Différences n°274 - avril 2010

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Sommaire du numéro

n°274 de avril 2010

  • Afrique: bientôt l'indépendance par Michèle Decaster
  • Dossier: Droit des peuples et Justice internationale [législation]
    • Un avenir pour le droit international? Par Robert Charvin
    • Les mécanismes du droit international contemporain permettent-ils le développement des valeurs universelles? Par M. Chemillier-Gendreau
    • Le droit humanitaire: réalité ou utopie par Nils Andersson
    • Les réfugiés Palestiniens et le Droit international par Sylviane de Wengel
    • Le tribunal Russell: un tribuna populaire de conscience
    • Commissios « vérité » et justice transitionnelle
  • L'hiver sans fin des immigrés et des sans-papiers par Olivier Le Cour Grandmaison
  • En marge du procès MRAP Hortefeux, entretien avec Vincent Geisser
  • Identités et frontières intérieures par Jean Robelin [identité]


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Texte brut du numéro

N°274 Avril 1 Mail Juin 2010 mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples • • •••• •••••• • •••••• • • • .... .... .. dnoit 'nter.national Les écanismes du dr.oit inter.national contemQorain per.mettent-i sIe développement des valeur.s univer.selles ? ••• Les r.éfuQiés Ralestiniens et le droit intennational. Le tr.ibunal 'RusselL • • 'hive sans fin des immi\;?y'és et Q'lléslà-bas, chassés ici En mar.~e du Rr.ocès M'RAR/,Hor.tefeux ldentités et frontières inténieures t( Diffél'ences )) 43, bd de Ma~enta - 75010 PAR1S Tél.: 01 53 389999 - Fax : 01 40409098 mail: differences.ya@oran~e.fr • 1.1 ... Di1'ecteu1' de la publication: Mouloud Aounit Rédaction: Yves Marchi / Alexandrine Vocaturo Assistant p1'oduction : Pierre Rousset, Ser~e Ber~eon Administ1'at1'ice: Marie-Annick Butez Conception/lmp1'ession: Marnat -Tél.: 0156 80 0919 Dépôt lé"Qal : Juillet 2007 AF 10 E, i nlâl l'indépendan,e' Michèle DECASTER, Secrétaire Générale de l'Association Française d'Amitié et de Solidarité avec les Peuples d'Afrique (AFASPA) Et Harana PARÉ o ~ '0«1 ..... ~.;~r1:;:~.,d~~t~224 janvier 2012 à 15:03 (UTC)~~:: !:z::..'o/ En 2010, la France officielle a invité 14 chefs d'Etats africains « amis)} à parader à la tête de leurs troupes le 14 juillet. On pourra ainsi applaudir les « Cobras)} de Denis Sassou Nguesso qui ont oeuvré dans les massacres des guerres au Congo, les soldats du dictateur djiboutien Ismail Oumar Guelleh, qui se sont illustrés par les viols des femmes Afars, les Forces Armée Royales du Maroc qui occupent illégalement Sahara Occidental depuis 1975, la troupe guinéenne qui a réprimé dans le sang la grève de 2007 ou celle de Paul Bya qui tient le Cameroun sous sa férule! Le refrain de «l'octroi des indépendances)} par le Général De Gaulle passera en boucle dans les grands médias. Les anti-impérialistes tenteront avec les moyens du bord, de rappeler les réalités historiques, l'actualité et les enjeux pour ces pays nouvellement indépendants. N'oublions pas l'Histoire On ne peut aborder les indépendances africaines sans évoquer ce à quoi elles se rapportent, tout comme on ne peut dissocier l'évolution des sociétés du Sud et du Nord dont les destins ont été liés depuis l'instauration entre elles d'un rapport de domination par le commerce triangulaire. Ce système a dynamisé les économies européennes tout en ravageant l'Afrique. Il s'est traduit par la déportation de millions d'hommes et de femmes et traumatisé les sociétés africai nes comme l'explique l'historien sénégalais Cheikh Faty Faye de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar: « Le continent africain traÎne encore aujourd'hui le boulet d'un déficit démographique hérité de cette histoire. Certaines régions, en particulier côtières, sont très peuplées. Mais de grands pans de l'espace africain restent déserts. Ce phénomène est lié à l'histoire de la traite négrière: les esclaves étaient principalement capturés à l'intérieur du continent, puis acheminés vers les côtes où s'est peu à peu concentrée la démographie, avec l'attrait des ports et de l'activité économique drainée par le commerce triangulaire. La traite transatlantique a également refaçonné l'espace politique : ceux qui collaboraient avec les compagnies européennes, qui leur fournissaient des armes à feu, sont peu à peu devenus les plus puissants. D'où ce tournant politique fondamental, avec des États côtiers concentrant le pouvoir politique. Ceux qui étaient en contact avec les compagnies européennes ont par la suite servi de relais à la conquête coloniale. Leurs héritiers ont rejoint les élites hissées par le colonisateur; au travers de l'école, de l'armée ou de l'administration. Traite esclavagiste et colonisation sont en fait allées de pair avec une profonde déstructuration des sociétés africaines. Au point de vue économique, enfin, les conséquences furent lourdes, surtout sur les sociétés paysannes. La chasse aux esclaves et les razzias faisant régner l'insécurité sur le continent, cultiver les terres est peu à peu devenu dangereux et difficile. Des terres ont alors été laissées à l'abandon, avec des effets désastreux. Dans une large mesure, ces conséquences pèsent sur l'Afrique jusqu'à nos jours. En fait, les structures sociales, politiques, économiques mises en place par la traite esclavagiste, puis par la colonisation, pèsent très négativement, jusqu'à nos jours, sur le développement du continent. »(1) Après le commerce triangulaire, c'est vers une exploitation du sol et du sous-sol africain que s'orientèrent les puissances européennes pour leurs besoins industriels. L:idée d'indépendance ne germe pas dans l'esprit du colonisateur, quel qu'il soit. Elle a mûri toujours chez le peuple, d'où qu'il soit, dès que la botte conquérante et le bruit des armes résonnent sur les terres convoitées. En Afrique, en Asie et en Amérique, l'expression d'indépendance de celles et ceux qui défendent leur dignité a pour seule réponse la répression, Malgré tout des résistances se sont exprimées depuis les décennies de conquêtes, avec des soulèvements populaires contre l'oppression et le travail forcé aboli en 1945. • Au Maroc, en 1919 et pendant 6 ans, c'est la sanglante «guerre du Rif « qui oppose les armées espagnole et française à la guérilla conduite par Mohamed Ben Abd el-Krim, faisant des dizaines de milliers de victimes. • En Algérie, le 8 mai 1945, une manifestation populaire et pacifique pour l'indépendance à Sétif et Guelma va dégénérer après qu'un manifestant porteur du dra'peau algérien fut abattu par un policier. Parmi les victimes, une centaine d'Européens. La répression par l'armée et les milices françaises va entraîner le massacre de dizaines de milliers d'Algériens et conduire à l'insurrection du 1er novembre 1954. • A Madagascar le 27 mars 1947 la répression féroce du soulèvement populaire, entraîne des morts par dizaines de milliers de personnes, des arrestations et déportations des militants du MDRM majoritaire dans l'île. • Au Cameroun, la France commence une guerre inavouée de 1955 à 1970, soit 10 ans après l'indépendance du pays où elle a installé un régime aux ordres. 3 4 L'estimation du premier massacre à Douala le 25 mai 1955 est de 5000 tués. L'UPC dissout le 13 juillet 1955 est contraint à une lutte clandestine soutenue par les paysans qui le paieront cher aux troupes de Jacques Foccart et du Gouverneur Pierre Mesmer. Le nombre des victimes de cette « guerre sans nom », n'est pas établi. Le correspondant de l'agence Reuters à Douala estimait à 40 000 les morts du seul pays Bassa pour 1960 et 1961. L'après guerre en 1945 sonne l'heure de l'émancipation des peuples En 15 ans, les Empires coloniaux européens craquent de toutes parts. Des états indépendants naissent: l'Egypte en 1922, l'Inde en 1947, la Libye en 1951 l'Indonésie ..• En 1954 la lutte victorieuse du peuple vietnamien résonne sur le continent africain qui répond présent en 1955 à la Conférence afro-asiatique de Bandung en Indonésie où se réunissent les 1500 invités de 29 délégations. C'est la naissance du Mouvement des non-alignés qualifié de «Tiers Monde» qui prône la fin du colonialisme et la conquête de la libération économique, sociale et culturelle. Dans la foulée, le Maroc, la Tunisie, sont libres en 1956. Ils sont rejoints par le Ghana en 1957 suite à des revendications qui remontent à 1947 et la Guinée avec le « NON» retentissant au référendum de De Gaulle. Le poids du Mouvement des non-alignés, de l'URSS et des pays socialistes qui soutiennent les mouvements de libération pèsera à l'Assemblée Générale de l'ONU le 14 décembre 1960 pour l'adoption de la résolution 1514 sur « l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux ».(2) De 1960 à 1968, 34 pays accèdent à l'indépendance. Mais les dictatures portugaises et espagnoles résistent. Des guerres de libération nationale éclatent en Angola, au Mozambique, en Guinée Bissau et au Sahara occidental. En 1975, l'Espagne signe un accord secret qui partage ce pays entre le Maroc et la Mauritanie. Le Front Polisario reprend les armes contre les nouveaux envahisseurs. La RASD créée en 1976 entre à l'Union Africaine d'où le Maroc se retire. Hassan Il qui en a oublié les enclaves de Ceuta et Melilla, fait ériger un mur de défense de 2600 km à travers le Sahara. Un Plan de paix intervient en 1991. Le référendum est promis pour l'année suivante, il n'a toujours pas eu lieu. Depuis 2005 une Intifada pacifique populaire s'est levée. Génération après génération, dans l'exil ou sous le joug colonial, les Sahraouis exigent ce droit inaliénable et imprescriptible malgré la répression policière qui torture et viole les manifestant(e)s, pratique encore la disparition forcée de jeunes gens. La France, sourde à ces souffrances, s'est opposée au Conseil de Sécurité d'avril 2010 à ce que la mission de l'ONU ait un volet de surveillance des droits de l'homme. L'année 1975 marque une autre forfaiture française à l'égard de la résolution 1514 : La confiscation du résultat du vote des Comoriens exprimé à 94,88% pour l'indépendance. En dépit du droit international, les gouvernants français découpent le résultat, île par île pour conserver Mayotte. De ce piedà- terre dans l'Océan Indien, les mercenaires de Bob Denard, sous la férule de Jacques Foccart, n'ont cessé de déstabiliser le jeune Etat comorien amputé, multipliant les coups d'État et les assassinats de présidents. L'Afrique australe a connu le système colonial le plus long et le plus sévère. Elle fut le théâtre d'une des formes de racisme, de domination et d'exclusion raciales les plus systématiques et les plus institutionnalisées dans l'histoire humaine. La lutte armée a joué un rôle majeur dans la libération des anciennes colonies portugaises d'Angola, du Mozambique, de la Zambie et du Zimbabwe. La Namibie, sous la tutelle de l'Afrique du Sud depuis 1949, parviendra à se libérer avec l'aide de l'Angola et de Cuba. Indépendance, à condition ••• Les anciennes puissances coloniales n'entendaient pas abandonner un terrain aussi fructueux. Il fallait donc «s'entendre» avec les dirigeants des États indépendants. Les leaders indépendantistes ou tiers-mondistes qui prétendaient répondre aux besoins des peuples grâce aux immenses richesses du continent, étaient assassinés. Il en fut ainsi du militant indépendantiste camerounais Ruben Um Nyobe en septembre 1958 et de son camarade Félix Moumié en novembre 1960, du Premier Ministre congolais Patrice Lumumba en janvier 1961, du militant tiers-mondiste marocain Mehdi Ben Barka en octobre 1965, du Président malien Modibo Keïta empoisonné en prison en mai 1977 après sa destitution par un coup d'Etat militaire, du Président burkinabé Thomas Sankara en octobre 1987. L'indépendance des pays africains n'a pas mis un terme à l'ingérence militaire française en Afrique, souvent drapée d'humanitaire. On dénombre 52 interventions militaires françaises dans 22 pays depuis 1960. Les prétextes en sont le « respect des accords de défense », la « protection des ressortissants français» ou encore le« maintien de la stabilité face au risque de chaos », quand bien même s'agissant de la stabilité d'une dictature. Elles ont toujours en arrière-plan la défense des intérêts économiques des entreprises françaises qui exploitent les ressources naturelles et humaines, sous l'oeil bienveillant de régimes mis en place ou soutenus. Les mauvais comptes font les bons amis Fidèle à elle-même, et partant du principe qui avait prévalu en 1825 au rachat de leur indépendance par les Haïtiens, la France a conclu avec les pays de son pré carré des accords secrets de défense et de coopération qui préserveront les intérêts de ses multinationales. Ce véritable carcan mettra en cause le développement industriel et économique des pays africains. Les Etats sont contraints à placer 65% de leurs réserves de change sur un compte du Trésor français qui a la main sur les opérations financières dont il est seul à connaître les résultats. Le Franc CFA, utilisé dans 16 pays, fut indexé sur la monnaie française. En 1993 le gouvernement Balladur décide sa dévaluation de 50%. À cela s'ajoutent les règles inéquitables d'échanges économiques et financiers entre les pays du Nord et du Sud, les dictats de la Banque Mondiale et du FMI de réduction des dépenses publiques et la mise en place de prêts qui servent essentiellement à extraire les richesses naturelles du Sud transportées vers le marché mondial en générant une dette qui étrangle les économies. Comme si cela ne suffisait pas, l'OMC organise une concurrence agricole mondiale aux conséquences dévastatrices pour les paysanneries du Sud. C'est dire que la tutelle néocoloniale est loin de lâcher du lest en Afrique où son ordre règne et où les dirigeants amis au pouvoir sont attentivement pourvus en armes. En la matière la France trône sur la 3ème marche du podium des fournisseurs d'armes, derrière les USA et la Russie. Ses exportations en ce domaine ont doublé entre 2007 et 2008, passant de 16 à 38 milliards d'euros (dont 5,4 millions pour le Tchad). De 2003 à 2006, la France a vendu à la Guinée pour 6 millions $ d'armes bien utiles à Lansana Conté pour réprimer dans le sang la grève générale de 2007 et à son successeur pour tirer sur les manifestants de 2009. Au Cameroun, c'est du matériel français qui a servi à mater l'insurrection populaire de février 2008. Mais l'Afrique bouge De nouveaux mouvements sociaux sont nés suite aux faillites des politiciens qui n'ont pas préservé les intérêts nationaux et qui en sont aujourd'hui à vendre les terres nourricières africaines au profit de l'agro-business étranger et de l'exportation. Ça gronde: observons ce qui se passe au Burkina Faso, au Niger, en Guinée, au Sénégal, à Madagascar, au Mali ..• où les femmes prennent toute leur place dans le mouvement. Elles se regroupent aussi hors des « chapelles politiques », sur le terrain économique et social où elles agissent avec efficacité et sens de l'intérêt général. Elles prouvent leur compétences de gestionnaires et leur probité, elles pallient l'absence de structures sociales, font face aux désastres des guerres. Quel manque à gagner de les exclure des lieux de décision dans la grande majorité des pays d'Afrique et de la résolution des conflits armés dans lesquels elles paient pourtant de lourds tributs! Mais elles avancent: au Rwanda elles sont majoritaires au Parlement, au Burundi elles ont décidé qu'elles gagneraient les élections de juin 2010. Au Mozambique et en Afrique du Sud, les femmes entrent en nombre au gouvernement. Il faudra à terme regarder comment elles feront évoluer les pratiques et les choix. C'est dans la capacité de ces mouvements sociaux, et dans leurs liens avec ceux des autres continents pour combattre cette mondialisation prédatrice, que se joue aujourd'hui l'avenir de l'Afrique. (1) Interview de Rosa Moussaoui dans l'Humanité du 10 mai 2010. (2) Ce beau texte est en annexe : http://www. afaspa.com/article.php3?id_article==186 UN AVENIR POUR LE DROIT INTERNATIONAL ? Robert Charvin, Agrégé des Facultés de Droit Professeur Emérite Peu à peu s'établit le constat de l'incompatibilité croissante de l'hégémonie des marchés financiers et de la survie des acquis démocratiques dans l'ordre interne. Les élections, par exemple, deviennent des handicaps, voire des infirmités à surmonter pour le système économique et financier. Dans l'ordre international, la régulation juridique des relations entre États, qui n'a jamais été déterminante, mais qui a, dans certains contextes, joué un certain rôle, a perdu et continue à perdre son caractère opératoire pour le plus grand bénéfice (provisoire) des firmes et plus généralement des pouvoirs privés. Le droit international économique est révélateur à ce sujet: les législateurs nationaux sont conduits à adopter des « standards internationaux» contraignants correspondant aux besoins des intérêts privés dominants. A l'inverse, le droit international « politique », en premier lieu, la Charte des Nations Unies, fait l'objet d'interprétations de plus en plus souples, proches de la violation ouverte des dispositions adoptées en 1945. Il en est ainsi, par exemple, du principe de non-ingérence, transformé en son contraire et plus globalement, du principe fondamental de l'égale souveraineté des États, dont l'effectivité disparaît en raison de l'hégémonie des intérêts transnationaux. La crise financière qui affecte l'Europe montre que la chut~ des indépendances va jusqu'à toucher les Etats occidentaux, y compris les Etats européens, au profit d'instances technocratiques (telles la BCE, la Commission européenne ou le FMI) dont les références idéologiques satisfont les lobbies les plus puissants. La souveraineté est souvent assimilée à un archaïsme. Or, la démocratie n'a jamais été vivante que dans le cadre de l'indépendance nationale. Les peuples sans État, comme le peuple palestinien, en font l'expérience quotidienne. De plus, les Grandes Puissances mondialisatrices demeurent de facto pleinement souveraines et imposent au nom d'une modernité standardisée leurs intérêts aux petits États mondialisés, privés de la protection de leurs frontières (notamment douanières). Au contraire, la souveraineté de chaque acteur de la société internationale crée les conditions de la coopération délibérément choisie et de la création d'unions r~gionales ayant véritablement pour but la promotion des peuples, comme c'est le cas de l'Alba (Venezuela, Bolivie, Équateur, etc.), qui associe en des termes inédits différents États d'Amérique du Sud qui n'acceptent plus passivement la domination des États-Unis et du dollar. Comme l'a énoncé l'UNESCO, la souveraineté est aussi à la base de la diversité culturelle qui est la richesse de l'Humanité et qui s'oppose à l'impérialisme culturel des États-Unis qui exportent leurs produits culturels et détruisent les cultures nationales. Paradoxalement, les puissances dominantes ont usé de la notion des droits de l'homme (comme hier, les « valeurs civilisatrices » soi-disant portées par les conquêtes coloniales) pour légitimer ce contournement du droit international. L'Irak, par exemple, a été détruite par la force au nom des droits de l'homme et de la lutte contre la Barbarie! Or, les puissances occidentales (la France en particulier comme elle le démontre en Afrique noire avec les « jeux » de ses réseaux politico-affairistes) se moquent totalement des droits de l'homme : elles font des « affaires ». Elles sont simplement à la recherche de justifications idéologiques qui d'ailleurs évoluent dans le temps (la tendance, par exemple, est de quitter progressivement le champ des droits de l'homme pour celui des besoins « sécuritaires », contre un terrorisme qui, s'il n'existait pas, serait à inventer !) La conception occidentale des droits de l'homme est par ailleurs très étroite: elle exclut les droits économiques, sociaux et culturels car leur logique va à l'encontre des intérêts économiques et financiers qui priment tout. Les authentiques valeurs universelles, pourtant, s'y trouvent concentrées, mais, comme dans l'ordre interne, le mot d'ordre idéologique des Puissances est la diversion! Parler, par exemple, de « démocratisation » de l'Afrique à partir des seules procédures électorales « libres et pluralistes », sous contrôle international (l'ONU 5 6 est très mobilisée sur cette question) relève presque du folklore dans des sociétés sous-développées, où règnent la corruption, l'analphabétisme, l'ethnisme, etc. Par contre, nul ne s'oppose à l'acquisition de millions d'hectares de terres cultivables par les pays riches au détriment des cultures vivrières et des paysans locaux : une société d'investissement américaine a, par exemple, acheté 400.000 hectares du Sud Soudan à un chef de guerre opposé à Khartoum! Peu d'ÉtatsOl osent contester la dette qui les écrase et qui est souvent illicite et les juristes sont peu nombreux à rappeler qu'il peut y avoir des « dettes odieuses » que l'État est fondé à refuser. On constate aussi la réapparition de formes anciennes de subordination proches de l'ex « protectorat» en Irak, en Afghanistan, en Somalie, etc. Si le constat d'une dégradation continue du droit international (très rarement invoqué par les États) est souvent refusé par la doctrine juridique dominante, c'est parce que celle-ci est d'une soumission flagrante aux intérêts dominants, qui ne sont sources pourtant que du désordre établi. Pour « sauver la mise », il y a recherche de ce qui semble constituer des avancées. C'est le cas notamment de la justice pénale internationale, en particulier de la fondation de la Cour Pénale internationale, première juridiction permanente de cette nature dans l'ordre international. On a assisté aussi, ces dernières années, à la mise en oeuvre de tribunaux ad hoc pour juger certains crimes de masse. L'optimiste peut y applaudir. Le réalisme conduit à penser que seuls les criminels ressortissants de pays faibles sont jugés ou susceptibles d'être jugés. Aussi longtemps que des criminels de guerre américains, français, israéliens et autres, qui ont pour fâcheuse pratique d'intervenir avec la plus extrême violence et partout dans le monde, ne seront pas traduits devant la justice internationale, celle-ci ne sera qu'un instrument de plus au service de l'ordre établi. En réalité, la régulation juridique ne peut connaître une renaissance qu'avec le développement des peuples et des économies nationales qui, dans leur majorité, ne connaissent encore que le sous-développement et la subordination. La loi internationale, générale et impersonnelle, aura alors des chances de se substituer aux relations contractuelles marquées d'inégalité. C'est donc le droit du développement, fondé sur le droit au développement, qui doit sensibiliser les opinions et faire sortir les juristes de leurs jeux académiques. Jusqu'à ce jour, jamais les questions internationales véritablement stratégiques n'ont été soumises à des normes respectueuses de l'égalité et de la volonté des peuples. La démonstration peut en être faite par l'observation du jeu concurrentiel des sociétés pétrolières anglaises, françaises, allemandes, russes puis américaines au Proche-Orient depuis le début du XXO siècle, fondé sur une diplomatie du mensonge et les rapports de forces les plus primitifs: les États n'ont été et ne sont que des auxiliaires du « souverainbien », le profit ! Le chaos actuel régnant dans cette région du monde artificiellement divisée est essentiellement le fruit des manoeuvres et marchandages des puissances d'argent. Dans un monde atteint de profondes pathologies, le droit international ne peut assurer la fonction régulatrice et progressiste qu'il pourrait jouer. Les citoyens, à l'aide des ONG ou de leurs partis respectifs, pourraient rappeler son existence et son utilité à leurs représentants (qui les représentent si mal) et à leur État (si souvent hostile à tout ce qui pourrait limiter la promotion de leurs intérêts à court terme). Un avenir de paix et de développement passe par l'émergence d'un droit radicalement nouveau, basé sur le concept de Bien Commun et de patrimoine commun de l'Humanité, source d'un partage des richesses entre tous les peuples. Les ressources naturelles (par exemple, l'eau) comme les innovations techniques et scientifiques, doivent bénéficier à tous s'il y a réelle volonté d'écarter la violence. La logique de croissance occidentale exi gerait 6 ou 7 planètes pour satisfaire tout le monde; elle entraîne la stagnation de la majorité revendicatrice, voire même son élimination par les plus forts. Ainsi, à moins d'admettre que le XXIO siècle sera, comme les siècles précédents, un siècle de guerre, de discriminations, de crises successives et de misère pour le plus grand nombre, il y a obligation de travailler à une communautarisation universelle de tout ce qui peut servir la promotion des hommes. C'est la seule utopie qui vaille. (1) Le Parlement bolivien a, cas très rare, décidé de procéder à un audit sur la dette qui accable l'économie nationale, afin d'en contrôler la nature LES MÉCANIS MES DU DROIT INTERNATIONAL CONTEM PORAIN PERMETTENT-ILS LE DÉVELO PPEMENT DES VALEURS UNIVERSELLES ? Monique Chemillier-Gendreau, Professeur émérite de Droit Public et Science Politique J 'orienterai ce thème avec en toile de fond la situation actuelle du peuple palestinien, même s'il me paraît important de faire une présentation générale de la question posée. En effet, il semble important d'éviter la litanie des dénonciations de situations illégales qu'il est toujours possible de faire à propos de la Palestine. Le droit international n'y est pas appliqué. Nous le savons. La Cour Internationale de Justice l'a dit clairement dans son avis de 2004. Mais si le droit international n'est pas appliqué, c'est qu'il porte en lui des faiblesses et c'est cela que je voudrais souligner ici. La situation actuelle est celle d'une intense mise en relations entre les individus, les peuples et les cultures du monde, mais ceci est accompagné d'inégalités profondes. Il en résulte une incompréhension grandissante qui engendre de forts replis identitaires et des montées de violence incontrôlables. Il y a ainsi des guerres dont on ne voit pas l'issue et elles ont pour résultat une destruction du lien social sans précédent (Somalie, Irak, Afghanistan, RDC, etc.). Chaque groupe revendique alors de vivre sous des valeurs non partagées et entend avoir la maîtrise des règles qui s'appliqueront à ses activités. Certains de ces groupes sont constitués en États, d'autres ne le sont pas. La souveraineté, notion très altérée mais encore agissante, permet à ceux qui sont constitués en États de ne se plier qu'aux règles qu'ils ont contribué à établir. Cela ne favorise pas l'émergence de valeurs universelles. Les autres groupes n'ayant guère de moyens de se faire entendre, versent dans la violence. Je veux développer ici deux idées centrales

1) Des valeurs communes supposent

une communauté politique ayant conscience de son unité. Est-ce le cas de la société mondiale ? 2) Le droit international aujourd'hui ne connaît que les communautés politiques étatiques et ne dispose donc d'instruments qu'en fonction de cette donnée. Il ne peut pas, de ce fait, être en lui-même l'outil favorisant les valeurs universelles. Lorsque nous parlons du monde d'aujourd'hui, nous constatons qu'il est fait de deux strates différentes. En effet, depuis la naissance des États qui se sont affirmés contre l'Empire, il y a une société interétatique dont les relations sont marquées par le fait que chaque acteur reconnu est souverain. Mais parallèlement, il Y a une société mondiale dans laquelle les peuples communiquent entre eux, migrent, se brassent en-- contournant ou en ignorant les États. La première de ces deux sociétés est interétatique, la seconde est transnationale. Cette société-là n'est pas encadrée juridiquement. Les règles y sont faibles, révisables, soumises à l'arbitrage et ainsi se développe une société sans droit dont la crise financière actuelle est la tragique illustration. Et que faire dans le cas d'un conflit comme le conflit israélopalestinien dans lequel l'un des protagonistes dispose de la souveraineté et l'autre pas? La société interétatique repose sur le concept de souveraineté qui est supposé réaliser, politiquement et juridiquement, l'unité et l'universalité de la société concernée. On le définit comme l'exclusivité des compétences sur un territoire. Mais ce concept est aujourd'hui très altéré, à tel point qu'il ne répond plus à sa définition. Et pourtant cette souveraineté est toujours considérée comme la norme fondamentale dominant le droit international. La permanence de ce concept bancal forme obstacle à l'émergence d'un droit international porteur d'universalisme. Et cependant les dangers qui pèsent sur la communauté des humains appellent en réponse la montée en puissance d'une communauté politique universelle. Or, celle-ci ne peut se développer que si elle est fondée sur un droit commun. Il faut donc une nouvelle architecture du monde dans laquelle les communautés politiques nationales se combineraient avec une communauté politique universelle. Celle-ci serait le cadre commun à tous pour penser leur destin partagé. Mais il faut un fondement à cette communauté. Or dans chaque société interne, ce fondement est différent et pour un nombre important d'entre elles, il est religieux. Or chaque religion développe, plus ou moins, une prétention à l'universel. La mise en relations intenses de toutes les sociétés a ouvert la problématique de l'universalisme dans la société mondiale. Mais il faut alors construire un fondement commun universel qui sera nécessairement a-religieux si l'on veut éviter l'hégémonie d'une religion et qui ne peut être que la prise en considération de l'humain. Tant mieux si dans des sociétés religieuses ce fondement humain est renforcé par une convergence avec le fondement religieux. Mais celui-ci ne peut apparaître en soi, car il n'est pas partagé universellement. 1 - L'apport des Nations Unies et ses limites. Par rapport à ces exigences, l'humanité, après les menaces et ébranlements de la première moitié du XXè siècle, s'était engagée avec la mise en place de l'Organisation des Nations Unies dans une étape transitoire, celle d'un ordre juridique international pluraliste. Les résultats en termes d'équilibre et de paix internationale sont aujourd'hui un échec. Elle n'a pas permis de faire advenir le projet d'une communauté politique universelle qui engloberait et protègerait toutes ses composantes. La pensée politique et juridique du monde s'est enfermée dans une impasse en voulant garantir la souveraineté des États et donc tenter d'organiser le pluralisme entre eux. Personne ne voulait en effet passer à une nouvelle communauté mondiale exclusive qui aurait effacé les communautés préexistantes. Mais aucune autre voie n'a été envisagée. Pourtant il faut accepter une pensée du complexe, avec un agencement entre communautés de différents échelons, les plus larges ne détruisant pas nécessairement les plus étroites, mais se superposant à elles sans s'y substituer. L'expérience de l'Europe ouvre la voie dans ce sens. En effet, dans cette expérience originale, une communauté nouvelle, l'Union européenne, coexiste avec les communautés nationales sans les supprimer(1). Faute de cela, les Nations Unies ont tenté d'organiser le monde en distinguant entre un universalisme formel et un universalisme substantiel. Sur le plan formel ou organique, il ya eu extension à l'ensemble de la planète du modèle de l'État créé et développé en Europe et du principe de liberté et de souveraineté au profit de chacun de ces États. Mais entre ces États, et du fait qu'ils sont souverains, il n'y a que des règles de cohabitation à l'autorité incertaine. C'est cela l'universalisme formel. Malheureusement, cet universalisme formel est marqué d'arbitraire car ne devient pas État qui le veut. La souveraineté est apparue dans l'histoire des peuples comme une notion positive liée à celle d'émancipation. Il faut souligner cependant qu'à l'origine, la souveraineté récupérée par les princes d'Europe sur l'empereur, leur servait surtout à réaliser leur propre indépendance. Celle des peuples fut engloutie sous les formes de pouvoir absolutistes. Après le XVlllè siècle, l'idée que la souveraineté appartient aux peuples se développe, mais elle est vite rendue ambiguë par l'apparition de la souveraineté nationale qui supplante la souveraineté populaire. Or la nation est un concept qui incline vers la fermeture par fixat ion de l'identité, en opposition avec d'autres identités(Zl. La décolonisation conduit à faire de la souveraineté l'objet du désir des peuples soumis. Ils voient dans la majesté de la souveraineté la garantie de leur indépendance et de leur dignité retrouvée. Ils contribuèrent ainsi à limiter le droit international à un droit interétatique(3l. (1) Voir Jean-Marc Ferry. Europe, la voie kantienne. Essai sur l'identité post-nationale. Paris. ed. Du Cerf. 2005. (2) Voir Eric Hobsbawm. Nations et nationalisme depuis 1780. NRF. Gallimard. Paris. 1990. Et aussi Benedict Anderson. L'imaginaire national. Paris. La Découverte. 1996. (3) Patricia Buirette-Maurau. La participation du Tiers Monde / l'Elaboration du droit international. Paris. L.G.D.J. 1983, notamment p. 189. 7 8 Si le système organisationnel est défectueux et ne permet pas d'accéder à l'universalisme, c'est qu'il est construit sans participation des peuples que les appareils d'États ont marginalisés. Cela est vrai des peuples des pays développés indifférents à la question de l'organisation mondiale, des pe.uples des États non développés, relégués dans leur misère et enfin des peuples sans États, écartés du débat. Les exemples les plus criants du refus d'universaliser le droit des peuples à l'émancipation sont ceux du Sahara Occidental et de la Palestine. Il y a eu une étroite protection accordée par les membres permanents du Conseil de sécurité aux deux États responsables d'une emprise prolongée sur ces territoires, le Maroc et Israël. Cela explique la permanence de ces situations et la violence de la répression exercée sur ces peuples parce qu'ils refusent d'accepter leur effacement de la communauté des États souverains. L'un et l'autre de ces peuples ont pourtant obtenu de nombreuses reconnaissances de la part d'autres États. L'un et l'autre, dans des conditions et des termes différents, ont eu l'appui de la Cour Internationale de Justice pour soutenir leurs droits. Pour le Sahara Occidental, dès le départ de l'Espagne coloniale (1974), la Cour saisie d'une demande d'avis confirmait qu'il n'était pas possible de voir dans les relations antérieures à la colonisation l'existence d'une souveraineté marocaine sur ce territoire et qu'il fallait mettre en oeuvre le principe d'autodétermination. Plus de trois décennies plus tard, le territoire est toujours sous occupation militaire marocaine et l'implantation de colons se poursuit. Beaucoup plus récemment, la Cour a été saisie d'une question concernant la Palestine relativement au mur de séparation construit par Israël à l'intérieur même du territoire palestinien. À cette occasion, la Haute juridiction dans son avis du 9 juillet 2004 a réaffirmé la force du droit à l'aut odétermination du peuple palestinien qu'elle qualifie de droit opposable erga omnes(4). Mais, à l'occasion de la procédure qui s'est déroulée devant elle, la Cour est allée implicitement beaucoup plus loin. En effet, dans une procédure consultative, tous les États et les organisations internationales sont avisés par le greffe de la Cour de la possibilité qui leur est offerte de présenter des observations écrites ou de participer aux plaidoiries orales sur la question posée à la Cour. La Palestine a été destinataire de cette information et a pu user de la possibilité qui lui était ainsi donnée. Lors des audiences, elle a même bénéficié d'un temps de parole plus long que les autres États. Or, si l'on se réfère au Statut de la Cour, l'on constate que la participation à la procédure devant la Cour est réservée aux États et aux organisations internationales « 1. Le Greffier notifie immédiatement la requête demandant l'avis consultatif à tous les États admis à ester devant la Cour. 2. En outre, à tout État admis à ester devant la Cour et à toute organisation internationale jugée par la Cour ou par le Président si elle ne siège pas, susceptibles de fournir des renseignements sur la question, le Greffier fait connaÎtre par communication spéciale et directe, que la Cour est disposée à recevoir des exposés écrits, dans un délai à fixer par le Président ou à entendre des exposés oraux au cours d'une audience publique tenue à cet effet ». (5) Ce texte n'envisage pas que soient admis à fai re ces démarches d'autres sujets que les États ou les organisations internationales. La Palestine ne peut certainement pas être assimilée à une organisation internationale. Il n'y a donc pas de doute qu'aux yeux de la Cour, la Palestine appartient à la catégorie des État s. Et cette considérat ion est parfaitement conforme au droit international, dans la mesure où l'OLP (désormais représentée par l'Autorité palestinienne) s'était proclamée en 1988 État de Palestine et avait recueilli plus d'une centaine de reconnaissances par d'autres États. Mais ce que la juridiction des Nations Unies a considéré, même implicitement, le Conseil de sécurité n'est pas prêt à l'admettre. Ces exemples confirment que le droit des peuples n'est pas l'objet d'un exercice universel contrôlé par des procédures démocratiques. On peut même se demander si le droit des peuples à disposer d'euxmêmes n'est pas une norme historiquement épuisée. Elle a rempli une fonction libératrice et porteuse d'un ordre nouveau en favorisant la décolonisation (en dépit des ratés que l'on vient d'analyser). Mais devant les nouvelles dislocations survenues avec la chute du communisme, elle n'a pas eu d'effet clarifiant pour identifier les nouvelles communautés politiques nationales. L'incertitude est telle que la Cour Internationale a été saisie récemment d'une demande d'avis consultatif sur la légalité de la déclaration d'indépendance du Kosovo. Ce que l'on peut appeler l'universalisme formel ou organique (tous appartiennent à des structures uniformes permettant la communication) est donc loin d'être satisfaisant. Sans doute y a-t-il déplacement des enjeux et l'évolution de la société mondiale conduit aujourd'hui à une préoccupation au moins aussi forte relativement à l'existence de principes juridiques de protection universelle qu'à des principes garantissant l'émancipation des communautés différenciées. C'est ici qu'il faut aborder l'universalisme substantiel qui correspond à une autre problématique(6). Il s'attache à la poursuite d'objectifs réellement communs à l'ensemble des humains, à une justice commune, à l'émergence d'un bien commun. Il est lien à la fois entre les États, communautés politiques préexistantes, mais aussi directement entre les humains par un dépassement de la dispersion entre sociétés plurielles qu'ils formaient jusque-là. En aucun cas, il ne peut s'agir d'une sorte de gouvernement mondial très dangereux. Mais seulement d'un lien démocratique entre tous. En affirmant comme devant s'appliquer à tous un certain nombre de principes comme l'égalité entre les États et les peuples, l'interdiction du recours à la force, les droits de l'homme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les Nations Unies ont ambitionné de construire un socle d'universalisme substantiel, celui de valeurs partagées. C'était sans compter avec une contradict ion demeurée ouverte: comment fait-on lorsqu'au nom de sa souveraineté un État refuse de se soumettre aux règles édictées pourtant comme universelles? C'était aussi s'aveugler sur le germe d'hégémonie maintenu, avec la prééminence donnée aux membres permanents du Conseil de sécurité. Cette rupture dans l'égalité juridique a favorisé depuis qu'elle a été consacrée, une accélération de l'inégalité militaire, économique et financière. Elle a rendu suspectes les valeurs proposées comme universelles aux yeux de peuples ne participant pas au cercie de « grands» et de leurs alliés. Ils ont eu tendance à y voir la volonté d'imposer à tous les principes émanant d'une culture particul ière. Il en est résulté que, sous couvert d'une tentative de progrès vers un universalisme substantiel qui donnerait un cadre de cohérence et des moyens de pacification à la société mondiale, le monde s'est engagé dans la voie d'une globalisation bien différente de l'universalisme. Car il est vrai que s'il y a actuellement une tendance à l'uniformisation, ce n'est pas par un système où tous s'expriment et se reconnaissent sans qu'aucun ne soit exclu. C'est bien plutôt par la confiscation de l'espace symbolique (et concret) de l'universel par l'un des membres ou plutôt un groupe de membres qui abuse d'une position d'hégémonie et tentent de confisquer l'universel(7).C'est à quoi se livrent les États-Unis d'Amérique et leurs alliés lorsqu'ils tentent d'imposer au monde des règles servant leurs intérêts, notamment dans le domaine de ce que l'on nomme la police anti-terroriste. Ainsi le système est-il gangréné par ses contradictions. D'un côté, se poursuit la consolidation d'un universalisme formel avec la généralisation de l'État dans sa conception occidentale à toutes les sociétés, sauf quelques exceptions. Par un autre mouvement, apparaissent des valeurs substant ielles relatives aux droits des humains ou aux droits des peuples. Elles ont été affirmées juridiquement au moment de la création des Nations Unies. Toutefois, il s'agit d'un droit déclamatoire que la structure de la société internationale, confirmée par la même Charte des Nations Unies ne permet pas de rendre effectif. Le cas de la Palestine est évidemment un concentré d'exemples. Ainsi les droits de l'homme, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et leur droit au développement sont considérés comme des valeurs universelles dans le discours juridique. Mais pour diverses raisons, beaucoup doutent de ce caractère universel, surtout pour les droits de l'homme et l'on évoque alors le « choc des civilisations ». Et pourtant, y a-t-il vraiment une difficulté à s'entendre sur un noyau reconnu comme universel par tous les peuples ? En réalité la difficulté est dans la tension insupportable entre l'affirmation de ces droits par les plus puissants et leur indifférence complice face à leurs violations, ce qui amène les peuples et les individus victimes à contester le système. Ainsi, à mes yeux, la critique de ce système ne porte pas toujours où elle devrait. En effet, la portée théorique des droits est bien universelle à t ravers la Déclaration de 1948 et à travers la demande des peuples. Mais les outils juridiques d'application font défaut comme on va le voir et cela permet toutes les manipulations. Et nous allons retrouver l'absence de sentiment d'appartenance à une communauté universelle et l'absence d'outil pour l'exprimer. Il • La question des outils. Après la Deuxième Guerre mondiale, étaient apparues certaines normes considérées comme ayant une portée de protection de l'humanité. Mais le premier effort fut porté dans le champ judiciaire. Dépassant le concept de souveraineté et les immunités qui en sont la conséquence, les tribunaux pénaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo créés en 1945 permirent (de manière exceptionnelle, il est vrai) l'incrimination et le jugement des crimes contre l'humanité(S). Mais une longue période s'en suivit, sans aucun progrès dans le domaine judiciaire. Près de 40 ans plus tard, la notion retrouva des applications concrètes à partir de 1993 avec la création du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, suivie de celle du Tribunal pour le Rwanda et ensuite de la Cour Pénale Internationale(9). Face à des menaces d'une ampleur inégalée sur la composition même de l'humanité, c'est-àdire sur son essence faite de la diversité des éléments qui la composent, I~ concept d'universalité du monde humain trouve une forme d'expression juridique dans la nécessité de sa protection par châtiment Vie quotidienne en Palestine. de ceux qui y portent atteinte. Mais ces balbutiements d'expression juridique et leurs insuffisances proviennent du fait que l'extension à la totalité d'un groupe d'un système de droit ne se développe vraiment que si dans la même démarche, il y a une perception politique de l'existence de ce groupe et de la solidarité entre ses membres. Mais cette perception fait défaut, notamment en raison de la non-réglementation des armements qui entretient une culture de la guerre et de la faiblesse du droit humanitaire, incapable de s'opposer à la barbarie. Il ne peut en être autrement tant que le système donne une place centrale à l'État et lui permet au nom de la souveraineté de violer les normes substantielles proclamées. L'article 1 de la Charte décline, nous l'avons dit, un certain nombre d'objectifs de fond, relati fs à la paix, à l'égalité de droits des peuples et à leur droit à disposer d'eux-mêmes, à la coopération internationale, au respect des droits de l'homme et des libertés pour tous. Depuis, les tentatives pour nourrir de contenu les cadres universels posés par les Nations Unies sont, pour la plupart d'entre elles, des échecs. Chaque État garde la liberté que lui reconnaît le droit international de ne se lier qu'aux conventions auxquelles il a choisi d'adhérer. Ainsi, pour les Pactes internationaux en matière de droits de l'homme, comme pour toutes les conventions, tous les États n'en sont pas Parties. On pourrait multiplier les exemples en prenant aussi celui de la Convention sur les droits de l'enfant ou celle sur les droits des travailleurs migrants. Ainsi le paysage juridique est-il obstrué par le traité qui, par nature, est de portée relative puisqu'il s'agit d'un acte à caractère contractuel. Ces accords ne peuvent donc pas imposer d'obligations aux tiers, ni leur créer de droits. Ce constat a une conséquence immédiate et lourde pour l'organisation de la société internationale. Avec l'instrument juridique du traité, cette société ne peut accéder à un droit à portée universelle. Et cette situation est perceptible (et particulièrement regrettable) pour ce qui est des grandes conventions les plus importantes qui ont véritablement pour objectif d'organiser la société mondiale sur des bases assurant sa sécurité. On donnera à titre d'exemple, mais ils sont particulièrement lourds, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer(IO), le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques(11) et la Convention portant Statut de la Cour Pénale Internationale(12). Dans ces trois secteurs, la portée universelle du texte est une condition impérative à l'efficacité des mesures prises. En effet, comment pourrait-on parvenir à un statut de patrimoine commun de l'humanité pour les richesses des fonds marins, si une partie de l'humanité, sous la forme de quelques États, reste en dehors du dispositif imaginé? Comment pourrait-on lutter efficacement contre les crimes contre l'humanité si certains de ces crimes restent impunis par le fa it que des États ne reconnaissent pas la compétence de la Cour? (4) Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé. Avis consultatif du 9 juillet 2004. Par.88. (5) Article 66, paragraphes 1 et 2 du Statut de la Cour. (6) Cette expression semble préférable à celle d'universalisme matériel. (7) E. Jouannet et H. Ruiz-Fabri (sous la' direction de). Impérialisme et droit international en Europe et aux Etats-Unis. Paris. Société de L~g i slation Comparée. 2007. (8) Jean-François Roulot. Le crime contre l'humanité. Paris. L'Harmattan. 2002. (9) Sur la formation de ce droit pénal international, voir Hervé Ascensio, Emmanuel Decaux et Alain Pellet (sous la direction de ), Droit pénal international. Paris. Pedone. 2000. (10) Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Montego Bay. 10 décembre 1982. (11) Protocole de Kyoto / la Convention-Cadre sur les changements climatiques du 11 décembre 1997 (12) Convention de Rome du 17 juillet 1998. 9 , ,.1 l ' • 10 Comment le monde pourra-t-il échapper à la violence de la menace climatique, si des États (et parmi les plus puissants et les plus industrialisés) refusent de contribuer au plan de réduction des émissions prévu en commun? Dans ces trois exemples qui créent des situations d'une extrême gravité, l'échec est patent. La cause en est donnée comme politique. Mais derrière la raison d'État des plus grandes puissances, il y a la politique du droit international. Il n'est pas possible, le monde n'y parviendra jamais, d'atteindre des objectifs universels, avec un outil juridique, le trait é, qui étant de nature contractuelle, ne s'applique pas au-delà du cercle des contractants. Mais, avec le développement de la société mondiale les besoins de règles à portée universelle se font sentir de plus en plus fortement. Il y a bien aujourd'hui deux catégories de normes qui ne sont pas de nature contractuelle : la coutume internationale et le droit impératif. Mais ces catégories ne peuvent avoir de conséquences concrètes que s'il existe un juge compétent pour les appliquer. Or, les États restent maîtres des procédures qui s'appliquent à eux, car le système judiciaire international est de nature volontariste. Les juridictions internationales ne sont compétentes que si les États ont donné leur consentement. Cette sit uation ne connaît que deux exceptions

celle de la Cour Européenne des

Droits de l'homme dont la compétence est obligatoire pour tous les États membres du Conseil de l'Europe et signataires des différents Protocoles et celle de l'Organe de Règlement des Différends de l'Organisation Mondiale du Commerce qui est un organe quasi-judiciaire à la justice duquel les États ne peuvent échapper(13). En dehors de ces deux cas, toutes les autres juridictions internationales sont limitées dans l'étendue de leur pouvoir judiciaire par la nécessité de vérifier le consentement des États en cause avant d'affirmer leur compétence. C'est le cas notamment des deux juridictions les plus importantes, la Cour Internationale de Justice, organe judiciaire des Nations Unies et la Cour Pénale Internationale, organe laborieusement créé pour sanctionner les crimes internationaux. La grande réforme à venir qui pourrait donner un élan nouveau à l'universalisme serait dans une réorganisation complète de la justice internationale. Elle devrait en priorité inventer une Cour mondiale des droits de l'homme sur le modèle de la Cour Européenne afin qu'une réelle égalité règne entre tous les humains du point de vue de la justiciabilité de leurs droits. Ensuite, la condition de cette réforme serait, évidemment, que soit accepté le principe du caractère obligatoire de la compétence. La réflexion devrait s'engager aussi sur le point de savoir qui aurait le droit de saisine et qui pourrait être assigné, de manière à dépasser le cadre interétatique. Plus que jamais, le droit doit être analysé comme la doublure du politique. Or le politique, dans une conception démocratique, c'est la tension de tous dans la recherche de la liberté. Les communautés politiques se définissent toujours autour de cela. Nous avons vu que la souveraineté, sauf de rares éclairs dans l'histoire, n'exprime pas la liberté du groupe, mais le pouvoir de ceux qui dans ce groupe, détiennent le monopole de la violence. Hannah Arendt le savait bien, elle qui dénonçait l'erreur commise en Occident par la confusion entre la liberté et la souveraineté(4 ). Il est temps pour assainir le droit internat ional de prendre acte du fait que les communautés politiques nationales (dont nul ne songe à nier ni l'existence, ni l'importance), ne peuvent plus être regardées comme souveraines, sauf à modifier la définition de ce terme. Aucun pouvoir d'État n'est incondit ionné, aucune compétence nationale n'est exclusive. En maintenant la souveraineté comme concept juridique, on fait obstacle à ce que les valeurs proclamées internationalement soient justiciables. Le respect de tous les particularismes et de leur liberté induit un nécessaire relativisme dans la société mondiale. Mais les périls qui pèsent sur les humains sans distinction obligent à renforcer l'universalisme. Alors la notion d'identité doit être renouvelée. Aucune identité ne doit être essentialisée ou naturalisée, devenant alors excluante. Les identités multiples dont nous sommes le siège sont une richesse que le droit doit s'efforcer de prendre en compte. Elles doivent correspondre à des solidarités complexes. Faire l'effort de les analyser et de les exprimer juridiquement, est la seule alternative au chaos. Nous avons besoin d'institutions internationales pour exprimer l'universalisme, mais leur démocratisation est indispensable. Le premier pas, et il est stratégique, est dans des avancées de la justice internationale. (13) Voir Virgile Pace. L'Organisation Mondiale du Commerce et le renforcement de la réglementation juridique des échanges commerciaux internationaux. L'Harmattan. Paris. 2000. (14) Hannah Arendt. La condition de l'homme moderne. Op. cit. p. 299. LE ..D ROIT.. HUMANITAIRE •• REALITE OU UTOPIE ? Nils Andersson, Conseil scientifique d'ATTAC (*) Il est important de distinguer ce qui différencie les droits de l'homme ou, plus exactement, en y associant la moitié féminine de l'humanité, les droits humains, du droit humanitaire. Les droits humains affirment dans tous les aspects de la vie politique, sociale, économique, le principe que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », le droit humanitaire tend lui, à protéger les combattants et les civils lors des confl its armés, à interdire des moyens militaires (gaz ou mines antipersonnel) et à établir des règles aux méthodes de guerre (torture, bombardements ... ). On peut lire dans un document du Comité international de la Croix-rouge (CICR) : « pour que le droit international humanitaire ne reste pas lettre morte, il faut que les règles de ce droit placent les Parties dans des conditions d'égalité, autrement dit qu'elles aient force obligatoire pour toutes les Parties au conflit; que ces règles traduisent un compromis bien équilibré entre les considérations d'ordre humanitaire et les nécessités d'ordre militaire ; enfin qu'elles soient telles que toutes les Parties au conflit aient un intérêt égal à leur application ». Force est de constater que selon qu'il s'agit de dirigeants d'une grande puissance ou d'un pays pauvre, d'un État reconnu ou d'une nation mise au ban, d'officiers ou de soldats appartenant à un armée régulière ou à un mouvement de résistance, des vainqueurs ou des vaincus, les parties aux conflits ne sont pas dans des conditions d'égalité devant le droit international humanitaire. Cette réalité doit être dénoncée, mais dans le même temps il doit être affirmé l'importance de défendre le droit humanitaire sans lequel les conflits armés s'ouvrent sur une barbarie sans limites. Réaction à l'horreur qui se perpétue depuis des millénaires, le droit humanitaire est né de deux conflits, la guerre de Sécession, lors de laquelle on décompte plus de 600 000 morts et autant de blessés et la bataille de Solférino, au soir de laquelle plus de 40 000 morts et blessés, gisent sur le champ de bataille. Suite à ces conflits, la même année, en 1863, est rédigée L'Instruction pour les armées en campagne des Etats-Unis d'Amérique (dit Code Lieber), que l'on peut considérer comme le premier essai de codification du droit de la guerre et sont adoptées les Résolutions de la Conférence internationale de Genève qui amènent la création de la première organisation humanitaire, la Croix-Rouge Internationale. Au tournant du XXème siècle, les deux Conférences de la paix de La Haye définissent des lois et coutumes de la guerre, qu'il s'agisse du sort des blessés ou de l'interdiction des gaz asphyxiants. Au terme de la Seconde Guerre mondiale, en 1949, sont signées les Conventions de Genève qui établissent les conditions du traitement réservé aux prisonniers de guerre et pour la première fois est prise en compte la protection des civils lors des conflits, question primordiale car, si lors de la guerre 14-18 on estime que 20% des victimes étaient des civils, ils sont 40% lors de la guerre 39-45 et plus de 60% dans les guerres en cours! En 1977, les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève renforcent la protection octroyée aux victimes militaires et civiles lors des confl its internationaux, mais également non internationaux, par exemple lors des luttes de libération nationale, ce qui représente une incontestable avancée. Plus de cent Conventions, Protocoles, Actes, Statuts, relatifs au droit humanitaire sont répertoriés, mais ces textes ne sont que des instruments dont l'application relève d'un rapport de force; le droit humanitaire comme le droit du travail, le droit syndical, les droits de la personne, pour qu'il ne soit pas que des mots, est un terrain de lutte politique. Dans cette lutte, deux réalités sont à prendre en compte, la première, la guerre n'est pas illégale, il y a des guerres impérialistes, de conquêtes, mais il y a des guerres de libération, antifascistes. Seconde réalité : volonté d'écraser l'adversaire en ayant recours à sa puissance de feu, massacres programmés pour terroriser les populations, engrenage de la peur ou ivresse du carnage, il n'y a pas de guerre sans crimes de guerre. Ces vingt dernières années, les conflits armés furent nombreux avec leur enchaînement d'abominations. Quels criminels de guerre ont été jugés pour leurs actes lors des conflits récents? Si, à des moments de l'histoire, le rapport de force a été favorable à des avancées du droit humanitaire, depuis une vingtaine d'années, bien que le sujet soit souvent évoqué, dans les faits, le droit humanitaire stagne quand il ne régresse pas. La création de la Cour pénale internationale (CPI) est souvent citée comme exemple d'une avancées du droit humanitaire international(1). Depuis 2002, elle a compétence pour juger des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des crimes de génocide(2). À ce jour elle a engagé des poursuites contre cinq Ougandais(3), responsables de l'Armée de résistance du seigneur, tous en fuite ; contre quatre responsables de groupes armés en République démocratique du Congo, trois sont en jugement, le quatrième recherché, s'ajoute un Congolais en jugement pour des actes commis en République centrafricaine. Tous sont poursuivis ou jugés, à la demande des gouvernements concernés, pour enrôlement d'enfants, massacres de population, esclavage sexuel, pillages ... Des mandats d'arrêt pourraient être lancés prochainement contre les responsables des massacres qui ont suivi l'élection présidentielle au Kenya en 2007. Autre dossier. Le Conseil de sécurité de l'ONU a déféré à la CPI, la situation au Darfour, suite à cette demande, le Procureur a émis des mandats d'arrêt contre quatre Soudanais, dont le Président de la République EI-Béchir. L'un d'entre eux s'est présenté volontairement devant la Cour comme suspect dans l'attaque de la Mission de l'Union Africaine de maintien de la paix au Darfour. La Chambre a souligné la gravité des faits mais a conclu qu'il n'y avait pas de preuves suffisantes pour établir la preuve qu'il est pénalement responsable, en tant que coauteur direct ou indirect, des crimes qui lui sont imputés. Ainsi en huit ans, alors que des centaines de plaintes ont été déposées, la CPI a engagé des poursuites contre quatorze suspects, tous Africains, et aucun jugement n'a encore été prononcé. En 2010, le procureur a fait pour la première fo is usage de son droit d'enquêter proprio motu, c'est-à-dire de sa propre initiative (et non pas à la suite d'une saisine par un État ou d'une décision du Conseil de sécurité), mais une fois de plus il s'agit de justiciables africains. Laissons la question de la lenteur du cours judiciaire, une question s'impose, n'y aurait-il de criminels de guerre qu'Africains? Poser la question c'est y répondre, il s'agit d'une justice discriminatoire. (1) Raison pour laquelle cette contribution, dans le cadre du système judiCiaire mis en place depuis les années 1990, CPI, tribunaux ad hoc (ex-Yougoslavie, Rwanda, Sierra Léone, Cambodge, Liban, TimorLeste), aborde prioritairement la question de la CPI. (2) La définition du crime d'agression doit être discutée lors de la prochaine conférence de révision de la CPI en juin à Kampala. (3) Un est décédé. 11 12 Qu'advient-il des crimes de guerre ou contre l'humanité commis lors de conflits sur les autres continents ? Prenons l'exemple de l'Irak, certes des exécutants ont été poursuivis pour des actes de torture, mais aux plaintes déposées contre Ronald Rumsfeld (pour avoir directement élaboré et ordonné le recours à des méthodes d'interrogatoire constitutives de torture, notamment aux centres de détention de Guantanamo et de Abu Graïb) ; au dossier établi contre le général Franks et d'autres officiers (concernant l'usage de bombes et munitions à fragmentation, les attaques contre des objectifs civils ou contre du personnel et des infrastructures médicales) jamais il n'y a été donné suite ; pas plus que n'ont été inquiétés les responsables de Falloudjah, ce Guernica de la guerre d'Irak, où le pilonnage de populations civiles, l'usage de bombes à fragmentation ou au phosphore blanc ont causé, selon Les Roberts, scientifique états-unien, des dizaines de milliers de morts. L'argument invoqué: les États-Unis n'ont pas signé le Traité de Rome, la CPI ne peut donc pas engager de poursuites! Cette prime donnée aux États refusant de s'engager à respecter le droit international est intolérable, mais lorsque le procureur de la CPI fut saisi de plaintes pour des faits commis par les troupes britanniques -la Grande-Bretagne est signataire du Traité de Rome-il n'y a pas donné suite estimant que ces crimes n'étaient pas suffisamment graves, que les attaques et bombardements n'avaient pas été menés « intentionnellement» contre des civils « en tant que tels» et que, si les pertes civiles causées par la Grande-Bretagne étaient peut-être excessives, elles n'étaient pas« manifestement excessives », comme le demande le Traité de Rome !(4) Concernant l'Afghanistan, si une enquête préliminaire a été ouverte par la CPI dès 2007, le procureur reste dans l'attente d'informations complémentaires ... Autre conflit majeur, le Proche-Orient. Israël n'a pas signé le Traité de Rome et, prime au non-respect du droit international humanit aire, ses ressortissants, comme ceux des États-Unis, ne peuvent être poursuivis.(S) La CPI a été saisie de plaintes sur les crimes commis à Gaza : le fait d'affamer délibérément des civils comme mét hode de guerre, en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant délibérément l'envoi des secours prévus par les Conventions de Genève, le recours à des exécutions sommaires, le bombardement indiscriminé de populations civiles, celui d'écoles, dont des écoles de l'ONU, la destruction de centres de réserves alimentaires, etc. sont des crimes avérés.(6) La CPI peut donc intervenir à propos de Gaza si elle estime que l'Autorité palestinienne, qui a accepté sa juridiction, « a la capacité légale », c'est-à-dire celle d'un État à le faire et si la Cour estime qu'elle a autorité sur Gaza. Les arguties juridiques vont-elles, dans ce cas aussi, prévaloir sur l'application du droit international humanitaire? Pour passer de l'impunité à une justice équitable, un rôle déterminant revient à la pression exercée par l'opinion publique, celle-ci s'exprime, mais dans le moment présent avec une force insuffisante. Cette pression peut s'exprimer sous différentes formes, par des tribunaux citoyens, ainsi à l'exemple du Tribunal Russell pour le Vietnam, un tribunal Russell sur la Palestine a été créé. Il s'agit d'une condamnation morale, mais ô combien importante. Autre intervention possible, la compétence universelle, qui permet de poursuivre les auteurs de crimes de guerre, quel que soit le lieu où le crime a été commis, et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes. Des avocats et des organisations humanitaires y ont eu recours lors de l'interpellation de Pinochet à Londres ou de la venue de Rumsfeld, du général Franks ou d'Ariel Sharon en Allemagne, en Belgique ou en France. Les gouvernements de ces pays, soumis ou non à des pressions, s'y sont dérobés. Plus grave, nombreux sont ceux qui veulent effacer du droit international la compétence universelle. La défendre et exiger sa pleine application est une exigence citoyenne. Il n'est nullement fortuit que les principales avancées du droit humanitaire furent concrétisées au sortir de conflits mondiaux ou coloniaux et du génocide concentrationnaire, moments où la communauté mondiale s'exprime avec force. Aujourd'hui, les opinions publiques s'indignent de l'impunité des crimes de guerre et elles sont d'autant plus interpellées quand les violations du droit humanitaire sont le fait d'État qui se présentent comme les défenseurs de ce droit qu'ils bafouent. Les valeurs qui fondent le droit humanitaire s'en trouvent décrédibilisées et discréditées. L'une des conséquences les plus graves de l'instrumentalisation et du nonrespect du droit est d'ajouter aux inégalités sociales, économiques, ethniques qui déchirent le monde, des inégalités dans le traitement juridique et humanitaire des conflits, dans l'appréciat ion portée sur les moyens militaires utilisés par les belligérants, dans les conditions de détention des prisonniers, dans le dispositif des secours aux populations victimes de la guerre. Ces inégalités accumulées fondent la désespérance et favorisent la propagation de "discours de haine". Opposons, à l'absence de volonté des gouvernants à appliquer le droit humanitaire, la volonté des peuples. (*) Co-auteur de : Une autre ONU pour un autre monde. Tribord éditeur (2010) (4) C'est très précisément, un point de régression du droit international, les protocoles additionnels des Conventions de Genève signés en 1977 qualifient de crimes de guerre des « pertes civiles excessives » alors que le Traité de Rome de la CPI, signé en 1998, demande qu'elles soient « manifestement excessives. » (5) Parmi les membres du G 20, outre les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde, l'Indonésie, l'Arabie Saoudite et la Turquie n'ont pas signé le Traité de Rome. (6) Dossier établi par des organisations humanitaires et de solidarité avec le peuple palestinien. Israël accuse en retour le Hamas pour l'envoi de roquettes vers des zones civiles en Israël ., ., LES REFUGIES PALESTINIENS ET LE DROIT INTERNATIONAL Sylviane de Wangen, Juriste (droit d'asile), co-fondatrice et ex-responsable de France Terre d'Asile. Le conflit israélo-palestinien, dont l'origine incombe pour une large part à l'ONU, occupe depuis 60 ans le devant de la scène mondiale sans avoir de solution. Dans ce conflit, la question des réfugiés est une « épine» dans le coeur des Israéliens (pour utiliser une expression d'Elias Sanbar), et est le point d'achoppement de toutes les tent atives de « négociation ». Bien que les instruments juridiques internationaux pour un règlement existent, comme les moyens de pression pour les faire appliquer, cette question n'a jamais pu être réglée car elle est depuis toujours tabou côté israélien. La reconnaissance par l'Etat d'Israël du « droit au retour» revendiqué par les Palestiniens comme signifiant la reconnaissance de leur expulsion, est totalement rejetée par les Israéliens qui y voient la volonté des Palestiniens de mettre en cause la légitimité de leur Etat. La longue querelle entre Israël disant que les Palestiniens étaient partis d'euxmêmes et les Palestiniens disant qu'ils avaient été violemment chassés aurait dû cesser après que les « nouveaux historiens » israéliens eurent confirmé dans les années 80, à partir des archives israéliennes, ce que disaient les historiens palestiniens depuis longtemps, à savoir qu'à partir de l'adoption par l'ONU en 1947 du plan de partage de la Palestine, une entreprise d'expulsion massive de Palestiniens avait été menée par le mouvement sioniste puis par l'Etat d'Israël. Ceci est très important et tous les protagonistes ont intérêt à la vérité car une solution durable à leur conflit centenaire ne peut être fondée que sur la vérité historique reconnue. En 1948 et en 1967, la question aurait pu être réglée : les réfugiés expulsés de chez eux devaient être autorisés à rentrer dans leurs foyers. C'est ce que prescrivaient les résolutions de l'ONU. Mais c'était sans compter la détermination du mouvement sioniste et la paralysie d'une grande part ie de la «communauté internationale» de l'époque, et depuis. Avant d'aller plus avant, trois remarques préalables sont nécessaires : 1/ Le droit international et le droit international humanitaire, encore très récents dans l'histoire de l'humanité, ont pour but de régler les différends entre Etats ou entre nations par le droit et non par la force. Et il ne faut pas demander au droit ce qu'il ne peut donner et ne pas confondre droit, justice et morale. C'est pourquoi, s'il est un outil indispensable, le droit ne remplace pas le combat politique et la négociation. 2/ On a souvent tendance à réduire les droits des réfugiés palestiniens au droit au retour. C'est une erreur qui est lourde pour les personnes concernées. Le droit au retour n'est qu'une des questions concernant les réfugiés palestiniens et qui se pose aujourd'hui pour une minorité d'entre eux. Les réfugiés palestiniens, de trois voire quatre générations, sont très nombreux et disséminés à travers le monde. Ils ont, s'ils n'ont pas acquis une autre nationalité, des droits inhérents à leur qualité de réfugiés qui touchent à tous les aspects de leur vie: état civil, protection juridique, travail professionnel, droits sociaux, droit de circulation, etc. Et ils ont, dans tous les cas, des droits - par exemple à indemnisations - en tant que réfugiés palestiniens ayant subi des préjudices patrimoniaux, matériels et moraux. 3/ On se demande parfois pourquoi les Juifs du monde entier auraient un droit de «retourner» en Palestine après trois mille ans et pas les Palestiniens qui en ont été récemment chassés, illégalement selon le droit international naissant ? La réponse est qu'Israël n'a juridiquement aucun «droit historique» sur cette terre. Aucun article de la Déclaration universelle des droits de l'homme ni aucune convention internationale ne prescrit un tel droit. Simplement, l'Etat d'Israël, proclamé après une décision de l'ONU et devenu membre de son Assemblée générale - c'est cela, et non pas un quelconque droit « historique» fondé sur ce qui peut être qualifié de légende (/ivre religieux) qui lui donne sa légitimité - a inscrit dans son droit interne, en vertu de la souveraineté de l'Etat (notamment en matière d'entrée sur le territoire et d'octroi de la nationalité), dans une loi du 5 juillet 1950 qu'il appelle «la loi du retour», que les Juifs du monde entier peuvent obtenir la nationalité israélienne et s'installer dans le pays. On sort là du domaine du droit international. (1) « Décide qu'il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gou-' vernements ou autorités responsables. « Donne pour instructions à la Commission de conci liation de faciliter le rapatriement, la réinstallation et le relèvement économique et social des réfugiés, ainsi que le paiement des indemnités, ( ... ). » 13 14 _ .. ---------------~------------------------------------------- Comment le problème se pose-t-il aujourdrhui au regard du droit international? Le « droit au retour» peut être considéré comme un droit humain fondamental, même si une telle expression n'existe dans aucun texte juridique. Il signifie que toute personne a le droit de retourner dans son pays. C'est ce que disent la Déclaration universelle des droits humains du 10 décembre 1948 dans son article 13 par. 2 «toute personne a le droit de quitter tout pays y compris le sien et de revenir dans son pays», et le Pacte international des droits civils et politiques de 1966 article 12 par. 4 : «Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays». Depuis la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU du 11 décembre 1948(1), malgré l'engagement d'Israël de la respecter lors de sa demande d'admission à l'ONU, malgré de nombreuses résolutions ultérieures, l'exercice de ce droit a été refusé aux réfugiés palestiniens par Israël qui leur interdit, même pour un court séjour, l'ensemble du territoire d'Israël ET de la Cisjordanie (y compris JérusalemEst) et de Gaza, territoire du futur État palestinien. Ce droit rencontre néanmoins des limitations. 1/ Une première limitation par effet du temps : le droit au retour est un droit individuel, non transmissible à un tiers (contrairement aux droits patrimoniaux, individuels et transmissibles aux descendants). C'est donc un droit attaché à la personne, laquelle décide elle-même de l'exercer ou non. Les caractères individuel et inaliénable sont clairement exprimés dans tous les textes qui en font état où il est question de droit au retour, en particulier les résolutions 3236 de 1974 et 3376 de 1975 de l'Assemblée générale de l'ONU qui distinguent bien entre les «droits du peuple palestinien» (collectifs) et le «droits des Palestiniens» (individuels). Les personnes expulsées de chez elles ou qui en sont parties en raison des événements - même si elles étaient à l'époque des nouveaux-nés - et leurs enfants mineurs, ont le droit théoriquement de retourner dans leur pays de naissance. Ce sont donc les personnes qui aujourd'hui ont plus de 60 ans pour les réfugiés de 1948, et leurs enfants mineurs si elles en ont encore. Or, aujourd'hui, la grande majorité des réfugiés palestiniens sous administration de l'UNRWA(2) sont nés dans le pays d'accueil de leurs parents ou, plus souvent, de leurs grand-parents voire arrière-grands-parents, ailleurs que dans le pays d'origine de ceux-ci, où ils n'ont jamais pu aller, celui-ci étant devenu l'Etat d'Israël, Etat souverain qui fait partie de la communauté internat ionale et le leur interdit. 2/ Une deuxième limitation est liée à la souveraineté de l'Etat. Ainsi, quand nous disons «toute personne a le droit de retourner dans son pays», que signifie « son pays» ? Si nous nous référons par exemple à la convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, c'est: le pays où elle est née, le pays dont elle a la nationalité, si elle n'en a pas, le pays où elle a sa résidence habituelle. Encore faut-il que ce pays le veuille bien. Le retour est un droit, mais ce droit se heurte à la souveraineté des Etats, notamment en matière d'attribution de la nationalité et du droit de résidence. Jusqu'à aujourd'hui, l'ONU n'a pas les moyens de contraindre un Etat à admettre sur son territoire une personne qu'il ne veut pas admettre. Ces deux limitations posent une difficulté pour les descendants de ceux nés dans ce qui est devenu depuis l'Etat d'Israël, mais aussi pour les expulsés eux-mêmes car Israël ne veut pas entendre parler de droit au retour des Palestiniens bien qu'aujourd'hui ces personnes soient de moins en moins nombreuses. Cette confusion a été entretenue chez les Palestiniens pour des raisons qui vont être examinées ci-dessous. Elle a aussi été largement utilisée et entretenue par Israël, probablement pour deux raisons : - d'une part pour en quelque sorte «légitimer » sa «loi du retour» en invoquant une prétendue antériorité de la présence juive sur la terre de Palest ine, - d'autre part pour pouvoir en appeler au danger démographique que constituerait pour Israël en tant qu'«Etat juif» le «retour» des millions de réfugiés palestiniens expulsés et descendants d'expulsés. Il est exorbitant qu'Israël ait encore la maîtrise - négative - du droit pour les Palestiniens d'entrer dans ce qui devrait devenir l'Etat de Palestine et qu'il occupe alors qu'Israël est le seul Etat de l'ONU qui n'a pas encore défini ses frontières. Si le droit au retour en Israël - dans les frontières d'avant la guerre de 1967 (dites « ligne verte ») reconnues par la communauté internationale - des réfugiés palestiniens concerne peu de personnes dont le nombre tend à s'éteindre, pourquoi donc une des revendications principales des Palestiniens - et des associations qui les soutiennent - est-elle justement celle de la reconnaissance du droit au retour? Parce qu'elle est Une revendication politique légitime Pour les dirigeants palestiniens et pour beaucoup de réfugiés palestiniens, notamment ceux qui se trouvent dans des camps de l'UNRWA, il s'agit d'un droit collectif, c'est à dire d'un droit non pas de chaque Palestinien mais du peuple palestinien. Un droit collectif peut aussi être inaliénable (en l'ocurrence il ne peut être exercé par aucun autre peuple) mais la décision de son exercice est décidée par les représentants de ce peuple et non plus par chaque individu. l'énoncé d'un droit collectif au «retour» n'est juridiquement possible pour aucun peuple pris en tant que tel, sauf à entrer encore davantage dans les conflits intercommunautaires et dans des guerres sans fin. Mais il serait pour le moins paradoxal que l'ONU, pour satisfaire une revendication nationale du mouvement sioniste, bafoue, au mépris de ses· propres valeurs, la revendication nationale du peuple autochtone (droit à l'autodétermination). Donc on peut mettre en évidence le caractère exceptionnel de la situation - substitution sans son accord d'un Israéliens ne veulent pas le reconnaître de peur (réelle ou prétendue) d'être obligés d'admettre sur leur territoire national un nombre tel de Palestiniens que les Juifs y deviendraient minoritaires. La question des réfugiés palestiniens est inédite au XXe siècle, complexe, difficile, à cause des circonstances historiques exceptionnelles qui l'ont fait naître et à cause de sa longévité, mais elle n'est pas insoluble. Déjà, tant du côté du mouvement national palestinien que dans des négociations israélo-palestiniennes, des propositions concrètes ont été avancées. Ainsi: - premièrement il faut qu'Israël reconnaisse et répare, au moins partiellement, avec l'aide de la «communauté internationale» largement co-responsable, l'injustice faite par le mouvement sioniste puis par l'Etat d'Israël à ces Palestiniens, au peuple palestinien. Cette réparat ion se situe tant au plan matériel pour chaque individu pour ces 60 ans de déni d'existence, de dépossession et de souffrances, qu'au de la création de l'Etat de Palestine, les réfugiés palestiniens devraient bénéficier partout où ils se trouvent, y compris dans les pays où intervient l'UNRWA, de droits garantis, par exemple en s'inspirant de ceux garantis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Et surtout qu'ils puissent, le cas échéant, avoir le choix de leur pays de résidence. On avait approché une solution concrète lors des pourparlers de Taba en janvier 2001. Un texte remis par les délégués israéliens aux délégués palestiniens reconnaissait la responsabilité de l'Etat d'Israël naissant dans « le déplacement et t'expropriation de la population civile palestinienne devenue ainsi réfugiée. » A partir de ces principes, des solutions concrètes devaient être proposées aux réfugiés palestiniens, tant quant au choix de leur pays d'installation (Israël pour un nombre à déterminer, l'Etat de Palestine, le lieu de résidence, un autre pays prêt à les recevoir) qu'en matière d'indemnisations financières. Mais les pourparlers de Taba furent interrompus par les élections qui portèrent Ariel Sharon au pouvoir. peuple par un autre sur un territoire, avec la bénédiction de fait de la communauté internationale. C'est tout un peuple qui a été déplacé. C'est tout un peuple qui a été privé de son droit à l'autodétermination, droit collectif celui-ci et pour aIler vers une réconciliation, il veut que cela soit reconnu. ]ERUSALEM Les pourparlers de Taba ont démontré que, dès lors que l'on accepte de reconnaître l'histoire, les responsabilités et les aspirations des peuples en conflit, une solut ion peut être trouvée. Ceux qui ont eu l'occasion de parler vraiment, personnellement et sincèrement à des réfugiés palestiniens savent bien qu'il y a la double attente: d'une part, être reconnus comme Palestiniens, avoir la nationalité palestinienne, un passeport palestinien, la protection de la Palestine ; d'autre part, pouvoir vivre pleinement leur vie, «comme tout le monde», avoir un pays, des droits, pouvoir voyager partout, pouvoir aller visiter librement la terre de leurs ancêtres, travailler, avoir des projets réels, sortir du conflit en jouissant pleinement de leur identité, même s'ils ne retournent pas vivre dans la maison de leurs parents ou grands-parents aujourd'hui disparue ou située dans un autre pays. Aussi, ce droit collectif n'at- il pas cessé, depuis 60 ans, d'être revendiqué par le peuple palestinien, même quand celui-ci a accepté de reconnaître l'Etat d'Israël. Et ce droit collectif n'a jamais pu être exercé, parce qu'Israël s'y est toujours opposé et a violé toutes les décisions internationales. Alors, les Palestiniens peuvent ne pas accepter que le temps fasse s'éteindre des droits individuels qu'ils n'ont jamais pu exercer, ne pas accepter les faits accomplis au prix de tant d'injustices et de souffrances. Que signifie le droit inaliénable d'un peuple à l'auto- Jérusalem détermination quand ce peuple a été, et est, par une volonté autre que la sienne, et par la force, éparpillé, divisé, disloqué? Donc la reconnaissance du droit au retour est devenue une revendication politique majeure des Palestiniens et de leurs représentants, indépendamment des règles du droit international des réfugiés, et c'est une revendication qu'Israël et la communauté des nations devront bien f inir par prendre en compte. A ce stade, le problème semble être dans une impasse. Le peuple palestinien, qui comprend une majorité de réfugiés, estime ne pas pouvoir abandonner son «droit au retour». Les plan politique et symbolique pour la collectivité nationale palestinienne. - deuxièmement, il faut que les Palestiniens puissent créer leur Etat dans les frontières reconnues par la communauté internationale et le droit international (cf. l'avis de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004), frontières qui correspondent à la ligne d'armistice de 1949, avec Jérusalem-Est comme capitale. Tous les Palestiniens pourront alors avoir la nationalité palestinienne, vivre en Palestine s'ils le veulent, avoir un passeport palestinien et la protection consulaire palestinienne où qu'ils se trouvent. - troisièmement, en attendant la résolution de la question des réfugiés à la suite On ne peut pas se contenter de constater une impasse. Les hommes, les femmes et les enfants qui sont prisonniers dans cette impasse ont droit à une solution. NB. Un article complet sur cette question a été publié dans la revue Recherches internationales sous le titre « Toujours réfugiés ». Voir aussi la revue Confluences Méditerranée (N° 82-printemps 2008) et son site www.confluences-mediterranee. com/spip.php ?article2001) (2) Sigle de la dénomination anglaise de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, créé par la résolution 302 du 8 décembre 1949 de l'AG de l'ONU. 15 16 LE TRIBUNAL RUSSELL Le premier tribunal Russell s'est tenu en 1967 pour enquêter sur les crimes de guerre commis au Vietnam et les juger selon le droit international. Il a été impulsé par Bertrand Russell, prix Nobel de littérature en 1950 et présidé par Jean-Paul Sartre. Bien que n'ayant eu aucune validité juridique (ses résolutions ne sont pas contraignantes), il a agi comme un tribunal populaire de conscience face à l'injustice et à l'impunité des violations de la législation internationale. Ce même esprit a présidé au tribunal Russell Il organisé par la Fondation internationale Lelio Basso pour le droit et la libération des peuples qui s'est tenu sur l'Amérique latine (1974-76). La première session du tribunal Russell sur la Palestine (TRP) s'est réunie du 1er au 3 mars 2010, à Barcelone dans un contexte particulier : la résolution ES-l0/15 adoptée par l'AG des Nations Unies et qui reconnaissait l'illégalité du mur construit par Israël n'a amené que des condamnations et des déclarations politiques alors même qu'elle exigeait des Etats membres de l'ONU qu'ils s'acquittent de leurs obligations juridiques: ne rien faire qui implique une aide à la construction du mur, ni la reconnaissance de la situation illégale qu'il en gendre et garantir le fait qu'Israël observe ses devoirs en vertu du droit international humanitaire et du droit à l'autodétermination du peuple palestinien. En décembre 2008, l'opération « Plomb durci» a rendu plus que jamais évident le mépris d'Israël pour le droit international ainsi que la responsabilité et la complicité des autres pays en particulier, les EtatsUnis et l'UE. Ainsi, au-delà de la responsabilité de l'Etat d'Israël, l'objectif du tribunal Russell est de démontrer la complicité d'Etats tiers et d'organisations internationales dont la passivité ou l'appui actif permettent à Israël de continuer à violer les droits du peuple palestinien. La session de Barcelone a été plus particulièrement consacrée à la responsabilité de l'Union européenne et de ses Etats membres. Les représentants de l'UE invités ont laissé leurs chaises vides même si à la fin de la session, ils ont fait savoir qu'ils étaient prêts à recevoir des représentants du tribunal Russell. La prochaine session, qui aura lieu à Londres à l'automne 2010, portera plus spécialement sur les complicités et omissions des entreprises transnationales. Les autres sessions prévues sur différents continents analyseront quant à elles de façon plus précise d'autres complicités et omissions, spécialement celles des Etats-Unis et des Nations Unies. Et la session finale est prévue aux Etats-Unis, si possible à New York, siège des Nations Unies. L'établissement du tribunal Russell sur la Palestine se veut une initiative civique qui s'empare du droit international comme élément- clé susceptible d'influer sur le conflit entre Israël et la Palestine - la référence juridique du travail des comités d'experts dans les différents pays et du tribunal pour les différentes sessions est constituée par les conventions, résolutions et normes du droit international suivantes : les conventions internationales (dont la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945) et les résolutions du Conseil de sécurité et de l'AG de l'ONU, et les normes de droit international coutumier. En jugeant les violations du droit international dont est victime le peuple palestinien et qui le privent d'un Etat souverain, le TRP entend mobiliser l'opinion publique afin que les Nations Unies et ses membres adoptent des mesures nécessaires pour mettre fin à l'impunité de l'Etat d'Israël et obtenir une solution juste et durable du conflit. Le TRP est soutenu par la Bert and Russell Peace Foundation. Outre le soutien du comité national d'appui d'Espagne et de Catalogne qui a organisé la session de Barcelone, le TRP reçoit le soutien de différents comités nationaux d'appui. COMMISSIONS "VÉRITÉ" ET JUSTICE TRANSITIONNELLE La justice transitionnelle n'est pas une forme particulière de la justice mais bien plutôt la justice adaptée à des sociétés en cours de transformation, de transition, forme de justice qui s'est imposée dans le contexte des changements politiques qui, dans les vingt dernières années, se sont opérés en Amérique Latine et en Europe de l'Est. Que ce soit dans le cas du passage de la guerre à la paix, d'un régime autoritaire à la démocratie, le concept de «justice transitionnelle » a représenté dans de nombreux pays une réponse à la demande de justice, une étape importante pour opérer le passage « d'un passé divisé à un avenir partagé» selon la formule du Centre international pour la Justice transitionnelle (CIJT). L'objectif de la justice transitionnelle est de faire face « au lourd héritage des abus d'une manière large et holistique (globale et non-conventionnelle) qui englobe la justice pénale, la justice restauratrice, la justice sociale et la justice économique. » L'un des buts poursuivis est de permettre aux sociétés qui ont eu à souffrir de violations graves des droits de l'homme de se réconcilier avec leur passé pour surmonter les blessures et les chocs consécutifs aux terribles exactions qu'elles ont subies. Le pOint de vue de Madame Orentliche, professeur de droit international mérite que l'on s'y attarde : « Ce que nous avons appris des expériences pratiques, c'est qu'il n'est pas nécessaire de choisir entre la paix et la justice, mais qu'elles pouvaient être associées pour punir des responsables d'exactions et mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle. » Parce qu'elle est basée sur la conviction que « l'exigence de justice n'est pas un absolu », la justice transitionnelle entend trouver le nécessaire équilibre entre cette exigence, le besoin de paix, de démocratie, de développement démocratique et l'Etat de droit. En ce sens, si elle admet que dans un contexte de transition des limitations particulières puissent être possibles, (dans le souci d'éviter plus particulièrement de mettre en danger les transformations politiques en cours), ces dernières ne peuvent être un prétexte à l'inaction. Alors que par le passé, bien des autorités gouvernementales ont trop souv;ent préféré user de lois d'amnistie ou mettre des obstacles aux poursuites engagées contre les auteurs de certains crimes plutôt que d'affronter un passé difficile, la justice transitionnelle est apparue ces dernières années comme un moyen pour nombre de pays de répondre à l'obligation de rendre des comptes et de lutter contre l'impunité. Dans le but d'être pleinement efficace et responsable, elle a le souci, à côté des mesures visant à établir les responsabilités pour les crimes commis dans le passé, d'éviter et de dissuader que n'en soient commis de nouveaux. La justice transitionnelle s'articule autour de quatre axes principaux qui se complètent et se renforcent: • les commissions de Vérité (pouvant s'appeler suivant les cas de Réconciliation, d'Equité ou de Justice) qui offrent aux victimes une tribune politique. D'une durée qui n'excède souvent pas deux ans pour éviter la lassitude de l'opinion publique, ces commissions qui ne sont pas un organe judiciaire à même de juger les auteurs des violations des droits de l'homme, achèvent leur travail par un rapport final contenant des conclusions et des recommandations. Les commissions Vérité et Réconciliation organisées en Afrique du Sud restent les plus marquantes car elles ont non seulement permis de dénoncer la gravité des violations commises par le régime d'apartheid mais également de dénoncer leurs commanditaires, • les poursuites pénales qui visent prioritairement les responsables principaux des violations et des exactions, • les programmes de réparation compensatoires ou symboliques, sous forme de restitution ou de réhabilitation, les excuses officielles ayant un rôle symbolique très important, • les réformes institutionnelles comprenant les réformes du système de sécurité visant à exclure les auteurs d'exactions des organes judiciaires, militaires et juridiques. Parallèlement, une attention particulière est portée à la place de la mémoire et aux efforts de commémoration (avec la création de musées et de monuments qui préservent la mémoire collective des victimes et qui sont destinés à construire un rempart contre la récidive). Ainsi face à la difficulté d'une approche générale pour traiter d'expériences historiques uniques, la justice transitionnelle essaie de répondre le mieux possible à la nécessité des sociétés en question de trouver en elles-mêmes la solution qui leur convient le mieux tout en se nourrissant des expériences des autres. Elle évite également, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, tous les inconvénients que peuvent représenter des poursuites engagées par des pays étrangers et qui peuvent être vécues comme des tentatives de désaisissement ou d'ingérence réelles ou supposées sans pour cela refuser toute collaboration à l'initiative des autorités sur place avec la communauté internationale pour traduire en justice les auteurs des crimes les plus graves conformément au droit international. Malgré des lacunes évidentes, la justice transitionnelle reste bien souvent la meilleure solution dans les périodes de transition. 17 18 L'H IVER SANS FIN ,. DES IMMIGRES Olivier Le Cour Grandmaison (*) Universitaire ET ES SANS-PAPIERS «Casser de /Immigré est un moyen effcace pour gagner des suffrages. malheureusement, cela conduit à des mauvaises lois, à une mauvaise politique et à des souffrances inutiles pour les personnes et leurs familles ( ... ). m. Sarkozy veut être considéré comme un homme d'Etat? Ou Il agisse en homme dEtat. »Editorial du new-York Times (Zl octobre Z007). « Ce n'est plus un rideau de fer. mais une intolérance radcale, celle d'une certaine classe politique qui de nouveau choisit d'attribuer aux minorités la responsabilité des malheurs qui accablent leurs pays. »Denis mac Shane, ancien ministre britannique des affaires européennes (10 avril ZOlO). Début 1981. Scandalisés par la politique d'immigration conduite par le gouvernement de Raymond Barre avec le soutien du très libéral président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, des personnalités et des intellectuels lancent un appel intitulé « Non à la France de l'apartheid (ou le nouveau Marche pour l'égalité (de 1983). Précision : il s'agi! de SOS Avenir Minguettes et non de SOS Racisme qui n'existait pas en 1983. manifeste des 121).(1) » On peut y lire ceci : « La France se replie sur elle-même. Elle a peur pour son standing, sa tranquillité et même la couleur de sa peau. Comme l'Allemagne de 1933, elle s'invente des boucs émissaires » : les immigrés « prétendument non assimilables », « le jeune Maghrébin et le jeune Noir» soumis, déjà, à la « ségrégation» et au « rejet, dans la plus pure tradition du racisme colonial» précisent les auteurs soucieux de rappeler les origines de ces pratiques. Seuls les ignorants et/ou les démagogues peuvent croire que celles-ci sont nouvelles alors que leurs racines doivent être cherchées dans le passé de la « Plus Grande France », celle-là même que les fondateurs et les dirigeants de la Troisième République étaient si fiers d'avoir bâtie en faisant du pays la seconde puissance impériale du monde. «Tout est mis en oeuvre pour que soient étouffées les questions politiques et sociales que pose, au sein de la société française, l'existence d'une communauté non blanche de plus trois millions de personnes (Antillais et harkis inclus) » constatent aussi les signataires de ce texte qui ajoutent : « le racisme et le nationalisme le plus étroit ont tacitement force de lois. » Et pour illustrer leur propos ils attirent l'attention sur « un rouage» alors méconnu mais jugé par eux particulièrement terrible en raison de ses effets pour les individus concernés : les expulsions. Ils en dénombrent 5000 par an et ce chiffre semble d'autant plus scandaleux que 75% des personnes renvoyées sont de jeunes hommes de moins de vingt-cinq ans, souvent nés en France ou « y ayant grandi. » « Brutalement séparés de leurs soeurs et de leurs compagnes, et arrachés» au « tissu social qui fut le leur depuis leur enfance », ils sont donc expulsés dans « leur pays d'origine », selon la terminologie administrative et policière employée pour légitimer ces pratiques, alors que beaucoup d'entre eux en ignorent presque tout, et que l'essentiel de leurs attaches affectives, sociales et professionnelles sont dans l'Hexagone désormais. Mais qu'importe, il faut donner l'image d'un gouvernement fort et soucieux de protéger les Français des effets réputés délétères de l'immigration. Déjà la démagogie et la xénophobie de la droite au pouvoir triomphent alors que le Front national n'est encore qu'un groupuscule marginal. A preuve, son dirigeant, J-M. Le Pen, sera en effet incapable de réunir les 500 signatures nécessaires pour se présenter aux élections présidentielles de mai 1981. Révéler et dénoncer cette politique tels sont les objectifs de ce texte qui s'achève par un appel à la mobilisation « Il est temps de faire connaître ouvertement cette réalité» concluent les auteurs qui, « scandalisés par la mise en place, en France, d'un système d'apartheid occulte et par la lâcheté des élus de toutes tendances qui le couvrent », se déclarent « prêts à aider ( ... ) par tous les moyens légaux et illégaux toute personne menacée d'être expulsée de ce pays alors qu'elle tient à y vivre, pour y avoir grandi, travaillé ou s'y être réfugiée pour des raisons politiques; et ceci, jusqu'à ce que le droit d'y résider lui soit pleinement reconnu. » Vingt-six ans plus tard, le 18 septembre 2007, Brice Hortefeux, nommé depuis peu ministre des Expulsions, déclare doctement à la tribune de l'Assemblée nationale: « Bien sûr, nous savons tous qu'une immigration maîtrisée est un enrichissement pour la vie de la cité. ( ... ) Mais il y a aussi le pire, produit en grande partie par trente années d'une immigration non gérée: les cités ghettos, les squats, les phénomènes de bandes, les violences urbaines, comme celles que la France a connues il ya deux ans, lors de l'automne 2005. Pour beaucoup de nos compatriotes, l'immigration est une source d'inquiétudes, ils y voient une menace pour leur sécurité, pour leur emploi, leur mode de vie. » Cette rhétorique, qui fait de l'étranger, ou supposé tel, la source de maux multiples et graves qu'il faut conjurer au plus vite, témoigne de l'avènement d'une xénophobie d'Etat laquelle fonde désormais une politique publique crânement défendue par le gouvernement et la majorité qui le soutient. Tous prétendent être au « service des Français », selon la formule consacrée, alors qu'ils n'agissent que pour une petite fraction d'entre eux; celle-là même qu'ils disputent au Front national et qui leur fut essentielle pour parvenir au pouvoir hier et qui le sera de nouveau demain lors des prochaines élections présidentielles. Sordide électoralisme servi par une démagogie obscène qui prospère sur la peur de l'immigré, « du-jeune-des-banlieuesà- casquette-à-l'envers-et-qui-parle-Ie-verlan », et de l'Islam enfin, comme le pseudo-débat sur l'identité nationale l'a sinistrement démontré. De là, la mise en place d'un véritable plan quinquennal d'expulsion qui court de 2007 à 2012 et engage le ministère précité auquel s'ajoutent préfets, policiers et gendarmes, tous mobilisés comme jamais pour atteindre les quotas de renvois forcés fixés, année après année, par le président de la République et le premier ministre à Brice Hortefeux puis à Eric Besson. Selon les chiffres officiels, on dénombre 29 796 expulsions en 2008 soit 81 par jour et environ 27 000 en 2009. Ajoutons, pour prendre la juste mesure des méthodes employées pour y parvenir, que la réalisation de ces objectifs suppose l'interpellation d'un nombre d'étrangers au moins trois fois plus élevé ce qui signifie que dans la douce France républicaine que dirigent Messieurs Sarkozy et Fillon près de 100 000 personnes sont ainsi arrêtées chaque année. C'est également l'une des causes majeures de la multiplication des contrôles au faciès que confirme une enquête sociologique et de terrain conduite par deux chercheurs du CNRS, Fabien Jobard et René Lévy, à Paris entre octobre 2007 et mai 2008(2). Cette enquête a permis d'établir que la probabilité d'être soumis à une vérification d'identité est 7,8 fois plus élevée pour les « Arabes» et 6 fois plus importante pour les « Noirs» que pour les « Blancs. » Xénophobie d'Etat au sommet des institutions, pratiques discriminatoires et racist es sur le terrain, comme on dit, lesquelles sont les conséquences logiques de cette abjecte politique du chiffre tant vantée à l'Elysée ; telle est la situation. Quant aux étrangers en situation irrégulière, ils sont soumis à une sorte de couvre-feu qui ne dit pas son nom mais dont les effets peuvent être constatés grâce à de nombreux témoignages où se révèlent des stratégies d'évitement - ne pas fréquenter telle ou telle gare, telle ou telle station de RER ou de métro, restreindre au maximum les sorties nocturnes - pour tenter d'échapper ainsi aux opérations de police. Vingt-six ans séparent l'appel précité de la mise en place du ministère des Expulsions; vingt-six ans marqués par l'aggravation constante de la condition faite à ceux que le pouvoir désigne du terme péjoratif de « clandestins» pour mieux les stigmatiser, entretenir la peur et légitimer les orientations aujourd'hui appliquées

vingt-six ans marqués aussi par l'extension et la banalisation

remarquables des moyens juridiques, administratifs et policiers déployés pour traquer hommes, femmes et enfants désormais, les placer en centre de rétention et les expulser. En ce domaine comme en beaucoup d'autres, l'act uelle majorité est forte des faiblesses et des divisions réitérées des gauches parlementaires et radicales auxquelles s'ajoutent celles des organisations syndicales et des associations de défense des droits de l'homme. Il est temps de mettre un terme à cette situation en organisant au mois de mai 2011 une grande manifestation nationale et unitaire contre la politique migratoire de ce gouvernement. (*) Dernier ouvrage paru: La République impériale. Polit ique et racisme d'Etat, Fayard, 2009. (1) Texte reproduit in F. Guattari. Les années d'hiver 1980-1985, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009, pp. 285-289 (2) Le Monde, 1er juillet 2009, p. 11. PILLÉS LÀ-BAS, CHASSÉS ICI 1 Cette politique françafricaine encourage le pillage des ressources naturelles et humaines par le contrôle monétaire du franc CFA, la dette, la déréglementation et la casse des services publics réclamées par les institutions multilatérales, le détournement massif de capitaux via les paradis fiscaux ... Mais aussi Ilar lé recours à l'immigration choisie et le soutien à des gouvernements qui méprisent démocratie et droits humains. Pour des millions de personnes, la seule possibilité est l'exode vers l'Europe où elles eru:l~hissent pay's d'accueil et entreprises par leur travail, leurs cotisations, leurs impôts même si souvent, sans Ilalliers, elles sont privées de leur droits légitimes. 19 20 Différences: Les débats sur les propos de Brice Hortefeux tournent tous autour de la question de savoir si le ministre de l'Intérieur peut être considéré comme raciste ... Vincent Geisser : Je ne crois pas que l'essentiel est de savoir si le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, est raciste ou pas. Il faut éviter de tomber dans une figure de l'essentialisme raciste qui consisterait à considérer qu'il y aurait, d'un côté, une France raciste et, de l'aut re, une France généreuse et tolérante. L'important dans cette affaire, ce sont les propos et le contexte dans lequel ils ont été prononcés. Quand on fait une analyse fine et approfondie des déclarations de Brice Hortefeux, l'on peut dire, effet, qu'ils véhiculent une charge raciste et racialiste. Néanmoins, contrairement aux formes de xénophobie classique au sein desquelles on opposait traditionnellement les Français aux étrangers, là, en la circonstance, les propos de Brice Hortefeux véhiculent une représentation plus « moderne» : ce n'est plus un racisme biologique comme au XIXe siècle (hiérarchie des races) mais un racisme culturaliste (hiérarchie des cultures). Dans le cas présent, il s'agit d'une représentation qui oppose non plus les Français aux étrangers mais des catégories de Français entre eux. Je m'explique : dans les propos qu'il tient à l'égard de Amin, ce militant de l'UMP, Brice Hortefeux laisse supposer qu'il y aurait des Français qui seraient légitimes, situés au centre du noyau dur, pour ne pas dire du « noyau pur » de l'identité nationale et d'autres Français qui seraient, eux, plus périphériques, plus éloignés de ce noyau dur, illégitimes en quelque sorte. En ce sens, les propos de Brice Hortefeux confortent des représentations racistes sinon racialistes de l'identité nationale, dans la mesure où ils induisent qu'il y aurait des catégories de Français qui ne seraient pas tout à fait égales entre elles: certaines seraient « naturellement » au coeur de la francité, d'autres, en revanche, seraient plutôt aux marges de cette francité, constamment obligés de faire leurs preuves en tant que citoyens, en tant que nationaux. C'est un discours qui remet en cause la francité de certains, qui jette une suspicion; et qui dit grosso modo à ces militants de l'UMP, à ces citoyens, à ces électeurs, qui partagent la situation d'Amin: « certes vous êtes français, mais pas tout à fait comme les autres! ». C'est peut-être un rac isme latent, un racisme subtil, un racis- EN MARGE DU PROCÈS MRAP-HORTEFEUX ENTRETIEN AVEC VINCENT GEISSER, politologue, cité comme expert par le MRAP. me qui emprunte le registre de l'humour, mais c'est néanmoins du racisme! Différences : Peut-on réellement parler d'un accident? Ou bien ces propos ne sontils pas plutôt révélateurs d'une approche particulière de la politique? Vincent Geisser : Malheureusement, on constate depuis de t rès nombreuses années des « dérapages », mais qui n'en sont pas vraiment, car ils s'inscrivent dans des tendances lourdes. Dans une étude que nous avons réalisée récemment avec un collègue, El Yamine Soum, Discriminer pour mieux régner (éditions de L'Atelier, 2008), nous avons montré qu'aujourd'hui une partie des leaders politiques français contribuaient à légitimer une représentation dichotomique de l'identité française. Avec d'un côté, les « normaux» et de l'autre, les « divers » ... et comme par hasard les « divers » ce sont toujours les Noirs, les Arabes , les Maghrébins, les musulmans, les gens des DOM-TOM, etc. De ce point de vue-là, nous avons bien mis en évidence qu'à travers cet élan généreux de la diversité, inspiré de bons sentiments antiracistes apparents, il existe une inclination à légitimer de plus en plus les tendances ethnicisantes et communautarisantes dans la vie politique française. Ainsi, selon ce « communautarisme par le haut », il y aurait d'un côté des militants légitimes, les« Français gaulois» et de l'autre, des militants illégitimes, ces citoyens d'origine arabe, maghrébine, africaine ... , que l'on qualifie de « Français de la diversité ». Et c'est bien dans ce contexte apparemment très festif (l'Université d'été de l'UMP), sur fond de plaisanterie, qu'il convient de resituer les propos de Brice Hortefeux qui, s'adressant à ces militants -Français de la diversité- leur dit « Vous êtes comme nous, vous êtes membres de l'UMP, vous êtes Français, mais quand même pas tout à fait comme nous, parce que vous êtes d'origine maghrébine, parce que vous êtes musulman, parce que vous n'appartenez pas à ce noyau dur de l'identité nationale, à ce corps traditionnel, parce que malheureusement vous appartenez à ce que l'on appelle la diversité ». Cela ne fait aucun doute, les propos de Monsieur Hortefeux ne constituent pas un accident. Ils ne sont pas isolés, mais ils s'inscrivent dans une tendance lourde de la société française, plus particulièrement de notre vie politique locale et nationale. Il faut quand même rappeler que nous sommes le seul pays démocratique au monde à avoir osé créer un ministère de l'immigration et de l'identité nationale et c'est d'ailleurs Brice Hortefeux qui l'a inauguré en 2007. Et ce fait est d'autant plus regrettable que ce sont les leaders politiques qui sont pourtant censés montrer l'exemple au peuple, en promouvant un discours universaliste. Or, ce sont ces mêmes responsables politiques qui ethnicisent et communautarisent à outrance le corps national en distinguant les « Français légitimes» des « Français illégitimes », en découpant la francité en plusieurs morceaux, en la segmentant. C'est bien dans ce contexte général qu'il faut resituer les propos du ministre de l'Intérieur. Différences : Pour les amis du ministre qui ne semblent pas avoir pris conscience des effets dommageables de ces propos, il s'agit d'humour ... ! Vincent Gelsser : Je dis toujours, il ne faut pas confondre humour juif et humour sur les Juifs, de même qu il ne faut pas confondre humour arabe et humour sur les Arabes. Dans le premier cas, il s'agit souvent de formules qui peuvent prêter à sourire et qui sont d'ailleurs produites par les membres du groupe eux-mêmes comme forme d'autodérision. Dans le second cas, c'est de l'humour douteux qui se transforme souvent en racisme, produisant une véritable violence sur les individus stigmatisés. Je crois que l'on sous-estime totalement la violence symbolique que peut véhiculer ce type de propos tendancieux vécu sur un mode traumatique par les citoyens, les électeurs issus de l'immigration africaine, maghrébine et des DOM-TOM. Entendre constamment des responsables politiques français remettre en cause la francité de leurs concitoyens, les soumet tre sans plus d'égards à ce que j'appelle « le Tribunal de l'identité », finit à la longue par produire des séquelles psychologiques et des blessures symboliques. Aussi, dans ces conditions, ne faut-il pas s'étonner qu'une grande partie des Français ne votent plus, que l'abstention atteigne 70 % dans certains quartiers populaires, que certains de nos concitoyens se détournent des partis républicains et que les Français d'origine maghrébine et africaine puissent parfois se replier sur des identités meurtries. Je crois que les propos de Brice Hortefeux comportent une véritable charge violente : ils blessent certains membres de notre communauté nationale qui en ont assez d'être constamment suspectés dans leur francité, d'être vus en permanence comme des mauvais Français. Vincent Geisser, politologue. Dernier ouvrage paru: Nous sommes français et musulmans, avec France Keyser et Stéphanie Marteau, éditions Autrement, 2010. 1 DEN TI TÉS ET Jean Robelin professeur émérite - Université de Nice FRONTIÈRES INTÉRIEURES « Les étrangers qui ne sont pas disposés à concéder quelque chose en échange de ce qu'ils obtiennent, qui se proposent de rester étranger à la communauté dans laquelle ils entrent jusqu'à en contester au moins en partie les principes même, sont des étrangers qui suscitent inévitablement des réactions de rejet, de peur et d'hostilité ... Une citoyenneté gratuite, concédée en échange de rien, peut-elle, doit-elle exister? A mon avis, non. Le citoyen contre, le contre-citoyen est inacceptable »(1). Sous couleur de réciprocité, donc de justice, ces propos dressent les barrières internes aux sociétés européennes. Les démocraties ont toujours toléré des cont re-citoyens : des antidémocrates. La t roisième République n'a pas dissout l'Action française. Supprimer la démocratie pour la défendre ne vise à rien moins qu'à un conformisme éthico-politique anti-démocratique. Qui sont donc ces contre-citoyens réputés a priori inassimilables parce qu'inassimilés ? « L'occidental ne voit pas le musulman comme un infidèle, mais pour le musulman, l'occidental l'est, excusez du peu »(2). Donc celui qui déroge à la réciprocité, c'est clair, c'est le musulman. Qu'importe qu'il respecte les lois du pays où il vit, il est a priori suspect. Les intégristes chrétiens, les sectes protestantes qui défilent parfois dans Paris aux cris d' « Accepte Jésus ou crève» ne sont jamais nommés. L'autre, lui est clairement désigné. A aucun moment Sarto ri ne se demande comment façonner un sol commun, comment la démocratie politique et juridiquement fondée sur les principes de tolérance et de respect des droits de l'individu pourrait essayer d'avoir prise sur ses négateurs. A aucun moment il ne s'interroge sur la diversité des pratiques et des interprétations dans le monde arabo-mulsulman. Pour tracer une frontière intérieure, il forge un adversaire fictif en le donnant comme un bloc univoque. Il est de bon ton d'expliquer les tensions actuelles avec le monde musulman par des peurs d'un islam conquérant et guerrier nées du 11 septembre. Le texte de Sartori invalide cette chronologie, il a été publié en 2000. Ce qu'il montre c'est que les éléments idéologiques des événements sordides qui se sont déroulés il y a peu en Europe étaient en place avant le 11 septembre, que la peur a été créée. Les questions du débat sur l'identité nationale voulu par l'actuel gouvernement français, obéissent à la même logique: « Comment éviter l'arrivée sur notre territoire d'étrangers en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de désordres divers (travail clandestin, délinquance) et entretenant dans une partie de la population, la suspicion vis-à-vis de l'ensemble des étrangers ». Même si elle a été finalement écartée, celle-ci reste symptomatique. La formation de la frontière symbolique intérieure est rejetée sur les étrangers même, responsables des désordres. Si le travail clandestin fonctionne, c'est qu'il est y a des employeurs qui embauchent. Chacun sait que c'est là une des fonctions de la sous-traitance. Cette responsabilité là n'est pas mentionnée. Elle est d'ailleurs peu réprimée. Pourtant des secteurs entiers de l'économie, en particulier le bâtiment, font un recours massif au travail clandestin. Il est vrai qu'à rejeter la faute sur l'étranger, on se dispense de combattre la suspicion que l'on déplore hypocritement. De même l'exigence d'un « niveau minimal de pratique de la langue française pour entrer en France », évoquée par une autre question, transforme la langue même, facteur de lien social et d'interindividualité, souvent érigée en critère de la communauté nationale, en facteur d'exclusion et de fermeture communautaire. Remplacer l'accès à la langue par la présupposition de l'acquis linguistique signifie n'accepter qu'une immigration cultivée. Conclure sur« la nécessité de réaffirmer la fierté d'être frança is» signifie l'imposition d'en haut d'une mémoire nationale qui se substitue à l'appropriation d'une histoire. Fier de quoi? De Pétain ou de la torture en Algérie? Des négriers nantais et de la SaintBarthélemy? Des prisons françaises régulièrement condamnées par les institutions européennes et maintenant par la justice française pour traitement dégradant des hommes? La fierté, c'est la sélectivité étatique de la mémoire, la dissimulation de la pluralité des mémoires et du débat historique, c'est au nom de la fierté et de l'honneur de la France et de son armée que certains ont refusé de rendre justice à Dreyfus. Or le tracé de la front ière consiste justement à réduire l'histoire et le rapport des individus à l'histoire à une mémoire, à l'héritage d'une symbolique univoque léguée par un prétendu principe spirituel. M. Dominique Paillé, porte -parole adjoint de l'UMP peut ainsi déclarer à propos des minarets: « Il y a évidemment les clochers des églises, mais c'est un héritage historique », pour opposer « les religions qui étaient là avant l'avènement de la République » et « celles qui sont arrivées après ». M. Frédéric Lefebvre le porte parole distingue « nos racines judéo-chrétiennes» et « la place qu'a prise ensuite la relig ion musulmane }}. L'histoire se réduit ainsi à la répétition d'une tradition immuable d'un héritage détaché de ses multiples interprétat ions. On crée ainsi une inégalité des croyances qui prime sur l'égalité civile des citoyens. Rien de tout cela n'est nouveau.[ ... ] Et Renan déjà désigne l'ennemi, celui contre lequel le legs se constitue: « l'Islam est la complète négation de l'Europe ; l'Islam est le fanatisme, comme l'Espagne de Philippe Il et l'Italie de Pie V l'ont à peine connu; c'est l'épouvantable simplicité de la pensée sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d'une redoutable tautologie : Dieu est Dieu» (De la part des peuples sémitiques dans l'histoire de la civilisation, discours au collège de France de 1862). (1) Giovanni Sartori, Pluralismo, multiculturalismo, e estranei, BUR, Milan 3° édition, 2007, p. 50 (2) p. 47 21 22 Or l'Europe actuelle répète ce geste de scission dans sa constitution actuelle, à travers certes des tendances lourdes en France, en Suisse, en Italie, mais aussi dans sa politique de visas, dans la constitution de l'espace Schengen. Pour comprendre pourquoi ces vieilleries colonialistes correspondant à l'idée d'une mission civilisatrice de l'Europe, sont réinvesties, pourquoi la nouveauté de la situation se dit dans d'antiques inepties, peut-être faut-il partir de la frontière intérieure. L'expression, on le sait, vient de Fichte; elle désigne la nécessité pour l'occupé, dont la communauté nationale est politiquement dissoute, dont l'Etat est anéanti, de tracer une ligne de démarcation avec l'occupant, en l'occurrence ici les Français. [ ... l A l'inverse, la frontière intérieure d'aujourd'hui, c'est celle des puissants contre les exclus. Les migrants sont des envahisseurs, jamais des victimes. Pire, en français de France, on dit « les immigrés » pour désigner des populations qui sont nées françaises, et qui le sont souvent depuis plusieurs générations. La frontière c'est celle qui se creuse contre l'ennemi intérieur. Car le texte de Sartori nous montre à l'évidence que par delà le fait de savoir qui on reçoit, la définition de l'identité nationale indique qui est indésirable de ceux qui sont déjà là. En désignant le mauvais ressortissant, on impose un moule unique à la citoyenneté. Il s'agit de définir une identité exclusive à laquelle tous doivent faire allégeance, d'où l'appel à la fierté. Ne nous y trompons pas: les frontières intérieures de l'Europe ne sont pas seulement symboliques. Elles sont aussi bien matérielles et les deux dimensions ne se séparent pas. Il y a bien sûr les exemples extrêmes: le mur construit à Padoue pour séparer le centre ville des quartiers qu'on ne veut pas voir. Mais en réalité la localisation des populations est une frontière intérieure, qui recouvre la distribution des avantages et des atouts sociaux, c'est un aspect de l'exclusion. Un exemple proche: le tram niçois s'arrête à 1Km et demi de l'Ariane, le quartier « sensible» de la ville. Surtout peut-être la frontière est politique, ce qui lie le symbolique et le matériel. La machinerie étatique officielle non seulement ne représente en rien les immigrés sans papiers, mais elle ne représente pas non plus ceux qu'on continue à désigner comme immigrés ou fils d'immigrés, en fait français. Chacun se souvient des émeutes des banlieues françaises en 2005. Ce qui est frappant, c'est qu'aucun parti n'a tenté de se mettre à l'écoute de ce désespoir, n'a tenté de donner une voix aux sans voix. Vieille histoire où la gauche française a failli dès 1981, pour le PC, attaquant au bulldozer un foyer d'immigrés à Vitry, dès 1983 pour tous le monde, à la trahison de la marche des beurs récupérée par la création de SOS racisme. Il est alors difficile à ces gens de se raccrocher aux grands universels constitutifs de la symbolique et de l'imaginaire républicain: l'Etat? Sa réponse est à la fois quasi militaire et élitiste: le 93 possède désormais un ensemble de classes préparatoires aux grandes écoles très supérieur à la plupart des départements français

il s'agit de dégager une petite élite des quartiers, au même

titre qu'il faut un « beur» ou un « black» sur les listes électorales. Et les autres sont abandonnés, laissés sur le bord d'une course à laquelle ils ne peuvent pas participer. La nation? Mais elle se constitue en désignant une fois de plus son ennemi intérieur, l'immigré ayant remplacé le juif comme tête de turc du nationalisme hexagonal ou du caractère impérial de l'Europe. Car désormais, à la logique nationale se superpose la logique à tendance impériale européenne. Le peuple? Non bien sûr, car cette logique de dépolitisation renvoie l'étranger, l'autre, même français, à son ethnicité, à sa relig ion, d'où la difficulté à façonner ce que Gramsci aurait appelé une volonté nationale populaire. Le peuple n'existe dans la nation qu'organisé et représenté par l'Etat; or c'est cette représentation qui s'organise désormais autour de la frontière intérieure. Or la nation ne saurait se soumettre à aucun modèle identitaire. C'est un processus historique qui récuse une identité fixe définitionnelle, mais elle est aussi irréductible à une identité processuelle d'un sujet qui serait son mouvement d'autodétermination, comme chez Hegel, tout simplement parce que la pluralité est ici première et que l'unité se conjugue au futur comme invention sociale. La nation n'a jamais été une entité spirituelle dotée d'intentions. Etre français ce n'est pas croire aux droits de l'homme ou avoir lu Voltaire que personne ne lit. Ce n'est pas recevoir une culture, c'est l'exercer. La nation n'est pas une appartenance, mais un exercice. C'est cela qui condamne la définition de l'identité comme allégeance. C'est aussi ce qui contraint d'abord à se demander qui détient les conditions d'exercice d'une culture, de sa modification et qui en est exclu. Si l'unité nationale n'est pas une identité, elle est impossible à produire d'en haut, par un acte de pouvoir. Aussi la frontière intérieure n'est-elle pas essentiellement une défense contre l'immigration. C'est là un des arguments essentiels des défenseurs bien intentionnés du libéralisme juridique face aux étrangers. Derrière l'identité nationale, il y a la peur de l'immigration. Mais derrière le fait migratoire, il y a la ghettoïsation de ceux qui sont déjà ici: on stigmatise les étrangers nouveaux pour façonner une frontière intérieure avec ceux qui sont déjà là. Un exemple : les hôpitaux français regorgent de médecins originaires de pays du tiers-monde. Or même après des années d'exercice, il leur est quasiment impossible de se faire titulariser à statut égal avec les français. Ils restent moins bien payés et non titulaires. Ici encore, ce n'est pas nouveau, avant la guerre, un étranger naturalisé devait repasser la totalité de son cursus universitaire, même s'il avait fait ses études en France. Mais la restriction change de sens. Car chacun sait que l'immigration est nécessaire à l'Europe, et qu'en particulier en France sa proportion dans l'ensemble de la population n'augmente pas. Le paradoxe de la situation actuelle, c'est que l'étranger peut l'être parce qu'il est d'ici. C'est ce que manifeste aussi l'affaire des minarets suisses ou de la burka française. D'où vi.ent alors la nécessité de cette frontière intérieure? Remarquons- le, elle est largement fictive. Elle se forme en Europe autour de l'islam. Or en France, les gens d'origine maghrébine ne représentent en rien une communauté fermée. C'est celle qui comprend le plus de mariages mixtes On ne peut l'expliquer qu'en partant du changement essentiel des rapports entre Etats introduits par la globalisation. Pour schématiser, alors que jusqu'en 1945, les rapports entre les nations étaient des rapports entre des termes extérieurs les uns aux autres, des rapports de coopération et de conflits entre entités indépendantes, le reste de la population mondiale n'ayant pas accès au fait national (les colonisés), désormais le mouvement des capitaux, la globalisation de la production signifient que les nations s'interpénètrent mutuellement, exportent des hommes, des savoir-faire, leur présence dans les autres. Si l'on peut parler d'empire américain, c'est que les Usa sont matériellement et symboliquement présents dans le monde entier. Quelles sont les frontières de l'empire ? Le mur électrifié qui sépare du Mexique sur 3000 kilomètres, ou bien les flottes qui sillonnent le globe et les drones qui déchirent le ciel du monde entier? Dans sa culture qui impose les modes vestimentaires ou bien encore dans sa domination économique? De même la France n'est plus en France, elle est là où sont ses entreprises, de même pour la Chine, qui lentement pénètre le continent africain. La globalisation implique, comme le dit Klaus Dorre, le passage d'une précarité marginale à une précarité discriminante» qui implique la création de « salariés à l'occupation dérégulée et aux conditions de vie clairement en dessous de la moyenne de leur classe »(3). La frontière change de sens; les capitaux, les services et les biens circulent globalement, la frontière est frontière du travail, elle définit des espaces d'exploitation, et dans ce changement devient intérieure, elle intériorise dans les formations sociales les contradictions de la globalisation. Une armée de réserve, pour utiliser le vieux concept marxien, racisée et ethnicisée. Or le processus de globalisation modifie totalement les conditions de l'universalité et de l'identité, en bouleversant le modèle national du peuple organisé en Etat nation. Ille fait d'abord en favorisant l'émergence de formations sociales tendanciellement impériales, qui sont en elles-mêmes à la fois intégration de populations hétérogènes et articulation de cultures multiples. On a vu dans la langue une des grandes figures d'unité nationale: combien de citoyens des Etats-unis ne parIent- ils pas l'anglais? Mais surtout, la globalisation a impliqué des flux migratoires qui ont conduit des populations du tiers-monde à se déplacer vers les anciennes métropoles et qui ont conduit à des sociétés totalement multiculturelles. Toutefois, dans cette situation de multiculturalité première, l'universel se déplace : l'universalité devient la capacité à faire coexister cette multiculturalité interne et non externe. L'élaboration historique de l'humanité ne suit plus le schéma de la pensée révolutionnaire et libérale que l'on voit encore chez Croce: la participation à l'humanité ne passe plus par la médiation unique de la nation parce que toutes les cultures sont liées à l'intérieur même des nations. C'est donc moins de l'unité nationale ancienne que de la capacité d'une formation sociale à intégrer la multiculturalité que naît l'intégration à l'humanité à l'intérieur et l'unité nationale. Et sur la scène internationale, cette intégration à l'humanité se trouve déplacée par la globalisation vers les institutions internationales et les modes de coopération ainsi que vers les règles qui les fixent. Comment faire face aux risques majeurs, comment répondre aux incertitudes. L'espace public n'est plus simplement l'espace de l'Etat national. Les citoyens sont en partie globalisés: on peut écouter AI jazira à Sarcelles ou en Catalogne. La multiculturalité signifie une autonomie de la société face à la trame privée de l'Etat, celle des partis, syndicats mais aussi des médias qui forgeaient l'opinion publique, parce qu'ils sont désormais en concurrence internationale, insérés aussi dans l'écart globalisé entre vies politiques et confessions religieuses, Se forme ainsi un tiers non-étatique mais constitutif de l'Etat. En témoigne la tentative française de former un islam à la française qui neutraliserait pour une part cet effet de globalisation. Cet espace public est traversé par des oppositions hétérogènes, ethniques, linguistiques religieuses, qui quand elles se recoupent dans des communautés fermées, forment la véritable frontière intérieure. Le prOblème est bien

comment éviter que le différend culturel soit aussi un conflit

institutionnel, politique et religieux: comment éviter que les diverses dimensions de l'interculturalité ne se superposent et ne se fondent. L'Etat actuel tend à se dissocier du peuple, comme origine, Et le peuple cesse de s'identifier à une origine commune au génos. On pourrait poser la question de façon provocante : les Turcs qui vivent en Allemagne depuis plusieurs générations sont-ils moins allemands que les Flamands et les Wallons ne sont belges, les Catalans espagnols et les Corses français? Et ce en dépit du droit du sang qui régit encore la nationalité en Allemagne. Les jeunes issus de l'immigration sont-ils moins français que moi qui suis par ma formation professionnelle un philosophe allemand francophone, italien de coeur dans ma culture esthétique et français par carte d'identité? Ils soutiennent jusqu'au chauvinisme une équipe de France de football qui m'est indifférente, et font partie des milieux populaires qui chantent la Marseillaise dans les stades, avant de la siffler le jour où l'équipe de France joue contre l'Algérie. Et voilà une occasion de cerner le problème de l'interculturalité: les jeunes des banlieues françaises sont pris dans des interpellations sociales, dans des allégeances sociales contradictoires. Ils sont français, et sont aussi impliqués de façon souvent fantasmatique dans la culture et dans la nationalité d'origine de leur famille, dans des appartenances ethniques ou religieuses plus ou moins marquées. Et ces diverses interpellations restent contradictoires, sans médiation, sans possibilité d'établir un lien interne et une articulation, parce que ces appartenances sont détachées d'une histoire effective ; la Marseillaise n'est pas tant le chant de l'équipe nationale de football que celui de la révolution française, voire des luttes sociales du 19° siècle. Et cette absence de médiation naît aussi de l'absence de participation active à des activités politiques et interculturelles. Je suis donc loin de partager l'idée de Zizek(4) selon laquelle la multiculturalité n'est que la forme du racisme « à vide» propre au capitalisme globalisé. Les entreprises globales seraient en quelque sorte sans patrie, ni culture propre, elles représenteraient un capital aussi anonyme que mondial, indifférent aux cultures qui ne seraient pour lui que des particularités à coloniser. Cette image me semble profondément fausse. Les entreprises multinationales ne sont pas sans pays d'origine, la preuve en étant la concurrence que se livrent les entreprises américaines et européennes par exemple, et elles n'exportent pas que des biens ou des services, elles exportent aussi une culture, des normes, un savoir-faire qui lie les autres pays. Les entreprises américaines exportent aussi leur droit, puisque on sait que dans la plupart des contrats internationaux, c'est la justice américaine qui est mentionnée comme arbitre. La puissance américaine repose pour une part sur sa capacité à imposer ses schémas culturels et ses normes à l'ensemble du mouvement du capital globalisé Je ne saurais non plus admettre l'argument trivial qui fait du multiculturalisme le simple masque de l'européocentrisme, donc un faux universel masque du particulier; ou comme chez Zizek un lieu symbolique vide ouvert à tous les vents du particularisme. La problématique de l'universalité se déplace aujourd'hui, parce qu'elle suppose un méta-universel : le terrain commun de cultures à revendications d'universalité. Leur coexistence sociale dans des sociétés inévitablement multiculturelles. Si on écoute AI jazira à Sarcelles, on écoute la télé française à Alger. Le rapport à soi d'une culture est désormais nécessairement médié par son rapport aux autres, et cela est interne. Il ne s'agit plus d'emprunts ou de rapports à la marge. Retrouvez l'intégralité de cet article sur www.differences-Iarevue.org (3) Soziologie , Kapitalismus, Kritik, Suhrkamp, 2009, p. 67 (4) The ticklish subject, p. 216 23 En bref '1 rh tf :lt...r ........... rrtmictian desatridJes du ni ~ fil. PlU. ~« lA ... SIRS _ • 101" oemo.trer rapport ~sccilletob!lclt r~ .~... : ..... __ Il traIIIII .... str iii Pr Ply!; BIs : ".,.... .. r.:trt. ..... lt P'/I', pa1i d'ex. Ir.fm..t. !.R.i.te nM 8 sièqes RI' 45 i li I\iyr iIIX éIecti:ns .R.é.u.r.i.o.I.I J[. .... Sll'l$lPJe soit ~ li ~ 00 Sahara ..,..: l'ftI dt 500 morts _ da luHs proYIlq.Iées par des milices eltnques dans le centre .. pays sans cp.It rannée mtrWnne DKtIom....., ",Irak. liste ru ~ lI'IirIistTl Nc:ui AI WaIlIentRt. DKi1deslistes~~ Pln.aIilli..,11 CRAN (ConMI I.a."", _ ciItIMs lIIIinQ de cilqune JIllIII5iIia'Is p:u kItter cotre le ridsmeelle~ CCIIIIIn5: lIIpIrt ... iIctions ~ i IR! ~ dt 4 ft du nwndiIt du prtsiIM: .IIdlamed s.m:i dirI:rd par r~ COII'IIIe 1IIaq1 d'Elal ~ PIIIstInI : D6dIIII ""'iII **'*' 1 600 __ .......... .-sà~et.~liIcokrisatiM. ..... : L'eIcIrW"'1I: Il pri ..... rJCistf et 2rojtoee truIsenI ~ des Slfuges a.,attllllll' bAI * 1-': "'~p/lfillanl. cert1iI5 pays ~ de d'f 5I.f Il t.bIe Il ~ tm par lsrZI (piswa lIIdNit l1(li dIicIirif) 4J bit dt lion polifélationJUléaRCfNP) .....:lIIIriI.r.-.~tIooi ..... --1a,Don __ n MIns ou d'wpein!aa.n iuscIIà ~ ans d'~ des Ifzfts dt rriIi!n ~..,.oe. Charlesm~fII~deN 1WIs: .... iItb. PlI' JwtrnI 0IIM0I l' ..... SIn GoInIII. responyWe de r.-dis PIIIstIIIw ln ma (film lWIt) • MrnInIISes pMstIIIons R II al IdtfOlliln ilU~~ a-. ... Eric lImen du 'rlio!tt1'I!I. fil ~des mesu'tsoelutte CI:II'Itre les filmsd'"1I'fIiIption cIanI:IestiJr oa .......... J.-t .... W.~.lIsiuItmrwillX~ nmsfllll!de Fm:f 1'nIds)llAp CIItN It ...... iIIl'IIWriIII' lR:t ~ reamais:sR:t du_ d'"1jn r.-CJ:IIStiuf au!e115 de la ki CIIf9re:R" ,7 , ............. ..esIlW:ttftdu n.üJnaIsIr ller\U EmQlI' réledion~ en lIiépjIiP~ deChyJn-Na"d~ Cf ...... 95iIIt ....... du ~.-mi- c.....: DKtIn. __ ., IIC1i1111ndts..... lien 1IIUIIb ~ par rachll massl de ~ fi: et dans artainesrfcjonsparlHiIünIdatlInsdt~ s-tdlO·" , :CorUmalllllll*desP!\4lltSSir ........ aMn ~~ .riRltl dulWnas Mort ...... 1IIfInb NIlS à Saky-sI.r-Mamt rm le dI.JrqemmI ~ l'Nie par le p-isidM ['IO.IIcQes ...... : Yott ... rmtrittIDnlll Il ... et il" dw Lourdes .... lJustii trois _ ... priIoII ...... ) peu les les ieu~ IXÜCS lb • rrIt'IlUS » accusk d'Mt iran:fié le oenIft de rétentDJ oe Vinoemes SiNn occWIAtII : F'rtib'qation d'I.II an de la nissm dt l'ONU JcunM krtematIonIIe dt Mtr coot!! le ridsme Mai: NtItIon oentrt l'otmI1un t. IICIIII'.- centnI dt rtt.ntiIa DipIrt dt Il ..a. Pais. des sans~ au WtsntAn'lelot (3() 000 sirjnabn5) tri ........ Il ............. rr.çm. poIX I! ltoiI d'À EtItrUIIIs : Ils ....... atlIs des pin ~ • la pow I.n ar::wtI cIkMt COIIWI'tIn maID ~ 1* la riItI'mf de la s.rté .... ,.. ...... ..",' 5 . ftdewlimlrvm ..,. ......... dl ,...,... il! mn de Iaqld! 1 I! lIostM:I décI.n \aÜ mm ; nUIs de 20% la pop.UIDl P*sIi" ni«rIt*~ GawrtIn.II~ 1 1 l ' GllfiHde~ ftaJiJn ru.:tNft Il Hew '1Irt ....... w. "'_ ~I*I!CoMeId'EIa! _.r~"""'.I1 ......... 1ll11i_ .. Ils ..us ...... » pow I! oeoe. de 'lb ft d'~iIII~ ~=;"~"I!'=== I!ttu aoepth 1* I! PnfrM N'OPé«I en 20oe ~ de la hmle) ..... 1niIIIIInI dans I! sul de la barde de Gaza pris de ..,- Avril : VIsItt ln f'rIIa ....... 1IIkIIstni tIrt ToJMl EnIoQan SOIl5 lM! de ~ -!l'Itr& de la TI,ITIJie dans l'lIE ; JJIdéaR men.IaT.~1a5OWr1~;ftIaPotl! s!iIe, ~ de .Ién.uI!m ft a::twi5.JtDI de la CisP'da'ie EIatriIIis : H '. IIiIM '**' Il III ..:1 J J il de -fNizma {cortr&s au Ids ft aininaIsatbI d!s ~ CrÎIItiDI ...................... SIl" fer'" Ille""'. "'- ,..,... i Grme JIOII' Ils 1I'*iIn" Il !lAC ~ dans la mai d'Haün ~ rnaqé If raRI«I de iii Ctwmis:siCIn l'IltOMIe de Détriotogie de iii Sktm AIIIÎSIaI tJsniI i !'OCDE. ~ ~. I.n l:BIMKIq pow la coJorisatDJ ft cr maqcl les l\'UIiptes résokJtian!, condan'r """'" PrésentatkII GI l4imt ,...,n lmIIi de SOS Hon ...... ~s'"RJJiè!edu~de~SII"IaToi! Nou'ft!I M" CcmeI! fitl!: dHol'o'CIIOIbIt li la loi SIl la tuqa E...- : SuspaIDI ..... iIIItGlr Ginan.nus.! de IdlIiI'catDJ ap-k la pJam de lJtqIt$ ~ WIIemnert 0AXJSés; fowertlRd'1ft itsIn,dion SIl" I! sert des nWn de Rép.tfrains Iisp«us W:ti'oes GlfI1nPsmr

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