des multinationales et le niveau de vie des pays développés, au prix de la misère de peuples entiers. On tente de dissimuler cette réalité cruelle derrière des discours d'aide, de lutte contre la pauvreté, qui se révèlent tragiquement inopérants. Seule la lutte des « damnés de la terre» contre le chaos mondial des inégalités donnera une chance à chaque être humain de connaître une vie décente. 11 12 de la eme ., Edition du Forum des Peuples à Koulikoro -Mali Le monde entier traverse depuis plusieurs décennies une crise économique et sociale d'une extrême gravité. Elle se caractérise par une offensive générale du capital financier international laquelle se traduit par la destruction systématique des conquêtes sociales des travailleurs, la militarisation des relations internationales, l'intensification des guerres, de conquête coloniale et de domination impérialiste (Irak, Afghanistan, Palestine), le chantage nucléaire, la cri minalisation de l'immigration, la flambée des prix des hydrocarbures, la crise alimentaire, la poursuite effrénée des reformes meurtrières des Institutions Financières Internationales (FMI- BMOMe), les privatisations anarchiques des secteurs vitaux de nos économies. Malgré l'extrême gravité de la situation dans le monde, le G8, ce directoire mondial informel, illégitime et antidémocratique continue à faire des effets d'annonce et des promesses non tenues. En 2005, son engagement en faveur des pays pauvres a permis l'annulation d'un montant dérisoire de 39 milliards de dollars US alors que le Continent africain à lui seul devait 215 milliards de dollars US et l'Amérique Latine 723,6 milliards de dollars US. Pour la même période, le transfert net de capitaux du Sud vers le Nord était de 354 milliards de dollars US pendant que l'aide publique au développement se réduisait comme une peau de chagrin et que le montant de la dette culminait à 2800 milliards de dollars! La FAO (organisation mondiale pour l'alimentation et l'agriculture) a souligné en 2008 que la part de l'agriculture dans l'aide publique au développement a chuté, passant de 17% en 1980 à 3% en 2006. Les Institutions Financières Internationales et Régionales ont baissé d'une manière drast ique les ressources destinées à l'activité agricole qui est le moyen d'existence principal de 70% des pauvres dans le monde. Dans certains cas, le portefeuille de prêts à l'agriculture d'une institution est passé de 33% en 1979 à 1% en 2007. Alors que la grande majorité des populations dans le monde souffre de manque de nourriture, quelque 2,3 millions de tonnes de riz sont actuellement stockées par le Gouvernement japonais dans une dizaine d'immenses hangars réfrigérés et risquent d'être livrés aux animaux. En terme de maîtrise de l'eau, de construction d'infrastructure, de capacités de commercialisation, d'accroissement de la production végétale et de la réduction de la faim, la FAO précise qu'il faut un investissement de 25 milliards de dollars US par an. Alors que le monde ne demande que 30 milliards de dollars par an pour relancer l'agriculture et éradiquer définitivement la faim, 1200 milliards de dollars US sont dépensés pour l'armement pendant que 862 millions de personnes meurent de faim dans le monde! Quel scandale! Nous, participants de la 7ème édition du Forum des Peuples tenue du 06 au 09 Juillet 2008 à Katibougou-Koulikoro (Mali), considérant: - L'endettement massif des Pays du Sud contrastant avec l'état de pauvreté généralisée des populations de ces pays; - La mise sous tutelle des économies des Etats du Sud par les privatisations et le contrôle des entreprises privatisées par les multinationales; - La volonté manifeste du contrôle de notre agriculture à travers l'imposition des OGM (Organismes génétiquement modifiés) par les firmes multinationales de semence; - L'imposition de la signature des Accords de Partenariat Economique (A.P.E.) entre l'Union Européenne et les Pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) par la division et la signature d'accords intérimaires avec certains pays africains; - Le pillage systématique organisé de nos ressources naturelles par les multinationales, propriétés du G8 et des pays émergents comme la Chine, avec la complicité affichée de nos Chefs d'Etat; - L'existence de la crise alimentaire artificiellement créée et entretenue par le système capitaliste néolibéral pour favoriser l'introduction des OGM et recourir permanemment à l'arme alimentaire comme politique de pression et de chantage; - L'absence totale de la société civile par rapport à la déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide; - Le protectionnisme et les phobies de l'Europe qui impose d'une main des accords de libre commerce et de l'autre s'érige en forteresse assiégée, s'opposant à la libre circulation des populations du sud. Nous, participants à la 7" édition du forum des peuples de Koulikoro, exigeons ce qui suit: Auprès des Etats - Le rejet des Accords de Partenariat Economique entre l'Union Européenne et les Pays ACP dans leurs formes actuelles , erences mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples Albert LÉVY, une vie debout ALBERTI 2 Différence nO 268 - SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout OBSÈIlUES D'ALBERT LÉVY CIMETIÈRE DU PÈRE-LACHAISE, 15 SEPTEMBRE 2008 ALLOCUTION DE CHARLES PALANT mesdames. messieurs. Amis et Camarades. Chère Fanny. Chers Danièle et Jacques. Elle est profonde et douloureuse la tristesse qui nous étreint pour aligner ces quatre mots : Albert Lévy est mort. Dans quelques mois le MRAP célébrera ses 60 ans d'existence. Plus qu'aucun d'entre nous Albert Lévy incarnait la vie de notre mouvement. De 1949, date de sa création, à 1991, date de la retraite d'Albert, il en a été le dirigeant le plus intelligent et le plus assidu, le plus lucide et le plus créatif, le plus dévoué, le plus infatigable. Albert Lévy avait cette qualité rare chez beaucoup, qui par son exemple, ses conseils, et le soutien qu'il apportait à tous, rendait les autres meilleurs autour de lui. .. De combien parmi nous Albert n'a-t-il été le grand frère? Son savoir était grand, sa culture était vaste et sa disponibilité à nul autre comparable. Homme de caractère, il nous arrivait parfois de subir le sien pas toujours commode. Mais les exigences qu'il avait pour d'autres n'étaient rien à côté de celles qui avait pour lui-même. Albert Lévy, est né en avril 1923 à Aurillac. Un peu plus tard ses parents tena ient boutique de textile à Clermont-Ferrand. Dans un recueil de souvenirs d'enfance, Albert raconte: « En général, à l'école, ma soif d'apprendre me faisait aimer tous les enseignements. J'étais également bon en mathématiques, en français, en anglais ... ». Albert est admis au collège où il est reçu comme boursier. En 1939, il réussit au concours d'entrée à l'Ecole Normale d'Instituteurs. La guerre puis l'occupation allemande et les lois antijuives de Vichy allaient contrarier sa vocation. Cinq ans après, la libération le trouvera jeune résistant militant de l'UJJ, l'Union de la Jeunesse Juive, issue de la clandestinité aux côtés du parti communiste français auquel il a adhéré. Albert Lévy devient journaliste à l'Humanité, affecté à la page de la politique étrangère. Peu de temps après, le voilà rédacteur à Droit et Liberté, l'hebdomadaire de l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entre-Aide, revue qui, en 1949 deviendra le mensuel du MRAP. Albert Lévy a été l'un des fondateurs du Mouvement. Durant des dizaines d'années où nous avons, Albert et moi, assumé les responsabilités essentielles du MRAP. De combien de mes discours publics, de combien de rapports prononcés devant nos congrès, Albert ne m'avait-il aidé à discerner les idées les plus justes quand ce n'était pas à trouver les mots les plus clairs. Toutes nos interventions écrites ou parlées, les textes qui introduisaient les débats, les résolutions qui les concluaient étaient guidés par le souci permanent d'assurer le pluralisme et l'unité du MRAP dans la diversité des options politiques, philosophiques, ethniques et religieuses des militants et des adhérents du MRAP. La guerre froide qui divisait et opposait les grands alliés qui avaient vaincu la coalition hitléro-fascite creusait également chez nous le fossé de la division entre les forces hier encore unies pour libérer la France et reconstruire la République. Le pays s'englue dans les guerres coloniales, en Indochine puis en Algérie, génératrices de déchaînements racistes et de violations tragiques des droits de l'homme. Cependant que pour poursuivre la reconstruction du pays et l'essor de son économie il est fait appel à une main d'oeuvre immigrée de plus en plus nombreuse. Les moindres ratés dans la vie sociale du pays suscitent de l'extrême droite revancharde des campagnes de haine raciste et xénophobe qu'il faut combattre. Au Proche-Orient, s'aggrave et s'éternise le douloureux conflit israélo- arabe dont les répercussions en France creusent les sillons du racisme et de l'antisémitisme. Faut-il rappeler nos actions répétées pour dénoncer l'apartheid en Afrique du Sud? Dans toutes ces campagnes, dans tous ces combats, la part prise par Albert Lévy à la tête du MRAP a été déterminante. Ses articles, ses brochures, ses discours font autorité. Le Mouvement a grandi avec lui. Il en sera ainsi pendant quatre décennies. En 1989, Albert Lévy laisse la charge de secrétaire général du MRAP. 1/ est alors membre de la présidence collégiale jusqu'au congrès de 1991. Albert prend sa retraite. Mais un mil itant de cette trempe prend-il jamais sa retraite? Cesse t-il jamais d'être à la disposition des siens? En 1999, il dirige la rédaction et l'édition du livre publié pour le cinquantenaire du MRAP. Il en avait proposé le titre : Chronique d'un combat inachevé. Pas plus que tous les combats pour l'émancipation humaine, le combat contre le racisme, pour le respect entre les hommes, pour l'amitié entre les peuples jamais, ne s'achèvera. Dans le recueil de ses souvenirs Albert, qui maniait un humour caustique, se moquait lui-même de sa petite taille, un mètre cinquante-cinq! A Fanny, dont Albert était amoureux depuis l'âge de quinze ans, à Danièle et Jacques, à tous les vôtres, dont nous partageons la peine, je veux dire : qu'avec Albert Lévy, c'est un grand homme que nous avons perdu et qui, à nous tous, va beaucoup manquer. Puissent sa mémoire et son exemple longtemps lui survivre. HOMMAGE DE Chère Fanny. chère Danièle. cher Jacques. Nous sommes réunis ici pour ne pas dire adieu à Albert mais tout simplement au revoir. Albert ne peut s'effacer tant ce qu'il nous a apporté est ineffaçable. Tout ce qu'il a consacré, c'est-à-dire une part ie de sa vie, pour servir l'humain, ses droits, sa dignité, son respect, est incommensurable. Tous ceux qui l'ont croisé, militants du MRAP ou d'ailleurs, et qui ont partagé ses combats, sa passion immense de la justice, garderont d'Albert l'image d'un homme dont l'action a marqué de manière durable l'histoire des combats en faveur des droits de l'homme et ce durant près d'un demisiècle. Albert est et restera une référence, un aiguillon pour beaucoup d'entre nous. Homme d'exception, il force le respect par la passion et le dévouement sans fa ille qu'il avait pour la défense des droits et des libertés fondamentales en France et dans le monde. Ce serviteur de la dignité humaine a dû puiser dans son douloureux vécu de victime dès l'âge de 18 ans des lois antijuives, la force, la ténacité et la détermination pour organiser la résistance à l'occupation nazie dans le MNCR en 1942 qui donnera naissance au MRAP en 1949. Très jeune, il acquit cette maturité et cette colère politique qui l'amèneront à organiser la solidarité effective envers les femmes, les hommes, et les enfants victimes des persécutions antisémites. Animateur des réseaux pour cacher les enfants juifs, afin de leur épargner les camps de la mort, Albert, dès ses premiers pas militants, a su conjuguer solidarité envers les victimes et batailles idéologiques et politiques. Ce qui l'a amené à diffuser le journal Liberté. Universaliste, pour Albert, toute oppression, toute offense à la dignité humaine était inacceptable et le mobilisait avec la même intensité, la même détermin,ation, la même rage de vaincre la bêtise, l'injustice, la haine, l'intolérance. La passion hors du commun qu'il avait des droits humains, sa façon de relever les défis ont incontestablement participé à former, éduquer, un grand nombre de militants. Les témoignages de tous ceux que j 'ai joints vont dans le même sens, reconnaissant l'empreinte qu'Albert a pu avoir sur leur engagement et sur leur façon d'être. Hier comme aujourd'hui, jamais les leçons d'Albert ne m'ont quittées. Je dois avouer que devant les épreuves que j'ai subies, souvent, j'ai pensé à lui pour m'interroger sur ce qu'il aurait fait dans telle ou telle circonstance. Bien sûr, je ne peux ici relater tous les combats auxquels Albert a consacré une partie de sa vie. Mais une chose est sure, c'est qu'il aura été et restera un précurseur, un visionnaire, un authentique universaliste. A l'heure ou les Etatsuniens vont peut-être désigner pour leur destinée un Président noir, il fut un des premiers artisans de la mobilisation en France contre le racisme à l'encontre des afro-américains aux EtatsUnis. Il n'eut de cesse de dénoncer à l'époque les violences xénophobes ainsi que les procès racistes auxquels cette population était confrontée. Aujourd'hui la mobilisation en faveur de Mumia Abu-Jamal, l'un des plus vieux prisonniers politiques d'une justice raciste, poursuit les combats qu'Albert a initiés avec force, courage, et détermination. L'histoire retiendra qu'il fut dès 1952 l'un des premiers à dénoncer le procès intenté aux époux Rosenberg par plusieurs articles dont l'un s'intitulait une « Nouvelle affaire Dreyfus de la guerre froide ». Il deviendra peu de temps après le Président de l'Association pour la défense des Rosenberg. En 1994 il créera l'Association pour le réexamen de l'affaire Rosenberg dont il deviendra le Président d'honneur. Et ce n'est pas un hasard si ce collectif tient son siège et ses réunions au MRAP aujourd'hui. L'un des lus grands défis antiracistes du XXème siècle fut le combat contre ce racisme d'Etat que fut l'apartheid, organisation d'une société fondée sur l'inégalité des ra- SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout - Différence n° 268 ces. Contre ce paroxysme du racisme, Albert n'avait de cesse de mobiliser les élus, les députés, l'opinion publique, en organisant la campagne de boycott du régime sud-africain notamment en dénonçant les entreprises complices avec le régime. On ne comptera jamais assez le nombre de rassemblements qu'il organisa devant l'ambassade d'Afrique du sud, sans oublier les campagnes de collectes de médicaments pour les Noirs sud-africains. Albert avait la passion du droit des peuples. Pour lui, l'amitié entre les peuples, cette utopie du présent ne pouvait se concevoir sans justice et sans partage des droits. C'est le sens qu'il donna à l'action du MRAP dans le conflit israélo-palestinien en portant - ce qui à l'époque n'était pas évident pour tous - cette exigence d'une terre, deux peuples et deux Etats. Albert était respecté par de grandes figures. A cet effet jamais je n'oublierai l'accueil et les remerciements de Jean-Marie Djibaou à Albert Lévy en faveur des droits des Kanaks. Fondateur du MRAP, Albert fut aussi celui qui a permis l'enracinement du MRAP dans l'antiracisme français. C'est par ce mélange entre l'action quotidienne, la solidarité de tous les instants, envers toutes les victimes de toutes les formes de racisme et la réflexion polit ique du combat antiraciste qu'Albert a su donner au MRAP son identité, sa spécificité. C'est ce fil rouge qui a permis à Albert d'être l'initiateur de cette manifestation historique après l'attentat de la rue Copernic qui avait rassemblé 300 000 personnes. C'est à Albert encore que l'on doit l'adoption, après treize années de luttes opiniâtres, de la loi française contre le racisme de 1972, loi qui a permis au MRAP notamment de poursuivre et demander réparation au nom de la République à un certain Klaus Barbie, à Maurice Papon, qui a permis les premiers procès contre Le Pen et contre le négationniste Faurisson. 3 4 Différence nO 268 - SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout On retiendra aussi toute l'attention qu'Albert portait à tous ces immigrés vivant dans les bidonvilles en proie à des campagnes d'une violence inouïe, les présentant comme responsables du chômage et de l'insécurité en France, argumentant, réfutant, expliquant sans relâche. C'est lui qui; un certain 23 octobre 1986, organisa place de la République à Paris la première manifestation pour protester contre l'expulsion de 101 Maliens en charter. C'est lui enfin à qui je dois mon engagement au MRAP lorsque ce dernier m'avait confié le suivi de cette marche pour l'égalité en réaction aux violences racistes dont les enfants issus de l'immigration étaient victimes. Albert était un visionnaire. Par la finesse de ses analyses, il savait anticiper les mutations du racisme et adapter les moyens de résistance appropriés. Albert savait détecter, aider, fédérer, mobiliser des énergies et rassembler autour du MRAP des personnalités qui l'ont si bien servi. Je pense notamment à Marcel Manville, George Pau Langevin, François Grémy, Jean-Jacques Kirkyacharian, Roland Rapaport et tant d'autres. C'est enfin sous son impulsion qu'en 1977 le MRAP, de Mouvement contre le racisme et l'antisémitisme et pour la paix se transforme en Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, donnant ainsi au combat contre le racisme la primauté d'une prise en compte de son unicité. Je retiendrai de lui cette lumineuse réflexion, ô combien d'actualité, qu'il aimait à porter que toute concession faite à un racisme de quelque nature qu'il soit entretient et alimente toutes les autres formes de racismes. Homme d'exception, Albert forçait le respect et l'admiration, non seulement par ses apports mais aussi par sa simplicité, sa modestie, sa disponibilité permanente. Merci à Albert pour avoir su être un éveilleur des consciences, un semeur d'espoir. Merci pour son précieux et irremplaçable héritage d'expériences, de luttes. Merci enfin à Fanny, sa femme, qui, dans l'ombre a été indispensable pour la réalisation de l'oeuvre d'Albert, car c'est bien d'une oeuvre inachevée dont nous avons tous ici la responsabilité et le devoir de prolonger. Nous espérons, cher Albert, ne pas te décevoir. ., Elo e par François Grémy, ancien Président National délégué du MRAP (1981-1984) Chers Fanny. Danièle et Jacques. et toutes les générations qui suivent. Chers camarades et amis. Vous tous qui êtes ici pour moi des frères et des soeurs. Mystère des origines Je m'aperçois depuis deux jours que je suis incapable de vous expliquer par quel mécanisme, quelle cause efficiente, j'ai aujourd'hui l'honneur et la douleur de prendre la parole en ce jour où nous honorons et célébrons notre ami et frère Albert. En un jour de 1972, je crois, un habitant de ma commune, L'Hay-les-Roses, un monsieur Lehman, que je connaissais à peine, et que je n'ai jamais revu depuis, m'a convié à souper, m'annonçant la présence du Secrétaire Général du MRAP, Albert Lévy, dont j'avais certes entendu parler. A partir de là, et pour parler comme les physiciens, tout se passe comme si Albert m'avait demandé de le rejoindre au Conseil national du MRAP, et que j'avais accepté, apparemment de façon immédiate. Je ne me souviens ni de la question, ni de la réponse, ni de leur moment, ni de leur lieu, ni de leur énoncé, ni de leur intonation: RIEN. Cette rencontre n'était certainement pas fortuite: Albert et Lehman se connaissaient, mais comment mon nom est-il a paru dans leurs conversations? Certes Albert était sans doute à la pêche de militants nouveaux, mais pourquoi et comment étais-je le poisson à prendre dans cette pêche nullement miraculeuse ?Le plus curieux est que sans doute jamais je n'ai interrogé Albert sur les raisons de sa décision. Je ne l'ai pas fait, car tout de suite, j'ai trouvé tout naturel d'être au MRAP, car j'y fus tout de suite chez moi et heureux. Et vous savez que les gens heureux ne s'interrogent guère sur les raisons de leur bonheur, je devais le mien à Albert. Découverte du MRAP Toujours est-il que je me suis retrouvé au Conseil National !Je ne vous dirai pas que j'ai été séduit par les locaux, peu engageants. Mais par un groupe de personnes qui manifestement étaient des dirigeants ou des membres très influents, sans que le bizuth que j'étais puisse leur assigner une place claire dans l'organisation. Albert, que j'avais rencontré en premier, était un cofondateur du MRAP en 1949. A côté de lui, je sympathisais très vite avec trois autres « pièces d'origine » : Charles Palant, brillant orateur, et jamais avare d'une plaisanterie

Charles Owezarek, fertile argumentateur, car il aimait «

phosphorer» ; Chil Kozlovski, joyeux et bienveillant, gratifié d'une gentillesse et d'un sourire surabondants. Une belle et intelligente avocate guadeloupéenne très rieuse, George Pau-Langevin; deux vénérables ecclésiastiques qui n'avaient rien pour me déplaire: l'abbé Pihan, bien connu pour avoir créé les mouvements de jeunes « Coeurs Vaillants» et « Âmes vaillantes », et le père franciscain Bertrand Bari, aumônier national des Gens du Voyage (lequel bien plus tard manifestera un courage exemplaire lors d'un attentat qui visait nos locaux) ; enfin Claudine Mardon, notre trésorière, compétente et triste Cassandre de nos budgets régulièrement catastrophiques. Tous (y compris quelques autres dont je ne revois plus les visages à ce moment là) étaient des bénévoles plus ou moins intermittents, car soumis aux aléas de leur profession. Seul Albert était un permanent, nommé Secrétaire National un ou deux ans avant mon arrivée (très bien assisté par un autre personnel permanent, Monique, la secrétaire). Au dessus de notre petit monde planait une divinité protectrice bienveillante, plus lointaine, d'une belle et souriante bonté, écrivain connu et reconnu: Pierre Paraf, le président du MRAP. Il était moins fréquent qUe les autres, présidait les séances du Conseil National, garant moral plus que dirigeant effectif du Mouvement. ALBERT Albert était de toute évidence l'homme clef de l'organisation, par son engagement personnel : sa présence, sa puissance de travail colossale, la force de ses convictions, ses connaissances encyclopédiques: il savait tout sur tous les fronts du racisme (et de l'antiracisme) du monde. Sa forme d'intelligence ne le plaçait pas dans la famille des Pascal ou des Nietzsche aux intuitions fulgurantes, mais plutôt dans celle de Thomas d'Aquin, de Descartes ou de Kant : discours argumenté, documenté, explorant méthodiquement son domaine d'expression. Homme des Lumières au meilleur sens du terme, il aime démontrer rationnellement. Avec un peu d'illusion peut-être, Albert est convaincu que l'explication raisonnée est suffisante pour convaincre la multitude. Même s'il y réussit, on sait que la conviction intellectuelle n'entraîne pas nécessairement l'adhésion à un niveau qui conduise à l'action. Par pudeur personnelle et aussi par respect pour son auditoire, il refuse ou rabote l'émotion. Sans doute se trahit-il lui-même, car son acharnement, sa ténacité, son obstination, son attention toujours en alerte devant les injustices et les manquements aux droits de l'homme, tout cela témoigne de la passion forcenée qui l'anime. C'est pourquoi je vois en lui un passionné froid: un démonstrateur rationnel fuyant les démonstrations affectives. " serait sans doute mal à l'aise dans notre société moderne, qui trop souvent dégouline de bons sentiments bruyant~ et d'émotions éphémères et alternatives. Dans ses rapports avec les militants, son exigence était bienveillante, car sa passion à dimension collective et politique n'oubliait jamais la singularité des personnes. Je ne me souviens pas personnellement de grandes colères. Albert était un homme libre: selon un mot que je viens de lire sous la plume de B. Delanoé : un homme libre n'est pas celui qui fait ce qu'il veut, mais qui veut ce qu'il fait. Tel .est l'Albert Lévy que j'ai connu : Albert ne dirigeait pas le MRAP, il était le MRAP. Sa souveraineté morale et intellectuelle n'était ni discutable ni discutée. D'autant plus qu'il était l'acteur principal d'une grande victoire stratégique du MRAP : le vote unanime par les deux chambres de la Loi du 12 juillet 1972, contre le racisme, qui faisait des propos, gestes, ou écrits à caractères racistes, non l'expression d'une simple opinion, mais un délit, parce qu'ils favorisaient le développe- SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout - Différence nO 268 ment de la haine entre groupes ou communautés humains. Tout cela explique que pour moi, débutant, Albert Lévy fut mon Maître. Proposition inattendue Quand, fin 1979, quelques mois avant l'attentat de la rue Copernic (sept 1980), il m'a demandé, à ma grande surprise, si j'acceptais de prendre la succession de Monsieur Paraf, comme Président du Mouvement (celui-ci avait changé de nom sans changer de sigle, troquant « l'Antisémitisme et la Paix », contre « l'Amitié entre les Peuples »), j'acceptais sans hésitation, non pas par infatuation sur mon propre mérite, mais pour la valeur symbolique de la chose. Il me semblait sain que l'arrière petit-fils d'un vigneron bourguignon ruiné par le phylloxéra (bref un Gaulois !), n'appartenant à aucune des minorités de victimes, actuelles ou potentielles, du racisme, affiche son engagement en faveur de la justice et de la fraternité envers tous les hommes et femmes menacés par le rejet et la persécution. De plus, catholique de gauche, issu d'une tradition proche de Témoignage Chrétien, je croyais à l'Amour, tout en sachant que « l'Amour est un combat ». Je mettais une condition à mon acceptation. J'avais été choqué du fait que Monsieur Paraf n'avait pas été consulté ni même informé du changement profond de signification de notre sigle. J'exigeais qu'un tel comportement désinvolte ne se renouvelle pas avec moi. Il n'y eut aucune entorse à l'accord tacite, et bien sûr bilatéral, qui résulta de cette conversation. Jusqu'à mon départ professionnel pour Montpellier (1984) qui m'a contraint à quitter cette lourde responsabilité, nous avons travaillé dans le respect, l'écoute, la confiance et l'affection mutuels. Esquisse de Bilan: le racisme a-t-il reculé depuis vingt ans? Où en sommes nous maintenant du racisme en France? Sachant que ce type de lutte est toujours inachevé, comme Albert le disait lui-même? Autrement dit, pouvons-nous évaluer les effets d'une action dont Albert fut l'initiateur, l'acteur, l'animateur, le . stratège et maintenant le commandeur? Certes nous avons encore bien des motifs de honte, notamment avec la politique d'intégrité nationale de Monsieur Hortefeux, avec ses camps de rétention et ses charters. Mais je crois que dans sa profondeur la France est globalement moins raciste que naguère. C'est un jugement difficile. Si l'on admet, pour parIer comme les épidémiologistes, l'existence de deux facteurs de confusion : la croissance de la violence dans l'ensemble de la société, et la poussée de la précarisation menaçante de l'emploi et du pouvoir d'achat, je pense que notre pays commence à accepter l'idée qu'il sera nécessairement métissé. Deux Maghrébines et une Africaine au gouvernement, ces innovations n'ont provoqué aucune réaction hostile. Dommage que ce soit un gouvernement de droite qui en ait pris l'initiative, qu'on ne peut qu'approuver dans son principe. Dans son dernier livre, Ségolène Royal a écrit des pages magnifiques sur « Une France métissée qui se reconnaisse comme telle », à ses yeux but essentiel d'une politique de gauche. Si mon diagnostic est exact, on peut avancer que l'action d'Albert et celle de notre mouvement auront sans doute joué un rôle décisif. Proposition Je termine en faisant une proposition: les archives d'Albert sont sans aucun doute considérables, et conservées par le MRAP. Leur analyse mériterait de faire la base d'un travail de thèse universitaire. A nous d'explorer le milieu des sciences politiques pour dépister le patron le plus à même de conduire un tel travail, qui pourrait d'ailleurs à un niveau plus approfondi servir de fondement à une Critique de la Raison Antiraciste. Une telle entreprise serait le meilleur témoignage du respect, de l'admiration, et de la fidélité, que nous devons à notre frère Albert. . 5 Difference nO 268 - SUPPLÉMENT: Albert LÉVY, une vie debout 6 , Différences vous propose un extrait de r entretien avec A_ lév~ qui avait été publié à r occasion de la sortie du livre sur les 50 ans de notre mouvement:« Chronique d'un combat inachevé »- Comment s'est faite ta rencontre avec le MRAP ? Albert Lévy : Pendant l'occupation, la MOI (Main d'oeuvre Immigrée) avait créé plusieurs organisations de résistance, notamment l'Union de la Jeunesse Juive (l'UJJ), l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (l'UJRE), et le Mouvement National contre le Racisme (MNCR). J'appartenais à l'UJJ, organisation de lutte armée, et je participais à l'action du MNCR. Celui-ci n'était pas directement rattaché à la MOI, l'un de ses objectifs principaux consistait à faire participer les intellectuels à la lutte contre le racisme des nazis et de Vichy. Il avait, par exemple, édité une brochure, clandestine bien sûr, destinée à la réfutation des théories raciales dont la partie philosophique avait été rédigée par le professeur Jankelevitch. Nous distribuions des tracts, des journaux ... Nous avions inscrit, comme le rapporte le poème d'Aragon, « Morts pour la France» sur la fameuse Affiche rouge ... Après la Libération, j'ai collaboré au journal de l'UJRE, Droit et Liberté. C'est à ce titre que j'ai « couvert» la première journée nationale du MRAP, le 22 mai 1949, au Cirque d'Hiver. Quel souvenir as-tu conservé de cette fameuse journée? Albert Lévy: Les 2500 places que comptait le Cirque d'Hiver à l'époque étaient toutes occupées. Armand Dymenstein (qui s'appellera plus tard Armand Dimet) avait coordonné toute la préparation de cette rencontre en organisant des réunions partout à travers la France. Celles-ci regroupaient surtout des juifs, anciens déportés, anciens combattants et familles de victimes. Les gens avaient peur d'une troisième guerre mondiale. Cette peur était suscitée par la division des anciens alliés, mais aussi par la division de la Résistance. Ces divisions se sont répercutées à l'intérieur même de l'alliance antiraciste qui s'était formée au lendemain de la guerre avec des anciens du MNCR et de la LlCA (Ligue Internationale Contre l'Antisémitisme). A l'intérieur de celle-ci, la protestation contre l'exclusion était menée en particulier par les jeunes, présidés par Charles Palant, qui a fait tout ce qu'il a pu pour éviter cette rupture et qui, finalement, s'est associé à la création du MRAP. Qui étaient les personnes présentes le 22 mai, d'où venaient-elles, quels étaient leurs objectifs? Albert Lévy: Le MRAP fut dès le départ une organisation attachée au pluralisme. Ainsi, parmi les juifs qui l'ont constitué, il y avait des communistes et deux associations sionistes, dont l'Hachomer Hatzaïr, dirigé par Henry Bulawko, aujourd'hui vice-président du CRIF. Mais il y avait surtout des sociétés juives, sans caractère politique. Elles étaient composées d'immigrés qui cotisaient à un fonds commun pour acheter des caveaux et être enterrés ensemble. Ils étaient ainsi regroupés par ville d'origine ou par corporations, tailleurs, casquettiers, etc. Sur les cent ou cent vingt sociétés de ce type, entre soixante-dix et quatre-vingt ont participé à la création du MRAP. Parallèlement au socle militant juif, la volonté était manifeste d'associer des hommes politiques français appartenant aux courants d'opinions les plus divers. C'est ainsi qu'à la première journée nationale, ont pris .Ia parole des personnalités comme Marc Sangnier, fondateur du Sillon Catholique, Yves Farge, un résistant nommé préfet de Lyon par De Gaulle à la libération, le professeur Marcel Prenant, ancien dirigeant des FTP, Gabriel d'Arbousser qui allait devenir ambassadeur du Sénégal de France. Cette journée était présidée par l'avocat André Blumel, ancien chef de cabinet de Léon Blum au temps du front populaire. D'autres non juifs étaient présents, en particulier, des gens qui avaient accueillis des enfants juifs durant l'occupation. Enfin, la journée avait été placée sous la présidence d'honneur de Marc Chagall. Tu insistes sur le besoin ou le désir de pluralisme, pour quelles raisons le pluralisme était-il recherché? Albert Lévy: D'une part parce que le MNCR défendait l'idée que la lutte contre le racisme ne devait pas être menée par les seules victimes, qu'elle devait l'être par tous. Et d'autre part, parce qu'il y avait pour défendre la paix des gens de tous les bords décidés à surmonter les ruptures générées par la guerre froide. Il y a eu des périodes où la lutte contre le racisme, au moins dans certains de ses aspects, entrait en conflit avec la raison d'état ( ... ). Qu'est-ce qui a fondamentalement changé au plan de l'antiracisme en général et du MRAP en particulier? Albert Lévy: Un pas considérable a été franchi avec la multiplication des acteurs antiracistes. Ce travail n'est plus réservé à des « spécialistes ». Le MRAP a toujours essayé d'impliquer les syndicats, les partis politiques, les représentants des religions. Aujourd'hui, de très nombreuses associations prennent des initiatives, les syndicats ont donné l'exemple ces dernières années sur les problèmes de discriminations dans le monde du travail. Les manifestations, les actions, les initiatives sont souvent organisées par des collectifs d'associations, parfois même comme dans le cas de l'appel des cinéastes ce sont des regroupements d'individus. Le MRAP et l'antiracisme de manière générale ont acquis une visibilité qu'ils n'avaient pas auparavant. Le MRAP n'est plus systématiquement boycotté par les médias comme il l'était à l'époque, il est davantage entendu par les pouvoirs publics. L'adoption de la loi de 72 a constitué un tournant décisif dans cette évolution. Grâce à cette loi, les actes racistes sont davantage connus du public, notamment parce que des procès ont lieu et des condamnations sont prononcées. Et puis la multiplication des crimes racistes au cours des années soixante-dix et quatrevingt a créé un choc. A quoi s'ajoute la volonté de s'opposer au Front National. Au moment où s'achève la fabrication du livre « Chronique d'un combat Inachevé n, quell.e conclusion tires-tu? Albert Lévy: J'en suis arrivé à la conclusion que les racistes ne sont pas très imaginatifs. On retrouve la même idéologie, les mêmes arguments, les mêmes techniques, un mélange de mythologie et de violence ... Récemment un tract raciste pastichait la chanson d'Yves Duteil « Prendre un enfant par la main ». Ce procédé a toujours été utilisé par les racistes ( ... ). Le but est toujours le même

il s'agit de dresser un portrait repoussant,

méprisable et dangereux du tsigane, du juif, de l'arabe, etc. Depuis quand et dans quelles circonstances le MRAP a-t-il obtenu un statut consultatif auprès de l'ONU? Albert Lévy: Cette reconnaissance date de 1975 alors que le fils de Roosevelt s'occupait de ces questions auprès de l'ONU. Ce fut assez extraordinaire, car ne sont reconnues par l'ONU que les organisations dotées d'une surface internationale. Notre activité internationale et la lutte contre toutes les formes de racisme en France nous ont permis d'obtenir ce statut. Cela nous a beaucoup aidé sur le plan politique mais aussi un peu sur le plan financier notamment concernant notre action contre l'apartheid. J'ajouterai que l'adoption de la loi contre le racisme en 1972 a bénéficié de l'action de l'ONU: en effet, la convention internationale contre les discriminations raciales, ratifiée par la France en 1971, recommande l'adoption de législations nationales. La ratification a constitué un argument fort pour le vote de la loi française, alors que des hommes politiques déclaraient couramment que le racisme n'existait pas chez nous ... Le MRAP a-t-il connu des périodes plus difficiles que d'autres? Albert Lévy: Le MRAP a perdu des adhérents à deux moments. Une première fois lors du procès Slansky, à Prague (en 1953) où l'antisémitisme prenait le masque de l'antisionisme. Le MRAP n'était pas assez mûr pour réagir clairement contre l'antisémitisme dans les pays de l'est européen, alors que la guerre froide battait son plein. Il n'a pas su affirmer une position de principe tenant compte de tous les aspects de la situation. C'est plus tard, notamment après la publication du livre de Arthur London, « L'aveu », que nous avons eu tous les éléments en main pour comprendre ce qui s'était passé, et dès lors le MRAP a pris position avec vigueur sur ces questions. L'autre période de grande tension c'était en 67, au moment de la guerre des six jours entre Israël et les pays arabes. Dans ce dernier cas, nous ne sous sommes pas trompés, bien au contraire. Mais à l'époque, se déclarer pour les droits des Palestiniens risquait de vous faire taxer SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout - Différence nO 268 d'antisémitisme même si on affirmait dans le même temps le droit à l'existence d'Israël. Aujourd'hui, Clinton comme les dirigeants du CRIF rencontrent Arafat. Les vérités que le MRAP était presque seul à affirmer à l'époque sont aujourd'hui devenues des lieux communs. Pourquoi était-il important d'écrire ce livre? Albert Lévy: L'objet de notre travail n'était pas de faire uniquement une histoire du MRAP mais de connaître les évolutions, les progrès, les insuffisances, d'établir une mise en perspective. C'est important parce que la mémoire fait partie du combat d'aujourd'hui. Ce livre se présente comme succession de flashs sur les grands thèmes et les grands moments de l'histoire du MRAP. Ils sont construits en chapitres indépendants les uns des autres. Cette formule est intéressante parce qu'elle permet une lecture tout à fait libre : on pourra l'ouvrir à n'importe quelle page, selon sa préoccupation, l'objet de sa recherche, l'usage que l'on souhaite en faire. Propos recueillis pour Différences par Chérifa Benabdessadok 7 Différence nO 268 - SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout MEMOIRE DU 8 Témoignage d'Albert LÉVY sur l'histoire du ffiRAP, lors de la journée de formation de la région Rhône-Alpes, samedi 16 octobre 1993. LES ORIGINES Le MRAP a été fondé le 22 mai 1949. Il existe 700 000 associations en France. Il s'en crée environ 5 000 par an. Cela ne veut pas dire qu'il y a 700 000 associations en activité: celles qui disparaissent ne le font pas toujours savoir et elles demeurent inscrites dans les préfectures dans le cadre de la loi 1901. Mais ces chiffres donnent une idée de l'importance du mouvement associatif en France auquel le MRAP est partie prenante. Le MRAP existe donc depuis 44 ans. Comment expliquer cette longévité par rapport à beaucoup d'autres associations? Elle tient d'abord au fait que son objet persiste, c'est-à-dire que la nécessité de la lutte contre le racisme est aussi flagrante aujourd'hui qu'en 1949. Deuxièmement, cette organisation est basée sur une relation avec la situation ambiante, elle n'est pas une association qui vit dans l'abstrait, elle est liée avec la société et avec l'actualité. De plus, c'est une organisation démocratique; souvent des associations ont disparu à la suite de conflits internes et d'ambitions personnelles, tandis que celle-là est conçue pour agir en « rapport avec le réel» et non pas pour satisfaire les individus qui la dirigent ou qui en font partie. Et puis, l'une des raisons essentielles de la persistance du MRAP, c'est le fait qu'il a créé des comités locaux, et ce dès le début. Il doit sa force et son développement à leur diversité, au fait qu'ils sont relativement autonomes, puisque chaque comité est déclaré en tant que tel comme association locale, chaque fédération égaIement

il se rattache donc par de nombreuses racines à la vie

sociale du pays. La lutte contre le racisme n'a pas commencé avec la fondation du MRAP. S'il Y a eu des antécédents de lutte contre le racisme, c'est parce qu'il y a eu des antécédents de racisme. C'est une vieille histoire. L'anti-judaïsme chrétien remonte très haut dans l'histoire de l'Europe et dans l'histoire de France; il est devenu antisémitisme au 19éme siècle, il est l'une des branches du racisme. Autre antécédent: l'esclavage, le colonialisme, qui datent aussi de très longtemps, de l'Antiquité pour l'esclavage, avec ensuite la traite des Noirs, et puis les conquêtes coloniales. Le tournant décisif du racisme colonial fut l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Telles sont les deux sources principales du racisme auquel les antiracistes ont été confrontés en France. Et l'antiracisme aussi a une histoire en France qui remonte assez loin. Je pense en particulier à Montaigne qui a été l'un des premiers à argumenter contre les préjugés racistes. Si on se reporte, dans les « Essais », au chapitre « Les Cannibales », il est instructif d'y jeter un coup d'oeil, même aujourd'hui, pour observer la méthode qu'il utilise, et la rigueur de ses démonstrations. Et puis il y a eu le siècle des Lumières, la Révolution Française, l'Abbé Grégoire qu'on a appelé « l'Ami des hommes de toutes les couleurs» et qui a joué un rôle important dans l'émancipation des juifs. Je cite un autre jalon qui est l'Affaire Dreyfus. C'est à ce momentlà que la Ligue des Droits de l'Homme a été créée; elle a joué alors et continue de jouer un rôle important dans la lutte contre le racisme. Ensuite il y a eu, avant même le nazisme, la création de la LICA, Ligue Internationale Contre l'Antisémitisme, en réponse aux pogroms qui avaient lieu dans l'ancienne Russie tsariste. Le MRAP, lui, puise ses origines dans la période de la Résistance, à un moment où la LlCA, qui était en France l'organisation de lutte contre le racisme, avait disparue pratiquement, dès le début de l'occupation. Nombre de ses adhérents ou sympathisants ont certes participé à la Résistance, mais en tant qu'organisation elle a cessé d'exister. Donc, en 1941, s'est constitué le Mouvement National Contre le Racisme (MNCR.) parce que, dans les milieux de la Résistance, certains ont estimé qu'il y avait une lutte spécifique à mener contre le racisme dans le cadre général du combat pour libérer la France. L'activité du MNCR peut se résumer en deux points: - d'une part, essayer de'sauver le plus possible d'enfants juifs de la déportation, en liaison avec les églises catholique et protestante; - d'autre part, contrecarrer l'idéologie raciste de l'occupant et de Vichy, au moyen de tracts et de brochures, en suscitant et diffusant des prises de position d'écrivains, de scientifiques, ou encore celle du cardinal Saliège, à Toulouse, quand il a condamné en chaire l'antisémitisme. Le MNCR publiait deux journaux clandestins: « J'ACCUSE» en zone Nord, en référence à Zola lors de l'Affaire Dreyfus, et « FRATERNITE» en zone Sud. Au lendemain de la Libération, les militants du MNCR et les anciens militants de la LlCA se sont retrouvés et ont constitué l'Alliance Antiraciste qui avait gardé comme journal « Fraternité », venu du MNCR. Et puis il y a eu, en 1946, la reconstitution de la LlCA. L'Alliance Antiraciste a donc été disloquée. Cette rupture s'explique par des raisons politiques et sociales. Les militants regroupés provenaient de milieux différents. Ceux qui ont constitué le MRAP après la reconstitution de la LlCA, issus pour l'essentiel du MNCR, appartenaient à des milieux plus populaires, récemment immigrés, qui avaient beaucoup souffert de la guerre et de l'occupation. Le noyau du MRAP, c'étaient des sociétés juives formées de rescapés de la guerre, dont les familles avaient été déportées. En outre le nouveau mouvement bénéficiait du parrainage de personnalités de la Résistance, de milieux et d'opinions très variés. Depuis le début le MRAP a été pluraliste. Par exemple, à la première Journée nationale, au Cirque d'Hiver à Paris (son Congrès constitutif), il y avait entre autres, le peintre CHAGALL, qui présidait la séance de clôture, Yves FARGE, un grand résistant, qui avait été nommé par De Gaulle préfet de LYON, aussitôt après la Libération, Gabriel d'ARBOUSSIER, à l'époque député du Sénégal, Alain LE LEAP, dirigeant de la C.G.T., Marc SANGNIER, éminent leader catholique depuis l'avant-guerre, le savant Marcel PRENANT. 1949, il faut le rappeler, c'était les débuts et, en même temps, le paroxysme de ce qu'on a appelé la guerre froide. C'est de ce contexte que le MRAP est né. La guerre froide, c'était le renversement des alliances. Les alliés de la veille (Angleterre, USA, France, URSS) se sont séparés - dans des conditions qu'il faut encore approfondir -, et une partie d'entre eux se sont alliés à l'ancien ennemi, l'Allemagne. Ce revirement s'accompagnait d'un abandon en Allemagne de la dénazification, d'une renaissance du militarisme allemand puisque c'était une alliance militaire qui s'était constituée. L'OTAN date de 1949 justement. Les anciens généraux, les anciens nazis, experts de la lutte contre l'Union Soviétique ont « repris du poil de la bête ». Les industriels qui avaient aidé le nazisme, les KRUPP et autres, ont reconstitué leur puissance. Il est facile de comprendre que tous ceux qui avaient souffert, pas seulement les fondateurs du MRAP et pas seulement les Juifs, tous ceux qui avaient combattu le nazisme ont ressenti cette situation avec amertume et inquiétude à la fois, et ils ont éprouvé le besoin de réagir. Non pas pour prendre parti dans l'un des deux camps, mais pour empêcher que la guerre froide ne se transforme en guerre tout court, et que les partenaires du camp occidental s'acoquinent avec les anciens nazis. Aujourd'hui on a parfois du mal à imaginer jusqu'à quel point les valeurs considérées fondamentales ont été reniées. Un exemple : il y a eu, longtemps après, le procès de Barbie; SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout - Différence nO 268 mais il faut se souvenir qu'en 1946, BARBIE, le tortionnaire S.S., est devenu un agent de la CIA, c'est tout un symbole, justement, de ce renversement des alliances. Autre exemple : dans le cadre de l'OTAN, on a réorganisé les forces militaires, et le responsable des armées terrestres n'était autre que le général SPEIDEL, un général allemand qui avait dirigé les forces d'occupation en France. Il y a eu, à ce moment-là, des jeunes Français qui ont refusé de servir dans l'armée française parce qu'elle se trouvait sous la direction de cet ancien nazi, ennemi de la veille. Cela donne une idée du climat qui s'était instauré. En 1945, on avait dénombré 150 000 criminels de guerre en Allemagne. La plupart ont été libérés. Le chancelier ADENAUER, le premier chancelier ouest-allemand, après la création de la RFA d'un côté, la RDA de l'autre, avait pour principal conseiller un nommé Hans GLOBKE qui avait été le rédacteur des lois antijuives de NUREMBERG en 1935. Le MRAP a été un sursaut d'émotion, de résistance et de lutte contre le racisme, de lutte contre la guerre aussi: son premier litre était « Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et pour la Paix », ce qui correspondait bien aux problèmes de l'époque. UNE HISTOIRE EN CINQ PERIODES Si on retrace l'histoire du MRAP pendant ces 44 années, on peut la diviser en plusieurs périodes - il vaudrait mieux dire des séquences, car elles se chevauchent parfois, il n'y a pas de ruptures chronologiques nettes: - première période, celle des séquelles de la guerre, où les questions dominantes étaient le néo-nazisme, le regain d'antisémitisme et la guerre froide, jusque vers le milieu des années 50 ; - ensuite, la période des guerres coloniales : la guerre d'Indochine de 1946 à 1954 ; la guerre d'Algérie, de 1954 à 1962. Le MRAP a été très actif par rapport à la guerre d'Algérie; - et puis, l'activité principale du MRAP était centrée sur l'immigration. Pendant les « 30 glorieuses », c'est-à-dire les deux ou trois décennies d'expansion économique après la guerre, le patronal avait fait venir un grand nombre d'immigrés. Il fallait combattre le racisme qui justifiait leur exploitation effrénée; il fallait faire valoir leurs droits les plus élémentaires; - ensuite, une période que j'appellerai celle de « la jonction de tous les racismes », qu'on pourrait situer de la fin des années 70 aux années 80, où le MRAP affrontait simultanément tous les aspects du racisme. Il n'y avait pas de dominante comme auparavant; - et nous arrivons à l'époque contemporaine dont l'analyse n'est qu'amorcée. Je la caractériserai peut-être par l'intrusion du racisme et de l'antiracisme dans la politique. Cette tendance s'est accentuée depuis le début des années 80. Parallèlement, l'Etat multiplie les mesures pour réduire l'immigration d'origine noneuropéenne, tandis que les jeunes générations qui en sont issues manifestent leur aspiration à l'intégration dans l'égalité. Les juifs sont devenus un enjeu électoral et, en conséquence, la dénonciation de l'antisémitisme s'est généralisée, non sans arrière-pensées dans la plupart des cas. CLes séquelles de la guerre A l'arrêt de la dénazification en Allemagne, correspond, en France l'arrêt de ce qu'on a appelé l'épuration, Un certain nombre de personnages, d'idées, de thèmes, imposés sous 9 Différence nO 268 - SUPPLÉMENT : Albert LÉVY. une vie debout 10 l'occupation réapparaissent. C'est en cela qu'on peut parler des séquelles de la guerre. Dès le début. le MRAP a pris corps autour d'une affaire significative: la distribution dans tout le pays d'un film qui s'appelait « Les nouveaux maîtres ». Ce film était tiré d'une pièce de théâtre qui avait eu beaucoup moins de retentissement. Son sujet se résumait ainsi : « les juifs sont de nouveau les maîtres de la France », en particulier les juifs étrangers. Peut-être avez-vous entendu parier de l'affaire JOANOVICI. un escroc d'origine juive, qui avait fait beaucoup parler de lui après la Libération, qui avait d'ailleurs collaboré avec les nazis pendant la guerre. Le film a été conçu en prenant ce cas pour symbole d'une mainmise généralisée. Un dirigeant de l'Action Française reconstituée, sous le nom de Restauration Nationale, avec « Aspects de la France» pour journal, avait publié un pamphlet intitulé : « La République de Joanovici ». Le MRAP s'est implanté à travers une campagne contre « Les Nouveaux Maîtres », parce que chaque fois que le film était programmé dans une ville, il mobilisait l'opinion, les forces politiques, les forces spirituelles, pour faire interdire la projection, et au besoin, quand on n'y parvenait pas, l'empêcher physiquement. Les premiers comités locaux du MRAP se sont constitués en suivant l'itinéraire du film. A tel point que la firme productrice du film a intenté un procès contre le MRAP. L'avocat de cette firme était TIXIER-VIGNANCOUR. avocat d'extrême-droite. Le procès a duré plusieurs années: dans un premier temps, le MRAP a été condamné à deux millions de dommages et intérêts mais en appel cette condamnation a été annulée. Voilà une illustration du climat qui s'était instauré. Autre exemple, encore: le premier Commissaire aux questions juives de Vichy, XAVIER-VALLAT, - qui par la suite, a remplacé Philippe HENRIOT comme propagandiste officiel de VICHY, après l'exécution de celui-ci par la Résistance - avait été condamné à 10 ans de prison au lendemain de la guerre. Libéré au bout de 5 ans, il reprend du service à « Aspects de la France». Charles MAURRAS, un des leaders de la propagande antisémite avant et pendant la guerre, avait été condamné à mort. On le retrouve également à « Aspects de la France», tout aussi virulent que dans le passé. Les journaux racistes se multiplient. On avait compté dans leurs rédactions sept ou huit anciens condamnés à mort pour collaboration. Le MRAP a mené une campagne vigoureuse pendant plusieurs années contre ce renouveau du vichys me et du nazisme. A cette époque également. dans le contexte de la guerre froide, l'antisémitisme a été utilisé par les gouvernements de l'Est et de l'Ouest. Avec l'affaire ROSENBERG aux USA, avec l'affaire SLANSKY-LONDON, à PRAGUE, et l'affaire des blouses blanches en URSS. C'était au début des années 50. Et là , il faut bien le dire, nous en avons fait après, l'analyse, la critique - le MRAP s'est investi, très activement dans un cas, beaucoup moins dans l'autre. Ethel et Julius ROSENBERG avaient été condamnés aux ETATS-UNIS pour espionnage au profit de l'UNION SOVIETIQUE. C'étaient de simples gens - elle, dactylo, et lui. ingénieur électricien -, des juifs progressistes. De toute évidence leur procès était injuste. Ils ont été victimes du mac-carthysme aux USA, et ils ont proclamé leur innocence jusqu'au bout. jusqu'à leur mise à mort sur la chaise électrique en juin 1953. Il Y a eu une immense campagne dans le monde pour tenter de les sauver, avec les interventions du Pape, du président de la République Française, Vincent AURIOL, de la reine d'Angleterre. Le MRAP, après lecture des minutes du procès, a constitué un Comité de défense des ROSENBERG. C'est de France que l'action internationale est partie: l'affaire a secoué profondément l'opinion française. Dans l'autre camp, au même moment. il y avait le procès de SLANSKY et d'autres dirigeants communistes, dont Gérard LONDON : on connaît son livre « l'Aveu» et le film qui en a été tiré. Là aussi l'antisémitisme a sévi. On a choisi des juifs comme étant des espions du camp adverse, il y avait une symétrie en quelque sorte avec l'affaire ROSENBERG. Pourquoi le MRAP n'a-t-il pas été aussi combatif? Cela s'explique d'abord par la fait que les ROSENBERG se proclamaient innocents alors que tous les accusés de Prague et de Moscou se proclamaient coupables (le livre « l'Aveu» montre dans quelles conditions). Deuxièmement. du côté soviétique, les procès prenaient la forme d'une dénonciation non pas des juifs mais du sionisme, ce qui faisait penser à un débat idéologique, plus qu'à de l'antisémitisme. La réalité a été connue plus tard. « L'Aveu » date de 1968. On a su, par exemple, que certains aspects antisémites, qui n'apparaissaient pas publiquement. existaient dans le comportement des autorités politiques et judiciaires. Il faut reconnaître enfin une certaine partialité, parce que l'Union Soviétique était le pays qui avait le plus fait contre le nazisme, les communistes n'étaient pas seuls à se tromper sur ce qu'ils croyaient être le socialisme accompli. Nous étions dans le camp occidental. les progressistes ne voulaient pas attiser la guerre froide en donnant des arguments à ceux qui appelaient à se mobiliser contre l'URSS. Précisons toutefois que le MRAP n'a pas pris position contre ceux qui étaient accusés en Europe de l'Est: il s'est alors abstenu de les défendre. Ultérieurement il a lutté, avec toute L'énergie nécessaire, chaque fois que l'antisémitisme se manifestait dans ces pays, sous une forme ou sous une autre. Par exemple, il y a eu l'affaire CHTCHARANSKY, un juif accusé encore d'espionnage dans les années 70/80. Deux de ses avocats français étaient des avocats du MRAP et le MRAP l'a défendu activement jusqu'à ce qu'il soit autorisé à émigrer en Israël. Aujourd 'hui. les condamnés de ces procès antisémites ont été réhabilités morts ou vivants - dans les pays dits socialistes -, tandis que les ROSENBERG ne sont toujours pas réhabilités. C'est pourquoi cette année (1993), avec quelques militants, nous avons lancé une pétition qui a été envoyée au président CLINTON, pour demander la réouverture du dossier. Il ya eu un contre-procès à NEW-YORK, organisé par une grande association de juristes américains, procès qui a conclu à l'acquittement des ROSENBERG. On en est là. 2_Les guerres coloniales Deuxième période/séquence: les guerres coloniales. La guerre du Vietnam se termine en 1954 et c'est quelques mois après que la guerre d'Algérie commence. Depuis le début. le MRAP a lié les différents racismes. Par rapport à la LlCA, Ligue Internationale contre l'Antisémitisme, ses fondateurs avaient tenu à marquer, dans le titre choisi. qu'ils étaient « contre le racisme et l'antisémitisme ». La solidarité avec les peuples coloniaux a toujours été un des grands thèmes de l'action du MRAP. En Afrique noire comme au Maghreb, il a soutenu les mouvements de libération qui se sont développés de différentes façons. Le mouvement nationaliste algérien existait aussi en France dans l'immigration. En décembre 1951, un meeting devait avoir lieu au Vel d'Hiv', en présence de tous les ambassadeurs des pays arabes à l'ONU: ce meeting a été interdit. Il se trouve que, en tant que journaliste à Droit et Liberté, je suis allé voir ce qui se passait. Et j'ai vu. Autour du Vel d'Hiv', 15 000 Algériens ont été arrêtés par la police. Aux sorties de métro, les policiers regardaient les gens, et quand ils avaient « l'air» algérien, les brutalisaient et les embarquaient dans des cars. Ici, une parenthèse sur l'histoire des mots. C'est précisément au Vel d'Hiv', je le rappelle, que la police de Vichy avait parqué les juifs, après la rafle du 16 juillet 1942. D'autre part. je gardais le souvenir du procès de la Police aux Questions Juives, auquel j'avais assisté en 1949: j'avais entendu alors les accusés, évoquant la « chasse aux juifs» qu'ils pratiquaient sous l'occupation, employer l'expression « rafles au faciès ». Cette formule administrative et pseudo-scientifique, qui m'avait frappé, m'est revenue à l'esprit. je l'ai ressortie dans Droit et Liberté. Le MRAP l'a reprise sur des affiches, dans des tracts. Voilà comment le vocabulaire conçu au temps des nazis pour caractériser des opérations contre les juifs, a servi après la guerre pour caractériser celles qui visaient les Arabes. Le 14 juillet 1953, comme chaque année à cette époque, il y avait un défilé populaire qui contrebalançait en quelque sorte le défilé militaire. De nombreux Algériens y participaient et il y a eu un affrontement avec la police qui entendait confisquer leurs banderoles. La police a tiré: 8 tués, 7 Algériens et un Français. Le MRAP a organisé un grand meeting de protestation. Pendant la guerre d'Algérie, le MRAP a mené campagne contre les exactions commises en Algérie, contre les tortures, pour la paix. D'autant plus que pendant cette guerre de nouvelles formes de racisme se manifestaient en France même. N'oublions pas que Jean-Marie LE PEN est entré à l'Assemblée Nationale en 1956, dans la lancée de la guerre d'Algérie. Il était l'un des 56 députés poujadistes qui réclamaient « l'Algérie française », qui se livraient à une agitation fasciste et nationaliste, antisémite aussi. Donc le MRAP a été de toutes les manifestations pour la paix en Algérie, contre l'OAS. Il a vivement réagi aux violences criminelles du 17 octobre 1961 puisque nous sommes à la date anniversaire. C'était pratiquement. il faut s'en rendre compte, une situation d'état de siège. La guerre d'Algérie était aussi menée en France: la police française était en guerre contre l'immigration algérienne, avec toutes les violences que cela supposait. Quelques jours plus tôt. le préfet de police de PARIS, M. PAPON, instaurait un couvre-feu réservé aux seuls Algériens. Le MRAP a été, il me semble, la seule organisation qui ait protesté contre cette mesure. Et le 17 octobre, la population algérienne de PARIS et de la banlieue a décidé de faire une grande manifestation de protestation pacifique, avec les femmes et les enfants, dans le centre de PARIS pour réclamer la fin de cette discrimination. Une répression féroce s'est déchaînée contre eux. On a retrouvé des cadavres d'Algériens dans la Seine pendant plusieurs jours. Il ya eu des tués par balles et par matraques. A ce moment-là, la presse était sous le contrôle de la censure, certains journaux paraissaient avec des blancs à la place des articles supprimés. Toutes les manifestations étaient interdites. C'est dans ces conditions que le MRAP a été seul à pouvoir organiser un meeting de protestation. Pourquoi? Parce que, justement. le MRAP était une association pluraliste, c'est-à-dire qu'il a réuni un curé, un pasteur, un rabbin, des syndicalistes de tous les syndicats, des universitaires dont un futur prix Nobel et l'auteur d'un film témoignage sur le 17 octobre. Les autorités n'ont pas osé l'interdire. Mais - c'était à la salle LANCRY, près de la République - tout le quartier était en état de siège, il y avait des cars de police partout pour tenter d'intimider les participants. Nous avons aussi organisé une manifestation de rue -la seule qui n'ait pas été réprimée - en profitant du 11 novembre, trois semaines après. Il y a, près de la Bastille, une plaque à la mémoire des Algériens qui ont combattu pour la Libération de PARIS en 1944 et puisque, ce jour-là, on fleurit traditionnellement les plaques commémoratives, nous avons appelé à venir y déposer des gerbes et des bouquets. Plusieurs centaines de personnes, des associations ont répondu « présent ». Ce n'est peut-être pas beaucoup, mais c'était un acte de résistance dans le climat de ces jours tragiques. Le MRAP a été aussi parmi les organisations qui appelaient à la manifestation pour la paix, où il y a eu le fameux massacre de Charonne en février 1962. Pour nous, la paix en Algérie, intervenue en juillet. a été une victoire. Nous y avions contribué activement. 3_L'immigration Il serait faux de croire que la question de l'immigration n'existait pas auparavant. que le MRAP s'en désintéressait. Mais nous arrivons à une période où l'opinion française s'en est davantage préoccupée, et où le MRAP a eu à intervenir plus fortement. La guerre d'Algérie était finie mais elle laissait des douleurs, des rancoeurs. La venue d'un million de Pieds-Noirs contribuait à attiser l'hostilité contre les immigrés algériens. Les groupes d'extrême droite qui s'étaient développés (Jeune Nation, Occident. Ordre Nouveau, etc. . .) tenaient le haut du pavé. Le Front National, le Parti des Forces Nouvelles, le GRECE datent du début des années 70. Des manifestations violentes avaient lieu contre « l'immigration sauvage ». Pour ce qui est de l'immigration, il faut faire la distinction entre deux périodes: Elle a longtemps été le prolongement direct du colonialisme en ce sens que c'était une main-d'oeuvre coloniale à bon marché transférée en Métropole. Après la guerre, ces transferts furent importants parce que l'économie exigeait ce genre de maind'oeuvre non qualifiée. On a donc fait venir ou laissé venir d'abord des immigrés des pays voisins moins développés (d'Espagne, du Portugal et d'Italie ... ) puis on est allé puiser dans les colonies. Des missions se rendaient sur place pour sélectionner les travailleurs et les ramener: ceux qui venaient par leurs propres moyens, on les régularisait assez facilement. La demande était formidable, dans l'automobile, le bâtiment. les travaux publics: on a pu dire qu'à cette époque les immigrés ont construit 1 automobile sur 4, 1 logement sur 3, et 9 kilomètres d'autoroute sur 10. Ils ne prenaient pas la place des Français. Ils leur permettaient d'échapper en partie aux tâches subalternes, les plus ingrates, les plus dangereuses et les plus mal payées. Le racisme, à l'époque, consistait à dire: « C'est normal qu'ils soient moins bien traités, car ils ont moins de besoins, ce sont des peuples inférieurs ». Ces thèmes-là étaient répandus, entre autres par Minute, qui parlait de ces immigrés qui se complaisent dans leurs bidonvilles. Ils étaient souvent logés, effectivement. dans des bidonvilles, comme Nanterre pour les Algériens, Champigny pour les Portugais, ou bien dans des taudis, dans des caves. Il fallait en somme, par le racisme, justifier la surexploitation, les mauvais traitements, conception typiquement coloniale. Un changement intervient dans les première~ années 70, quand la crise arrive, après les « 30 glorieuses ». La croissance faiblit. les formes de production se modifient. Il y a de moins en moins d'O.S., le patronat réclame donc moins d'immigrés. Comme le chômage s'accroît. les racistes en rendent les immigrés responsables. Les actes de SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout - Différence nO 268 violence se multiplient contre les Algériens. En 1973, par exemple, à partir d'un drame qui s'était produit à Marseille où un Algérien, pris d'une crise de folie dans un autobus, avait tué un voyageur, il y a eu une vague de crimes racistes contre des Maghrébins, mais aussi parfois contre des Portugais. Le MRAP a évidemment organisé des protestations. C'est à ce moment-là que le gouvernement algérien a interrompu l'émigration vers la France (en septembre 1973). Ce qu'on a appelé le choc pétrolier (l'augmentation du prix du pétrole par les pays arabes) n'a pas arrangé les choses. Par exemple, on avait relevé cette forme de racisme primaire: un patron de bistrot refusait de servir un Algérien en disant « Pas de pétrole, pas de café ». Les mouvements ouvrier et étudiant de mai 1968, pourtant avaient mis l'accent sur la situation des travailleurs immigrés. Sans doute cette prise de conscience explique-t-elle aussi l'exaspération des racistes. Dès le 21 mars de cette année, le MRAP avait centré la 20éme journée internationale contre le racisme sur le logement des immigrés. Ensuite, pendant les grèves de mai. il a participé aux actions, aux débats en faveur de l'égalité des droits. 4_Jonction de tous les racismes Que le racisme anti-arabe et anti-immigré se développent n'atténue pas le racisme antijuif. La jonction est symbolisée par ce papillon que diffuse une organisation néonazie

on y voit une croix gammée et l'ancienne mention « Mort aux juifs» remplacée

par « Les immigrés dehors ». Le slogan a changé, mais pas la référence, ni la source. Les anciens nazis, tout en adoptant les thèmes anti-immigrés, n'abandonnent pas leurs habitudes. Ils s'efforcent même de donner une cohérence globale à leur idéologie raciste. Ainsi, à la mort de DUPRAT, un dirigeant du Front National, son journal Le National publie un article significatif, avec le raisonnement suivant: « Ce sont les juifs qui ont instauré IlV.G., Simone Veil. soutenue par des tas de médecins juifs. Or, quel est le but de IlV.G. ? C'est d'empêcher les Français d'avoir des enfants, pour que ce soient les enfants des immigrés qui prennent notre place, puisque, eux, ont beaucoup d'enfants ». Une autre organisation raciste collait des affichettes disant: ce sont les juifs qui nous amènent les immigrés. De 1977 à 1980, une série d'attentats ont lieu contre le MRAP, son siège, ses dirigeants, contre des centres communautaires juifs, des associations d'étudiants opposés au racisme, ainsi que des agressions contre des Maghrébins: par exemple ce jeune Algérien qui avait eu le dos tailladé au rasoir, dans la banlieue parisienne. Jusqu'à l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic (octobre 1980), qui a fait plusieurs morts et dont on n'a toujours pas trouvé les auteurs. C'est aussi en 1977 que le MRAP a changé de titre. Il s'appelait auparavant « Mouve- 11 Différence nO 268 - SUPPLÉMENT : Albert LÉVY, une vie debout 12 ment contre le Racisme, l'Antisémitisme et pour la Paix ». On nous disait: « Pourquoi mettez-vous l'antisémitisme à part. puisque c'est une forme de racisme?» En conservant les mêmes initiales, le MRAP est devenu « Mouvement contre le Racisme, et pour l'Amitié entre les Peuples ». 5_L'intrusion du racisme dans la politique Et maintenant? Ce qui est nouveau, me semble-t-i!, c'est l'intrusion du racisme dans la politique dont il est devenu un enjeu important. On peut situer le début de cette période en 1983, aux élections cantonales, où le Front National a commencé à monter. A ses trousses, la droite classique a commencé à lui emprunter ses thèmes anti-immigrés. Je possède une petite collection de textesde dirigeants du R.P.R. ou de l'U.D.F. de l'époque, sur l'immigration cause de délinquance ou de chômage. On a parlé d'un « raci sme d'opposition », utilisé par la droite pour discréditer le gouvernement de gauche en prétendant qu'il faisait la part trop belle aux immigrés, aux étrangers, qu'il était. en somme, le « gouvernement de l'étranger ». Il faut dire, par ailleurs, que ce gouvernement n'a pas accompli de grands efforts pour démystifier ces campagnes qui faisaient des immigrés, de plus en plus, les boucs émissaires de la crise. Aujourd'hui comme hier, des gouvernants, qui ne peuvent pas ou ne veulent pas résoudre les problèmes posés au pays, ont intérêt à ce qu'on parle d'autre chose. Soit en les attaquant brutalement. soit en leur donnant une place démesurée dans le débat politique. Ils se servent des immigrés comme d'un moyen de division et de diversion. Si bien que, paradoxalement. l'importance accordée à l'antiracisme, d'une façon générale et abstraite, peut devenir un artifice pour éviter l'examen des causes réelles du raci sme et des facteurs qui le favorisent: le désarroi, le mécontentement. les sentiments de frustration et d'impuissance résultant des difficultés que vivent la majorité des citoyens. Dans le même temps, la question de l'immigration se modifie sensiblement. L'économie française a de moins en moins besoin de main-d'oeuvre non qualifiée, cela pour différentes raisons: les mutations technologiques: l'accroissement de la productivité, les délocalisations d'entreprises vers les pays en voie de développement. Par ailleurs, l'Union Européenne, en vertu du traité de Maastricht. doit autoriser la libre circulation des personnes après celle des capitaux et des marchandises, autrement dit la venue sans formalités, dans les pays les plus industrialisés, de travailleurs ne trouvant pas d'emplois dans ceux qui le sont moins. Dès lors, les mesures de Pasqua (et d'autres déjà prises auparavant), que l'on dit destinées à réduire l'immigration (jusqu'à zéro), visent en réalité les immigrés non-européens, non-blancs. Le patronat continue de faire jouer la concurrence entre Français et étrangers et entre étrangers de diverses na tionalités, sur fond de rejet des originaires des anciennes colonies, du Tiers-monde. Dans ces conditions nouvelles, il s'efforce de tirer des Français et des Européens, les avantages particuliers que lui procurait la surexploitation des immigrés maghrébins et africains: le chômage, qui assure à son tour une réserve de travailleurs en situation de précarité et de moindre résistance, devient un instrument de pression sur les salaires, les droits sociaux et syndicaux. Au plan international, il importe aussi d'analyser et de combattre la montée des intégrismes, ainsi que le racisme qui se manifeste dans les conflits de l'après guerre froide, comme en ex-Yougoslavie. LES ACTIONS QUI TRAVERSENT TOUTES LES PERIODES Pour terminer, après avoir fractionné un peu arbitrairement l'histoire du MRAP en plusieurs périodes, je voudrais souligner que beaucoup d'actions qu'il a menées se poursuivent de l'une à l'autre_ Quand le racisme anti-immigré était le plus à l'ordre du jour, le MRAP n'a pas abandonné la lutte contre l'antisémitisme et réciproquement. Il y a eu également des campagnes qui se sont prolongées pendant des décennies. Celle qui visait à l'adoption d'une loi contre le racisme a duré 13 ans_ Le MRAP a déposé la proposition de loi en 1959 et elle a été votée au Parlement en 1972. Nous avons édité un livre qui le raconte, et qui donne un premier aperçu de la riche jurisprudence née de l'application de la loi. Des actions continues, de grande importance, mériteraient une étude détaillée, par exemple au sujet du Proche-Orient. Le MRAP s'est toujours prononcé pour l'entente entre le peuple palestinien et le peuple israélien, pour le respect des droits de l'un et de l'autre, ce qui lui valait quelquefois d'être mal vu des deux côtés, parce qu'il y a eu des évolutions des deux côtés. Au moment de la guerre de Six Jours, en 1967, nous n'étions pas tellement nombreux à prôner la paix, le respect mutuel. Selon les sondages il y avait alors 2%, de Français qui étaient favorables au peuple palestinien. Et le MRAP a été le seul à organiser un grand meeting à la Mutualité à PARIS contre la guerre, avec des personnalités très diverses et très connues. Nous avons organisé également une table ronde où discutaient des juifs et des Arabes. Alain SAVARY, qui y participait, avait eu cette formule: « En ce moment, il y a deux camps, le camp pro-israélien et le camp pro-arabe, mais vous, le MRAP, vous êtes dans le camp des principes! ». Un éloge à retenir. Autre action permanente menée par le MRAP : contre l'apartheid. Que de manifestations, de meetings, d'initiatives originales, pour soutenir les luttes du peuple noir d'Afrique du Sud et aboutir à ce qui se passe aujourd'hui! Nous avons été parmi les premiers et les plus actifs. Un seul exemple: la date du 21 mars, Journée internationale contre le racisme, a été choisie parce que c'était l'anniversaire du massacre de Sharpville qui a eu lieu en 1960. Pour protester contre ce massacre, dès le lendemain, le MRAP organisait une manifestation devant l'ambassade d'Afrique du Sud, et son mensuel Droit et Liberté publiait plusieurs pages à ce sujet. CONCLUSION? En conclusion - si l'on peut conclure! -, je dirais que si un historien se demandait ce que le MRAP a apporté et ce qu'il apporte, il pourrait retenir ceci: - Premièrement il a apporté cette réalisation majeure: la loi de 1972. C'est ce qui restera si, un jour, le MRAP n'existe plus. Elle est une des plus efficaces au monde en la matière, même si une loi ne résout pas tous les problèmes. Surtout, elle permet l'intervention des associations en Justice: ce fut une rupture dans la doctrine française, car jusque-là il n'y avait que les associations de pêcheurs à la ligne ou de défense des animaux qui en avaient le droit. Le MRAP a introduit ce changement et, depuis, quelques autres associations en ont bénéficié, notamment, les associations de déportés contre le négationnisme, les associations féminines contre le sexisme .•. - Deuxièmement, s'agissant des conceptions fondamentales, le MRAP a fait largement admettre dans l'opinion française l'unicité du racisme. Le fait que le racisme est un tout, quelles qu'en soient les victimes. Cette globalisation ressort des travaux des sociologues, figure dans les documents de l'ONU et de l'UNESCO, dans la loi de 1972, et, depuis 1977, dans le titre du MRAP. J'aime bien la formule d'Albert MEMMI, qui a forgé le mot « hétéro phobie », la haine de celui qui est autre, et qui peut se subdiviser en xénophobie, judéophobie, arabophobie, etc ..• ; ce qui donne bien l'idée d'unicité du racisme. Dans tous les cas, l'idéologie, la démarche, les comportements sont identiques, et aussi les conséquences. Autre conception du MRAP qui s'est imposée: il n'est pas un syndicat des victimes du racisme. Nous les défendons, bien sûr, mais nous considérons qu'il s'agit d'une lutte démocratique, une lutte de principe et qui ne concerne pas que les victimes, mais toute la société. Le MRAP réunit dans ses rangs, dans ses actions, des gens qui sont victimes des différents rac ismes et des gens qui ne sont pas directement visés; mais ces derniers ont intérêt à combattre le racisme, car il est une arme de dislocation de la société, il divise les gens qui ont des intérêts communs. L'Abbé Pierre a eu, un jour, cette formule que je répète souvent: « le raciste est un mutilé qui a peur et qui se trompe de colère ». S'il est un mutilé, s'il a peur et s'il se trompe de colère, il est, lui aussi, une des victimes du racisme, c'est le fond de la conception du MRAP. Enfin ce que le MRAP a encore apporté, c'est le pluralisme. La lutte contre le racisme n'est pas l'affaire d'un parti, ni d'un groupe, ni d'un milieu, c'est l'affaire de tout le monde. Pluralisme égaiement dans les formes de luttes contre le racisme, qui peuvent aller de la défense, de la riposte à la prévention, à l'éducation. Telle est l'originalité du MRAP. Il peut évidemment changer, inventer de nouvelles idées, de nouvelles formes d'action, en fonction de l'actualité_ On ne peut pas prévoir ce qu'il sera demain. L'essentiel, c'est précisément son aptitude à s'adapter, à rajeunir continuellement, à franchir les générations. Ce qu'il faut souhaiter, c'est qu'il colle toujours à la réalité. - Plus de transparence dans l'utilisation des recettes tirées de l'exploitation des ressources naturelles. - La mise en place de stratégies nationales de lutte contre la corruption; - Des démarches courageuses pour la promotion de l'agriculture paysanne (intrants, redevance d'eau, augmentation du budget de l'agriculture à hauteur de 10% du budget national) ; - La prise de mesures courageuses contre les privatisations et pour l'extension des services publiques, au Mali, particulièrement, l'arrêt du processus de privatisation de la CMDT et de l'Office du Niger. Rendre justice aux travailleurs licenciés de l'HUICOMA; - L'augmentation significative des budgets alloués à l'éducation et la santé; - L'arrêt des politiques de privatisation massives de l'école. Au niveau international - La Révision des politiques commerciales prônant le libre échange, source d'inégalités et d'injustice et la promotion de politiques commerciales socialement justes et écologiquement durables; - L'annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure des Pays du Tiersmonde; - La suppression pure et simple de la Banque Mondiale et du FMI et leur remplacement par la Banque du Sud instrument privilégié de coopération et de financement du développement sur des bases plus justes et équitables; - L'arrêt immédiat et sans condition des ingérences extérieures dans les affaires intérieures des Etats, et le respect strict du principe à l'autodétermination pour tous les peuples du monde; - L'arrêt des privatisations dans les pays du Sud, du contrôle des Entreprises par les multinationales protégées par l'Organisation mondiale du Commerce; - L'Annulation de la directive retour dite {( directive de la honte» de l'UE et la dénonciation le pacte européen pour l'exil de Nicolas Sarkozy ; - La suppression du système FRONTEX, arsenal militaire pour protéger la forteresse européenne et arrêter les politiques répressives et racistes sur les migrations_ A l'endroit des mouvements sociaux - L'engagement sans faille des mouvements sociaux pour lutter contre la forme actuelle des Accords de Partenariat Economique; - La Sensibilisation de la population au changement de comportement de consommation en promouvant les produits locaux au profit des produits importés; - La sensibilisation des populations aux enjeux des APE et la formation d'un front uni contre ces politiques libérales; - L'Encouragement des populations à un contrôle citoyen de l'action publique_ Fait à Koulikoro, le 09 Juillet 2008 'iniqui é de la e e Interview de Paul Muzard, ancien président du MRAP, par Jean-Claude Dulieu à popos de son livre « En finir avec la guerre contre les pauvres ». JCD : On évoque souvent la dette des pays pauvres_ Mais de quoi parle-t-on réellement ? PM : L'énorme dette des pays pauvres, - {( pauvres », c'est-à-dire en voie constante de sous-développement - n'est pas le résultat du hasard. Elle est à situer dans le cadre d'un programme de pillage avec les armes de l'endettement. Ce pillage a commencé avec la domination coloniale des Amériques depuis le XVlème siècle, puis celle de l'Afrique et de régions asiatiques à la fin du XIXème siècle. La dette, telle qu'on l'entend aujourd'hui, remonte au début des années 1970, soit à plus de 30 ans. Il y avait à cette époque d'énormes quantités de capitaux disponibles; en termes techniques on appelle cela des liquidités. Il s'agissait donc de trouver à qui prêter pour que ces capitaux rapportent des intérêts. Or comme l'ensemble des pays développés étaient déjà suffisamment endettés, les Etats, les banques et les entreprises se sont tournés vers le Tiers-Monde; ils ont proposé des crédits pour le développement. Tous les pays pauvres ne pouvaient que souhaiter des moyens pour leur développement. Les pays endettés ont donc commencé à investir dans des programmes d'équipement, comme la construction d'hôpitaux, de routes et faire progresser des systèmes scolaires ou de santé. Tout allait bien au début car les prêteurs avaient accordé 5 à 7 années de grâce pour rembourser. Mais, venu le moment de rembourser, les endettés se sont trouvés coincés. Pour s'acquitter de leurs dettes, ils doivent vendre à l'extérieur afin de disposer des finances nécéssaires. Or ils n'avaient pas assez de produits à vendre au Nord, d'autant plus qu'ils étaient 135 pays endettés et qu'ils n'avaient entre eux tous qu'une quinzaine de produits à proposer. Ils étaient donc concurrents entre eux et c'était à qui serait le moins cher. Situation aggravée par le fait qu'ils étaient totalement enfermés dans le commerce avec le prêteur, car le remboursement devait se faire dans la monnaie de celui-ci: à l'époque, c'était en dollars, en francs, en marks, en livres sterling. Ils ne pouvaient donc pas échanger entre eux. Les prêteurs auraient pu, bien sûr, acheter davantage de produits aux endettés mais ce n'était pas le problème des créanciers. JCD : Le mécanisme en place était donc particulièrement machiavélique? PM : La situation est devenue catastrophique quand le directeur de la Banque américaine, sous Jimmy Carter, a décidé une hausse des taux d'intérêts. Le taux de change 13 14 du dollar est alors passé de 5 francs à 11 Francs 50. Cette mesure augmentait considérablement les taux de remboursements qui devenaient insupportables. Brusquement, en 1982, un premier pays, le Mexique, déclare qu'il ne peut plus payer, suivi en quelques semaines d'une dizaine d'autres. Alors, du jour au lendemain, les banques qui, jusque là, se précipitaient pour prêter toujours et encore, ont brusquement interrompu les prêts qu'elles consentaient à l'ensemble des pays du tiers-monde, c'est-à-dire qu 'elles n'ont plus accordé aucun crédit d'argent frais, en liquide, utilisable pour faire quoi que ce soit. Du coup, tous les investissement en cours (hôpitaux, routes en construction, machines dans l'attente de pièces de rechange, etc.) ont été interrompus. Un gâchis considérable que les endettés ont dû payer comme si les investissements avaient été réalisés. C'est alors que les pays prêteurs ont proposé le rééchelonnement de la dette, éventuellement étalé sur 20 ou 30 ans, sinon davantage, ce qui la renchérit encore davantage. Et quand les échéances ne peu vent pas être payées intégralement, les banquiers capitalisent les intérêts d'échéance en échéance, c'est-à-dire les joignent au capital, si bien que les montants des remboursements sont en constante augmentation. C'est la mise en route d'une dette sans fin. Un système ignoble, la poule aux oeufs d'or. JCD : Avec ce système, il est sorti plus d'argent des pays périphériques qu'il n'en est rentré. Même la Banque Mondiale a reçu de certains pays plus qu'elle ne leur prêtait. Ce sont bien les pauvres qui enrichissent les riches. PM : Qu'on en juge par l'évolution de ce fardeau. Evolution de la dette africaine : 30 milliards en 1975, 90 milliards en 1980, 110 milliards en 1982, 350 milliards en 1999. Evolution de la dette extérieure cumulée des Etats d'Amérique latine : 1970, environ 60 milliards de dollars, en 1980, 240 milliards, en 1990, 483 milliards, en 2001, environ 750 milliards. Pour faciliter les choses, si l'on peut dire, les créanciers ont imposé aux endettés des Programmes d'Ajustement Structurel, autrement dit leur ont fait leur budget en sorte qu'ils économisent au mieux en vue de rembourser. Donc un régime drastique : équilibre du budget de l'Etat par réduction des salaires des fonctionnaires, du coût des services publics comme l'enseignement scolaire et la santé; privatisation des services publics, déva luation de la monnaie ... JCD : En somme, les dégâts de l'endettement s'appellent « augmentation du nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté n, cc chômage n, cc mortalité infantile n, « maladies sans le secours des médicaments n, cc faim n ••• La faim dans le monde est aujourd'hui une des conséquences directes de la dette. Et à la dette il faut ajouter les subventions que les pays riches donnent à leurs agriculteurs pour concurrencer les productions de pays africains: céréales ou coton, par exemple. Ces subventions ruinent des économies comme celles du Mali ou du Burkina-Faso dont le coton est la seule ressource. Les pays du Nord tentent de justifier ces hémorragies financières en avançant l'idée que les lois qui régissent la dette seraient inévitables, immuables et quiconque toucherait à ces mécanismes mettrait en péril l'économie du monde. Et pourtant le G8 ne vient-il pas d'envisager l'annulation totale ou partielle de la dette de certains pays? Cette annonce est sur le plan idéologique une avancée puisqu'elle porte un coup à l'utilité de ce système. PM : En attendant, le G8, réuni à Gengeagles en juillet 2005, devait effectivement annuler la dette de 18 pays pauvres d'Afrique. L'annulation à 100% serait d'un montant de 40 milliards de dollars, une mesure peut-être spectaculaire mais en fait dérisoire au regard de la totalité de l'endettement du tiers-monde, qui s'élève à 2 500 milliards de dollars. Et si elle soulage momentanément les pays pau vres, l'annulation de la dette de 18 pays, présentée parfois comme « historique », ne coûte pas cher, en fait, aux bailleurs de fonds occidentaux, puisqu'il s'agit de créan ces considérées comme irrécouvrables. De plus cette annulation ne vise que les dettes publiques. JCD : Jean Ziegler définit la dette et la Faim comme des armes de destruction massive. Nous avons vu l'arme de la dette. Il faut dénoncer maintenant l'arme de la faim. Le massacre, par la sous-alimentation et par la faim, d'êtres humains reste le principal scandale de ce troisième millénaire : un crime contre l'humanité. Un corps frappé par la faim ne résiste pas aux infections car ses forces immunitaires sont déficientes. La moindre attaque du moindre virus provoque la mort. Actuellement 815 millions de personnes souffrent de la faim sur la planète. 30 millions en meurent chaque année: l'équivalent de plus de la moitié de la France. Un mort toutes les 4 secondes. Le premier Sommet mondial de l'Alimentation réuni par l'ONU en 1996 avait décidé de ramener le nombre de personnes victimes de la faim de 800 millions à 400 millions d'ici 2015 ; cinq ans plus tard, au moment du deuxième Sommet de Rome en juin 2002, le total était passé de 800 à 815 millions. La faim continue donc de s'aggraver malgré les engagements pris. A Rome 180 pays étaient représentés, mais un seul chef d'Etat occidental était présent, le président en exercice de l'Union européenne, l'espagnol José Maria Aznar. Les chaises vides sont bien le signe de l'inexistence de toute volonté politique réelle. A la faim structurelle, la faim organisée pourrait-on dire, il faut ajouter la faim conjoncturelle : inondations, sécheresses, mais aussi les guerres qui souvent résultent des politiques des colonisateurs : frontières établies sans respect des peuples, qui autrefois avaient une unité, pour mieux organiser le profit des riches, soutiens à des régimes dictatoriaux, véritables valets des pré carrés coloniaux. Des conflits nouveaux émergent avec l'appropriation de l'eau par la privatisation ou la maîtrise des fleuves, comme en Palestine où les Palestiniens sont privés de l'eau nécessaire aux cultures ; l'appropriation des ressources pétrolières génèrent depuis longtemps un certain nombre de conflits du fait des protections des occidentaux qui veulent garantir leurs approvisionnements pour renforcer toujours davantage leur domination économique. Quand les Français se désespèrent du nombre de réfugiés qui débarquent par n'importe quel moyen en France, ils oublient ou méconnaissent que les flux de réfugiés d'Afrique concernent avant tout massivement les pays africains. C'est le Sud qui prioritairement reçoit les réfugiés du Sud, des masses de chômeurs, avec les tensions induites et l'engrenage de la misère et de la faim. Avec toute cette misère provoquée, on peut s'étonner que beaucoup de ces pays puissent encore payer des annuités, même incomplètes. PM : Certes les riches - les prêteurs - accordent quelquefois des allègement de dettes; mais l'allègement ne fait qu'entretenir le système, la logique de l'endettement de celui qui ne peut toujours pas payer. Les rich es prennent garde que les pauvres ne fassent pas totalement faillite, cela détruirait la poule aux oeufs d'or. Aussi importe-t-il que la dette ne soit pas allégée, mais annulée. Parfois de bonnes âmes trouveraient immoral qu'on ne rembourse pas des dettes. Nous pensons nous être bien expliqué sur ce point. Précisons encore ceci: les banques, dans leur très grande prudence, ont depuis longtemps amorti ces pseudo-dettes qui figurent sans doute toujours dans les comptes d'exploitation. La lutte contre la Faim et contre le désespoir des pauvres du TiersMonde, l'annulation de la dette relèvent d'une mobilisation vigoureuse et à long terme qui passe bien avant des préoccupations étroites et secondaires. Cette question éminemment politique devrait être rappelée chaque année dans chaque comité du MRAP dans le cadre d'une campagne d'envergure nationale. 1 S L ON ., , FLA E ES • Il une réforme de fond en [omble s1mpose par Oxfam France - Agir ici Care et Oxfam en appellent à des changements fondamentaux pour lutter contre la faim dans le monde et la flambée des prix des denrées alimentaires. Oxfam et Care international ont qualifié le système d'aide internationale d'inapte à juguler le problème de la faim dans le monde. Ils réclament tous deux une réforme de fond en comble du système pour qu'il soit mieux en mesure de lutter contre la flambée des prix des aliments et les crises alimentaires qui menacent l'Afrique de l'Est et de l'Ouest. Cette déclaration est intervenue au terme d'une conférence visant à définir les meilleurs moyens de remédier au problème de la faim dans le monde qui a réuni à Rome quelques 30 organismes chefs de file de l'ONU et d'aide. « Les émeutes de la faim ont ramené la faim dans le monde au nombre des priorités politiques, mais l'industrie de l'aide ne parviendra pas à remédier au problème tant qu'elle l'abordera avec la perspective rétrograde selon laquelle les crises alimentaires sont des événements ponctuels et ne s'attaquera pas à la cause sous-jacente, la pauvreté chronique. Le monde est passé maître dans l'art d'envoyer sur le terrain des équipes capables de sauver des vies, mais il semble incapable de faire ce qu'il faut pour prévenir au départ l'explosion de crises », déclare Barbara Stocking, directrice d'Oxfam GB. « Les gouvernements n'agissent pas assez rapidement et de manière concertée; ils se mobilisent pour fournir de l'aide d'urgence beaucoup trop tard, quand de nombreuses vies ont déjà été fauchées. L'aide acheminée par avion vers les zones frappées par les crises alimentaires qu'on nous montre à la télévision n'est pas le triomphe de la compassion, mais bien le t émoignage de notre échec à agir au moment opportun », a ajouté Dr. Robert Glasser, secrétaire général de Care International. Les deux organismes internationaux préviennent qu'outre l'impact de la hausse des prix des denrées alimentaires, des signes indiquent qu'une catastrophe se prépare en Afrique de l'Est et de l'Ouest. Ces désastres potentiels pourraient être évités si le monde agissait sans aucun délai. En Afrique de l'Est, la saison des pluies qui s'échelonne de mars à mai sera vraisemblablement plus sèche que la normale. Cela pourrait provoquer une crise humanitaire étendue pour la deuxième fois en moins de trois ans. Oxfam est particulièrement préoccupé par les conséquences que cette crise pourrait avoir sur les personnes les plus pauvres dans le ~ud de la Somalie et la région Somali de l'Ethiopie. Par ailleurs, en Afrique de l'Ouest, la faim r isque de frapper durement des régions vulnérables de la Mauritanie et du Niger. En agissant plus tôt, non seulement peuton sauver plus de vies, mais on peut aussi diminuer les coûts des interventions. En 2004 et 2005, des indicateurs précoces ont alerté les pays donateurs riches au fait qu'en Afrique de l'Ouest, le Niger avait besoin d'aide pour éviter une famine. L'Occident a fait la sourde oreille et a condamné des milliers de personnes à la famine. Il a fallu que les caméras de télévision montrent le visage émacié d'enfants mourants pour que le monde réagisse. Mais il était trop tard. Selon l'ONU, une intervention précoce pour prévenir qu'un enfant souffre de malnutrition aurait coûté 1 $ par jour. Parce qu'on a tardé à agir, l'intervention pour sauver un enfant souffrant de malnutrition a coûté 80 $. L'organisme répand surtout son venin contre l'industrie de l'aide alimentaire qui, selon lui, est envahie de groupes d'intérêts d'entreprises qui réalisent des bénéfices aux dépens de certaines des personnes les plus vulnérables dans le monde. « L'aide alimentaire peut sauver des vies et en sauve effectivement. Mais des groupes d'intérêts influents - le lobby des grands producteurs agricoles, les entreprises qui ensachent les aliments et les expédient - et les politiques des gouvernements occidentaux font en sorte que l'aide alimentaire arrive généralement trop tard, qu'elle coûte trop cher, et que son dumping sur des marchés locaux fragiles entraîne la faillite des agriculteurs locaux et, en conséquence, amenuise les chances de rétablissement une fois la famine enrayée », affirme Barbara Stocking, directrice générale d'Oxfam GB. Oxfam et Care exhortent à accroître l'aide, et à fournir le bon type d'aide au bon en droit et au bon moment. Plus spécifiquement, les deux organismes réclament: Une aide adéquate qui réponde aux besoins Il faut élucider la nature chronique de l'insécurité alimentaire et son rapport étroit avec la pauvreté extrême pour mettre au point des réponses plus adéquates à la faim dans le monde. Il faut aussi tenir davantage compte de la dépendance croissante des gens envers l'aide et la vulnérabilité des marchés. Des solutions de rechange aux secours d'urgence, aide alimentaire y comprise, telles des mesures « argent contre travail» et d'autres mesures de transfert de fonds, peuvent être plus indiquées. La plupart du temps durant les crises alimentaires, la nourriture ne fait pas nécessairement défaut, mais son prix est trop élevé pour que les gens affamés puissent s'en procurer. En achetant l'aide alimentaire sur place, on peut contribuer à stimuler l'économie locale et donner du travail aux fermiers. Il faut s'attaquer aux problèmes chroniques et cycliques au moyen de mécanismes de protection sociale, comme l'aide directe aux plus vulnérables, l'assurance contre la sécheresse pour les agriculteurs, ainsi que des mesures d'atténuation et de prévention, comme les banques de céréa les, l'entreposage local des aliments, et l'appui à la diversification agricole pour éliminer la dépendance des fermiers envers une seule culture. Le renforcement de la capacité des gouvernements des pays pauvres à répondre aux crises chroniques et un appui à ces gouvernements Les gouvernements nationaux doivent investir dans la protection sociale de leurs citoyens, mettre en place un « filet de sécurité» (mesures « argent contre travail» ou aide ciblée à l'intention des plus vulnérables) pour les populations vulnérables à la faim, intervenir avant que les moyens de subsistance ne s'écroulent, et mieux préparer la gestion des catastrophes. Les donateurs doivent consacrer des ressources pour appuyer la mise en place de mécanismes de réponse locaux et d'un filet de sécurité. Dans le cas du programme de protection de la productivité agricole, par exemple, des donateurs ont, grâce à leurs contributions, garanti une aide prévisible de huit millions de dollars aux Éthiopiens. Des mécanismes favorisant le suivi et la coordination de l'aide internationale pour lutter contre la fai'm doivent être établis au sein du système onusien. Au sujet de la récente montée en flèche du prix des aliments, Oxfam et Care réclament: • La hausse des investissements des pays donateurs et des gouvernements nationaux dans l'agriculture à petite échelle dans les pays en développement, surtout en Afrique subsaharienne. La plupart des gouvernements africains ont manqué à leur promesse de 2003 d'allouer au moins un dixième de leurs dépenses à l'agriculture et ils en subissent maintenant les conséquences. Des pays comme le Malawi et la Zambie ont donné 15 16 l'exemple: ils se sont affranchis de leur dépendance envers l'aide alimentaire pour récemment devenir des pays exportateurs de céréales. L'aide internationale doit augmenter. Tous les acteurs doivent veiller à ce que les femmes aient accès aux débouchés qui sont créés. • Une halte à la production croissante de bio-carburants qui jette de l'huile sur le feu. L'augmentation marquée de la demande de biocarburants a fait grimper les prix des denrées alimentaires et n'a pratiquement pas réduit les émissions de carbone. Des puits de carbone naturels comme les forêts tropicales humides et les pâturages sont détruits pour faire place à de nouvelles plantations servant à la production de biocarburants au détriment de la production alimentaire. Les pays responsables de l'augmentation de la demande de biocarburants (p.ex. les États-U niset l'U nion européenne) doivent contrôler les répercussions de leurs politiques sur la sécurité alimentaire mondiale et fournir un appui financier aux pays affectés. Il faut réévaluer les cibles obligatoires en regard de l'impact probable sur les émissions et des effets secondaires sociaux et environnementaux négatifs dans les pays en développement, y compris la hausse des prix des denrées alimentaires, le changement de vocation des terres et la violation des droits des travailleurs. Les pays en développement doivent harmoniser leurs stratégies de production de biocarburants aux politiques de sécurité alimentaire pour remédier à des problèmes tels l'allocation des terres et l'utilisation des récoltes. • Des services financiers, comme l'assurance et le crédit, accessibles aux fermiers démunis. En Thaïlande, par exemple, de petits producteurs sont acculés à la débâcle parce que les banques refusent de leur prêter les sommes nécessaires à leur subsistance entre les récoltes. • Des politiques commerciales nationales qui permettent la gestion de la sécurité alimentaire et le développement rural, et qui font en sorte que les fermiers les plus pauvres et marginalisés bénéficient de la hausse actuelle des prix des aliments. • Un constat selon lequel les changements climatiques vont exacerber ces problèmes et il faut adopter de toute urgence des mesures d'atténuation et d'adaptation. • L'élimination des subventions des pays riches aux exportations agricoles génératrices de distorsion commerciale. En effaçant l'effet de distorsion commerciale dans les marchés mondiaux, cette mesure ouvrirait la voie .à une solution à long terme durable à l'instabilité des prix des aliments. Les répercussions négatives potentielles pour les pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires peuvent être atténuées grâce à des mesures de sauvegarde et des politiques nationales. ~OMC ORGANISE LA CONCURRENCE ... Pour d'autres p IitiQues agri(oles et alimentaires en Europe: une nouvelle régulation internationale ! par ATTAC france et la Confédération paysanne les crises alimentaire et écologique, qui engendrent dans le monde toujours plus de pauvreté, de faim et de destruction des ressources naturelles, exigent d'autres politiques agricoles, tant au niveau international. qu'européen et national. le changement des règles internationales est indispensable pour pouvoir élaborer des politiques agricoles et alimentaires satisfaisantes en Europe et dans toutes les régions du monde. l'Union européenne peut et doit jouer un rôle essentiel dans le changement de ces règles. 1. Les dégâts de la libéralisation des échanges Depuis quinze ans, selon les règles de l'idéologie néolibérale, les régulations publiques des marchés agricoles internationaux ont peu à peu été démantelées, en particulier, à partir de 1995, sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette libéralisation a été accentuée par les programmes d'ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Ils ont conduit à un abaissement des tarifs douaniers des pays pauvres, souvent bien au-delà des exigences de l'OMC, et une suppression des outils de régulation dont disposaient ces gouvernements. Ces politiques ont pu être imposées aux pays pauvres sous la pression du remboursement d'une dette croissante. L'Union européenne a une responsabilité centrale dans cette libéralisation, qu'elle a soutenue dans l'intérêt notamment des multinationales européennes. C'est dans ce sens notamment que, depuis 1992, elle a choisi de réformer sa propre Politique agricole commune (PAC), pour démanteler progressivement tous ses outils de maîtrise des volumes de production et des prix agricoles. Les conséquences sont multiples et terribles : - Une volatilité des prix de plus en plus forte. En période de flambée des prix, ce sont les pays et les consommateurs les plus pauvres qui sont gravement touchés. Les intermédiaires, les industries agroalimentaires et la grande distribution, en profitent pour spéculer et augmenter considérablement leurs marges. Ainsi, les grands négociants de céréales tels que Cargill ou Bunge ont multiplié leurs profits lors du premier semestre 2008 de façon scandaleuse. En période de chute brutale des prix, cela aboutit, dans un contexte de mise en concurrence des agricultures du monde, à une sélection des systèmes de production les plus productifs et/ou les plus subventionnés, au détriment des agricultures paysannes. - Une fragilisation des économies et une dépendance alimentaire des pays en voie de développement de plus en plus importante. Elles résultent du démantèlement des tarifs douaniers et de la mise en concurrence directe des agricultures des pays pauvres avec les agricultures ultra-modernisées des pays du Nord. Elles découlent également de l'incitation de la Banque mondiale et du FMI à développer les cultures d'exportation, au détriment des cultures vivrières. Les agricultures des pays riches sont fortement subventionnées, alors que celles des pays pauvres ne peuvent bénéficier d'une protection des marchés pour se développer. - Une destruction des agricultures paysannes, y compris au Nord. Elle conduit à une destruction de l'emploi agricole dans un contexte de chômage de masse. La mise en concurrence poussant à diminuer toujours plus les coûts de production, c'est la course à l'agrandissement, la substitution du travail au capital, l'hyper-spécialisation en productions végétales et l'intensification en productions animales, la spécialisation spatiale des activités agricoles et la diminution relative des surfaces en herbe. Tandis que sont défavorisés les systèmes agricoles porteurs d'effets positifs (en matière de paysages, de biodiversité ... ), s'accentuent la déforestation, l'épuisement des sols, la perte de biodiversité domestique et naturelle, le bio-piratage ... Sans compter que ces systèmes mettent en danger la santé des travailleurs et des consommateurs comme le potentiel productif. Cette libéralisation des marchés est accompagnée de stratégies productivistes, qui détruisent l'emploi et accentuent la pression sur les ressources naturelles. De nombreux pays, notamment émergents, mettent en concurrence leurs propres agricultures et laissent faire les tentatives de dépossession du sol pour d'immenses exploitations ultra-spécialisées. Les pays les plus riches jouent la carte d'aides massives, tournées vers l'exportation et la compétitivité des agricultures sur les marchés mondiaux. 2. Flambée des prix agricoles et domination de la logique financière La flambée des prix agricoles depuis deux ans est alimentée par la spéculation des investisseurs. Suite à la crise financière et immobilière, les spéculateurs se sont tournés vers les marchés à terme de matières premières. Alors qu'en 2003,13 milliards de dollars étaient investis en bourse dans les matières premières aux États-Unis, en 2008, ce chiffre s'élevait à 260 milliards de dollars(1). Or, les fonds d'investissement achètent des futures, c'est à dire les récoltes des années à venir. L'objectif n'est pas de sécuriser un approvisionnement en produits agricoles, mais plutôt de gagner de l'argent en revendant plus tard et à un plus haut prix ces droits sur la production. Les fonds d'investissement et les entreprises de l'agrobusiness placent également leurs excédents de liquidités dans l'achat de milliers d'hectares au Brésil ou encore en Afrique et en Asie du Sud-Est. Assurés de super profits dus aux tensions durables sur les biens agricoles, ils développent les productions d'exportation ou d'agrocarburants. À cela s'ajoute la constitution de stocks, soit au mieux de précaution, soit spéculatifs, Des pays exportateurs freinent ou même arrêtent leurs ventes aux pays importateurs, de peur d'être eux aussi en rupture et de voir leurs prix intérieurs augmenter fortement(2). Dans le même temps, des négociants en profitent pour spéculer en constituant des stocks pour accroître leurs marges. C'est par exemple le cas pour le riz: première céréale mondiale, elle est beaucoup moins échangée que le blé et a très peu d'usages hors alimentation humaine. Comment expliquer, autrement que par les spéculations, que le 27 mars 2008, à Bangkok, le prix de la tonne de riz thaï soit passé de 580 à 760 dollars (+ 31 %) en quelques heures? Le développement des agrocarburants a joué un rôle important dans cette flambée des prix Sous l'impulsion des entreprises de l'agrobusiness, puis des États-Unis, de l'Union européenne et d'autres grands pays producteurs, toute une partie de la production agricole a alors été déviée de l'usage alimentaire vers les agrocarburants. En découle une baisse de l'offre, notamment en maïs, qui nourrit la spéculation vers le haut sur les marchés des produits agricoles. Ce déséquilibre des marchés financiers résulte directement de la libéralisation des marchés financiers entam.ée depuis les .années 80, notamment par l'Union europeenne et ses Etats membres. La conséquence, ce sont 850 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, auxquelles se sont ajoutées 100 millions de plus selon la Banque mondiale suite à la flambée des prix. Déjà, cette bulle a commencé à éclater, tant sur le pétrole que sur les produits agricoles, le prix mondial des céréales ayant baissé d'un tiers depuis leur plus haut niveau de 2008. Là encore, ce seront avant tout les agricultures paysannes et surtout celles des pays les plus pauvres qui seront touchées de plein fouet. Dans un tel contexte, la crise alimentaire mondiale ne doit étonner personne. Elle est la conséquence de choix économiques et politiques désastreux. Mais le cynisme des élites n'a pas de limites: elles persistent à louer les bienfaits de la libéralisation des marchés de biens et de services. Cette politique est pourtant de plus en plus insupportable, pour les populations et pays pauvres, comme pour la planète elle-même. La crise écologique, sur fond de crises énergétique et climatique, introduit une donne radicalement nouvelle, 17 18 en remettant en cause l'ensemble de nos modes de production et de consommation et en exacerbant les tensions internationales. Dans cette situation, le doute sur les bénéfices à attendre de la libéralisation des marchés se répand de plus en plus largement. Les évolutions récentes soulignent les impasses de cette politique: échec (certes peut-être provisoire) des négociations à l'OMC, bloquées par la Chine et l'Inde afin de protéger leur agriculture, nouvelle réforme de la politique agricole des États-Unis pour un retour à des outils forts de régulation ..• En pleines crises alimentaire, écologique et financière, il est urgent que les citoyens, consommateurs et paysans, se mobilisent pour une rupture avec l'ordre néolibéral et pour la mise en place de nouvelles règles internationales. 3. Résister et proposer: pour un changement profond des règles internationales Quels objectifs ? - Assurer à tous une nourriture saine et suffisante; - permettre à chaque pays un développement plus équitable et plus soutenable, fondé sur des échanges solidaires et une agriculture familiale répondant à des fonctions environnementales et sociales (emplois et revenus des travailleurs de l'agriculture). Ce qui implique de : - réduire drastiquement l'instabilité des prix et des volumes disponibles sur les marchés internationaux, instabilité particulièrement dommageable aux producteurs et consommateurs pauvres et aux pays en difficulté; permettre des prix rémunérateurs à la production, satisfaisant à la fois les différents types de producteurs et de consommateurs. Pour atteindre ces objectifs, une régulation publique forte du secteur agricole est à repenser aux échelons, mondial, régional, national et local. Un autre cadre international de réCJulation publique des marchés : Avant tout, l'Union européenne doit refuser et dénoncer les accords de libre-échange multilatéraux (OMC) et bilatéraux (dont les Accords de partenariat économique). Un développement agricole durable dans les pays pauvres, répondant aux besoins alimentaires de tous, nécessite l'annulation de leur dette, notamment par l'Union européenne et ses États membres. Le droit à la souveraineté alimentaire doit être inscrit dans le droit international. Il implique le droit effectif de chaque pays ou groupe de pays, dans le respect des autres règles de droit, de satisfaire ses besoins alimentaires de la façon qui lui paraît la plus appropriée, sans perturber les échanges internationaux et les a ut res pays. Un nouveau cadre multilatéral de régulation des marchés (dont les marchés agricoles) doit être mis en place et incorporé au système des Nations unies (l'Organisation des Nations unies étant elle-même à réformer pour donner aux pays du Sud leur poids légitime). Cette organisation des marchés internationaux doit être fondée sur l'intérêt général et la coopération entre pays, garantir l'accès de tous aux droits humains fondamentaux et respecter le droit à la souveraineté alimentaire. Ces nouvelles bases doivent concrètement permettre : - aux pays et régions de se protéger et de mieux contrôler les firmes agro-industrielles ; - de favoriser des accords par produit, en priorité sur les produits tropicaux, mettant en place des prix minimums et des quotas d'exportation, négociés régulièrement en fonction des conditions économiques globales et des pays concernés; - d'établir des accords préférentiels favorables aux pays pauvres grâce à des règles commerciales asymétriques. Cette ré9ulation internationale doit 'prendre la mesure de la crise ecoloCJique et favoriser des echanCJes, des systèmes de production et de consommation capables de nourrir le monde et de préserver pour l'avenir la vie sur terre et les ressources qui y contribuent. La relocalisation des activités et l'autosuffisance alimentaire doivent devenir des objectifs centraux. Néanmoins, l'inégale répartition des populations et des terres agricoles rend inévitable le maintien d'échanges agroalimentaires. Les ressources naturelles n'étant pas illimitées, le mode de production agricole (plus ou moins autonome et respectueux des ressources naturelles) et le type d'alimentation des populations (notamment la part de l'alimentation carnée) concernent tout le monde. La destruction, le gaspillage ou le détournement de l'espace agricole productif et les équilibres ville-campagne ne peuvent plus être étroitement l'affaire de la souveraineté nationale, ils doivent être soumis à des objectifs de régulation internationale. Nos propositions contre la domination de la logique financière et des spéculations agricoles : - interdire les fonds spéculatifs sur les matières premières; - sanctionner les opérateurs qui manipulent les cours des matières premières, ce que n'a pas fait aux États-Unis la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) ; - fermer les marchés à terme sur les matières premières alimentaires, comme cela a été fait en Inde, moyennant quoi le prix intérieur du blé n'a pratiquement pas augmenté depuis un an ; - favoriser une régulation internationale par des stocks publics minimums aux niveaux national et régional. Ce cadre doit permettre, au sein des États et des ensembles réCJionaux, des politiques réCJulatrices et protectrices. 4. Dans ce cadre, des politiques agricoles et alimentaires europeennes, nationales et locales profondément repensées Les fondamentaux de la PAC, aujourd'hui toujours appliqués, ont généré une agriculture productiviste et une destruction de l'environnement et de l'emploi; ils sont à remettre en cause. L'Union européenne et ses États membres doivent viser la reconquête d'une véritable autonomie alimentaire, tout en prenant leurs responsabilités en matière de solidarité avec les pays pauvres et de sécurité alimentaire au niveau mondial. Ces fondements peuvent être respectés avec les outils de régulation suivants à l'échelle de l'Union européenne: - une taxation variable des produits importés en fonction de prix intérieurs reflétant les coûts réels de production, avec des standards environnementaux et sociaux minimaux; - un système de gestion des marchés, qui garantisse aux producteurs européens des prix rémunérateurs, basés sur « le coût de production total moyen », complétés par des aides aux producteurs à faible revenu du fait de leur situation; - des outils de maîtrise et de répartition des volumes de production. En retour, seraient exigées : - une pénalisation plus forte et plus stricte des pratiques de production destructrices des ressources naturelles; - lus pauvres, de réelles politiques de transition et une redistribution significative, par les fonds structurels, au profit des agricultures et des régions les moins favorisées. Pourraient ainsi être couverts les différentiels de productivité et maintenue, dans ces régions, l'activité agricole; - une modification complète des aides et des règles pour favoriser: • les systèmes agricoles autonomes, économes en énergie fossile et en intrants et soucieux de préserver le patrimoine naturel commun (eau, biodiversité, fertilité des sols ... ), • l'emploi agricole, qui implique de ne plus subventionner en fonction de la surface, mais du travail, • les circuits relocalisés de transformation et de distribution. Aux niveaux national et régional, d'autres politiques doivent pouvoir restaurer le lien entre agriculteurs, consommateurs et territoires: - une politique de répartition équitable des marges entre les différents acteurs de la filière; - une politique alimentaire nationale ambitieuse, favorisant la santé et les consommateurs les plus pauvres; - une régulation du foncier visant l'installation de nouveaux agriculteurs et la transmission des exploitations; - un soutien significatif des pratiques de production écologiques, de l'agriculture biologique, des filières courtes; - une démocratisation des instances de débats et de décisions. Conclusion Une nouvelle politique agricole et alimentaire européenne passe par une redéfinition complète des règles internationales. Cette redéfinition ne se fera pas sans une volonté claire de l'Union européenne, qui conserve un poids considérable, économique et politique, dans les négociations internationales. Ces changements passent par une mobilisation de chacun pour agir collectivement aux différents niveaux de décisions politique, du local au global. Ils passent aussi par une convergence de tous les mouvements citoyens, qu'ils soient écologiques, de paysans, de solidarité internationale ou de consommateurs. La planète alimentaire , rongee par LA GANGRÈNE LIBÉRALE par Gérard le Puill Le monde va-t-il manquer de nourriture en ce début de XXle siècle? À r origine de la menace qui pèse sur des millions d'êtres humains: le risque de pénurie, qui. nourrit une spéculation encouragée par les politiques libérales. Le monde va-t-il manquer de nourriture en ce début de XXI" siècle, alors que les populations citadines largement majoritaires en arrivent à oublier ou à méconnaître le rôle de l'agriculture? La situation de ce printemps 2008 est suffisamment grave pour que chacun s'interroge sur la place du monde paysan dans nos sociétés. En quelques semaines, le coût de la vie a parfois doublé pour les populations les plus pauvres des pays pauvres alors qu'ils consacraient déjà l'essentiel de leurs maigres revenus à l'alimentation. Les consommateurs français s'émeuvent depuis quelques mois de la flambée des prix de denrées essentielles comme le pain, les pâtes, la volaille, les produits laitiers. Souvent spéculatives sur fond de stockage privé face à des réserves publiques quasi inexistantes dans la plupart des pays, les hausses de prix des produits alimentaires nous rappellent brutalement la faillite et l'irresponsabilité des décideurs politiques dans la plupart des pays. Ils ont oublié la signification profonde de la souveraineté alimentaire et des politiques publiques de régulation de l'offre pour s'en remettre au seul marché, à ces spéculateurs dont les plus actifs sont désormais les fonds qui se dégagent du secteur immobilier affecté par la crise des subprimes. Blé: une situation tendue au niveau mondial Selon le Comité international des céréales (CIC) la récolte mondiale de blé pourrait atteindre 656 millions de tonnes en 2008. En France, l'Office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC) tempère ce chiffre et estime qu'il est plus raisonnable de tabler sur une fourchette comprise entre 635 à 640 millions de tonnes. À condition que les récoltes ne soient pas perturbées par des aléas climatiques toujours possibles. En face, les chiffres prévisionnels de la consommation de blé sont de 630 millions de tonnes. Il suffirait donc qu'une seule zone importante de production soit affectée par la sécheresse ou des pluies diluviennes, pour que la production de 2008 ne couvre pas les besoins. Or les .stocks mondiaux de report seront de l'ordre de 128 millions de tonnes, soit entre 18 % et 20 % de la consommation annuelle. Même avec une bonne récolte 2008, il sera impossible de relever les stocks de sécurité au niveau mondial. Cette possibilité n'existera que pour les pays producteurs excédentaires en blé. Et cette donnée n'échappera pas aux spéculateurs. Riz: la production peine à suivre la consommation La tonne de riz thaïlandais se vendait 200 dollars en 2003 et environ 300 dollars en 2006 comme au début de 2007. Son prix est monté à 760 dollars au mois de mars 2008. Selon la FAO, la production mondiale de riz n'a augmenté que de 1 % en 2007 par rapport à 2006. Entre 1999 et 2005 elle n'avait progressé que de 3 % quand la population mondiale augmentait de 6,4 %. Or le riz demeure l'aliment de base pour plus de la moitié de la population mondiale. Désormais, les rendements à l'hectare ne progressent que faiblement et l'urbanisation galopante dans des pays comme la Chine, l'Inde et quelques autres, réduisent dangereusement les surfaces agricoles adaptées à la prOduction du riz. Le stock mondial n'est que de 100 millions de tonnes sur une production annuelle de 645 millions de tonnes pour 2008. Environ 40 % de ce stock est détenu par la Chine qui planifie chaque année une réserve de sécurité susceptible de couvrir six mois de consommation afin de contenir la spéculation et d'assurer sa souveraineté alimentaire. La présidente des Philippines tentait récemment d'obtenir du Vietnam un accord d'approvisionnement exceptionnel en riz. Mais le Vietnam en arrive à taxer ses propres exportations pour contenir les prix sur son marché intérieur. Faute de stocks conséquents, le prix du riz risque donc d'augmenter à nouveau sur les marché internationaux. « Si nous essayons de maintenir des cours sous le niveau du marché, des pénuries émergeront en raison des réserves et des spéculations qui en résulteront », estime Ted James, principal économiste de la Banque de développement asiatique. Protéines véCJétales et protéines animales L'augmentation de la demande mondiale de céréales résulte moins de l'augmentation du nombre de bouches à nourrir dans le monde que de la nouvelle manière de s'alimenter. La croissance économique annuelle à deux chiffres de pays très peuplés comme la Chine, l'Inde et quelques autres se traduit par une augmentation du pouvoir d'achat de centaines de millions de consommateurs. Ces derniers modifient le contenu de leur assiette dans laquelle ils font entrer davantage de produits carnés et laitiers. Une partie toujours plus importante des céréales produites dans le monde est désormais transformée en viande de porc et de volailles, en lait et en produits laitiers diversifiés. Or, il faut 3 à 7 kilos de graines pour produire un kilo de viande selon les élevages. La demande mondiale en céréales et en graines à huile comme le colza, le tournesol et surtout le soja va donc continuer d'augmenter. Les aCJrocarburants, facteur aCJCJravant Dans un contexte de relative pénurie de matières premières agricoles, la production massive d'agrocarburants entre directement en concurrence avec la production alimentaire. La production d'éthanol à partir du maïs américain a considérablement renchéri le prix des tortillas, ces galettes de maïs qui sont l'aliment de base de millions de Mexicains. L'augmentation des superficies consacrées à la canne à sucre brésilienne pour produire de l'éthanol se fait souvent au détriment du soja dont les cours se mettent alors à flamber. Selon les propos tenus le 9 avril dernier par un dirigeant français de l'ONIGC lors de sa conférence de presse mensuelle, les fermiers américains n'avaient pas encore arrêté leurs choix de cultures de printemps 2008 entre le soja, le maïs et d'autres cultures de rente dans l'espoir de semer au dernier moment celle qui se vendra le plus cher dans quelques mois. En Europe, l'objectif d'utilisation de 5,75 % d'agrocarburants dans les moteurs d'ici à 2010 est à la fois irréaliste et irresponsable. Irréaliste car la plupart des pays de l'Union ne disposent pas de superficies agricoles à la hauteur de cet objectif. Irresponsable parce que le commissaire au Commerce Peter Mandelson prône ouvertement l'importation de ces agrocarburants depuis les pays qui se lancent dans la production industrielle d'éthanol de canne et d'huile de palme au risque d'aggraver la pénurie alimentaire dans le monde. L'irresponsabilité des décideurs politiques En France comme dans les 27 pays de l'Union européenne, les décideurs politiques en charge des affaires n'ont pas vu arriver la crise alimentaire qui s'installe. Plus grave encore, ils ne semblent pas avoir la moindre idée des solutions à mettre en place pour la conjurer. Depuis de très longues années, les membres de la Commission bénéficient du monopole de propositions pour les politiques agricoles communes à mettre en oeuvre. Cette situation a conduit les ministres en charge de l'agriculture à ne plus réfléchir aux politiques à mettre en oeuvre dans leurs propres pays. Ils se sont contentés de corriger à la marge les orientations proposées par la Commission. Cette démission politique s'est traduite par un affaiblissement de l'Europe agricole. Elle a débouché sur une fragilisation de pratiquement toutes ses filières. Article initialement paru dans L'Humanité, édition du 14 avril 2008 19 20 1 C R CRISE ALI par Salim Lamrani. enseignant. écrivain et journaliste Les émeutes de la faim se sont multipliées à travers le monde suite à la flambée des prix des matières premières alimentaires et se sont révélées particulièrement meurtrières. Les populations du Tiers-monde, écrasées par un système économique irrationnel et insoutenable, ont exprimé leur colère sur tous les continents, que ce soit à Haïti où le Premier ministre a été démis de ses fonctions, aux Philippines ou en Egypte. Plus de 37 pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine représentant un total de 89 millions de personnes sont directement affectés par la crise alimentaire(1). Mais il ne s'agit malheureusement que du début. Jacques Diouf, directeur général du Programme alimentaire mondiale des Nations unies, a mis en avant les facteurs qui ont conduit à cette hausse subite des prix, à savoir une baisse de la production due au changement climatique, des niveaux de stocks extrêmement bas, une consommation plus grande dans les économies émergentes telles que la Chine et l'Inde, le coût très élevé de l'énergie et du transport et surtout la demande accrue pour la production de biocarburants(2). Les Etats-Unis ont été les principaux promoteurs, avec le Brésil, de la politique des biocarburants pour faire face à la montée du prix du pétrole, négligeant les conséquences dramatiques et prévisibles d'une telle production. Ainsi, pour satisfaire ses besoins en énergie, Washington promeut une stratégie qui va conduire une grande partie de l'humanité au désastre. Il n'y a aucun doute làdessus et les grandes institutions internationales sont unanimes à ce sujet, y compris le Fonds monétaire international(3). La FAO, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, a souligné que l'augmentation mondiale de la production de biocarburants menaçait l'accès aux denrées alimentaires pour les populations pauvres du Tiers-monde. « A court terme, il est très probable que la rapide expansion des carburants verts, au niveau mondial, aura des effets importants sur l'agriculture d'Amérique latine », a affirmé la FAO(4). En effet, la production de biocarburants s'effectue aux dépens des cultures vivrières en puisant dans les réserves d'eau, et en détournant les terres et les capitaux, ce qui entraîne une augmentation des prix des denrées alimentaires et « mettra en péril l'accès aux vivres pour les éléments les plus défavorisés », conclut l'Organisation dans un rapport présenté au BrésBt5). Les conséquences sociales désastreuses de cette politique sont aisément prévisibles alors que l'insécurité alimentaire frappe déjà 854 millions de personnes(6). Le Brésil, qui s'efforce de propager la production des biocarburants en Amérique latine et en Afrique, a nié le fait que cette politique était responsable de la hausse des prix des denrées alimentaires à travers le monde. Le ministre des Finances Guido Mantega a fait part de son désaccord: « Cela met en péril la production alimentaire [.l aux Etats-Unis, mais pas au Brésil, pas dans les pays d'Afrique, pas dans les pays d'Amérique latine, qui ont assez de terres pour produire les deux »(7). Le président brésilien Luis Inacio Lula da Silva a également récusé cette thèse. « Ne me dites pas, pour l'amour de Dieu, que la nourriture est chère à cause du biodiesel. La nourriture est chère parce que le monde n'était pas préparé à voir des millions de Chinois, d'Indiens, d'Africains, de Brésiliens et de Latino-américains manger », a-t-il affirmé. Lula a plaidé en faveur des biocarburants car le Brésil en est le deuxième producteur mondial derrière les Etats-Unis(8). Mais les cours des matières premières contredisent de manière cinglante les propos de Mantega et du président brésilien. La production de biocarburants se substitue aux cultures alimentaires et encourage fortement la hausse des prix. Ainsi, le prix du riz a augmenté de 75% entre février 2008 et avril 2008 alors que le prix du blé s'est envolé de 120% sur la même période(9). Il en est de même pour les produits de base tels que le soja, le maïs, l'huile mais également le lait, la viande et autres(1O). Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a réclamé des mesures d'urgence pour mettre fin à la crise alimentaire(11). La Banque mondiale a appelé les gouvernements des pays membres à intervenir rapidement pour éviter la propagation du cataclysme alimentaire et a souligné que le doublement du prix des produits de base au cours des trois dernières années « pourrait pousser plus profondément dans la misère 100 millions d'individus vivant dans les pays pauvres ». Le prix du blé, par exemple, a augmenté de 181% en trois ans. Le FMI a mis en garde contre une hécatombe annoncée: « Les prix de l'alimentation, s'ils continuent comme ils le font maintenant, [ ... lles conséquences seront terribles. Comme nous l'avons appris dans le passé, ce genre de situations se finit parfois en guerre »(12). Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation, a qualifié la production massive de biocarburants de « crime contre l'humanité» et a averti que le monde se dirigeait « vers une très longue période d'émeutes ». Il a clairement désigné les coupables en fustigeant la politique désastreuse du FMI, le dumping agricole de l'Union européenne en Afrique, la spéculation boursière internationale sur les matières premières engendrée par les biocarburants, le gouvernement des Etats-Unis et l'Organisation mondiale du commerce(13). Notes (1) The Associated Press, « la communauté Internationale confrontée à une sérieuse crise alimentaire », 14 avril 2008. (2) Ibid. (3) Reuters, {( Face aux émeutes de la faim, DSK s'interroge sur les biocarburants », 18 avril 2008. (4) Reuters, « la FAO met en garde contre les biocarburants », 15 avril 2008. (5) Ibid. (6) Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2006 (Rome: FAO, 2006), p. 8. (7) Reuters, « la FAO met en garde contre les biocarburants », op. cit. (8) le Monde, « le président brésilien, lula, plaide en faveur des biocarburants », 17 avril 2008 ; Marco Sibaja, « Brazil: Biofuels are not at the root of hunger crisis », The Associated Press, 17 avril 2008. (9) Lesley Wroughton, « la crise alimentaire reconnue comme une priorité mondiale », Reuters, 14 avril 2008 (10) Ibid. (11) The Associated Press, « Crise alimentaire: Ban Ki-moon réclame des mesures d'urgence », 14 avril 2008. (12) Veronica Smith, « Crise alimentaire: la Banque mondiale sonne l'alarme », 14 avril 2008. (13) Agence France Presse, « les biocarburants, 'un crime contre l'humanité' d'après le rapporteur de l'Onu », 14 avril 2008. (14) Fidel Castro Ruz, « Condenados a muerte prematura por hambre y sed mas de 3 mil millones de personas en el mundo », Granma, 29 mars 2007. (15) Ibid. (16) Ibid. (17) Ibid. (18) Ibid. (19) Le Monde, « les tartuffes de la faim », 17 avril 2008. La mise en garde de Fidel Castro lIya plus d'un an, le28 mars2007 pourêtre précis,l'ancien président cubain Fidel Castro avait mis en garde le monde contre le danger représenté par les biocarburants. Dans une longue réflexion intitulée« Plusde3 milliardsd' êtres huma ins dans le mondecondamnés à une mort de faim et de soif prématurée », il avait dénoncé « l'idée sinistre de convertir les aliments en combustible» élaborée par le président Bush comme ligne économique de la politique étrangère des Etats-Unis. Le locataire de la Maison-blanche a fait part de sa volonté de produire 132 mill iards de litres de biocarburant d'ici 2017(14). « Aujourd'hui, nous savons précisément qu'une tonne de maïs peut produire seulement 413 litres d'éthanol en moyenne [.l. Le prix moyen du maïs dans les ports étasuniens s'élève à 167 dollars la tonne. Il faut donc 320 millions de tonnes de maïs pour produire [132 milliards de litresl d'éthanol. Selon les données de la FAO, la récolte de maïs aux Etats-Unis pour l'année 2005 s'est élevée à 280,2 millions de tonnes. Même si le Président parle de produire du combustible à partir de gazon ou de copeaux de bois, n'importe qui comprend qu'il s'agit de phrases absolument dénuées de réalisme »(15). Pour Fidel Castro, si unetelle recette était appliquée aux pays du Tiersmonde, le nombre de personnes qui seraient atteintes par la famine et le ma que d'eau prendrait des proportions vertigineuses, sans parler des conséquences écologiques. « Il ne restera plus un seul arbre pour défendre l'humanité du changement climatique »(16). L'ancien président cubain avait également fustigé l'intention de l'Europe d'utiliser non seulement le maïs mais également le blé, les graines de tournesol, de colza et d'autres aliments pour la production de biocarburants. Cela entraînerait - écrivait-il - un essor de la demande, une hausse colossale des prix de ces matières premières alimentaires et une crise humanitaire aux conséquences tragiques. Les prévisions de Fidel Castro se sont malheureusement avérées exactes(17). Le leader révolutionnaire cubain a proposé une solution simple pour effectuer des économies d'énergie:« Tous les pays du monde, riches ou pauvres, sans aucune exception, pourraient économiser des millions de dollars en investissement et en combustible en changeant simplement toutes les ampoules incandescentes par des ampoules fluorescentes, chose que Cuba a faite dans toutes les demeures du pays. Cela représenterait un répit pour résister au changement climatique sans laisser mourir de faim les masses pauvres du monde »(18). Un moratoire immédiat sur les biocarburants est indispensable Loin de tirer les leçons du drame social et humain qui traverse la planète, les Etats-Unis ont réaffirmé leur volonté de multiplier par deux les énormes surfaces qu'ils consacrent déjà aux biocarburants. L'Europe a également affiché son intention de développer ces produits de substitution(19). Les conséquences seront tragiques car le pire est à venir. La souveraineté alimentaire est un droit inaliénable des peuples. Il n'en est point de plus important. La pauvreté et la famine ne sont pas des fatalités mais les conséquences directes d'un système économique inhumain et destructeur qui viole le droit à la vie des déshérités de la planète. Pour cette raison, il est impératif de lancer un moratoire immédiat sur les biocarburants sous peine de faire face un véritable génocide. Cette production est insoutenable d'un point de vue moral, politique et social. L'espèce humaine est en passe de s'autodétruire. Il est plus que jamais urgent de mettre un terme à cette course folle vers l'apocalypse. 21 22 Bien que ce ne soit pas le sujet de ce dossier, nous estimons nécessaire de faire un rappel sur la question de l'eau qui vient se rajouter à celle de l'alimentation. L'eau devient une denrée de plus en plus rare et risque de devenir dans les années à venir source de conflits majeurs (elle l'est déjà notamment en Afrique et au Moyen Orient ; en Cisjordanie 85% de l'eau est détournée vers Israël et les colonies). Un être humain sur trois n'a pas accès à l'eau potable. 9000 enfants de moins de 10 ans meurent chaque jour des conséquences d'une consommation d'eau non potable (diarrhée, trachome, bilharziose, choléra, typhoïde, dysentrie. Selon l'OMS jusqu'à 80% des maladies et plus du tiers des décès dans les pays en voie de développement sont dus à la consommation d'eau contaminée. 285 millions de personnes en Afrique subsharienne, 248 en Asie du Sud, 398 en Asie de l'est, 180 en Asie du Sud Est, 92 en Amérique Latine, 67 dans les pays arabes n'ont pas accès à l'eau potable. Dans ces conditions, le scandale de sociétés comme Nestlé qui a incité par de nombreux moyens les femmes des pays en voie de développement à renoncer à l'allaitement maternel n'en est que plus monstrueux. L'UNICEF évalue à 4000 le nombre de nourrissons qui meurent chaque jour du fait de l'ingestion de lait en poudre mélangé à de l'eau polluée. S'ils étaient nourris au sein, ils survivraient. Jean Ziegler dénonce le fait que dans certaines maternités africaines la distribution des biberons est gratuite. Lorsque la mère quitte la maternité, elle reçoit même une ou deux boites de lait en poudre. Impossible ensuite de nourrir son bébé au sein. Elle achète sur des marchés des cuillèrées de lait en poudre contenues dans des boites à ciel ouvert qu'elle mélangera à de l'eau polluée. Le comité national italien de l'UNICEF appelle au boycott de Nestlé et de tous les produits distribués par Nestlé (Nescafé, Nesquik, Maggi, Buitoni, Smarties, After eight, Nestlé) responsable de « milliers de bébés sacrifiés sur l'autel du profit ». . ., par Jean Ziegler (écrivain, professeur à l'Université de Genève, rapporteur spécial de la commission des droits de l'Homme des Nations Unies) nous vous proposons ici, avec l'aimable autorisation de l'auteur, un extrait de la préface du livre de Jean Ziegler, «l'empire de la honte» édité chez Fayard. La nuit était noire, sans lune. Le vent soufflait à plus de 100km/h. Il soulevait des vagues de dix mètres qui s'abattaient dans un fracas effroyable sur la frêle embarcation de bois. Celle ci était partie dix jours auparavant d'une crique de la côte mauritanienne avec à son bord 101 réfugiés africains. Par miracle, la tempête jeta la barque contre un récif de la plage d'El Medano, sur une petite ile de l'archipel des Grandes Canaries. Au fond de la barque, les agents de la Guardia civil espagnole t rouvèrent parmi les survivants hébétés, les cadavres d'une femme et de trois adolescents, morts de faim et de soif. La même nuit, un rafiot s'échoua quelques kilomètres plus loin sur la plage d'El Hierro: à son bord 60 hommes, 17 enfants et 7 femmes. Spectres titubants à la limite de l'agonie, ils s'échouèrent sur le sable. A cette même époque, mais en Méditerranée cette fois, se joua un autre drame: à 150 km au sud de Malte, un avion d'observation de l'organisation Frontex repéra une barque surchargée de 53 passagers qui dérivait. A son bord, les caméras de l'avion purent identifier des femmes et des enfants en vas age. Le pilote en informa les autorités maltaises. Celles ci refusèrent d'intervenir, pretextant que les naufragés dérivaient « dans la zone de recherche et de secours Iybienne ». Laura Boldoni, déléguée du Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies, intervint. Rien n'y fit. L'Europe ne bougea pas. On perdit toute trace des naufragés. Quelques semaines auparavant, un rafiot où se pressait une centaine de réfugiés africains de la faim, qui tentait de rejoindre les Canaries, avait sombré au large du Sénégal. Il n'y avait eu que 2 survivants. Le 28 septembre 2005, des soldats espagnols avaient exécuté à bout portant 5 jeunes africains qui tentaient d'escalader la clôture électrifiée, couronnée de barbelés, entourant l'enc lave de Ceuta au Maroc. Huit jours plus tard, 6 autres jeunes Noirs avaient été abattus dans des circonstances similaires. Des milliers d'Africains, y compris des femmes et des enfants, campent devant les clôtures de Melilla et Ceuta. Sur injonction des commissaires de Bruxelles, les policiers marocains refoulent les Africains dans le Sahara. Sans eau, sans provisions. des centaines, peut être des milliers d'entre eux périssent dans les rochers et les sables du désert. Combien de jeunes Africains quittent ils chaque année leur pays au péril de leur vie pour tenter de gagner l'Europe? On estime qu'annuellement quelque 2 millions de personnes essaient d'entrer illégalement sur le territoire de l'union Européenne et qu'environ 2000 périssent en Méditerranée. La fuite par la mer des réfugiés africains est favorisée par la destruction en rapide progression des communautés de pêcheurs sur les côtes atlantique et méditerranéenne. Les bateaux usines japonais, canadiens, portugais, français etc ... ravagent les eaux territoriale. Plongés dans la misère, sans espoir, désarmés face aux prédateurs, les pêcheurs ruinés vendent leurs barques à bas prix à des passeurs mafieux ou s'improvisent passeurs eux mêmes. Construites pour la pêche côtière ces barques sont inaptes à la navigation en haute mer. Un peu moins d'un millard d'êtres humains vivent en Afrique. Le nombre d'Africains sous alimentés ne cessent d'augmenter, pourquoi? Les raisons sont multiples. La principale est due à la politique agricole commune de l'Union Européenne. Les Etats industrialisés de l'OCDE ont payé à leurs agriculteurs et éleveurs, en 2006, plus de 350 milliards de dollars à titre de subventions à la production et à l'exportation. L'UE pratique en Afrique la politique de dumping agricole avec un cynisme sans faille. Il en résulte notamment la destruct ion systématique des agricultures vivrières africaines. Sur 52 pays africains, 37 sont presque entièrement agricoles. Peu d'êtres humains travaillent autant et dans des conditions aussi difficiles que les paysans africains mais la politique du dumping agricole européen détruit leur vie et celles de leurs enfants. Pour « défendre» l'Europe contre les réfugiés de la faim, l'Union Européenne a mis sur pied une organisation militaire semi clandestine: la Frontex .. Cette agence gère « les frontières extérieures de l'Europe ». Elle dispose de navires d'interception en haute mer, rapides et armés, d'hélicoptères de combat, d'une flotte d'avions de surveillance munis de caméras ultrasensibles et de vision nocturne, de radars, de satellites et de moyens sophistiqués de surveillance électronique à longue distance. Frontex maintient sur le sol africain des « camps d'accueil» où sont parqués les réfugiés de la faim qui viennent d'Afrique. Souvent ces réfugiés sont en route à travers le continent durant un ou deux ans, vivant d'expédiants et tentant de s'approcher progressivement d'une côte. Vu les versements considérables opérés par Frontex aux gouvernements africains, peu d'entre eux refusent l'installation de ces camps. L'Algérie sauve l'honneur: le Président Bouteflika a dit « nous refusons ces camps; nous ne serons jamais les geoliers de nos frères ». L'hypocrésie des commissaires de Bruxelles est détestable: d'une part, ils organisent la famine en Africaine, de l'autre, ils criminalisent les réfugiés de la faim. Aminata Traoré résume la situation: « les moyens humains, financiers et technologiques que l'Europe des 27 déploie contre les flux migratoires africains sont, en fait, ceux d'une guerre en bonne et due forme entre cette puissance mondiale et des jeunes Africains ruraux et urbains sans défense, dont les droits à l'éducation, à l'information économique, au travail et à l'alimentation sont bafoués dans leurs pays d'origine. Victimes de décisions et de choix macro-économiques dont ils ne sont nullement responsables, ils sont chassés, traqués, et humiliés lorsqu'ils tentent de chercher une issue dans l'immigration. Les morts, les blessés et les handicapés des événements sanglants de Ceuta et Melina, ainsi que des milliers de corps sans vie qui échouent tous les mois sur les plages de Mauritanie, des iles Canaries ou d'ailleurs, sont autant de naufragés de l'immigration forcée et criminalisée. » Le 11 juin 2007, le Conseil des Nations Unies pour les droits de l'Homme tenait sa quatrième cession ordinaire à Genève; à l'ordre du jour la proposit ion d'accorder aux réfugiés de la faim un droit de non refoulement temporaire. Il s'agit de distinguer avec précision les réfugiés économiques des réfugiés de la faim. Les réfugiés de la faim fuit par nécessité. L'état de nécessité est un droit bien connu du droit international: exemple une ambulance qui viole la limitation de vitesse pour secourir un blessé agit en état de nécessité. Son infraction au code de la route est nulle et non avenue. Pour survivre, l'affamé doit franchir des frontières; il le fait illégalement. L'illégalité est supprimée par l'état de nécessité. Pour l'heure, aucun instrument du droit international ne permet de décriminaliser le réfugié de la faim. Seule instance à pouvoir légiférer: le Conseil des Nations Unies pour les droits de l'Homme, composée de 47 Etats membres élus par l'Assemblée Générale de New York au prorata des continents pour une durée de trois ans. Le 11 juin 2007 à 18h, au nom de l'Union Européenne, Madame Anke Konrad a refusé l'entrée en matière. Dans l'empire de la honte, gouverné par rareté organisé, la guerre n'est plus épisodique, elle est permanente. Elle ne constit ue plus une crise, une pathologie, mais la normalité. Elle n'équivaut plus à l'éclipse de la ra ison comme le disait Horkheimer, elle est la raison même de l'empire. Les seigneurs de la guerre économique ont mis la planète en coupe réglée. Ils attaquent le pouvoir normatif des Etats, contestent la souveraineté populaire, subvertis sent la démocratie, ravagent la nature, détruisent les hommes et leurs libertés. La « main invisible » du marché leur tient lieu de cosmogonie et la maximalisation du profit de pratique. J'appelle violence structurelle cette cosmogonie et cette pratique. La dette et la faim sont deux armes de destruction massive utilisées par les maitres du monde pour asservir les peuples, leur force de travail, leurs matières premières, leurs rêves. Des 192 Etats de la planète, 122 se situent dans l'hémisphère sud. Leur dette extérieure cumulée dépasse 2100 milliards de dollars. La dette agit comme un garrot, les banques créancières du Nord comme des sangsues; le pays débiteur est frappé d'anémie. Le massacre quotidien de la faim se poursuit dans une normalité glacée. Toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Toutes les 4 minutes, quelqu'un devient aveugle par manque de vitamine A. En 2006, 854 millions de personnes - un homme sur six - ont été gravement et en permanence sous alimentées. Elles étaient 842 millions en 2005. Le World Foot Report de la FAO affirme que l'agriculture mondiale, dans l'état actuel de son développement, peut nourrir normalement (c'est à dire à raison de 2700 calories par jour et par adulte) 12 milliards d'êtres humains. Nous sommes 6,2 milliards§ Conclusion: il n'existe aucune fatalité. un enfant qui meurt de faim, meurt assassiné. L'ordre du monde économique, social et politique érigé par le capitalisme prédateur n'est pas seulement meurtrier. Il est aussi absurde. Il tue, mais il tue sans nécessité. Il doit être combattu radicalement. Mon livre veut être une arme pour ce combat. PROFITEZ DU POTENTIEL DE HAUSSE DES PRIX ! Matières premières agricoles Profitez du potentiel de hausse des prix Face à l'accroissement de la population, le secteur agricole est de plus en plus sous pression. De nos jours, un hectare de terres agricoles doit nourrir davantage d'individus qu'il y a quelques décennies. Dans les pays émergents, la forte croi ssance économique ent raîne une hausse des salaires. D'où une évolution des habitudes alimentaires, dans le sens d'une nourriture plus diversifiée et plus équilibrée. La demande pour des denrées alimentaires de qualité et riches en protéines ( principalement la viande) suit aussi cette tendance à la hausse. Or, la Scandale avec cette dernière campagne de la Deutch Bank. Vous ne rêvez pas, il s'agit bien de proposer de s'enrichir sur l'augmentation des prix des céréales. La formule est claire, faisons de l'argent sur les plus vulnérables, ceux qui n'ont déjà plus les moyens de se nourrir. Le paroxysme du libéralisme est atteint ! Produire de l'argent à tout prix. En France aussi certaines banques ont des fonds de placement de la même nature Que ceux de la Deutch Bank. Pour ne pas la nommer, la BNP - Paribas propose un pack financier de cette nature: le Parworld Agriculture. Boycotter serait une idée •.• mais il me semble qu'il faut aller plus loin. Ce type de placement participe pleinement à la spéCUlation, ils l'encouragent. Plus les prix montent, plus il est favorable. Les prix à la consommation flambent et les famines se développent. • Il est urgent de demander et d'obt enir un moratoire sur les biocarburants pour permettre de ret rouver une cour des céréales permettant l'alimentation de tous. • Il est nécessaire de repenser la politique agricole pour Permettre de préserver les cultures vivrières. • Enfin, questionner nos modes de consommation pour remettre à sa juste proportion la consommation de pétrole. production d'un kg de viande exige une diversification accrue de l'alimentation du bétail. L'urbanisation croissante que connaissent les pays émergents va également de pair avec une réduction des surfaces agricoles. Or, dans le même temps, la production agricole se voit concurrencée par la demande en biocarbu rants. L'équilibre entre la demande et l'offre est dès lors perturbé, dans le sens d'une demande excédentaire. Une évolution qui devrait encore renforcer la tendance à la hausse des prix des produits issus de l'agriculture. Voulez-vous récolter les fruits d'une possible augmentation des prix des prodUits agricoles? Deutsche Bank, comme distributeur, vous propose deux manières d'en profiter: parworld Agriculture Un compartiment de la SICAV luxembourgeoise Parworld, dont l'objectif recherché est la valorisation de ses actifs à moyen terme grâce à une exposition aux indices de matières premières agricoles suivants: le S&P Goldman Sachs Agriculture and Livestock Index et le Dow Jones·AIG Ag ricultural Sub Index. L'exposition pourra se faire au t ravers d'un seul des deux indices ou au travers des deux indices. Le compartiment invest ira prinCipalement dans des titres de créance à revenu f ixe ou variables (obligations ou inst ruments du marché monétaire) ou dans des valeurs mobilières liées aux indices de matières premières agricoles. Grâce à une représentation synthétique (via des produits dérivés), ce compartiment permet une exposition variable à ces deux indices agricoles. Grâce à cette méthode, le compartiment peut directement répliquer en EUR l'évolut ion de ces indices (cotés en USD) sans couri r le risque de change. Le compartiment est soumis fisca lement à la lai-programme du 27/12/ 2005 qui détermine le régime "fiscal applicable aux ope qui investissent plus de 40% en t itres de créance. 23 24 un erque, le nouveau • IS Par Aïssa Za"lbel. Cl de Dunkerque Six ans après sa fermeture, le célèbre hangar de Sangatte a disparu mals les migrants, eux, sont toujours bien présents. Sur le littoral du Nord Pas de Calais, des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants, de tout âge, errent dans l'espoir de rejoindre l'Angleterre, fuyant ainsi guerre et misère de leur pays d'origine il la recherche d'une vie meilleure. Depuis la fin du camp de Sangatte, Calais n'est plus le seul port attirant les candidats à l'exil. Le terminal ferry de Loon-Plage, prés de Dunkerque, est en effet depuis quelques années fortement convoité par les migrants d'où ils tentent leur traversée clandes' tine POUf l'Angleterre. A Dunkerque, le MRAP, pionnier dans l'action en faveur des migrants à destination de l'Angleterre, s'investit depuis plusieurs années afin de rendre visible ces hommes et femmes en souffrance pour lesquels les droits de l'homme ne sont souvent Que des maux! Pour en savoir plus, le blog du MRAP de Dunkerque consacré aux réfugiés: http://refuglés.over-blog.com

Notes

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