Différences n°178 - octobre 1996

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Sommaire du numéro

n°178 de octobre 1996

  • Edito: Les têtes de l'hydre par Mouloud Aounit
  • Enquête sur les immigrés et leurs enfants: une source de connaissances exceptionnelles [immigration]
    • Invitation au voyage au pays des migrations par C. Benabdessadok
    • Faire France: entretien avec Michèle Tribalat recueilli par C. Benabdessadok
  • Conférence nationale du MRAP: en guise d 'avant propos par J.J. Kirkyacharian
  • Séminaire franco allemand à Berlin: leçons d'histoire sur les murs de la ville par Alain Pellé
  • Le procès de Nuremberg: deux livres pour comprendre par Alain Pellé
  • Exclavage en Mauritanie: un système qui perdure malgré l'abolition par M.C. Andréani
  • Le Pen: une rentrée politique fracassante par C. Benabdessadok
  • Appel de scientifiques rédigé par Albert Jacquard à l'initiative du MRAP
  • Devoir de mémoire: Drancy, 21 juillet 1996


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l 1 0 SOMMAIRE Enquête sur les immigrés et leurs enfants Conférence nationale Avant-propos 5 Jean-Jacques Kirkyacharian Séminaire Retour de Berlin • NESOURCE Alain Pellé Nuremberg Notes de lecture 7 Alain Pallé DE CON ISSANCE Colloque au Sénat 7 Esclavage Le cas mauritanien • Marie-Catherine Andrésn! EXCEPTI NNELlE Agenda Quelques rendez-vous Chrono Appel de scientifiques Drancy Le devoir de m6moire Chanes Palant Annonce ,•. 11 ,. « Faire France» : tel est le titre de la version grand public des résultats d'une étude originale que Michèle Triba/at a fait paraître l'année dernière. Ce travail se fonde sur une enquête de l'INED auprès de 13000 personnes avec le concours de l'INSEE. du service juridique du MRAP ,. Illustration page 7 de Jean-Pierre Gaüzère La réalité des courants migratoires apparaît dans les grandes tendances de Cf l'assimilation à la française» comme dans la complexité propre à chacun d'eux. Présentation et entretien pages 2, 3 et 4. les têtes de ."Hvdre Les récentes déclarations de Le Pen et de Bernard Antony ne sont pas des dérapages. Elles représentent le vrai visage du Front national, un mouvement directement inspiré par l'idéologie nazie et dont les dirigeants sont les dignes héritiers d'Hitler et de Mussolini. La petite phrase du leader du Front national a fait l'efTet d'un électrochoc. Pourtant nous n'avons eu de cesse depuis plusieurs années de tirer la sonnette d'alanne. Les débats suscités méritent réflexion et prolongements. Sur l'interdiction du Front national, la revendication est légitime mais insuffisante. En effet, si on ne prend pas en considération le fait que le Front national est l'expression politique de l'état du racisme en France, l'efficacité de l'action des antiracistes se réduirait à abattre l'une des sept têtes de l'Hydre de Lerne qui repoussent au fur et à mesure qu'on les tranche. Le moment est opportun pour faire grandir une mobilisation plus conséquente contre le racisme. D'abord sur la question de l'exclusion économique et sociale et la responsabilité de ceux qui laissent les choses en l'état. Chaque chômeur, chaque SDF de plus, bref toute personne qui perd pied dans notre société, est une proie facile pour les tenants de l'exclusion ethnique. Ensuite avec constance, il nous faut contrarier les processus et les stratégies qui ouvrent la voie à la xénophobie et au racisme et ce aussi bien sur le terrain des lois que des manoeuvres politiciennes et électoralistes. Il s'agit aussi de reprendre l'offensive sur le terrain de la citoyenneté, cette valeur qui implique que tous ceux qui font la France, quelles que soient leurs origines, ne soient pas des objets de non-droit mais des sujets de droit. Enfin, il nous faut encourager les actions de prévention du racisme tout autant que la répression de ses idéologues: aussi notre soutien est total à toute entreprise juridique s'appuyant sur l'idée que le racisme n'est pas une opinion mais un délit .• Mouloud Aounit Il Enquête sur les immigrés et leurs enfants (suite de la page 1) INVITATION AU VOYAGE AU PAYS DES MIGRATIONS les courants migratoires et les résistances ou aménagements propres à chacun. On est soit conforté dans ses connaissances ou ses intuitions, soit totalement surpris dans ses préjugés ou son ignorance. On peut s'émouvoir, lorsque se profilent derrière les chiffres et les tendances ramenés à l'échelle de l'individu, les difficultés parfois graves ou les bonheurs parfois durables. On apprend, par exemple, que la France n'accueille pas du tout « la misère du monde» du fait d'une sélection par le haut de ceux qui émigrent vers la France : vous y apprendrez notamment que les migrants d'Afrique noire représentent le courant migratoire qui maîtrise le mieux le français (comparativement aux autres populations étudiées). On n'apprend pas mais on est quand même content d'en être sûr que pour les courants migratoires espagnol et portugais l'assimilation est soit faite soit en voie de l'être; encore qu'on ne savait pas que certains types de mariages franco-portugais sont fragilisés par la prégnance encore active du matriarcat portugais manifestement mal supporté par les conjoints français. Enfin, on est forcément ému par l'existence d'un« marché matrimonial» turc lié au repli de cette communauté (lire les hypothèses de Michèle Tribalat dans l'entretien), et par la« vacuité amoureuse» des jeunes femmes d'origine algérienne (entre 20 et 29 ans) se mettant en couple plus tard que la moyenne en France pour, semble-t-il, retarder l'heure (inéluctable) du choix entre la modernité et la tradition .• DES OUTILS SCIENTIFIQUES SERIEUX et des moyens financiers conséquents au service de la connaissance de l'immigration, voilà qui n'est pas banal dans un pays où l'on a pris la fâcheuse habitude, inspirée par l'extrême droite, de sur-politiser un phénomène qui n'en avait pas besoin. Sans doute est-ce pour le sérieux et l'objectivité du travail réalisé que Marceau Long, président du Haut conseil à l'intégration, a accepté de préfacer Faire France, la version grand public (1) des résultats de l'enquête. Après avoir rappelé cette estimation, selon laquelle dix millions de Français ont une origine étrangère proche, c'est-à-dire eux mêmes, l'un de leurs parents ou grandsparents, M. Long, souligne le caractère original et probablement inédit de la nature du projet mené à terme par M. Tribalat : « Le grand mérite de Michèle Tribalat est d'avoir travaillé avec opiniâtreté à la compréhension et à l'observation des mécanismes complexes en jeu. Elle a d'abord établi les définitions nécessaires permettant de connaître précisément l'apport étranger à la démographie française, ce qui n'avait jamais été fait jusqu'à présent. Michèle Tribalat a ensuite su convaincre de la nécessité de construire un outil d'observation de l'intégration à partir d'une enquête historique, les statistiques traditionnelles ne permettant pas de prendre en compte le temps, bien qu'il soit un élément essentiel. » Plus précisément, cette étude introduit le facteur temps dans l'étude statistique et fait appel au critère de l'appartenance (ou origine) ethnique (2) dans le but de distinguer ce qui se passe pour les personnes qui sont nées à l'étranger et qui ont émigré en France et leurs enfants qui soit sont nés en France soit y sont venus très jeunes. Par exemple, lorsqu'il s'agit de connaître les formes d'unions (union mixte, union avec un partenaire de la même origine ethnique ou avec un membre de la famille proche) la recherche se décline au moins en deux volets: selon que l'immigrée e) est arrivée e) avant ou après l'âge de 15 ans, et selon qu'il (elle) est immigrée e) ou née e) en France. L'auteur choisit le terme assimilation pour décrire les mécanismes à l'oeuvre, un terme négativement connoté qui ne signifie rien d'autre ici que l'évolution progressive des comportements des personnes immigrées ou issues de l'immigration vers les normes dominantes dans la société française. Il en est ainsi du taux de fécondité des femmes comme de l'usage toujours plus dominant de la langue française entre parents et enfants. Tendances communes et résistances particulières Les fragments de réalité mis au jour le sont en fonction de deux entrées principales: la sphère privée et la sphère publique. Dans la première sont abordées: la question de la langue (maîtrise du français et déperdition des langues d'origine), les pratiques matrimoniales traditionnelles et leur adaptation en situation d'immigration, les unions « mixtes» et l'acculturation, enfin les pratiques religieuses qui réservent quelques surprises ... Dans la seconde partie, consacrée à la sphère publique, sont traités : la sociabilité et l'ouverture à la société française (avec, comme on pouvait s'y attendre, la réduction de la fréquentation communautaire chez les jeunes), la scolarisation, la mobilité sociale et les difficultés d'accès à l'emploi et enfm le lien national avec la France. A l'intérieur de ces champs d'investigation sont introduits d'autres paramètres

les courants migratoires, les

sexes, les périodes d'entrée, l'âge d'entrée, le lieu de naissance, le type de résidence. C'est au bout du compte une histoire riche en diversité qui nous est donnée à entrevoir. On y retrouve les tendances lourdes de l'assimilation à la française communes à tous Chérifa Benabdessadok (1) La Découverte / Essais, 1995. A signaler aussi, dirigé par le même auteur: « Cent ans d'immigration. Etrangers d'hier, Français d'aujourd'hui. Apport démographique, dynamique familiale et économique de l'immigration étrangère », INED / PUF, 1991 (2) Tous ces termes (français de souche, immigré, étranger etc) sont soigneusement définis dans l'introduction Les courants migratoires étudiés « L'hypothèse d'une forte hétérogénéité des comportements suivant le pays de naissance conduit à distinguer autant d'échantillons que de pays. Les contraintes budgétaires ne permettant pas de garder l'ensemble des pays d'origine, un choix a été fait. Sept pays ou groupes de pays représentant près de 60 % de la population immigrée ont été retenus: l'Algérie, l'Espagne, le Maroc, le Portugal, la Turquie, l'Afrique noire et le Sud-Est asiatique (Cambodge, Laos et Viêt-nam). ( ... ) Sont ainsi absents de l'enquête, entre autres, les migrants italiens et tunisiens. » M. Tribalat (extrait de l'introduction). Différences n° 178 octobre 1996 FAIRE FRANCE Pouvez-vous décrire la méthode utilisée pour mener cette enquête? Les échantillons ont été tirés du recensement de 1990 pour la plupart; les personnes interrogées ont été choisies au hasard à partir du moment où elles appartenaient à des sous-groupes définis selon l'origine. Ces sous-groupes représentent environ 60 % de la population immigrée. On a laissé de côté certains courants importants comme l'Italie et la Tunisie. Notre procédure diffère de la plupart des autres enquêtes qui sont souvent des enquêtes d'opinion sur la base de quotas. Nous disposons à l'INSEE d'un échantillon démographique permanent qu'on appelle un panel. Dans ce panel sont rassemblées diverses informations collectées d'un recensement à l'autre sur des gens nés entre telle et telle date. Cet échantillon est environ au centième de la population réelle : une personne sur cent, française ou pas, résidant en France se trouve dans cet échantillon. Nous cherchions notamment à retrouver les personnes qui sont nées en France de parents immigrés. Nous les avons donc repérés dans le recensement de 1975 alors qu'elles étaient jeunes ou très jeunes pour les enquêter en 1992 là où elles se trouvaient toujours chez leurs parents ou ailleurs. C'est une procédure assez compliquée et assez coûteuse. Compte tenu du fait que nous disposions d'un échantillonnage au centième, on n'a pu retrouver que des j eunes de 20 à 29 ans car le phénomène n'était pas suffisamment ancien. On n'a pu réaliser ce repérage que pour l'Algérie, le Portugal et l'Espagne. Les Marocains étaient trop jeunes encore. C'étaitl 'une des grandes innovations de cette enquête puisque d'habitude on n'arrive jamais à saisir les personnes nées en France de parents immigrés parce qu'elles sont françaises. L'introduction du critère ethnique a certainement suscité des réserves parce que contraire à la tradition française. Ne pensez-vous pas qu'il soit légitime de craindre une utilisation malveillante de cette démarche? Que l'Etat, dans les fonctions qui sont les siennes, ne tienne pas compte de ces critères puisqu'en principe il est censé ne pas produire de pratiques discriminatoires, voi- Entretien avec Michèle Tribalat là qui est normal; mais s'interdire ces critères dans la recherche scientifique c'est se condamner à de la mauvaise recherche. Le secteur de la connaissance ne développe pas de fichiers par lesquels on puisse retrouver les gens à partir de ces critères ; il n'y a aucun danger de fichage. Cette enquête a d'abord été soumise à un examen minutieux et sérieux de la CNIL (1) qui en vérifie le fond comme la forme. Elle s'inquiète notamment de savoir si les questionnaires sont proportionnés à l'objet de l'enquête et des procédures qui garantissent l'anonymat. L'autre innovation réside dans le fait que l'enquête cherche à évaluer les comportements dans le temps. Oui, nous avons élaboré une enquête rétrospective: au lieu de demander des choses factuelles, ou des opinions sur la situation présente, on a demandé aux enquêtés de nous raconter leur vie en fonction d'un certain nombre de thèmes. Quel est le profil de vos enquêteurs? Les meilleurs enquêteurs ne sont pas ceux qui connaissent le sujet soit de manière littéraire soit pour l'avoir pratiqué, les meilleurs enquêteurs sont ceux dont c'est le métier. Eux n'iront jamais au-delà de ce qui est demandé et ne porteront aucunjugement. Les mêmes questions sont posées de la même façon pour tout le monde. La distorsion est nette entre les fragments de réalité que les résultats de l'enquête mettent à jour et les discours et représentations sur l'immigration. Comment expliquer cette« fracture» ? Il y a plusieurs phénomènes. Tout d'abord, la recherche sur l'immigration est un domaine déclassant dans le secteur public de la production de données. On dénie à cet objet de connaissance la valeur qu'il mérite. Il y a en fait une contagion de l'image sur l' 0 bj et scientifique, c'est là un phénomène classique de l'étude des populations immigrées. Le chercheur qui nourrit l'ambition d'une brillante carrière ne travaille pas sur ce sujet-là, il préférera passer par des secteurs beaucoup mieux cotés. Plus le thème est récurrent sur la place publique, plus il apparaîtra risqué. Il y a ensuite le Différences n° 178 octobre 1996 sacro-saint principe républicain dont l' effet pervers est de s'interdire d'observer ceux qui sont devenus français. Du coup on étudie toujours les mêmes, les primomigrants

on va donc accentuer la tendance

à figer les choses dans des stéréotypes. Un autre défaut très français consiste à théoriser beaucoup sans grand souci de la réalité. On est très peu pragmatique: les « théorisateurs » se contentent de prendre 3 ou 4 chiffres comme image ou comme illustration du propos. On peut donc se demander si cette enquête est un changement de cap ou un accident de parcours. L'avenir nous le dira. L'universalisme du système français serait en panne voire en danger. Qu'en pensez-vous? L'universalisme n'oblige pas seulement les gens qui viennent mais il oblige avant tout l'Etat. Or, les jeunes d'origine immigrée, algérienne notamment, vivent une situation de plus en plus intolérable: ils sont intégralement entrés dans l'univers des mentalités françaises, ils adhèrent au même principe universaliste et donc ils n'apprécient pas du tout de se faire renvoyer leurs particularismes supposés à travers des pratiques discriminatoires. Les jeunes en difficulté le sont parce qu'il y a un problème économique de fond et non parce que le modèle d'assimilation serait en panne. Ce n'est pas encore le cas. Le modèle français ne suppose pas la bonne volonté des personnes, la force du système lui-même fait en sorte d'aspirer un peu tout le monde. Nous sommes cependant dans une période de doute par rapport à ce système puisque nous en sommes à invoquer les défaillances chez les individus. La solution de facilité consiste à baisser le niveau des principes et à renvoyer sur les populations que l'on cherche à intégrer ou à assimiler les défauts actuels du système. C'est une perte de principes plus qu'autre chose. Les manquements de l'Etat seraient d'ordre économique. Il est évident que les taux de chômage actuels sont intolérables. Les jeunes se heurtent à des pratiques discriminatoires, mais en plus ils sont en désir d'ascension sociale dans une mauvaise période. La situation de crise induit que l'on embauche plutôt par connaissance ou par des tiers mais eux ne peuvent s'appuyer sur aucun réseau pour • les aider, ils sont totalement démunis. C'est d'autant plus terrible qu'on a affaire à des r:ir Il Entretien avec Michèle Tribalat (suite de la page 3) jeunes qui ont intégré les principes républicains et qui, en leur nom, revendiquent une place dans la société. Comment analyser le fait que l'on puisse discriminer sans forcément adhérer aux thèses ouvertement racistes? Les pratiques discriminatoires ont besoin d'être nourries par des représentations dévalorisantes. Pour les jeunes d'origine algérienne, il est clair que c'est lié à la guerre d'Algérie. On a des représentations qui ne sont pas mises à jour, notamment dans la sphère des chefs d'entreprise: le travailleur immigré algérien a été tellement porteur de la figure emblématique du travailleur immigré qu'on a du mal à se rendre compte que ses enfants ne lui ressemblent pas. Ces enfants d'immigrés ne peuvent pas reproduire le profil professionnel ou culturel de leurs pères et ils ne le veulent pas. Cet effet d'image est pourtant très important: une part, il sert à les dévaloriser et d'autre part, eux-mêmes réagissent en visant plus haut que leur situation ne le leur permet. Il faut ajouter que la survalorisation des filles par rapport aux garçons a contribué encore davantage à les dévaloriser alors qu'elle ne repose sur rien d'objectif. Les garçons ne sont pas plus en échec que leurs soeurs. C'est une représentation qui est, elle aussi, liée à la guerre d'Algérie. Quand vous avez un ennemi ce n'est jamais ou rarement la femme, c'est l'homme. S'il y ade larancune, c'est vers l 'homme qu'elle est dirigée. C'est un mécanisme encore actif parce que le conflit colonial avec l'Algérie a touché toutes les familles françaises. Le terme «assimilation» n'a pas bonne presse: pour quelle raison y tenezvous? Il n'a rien de honteux parce que c'est la réalité du système français. Lisez le code de la nationalité et vous verrez que les critères d'assimilation sont rudes. Les enquêtes pour la naturalisation touchent les moeurs, la sociabilité professionnelle ou privée, la loyauté par rapport à l'Etat français ... Si ça fonctionne bien, pourquoi pas ? .. pourvu qu'on tienne aux valeurs, qu'elles ne soient pas à usage personnel et qu'elles ne soient pas dévoyées par des pratiques discriminatoires. L'école aussi est mise en accusation ... Je pense qu'on a un problème de figure incarnant les lois et l'autorité. Là est le vrai problème. Jusqu'ici les jeunes avaient dans leur écrasante majorité l'image d'un père au travail. Aujourd'hui, il arrive de plus en plus souvent que des jeunes n'aient jamais vu leur père se lever le matin pour aller travailler. Il faut en avoir de l'énergie quand on est gamin pour décider d'être le premier de la famille à se lever pour aller à l'école. Le système assimilateur français fonctionne plutôt bien mais il y a l'exception turque ... Quelles sont vos hypothèses pour en comprendre les raisons? Il est probable que les Turcs finiront par s'assimiler comme les autres courants migratoires, mais pour l'instant ils résistent efficacement. On peut avancer plusieurs hypothèses. Il y a la théorie d'Emmanuel Todd: nos Turcs seraient des Turcs allemands. Un lien très fort unit la Turquie et les Turcs expatriés, avec des journaux destinés à l'immigration, une communication intense. Or, le modèle allemand est très prégnant sur les Turcs. Selon moi, il faut tenir compte de l 'Histoire de l'empire ottoman qui fut durant plusieurs siècles une puissance conquérante et occupante. Les Turcs seraient culturellement plus conquérants que des personnes venant d'un pays anciennement colonisé. Et puis autre élément: la forte pression de l'Etat turc sur les expatriés dans le but de négocier son entrée dans l 'Union européenne en s'appuyant sur des réseaux de pouvoir internes. Que pensez-vous de la politique du gouvernement et des « sans-papiers» ? Belle et rare Selon Claude Duneton, l'expression faire France, belle et rare, serait en usage à la limite du Rhône et du Massif Central, Elle signifie: « prospérer» ou, dans la forme négative, « ne durera pas ». Par exemple, on dira d'un vêtement de mauvaise qualité: « Y f'ra pas France jusqu'à Pâques », Selon un linguiste occitan auquel C. Duneton fait référence, « L'explication qui est généralement donnée dans les Monts du Lyonnais est: "II, ou elle, ne contribuera pas à peupler la France", » Différences n° 178 octobre 1996 Ce qui me gêne dans les faits actuels, c'est que l'on ne se bat plus beaucoup pour des principes mais pour quelques cas dramatiques. C'est comme si l'humanitaire avait envahi tous les secteurs du militantisme et ça me chagrine. Plus fondamentalement, ce qui me paraît dangereux c'est cette tendance à tripoter la loi pour faire en sorte de coincer les cas marginaux. C'est contreproductif, y compris dans l'intérêt d'un gouvernement. Voilà des lois qui amènent à faire des distorsions par rapport à des éléments de droit entre Français et étrangers mais aussi entre Français. C'est le cas du mariage : il faut à l'étranger qui épouse une e) Français( e) un an de vie commune avant qu'il puisse prétendre à une carte de résident. Aucun couple de Français qui souhaite se marier n'est astreint à vivre sous le même toit. Nous avons donc désormais des lois qui mettent à malI' esprit de la loi. Ces glissements sont inquiétants. Une loi dont le seul objectif est de prévenir les cas d'instrumentalisation ne peut pas être cohérente. Ce n'est pas raisonnable. C'est peut-être pour cela que l'on se bat davantage sur le terrain humanitaire que sur des principes ... On ne s'est pas beaucoup battu contre les lois Pasqua au moment de leur promulgation. On n'a pas vu beaucoup d'élus monter au créneau. En fait, on a l'impression qu'un cercle a été défini par l'extrême droite au-delà duquel personne n'ose vraiment aller. Il faudrait pourtant en sortir et formuler les questions autrement. On n'est pas dans une partie de dominos où les règles dujeu seraient définies par l'extrême droite ! Tout le monde se tient terrorisé à l'intérieur du cercle avec la peur de le franchir, le risque politique paraissant trop élevé. C'est assez inconséquent de la part des pouvoirs politiques successifs d'avoir tenté d'atteindre un objectif impossible : qu'aucun immigré n'entre en France. La raison voudrait que l'on se fixe un objectif un peu plus réaliste et qu'on l'atteigne: il n'y a rien de pire pour des politiques que de montrer une impuissance permanente ..• Propos recueillis par Chérifa B. ()) CNIL: Commission nationale de l'informatique et des libertés. INSEE: Institut national des statistiques et des études économiques. INED: Institut national des études démographiques Conférence nationale du MRAP EN GUISE D'AVANT ·PROPOS La conférence nationale du MRAP, qui est ouverte à tous les adhérents, aura lieu au début de l'année 1997. Jean-Jacques Kirkyacharian présente quelques réflexions personnelles pour sa préparation. NOUS AVONS BESOIN DE REFLECHIR et d'échanger sur toutes les questions qui ont défrayé la chronique ces derniers mois. Depuis le dernier Congrès, il me semble que nous avons beaucoup travaillé; en tout cas tout le monde (en France et à l'étranger) reconnaît que l'autorité du MRAP est réelle. La discussion qui s'est déroulée ce printemps et qui n'est pas terminée porte témoignage de ce renforcement - au moins sur le terrain. Mais elle a davantage situé les problèmes qu'esquissé des orientations. Les forces sociales, en particulier les syndicats et les organisations populaires, sont par vocation nos alliés car le racisme est lié à la crise économique et à la précarité. Si Sartre vivait encore il le lierait à ce qui, selon lui, est caractéristique de l'histoire humaine: « la rareté ». Comme le fascisme italien ou le nazisme (parti national-socialiste des travailleurs), le racisme en France cultive une démagogie qui, pour être grossière, n'en est pas moins efficace. Les syndicats et partis ouvriers ont longtemps sous-estimé le phénomène mais maintenant ils l'abordent beaucoup plus franchement, en particulier depuis SaintBernard. Le développement de l'unité Une question-clé aujourd'hui, qui renaît toujours de ses cendres, est celle de l'indépendance et de la responsabilité autonome du MRAP. Il y a toujours eu des tentatives pour noyer le MRAP dans des nébuleuses, additions de petits groupes entre lesquels se livrent de sombres luttes d'influence et de pouvoir. Ce n'est pas du tout ce qui convient au développement de l'unité ni à celui des luttes. On a parfois employé le terme d'antiracisme « de masse» : ce terme est impropre mais l'antiracisme doit s'élargir des noyaux spécialisés à de larges courants qui feraient de la lutte contre le racisme l'un des piliers de leur action. Voilà qui réfère à« la politique» qui n'est pas notre affaire, bien que nous soyons un mouvement politique. Il y a parmi nous des gens qui se réfèrent à des courants politiques, avec quelquefois un risque de captation, et de mise à l'écart de ceux qui ne sont pas « de la famille », ce qui est une entrave au développement. En résumé: le MRAP ne participe aux « collectifs» que dans des circonstances déterminées et avec sa pleine liberté de parole et de proposition. Il accueille toutes les familles de pensée, pourvu que la discussion des problèmes du MRAP ne relève que de l'organisation ellemême. L'écueil de l'activisme Le MRAP a, me semble-t-il, limité sa chute d'effectifs mais jusqu'ici les nouveaux adhérents sont loin de compenser tous les départs. Il faut nous demander une bonne fois si nous ne faisons pas fuir certains. L'un des écueils de notre action est qu'elle semble se spécialiser dans des questions techniques, couvertes par des mots d'ordre insuffisamment mobilisateurs. La solidarité avec les immigrés, si on n'y prend pas garde, est une formule peu adéquate: elle a souvent un aspect affectif, non dépourvu de paternalisme. Le « multiculturalisme » lui aussi peut sonner creux. Et dans tout ça nous risquons de perdre de vue notre objectif: la lutte contre le racisme. On assiste aujourd'hui à un formidable retour du refoulé: on reparle de l'inégalité des races, escomptant que la coexistence de populations d'origines diverses pourra nourrir, si on s'y applique, la vieille idée d'exclusion des« inférieurs par nature ». Mais il y a l'autre écueil, celui de l'activisme. Ce qui empêche souvent d'adhérer, de Différences n° 178 octobre 1996 venir au comité local, de créer un comité là où c'est possible, c'est l'image d'un MRAP formé d'activistes toujours sur la brèche, toujours prêts à des« coups ». De fait, les comités souvent n'ont pas de vie interne satisfaisante; ils ne réunissent pas les adhérents régulièrement sauf pour se répartir les tâches urgentes. La conférence nationale devrait réfléchir à ces questions et notamment à l'accueil des nouveaux adhérents. L'action internationale On peut distinguer deux points de vue - en France et hors de France - mais cela doit tendre à devenir une seule et même action. Car ce que nous pouvons faire ici doit se prolonger ailleurs (par exemple, à l'ONU mais ce n'est que l'aspect le plus facile des choses) et notre « action» ou plutôt notre influence à l'extérieur n'a vraiment de poids que dans la mesure où le MRAP pèse lourd en France. Le « poids» du MRAP en France est per- • çu à l'étranger: il suffit de se reporter aux lettrès de solidarité reçues au MRAP pour les sans-papiers; ou encore penser au fait que partout où nous sommes sollicités, nos analyses rencontrent un écho favorable. D'autres positions du MRAP ont eu un heureux effet d'entraînement: il y a cinq ans, nous demandions lors d'une réunion antiraciste européenne d'introduire dans la résolution finale deux phrases sur le rapport entre racisme et inégalité dans le monde, et sur la nécessité d'un changement radical dans les relations internationales. Le représentant d'un mouvement a déclaré tout net que si on adoptait cette proposition, il quitterait la réunion. Le climat a changé depuis, heureusement. Débattre pour avancer Nous devons faire avancer les choses; les comités locaux du MRAP sont très bien placés pour cela. Il suffit d'exploiter à fond le titre du Mouvement pour développer de vraies actions locales sur ces questions. Allons- nous être en retard sur ce qui s'écrit maintenant dans les journaux? La vie des comités n'en souffrirait pas, bien au contraire, elle deviendrait intéressante pour beaucoup de ces adhérents que l'activisme ennuie. Je souhaite qu'à la conférence nationale il y ait un moment important consacré à l'action internationale, en rapport avec les sensibilités diverses des comités .• Jean-Jacques Kirkyacharian Il Séminaire franco-allemand à Berlin lEÇONS D'HISTOIRE SUR lES MURS DE lA VillE ASF - Association signe de réconciliation - a organisé du 25 août au 1er septembre un séminaire sur le thème de la mémoire auquel a participé Alain Pellé pour le MRAP. Il présente ici une expérience originale de travail pédagogique et de proximité destiné à faire connaître aux citoyens l'histoire de leur quartier. LA RESURGENCE et la banalisation des thèses raciales dans le discours politique rappellent l'importance de l'enseignement de l'Histoire dans la formation du citoyen. Un séminaire franco-allemand organisé à Berlin cet été nous a fourni l'occasion d'aborder les leçons de la seconde guerre mondiale à la lumière d' approches pédagogiques originales. Longtemps, la période 1933- 1945 n'a été appréhendée outre- Rhin que sous l'angle de la culpabilisation et de l'expiation. Cette perspective, qui a privilégié l'approche émotionnelle, s'avère aujourd'hui largement inopérante, notamment avec les jeunes. Le désintérêt voire le rejet que suscite une vulgate éculée et par trop abstraite ont amené à explorer d'autres manières d'explorer le passé nazi. Le quartier bavarois L'exemple de ce qui a été réalisé ces dernières années dans le quartier dit «bavarois» de Berlin fournit une illustration particulièrement éloquente d'une approche dynamique. Cet espace résidentiel comportait avant 1933 une importante population juive dont il n'est pratiquement pas demeuré de survivants au sortir de la guerre. Jusqu'à une période récente, rien ne venait rappeler aux habitants cette phase de l'histoire de leur quartier. En 1991, une exposition de plein air installée durant plusieurs mois à l'initiative de la municipalité permettait de surmonter cette amnésie. Ce premier pas franchi, la population opta, après une large consultation, pour un programme ingénieux transformant l'ensemble du quartier en un étonnant mémorial. Ainsi depuis 1993, quelque quatre-vingt panonceaux sont disposés auprès des plaques des rues ou sur les poteaux supportant l'éclairage public: chacun de ces panneaux arbore sur l'une de ses faces une illustration colorée au graphisme simple, presque naïf. Certaines de ces images semblent en relation avec le contexte de la rue (le tracé d'un jeu de marelle à proximité d'une école; une pile de boîtes de conserve à deux pas d'une épicerie ... ) ; la présence d'autres est plus déroutante et ressemble à une énigme ... Le passant intrigué ne tarde généralement pas à découvrir au revers du dessin le texte d'une loi antisémite prise par le pouvoir hitlérien et retranscrite sans commentaire, dans toute sa sécheresse et sa brutalité, avec pour seule indication la date de sa promulgation

la marelle renvoie ainsi au

décret interdisant aux enfants juifs la fréquentation des petits Aryens et l'accès des jardins publics. Effet garanti. Une déambulation dans le quartier et des échanges spontanés avec les riverains convainquent aisément de la force et de la pertinence d'un semblable dispositif dont les panonceaux ne constituent qu'un aspect, important, mais qu'il serait trop long de détailler ici. Notons seulement que ce travail de remémoration a été complété par la publication et la large diffusion d'une brochure retraçant l'histoire récente du quartier. Cet ouvrage comporte notamment la liste des anciens habitants juifs, victimes des déportations; significativement, au caractère aléatoire et uniforme de l'ordre alphabétique, on a préféré une présentation en fonction des adresses : de la sorte, c'est maison par maison, rue par rue, que refait surface très concrètement le souvenir de ces existences abolies. Musées des bourreaux, musées des victimes L'exemple du « quartier bavarois » apparaît très révélateur du parti pris résolument actif qu'une nouvelle génération de responsables de « lieux de mémoire » a adopté: l'enjeu aujourd'hui n'est plus tant de toucher ou d'émouvoir que de donner à comprendre pourquoi ce passé nous concerne encore, en mettant au jour les processus individuels, les mécanismes collectifs qui mènent à la barbarie. La préoccupation première est de Différences n° 178 octobre 1996 s'attacher plus à l'explicitation des causes, à l'ingénierie du totalitarisme et à cette « banalité du mal» qu'avait diagnostiquée Hannah Arendt. Ainsi, à la génération des « musées des victimes» succède celle des «musées des bourreaux », dont on mentionnera ici deux De la sorte, c'est maison par maison, rue par rue, que refait surface très concrètement le souvenir de ces existences abolies. exemples particulièrement prometteurs: d'abord le centre installé depuis peu dans la maison de la «conférence de Wansee » (lors de laquelle la « solution fmale » fut organisée pratiquement par les principaux responsables de l'appareil administratif du Reich) ; et aussi l'exposition sur la« Topographie de la terreur », préfiguration du futur complexe musé al qui va être édifié sur l' emplacement du siège de la Gestapo et sera dévolu à une radiographie du système totalitaire. La leçon dépasse à l'évidence le simple contexte allemand et on se prend à rêver des applications d'un tel esprit à notre histoire récente (à propos de l'occupation certes mais aussi de Vichy et, pourquoi pas, de la période coloniale ... ). Demeure en tout état de cause une invite à privilégier une pédagogie neuve qui sorte du discours de plus en plus inefficace de la commémoration, afin que la leçon des catastrophes d'hier demeure audible pour les adolescents d'aujourd'hui. • Alain Pellé 1 Le procès de Nuremberg DEUX liVRES POUR COMPRENDRE PARMI LES OUVRAGES suscités par le cinquantième anniversaire des procès de Nuremberg, celui de Telford Taylor (1) se détache nettement tant par son ampleur (700 pages serrées de texte) que par la précision et la rigueur du propos. Le livre est avant tout un témoignage personnel : l'auteur, officier dans l'armée des Etats-Unis, fut en effet membre du groupe de juristes chargé de l'accusation lors du procès des dignitaires nazis. Par la suite, il participa, comme procureur général pour les crimes de guerre, à la douzaine de procès «secondaires » qui se déroula à Nuremberg de 1946 à 1949. Fort de cette expérience de premier plan, il livre ici' une chronique vivante et très documentée du principal de ces procès ( celui qui vit comparaître Goring, Hess, Ribbentrop ,Donitz, Speer ... ). Alliant la sûreté de l'information, la netteté de l'analyse et une grande honnêteté dans l'exposé, il réussit à éclairer les enjeux multiples de l'événement, les problèmesjuridiques rencontrés, la complexité de la mise en oeuvre d'un procès sans réel précédent dans 1 'Histoire, les préoccupations politico-diplomatiques qui pouvaient en dévoyer le cours. Il brosse aussi quelques croquis pénétrants des accusés, met en reliefles principaux ressorts de leur psychologie et de leur attitude. Par de nombreux détails, qui vont au-delà de la simple anecdote, il parvient à restituer l'ambiance et le contexte d'une époque, les conditions matérielles du procès. Il s'agit d'un témoignage dont l'auteur a pris le temps (l'édition originale date de 1992), s'est ménagé le recul nécessaire à un examen exempt de passion et de considérations superfétatoires. Une profonde réflexion et l' expérience acquise viennent ainsi lester heureusement les souvenirs sans en ternir la vivacité. Dans un autre style, Olivier Lanotte consacre un opuscule à la question de la répression des crimes de guerre (2) et fournit un utile complément au témoignage de Taylor. Sous une forme très synthétique, il dresse une évaluation critique, sous l'angle du droit pénal international, du procès de Nuremberg et de la postérité des principes juridiques qu'il a contribué à forger. Les cinquante dernières années n'ayant pas été avares de crimes de guerre et de crimes contre 1 'humanité, Lanotte expose, à travers les exemples de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda qu'il analyse très précisément, l'ambition et les difficultés de la création d'une Cour internationale permanente .• Alain Pellé (l)ProcureuràNuremberg, Seuil, collection L'épreuve des faits, 1995, 180 F (2) Répression des crimes de guerre. Espoir ou utopie ?, Les dossiers du GRlP, 1995,60 F Différences n° 178 octobre 1996 Colloque au Sénat le 16 novembre Le MRAP organise un colloque au Sénat le 16 novembre prochain autour du thème « Cinquante ans après Nuremberg, l'extrême droite en procès ». Les personnes souhaitant y assister devront s'inscrire en écrivant au siège du MRAP ou en téléphonant avant le 8 novembre et se munir d'une pièce d'identité. Ce colloque sera présidé par Arnaud Lyon-Caen, avocat auprès du conseil d'Etat et à la cour de cassation et par Pierre Krausz, professeur d'université et membre du bureau national du MRAP qui introduira le sujet. Les interventions • La montée de l'extrême droite en Europe par Zeev Sternhell, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem, historien • L'électeur lepéniste : victime ou coupable? • Le procès des expressions violentes de l'extrême droite par René Monzat, écrivain • Le procès des manifestations de l'antisémitisme en 1996, Charles Lederman, avocat, ancien sénateur, président de l'Union des juifs pour la résistance et l'entraide • Le procès du révisionnisme et du négationnisme, Nadine Fresco, historienne, chercheur au CNRS • Aprèsl'ex-Yougoslavie,un génocide est-il possible en Europe ? Jean-Jacques Kirkyacharian, membre de la présidence du MRAP • Quels instruments pour lutter contre l'extrême droite? : Mouloud Aounit, secrétaire général du MRAP • ConclusionsparPierreMairat, avocat, membre de la présidence du MRAP • Il L'esclavage e n M a u ritanie UN SYSTÈME QUI PERDURE MALGRÉ L'ABOLITION L'esclavage a été officiellement aboli à quatre reprises en Mauritanie. Pourtant, la pratique perdure faute de volonté politique réelle et à cause du poids de l'Histoire. S'appuyant sur le témoignage de Boubacar Messaoud, président de l'association SOS-Esclaves, Marie-Catherine Andréani propose de mieux nous fai re connaître l'un des derniers espaces esclavagistes. ANCIENNE COLONIE française, la Mauritanie a acquis son indépendance en 1960. Elle est peuplée de deux millions d'habitants partagés à parts à peu près égales entre Arabo-Berbères, Afro-Mauritaniens répartis en plusieurs communautés (Halpulaaren, Soninkés, Wolofs) et Haratines (esclaves, descendants d'esclaves et affranchis). Les Arabo-Berbères sont également appelés Maures ou Beydanes. Les Afro-Mauritaniens utilisent le terme Négro-Africains dans leurs publications. Quant aux Haratines, ce sont des noirs élevés en esclaves par les Beydanes et désignés de ce fait par l'expression Maures noirs. Le pays est dirigé par Maaouya Ould Sid' Ahmed Taya qui s'est engagé en 1991 dans un timide processus de démocratisation, encouragé par la France laquelle avait pourtant jusque-là fermé les yeux sur les exactions, les spoliations et les crimes du régime à l'encontre des populations afro-mauritaniennes (1). Il devenait nécessaire de préserver les intérêts français en Mauritanie (exploitation minière et pétrolière, situation stratégique) à l'image de la« réhabilitation» du régime d'Hassan II au Maroc. La réalité de ce pays est bien éloignée de ce que nous concevons comme démocratie. Notamment parce que l'esclavage est encore « en cours d'abolition» dans une société qui a toujours pratiqué l'esclavage, et qui continue à le pratiquer, même si dans les populations traditionnelles afro-mauritaniennes cette pratique tend à disparaître. Il n'y a plus d'esclaves chez les Wolofs mauritaniens par exemple, mais il en existe encore dans d'autres communautés nOIres. L'esclavage, qui ne touche que des populations noires, a été officiellement aboli pour la quatrième fois en Mauritanie le 9 novembre 1981, sans aucune mesure d'accompagnement, notamment sur le plan juridique. J'ai rencontré frnjuinBoubacar Messaoud, président de l'association mauritanienne SOS-Esclaves. Il y a des rencontres qui comptent dans une vie. Celle-ci en fait partie. Boubacar Messaoud rentrait de Genève où il avait témoigné de l'esclavage en Mauritanie auprès de la sous-commission des droits de l'homme dans le groupe de travail sur les formes contemporaines de l'esclavage. Plutôt que d'énumérer les différentes atteintes aux droits de l'Homme résultant de l'esclavage, j e préfère laisser la parole à Boubacar Messaoud par le biais d'extraits de sacommunication. Le témoignage de Boubacar Messaoud « L'Etat mauritanien, jusqu'à présent, au mois de juin 1996, n'a pris aucun texte d'applicationde l'ordonnance n° 81-234 du 9 novembre 1981 portant abolition de l'esclavage en Mauritanie. Le vide juridique ainsi maintenu favorise la perpétuation de la pratique de l'esclavage en toute impunité, d'autant plus que les esclaves « L'ancien maître reste le maître des affranchis, car l'esclave n 'est affranchi que grâce au bon vouloir du maître. » ne disposent pas de juridiction de recours et qu'aucun texte ne prévoit des pénalités criminelles contre ceux qui pratiquent l'esclavage. Le gouvernement s'obstine à ne pas reconnaître notre organisation, SOS-Esclaves, qui assiste les esclaves dans leur lutte pour l'émancipation, la récupération des enfants, vendus ou séquestrés, et mène des campagnes d'information auprès des esclaves sur leurs droits en tant qu'êtres humains. ( ... ) L'Etat mauritanien n'a engagé aucune campagne d'information auprès des esclaves sur Différences n° 178 octobre 1996 l'existence de l'ordonnance 81- 234 du 9 novembre 1981. Par ailleurs, les autorités locales, les Hakem (préfets de département) et les Wali (gouverneurs de région) ne reçoivent pas les plaintes d'esclaves et refusent d'enregistrer leurs réclamations. L'euphémisme utilisé par les juridictions modernes pour désigner l'esclave est la "séquestration" de personnes. Même dans ce cas, les auteurs de cette séquestration ne sont ni punis, ni même inquiétés. C'est ainsi que dans une lettre n° 0052 du 5 février 1996, le ministre de la Justice demande au procureur général près la cour suprême une assistance à Madame Aïchana Mint Abeïd Boïlil pour récupérer ses enfants séquestrés. Madame Aïchana a « récupéré» quatre de ses cinq enfants après plusieurs démarches auprès du procureur général près la cour suprême et surtout grâce à l'assistance de SOS-Esclaves. Il faut rappeler que madame Aïchana est l'esclave de Mohamed Ould Moïssa de la tribu des Oulad El Bouliya, département de R'Kiz (Trarza); elle avait fui son maître à cause de mauvais traitements

son cinquième enfant

avait été donné à Boïka, fille de Ould Moïssa, le maître. Aucune sanction n'a frappé l'esclavagiste. ( ... ) .A Aleg, chef-lieu de la région du Brakna, le tribunal, lors de l'audience du 7 février 1996, a enlevé les enfants, Zeïd El Mal, fille de M'Barka, et BilaI, fils de S 'Haba, pour les remettre à leur maître Ahmed Ould Nacer de la tribu Arouejatt Gugement n° 09-96 et 10-96). Après les appels interjetés en date des 7 et 8 février 1996 devant la cour d'appel de Nouakchott, les deux affaires restent pendantes. ( ... ) En ce qui concerne l'ampleur du phénomène, les révélations de Aïchana Mint Abeïd Boïlil sont très éloquentes. En effet, cette esclave de Mohamed Ould Moïssa cite les noms et les âges respectifs de vingt-quatre esclaves que ce même maître possède actuellement. ( ... ). La femme esclave n'est pas donnée en mariage par sa famille propre, mais par son maître. Son mariage est nul lorsque ce dernier s'y oppose. Le maître dispose à sa guise de sa progéniture. Les enfants sont, comme leur mère, employés à diverses tâches domestiques, artisanales, agricoles, à la garde des troupeaux, au service des différentes familles du clan des maîtres. Ils sont confiés ou vendus à d'autres familles. Il arrive qu'ils soient envoyés comme jockey dans les Emirats arabes, sans que les autorités mauritaniennes ne s'en préoccupent. Il est vrai qu'elles ne s'interrogent pas non plus sur le travail des enfants dans le pays même. Le travail des enfants est une normalité. ( ... ). » Un système profondément ancré A ces extraits de la communication de Boubacar Messaoud, j'ajoute quelques réflexions qu'il m'a confiées lors de notre rencontre. Il est difficile, expliquait- il, d'imaginer ce qu'était l'esclavage, qu'il s'agissait de quelque chose d'intériorisé, qu'un ancien esclave, ou un affranchi, restait un esclave. Que les relations avec les Beydanes ne pouvaient jamais être « normales» c'est-à-dire d'égal à égal, et que des étudiants arabo-berbères partageant leur vie étudiante avec d'autres étudiants haratines continuaient à les considérer comme des esclaves, même lorsqu'ils étaient affranchis, leur laissant porter leurs paquets ou leurs sacs. L'ancien maître reste le maître des affranchis, car l'esclave n'est affranchi que grâce au bon vouloir du maître. Les Haratines ont intériorisé la culture beydane, et bien que noirs de peau, ils sont complètement maures. D'ailleurs, le contact avec les Afro-Mauritaniens libres est interdit aux esclaves sous peine de châtiments corporels. Peut-on (( conclure » ? L'esclave en Mauritanie n'est pas qu'un domestique corvéable à merci. A l'exploitation économique dont il est l'objet, s'ajoute un statut social d'infériorité par rapport à toutes les autres composantes de la société

l 'esclave ne s'appartient

pas. Il fait partie du patrimoine de son maître comme. Ses enfants ne lui appartiennent pas non plus. Depuis l'abolition officielle de l'esclavage de 1981, la vente d'esclaves est devenue illégale. Pour contourner la loi, les esclaves sont légués ou donnés à des tiers. Sans volonté réelle d'éradication des pratiques esclavagistes de la part des autorités mauritaniennes et sans accompagnement permettant aux affranchis de pouvoir subvenir économiquement à leurs besoins, de nombreux esclaves devenus libres restent chez leurs anciens maîtres. Ils n'ont ni matériellement ni culturellement la possibilité de s'émanciper et d'échapper à leur condition. Pour terminer, je soulignerais les contradictions inhérentes à cette situation. Les Haratines, par exemple, ont participé à la répression des Afro-Mauritaniens aux côtés des Arabo-Berbères. Ce sont souvent des Haratines qui occupent aujourd'hui les terres et les villages des Afro-Mauritaniens dépossédés de leurs biens ou chassés de Mauritanie, toujours réfugiés au Mali ou au Sénégal, exilés parfois en France. Comment cela peut-il s'expliquer? Il est difficile de répondre. Cette situation m'a rappelé celle des Wallisiens en Nouvelle Ca- Ma uritanie lédonie. Alors que la logique aurait voulu qu'ils fassent cause commune avec le mouvement indépendantiste kanak, les Wallisiens ont servi de « troupes de choc» au pouvoir colonial français contre les Kanaks. On pourrait tenter un parallèle entre l'économie ruinée de Wallis dont la majorité des habitants vit en Nouvelle Calédonie dans des conditions certes précaires mais meilleures qu'à Wallis et la difficulté des Haratines à trouver une alternative économique à l'esclavage hors de l'occupation et de l'exploitation des terres des AfroMauritaniens ? • Marie-Catherine Andréani (1) En ce qui concerne les conflits entre Mauritaniens arabo-berbères et Mauritaniens négro-africains, voir l'article d'Oumar Diagne paru dans le numéro 170 deDifférences enjanvier 1996 Agenda • THÉÂ TREVous pouvez aller voir« L'île des esclaves », un texte de Marivaux mis en scène par Elisabeth Chailloux, au théâtre d'Ivry du 7 octobre au 3 novembre. A cette occasion, des extraits de récits, polémiques, témoignages (Voltaire, Restif de la Bretonne et quelques autres) seront lus le 26 octobre à 17 heures (entrée gratuite). Théâtre d'Ivry-Antoine Vitez (Val de Marne) : 01 4672 37 43. • THÉÂTRE. Hamida Aït el hadj et Farid Bennour ont adapté pour le théâtre des textes de poètes et écrivains algériens. La pièce s'appelle« Un couteau dans ton soleil» et sera jouée du 18 octobre au 17 novembre au Théâtre de Propostion à Paris, tél: 01 43 48 99 30. Cette troupe composée principalement d'exilés cherche à continuer à continuer à se produire. Si vous avez des moyens pour les aider, écrivez à Différences qui fera suivre. • COLLOQUE. Une journée académique est organisée le 13 novembre à l'initiative du rectorat de Créteil à La Cartoucherie de Vincennes autour du thème « racisme et antiracisme» .Le MRAP y participera. Nous ne disposons pas encore, au moment où ce numéro part à l'imprimerie, de l'ensemble du programme de lajournée mais deux interventions sont prévues: celles d'Albert Memmi et de Jean-Paul Tauvel du CNDPlMigrants. • JUSTICE. Le procès qu'intente le Front national au MRAP et à l'ATMF débutera le 20 décembre au tribunal correctionnel de Paris. Un appel de personnalités destiné à soutenir les deux associations est actuellement en circulation. • PUBLICATION. Le MRAP a édité une petite brochure intitulée « Cinquante ans après, le négationnisme et la mémoire» qui reprend le texte d'une conférence donnée par A. Lévy. Préface de J.-J. Kirkyacharian, annexes par la commission« lutte contre l'antisémitisme et le néonazisme », dessins de Jean-Pierre Gaüzère, réalisationDifférences. Différences n° 178 octobre 1996 • Il EN BREF • Le 198 festival de cinéma de Douarnenez qui s'est déroulé du 18 au 25 août était cette année consacré au cinéma des communautés immigrées en Europe. • Le MRAP a tenu comme chaque année un stand à la fête de l'Humanité qui a eu lieu les 13, 14 et 15 septembre. • L'association pour le réexamen de l'affaire Rosenberg a organisé une réunion publique le 17 septembre à la mairie du 1118 arrondissement de Paris en la présence de Michaël Meerepol, l'un des deux fils des Rosenberg. • Le ministre de la Justice a transmis à la CNCDH, le 20 septembre, le texte d'un avant-projet de loi destiné à instituer un délit de diffusion de messages racistes ou xénophobes. Le MRAP considère que ce texte va dans le bon sens. CHRONO PO UR MÉMOIRE 60e bougie de la guerre d"Espagne Art / Le temps des cerises, avec le soutien des Amis de l'Espagne républicaine et de l'Association des volontaires de l'Espagne républicaine, célèbre le soixantième anniversaire du début de la guerre d'Espagne, en juillet 1936, en réalisant un album-coffret constitué de documents d'époque

vingt affiches et

vingt poèmes de Rafaël Alberti, Pablo Neruda, Tristan Tzara etc. Renseignements et souscription

Art-Association,

tél. 01 48 33 17 89 à La Courneuve. Plainte du MRAP Par un communiqué du 6 septembre, le MRAP annonce qu'il engage des poursuites judiciaires à l'encontre de Bernard Antony, député du Front national au parlement européen. B. Antony, alias Romain Marie, avait déclaré lors de l'université d'été du FN qui s'est tenue du26 au 30 août, à la GrandeMotte, dans l'Hérault : « Il faudrait occuper les mosquées et les synagogues puisque les sanspapiers occupent nos églises. Je condamne les chrétiens émasculés qui accueillent ces négros ». Bernard Antony est responsable de « l'action culturelle» au FN, cofondateur de Présent et fondateur des cercles Chrétienté-Solidarité. Emporté par sa fougue raciste, il feint d'ignorer que nombre d'Africains sont chrétiens et qu'ils sont chez eux dans nos églises comme dans nos temples. Le MRAP et la LICRA avaient déjà porté plainte contre lui en 1984 pour des propos à caractère antisémites tenus devant des journalistes. Les associations avaient été déboutées, les juges ayant considéré que la preuve de la publicité n'était pas faite. Le FN poursuit son implantation syndicale Les statuts du Front national- pénitentiaire ont été déposés le 10 septembre à la mairie de Fabrègues dans l'Hérault. C'est la quatrième tentative de création d'un syndicat professionnel national après la police, les transports lyonnais et la RATP. Les deux premières ont réussi. Le tribunal de Lyon a jugé le 11 septembre que les statuts du FN-transports en commun lyonnais étaient conformes à!' objet d'un syndicat alors que celui de Nanterre avait considéré en juin dernier que la collusion politique entre le FN et le nouveau syndicat de la RATP était trop évidente pour répondre aux exigences du code du travail. Un article deLibération du 19 septembre rapporte que « durant l'été, plusieurs directeurs de prison ont vu arriver sur les télécopieurs un fax signé du délégué du Front national, Philippe Olivier, annonçant la création imminente d'un nouveau syndicat au sein de l'administration pénitentiaire. » Voilà qui est chose faite. Si ce syndicat perdure, et on peut imaginer que les statuts ont été rédigés de telle façon qu'ils puissent échapper aux foudres de la justice, il prendra part aux élections professionnelles qui doivent se dérouler les 28 et 29 janvier prochains. Pour le moment, Patrick Marest, de l'Observatoire international des prisons, s'inquiète: « Il existe, dit-il, tout un bâtiment de Fresnes, dont les gardiens sont majoritairement proches du Front national, où le tabassage est de règle. Cela donne une idée de ce qui peut se développer. » « L'inégalité des races» à l'oeuvre derrière les murs ? La terrifiante route 60 D'après un article paru à la une du Monde le 17 septembre, le gouvernement israélien a inauguré dans le courant de Le Pen: une rentrée politique fracassante! Le Pen a fait une rentrée politique très remarquée. Depuis fin août, il s'exprime quasi-quotidiennement dans les médias. Et ne cesse de multiplier des variations sur la phrase qu'il avait prononcée le 30 août au cours d'une conférence de presse à la Grande-Motte: « Oui, je crois à l'inégalité des races, oui, bien sûr. Toute l'Histoire le démontre. » Les réactions n'ont pas cessé non plus: des plus hautes autorités de l'Etat à l'Eglise catholique (par l'entremise du comité épiscopal des migrations) en passant par le monde de la recherche scientifique (cf. encadré ci-contre) et les associations. Le MRAP a décidé de porter plainte devant les tribunaux et le ministre de la Justice promet un durcissement de la loi antiraciste. Ces réactions réchauffent le coeur mais les propos de Le Pen ne sont pas surprenants. Ceux qui ont conservé le numéro spécial de Différences consacré à l'extrême droite (mars 1990) pourront s'y référer. Ils y trouveront quelques articles qui montrent comment l'idéologie de l'extrême droite est une apologie précise et claire d'une dictature de seigneurs. Le Pen écrivait notamment en 1984 : « Nous sommes pour la justice et non pour l'égalité. Le thème de l'égalité nous paraît décadent. )) Et bien d'autres choses que l'électorat populaire ne sait pas: sur les handicapés, les faibles, les gens qui ne « réussissent )) pas etc. Toute la question est de savoir pourquoi il a choisi de dire cela aujourd'hui. Si c'était pour installer sur la place publique quelques thèmes en vue des élections législatives? Chérifa B. Différences n° 178 octobre 1996 la deuxième semaine de septembre une route construite en Cisjordanie et réservée aux Israéliens. Cette route est destinée à faire échapper les colons juifs habitant les territoires aux attentes occasionnées par les points de contrôle militaires auxquels sont soumis les Palestiniens. « Le gouvernement Netanyahou aurait-il résolu de provoquer le pire? », s'interrogeait le MRAP dans un communiqué daté du 29 août, tout en dénonçant « l'attitude du gouvernement israélien, qui parle de continuation du processus de paix et prend systématiquement des mesures visant à le rendre impossible sous une autre forme que celle de la capitulation de l'Autorité palestinienne ». Le MRAP avait écrit à Jacques Chirac qui arépondu

« Je constate avec

satisfaction que le Premier ministre israélien a manifesté son intention de respecter les accords signés par le gouvernement précédent et de poursuivre le processus de paix dans ses différents volets. Il conviendra donc de le juger sur ses actes. » Sans-papiers, I"avisdela CNCDH La Commission nationale consultative des droits de l'homme a demandé, le 12 septembre, au gouvernement, d'accorder la régularisation aux étrangers répondant à certains critères, comme le droit de vivre en famille, une insertion réussie, des risques en cas d'expulsion ou un traitement médical en cours. Elle considère que les législations successives ont créé « par leur complexité, des conditions très difficiles de mise en oeuvre qui aboutissent parfois à des contradictions ou à des impasses, sur le plan juridique ou humain. » La Commission suggère de confier au Médiateur de la République la mission de réfléchir aux modifications à apporter aux textes législatifs ou réglementaires. Par ailleurs, des sans-papiers venus de plusieurs villes de France se sont rendus au Parlement européen à Strasbourg le 18 septembre où ils ont reçu un « accueil chaleureux ». Ceux de Saint-Bernard étaient là aussi et leur porte-parole, Ababacar Diop, a déclaré ne pas comprendre, à l'issue de 76 régularisations incohérentes, « pourquoi on Appel de scientifiques Au moment où ce numéro de Différences est fabriqué, plusieurs centaines de scientifiques ont signé un appel rédigé par Albert Jacquard à l'initiative du MRAP Le président du Front national vient de révéler le fond de sa pensée en déclarant comme une évidence que les diverses races humaines sont inégales et que certaines sont meilleures que d'autres. Au nom de la rigueur scientifique, nous nous élevons contre de telles affirmations. Certes tous les humains (à la seule exception des vrais jumeaux) reçoivent des dotations génétiques différentes. Ils sont donc génétiquement « non égaux )), mais cette non égalité n'est nullement synonyme de hiérarchie. Le concept de race ne peut être défini qu'au sein d'espèces dont divers groupes ont été isolés les uns des autres suffisamment longtemps pour que leurs patrimoines génétiques se différencient. Il se trouve que dans l'espèce humaine cette différenciation est si peu marquée que « le concept de races humaines est non opérationnel )) (François Jacob). Enfin la supériorité attribuée à tel ou tel groupe humain n'est que le reflet des fantasmes de personnages qui ne trouvent leur confort intellectuel que dans le mépris de ceux qui ne leur ressemblent pas. Toutes les cultures ont contribué, chacune avec son génie propre, à la construction de notre humanitude. Paris, le 4 septembre 1996 oppose des réponses différentes à des situations identiques ». Plusieurs dizaines d'associations, partis politiques et syndicats appellent à des manifestations un peu partout en France le28 septembre. Papon pourrait être jugé La chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux a décidé le 18 septembre le renvoi de Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, devant la cour d'assises pour complicité de crime contre l'humanité. Ce procès, si la cour de cassation confirme le renvoi, devrait faire avancer la question de la responsabilité du régime de Vichy dans la solution finale. Sébastien: la confirmation La Il e chambre de la cour d'appel de Paris confirme le 18 septembre la condamnation de Patrick Sébastien (et du président de TF1) pour provocation à la haine raciale prononcée en mars dernier par le tribunal de grande instance. Toutes les sanctions sont maintenues (30 000 francs d'amende, diffusion d'un communiqué faisant état de cette condamnation, et un franc symbolique pour le MRAP et la LICRA) mais les avocats peuvent encore se pourvoir en cassation. Eléments d'information rassemblés par Chérifa Benabdessadok Différences n° 178 octobre 1996 EN BREF , • Manifestation pour la laïcité à Paris le 22 septembre à l'occasion de la visite du pape en France. Le MRAP y participait pour exprimer « son désaccord total avec la commémoration du baptême de Clovis comme acte fondateur de la nation française )) et « son soutien à une laïcité ouverte, plurielle, fondée sur le respect de l'identité de tous ceux qui forment et forgent la France. )) • Le 15 septembre, le leader italien de la Ligue du Nord, a déclaré à Venise devant ses supporters « l'indépendance de la Padanie )) censée regrouper les provinces du Nord de l'Italie. Les néofascistes ont organisé une contremanifestation. • Le comité local de Pantin et l'association « Art et Action )) ont présenté une exposition d'art contemporain le 7 septembre. Avec la participation de vingt artistes peintres, sculpteurs, musiciens et conteurs. • Le devoir de mémoire DRANCY, 21 llET 1996 Un décret présidentiel daté du 3 février 1993 a institué le 21 Juillet journée nationale de commémoration des persécutions racistes et antisémites (1940 J 1944). Charles Palant, ancien président du MRAP, déporté, résistant et président de l'Amicale des anciens déportés de Buna-MonowJtz-Auschwitz III, a prononcé un discours au cours de la cérémonie qui s'est tenue à Drancy, sur le site de l'ancien camp où furent regroupés les déportés entre le 20 aoOt 1941 et le 17 aoOt 1944. 11 s'y exprimait au nom de la commission Souvenir du Conseil représentatif des institutions juives de France. Nous publions ici un extrait de ce discours dans lequel C. Palant rappelle quelques faits concernant la e contribution française à la solution finale lt. curité allemand en France. De son côté, Eichmann, maître d'oeuvre de la solution finale arrivait à Paris pour conférer avec son délégué pennanent, Oannecker. Le 1er juillet, Eichmann et Oannecker signent un compte-rendu de leurs travaux. Le lendemain, le 2 juillet, se tient une réunion chez le chef suprême des S.S. et de la police allemande en France, Oberg, en présence de Knochen et de Lischka. La partie française est représentée par Bousquet, setard, le 4 juillet, ainsi que le précise le compte-rendu d'une nouvelle réunion franco-allemande. Y prennent part du côté allemand, Knochen, Oannecker et Schmidt; du côté français sont présents Bousquet et Darquier de Pellepoix., commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy. Bousquet déclare, lors de cette réunion, qu'aussi bien le maréchal Pétai n, chef de l'Etat, que le président Laval s'étaient déclarés d'accord, au cours d'un récent conseil des mini stres, pour que soient déportés d'obordtous les Juifs apatrides de zone occupée et de zone libre. Cependant, le marché conclu le 4 jui llet n'est pas encore définitif. ( ... ) Quarante-huit heures plus tard, le 6 juillet, Oannecker envoie à Eichmann à Berlin un télégramme portant la mention: « Urgent. A transmettre aussitôt ». Les poUIpaTlers avec le gouvernement français ont abouti aux résultats suivants: tous les Juifs apatrides des zones occupée et non occupée seront tenus prêts pour la déportation. Le président Laval a proposé que lors de la déportation des familles juives de la zone occupée, y soient également inclus les enfants juifs de moins de L ES CEREMONIES d'aujourd'hui sont plus particulièrement destinées à l'évocation de la grande rafle des Juifs, la rafle du Vél d'H ivdes 16et 17juillet 1942, dans la région parisienne. Au cours de ce Jeudi noir et le lendemain furent arrêtés, essentiellement par la police française, 12 884 personnes: 3 031 hommes, 5 082 femmes, 4 051 enfants. De ces journées terrifiantes de 1942, le président de la République, monsieur Jacques Chirac, devait dire: « Il est difficile de les évoquer aussi parce que ces heures noires souillent à jamais notre Histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui,la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français. » J'emprunte ce qui suit à un minutieux travail du regretté professeur Georges Wellers publié en 1976 dans la revue du Centre de documentationjuive contemporaine, Le Monde juif Le 27 juin 1942, le chef du gouvernement de Vichy, Pierre Laval, était venu à Paris pour discuter de ces problèmes avec les hautes instances de la police et du S.O., le service de sé- « Soixante-seize mille Juifs ont été déportés de France vers les camps d'extermination, hommes etfemmes, de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines, de toutes croyances, de toutes opinions ». crétaire général de la police de Vichy. Les discussions sont laborieuses

à l'arrière-plan les

effets « négatifs» sur le moral des Français devant une entreprise d'une telle ampleur, l'arrestation projetée de trente mille Juifs des deux sexes, à leur domicile. Un compromis est trouvé qui sera entériné deux jours plus seize ans. La question des enfantsjuifs restant en zone occupée ne l'intéressait pas. On sait que la proposition de Laval fut acceptée. Oannecker ayant obtenu l'autorisation de déporter les enfants de moins de seize ans, le 16 juillet, la limite d'âge inférieure est ramenée à deux ans. Bientôt on déportera égaIement les nouveaux-nés. Différences n- 178 octobre 1996 Annonce du service juridique du MRAP Sophie Pisk et Nina Ventura préparent le programme de formation juridique en droit des étrangers de l'année 1997. Elles sollicitent les propositions de thèmes que les adhérents du MRAP qui participeront à ces journées de formation souhaiteraient voir traités. Ecrivez-leur. Elles attendent votre courrier. 89. rue Oberkampf 75543 Paris Cedex Il Tél.: 01 43 148353 Télécopie: 0143148350 • Directeur de la publication Mouloud Aounit • Gérant bénévole Martial Le Nancq • Rédactrice en chef Cherifa Benabde'$udok • Administration - gestion Patricia Jouhannet • Abonnements Isabel 00$ Martircs 120 F pour 11 numéros/an 12 F le numéro • Maquette Cherifa 8enabdessadok • Impression Montligeon Tél. : 02 33 115 8000 • Commission paritaire nO 63634 ISSN 0247-9095 Dépôt légal 1996-10 ) 1

Notes

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