Différences n°258 - avril 2006

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Sommaire du numéro

n°258 de avril 2006

  • Edito: la France et son Histoire par Mouloud Aounit
  • Les caravanes brûlent à Saint-Etienne
  • Gens du voyage: leçon de rédaction française, le récit par Marcel Courthiade
  • Dossier: identités, communautés, citoyenneté: actes du colloque organisé par le MRAP {identité]
    • Interventions de Khedidja Boucart, Mouloud Aounit, Catherine Withol de Wendel, Esther Benhassa, **Jean Louis Sagot-Duvauroux, Gilles Manceron
    • Intégrismes, communautarismes et racisme par Horiya Mekrelouf
  • Le MRAP et la mondialisation par Christian Delarue
  • Souscription pour sauver Mumia
  • Tramway en Palestine: Alsthom et Connex complices par E. Benarrosh et R. Le Mignot
  • Bolivie: l'espoir qui nous vient d'Amérique du Sud par R. Le Mignot [Amérique latine]
  • Encart: semaine d'éducation contre le racisme


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MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE LES PEUPLES Identités, communautés, cnovenneté Actes du colloque Organisé par le MRAP le 24 octobre 2005 à l'Hôtel de Ville de Paris MI l'lai Tramway tn Paltst:i~ : A1sthom d Conno oemplim..M ,.. J 2 Sommaire Edito ' International ' Dossier ' Immigration ! Discrimination Education 1 Kiosque Edito Gens du vOyage • Leçon de rédaction française: le récit Dossier: Identités, communautés, citoyenneté • Actes du colloque organisé par le MRAP, le 22/10/2006 à l'Hôtel de Ville de Paris .1 nterventions : Khedidja Bourcart, Mouloud Aounit, Catherine Withol de Wenden, Esther Benbassa, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Gilles Manceron, • Intégrismes, communautarismes et racisme 3 4 6 lléducation à la citoyenneté contre le racisme, un incontournable parcours • Semaine d'éducation contre le racisme: L'éducation contre le racisme, une priorité! • Les mots pour comprendre et agir • Les balises de l'antiracisme .Albums jeunesse: Les coups de coeur du MRAP Mondialisation • Le MRAP et la mondialisation International 13 23 24 • Souscription nationale : 100000 euros pour sauver Mumia .Tramway en Palestine: Alsthom et Connex complices ... • Bolivie: l'espoir qui nous vient d'Amérique Latine Kiosque 28 • Notre sélection ... « Différences» - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 de Mouloud Aounit « Différences " 43, bd de Magenta 75010 Paris Tél. : 01 53 38 99 99 Fax: 0140 40 90 98 6 € le numéro Abonnement: 21 € (4 numéros/an) COllECTIF DE DIRECTION Directeur de publication: Mouloud Aounit Directeur de rédaction (*) : J.-c. Dulieu jcd.miap@wanadoo.fr Responsable productions (*) : S. Goldberg Assistant prod./rédaction (*) : J. Grzelczyk Administratrice (') : M.-A. Butez IMPRIMERIE Impressions J.-M. Bordessoules Téléphone: 05 46 5901 32 Commission paritaire n° 0108H82681 (*) - Bénévoles Edito ! International i Dossier ! Immigration ~ Discrimination ! Education ! Kiosque la France et son histoire La mobilisation citoyenne a eu raison d'un article de loi infamant visant à glorifier les bienfaits du colonialisme. Cette loi, votée le 23 février 2005, appelée à juste titre « Loi de la honte ", offense la mémoire des victimes en légitimant les ravages de ces crimes de guerre que furent les forfaits du colonialisme. Cette loi doit être abrogée complètement. Pourquoi? Parce qu'il est inacceptable que le parlement écrive l'histoire officielle, au mépris de l'éthique des historiens et du respect des acteurs de l'histoire que sont les citoyens, toutes les victimes et leurs descendants. Parce que cette loi veut réécrire l'histoire et relève d'une opération minutieusement préparée pour permettre aux nostalgiques extrémistes de l'Algérie française de nous imposer leur vérité historique et criminelle : - une vérité qui reviendrait, depuis les horreurs de la conquête en 1830 jusqu'à celles de ce qu'on appelle enfin « guerre d'Algérie ", à absoudre toutes les violations des droits des peuples et des droits de l'homme commises par la France ; - vérité du colonialisme qui, pour se justifier, a dénié à des millions d'êtres humains leur égalité réelle avec le colonisateur ; - vérité qui oublie ceux qui méritent à nos yeux respect et reconnaissance, ces hommes et femmes qui ont courageusement, au prix de leur vie, de ce qu 'on appelait le « déshonneur ", osé choisir leur camp : celui de la justice, de la fraternité et de la main tendue à l'opprimé, au déshumanisé ... Cependant, la provocation que fut le vote de cette loi a eu incontestablement un mérite qui doit être apprécié à sa juste valeur : celui d'avoir permis enfin un débat national sur cette plaie ouverte, douloureuse, au flanc de notre République, de rendre désormais urgente l'exigence de sortir de cette histoire tronquée, ethnocentrée, de répondre à la demande de reconnaissance de leur histoire des petits enfants des victimes du colonialisme. Après le reconnaissance officielle du massacre du 17 octobre 1961, après que le mathématicien Maurice Audin, mort sous la torture, se soit vu dédiée une place de Paris, nous devons désormais porter cette revendication de reconnaissance, ce droit à une réparation morale. C'est là non seulement un acte de justice qui concerne les 9,5 millions de nos concitoyens 0 /6 de la population) ayant un lien avec la colonisation, mais aussi une exigence envers l'ensemble de la société car l'histoire des tragédies humaines nous a enseigné que l'on n'a jamais rien construit sur des oublis, des dénis, des mensonges. Les Français ne pourront définitivement tourner cette page sombre de leur histoire sans l'écrire, la lire et la faire reconnaître. « Différences» - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 3 4 1 1 Gens du vOyage Edito International Dossier Immigration Discrimination · Education Kiosque Leçon de rédaction française Marcel Courthiade Pour écrire un récit pertinent vous avez besoin de trois ingrédients: le choc initial, le parcours et la chute. Il ne faut pas non plus oublier de trouver un titre accrocheur, soit avant d'entamer l'écriture, soit après la rédaction du texte. Nous pouvons proposer ici: Habitat ou pas habitat, telle est la question En effet, des consonances insolites attirent l'attention du lecteur potentiel, surtout si le sens est un tant so it peu énigmatique. Il n'est pas mauvais non plus, comme ici, d'imiter le rythme et/ou la stru cture d'une citation célèbre - je propose d'ailleurs à nos nombreux étudiants de trouver un meilleur titre, activité qui se rapproche du brainstorming des publicitaires à la recherche d'un slogan. Mais re venons-en aux trois moments du texte : le choc initial Il est bon de s'inspirer de la réalité, de préférence un événement frappant qui est connu de tout le monde et instaurera un lien implicite entre l'auteur et les lecteurs. Ce deuxième point est même plus important que le premier. Si, par exemple, votre père est mort d'une crise cardiaque en raison de contrôles intempestifs des forces de l'ordre qui le harcelaient parce qu'il avait mis sa caravane sur son terrain privé, acheté à la sueur de son front, cela n'intéresse personne, à part les lecteurs déjà familiarisés avec la question. Si au contraire vous narrez par le détail un assaut de caravane filmé et passé à la télévision dans " Envoyé spécial ", comme lorsqu'il y a trois ans deux cents policiers et gendarmes, avec armes et véhicules, ont encerclé près de Strasbourg la caravane et les baraques d'un vieillard (reconnu innocent et lavé de tout soupçon par la suite, mais cela n'a guère d'importance et en tout cas risque d'entraîner une digression), puis lorsqu'un commando est entré en force à l'aube dans sa cahute, quelques colosses l'ont plaqué au sol alors qu'il te ntait de se lever de son lit, l'ont menotté et menacé de leurs armes avant de le conduire à leur quartier général, là vous avez toutes chances de faire la jonction avec un événement connu du lecteur moyen et d'accroître le succès du récit. Il peut être bon d'agrémenter celui-ci d'éléments provocateurs, par exemple une réflexion sur les frais en deniers publics d'une telle action (tout lecteur est aussi contribuable) ou bien sur l'absurdité de voir le vieillard et les chefs de la police plaisanter ensemble, du fa it qu'ils se connaissaient depuis longtemps et qu'il ne s'agissait en rien d'un individu dangereux. le parcours Cette partie constitue le corps du récit mais elle ne doit pas être trop longue. Dans le cas qui nous intéresse, on peut présenter deux niveaux, à savoir le fait que la caravane n'est jamais considérée comme un habitat légal, ceci étant intégré à un autre niveau, à savoir les multiples discriminations auxquelles sont confrontés les Gens du Voyage, tout particulièrement lorsqu 'ils sont Rroms, Sin tés ou Kalés. Le lecteur aime bien acquérir en cours de lecture un peu d'information, parfois simplement pour satisfaire sa curiosité et briller en société. On peut par exemple glisser entre deux paragraphes que le mot " manouche " signifie ' être huma in , doué de pe nsée " depuis le sanscrit jusqu'aux langues indiennes modernes et que c'est le mot qu'emploient la plupart des Sintés de France pour se désigner en français, ou bien que les Gitans, qui ont acquis ce nom signifiant " Egyptiens" dans la péninsule ibérique, préfèrent s'appeler " Kalés ". Les informations paradoxales ou tordant le cou aux idées reçues sont particulièrement bienvenues, comme le fa it que Rroms, Sintés et Kalés « Différences » - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 descendent de l'élite culturelle, spirituelle et artistique de l'ancienne capitale de l'Inde du nord, Kannauj, et non pas de marginaux plus ou moins pittoresques. Il est toutefois important de ne pas tomber dans le didactique. Pour en revenir au contenu du parcours, il doit confirmer dans la narration le sens du choc initial, mais de manière plus supportable. Sur la notion d'habitat on pourra développer l'idée qu'un mandat n'est pas nécessaire à une perquisition surprise musclée dans une caravane, en évoquant en toile de fond les excès réels et potentiels auxquels cette situation ouvre la voie. On racontera aussi comment les crédits logement sont refusés pour un logement qui n'est pas un immeuble , comment les allocations logement sont refusées pour la même raison, quels sont les problèmes avec les assurances, etc ... mais tout cela avec humour, sinon le lecteur se trouverait projeté dans la vie réelle des Rroms, Sintés et Kalés Gens du Voyage et devant tant de vexations quotidiennes, devant l'inju stice institutionnalisée et déguisée en règlements caustiques , il renoncerait à la lecture. Car le lecteur, lui, a le choix. Il fermerait le livre avant même de lire les difficultés de nos personnages pour trouver un stationnement décent et pour scolariser leurs enfants, même s'ils Gens du vOyage Edito 1 International · Dossier Immigration : Discrimination · Education ' Kiosque ne bougent pratiquement plus depuis des décennies que sur des espaces relativement restreints. Il aurait du mal à accepter que des maires, en situation illégale pour ne pas appliquer les lois sur le stationnement (et d'autres lois à l'occasion, comme sur les logements socia ux) , se fassent les gardiens de cette même loi pour traiter les personnages de notre récit en hors-la-loi. Comme dans la phrase qui précède, on peut avoir recours à la répétition pour scander un mot-clé, " loi ", mais le récit ne doit pas devenir un plaidoyer politique. Le lecteur ne comprendrait pas pourquoi les personnages, lorsqu'ils ont accès à un terrain, se voient relégués dans les zones les plus repoussantes de la commune, loin de tout accès à la vie en commun avec les autres citoyens. Il serait partagé entre, d'un côté, une certaine acceptation du racisme ambiant contre " ces gens-là" car il a entendu des préfets décréter qu'ils voyagent en Mercedes, même s'il voit des attelages tout à fait modestes passer vers chez lui (en réalité, le lecteur étant surtout urbain, son information vient davantage des médias que de son observation personnelle) et, d'un autre côté, de la compassion pour ces familles sans cesse traquées. Toutefois il y a un écueil à éviter : le récit ne doit pas inciter le lecteur à la compassion mais à une meilleure lecture de la société dans son ensemble à travers un domaine spécifique et bien entendu à une réaction pour contribuer à promouvoir la justice (ce qui pose un problème commercial car les livres qui font sensation et jouent sur la compassion mièvre se vendent bien mieux que ceux qui appellent de manière limpide à défendre la justice - simple question de marketing). Il ne faut pas non plus entrer dans trop de détails sur le regard faussé des citoyens, y compris des associations paternalistes, ni sur les divers degrés de manipulation et de basse corruption de toute sorte, car ce serait sortir du sujet, voire s'aliéner la solidarité du lecteur, incrédule devant tant de vilenie - pourtant réelle. Non, il faut centrer le texte sur son objet et par exemple ici élaborer l'idée qu'aucune autorité n'a jamais considéré la caravane comme un habitat avec le moindre des avan- . tages qui s'y rattache. la chute Lorsque l'idée est bien tendue comme une corde qui matérialise la ligne droite et donc la netteté de la situation, alors on peut passer à la chute qui bouleverse tout. Il sera bon de l'assortir d'une phrase -clé , par exemple une citation emblématique lorsque les élus d'un seul et même parti, majoritaires au parlement et donc en situation de dictature du parti, décrètent une belle nuit un impôt sur les caravanes, impôt au mètre carré dix fo is supérieur à ce que prévoit le droit commun, ceci sans la moindre mesure d'allégement fiscal pour les foyers en difficulté. Dans l'argumentation de ce parti seul au pouvoir, mais qui y est parvenu selon les exigences de la démocratie formelle, on mettra en évidence l'élément central, asinien par son caractère de pseudoévidence et en même temps tellement saugrenu que la saine logique a du mal à le démonter, à savoir " vous y habitez, donc c'est un habitat " - ce qui montre bien que les élus en question font l'âne pour avoir du foin. Car n'est-ce pas faire l'âne que de sortir une phrase de tout contexte pour donner l'impression qu'elle est logique et l'utiliser comme bannière de ralliement démagogique et populiste? On rejoint le " je ne veux pas le savoir " qui eut son heure de gloire. On peut terminer par exemple en disant qu'à ce que l'on constate depuis quelques semaines , du foin, ils en ont un peu partout, ce qui donne une pointe d'humour amer pour détendre le lecteur. On peut aussi rappeler à quoi ce genre de pseudo-évidences a conduit au cours de l'histoire, ou encore - et c'est peut-être le mieux - simplement terminer sur la déduction spécieuse " vous y habitez, donc c'est un habitat - payez 1 " en laissant au lecteur, a priori majeur, le soin d'en tirer ses propres conclusions. Les mêmes recommandations sont tout aussi valables pour écrire le scénario d'un film. 5 6 Dossier Edito 1 International Dossier Immigration Discrimination Education Kiosque Nous vous proposons ici la retranscription légèrement remaniée des différentes interventions de ce colloque. Nous faisons appel à votre indulgence s'il subsiste certaines imperfections qui ne sauraient nullement engager les auteurs de ces communications orales. isé À l'heure de la globalisation, les nouvelles formes de migrations bouleversent chez les résidents présents en France de plus ou moins longue date les sentiments d'appartenance individuelles et (ou) collectives et nous obligent à interroger à nouveau la question de l'identité, des identités. Dans un monde dominé par des logiques binaires simplificatrices ne laissant que peu d'espace à l'analyse de la complexité, nous tenterons de décrypter les notions d'appartenance et d'exclusion qui participent à la fabrication des identités (Eux et nous, Immigrés/ de souche, Européens/ extra-communautaires, " du quartier ", de l'extérieur, d'ici ou de là-bas ... ). De la pluralité des appartenances dépend la pluralité des identités. Ni uniques, ni figées, les identités sont le reflet de la diversité et de la vitalité sociale et culturelle d'un pays. Réduire l'individu à une identité unique le figerait et le condamnerait à se réfugier dans " sa " communauté supposée. Ainsi sommé de " choisir ", de hiérarchiser entre ses identités, il se retrouve, du fait du regard de l'Autre, " assigné à résidence" ethnique et (ou) religieuse. A la tribune du colloque parisien. À l'heure où en France se multiplient les phénomènes de frustration, de relégation et de discriminations de tous ordres, la tentation de réponses communautaires constitue un réel danger. C'est pourquoi le MRAP se propose de susciter une réflexion sur: • Les phénomènes qui conduisent à la construction de l'image de soi et de l'Autre (image individuelle ou collective, fantasmée ou réelle ... ) afin de questionner la place et le rôle des représentations politiques et idéologiques. • Les conditions qui permettront de transformer les tentations de repli identitaire et/ou communautaire en démarches originales de citoyenneté active. • Les réponses collectives et individuelles quant aux conditions nécessaires du vivre ensemble. « Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 Khedidja Bourcan Khedidja Bourcart est adjointe au maire de Paris chargée de l'intégration et des étrangers non communautaires. Bienvenue à l'Hôtel de Ville. Quand Mouloud m'a présenté le projet de colloque du MRAP, nous avons tout fait pour que cette initiative puisse se tenir à la ville. Travaillant sur l'intégration, sur les populations étrangères, il était évident pour moi que ce colloque avait du sens. Je ne vais pas faire une très longue intervention mais juste livrer quelques questionnements relatifs aux thèmes de réflexion retenus aujourd'hui: identités, communautés, citoyenneté. L'immigration est très ancienne en France et je voudrais commencer par interroger les termes qui furent utilisés tout au long de ces dernières années pour la dire. Si l'on prend l'exemple des travailleurs venus d'Afrique du Nord, on note que pendant longtemps ils ont été les" travailleurs algériens ". Puis, dans les années 30, on est passé du travailleur algérien au " bougnoule qui travaille à côté de moi ", puis le " raton" dans les années 50 et ensuite les" travailleurs immigrés" à compter des années 70. En l'occurrence, c'est un terme qui m'a beaucoup gênée durant ces années. Nous étions alors nombreux à crier dans les manifestations" Solidarité avec les travailleurs immigrés ", sauf que les trayailleurs immigrés en question, après ces manifestations, ils sont retournés à leur oubli. De travailleurs immigrés on est ensuite passé aux expressions " de la deuxième ", " de la troisième génération " et dans les manifestations on a continué à crier tous ensemble : " Solidarité avec les travailleurs, solidarité avec la 2e et la 3e génération ". Dans les années 80 on est passé à l'expression" beurs ", Dossier Edito International Dossier Immigration ' Discrimination i Education 1 Kiosque " beurettes " et aujourd'hui, de quoi parle-t-on? De musulmans. Ce que toutes ces expressions occultent, au profit du générique, ce sont les identités individuelles. Pourtant chacun a droit à sa propre identité, à sa biographie. Aujourd'hui, on n'ose plus dire les" Nord-Africains ", on dit les " Maghrébins ", c'est tellement plus simple, c'est tellement plus beau et surtout on n'affronte pas le fait que l'on pourrait dire d'un deuxième ou d'un troisième génération: " il est fils d'ouvrier algérien en France, il est fils d'ouvrier marocain en France, il est fils d'ouvrier sénégalais ". On englobe, on fait disparaître même l'identité propre. Cela renvoie à une deuxième question. J'écoutais l'autre jour mes propres enfants discuter en rentrant du lycée et je les entends dire : " Il y a qui dans ta classe? ", " eh ben, il y a les feujs, les oignons-tomates (c'est les Turcs), les rebeus (vous connaissez tous les termes) ". " Mais à quoi tu reconnais un juif' Il a tout de même pas le nez crochu ' ", "Mais maman, ça n'existe plus ça ", " Mais à quoi tu le reconnais? ", " C'est lui qui me le montre " ... C'est dire que l'on se désigne mutuellement par ce type de catégories mais aussi que certains éprouvent le besoin d'affirmer eux-mêmes ce type d'identité jusqu'à se caricaturer. Cela va très loin puisqu'un de mes fils qui a les yeux bleus mais les cheveux très frisés se voit demander, non pas de quelles origines il est mais si il est un " quarteron ". Lorsque je lui ai demandé si ça ne le dérangeait pas qu'on lui ai posé cette question il m'a répondu" Ben non, il faut bien qu'on se repère ". Oui, cela peut faire sourire mais en même temps je trouve que cela doit nous inciter à nous poser un certain nombre de questions concernant notre identité et sa définition. Je ne pense pas que la jeune qui lui a dit" T'es un quarteron" le lui a dit pour l'exclure mais il n'en reste pas moins que c'était une façon de lui dire" Je t'assigne telle place ". Certains finissent même par se dire " Pour trouver ma place, je vais me l'assigner moi-même ". Vous allez avoir toute la journée pour discuter de lcela, je voulais juste vous livrer quelques réflexions à ce sujet. Je vous souhaite bons travaux. Mouloud Aounit Secrétaire général du MRAP « Identités, communautés, citoyenneté, et discriminations : enjeux et défis pour le vivre ensemble". Nous avons lancé hier officiellement, à Grenoble, notre campagne nationale en faveur de la votation citoyenne. Cela fait plaisir, surtout dans le contexte actuel, de lancer cette campagne nationale, cette initiative positive dans laquelle l'immigré n'est ni un objet de rejet, ni une marchandise électorale. A l'heure où des mauvais coups sont portés quotidiennement à l'encontre des immigrés, c'est vrai que se mobiliser pour cette quête de justice, d'égalité, de dignité, de respect et de démocratie qu'est le droit de vote et d'éligibilité pour les étrangers dits" extra-communautaires ", cela fait du bien. Pourquoi le MRAP a-t-il souhaité organiser cette journée de réflexion ? Quatre constats viennent étayer cette démarche: Le premier, c'est que ces sujets de l'identité, de communauté, de citoyenneté, ce triptyque qui comprend bien des déclinaisons et qui, disons le clairement, rassemble des problématiques d'une extrême sensibilité, ces sujets donc sont et resteront au coeur du devenir, non seulement du vivre-ensemble en France, mais aussi du monde. Il y a en effet, à l'échelle de la planète, des réalités qui sont incontournables

il y a aujourd'hui plus de

200 millions de réfugiés, au sens large du terme, qu'ils soient économiques ou politiques alors qu'il y a 30 ans ils étaient 75 millions. C'est dire que ces déplacements de population, qu'on le veuille ou non, modifient, par rapport à la patrie ou au territoire d'accueil, les relations entre les différentes populations, y compris la relation de la personne qui a immigré par rapport à la société d'accueil. Il convient de s'interroger, dans ces conditions, sur la nature de cette cohabitation parfois compliquée, complexe, voire conflictuelle et violente ainsi que sur ce qui en ressort. Comment, aujourd'hui, ce monde, ces sociétés et ces migrations vont-ils structurer le vivre-ensemble? C'est en effet une réalité qui existe bel et bien, non seulement à l'échelle internationale mais aussi à l'échelle locale, chez nous, même si ce " chez nous" doit être entendu au sens large, la patrie française étant une patrie faite de ces populations, de cette mosaïque d'hommes et de femmes qui ont et qui structurent encore l'identité même de cette société. La deuxième chose qui nous a interpellé, c'est que nous savons que, pour ce qui concerne la France, les formes anciennes comme les formes nouvelles d'immigration, quoiqu'on dise et quoiqu'on veuille et quels que soient les propos qui peuvent être tenus par certains ou certaines politiques, bouleversent et bouleverseront encore le sentiment d'appartenance à la fois individuel et collectif. Cette réalité de l'immigration présente et de l'immigration à venir nous conduit à nous interroger sur le devenir d'une idée: " Qu'est-ce qu'être Français? " et " Qu'est-ce que la France dans cette pluralité? ". C'est quelque chose qui a l'air à la fois simple et compliqué, voire saugrenu pour certains. Mais l'une des questions qui se pose par rapport à l'identité même de la France est bien celle de savoir ce que c'est que d'être français. Autre question que doit se poser notre mouvement, que se pose notre mouvement, outre le fait de définir ce que c'est que d'être français, c'est celle de savoir comment la France reconnaît et se reconnaît dans les identités qui sont portées par tous ceux et toutes celles qui ont fait et construit cette société. On touche là à l'idée de connaissance et de reconnaissance dans une logique de réciprocité et c'est là un élément important car c'est une chose de reconnaître les différences, s'en est une autre d'utiliser ce constat comme une arme pour générer une différence de droit (certains idéologues l'utilisent à cet effet). Comment peut-on aujourd'hui reconnaître l'autre dans ce qu'il est dans son histoire, dans son identité, sans pour autant faire de cette différence un outil et un objet de rejet? « Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 7 8 Dossier 1 Edito International ' Dossier Immigration : Discrimination Education 1 Kiosque Enfin, je crois qu'il faut aussi le dire, nous avons un pays, la France, qui est un pays d'immigration, qui l'a toujours été, qui est pour ainsi dire un pays arc-en-ciel. Or cet arc-en-ciel, au demeurant fort joli, ne pétrit et ne modifie pas moins l'identité même de la France. Si je prends par exemple ne serait-ce que la langue française, on sait très bien que sa vitalité, son dynamisme, sa richesse s'est faite, s'est composée de l'apport et des évolutions des autres langues portées et importées par les immigrés. La langue française est aujourd'hui une identité composée plurielle bénéficiant de l'apport des contributions latine, africaine, antillaise, arabe, slave ... J'ai lu une fois un recueil de mots qui sont aujourd'hui des mots courants de la langue française et qui ont des origines diverses tel que, par exemple, « azur" ou « coquelicot " qui sont d'origine arabe. Beaucoup serait très surpris de prendre connaissance de cet état de fait et ce serait à cet égard un travail pédagogique très intéressant à mener que de démontrer que la langue est un phénomène qui se forge et se fonde par l'apport des autres. Pour revenir à l'essentiel, il y a, me semble-t-il, un véritable décalage entre, d'une part, l'universalité des valeurs que la France peut porter, l'universalité des valeurs d'égalité, de solidarité, de reconnaissance de l'autre dans son altérité (c'est-à-dire je reconnais l'autre comme mon égal) et, d'autre part, l'apparition de ce que je pourrais appeler les assignations à résidence en termes de droit, qui fait qu'aujourd'hui, malheureusement, l'égalité des droits n'est pas une réalité pour tous et pour toutes. Nécessairement, ce décalage est porteur d'inquiétude et de crainte envers l'avenir. Je parlais tout à l'heure de la richesse de l'apport de l'immigration. Aujourd'hui, un Français sur trois a un grand parent d'origine étrangère. Et pourtant, notre société souffre aujourd'hui d'un mal qui ne cesse de la tarauder, à savoir les discriminations et la volonté que l'autre n'existe pas, mal qui touche bien évidemment ces immigrés mais aussi leurs enfants, des enfants de l'immigration que l'on continue à appeler « les issus de ... ". Ceux-ci continuent à être considérés et traités comme une sorte de variable exogène, comme si l'identité française et la France dans son identité plurielle ne pouvait pas « intégrer " ces Français qu'on ne considère pas encore comme des Français à part entière. On ne le voit que trop bien dans les domaines du logement, des loisirs, de l'emploi, où ne cessent de sévir les discriminations sans compter d'autres types d'assignations à résidence dans les domaines du sport et du show-business par exemple, mais certainement pas dans celui de la politique. C'est dire qu'il y a bel et bien un paradoxe entre, d'une part, cette richesse, cet apport, cette identité en fusion qu 'est l'identité française et, d'autre part, la relégation, les discriminations dont ont à souffrir les composantes de ces identités. Voilà donc quelques postulats à même d'aiguiller cette journée de travail qui nous attend : il nous faut comprendre et clarifier un certain nombre de mots, de concepts, de phénomènes très compliqués, complexes. C'est dans cette optique que nous avons fait appel à des personnalités ayant beaucoup travaillé dans ce domaine et qui nous ont semblés à même de nous éclairer, de nous permettre d'affiner la réflexion du mouvement, mais surtout de nous fournir des outils pour agir efficacement et ne pas partir dans ces combats, qui sont des combats compliqués avec des répercussions particulièrement importantes, à l'aveugle. Les trois thèmes que nous avons choisi pour notre rencontre d'aujourd'hui - Identités, Communautés, Citoyenneté - sont des problématiques qui ont fait irruption de manière significative dans le débat public, dans l'espace politique, dans la vie quotidienne, mais aussi dans un certain nombre de comportements, y compris même dans un certain nombre de revendications qui s'estiment portées par un contexte spécifique. Il y a des mots, comme « identité ", « communauté ", voire « communautarisme " qui parfois sont simplifiés, utilisés à mauvais escient et qui, dans ces conditions, palticipent à une confusion des esprits qui peut se révéler être porteuse d'effets extrêmement dangereux. Cette confusion peut être soit le fait d'une méconnaissance réelle (on va essayer de clarifier cela aujourd'hui) soit le fait d'une utilisation volontairement erronée des termes en question qui peuvent, dans ces conditions, devenir de véritables armes. C'est ainsi que le MRAP s'est récemment vu taxé de « communautarisme " par certains extrémistes dés lors que nous prenions telle ou telle position sur le racisme qui touche les populations musulmanes. Pourtant, je le répète aujourd'hui, la critique d'une religion, de toutes les religions, y compris l'Islam, est non seulement légitime mais elle participe qui plus est au débat d'idées dont notre société a tant besoin. Mais il y a cependant une différence fondamentale entre la critique d'une religion et les discriminations ou les discours haineux dont certaines personnes sont victimes du seul fait de leur appartenance supposée à cette même religion : il y a la différence du racisme, racisme que notre mouvement a choisi de combattre sous toutes ses formes. C'est ce combat légitime que certains ont choisis de salir en croyant pouvoir qualifié le MRAP de défenseur des « communautaristes ", voire des islamistes. On est là en plein règne de la confusion et de l'amalgame. Si on lit ainsi certains textes de l'UFAL, certaines déclarations d'un certain nombre de gens qui se disent écrivains, on s'aperçoit clairement qu' un certain nombre de ces mots ont été choisis dans le seul but de salir et de faire mal, non dans celui de faire progresser le débat. De même, alors que le MRAP, comme la société dans son ensemble, était tiraillé en son sein par des points de vue divergents concernant la loi sur le port de signes religieux, son positionnement à cet égard a été taxé par certains de soutien inconditionnel au communautarisme. Mal nommer les choses, c'est ajouter du mal au malheur et les exemples que je viens de vous rappeler y participent indéniablement. Encore un mot sur cet esprit dangereux de confusion qui règne en ce moment dans le débat public. Je veux parler ici de la confusion entre communauté et communautarisme. Les communautés existent bel et bien et elles doivent être respectées en tant que telles, c'est-à-dire en tant que volonté d'exister et de s'identifier à un groupe. Il existe de ce point de vue une communauté chrétienne, une communauté des femmes, des communautés sportives, des communautés politiques. On remarquera d'ailleurs à cet égard que, lorsque mille Corses se retrouvent entre eux, on dit : « Tiens, il y a une association culturelle corse ". D'autre part, lorsque deux Arabes ou deux Africains se retrouvent entre eux, on a plutôt tendance à dire qu'ils font du communautarisme. Et puis il y a ce qu'on a vu ces derniers temps, cette terrible pollution mentale qui confond les causes et les effets. Nous sommes dans une société où, on le constate quotidiennement, les gens sont « parqués ". Les discriminations qui structurent aujourd'hui les ghettos avec leur lot d'apartheids sociaux et ethniques poussent les gens vers des lieux de relégation. On crée des poches de pauvreté et ensuite on fait passer le message selon lequel - avec les effets dévastateurs que cela peut avoir sur le terrain - les personnes qui y sont reléguées sont coupables et comptables de ce qui se passe dans ces zones de détresse sociale, économique et humaine. On défend ainsi la théorie pourtant indéfendable selon laquelle si ces personnes vivent ensemble, c'est parce qu'elles le veulent bien. En outre, on oublie souvent ce qui fait le lit du communautarisme, lequel pointe effectivement dans notre société,il ne faut pas l'occulter. Les avancées de ce type de revendications communautaires ou du communautarisme se font sur les reculs de l'inaccès au droit pour toutes les populations. C'est un peu comme le fascisme, comme l'extrême-droite qui avance sur les reculs de la démocratie et de l'état de droit. Là aussi ce qui renferme les gens c'est souvent une réponse que certains essaient de se donner devant une société où, malheureusement, ils ne sont pas reconnus comme tels. Il y a aujourd'hui urgence à réfléchir pour agir et cela pour deux raisons au moins. Dans les semaines et les mois à venir, nous allons entrer dans une période de turbulence politique qui sera celle des échéances électorales. Et tout porte à croire, voire à craindre, que la question de l'immigration sera, pour certains, mise au centre de gravité de la vie politique française. Nous commençons déjà à voir un certain nombre de symptômes avant-coureurs de cette catastrophe annoncée dans la politique menée par le gouvernement. Tout porte à craindre que ces questions d'identité, de communauté, de communautarisme et de citoyenneté, risquent ainsi de se retrouver au coeur de la vie politique française de la même manière que le thème de la sécurité fut un temps utilisé par une certaine frange de la classe politique pour des rai- « Différences » - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - nO 258 - Avril-Mai-]uin 2006 sons purement électoralistes avec les effets que l'on sait. L'autre raison qui doit nous inciter à faire progresser le débat sur ces thématiques, c'est que la négation de l'autre dans ses droits peut être porteuse d'une violence, laquelle peut se muer en violences communautarisantes. Et çà c'est un mal qu'on ne peut pas non plus occulter: si la République n'est pas au rendez-vous de l'égalité de tous ses enfants, on aura dans la cadre de cette future période électorale des gens qui viendront, pour régler une injustice, une discrimination économique, sociale voire même historique, sur le terrain de la concurrence et de la hiérarchie des victimes voire même sur celui de la revendication de droits spécifiques devant leur permettre de rétablir quelques éléments d'égalité. C'est là aussi une préoccupation majeure que nous devons avoir à travers l'examen des thématiques choisies pour notre débat d'aujourd'hui car c'est vraiment là le devenir du vivre-ensemble qui se joue. Cath. Withol de Wenden Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche au CNRS (CERI) et docteur en sciences politiques. Elle est à la fois politiste et juriste et travaille depuis 20 ans sur divers thèmes qui sont liés aux migrations internationales. Catherine Wihtol de Wenden a été consultante pour le CDE (le Conseil de l'Europe) et est l'auteur de très nombreuses publications. « Immigration, identité, et communautarisme ". Je vais simplement essayer de reprendre les termes tels qu'ils ont été proposés pour ce colloque en prenant les choses dans le sens Dossier Edito i International ' Dossier Immigration ' Discrimination , Education 1 Kiosque inverse, en commençant par la citoyenneté, en montrant comment de cette citoyenneté en discussion aujourd'hui, on en arrive à une réflexion sur la place des communautés et ensuite aux formes d'identification, aux processus identitaires dans la société française et plus largement un petit peu ailleurs. La citoyenneté , notamment en France, est le symbole de l'identité nationale. C'est le symbole du contrat social, c'est une citoyenneté qui a été longtemps conçue comme une allégeance exclusive du citoyen par rapport à son Etat, en termes de droit et de devoir (certains aiment bien, aujourd'hui encore, rappeler les droits et les devoirs). Cette citoyenneté a été considérée comme étant, je ne dirai pas « sans saveur ", mais plutôt incolore et on en est donc venu à estimer que, finalement, la dimension de l'adhésion politique et le mythe de l'homogénéité nationale prévalaient sur toutes les autres formes d'appaltenance. Ce modèle citoyen a été largement diffusé par les institutions républicaines, notamment par l'école, par le service militaire, par toute une série d'institutions et de valeurs publiques. Il a ainsi longtemps prévalu dans la façon dont les Français se racontaient leur vivreensemble. On peut donc dire que, de la 3" République jusque dans les années 70, ce modèle de la citoyenneté comme appartenance exclusive a été très fort dans la société française. Ce modèle a commencé à s'effriter à partir du milieu des années 70- 80 sous la pression de différents facteurs. D'une part, et ça a été rappelé tout à l'heure, la citoyenneté française ne peut plus faire l'économie d'un contexte qui est de plus en plus international et qui s'est plus récemment, au tournant des années 90, mondialisé: on est dans un monde qui bouge avec des gens qui entrent, des gens qui sortent, d'autres qui s'installent et cela transforme la façon dont on peut définir l'identité nationale. La mondialisation des migrations a contribué à questionner le modèle de la citoyenneté, à redéfinir et à enrichir aussi ce modèle de la citoyenneté. Ce modèle a été questionné notamment sous la pression des associations antiracistes à partir de la fin des années 70 et du début des années 80. Un certain nombre de gens qui étaient . déjà installés, étant étrangers ou non, ont en effet commencé à poser la question de l'égalité des droits (la marche de 1983 était sous cette bannière) : l'égalité des droits, les discriminations, le respect, la dignité; c'est donc bien qu'il y avait une sorte de fracture dans le modèle citoyen puisque certains avaient le sentiment qu'ils n'étaient pas traités comme l'égalité des droits le définit dans les principes français de la citoyenneté. Cela a conduit, toujours sous la pression associative, à dissocier, notamment autour de la revendication du droit de vote local pour les étrangers, la citoyenneté de la nationalité en disant: « On peut être citoyen sans être national " puisqu'on peut vouloir participer sans nécessairement être un national. Là encore, cela a donné une autre dimension à la citoyenneté: l'idée que ce qui fonde la citoyenneté - c'est un peu le sens de la constitution de 1793 - c'est l'adhésion aux valeurs civiques, c'est la participation plus que le fait d'être un national. Donc deuxième fracture / fêlure dans la définition française de la citoyenneté. Une autre fêlure aussi s'est produite, de façon plus lente mais continue, avec la montée d'expressions multiculturelles. Contrairement à une idée un peu stéréotypée du modèle français - si tant est que celui-ci puisse être considéré comme tel - le multiculturalisme, en fait, a toujours eu pignon sur rue en France, même s'il a été longtemps caché. La France, compte tenu de sa superficie et de sa population, est un pays multiculturel de fait à l'intérieur et ce multiculturalisme, qui s'est exprimé avec les provinces françaises, a toujours été combattu par le pouvoir royal : l'Edit de Villers-Cotteret impose ainsi l'usage de la langue française très tôt par rapport à d'autre monarchies européennes. Il y a toujours une volonté d'unifier en France. Ce n'est pas seulement le modèle républicain c'est l'histoire de la France qui est incluse dans ce mythe de l'homogénéité : on a voulu casser les petits potentats en essayant d'avoir une administration unique comme en imposant le système métrique ou encore une même langue, mais aussi avec l'idée selon laquelle on ne peut pas être bien administré si l'on n'est pas homogène. Bien sûr la période impériale a aussi renforcé cette idée d'unification et on en est arrivé à une sorte de conflit larvé, mais permanent, entre ce modèle unitaire d'une part et la diversité d'autre part. La diversité, les communautés et les communautarismes ont, du fait de cette histoire qui nous structure, très mauvaise presse en France. Parmi les avatars du multiculturalisme ou des formes de pluralisme, il y a eu la façon dont le régime de Vichy s'est appuyé sur les régionalismes contre le modèle républicain. On a ensuite assisté à une mutation des identités régionales avec les mouvements de mai 68 dans leur version régionaliste et c'est ainsi que le régionalisme est passé à gauche. Ce régionalisme continue à être très important: lutter contre le pouvoir central, c'est encore le nerf de toute une série de mouvements souvent mal acceptés par ce pouvoir quand bien même il demeure très vivace. Se sont greffées là-dessus les formes d'expression collectives des immigrés à l'intérieur de cette diversité mal digérée. Cela a contribué à fissurer un peu plus le modèle de citoyenneté. Les formes d'expression multiculturelles, les formes d'expression communautaires ont des statuts assez différents en France ( vous vous rappelez sans doute la réaction du conseil constitutionnel à la définition d'un peuple corse, en disant qu'il n'y a qu'un seul peuple français par exemple) mais en même temps existe toute une série de dérogations au modèle unitaire que l'on peut trouver aussi bien en Alsace-Lorraine qu'en Corse ou encore en Bretagne en ce qui concerne l'enseignement des langues par exemple ou dans les territoires d'Outre-Mer. C'est dire que ce modèle unitaire est déjà fragmenté et, d'une certaine façon, relatif. Le dernier élément de fragilisation de cette citoyenneté unitaire est « Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 9 la Dossier Edito International ' Dossier ' Immigrat ion Discrimi nation Education ' Kiosque la fragilisation de l'Etat-Nation luimême, L'Etat-nation, qui a été considéré très longtemps en France et dans d'autres pays européens comme instance suprême de contrôle, de décision, est fortement remis en cause par l'immigration et notamment par les flux transnationaux de populations et leurs activités qui traversent largement les frontières : activités économiques et culturelles, regroupement familial, migration matrimoniale, etc", Ce sont là toute une série de forces qui transgressent les frontières et qui questionnent l'Etat-nation dans sa capacité à les contrôler. Finalement on constate très souvent en matière de flux migratoires que ceux-ci sont plus forts que les Etats, Ces flux contribuent ainsi à fragiliser le mythe de l'homogénéité nationale qui est l'un des aspects importants de la citoyenneté à la française, On aboutit ainsi à une fissuration de l'Etat-nation et à une autre définition de la citoyenneté portée notamment par les associations de l'immigration qui ont, dès le milieu des années 80, défini la citoyenneté comme plurielle. Ce ne sont pas seulement les associations qui sont à l'origine de ce thème de la citoyenneté plurielle mais aussi toute une série d'intellectuels, d'universitaires qui, un peu partout dans le monde, ont commencé à réfléchir sur le fait que finalement la façon dont on se définit par rapport à son Etat peut être différente de la façon dont on se sent citoyen local, citoyen régional ou citoyen supranational. Il y a donc des formes d'allégeance, d'identification qui sont différentes selon l'entité politique à laquelle on se réfère, avec des intensités variables. C'est ce que dit, par exemple, quelqu'un comme Joseph Weiler quand il essaie de définir la citoyenneté nationale par rapport à la citoyenneté locale ou la citoyenneté européenne. Donc des variations d'intensité des allégeances diverses définissent aujourd'hui la citoyenneté, elle aussi plurielle. Elle est vécue de diverses manières tout en étant à l'intérieur d'un vivre-ensemble qui est celui dont font l'expérience les migrants et leurs enfants dans les Etats où ils vivent avec tous les bémols qui ont été dits tout à l'heure et notamment les discriminations. Cette citoyenneté est plurielle car aujourd'hui on peut être citoyen ou se sentir citoyen tout en étant éventuellement étranger si on a le sentiment de participer aux affaires de sa commune. On peut être citoyen en ayant une religion qui n'a pas pendant longtemps été représentée comme telle au sein de la société française (les débats que l'on a eu depuis les années 87 sur le droit de la nationalité posaient en filigrane la question de savoir si on pouvait être français et musulman). Par la suite a également été questionnée la citoyenneté plurielle en tant que telle puisque existent des personnes qui ont des allégeances multiples tout en se sentant citoyens. Un phénomène qui se développe beaucoup, en France mais aussi dans beaucoup de pays européens, avec les migration est le phénomène de la double nationalité qui est le fruit de cette mobilité mondialisée (puisque la plupart des pays d'accueil font une place croissante au droit du sol, y compris dans les vieux pays du droit du sang). Le plus souvent, ces personnes sont citoyens du pays où ils vivent mais ils se sentent également citoyens de leur pays d'origine. Esther Benbassa Esther Benbassa est directrice d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Sorbonne, et titulaire de la chaire d'histoire du judaïsme moderne. Elle met actuellement sur pied, avec jeanChristophe Attias, une semaine de lutte contre les discriminations intitulée « Le Paries) du vivre-ensemble» (19-26 mars 2006), dans la continuité de la grande journée de débats qu'ils avaient tous deu.'C organisée, en mai 2004, sur «juifs et Musulmans. Une histoire partagée, un dialogue à construire» et dont les actes paraissent en mars 2006 aux éditions La Découverte. « I.e repositionnement des identités à l'ère de la mondialisation

du communautarisme au

nationalisme diasporique » Même si je suis professeur d'histoire juive, je ne vais pas vous parler des Juifs en tant que tels, mais d'un modèle qui reste ancré encore dans la mémoire de la République, le modèle juif conçu comme le modèle d'assimilation ou d'intégration parfait. Quand nous, historiens, regardons ce modèle, nous sommes tentés d'en sourire, parce qu'il y a eu dès le départ un décalage entre ce que la République voulait et ce que les Juifs euxmêmes ont fait de ce modèle. Lorsque les Juifs accèdent à la citoyenneté en 1790-1791 (deux dates, parce qu'on a tout d'abord octroyé, en 1790, la citoyenneté aux seuls Sépharades de Bordeaux parce qu'on les croyait« moins juifs" que les Juifs alsaciens (1), ou tout au moins moins visiblement juifs que les Juifs de l'Est, lesquels ne sont devenus français qu'en 1791), ils voient là un véritable cadeau de la République. N'oublions pas que les Juifs ont depuis longtemps développé des stratégies diasporiques qui leur permettent de s'adapter aux régimes sous lesquels ils se trouvent. N'ayant nulle part où aller, ils n'avaient pas d'autre possibilité que celle de l'adaptation. Par ailleurs, il y a, dans le droit juif, un principe intangible, quoique d'interprétation variable, qui dit : « La loi du pays est la loi ". Ce n'est donc pas un hasard si, aujourd'hui encore, dans les synagogues, on prie pour les dirigeants de l'État, que ce soit Mitterrand ou Chirac. Cela ne traduit pas une obéissance pure et aveugle, mais cela fait partie de cette stratégie d'adaptation dont les réminiscences sont ces prières. Dans le même temps, les Juifs du XIxe siècle tendent à penser que les valeurs de la République se confondent avec leur propres valeurs bibliques. C'est ce qu'on va appeler le « franco-judaïsme ". Reste que l'intégration des Juifs ne prendra pas moins d'une centaine d'années. En effet, même si nous avons l'habitude d'entendre que les Juifs étaient d'ores et déjà intégrés au début du XIXème siècle, cela n'est pas tout à fait vrai. L'intégration est un long processus que l'on a trop tendance à réduire, pour ce qui concerne les Juifs, à quelque chose de fulgurant. Les Juifs, en reprenant et en adaptant les valeurs de la République, en les faisant leurs et en proclamant que « Liberté, Egalité, Fraternité " sont les valeurs de la Bible, ont fait cette sorte de compromis qui consiste à conserver son identité juive (tout en confinant l'exercice du culte dans le domaine du privé) parallèlement à l'acquisition pleine et entière de la citoyenneté, C'est dans cette mesure que l'on ne peut pas parler d'assimilation en ce qui concerne les Juifs de France : il y a bien eu assimilation des valeurs de la culture du pays d'accueil mais également conservation de l'identité juive. Contrairement à ce qui se passait alors en Allemagne, en Autriche-Hongrie, où les juifs étaient obligés de se convertir pour accéder à des postes importants (Gustav Malher se convertit tandis que Heinrich Heine choisit d'immigrer en France), en France, les Juifs n'ont pas besoin de se renier en tant que Juifs . Ainsi, par exemple, Fromental Halévy, l'auteur de l'opéra « La Juive ", très connu à son époque, n'a pas eu besoin de se convertir pour devenir directeur de l'Opéra de Paris. C'est notamment pour cette raison que la France est alors un pays d'implantation privilégié pour les artistes juifs tels que le musicien Meyerbeer et d'autres. Il convient à ce propos de noter que nous sommes aujourd'hui passé à une autre étape qui est celle de l'affaiblissement des valeurs de la République (auxquelles les Juifs croyaient) et de la revendication d'identités différenciées

cela est valable non

seulement pour les Juifs mais aussi pour les Arabo-musulmans ou encore les Noirs. Nous sommes aujourd'hui entrés dans l'ère des identités revendicatrices. Cela n'est pas du tout spécifique à la France puisque chacun sait que l'ethnicisation des rapports, aux ÉtatsUnis, est une réalité déjà ancienne. Cette évolution, qui n'est pas seulement le fait du multiculturalisme, est responsable de l'émergence d'une certaine forme de concurrence des mémoires et de concurrence victimaire. En France, cette tendance est contemporaine de l'affaiblissement des valeurs de la République, lesquelles ont été remplacées par des valeurs propres à des communautés imaginaires que l'on a alors commencé à créer. Ces communautés imaginaires, ce ne sont pas seulement les Arabo-musulmans mais aussi les Juifs. On imagine que l'on va trouver dans son groupe des valeurs « Différences » - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 perdues par la République, que son groupe est plus égalitaire, plus libre et plus fraternel. Ce type de repli n'est pas absolument inédit. Les paroles de Clermont -Tonnerre, avant de donner aux Juifs la citoyenneté, étaient claires. Tout donner aux juifs comme individus mais rien comme nation. Et s'ils refusent, qu'on les bannisse. La peur du « communautarisme ", elle non plus, n'est donc pas nouvelle. De même, la tendance actuelle à refuser le positionnement religieux sur l'échiquier sociopolitique, alors que l'on met dans le même temps et contradictoirement l'accent sur la religion, n'est pas non plus un fait inédit. En 1808, Napoléon ne créait-il pas, pour les Juifs, les premiers consistoires? Qu'est-ce que fait la République aujourd'hui? À vrai dire la même chose. À savoir, par exemple, le CF CM (Conseil français du culte musulman) pour les Musulmans. Le CFCM est vraiment calqué sur le modèle du consistoire central créé en France au début du XIxe siècle, puis des consistoires départementaux. On a repris ce modèle pour créer le CFCM au moment même où l'on faisait la guerre au voile, au communautarisme, etc. Pourtant, le lien avec sa communauté d'origine n'est pas toujours du « communautarisme ". Mais aujourd'hui on tient visiblement à nous faire peur avec cela. Prenons l'exemple des Juifs. Dans l'entre-deux-guerres, il y avait en France plus de 200 sociétés d'originaires fonctionnant comme des organismes d'entraide, quelque 133 organes périodiques en yiddish. Les immigrés juifs qui arrivaient à cette époque se tournaient spontanément vers leur communauté, lisaient leurs journaux en yiddish pour apprendre, par exemple, comment inscrire leur enfants dans les écoles, quelle école était la meilleure, comment demander des papiers, où aller les demander, comment remplir tel ou tel formulaire. De ce point de vue, le lien avec la communauté a été pour les Juifs un moyen d'intégration et d'ascension sociale. Aujourd'hui, je crois néanmoins que le communautarisme se manifeste d'une manière différente et que, dans certaines couches de la société, on constate effectivement un certain repli au sein de communautés « imaginées ". Mais cela ne correspond nullement au repli communautaire tel que l'État Dossier Edito : International ' Dossier f Immigration ! Discrimination Education : Kiosque français se le figure. On assiste en réalité cruellement à l'apparition d'un nouveau communautarisme, qui peut être dénommé « nationalisme diasporique ", à savoir un communautarisme transnational, au-delà des frontières. On n'appartient plus seulement à sa communauté, on imagine par exemple que l'Islam est un espace qui rassemble, unit tous les musulmans du monde. Nous avons ainsi vu, lors des débats sur le voile, les Sikhs du monde entier manifester contre la loi anti-signes religieux. A l'ère de l'Internet et de la mondialisation, le communautarisme, ce n'est plus se réfugier dans sa propre communauté, à Sarcelles ou à Bagneux, mais dans un groupe imaginaire de dimension quasi planétaire. Ainsi, un Juif en France considère qu'il fait partie d'un judaïsme mondial dont les marqueurs identitaires sont, pour beaucoup, Israël et la mémoire de la Shoah. De même pour les Arabo-musulmans, l'identification aux Palestiniens a été le foyer de rassemblement d'une communauté imaginée. L'attitude des Palestiniens, l'idée de leur lutte, permettent en quelque sorte de recouvrer un honneur perdu. Ils donnent l'exemple de ceux qui se battent pour obtenir leur indépendance. Et pourtant, les Palestiniens se moquent des Maghrébins, les Maghrébins se moquent des libanais, les Libanais se moquent des Palestiniens, etc. Cette unité est donc complètement imaginée. Et en France ce nationalisme diasporique transnational a permis d'occulter les distinctions qu'il y a entre Tunisiens, Égyptiens, Marocains, Algériens etc. De même, l'Islam devient lui aussi facteur d'unité rassembleuse et porteur de valeurs que l'on considère que la République a perdues. En réalité, elle ne les a pas toutes perdues mais elles se sont affaiblies ou transformées, à l'image de la laïcité qui, telle qu'elle est revendiquée par certains de nos jours, n'a plus rien à voir avec la loi de 1905 mais est plutôt une forme de laïcisme fondamentaliste incapable de faire oeuvre rassembleuse. Autre point important, ce phénomène des communautés imaginées est renforcé par les discriminations, le désamour ressenti, vécu au quotidien. On me dira: « Mais les Juifs ne sont pas discriminés! " Certes. Et pourtant, l'antisémitisme n'estil pas réapparu autour du conflit israélo-palestinien ? Non pas seu- , lement l'antisémitisme venant des milieux arabo-musulmans, lequel a focalisé toute l'attention, mais aussi le vieil antisémitisme latent qui a trouvé à nouveau à s'exprimer en cette occasion. Là encore, on assiste au même phénomène de repli. C'est sans doute regrettable, mais aujourd'hui, force est de constater que le communautarisme n'est pas toujours un rejet de l'Autre mais plutôt un « ça va mal, restons entre nous ". Dans toute l'histoire du dernier siècle et demi les Juifs ont participé aux mouvements socialistes et communistes (même s'ils n'en furent pas les fondateurs, ils ont été nombreux dans tous les combats socialistes, bolchevistes, trotskistes etc.). Ils ont de même tenu un rôle important dans la lutte contre les discriminations antiNoirs en Amérique. Aujourd'hui, la situation est tout à fait différente. Pourtant, il ne faut pas seulement interroger l'existence des communautés. Il faut aussi et surtout interroger les stratégies de l'État à cet égard. Pourquoi, par exemple, créer le CFCM en pleine montée de laïcisme ? L'État, qui a besoin d'interlocuteurs, joue aussi de la contradiction entre laïcité et religion en mettant soudain l'accent sur l'aspect religieux des groupes, mais, ce faisant, il retrouve un modèle qu'il connaît, à savoir celui des consistoires. Les consistoires ont été créés pour contrôler l'intégration, pour que l'intégration soit menée à bien. C'est tout à fait nouveau que le Président de la République reçoive aujourd'hui le Grand Rabbin de France. Au XIXème siècle, sa fonction était simplement honorifique. On discutait avec les consistoires. En 1905, ceux-ci étaient devenus des associations cultuelles, ce qui a permis l'émergence de groupes restés jusque-là en marge du judaïsme orthodoxe. C'est alors que le judaïsme libéral a pu s'implanter officiellement en France. Le consistoire n'ayant plus la force de dominer non seulement la société juive mais aussi le culte, il y a eu une libéralisation du religieux en France (alors que le mouvement libéral existait en Allemagne depuis le début du XXe siècle). En France, il n'a été officialisé qu'en 1905. Tout ce retard accumulé est lié au fait que le consistoire contrôlait les écoles, l'éducation, l'intégration, etc. Pour revenir au CFCM, dont le mo~èle est le consistoire, il permet à l'Etat de regarder l'Autre comme membre d'une confession et lui donne l'impression de pouvoir contrôler ce groupe confessionnel en disposant d'un interface. L'État croit toujours que l'interlocuteur approprié est l'interlocuteur religieux. Il est clair que tant que la France fera un blocage sur ses propres obsessions que sont le foulard, le laïcisme, etc. , il ne faut pas s'attendre à ce que ces nationalismes diasporiques soient affaiblis. Comme je le soulignais tout à l'heure, nous sommes à l'ère de l'Internet et ce diasporisme, ce nationalisme diasporique sans frontières correspond de ce point de vue parfaitement à nos moyens de communication. Internet, qui ne connaît pas de frontières, peut permettre de réunir tous les Musulmans, tous les Juifs du monde, au travers de sites associatifs et autres. C'est là une évolution inévitable. La mondialisation a donné au communautarisme un autre visage, un visage qui n'est plus national et cela, il faut le reconnaître. Cette évolution crée la crainte et cette crainte alimente, du côté de l'État, une sorte de vision décalée, non conforme à ses propres critères, à son propre imaginaire de la nation. La nation française aujourd'hui est plurielle. Je n'appellerai pas cela « multiculturalisme ", parce que le multiculturalisme n'entre pas dans nos processus républicains. Aux États-Unis, le multiculturalisme, avec ses défauts et ses qualités, fonctionne parce qu'il a une histoire. Un Noir en Amérique se dit américain. Un Musulman se dit américain. Quand vous parlez avec un Musulman américain, il vous dit: « je suis américain et musulman ". Esther Benbassa Jean-Chlistophe Attias LES J~IK~ UN AVENIR? JCLallès « Différences» - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 Il 12 Dossier Edito 1 International 1 Dossier 1 Immigration ' Discrimination 1 Education ! Kiosque Cela n'est pas possible dans notre système à nous, dans notre acception de l'Autre, dans notre vision de la nation, parce que celle-ci reste imprégnée d'un jacobinisme totalement imaginaire (dans la mesure où, aujourd'hui, il ne fonctionne plus). Je ne parlerai pas non plus de pluralisme, puisque le pluralisme est l'étape ultérieure de l'acceptation de la pluralité. Mais c'est aussi parce que cette pluralité n'est pas acceptée qu'il y a décalage entre ce que les groupes dits " minoritaires" ressentent et ce que l'État voit. A cela il faut ajouter le fait que ni le colonialisme ni la décolonisation ne sont encore entrés dans la mémoire collective. Celle-ci est orpheline, orpheline d'une foule de mémoires. On ne pourra accepter cette pluralité si on n'intègre pas dans la mémoire collective les différentes mémoires qui sont à même d'insuffler à ceux que l'on appelle encore " les enfants de l'immigration" le volontarisme qui viendrait du fait qu'ils se sentiraient Français même si les discriminations ne disparaissaient pas du jour au lendemain. Mais nos manuels scolaires, la radio, la télévision, les entreprises ne donnent pas la place qui convient aux minorités qu'on appelle aujourd'hui " visibles " (c'est encore un mot nouveau mais les mots parlent de l'évolution d'une société et il ne faut pas toujours les connoter). Quand vous parlez aux enseignants, que vous leur dites " écoutez, nous sommes en train de faire un livre sur l'enseignement du fait religieux parce qu'on n'a pas d'autres possibilités pour créer des passerelles à l'école ", les professeurs d'histoire vous répondent : " Mais si, nous étudions les différents groupes. On fait les Hébreux. - Mais les Hébreux, ce n'est pas les Juifs. Après les Hébreux, il y a eu encore 2500 ans d'histoire ... - Mais on fait la Shoah ... " Pour l'Islam, même type d'échange: " On parle de la naissance de l'Islam - Mais les ancêtres de vos petits musulmans en classe, après la naissance de l'Islam, après le VIIème siècle, qu'est-ce qu'ils ont fait ï Vous leur parlez de cela ï " Est-ce que, par exemple, on a déjà emmené des élèves dans une mosquée en visite de classe? On peut aller dans une mosquée, dans une synagogue, dans une église, pourquoi pas? La religion est pourtant bien un fait de civilisation. Les enseignants se sentent mal à l'aise dans la mesure où ils sont souvent réticents à enseigner sur ces questions ce que les programmes mêmes imposent. Et en même temps, on se plaint qu'il y a des communautarismes. Or cet enseignement du fait religieux pourrait servir à rapprocher les groupes, en développant une connaissance réciproque des petites choses du quotidien. Mais en réalité on est bien loin de cela et on a de surcroît des lois qui font de l'Autre un étranger parce qu'il n'est pas intégré dans la mémoire collective. On ne peut pas dans ces conditions exiger un entrisme volontariste dans la société de ceux à qui on reproche de ne pas s'intégrer. J'ai passé l'année dernière en Hollande où j'étais invitée par un centre de recherche. Là-bas aussi, leur modèle de tolérance a échoué parce que la tolérance était de l'indifférence. C'était la " pilarisation ", chaque pilier devait vivre côte à côte, mais pas ensemble. Quand l'Islam est arrivé (avec les Marocains et les Turcs), la " pilarisation " n'a pas fonctionné non plus. Quand les Marocains et les Turcs sont arrivés, on leur a dit : " Nous, on ne vous a jamais colonisés. Donnant, donnant, on fait telle chose, et vous, vous faites telle chose ". Cette idée qu'il y a deux parties qui doivent toutes deux collaborer, être ensemble dans la nation, nous est étrangère à cause de cette culpabilité que nous avons de la colonisation, que nous n'avons ni digérée ni réglée. Alors nous ne pouvons rien demander, mais comme nous n'avons pas assez à donner, alors nous sommes toujours dans la contradiction. Je crois que personne n'a de recettes à proposer. Il faut commencer par faire des constats. Il faudrait aujourd'hui que nous révisions notre vocabulaire, que nous transformions notre vision des groupes. Notre peur d'ethniciser les groupes fait que nous les voyons comme des groupes religieux. Depuis Vichy, l'ethnicisation est en France un véritable problème de perception. Bien sûr, on connaît les dérives et les délires auxquels l'ethnicisation a donné lieu. Néanmoins, le fait de ne pas pouvoir ethniciser nous met en position de ne pouvoir considérer l'Autre que suivant sa religion, même si cela est infirmé par le réel. Les gens ne viennent pas avec leur religion dans leur sacoche pour dire : " Voilà, moi je suis Musulman, toi tu es Juif ". On ne vient pas seulement avec sa religion, avec la relation qu'on a avec Dieu, la relation qu'on a avec sa spiritualité. La perception religieuse de l'Autre a naturellement trouvé à s'exprimer dans cette islamisation de l'imaginaire apparue après le Il septembre. On a alors fait un amalgame islamisme/ terrorisme/ musulman qui aujourd'hui sert à occulter certains problèmes économiques, sociaux et autres. Ce n'est pas dans la peur que l'on va échapper au communautarisme. Je crois qu'il y a, de part et d'autre, un effort à faire et nous devons aussi sortir de la " victimité ", de la concurrence mémorielle qui nous menace pour les dix années à venir. Reconsidérons tout cela et essayons de sortir de la " victimité ". C'est ce que je reproche aux " Indigènes de la République ", à certains d'entre eux du moins. Ce qui me gêne, c'est qu'on n'exige pas des choses et qu'on soit seulement dans cette " victimité ", dans cette lamentation, que tout va mal, que l'on n'a pas donné, que l'on n'a pas fait ... Il faut peut-être sortir de cela et essayer d'exiger du positif. Mais dès que l'on parle discrimination positive ... " ... Ah, c'est mauvais, ça, c'est américain ... " C'est pourtant bien l'affirmative action, en Amérique, qui a permis aux femmes, aux Blacks et à bien d'autres groupes d'accéder à l'Université, à des postes importants, etc. D'ailleurs je tiens à vous dire que si l'État, lui, refuse ce type de processus, le capital a pour sa part très bien saisi l'intérêt qu'il pouvait tirer de la pluralité, il a très bien compris que l'élite française est essoufflée, qu'il y a une élite gagnante à préparer pour faire tourner les affaires, que la France est plurielle et que cette pluralité de la France peut devenir un atout. La question n'est pas de savoir si cette pluralité existe. C'est une réalité et une spécificité française. Mais la question est plutôt: qu'en faire ? Je crois qu'il est temps d'accepter aujourd'hui qu'il y a un repositionnement des identités et que ce n'est pas nécessairement négatif. On peut aujourd'hui être citoyen français tout en conservant sa spécificité, sa richesse, sa culture. (1) - Pour Voltaire, le Juif patfait est le Juif espagnol de Bordeaux et de Bayonne. 1. -louis SagOI-Duvauroux Jean-Louis Sagot-Duvauroux est Président de l'association d'éducation populaire « Citoyenneté jeunesse)) et membre du Conseil scientifique de l'IDRP (Institut de documentation et recherches sur la paix). Il est très impliqué dans la vie artistique du Mali où il a notamment créé la compagnie Plomba. «Jeunes, Noirs et Français ". Je suis arrivé au Mali pour la première fois en 1972 et je m'y suis marié. J'ai donc un pied sur les deux continents. La question retenue pour le débat, "Jeunes, Noirs et Français ", est une question qui me concerne familialement, à la fois de par mes nombreux neveux et nièces mais aussi de par mon fils, directement concerné par cette problématique. Je crois que pour comprendre la situation d'une partie de nos enfants, il faut se souvenir d'un fait massif, dont on se souvient mais qui reste dans l'imaginaire vraiment en deçà de ce qu'il a été dans l'histoire humaine. Nous sommes dans la continuité d'une guerre mondiale de 500 ans qui a commencé à la fin du XV siècle, début du X\W, lorsque l'Europe Blanche a commencé à conquérir l'ensemble de la planète. Ce fut un début fulgurant avec la conquête de deux immenses continents, l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud, et le ravage concomitant, presque immédiat, de l'Afrique subsaharienne pour peupler en travailleurs ces immenses territoires conquis. Cette histoire a connu un moment très important à la fin du XIxe siècle lorsque le Congrès de Berlin entérine la domination politique du monde occidental sur l'ensemble de la planète. La guerre a été cette guerre mondiale qui ne dit pas son nom, la Première Guerre Mondiale étant en fait une guerre " Différences " - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 MOUVEMENT CONTRE LE RACISME ET POUR L'AMITIE ENTRE LES PEUPLES Toi el moi (( moi elles aulres JJ eux el nous ... Du rejet à l'accueil, les questions relationnelles et leurs multiples déclinaisons individuelles et sociales sont une préoccupation récurrente pour tout militant antiraciste. L'actualité de ces derniers mois en France, inédite et violente, a placé la jeunesse au coeur de ce débat. Prévention, éducation, répression ... Une réflexion fondamentale qui ne peut es • 21 MARS.2006 : _ MC)HI)IAIE DE UInt CONTIIE 11_ échapper au MRAP ! La SECR 2006 (Semaine d'Education à la Citoyenneté contre le Racisme) sera une de nos réponses, à hauteur d'énergie, pour tous les comités et fédérations qui, par dizaines, à travers la France, s'investiront comme chaque anoée autour du 21 mars, journée internationale contre le racisme. Ethique et tactiques, au plus près des problèmes et autant que possible! la SECR il Une équipe attentive au choix de documents adaptés à ce moment fort de l'activité militante. Des milliers d'envois au départ du siège, 43 bld de Magenta à Paris : affiches, dépliants, presse-jeunesse, expositions ... la SECR il Des centaines d'animations antiracistes imaginées et tenues localement, dans tous les lieux où se joue l'édu- 21 mars 2006 cation, dès le plus jeune âge : écoles maternelles et élémentaires, collèges, lycées, clubs de sports, centres sociaux, musées et mémoriaux ... la SECR il L'écriture de chartes, de sketches, de chansons, de poèmes ... du théâtre de rue et du théâtre tout court, des films, ateliers-dessin, concours, débats ... la SECR il Elle ne peut suffire aux ambitions et projets nécessaires " au bien vivre ensemble ". La SECR, c'est aussi un amont et un aval, un patient travail à l'année et au fil des ans, pour porter le message d'une réflexion partagée : - Comment favoriser l'émergence d'attitudes respectueuses de la diversité ? - Comment briser les duels d'affrontements identitaires ? - Comment insuffler une idée fondamentale pour la paix sociale, hors racisme et discriminations, celle des identités multiples qui cohabitent en chacun de nous, forgées et enrichies au contact des autres? la SECR en mars 2006 il Participez à cette équipée ! Les baliseurs de l'antiracisme vous attendent ! Pour tout renseignement : secteur éducation, fax: 01 40 40 90 98 (M. Butez), mail mrap. education@fr.oleane.com, permanence téléphonique le mercredi de 14 heures à 18 heures: 0153389992. Evelyne Verlaque et l'équipe du secteur Education Semaine d1éducation contre le racisme i Education Edito ' International : Dossier : Immigration ' Discril1lination 1 Education : Kiosque Semaine d'Education Contre le Racisme (SECR) C'est dans les lieux de vie des enfants et des jeunes qu'il importe avant tout de diffuser notre message antiraciste: quelles valeurs universelles, parties prenantes des Droits de l'Homme, devons-nous partager pour que chacun trouve sa juste place, à égalité de droits? Réfléchissons ensemble! Adaptons nos réponses à chaque circonstance: école, sport, loisirs ... • Dep'uis plus de vingt ans, le comité de Toulouse (31) organise un concours de dessins et ële poésie à destination des élèves de classes maternelles, et de leurs aînés, en écoles primaires et collèges. Dès le plus jeune âge Proposer, dès la petite enfance, une réflexion amicale, y compris sous forme ludique, peut donner le goût du dialogue et concourir au respect de l'autre. Pour les petits et pour les grands ... Des programmes inter-culturels, à travers toute la France ... Dans le Nord, la galère des migrants, ateliers artistes et improvisations ... Dans le Sud-Est, à Fos-sur-Mer, petits courts métrages et micro trottoir. .. Dans le Sud-Ouest, a Perpignan, l'art aux couleurs de l'antiracisme ... •• Les voyages du lion Chaque année depuis 2004, les voyages du lion entraînent enfants, adolescents et artistes audelà des préjugés sur les chemins de l'amitié entre les peuples. Dans les bagages de cette équipée, un univers pictural multiculture! créé par Eric Tournaire met en scène trois animaux d'Afrique dotés de la parole, Lion, Caméléon et Pintade. Un Lion en Chine 2005. La sympathique équipe des dessinateurs. '1 • photo: A. Luzy En 2006, plus d'un millier de jeunes sont inscrits aux concours d'écriture et d'arts plastiques. Lors de la SECR, un jury choisira une nouvelle histoire pour un nouve! album. Pourvu que la grippe aviaire ne cantonne pas Pintade en centre de rétention! Renseignements : MRAP, BP 30 251, 13747 Vitrolles cedex. Pour tout ren,seignement, contacter le secteur, education du Mrap 1 mrap.educatiof'!@fr.oleane.com Permanence: téléphonique le mercredi de 14 heures à 18 heures t Tel. : 01 53 38 99 92 Education Edito l International ! Dossier ' Immigration ! Discrimination 1 Education ! Kiosque Solidaire des famiiles sans papiers, une mobilisation intergénérationnelle, jeunes en tête ! La SECR est un moment fort pour clamer le droit aux études: la place des enfants et des jeunes, mineurs ou majeurs scolarisés sans-papiers est dans les écoles, les collèges, les lycées. Dany, jeune réfugié rwandais, est élève de terminale au lycée Victor Duruy de Mont-de-Marsan (40). Comme sa mère, Eveliane, il risque une expulsion, qui, outre le danger encouru, briserait ses espoirs d'études. Le « comité du bracelet vert ", chaîne de solidarité exemplaire, réclame une solution humanitaire et immédiate. Emilie, une des animatrices de cette action d'envergure, a été la plus jeune déléguée à la dernière assemblée générale du MRAP (décembre 2005). Les enfants du voyage Le voyage des enfants tziganes vers la scolarisation est souvent semé d'embûches et l'égalité des chances vantée par les programmes officiels peut rester lettre morte. Ce grave problème cependant révolte peu ! 21 MARS2006 : ~~DEwmCOHlllELl_ Pour informer, témoigner, tenter de faire évoluer les mentalités indifférentes ou hostiles, le MRAP propose une exposition éducative « Les gens du voyage ", 14 panneaux 60 x 80 cm, à l'intention des 12-18 ans. Un bon support pour la SECR, ou pour la journée internationale du 8 avril. Education - - ~- - - - ~ - - - --- Edito ; International 1 Dossier ' Immigration : Discrimination 1 Education ! Kiosque Albums jeunesse Nous avons privilégié les albums qui donnent le goût de la vie, quelle que soit leur tonalité, grave ou légère. Révéler, témoigner, mais aussi apaiser, ne jamais laisser un lecteur et surtout pas un enfant dans le désarroi ou la perte de confiance. Enfants d'ici, parents d'ailleurs, Gallimard Jeunesse « La chance de nos différences» Eric Tournaire, plasticien. pour la Je fais un oiseau pour la paix Editions Rue du Monde Comptines et fantaisies Editions Le Sablier Le printemps des ocarinas Ed itions Baya rd Presse De Toi à Moi De toi à moi Editions Milan Jeunesse Karim et la ville poussière Editions Grandir entre Blancs, où les Non-Blancs sont en gros des supplétifs. Nous vivons toujours sur cette histoire, c'est-à-dire que la frontière très bien connue de nous tous, - frontière matérielle et frontière symbolique, frontière puissante très bien gardée, de mieux en mieux gardée - coupe le monde en deux parties à savoir, d'une part, le Nord, partie où se rassemble l'essentiel des richesses, où se trouve le modèle identitaire de l'humanité et, d'autre part, le Sud où se trouvent les pays vaincus et les peuples marqués par cette hiérarchisation identitaire et placés en bas de cette hiérarchie. " Noir et Blanc" évidemment c'est pratique, parce que bien visible. C'est quelque chose qui ne touche pas seulement les Noirs et les Blancs. En apartheid il y avait " Blanc " et " Non- Blanc ". C'est ça la caractérisation de la profonde hiérarchisation identitaire de notre monde qui se double d'ailleurs d'une autre, " Homme " et " Femme ". Le modèle de l'humanité c'est le mâle Blanc, de plus de quarante ans, à revenus moyens-supérieurs, c'est-à-dire moi. 500 ans, c'est long. C'est dire que notre esprit est profondément structuré, pas simplement notre esprit, notre culture, notre langue, l'ensemble de nos représentations sont profondément structurées par cette histoire très longue qui nous a constitués, qui a constitué notre humanité. On peut toujours le déplorer, c'est bel et bien comme ça qu'elle s'est faite notre humanité contemporaine. Je vais vous en donner quelques exemples. Je suis Blanc, je parle la langue bambara, principale langue du Mali. Quand je parle bambara au Mali, vous me croyez tous si je vous dis qu'on me renvoie positivement cette caractéristique de ma biographie: Il c'est bien qu'il parle notre langue ". Pourtant, un malien qui parle français en France, qui a donc fait le même trajet, c'est la nature des choses, il s'est rapproché du modèle ... ' Autre exemple : ma femme est malienne, elle est Noire et notre enfant est métisse. Si je dis de mon fils " il est Noir ", ou si, lui, dit " je suis Black ", vous comprenez tous ce qu'il veut dire. Mais si ma femme dit " mon fils est Blanc ", ce qui aurait la même légitimité biologique, c'est totalement incompréhensible et chacun de chercher ce qu'elle peut bien vouloir dire par là. Dossier Edito t International 1 Dossier 1 Immigration 1 Discrimination ! Education 1 Kiosque De même, quand des écrivains africains commencent à écrire dans les genres littéraires de l'histoire occidentale, du texte pompeusement appelé littérature contemporaine - tous ces mots sont très impériaux -, ils vont choisir comme titre de leur oeuvre des choses comme "L'Enfant Noir ", ou Olympe Bellikenum va commencer ses romans par" c'était un Noir de taille moyenne ", et tout le monde trouve cela normal. Pourtant, tout le monde trouverait bizarre qu'un français écrive un roman en l'appelant " L'enfant Blanc " ou en disant " La Petite Blanche s'est longtemps couchée de bonne heure ". Ces mots " Blanc " et " Noir " ont une caractéristique, ils sont camouflés et ils expriment une puissante hiérarchie identitaire : camouflés, parce que" Blanc" et " Noir ", cela apparaît totalement anodin. Il y a parmi nous des Noirs, moi je suis Blanc, on voit très bien la différence de couleur, donc on va dire" il n'y a pas d'histoire à faire ". C'est clair, si j'ose dire, lui a la peau claire, lui a la peau sombre, donc ça se présente de façon complètement anodine et cependant dès que l'on creuse un petit peu on se rend compte que c'est profondément marqué par une structuration raciste de notre société. Au Mali, le mot qui désigne ceux qui s'appèlent les Blancs, n'est pas un mot dans les langues des pays dominés, en l'occurrence au Mali ce n'est pas un mot biologisé, c'est un mot politique" touaou " ou " nassara " ce qui veut dire le chrétien, le nazarien donc. Ce sont des mots qui désignent une position politique " celui qui est venu nous conquérir" et pas un corps biologique. La domination Blanche s'est établie sur cette puissante confusion qui nous habite tous, dont on est obligé d'user puisqu'on est bien obligé de se parler et de se faire comprendre. N'en soyons pas dupes. Or, précisément, l'Europe n'a pas pris de distance critique par rapport à cette histoire (cette histoire dont, à titre personnel, je ne me sens pas coupable parce que je ne me sens pas coupable des crimes que je n'ai pas commis, mais par contre je me sens tout à fait responsable du monde injuste qui en est sorti et j'essaie de le transmettre moins injuste à mon fils et j'espère que lui poursuivra ce chemin). Nous avons donc ce . travail à faire. Le résultat de cette histoire que je viens d'essayer d'esquisser, c'est une profonde racialisation des relations entre le monde dominant Blanc et les autres qui vont toujours avoir des adjectifs permettant de les désigner comme appartenant à la périphérie de ce centre identitaire. Ceux de nos enfants dont le nom ou le corps signale qu'ils ont des origines dans la partie vaincue de cette histoire là vont supporter, de façon extrêmement troublante, cette racialisation spontanée. Comment cela se passe-t-il ? Un enfant Noir, qui peut être de parents français depuis des générations, va se voir poser en arrivant à l'école, et cela immédiatement et de façon très aimable et généralement très gentille (je ne parle pas ici des racistes parce que c'est l'autre part, la part obscure de cette histoire, je parle des anti-racistes) la question suivante, mue par la simple curiosité

" d'où tu viens mon petit? ".

L'enfant en question vient pourtant simplement de la rue Jules Ferry, et il voit bien que la question n'est pas la même que celle que peut lui poser une petite copine par exemple, " Mamadou, d'où tu viens ? " et qui elle réclame bien une réponse du type " je viens de la rue Jules Ferry, et toi Noémie? ", " je viens de la rue Jean Jaurès ". Noémie, c'est une question finie, complètement légère. Mamadou, c'est une question lourde: d'où qu'il vienne, Mamadou ou Gérard, son corps a provoqué cet effet. Quand il va grandir, l'effet va se compliquer un peu. Son corps ou son nom (parce que c'est la même chose pour les enfants qui ont leur origine familiale au Maghreb ou encore au Vietnam) va provoquer une question plus complexe, encore plus troublante. L'enseignant va arriver à l'école: " aujourd'hui nous allons étudier Le Corbeau et le Renard" et puis " on va étudier la table de huit " et puis, une fois que toutes les choses sérieuses sont passées, " maintenant Mamadou va nous parler de sa culture ". C'est dire qu'il y a " La Culture " et ensuite " sa culture ". Mais on le fait tous, c'est une interrogation que l'on doit porter sur nous même, on doit la porter en la dépouillant de toute espèce de culpabilité parce que la personne qui dit cela le dit avec bonne volonté et il y a toujours quelque chose de la bonne volonté qui passe chez l'enfant. Il ne faut pas non plus se culpabiliser de ça. Par contre, on n'est pas obligé de poser sa tête sur la table avant de travailler sur notre société. Qu'estce qu'il y a derrière cette question si souvent dite, dite avec une telle bonne volonté " Mamadou, parlenous de ta culture" ? C'est-à-dire, quelle est la différence entre le mot " culture" quand on dit " La Culture " et le mot " culture " quand on dit " ta culture " ? " La Culture " : nous savons tous que nous sommes plus ou moins cultivés si nous avons fait plus ou moins le travail de nous cultiver. Le gamin qui n'apprend pas sa table de multiplication est moins cultivé que celui qui l'a appris parce que il y a un travail, un effort qu'il n'a pas fourni. De ce point de vue, vous avez des Maliens cultivés dans leur culture, des Français cultivés dans la culture française et d'autres qui ne sont pas cultivés dans la culture française. " Ta culture ", celle de Mamadou, c'est au fond une culture que l'on imagine portée par ses gènes. Or, nous le savons, nulle culture ne nous est donnée par ce biais. Prenez un petit Blanc, vous le mettez à la naissance dans une famille malienne, cela fera un Malien à 100 % sur le plan culturel. Même chose pour un petit Noir que vous mettez dans une famille suédoise. 100 % de la culture se transmet en effet, s'hérite en effet, mais par des voies culturelles. Mais Mamadou, spontanément, on imagine, - et cela arrive même à mon fils qui est d'une famille a ppartenant à la bourgeoisie moyenne comprenant quelques notables en France et d'autres au Mali - que son corps Noir porte " Différences » - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 17 18 Dossier Edito ' International ! Dossier ' Immigration ' Discrimination ! Education ' Kiosque naturellement une autre culture, porte naturellement quelque chose que l'on appelle quand même curieusement, de ce point de vue, " culture " et qui viendrait de son aspect physique. Evidemment, pour l'enfant, c'est très troublant. Il voit bien la différence entre, d'une part, " La Culture " qui donne les bonnes et les mauvaises notes, qui donne le passage à la classe supérieure, qui donne la carrière et, d'autre part, " ta culture" qui est complètement anecdotique, sans importance, et qui, au bout du compte, - l'enseignant étant généralement absolument inculte dans la culture supposée de Mamadou - se réduit au " coucous ", au " boubou ", au " balafon ", au " tam-tam ", et c'est bien, l'affaire est classée. Evidemment, le gosse voit bien la hiérarchisation profonde qui est faite entre ce qui compte et ce qui décore, J'attire votre attention sur le fait que cela se passe, qui plus est, pour des enfants qui ont inauguré leur vie de façon très étrange à savoir, le plus souvent, en apprenant spontanément, via la crèche ou encore la télé, une langue différente de celle parlée par leurs parents à la maison, Durant toute son enfance, il y a un puissant refoulement linguistique qui fera que l'enfant se construira réellement dans la langue française, Autant dire que sa francité n'est pas du tout quelque chose de superficielle: la langue c'est une puissance énorme pour nous, c'est ce qui crée le socle de nos représentations et notre découpage de la réalité, Cet enfant n'aura pas à accéder à la culture française, il n'aura pas à faire d'effort d'intégration, car il sera littéralement happé par la communauté française, De fait, il se heurtera à deux incompréhensions

l'incompréhension

des parents (lesquels sont généralement déçus, troublés, ennuyés, voire mécontents de voir que ces transmissions spontanées qui se sont faites de générations en générations sur les rives du fleuve Sénégal ou du fleuve Niger s'arrêtent dans un HLM de Tremblayen- France et que l'histoire de leur descendance passe à autre chose, autre chose qui est le peuple du pays qui a conquis le vôtre) et celle de la société française qui ne le reconnaît pas comme sien ou qui le reconnaît comme sien en se donnant le beau rôle en lui disant, en gros, " si tu mérites d'être des nôtres, bien entendu, tu le seras mon petit, puisque nous sommes la Grande Nation des Droits de l'Homme ", On est ainsi dans une situation où, véritablement, l'enfant ne sait pas où mettre les pieds, ne sait pas comment dire ce qu'il est. Il va donc essayer de trouver des communautés plus petites, il va dire " Black ", c'est ce qu'on lui renvoie en permanence (aussi bien son père - que la société), donc c'est vrai pour lui, Ou alors, très souvent, l'enfant va se dire d'un qualtier ou d'une ville. Très difficilement Français, quoiqu'il le soit de tout son coeur, il souhaite que sa perspective puisse s'y inscrire, mais par défaut, sans que ce soit dit, au moment où on lui dirait " toi t'es pas Français, alors on te renvoie dans ton pays ", là il sait où est son existence, sa communauté, ses biens, ses perspectives, ses souvenirs d'enfance, ce qui est son pays. On se trouve donc dans une situation très complexe, liée à une espèce de profond retard du règlement de la guerre de 500 ans, C'est une guerre qui n'a pas été réglée, ni sur le plan symbolique, ni sur le plan matérieL La paix est en conséquence très compliquée à établir; le conflit est là, latent. Une fois que l'enfant a grandi, arrive le moment proprement communautaire, N'oublions pas que le grand communautarisme, le vrai communautarisme, nous l'avons déjà abordé à propos du mot " Blanc ", il est autour du mot" Blanc ", Nous sommes dans une société mondiale où il y a une " race pure ", qui est la " race Blanche ". Il y a les Blancs et les " Non-Blancs ", Je peux dire de Colin Powells qu'il est Noir, mais je ne peux pas dire qu'il est Blanc, alors que son corps m'indique de façon absolument évidente qu'il a des origines en Europe. Le communautarisme Blanc le rejette et le refuse profondément, structurellement, comme membre de sa communauté, alors même que son corps indique de façon évidente qu'il a ses origines biologiques, en grande partie, en Europe. Je voudrais attirer votre attention sur quelque chose qui se passe chez les jeunes Noirs, et qui existe de manière analogue chez les Français de famille maghrébine. J'étais hier dans une réunion extraordinaire, à Fontenay-sousbois où j'habite, organisée par une association de jeunes: environ 80 personnes, 90% de jeunes, une discussion de qualité intellectuelle, de responsabilité civique inouïe, 3 ou 4 Blancs et pas d'élus. La discussion qu'ont eu ces jeunes était une discussion de construction de la société française, prenant en compte leur histoire propre, la spécificité de leurs parents qui étaient pour la plupart étrangers, vraiment quelque chose d'extraordinaire. Oui, ces jeunes avaient une réunion communautaire, ils avaient des choses à se dire, des choses que moi je ne vis pas. Si je cherche un logement, si on cherche un logement pour la famille, c'est moi qui vais m'y coller et pas ma femme parce qu'on n'est pas masochiste et qu'on a envie que ça se passe le plus tranquillement possible. De ce point de vue, il est tout à fait normal qu'il y ait un moment communautaire. Il ne peut pas en être autrement parce que dans toute société, les structures de pensée, les structures de langage, font de vous une communauté. C'est un peu difficile de dire, quand l'enfant arrive à 18 ans , " non, vous ne vous réunirez pas entre vous, c'est du communautarisme ". Par contre il est un peu inquiétant que dans une réunion d'une telle qualité, dans une période où tout le monde se plaint d'absence de politique, le reste de la société, la société dominante soit absente. Le résultat de cette situation, c'est-àdire de l'effet spontané du communautarisme, c'est que le Blanc, lui, officiel et invisible parce qu'il est dans la nature des choses, provoque une réaction communautariste chez ces jeunes. La seule façon de régler le problème du communautarisme, la meilleure façon de lutter contre cette difficulté possible, c'est de casser le communautarisme officiel, le communautarisme Blanc très profond. C'est très rare que ces enfants s'entendent dire" vous êtes nos enfants ". La plupart du temps, on entend surtout, notamment venant des élus, " c'est eux et nous ", " qu'est-ce qu'on va faire pour eux ? " (certains disant même" qu'estce qu'on va faire contre eux? "). Le chemin symbolique que nous devons parcourir, et qui aurait des effets miraculeux, serait d'arriver à dire" qu'est-ce qu'on va faire pour nous? ", " qu'est-ce que je vais faire pour mes enfants ? " et de cesser ainsi de racialiser cette relation à l'autre, à notre jeunesse. Les paiements des retraites, eux, ne vont pas être racialisés : ces gamins vont les payer nos retraites. Je vous garantis que chaque fois qu'un élu ou qu'un responsable comprend ça et qu'il opère ce glissement presque imperceptible dans le langage, presque imperceptible dans les gestes, dans les sourires, l'effet est miraculeux parce que, au fond, cette partie de notre jeunesse n'a pas besoin d'intégration mais de reconnaissance. Ils sont le " peuple" et on les cantonne dans la situation de " sujet ". Pourtant, ce qui caractérise la République Française, c'est un bouleversement phénoménal des représentations. Au moment de la Révolution les gens étaient les sujets du Roi. Le Roi était le souverain, c'était le " père " et les gens, pour être de bons Français, devaient adhérer à ce qu'était le " père ", pratiquer sa religion, le respecter, adopter sa morale, suivre ses guerres : " je suis un bon sujet français. Je suis quelqu'un qui ressemble au Roi ". Et puis, il y a eu la Révolution et on a dit" c'est le peuple souverain ". Ce qui signifie que, si le " sujet" devait mériter d'être Français en s'efforçant d'être comme le Roi, " le peuple souverain" n'a rien à mériter. Le" peuple souverain" est l'instance politique, il ne doit pas s'adapter aux lois, c'est les lois qui doivent s'adapter à lui, c'est lui qui fait les lois qui doivent s'adapter à lui. Mais quand la France Républicaine - c'est la République essentiellement, qui a fait la colonisation - a colonisé les pays, l'Afrique par exemple, mais aussi l'Asie, elle a réinstauré le statut de " sujet" : les habitants des colonies étaient des " sujets ". Leur titre officiel, leur statut officiel dans l'Empire Français était" sujet Français ". Le souverain était le " peuple " des citoyens français et ce souverain collectif avait des sujets, les habitants des colonies. Ces habitants des colonies devaient imiter les citoyens français, c'était cela l'assimilation, c'était cela la Civilisation. Tous ces mots n'avaient qu'une seule et même signification à savoir" vous devez imiter le peuple souverain de la même manière que le sujet se devait de claquer son comportement sur celui de son roi ". Interrogeons-nous et demandons- nous si, aujourd'hui, on ne demande pas à ceux de nos enfants qui ont un corps ou un nom signalant qu'ils puisent leurs origines dans les anciens pays vaincus, de mériter d'être Français? « Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 Ne les met-on pas ainsi dans une position de sujet à l'intérieur de la République? Ceci explique à mon sens bien des réactions, bien des incompréhensions, bien des flous et bien des souffrances. Gilles Manceron Gilles Manceron est historien, professeur d'université honoraire, spécialiste universitaire reconnu des questions de la colonisation. Gilles Manceron est également vice-président de la Ligue des Droits de l'Homme. Puisque les racismes ne peuvent pas être dissociés, il est bien entendu que le combat contre l'antisémitisme est un combat de toujours. On se heurte là à un phénomène tellement profond, tellement ancré dans l'histoire européenne millénaire (même si on a l'impression, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, depuis Nüremberg, depuis la découverte des crimes nazis que l'on a franchi un pas décisif dans le refus de l'antisémitisme en Europe) que les choses sont toujours à reprendre. Aussi, gardons-nous bien d'oublier ce combat qui est d'ailleurs à la racine de la fondation du MRAP puisque, comme vous le savez, le MNCR, fondé pendant l'occupation et qui était le noyau initial du MRAP, était ,un mouvement contre le racisme à l'époque de l'occupation, c'est-à-dire, contre l'antisémitisme. Même si l'antisémitisme n'a pas disparu et même si nous devons avoir une vigilance de tous les instants vis-à-vis de ce combat, force est de constater que la société européenne, et la société française en particulier, connaît aujourd'hui un problème de racisme spécifique qui nous impose une réflexion particulière. Ce racisme est issu de la période Dossier Edito International ' Dossier Imm igration ! Discrimination : Education 1 Kiosque coloniale et c'est sur ce point précis que portera mon regard historique. A ce propos, nous sommes engagés dans le combat contre la loi du 23 février 2005, loi scélérate, loi qui doit nous mobiliser tous jusqu'à son abrogation. Au sujet de cette loi, je lisais, notamment, dans la presse algérienne de ces derniers jours des articles qui tendent à prendre au pied de la lettre les déclarations du Ministre de l'Education Nationale, De Robien, affirmant" ne faites pas attention, ce n'est pas si grave, cela ne change rien " et minimisant ainsi l'importance de cette loi. Or, une loi, c'est fait pour être appliquée ou pour être changée si l'on ne veut pas l'appliquer. Donc, l'article 4 de cette loi scélérate sur la vision positive de la présence française outre-mer, c'est-à-dire de la colonisation, doit être abrogé purement et simplement. C'est un combat qui nous rassemble, Liauzu, moi-même et d'autres historiens. L'article 4 nous impose de penser à la question du legs du passé colonial de la France. Puisque la représentation nationale a récemment réédité à travers cet article de loi une vision colonialiste et civilisatrice de la France, de la politique française, cela prouve bien qu'un problème persiste dans notre société. Et ce problème concerne les enseignants, les chercheurs, il concerne l'université, mais il concerne aussi l'ensemble de la société dans la mesure où ce passé colonial a, en partie, modelé les mentalités et influé sur les comportements, les comportements administratifs, les comportements de différents services tels que la police etc. Vous savez qu'un général vient d'être suspendu en Côte-D'Ivoire parce qu 'un Ivoirien avait été arrêté, fait prisonnier par l'armée française, et puis, il a été retrouvé mort quelques temps plus tard. On peut se demander si ce genre de pratiques, c'est-à-dire des prisonniers qui s'avèrent, en définitif, morts au cours de leur détention, ne constitue pas une pratique courante dans l'armée de notre pays lorsqu'elle se trouve aux prises avec ces populations que l'on qualifiait, autrefois, " d'indigènes des colonies 1", et qui, parfois, se trouvent confrontées à nos soldats, en grand nombre, en Afrique (et ·sur les missions desquels on peut s'interroger). On voit là qu'il ne s'agit pas seulement d'une question d'histoire; il s'agit aussi d'un certain nombre de problèmes de notre société d'aujourd'hui, et ce retour par l'histoire que je vais vous imposer (parce que, finalement, c'est ce qui m'a été demandé, de jeter un regard d'historien sur ces questions pour aboutir aux problèmes du communautarisme et de l'antiracisme aujourd'hui), ce détour me semble aussi nécessaire d'un simple point de vue civique et citoyen. Je partirai d'un évènement que nous avons récemment commémoré, à savoir le 17 octobre 1961. Il y a quelques jours, nous étions un certain nombre au pont St Michel à marquer cet évènement qui est, quand même, un évènement inouï, un évènement . exceptionnel, puisqu'il s'agit d'une répression d'une manifestation pacifique, non armée, contre le couvre-feu du préfet de police Maurice Papon à la fin de la guerre d'Algérie. Cette manifestation pacifique du 17 octobre 1961 a été, comme chacun le sait, réprimée de manière extrêmement violente. Il y a eu des morts dans la soirée même de la manifestation, dont un certain nombre par balles, et il y a eu dans les jours qui ont suivi d'autres morts encore. Le décompte de ces morts a été fait par un collègue, Jean-Luc Einaudi, qui recense pas moins de deux cent victimes. C'est un évènement d'une exceptionnelle violence. Si l'on réfléchit à l'histoire contemporaine de notre capitale, c'est le plus grand massacre d'ouvriers depuis la semaine sanglante de la Commune de Paris de mai 1871. Deux cent morts au moins, c'est quelque chose d'exceptionneL Et on peut s'interroger sur notre mémorisation, la manière dont la société française a été marquée par ce fait. Je ferai le parallèle avec la manifestation du métro Charonne en février 1962 : il s'agissait de manifester pour la paix et l'indépendance de l'Algérie. A l'occasion de cette manifestation, vous le savez tous, il y a eu neuf morts à la suite de l'intervention policière et ça été, dans le pays (vous êtes, sans doute, un grand nombre ici à vous en souvenir), un choc terrible. Dès le lendemain, il y a eu une grève générale. En fin de matinée tout s'est arrêté avec un taux de suivi qui arrive rarement. Et les obsèques ont été marquées par une manifestation où le pavé de Paris a été envahi par un nombre de manifestants exceptionnels. Tout le monde, tous les syndicats, tous les partis politiques de gauche, toutes les associations d'éducation populaire ont appelé à manifester. Ces neuf morts, nous devons nous en souvenir, mais ce qui me frappe c'est la comparaison des deux évènements. Lorsqu'il y a eu des discours aux obsèques des victimes de la manifestation de Charonne, la plus part des orateurs n'ont pas fait référence au massacre des deux cent manifestants au moins du 17 octobre 1961. Octobre 1961, février 1962, quelques mois seulement séparaient pourtant ces deux évènements. Ce silence, certes, le MRAP avait fort opportunément réussi à le fissurer par le biais de communiqués publiés à l'époque contre le couvre- feu du 5 octobre 1961 et contre la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. C'est qu'il y avait quand même des réactions. Il ne faut pas non plus dire qu'il ne s'est rien passé: il y a aussi eu des réactions syndicales, il y a eu un certain nombre de réactions dans les établissements scolaires etc. Ne les minimisons pas parce que c'est justement dans cette tradition qu'il faut s'ancrer et c'est cette tradition, qu'il faut perpétuer. Ces réactions apparaissent, qui plus est, rétrospectivement, très courageuses et remarquables dans le contexte de l'époque. Toutefois cela semble bien être peu de chose comparé à l'ampleur de l'événement en question. Comment a-t-il pu être possible qu'un massacre de cette ampleur passe (presque) inaperçu? Parce que les victimes du 17 octobre étaient colorées, basanées, frisées. Il me semble qu'il faut que nous " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - na 258 - Avril-Mai-]uin 2006 19 20 Dossier Edito ' International ' Dossier ' Immigration Discrimination Education Kiosque réfléchissions à ce point. Comment cela a-t-il été possible? Et réfléchir sur ce pourquoi, nous amène à réfléchir sur le discours républicain tel qu'il a pu se construire depuis, au moins, les débuts de la 3e République. Avec notamment l'idée que la démocratie, la liberté d'expression, les droits de l'homme, ce n'est valable qu'au sein de l'hexagone pour la population du pays, souvent réduite à la population mâle (je rappelle en effet qu'il n'y a pas droit de vote pour les femmes avant 1945). C'était valable à l'intérieur de nos frontières hexagonales mais ce n'était pas valable au-delà. Et là, je crois qu'il y a un discours qui s'est alors construit et qui continue aujourd'hui encore à peser même si, avec les indépendances, une page, d'une certaine façon, a été tournée. Mais cette page a été tournée sans que l'on réfléchisse à sa signification. De Gaulle a dit " Les colonies, c'est comme la marine à voile, c'est du passé". Bon, c'est une pirouette, parce que si on réfléchit à l'histoire on se rend compte que, même du temps où les colonies étaient à l'ordre du jour, étaient dans la politique du pays, les gens protestaient déjà contre cette politique. Cela nous impose de réfléchir à la manière dont ce discours républicain a pu intégrer une dimension coloniale, une dimension discriminatoire, de manière diffuse. Il me semble, qu'une part de racisme, si l'on peut dire, s'est insinuée au sein même du discours républicain, y compris de l'école laïque, et dans ce qu'elle a de plus positif qui plus est. Alors, quand est-ce que ça s'est mis en place 1 Cela s'est mis en place, comme je le disais tout à l'heure, au début de la 3e République. Déjà, la Seconde République est une période d'enjeux, de débats, mais l'idée coloniale est davantage consacrée par la 3ème République, puisque dans les années 1880 - c'est là où l'on trouve le paradoxe que j'ai appelé le " paradoxe républicain " - Jules Ferry, qui est le père de l'école laïque (que nous défendons tous), est en même temps Ferry-Tonkin, celui qui proclame, en gros, que les droits de l'homme ne sont pas faits pour tous les hommes. En gros, ils sont faits pour les Blancs. On ne dit pas ça comme ça, mais cela revient au même. " Si nous avons le droit d'aller chez ces barbares, c'est parce que nous La tribune du colloque de Marseille faisant suite à celui organisé à Paris. avons le devoir de les civiliser. Il nous faut, non pas, les traiter en égaux, mais se placer au point de vue d'une race supérieure qui conquiert ". C'est Jules Ferry qui parle. Alors certains lui portent contradiction - j'y reviendrai - et Ferry répond à ces contradictions: " il faut le dire nettement, oui les races supérieures ont un droit visà- vis des races inférieures, comment justifier, sinon, notre présence aux colonies, elles ne nous le demandent pas ". Pourtant, déjà à l'époque de la déclaration des Droits de l'Homme de 1789, il y avait eu, tardivement certes mais tout de même, il y avait eu abolition de l'esclavage en février 1794. Quand l'esclavage avait été aboli, quelqu'un comme Danton, par exemple, avait dit : " Jusqu'ici nous n'avons légiféré qu'en égoïste et pour nous-même, et à partir de ce jour nous proclamons la liberté universelle ". C'est l'ambition, disons, de proclamer des droits qui s'appliqueraient à toute l'humanité sans distinction aucune, y compris ce que les révolutionnaires de la Convention appelaient "l'aristocratie de l'épiderme ", belle formule, je trouve. Ils faisaient le parallèle entre les distinctions d'ordres, que la révolution voulait abolir, et puis, cette question de la couleur de peau, qui devenait un élément discriminatoire. Donc, Jules Ferry rompt avec cet universalisme, cette ambition universelle. Et ça ne passe pas comme ça à la chambre de la 3e République, même si, lors des débats, certains soutiennent les positions de Jules Ferry. D'autres orateurs s'en prennent à Ferry et disent " vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les Droits de l'Homme ", un autre orateur" au Tonkin, vous n'avez pas fait de prisonniers ". Cette idée que l'on ne fait pas de prisonniers dans les guerres coloniales, qui nous renvoie à notre général récemment suspendu, est soulevée par les contradicteurs de la politique coloniale dès ses débuts. D'autres s'en prennent à l'idée de " race supérieure" et quelqu'un comme Clémenceau dit, par exemple, "Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes ici à nous lever d'un seul bond, pour protester violemment contre vos paroles. Non il n'y a pas de droits des nations dites supérieures contre les nations inférieures ". C'est dire qu'il y a eu des débats à l'époque, et des débats importants. Mais qui a gagné la partie? Et bien, c'est Jules Ferry. Je dirais, ce sont les partisans de l'idée selon laquelle les droits étaient valables en Europe mais pas ailleurs, dans un autre contexte. Je citerai une phrase, un passage tiré du livre d'Andrée Viollis, "SOS Indochine ". Andrée Viollis était une journaliste, dans les années trente, qui avait fait des reportages un peu partout dans le monde et qui, notamment, avait été en Indochine française. Sa rencontre avec des Vietnamiens, on dirait aujourd'hui des Indochinois, avait provoqué sa prise de conscience du fait colonial. Son livre, " SOS Indochine ", prenait fait et cause contre le colonialisme. Elle a adhéré, ensuite, à la LDH puis au Parti Communiste après 1945. Elle rapporte donc, dans ce livre, un récit qui lui a été fait par un des officiers de marine qui participa, naguère, à une expédition au Tonkin

" Ils venaient de débarquer ",

c'est le récit de l'officier, " ses matelots, baïonnettes pointées, avaient couru à l'assaut d'un village annamite qui, d'ailleurs, ne se défendait guère. Quand il les rejoignit, des enfants sanglants gisaient, çà et là, par terre, et dans les grandes jarres à eau, des femmes qu'on y avait enfoncées, tête en bas, gigotaient encore faiblement des pieds. Il essaya de sauver ces malheureuses, puis indigné, rassembla ses hommes : " N'avezvous pas honte, leur cria-t-il, voudriez- vous voir traité comme ça vos femmes et vos enfants? ". La plupart baissèrent la tête, sans rien dire, confus, comme des enfants grondés, quelques uns protestèrent faiblement : " Ces Chinois c'est pas des gens comme nous, c'est des sauvages, des païens ". Et le vieil officier de marine d'ajouter que, pourtant, " dans la vie ordinaire c'étaient de bons petits gars incapables de faire du mal à un moucheron, et qui se seraient faits tuer pour moi, la guerre, la guerre coloniale! ". Voilà, c'est donc un officier de marine qui participait, sous le Second Empire, à la première expédition du Tonkin. Peu de choses ont changé, entre Napoléon III et Charles De Gaulle, et peut-être peut-on encore se poser des questions, aujourd'hui, sur l'engagement de nos armées, ici ou là, en Afrique ou ailleurs. Que se passait-il donc dans la tête de ces marins pour qu'ils soient respectueux de la vie des êtres humains quand ils étaient dans leur village breton ou d'ailleurs, mais qui, quand ils se trouvaient au Tonkin, considéraient que tout était permis ? Il y a des individus, il y a des forces politiques qui ont été plus particulièrement responsables de tels ou tels scandales ou de tels ou tels crimes coloniaux, mais au-delà, si l'on veut expliquer ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie par exemple, - pourquoi il y a eu sept ans de guerre ? pourquoi il y a eu tant d'obstination? pourquoi on a recouru à la torture ? y compris des gouvernements de gauche-, il nous faut réfléchir à la République elle-même, à ce que l'on pourrait appeler "la république coloniale ", la république, dans son versant colonialiste. La page est-elle réellement tournée? Cette page s'est-elle achevée avec les indépendances, avec " Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 cette défaite de la France, cette défaite politique en tout cas, lors de la guerre d'Algérie (défaite qui faisait suite à celle, militaire en même temps que politique, en Indochine) ? Dans la mesure où nous n'avons pas fait le bilan de cette période, fait la séparation dans le discours républicain, entre la doctrine républicaine et ce qui relève justement de cette distorsion qui permettait toutes les barbaries aux colonies, les choses perdurent plus ou moins dans la société, perdurent dans les têtes et perdurent dans les institutions. Certes, aujourd'hui en France, nous ne vivons pas sous une république coloniale. Mais il existe toutefois un rapport entre certaines pratiques d'un certain nombre d'institutions et entre certaines idées qui circulent dans les têtes et qui aboutissent à certaines discriminations. Nous devons à tout prix nous confronter à ce passé colonial si nous voulons pouvoir comprendre ce qui se passe dans les têtes et dans les institutions du pays. Une personne basanée, frisée, portant tel ou tel nom, cherche un logement et n'arrive pas à le trouver. Elle cherche un travail et n'en trouve pas. Logement et travail lui sont refusés au moment précis où l'on s'aperçoit de son physique, de son nom... Cela n'est-t-il pas en rapport direct avec cette distinction que l'on faisait à l'époque de Jules Ferry entre les races supérieures et les autres? Nous avons longtemps cru que lutter contre le racisme c'est lutter contre l'extrême droite. Bien entendu, il y a de ça. Pour lutter contre le racisme, il faut certes lutter contre l'extrême droite, lutter contre le FN, lutter contre ses imitateurs qui essaient de glaner des voix sur ce terrain là, mais ce n'est pas que cela. Que constate-ton depuis 20 ans, depuis l'apparition du FN comme force politique électorale importante? On s'aperçoit que l'on fait des efforts, que l'on fait tout ce que l'on peut pour lutter contre l'extrême droite, que l'on se mobilise ... et qu'il subsiste pourtant un certain nombre de résistances qui maintiennent un matelas électoral, une persistance de cet électorat. Le fait est que quand Le Pen, en réponse aux reproches qui lui sont faits concernant ses propos sur les races supérieures, répond " il n'y a qu'à voir Ferry, Ferry l'a dit, c'est ce que l'on apprenait dans les livres Dossier Edito ' International ' Dossier ' Immigration Discrimination ! Education : Kiosque de classe il n'y a pas si longtemps que cela ", quand il dit ça donc, il n'a pas complètement tort. Faute de déconstruire ce discours qui s'est insinué au sein même de l'école républicaine, on n'arrivera pas à lui couper l'herbe sous les pieds et à faire évoluer les mentalités en la matière. Je prends un exemple: le livre de lecture scolaire qui a été le plus répandu dans les écoles pendant plusieurs générations (je dirais au moins quatre ou cinq générations, en l'occurrence du début de la 3ème République jusqu'à la fin de la 4ème République, voire jusqu'aux débuts de la Sème), à savoir" Le tour de la France par deux enfants" de G. Bruno. Dans un chapitre dans lequel les deux enfants vont à Marseille, il est question des différentes races humaines. Le propos est illustré par une gravure présentant quatre profils censés représenter les quatre races humaines. Le commentaire explique que la race blanche est la plus parfaite des races humaines et que la race Noire, décrite en termes de nez épaté, de lèvres épaisses, etc ... représente la race la plus basse dans la hiérarchie des races. Voilà donc ce que l'on trouve dans un livre de lecture de l'école laïque, bon ouvrage par ailleurs décrivant la France et inculquant des valeurs intéressantes du point de vue de la connaissance de la géographie mais aussi du travail, de l'industrie, de la morale. C'est assez dire combien le racisme s'insinuait au sein même du discours républicain. Il me semble en conséquence qu'il nous faut aujourd'hui faire un retour sur l'histoire et réfléchir sur la manière dont le discours républicain a pu être contaminé par le racisme. Lutter contre tout communautarisme est une nécessité : reconnaître l'égalité de tous, la citoyenneté de tous, cela veut dire qu'on refuse tout corps politique qui voudrait avoir ses règles particulières, ses lois particulières au sein même de la Nation. Mais n'a-ton pas un peu tendance à refuser le communautarisme uniquement lorsqu 'il s'agit de communautés ou d'aspirations particulières de certaines populations qui sont justement celles dont on a voulu nier la citoyenneté et la dignité à l'époque coloniale? Voilà la question posée. Le discours anti-communautaristes d'aujourd'hui ne cache-t-il pas une forme cie " communautarisme Blanc ", majoritaire, de type colonial, de dévalorisation de certaines personnes qui continue à avoir cours même si on est loin cie l'époque des colonies, cie l'époque des différences les plus insupportables? Certes, toute expression politique communautaire est à rejeter mais, d'un autre côté, la vie sociale se structure également ainsi. On ne considère pas, par exemple, que toutes sortes d'associations se rattachant à des appartenances soit régionales soit étrangères (de telle ou telle communauté de l'immigration) constituent une atteinte à l'intégrité de la Nation. Peu de gens ressentent comme étant du communautarisme le fait de créer une équipe de foot portugaise. Par contre, dès qu'il y a une référence à l'islam ou à une identité africaine saharienne, on se met à tiquer et à parler de communautarisme. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de vrais risques contre lesquels il convient se prémunir, je ne nie pas qu'il faille être vigilant par rapport à telle ou telle forme d'organisation, de discours, qui porteraient un véritable risque de communautarisme, mais il me semble qu'il faut que nous nous défassions de cette tendance à faire deux poids deux mesures. Certaines associations structurant telle ou telle communauté religieuse, telle CRIF, le Consistoire israélite et d'autres encore, apparaissent, à juste titre, comme légitimes et comme normales et cependant, dès que l'on a affaire à l'islam, on retombe dans l'idée qu'il faut contrôler car là, il y aurait un véritable danger. Ne retombe-t -on pas ainsi dans la tradition coloniale 1 Je termine. Nous allons bientôt commémorer le centenaire de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat, date impoltante et commémoration importante (d'ailleurs officiellement fort peu organisée en dehors d'un " truc " confié à l'Académie des Sciences morales et politiques, et, assez contestable par certaines de ses manifestations). Ne faudrait-il pas s'interroger à cette occasion sur la manière dont cette loi de 1905 a été appliquée aux colonies? On s'apercevrait alors que cette loi n'a pas été appliquée dans la plus part des colonies alors même que l'article 43 stipulait: " dans les colonies et en Algérie il faudra un décret d'application ". En Algérie, il y a certes eu un décret d'application en 1907 qui, théoriquement, avait une durée de 10 ans mais qui a été prolongé par d'autres. Or ce décret dit le contraire de la loi. Alors que la loi dit" la république ne reconnaît aucun culte et on ne peut pas inscrire au budget des collectivités locales des sommes allouées à quelques cultes que ce soit ", en Algérie le décret d'application dit le contraire: " l'administration pourra, dans l'intérêt national, allouer des sommes aux cultes lorsqu'il s'agit de décisions du Gouverneur, de l'Administration ". En 1907, ce décret est un décret provisoire d'une durée de 10 ans. En 1917, il est reconduit jusqu'en 1925, puis à nouveau jusqu'en 1941 sous Pétain, où le décret est alors reconduit sans limites de durée. Lorsque la 4ème République a été établie, elle ne l'a pas remis en cause. Ainsi la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat n'a pas été appliquée et des cultes ont été rémunérés. On a notamment installé un culte musulman " aux ordres ", violant ainsi la liberté de culte prévue par la loi. J'en conclue qu'il y a une sorte d'exception dans le traitement de l'islam, exception que l'on a pu observer dans l'Algérie coloniale et qui reste un tropisme, une pesanteur, une tendance récurrente de la société française. Force est de constater que l'on a des exigences vis-à-vis de certaines religions que l'on n'a pas envers d'autres! Pour conclure, je dirais donc : vigilance contre le communautarisme, bien entendu, contre tout communautarisme mais réfléchissons avant tout au problème de la société française et de ce dont elle hérite, malheureusement, de cette page coloniale de son histoire. .. Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-Juin 2006 21 22 Dossier Edito ' International ' Dossier Immigration ' Discrimination Education ' Kiosque Horiya Mekre10uf Pour le comité local du J1;IRAP de Marseille Le Samedi 12 novembre 2005, s'est tenu à Marseille, à la faculté de science de SaintCharles, une conférence organisée par le comité de Marseille et sa fédération, et avec le soutien de nombreux responsables de comites locaux, de fédérations et de responsables nationaux. À l'heure où les banlieues s'embrasaient, Marseille prenait le temps de réfléchir. L'amphi était comble. Notre objectif était d'ouvrir un espace de parole et de réflexion avec des intervenants (Mimouna Hadjam, militante à la Courneuve de l'association Africa 93 ; Caroline Fourest, journaliste, écrivain, spécialiste des intégrismes religieux et militante anti fasciste ; Pierre Stambul, Vice Président de l'UJFP, militant au MRAP de Marseille et Julien Lanfried, membre du conseil scientifique d'ATTAC et directeur de l'observatoire du communautarisme) qui ont pu exprimer leurs points de vue sur la question des intégrismes, des communautarismes qui peuvent en découler ainsi que sur celle de la nécessité de combattre le racisme sans jamais le hiérarchiser. Sans occulter les problèmes réels des banlieues ( fracture sociale, pauvreté, chômage, précarité et racisme), les intervenants ont exposé leurs réflexions sur les thèmes proposés pour en débattre avec une salle attentive. , Les participants au collaque réunis devant le local du MRAP de Marseille. Mimouna Hadjam explique que son association a été créée dans les années 1980 et constate un repli communautaire et une montée du racisme. Responsable associative à La Courneuve, où le chômage des femmes est de 37 %, elle constate la difficulté de comprendre le fait que, parfois, certaines victimes de racisme viennent à le véhiculer. La dégradation des conditions de vie et des rapports sociaux en est une cause. La violence vis-à-vis des plus faibles une des conséquences. Elle énumère les insultes de N. Sarkozy à l'encontre de la population et fait remarquer qu'il considère le drame de la mosquée de Clichy comme un " épiphénomène " alors que l'attaque contre la synagogue a donné lieu à une intervention de Chirac. Elle explique aussi comment l'intégrisme s'est progressivement installé dans les cités, en passant par l'asservissement des femmes. « Les islamistes quadrillent nos quartiers depuis plus de 20 ans maintenant, et ils n'ont pas attendu le Il septembre ". Ils remettent au goût du jour la polygamie, les mariages forcés et le voilage des femmes. Elle précisera à ce propos que, en Iran, l'arrivée au pouvoir de Khomeiny a réactivé à l'échelle internationale le port du voile, symbole politique et symbole de la soumission des femmes. Elle dénonce le travail des islamistes qui a provoqué une fréquentation de moins 12% des filles dans les centres sociaux et une augmentation conséquente des militantes islamistes dans certaines associations de quartiers qu'elles ont infiltrées. Elle parlera des crimes des talibans et des crimes des islamistes en Algérie. En France, on a préféré accueillir les assassins plutôt que les démocrates et les femmes ... Caroline Fourest rappelle quant à elle que l'intégrisme n'est pas singulier mais pluriel et elle dénonce notamment l'intégrisme chrétien qui crée aux USA des réseaux évangélistes extrêmement puissants et organisés au point de passer des alliances cyniques avec des politiciens et des religieux prônant un impérialisme anti-contraceptif, anti-avortement et anti-homosexuel. " Quand ils se combattent, les intégrismes se renforcent " déclare Caroline Fourest qui définit par ailleurs l'intégrisme comme instrumentalisation politique du religieux. Les politiques en utilisant le relativisme culturel pour expliquer le voile et la polygamie n'ont fait qu'un différentialisme paternaliste qui est le pendant du discours raciste. Elle insiste sur la distinction indispensable à faire entre religion comme cadre de culture et religion comme instrument politique. Elle appelle enfin à une grande réflexion de l'ensemble de la gauche sur les risques qu'encourt la laïcité face à la montée des fondamentalismes qui favorisent les replis communautaires. Pierre Stambul intervient quant à lui sur l'antisémitisme et son instrumentalisation. Il expose les différentes formes d'antisémitismes, religieux et racial au cours de l'histoire. Il explique notamment que la théorie sioniste est née de l'antisémitisme et que toutes les manifestations anti-sémites l'ont renforcée. Il ajoute « les sionistes ont considéré dès le départ que l'an ti-sémitisme est inéluctable et donc qu'il est parfaitement inutile d'essayer de le combattre" et termine en répétant que la lutte contre l'antisémitisme est à la fois une question de morale et une question d'efficacité. La dernière intervention, celle de Julien Lanfried, souligne le rôle de la référence à la construction de la République comme cadre qui impose la laïcité de l'espace public. Un débat riche s'en est suivi où les désaccords ont pu s'exprimer dans une écoute mutuelle et respectueuse. Compte tenu du contexte - lutte sociale marseillaise, révolte des banlieues -, il était clair que la question sociale et la question antiraciste étaient étroitement imbriquées. Mettre l'antiracisme au coeur de la question sociale est une nécessité. Vouloir ethniciser la question sociale n'est pas qu'introduire de la division: c'est une impasse dans la lutte contre le racisme et un obstacle à l'émancipation. « Différences}) - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 Christian De1arue Secrétaire national du MRAP, chargé de la commission mondialisation, cofondateur d'A7TAC Ce document constitue la plateforme de fondation de la commission mondialisation. Se voulant brève et générale, elle ne peut que renvoyer à d'autres analyses et documents plus développés et précis. Par exemple celui publié dans Différences n° 257 sous le titre « Le MRAP et les convergences altermondialistes JJ. Le MRAP dispose d'une commission " mondialisation " car il ne pouvait ignorer ce que l'on nomme trop superficiellement" mondialisation ". Quelle est cette mondialisation honnie? Depuis quand parlons nous de " mondialisation " ? Surtout, quelles sont les causes multiples - économiques, politiques, militaires, etc.- qui génèrent les effets sociaux les plus détestables: pauvreté, répressions, meurtres, migration des peuples, etc? Ces effets sont-ils tous négatifs? N'y a-t-il pas une mondialisation positive? Oui, il y a au moins celle dite" altermondialiste " ! Le XXI" siècle à vu en effèt apparaître une mouvance puis un mouvement antimondialiste formé de jeunes, de paysans et de salariés de tous les pays. Ce " mouvement de mouvements" est d'abord entré en contestation et critique de la mondialisation néolibérale avant de chercher à penser la perspective, certes floue, d'un" autre monde" possible et nécessaire. C'est dans les différents forum altermondialiste que le MRAP débat et agit pour un monde sans exclusion, sans oppression, sans discrimination, bref pour un monde solidaire, fraternel, pour" l'amitié entre les peuples ". A cause des effets d'une certaine mondialisation, les migrations perdurent. Ce ne sont pas les plus touchés par la pauvreté !],:;, 1), Charles,_, 1 , '1' :ji;~,,,, ,~<, 7f!:/è" ". f , : :' ':Mondialisalion '. , " ~ " "' ~ ~~iA 1 ' Edito ' International Dossier Immigration 1 Discrimination ' Education Kiosque a ou les persécutions politiques qui peuvent" passer au Nord ". Au delà du très faible nombre de ceux et celles qui parviennent aux frontières de l'Union Européenne (ou des Etats Unis) ce sont essentiellement les pays du Sud qui accueillent la majeure partie des migrants et exilés. le MRAP conlre la mondialisalion néolibérale el, nécessairemenl, pour une aulre mondialisalion De la mondialisation que nous refusons ... Divers phénomènes d'ordre économique et politique viennent illustrer le rapport de forces inégal qui caractérise depuis des décennies la situation mondiale et les relations entre les peuples. Ils fixent le cadre général de l'opposition du MRAP à la mondialisation dite" néolibérale " dont les firmes multinationales constituent le principal moteur et ce avec l'appui de politiques d'ajustement structurel de la part du FMI et de la Banque Mondiale. Une hiérarchie des pays et des peuples s'approfondie sous la pression d'une triple mondialisation, celle de la finance la plus globalisée, celle marchande (avec des échanges marchands généralisés mais très recentrés sur le Nord) et celle productive avec la délocalisation des usines et des bureaux. En effet cette mondialisation- là, sur de telles prémisses, ne peut tenir ses promesses de paix et de justice, de liberté et de sécurité. Bien au contraire elle accroît encore, en en jouant, les profondes inégalités économiques et sociales qui perdurent sur la planète. Et à la guerre sociale s'ajoute la guerre militaire. Politiquement, les stigmates de la colonisation puis de la décolonisation n'ont pas non plus disparu. L'Empire Européen post colonial participe à cette mondialisation. Il entretient des alliances néfastes avec les dirigeants corrompus des pays du sud, particulièrement en Afrique. Les effets combinés de cette mon' dialisation débouchent sur un nouia vel esclavagisme tel que le travail des enfants et la surexploitation des femmes mais aussi sur une remontée des courants racistes, réactionnaires et fascistes. Cet impérialisme néo-libéral européen s'inscrit en partenaire, certes quelque peu dissonant et indiscipliné, de la volonté des USA d'établir et de renforcer leur domination militaire et économique sur la planète. ... à l'autre mondialisation que nous voulons! Dés lors, revendiquer, comme le fait le MRAP, le choix de l'amitié entre les peuples, implique tout d'abord de sortir du cadre étroit de " la Fin de l'histoire" (Fukuyama) et de participer au dégagement d'une perspective émancipatrice. Pour ce faire, le MRAP participe concrètement, notamment dans les forums sociaux, aux initiatives prises en faveur de la diminution des inégalités, de la réduction de l'écart entre les riches et les pauvres, c'est à dire entre le Nord et le Sud. A ce niveau économique global le MRAP exige lui aussi l'abolition de la dette des pays du Sud. Ajoutons que" le sud est dans le Nord tout comme il y a du Nord dans le Sud» ; autrement dit les inégalités et disparités se retrouvent aussi au sein même de chaque" région" et pays tant au Nord qu'au Sud. Il est d'autre part urgent, au plan politique, de pousser les gouvernements à rompre les alliances avec les élites mafieuses du Sud et de promouvoir véritablement la démocratie et donc une réelle participation de la société civile à l'élaboration d'un autre avenir. A cette fin, le MRAP approuve et soutient les critiques venant de la société civile et des mouvements sociaux altermondialistes visant à délégitimer les institutions néolibérales comme l'OMC, le FMI et la BM. La revendication de transparence et de contrôle est légitime. Vouloir une autre mondialisation implique de prendre pleinement en considération la pertinence et l'efficacité possible du cadre européen. Si l'Europe est nécessaire, c'est aussi une autre Europe qu'il s'agit de construire. le MRAP conlre (( l'Europe foneresse ", pour une Europe d'ouvenure el d'insenion économique sociale el cilovenne. Ce constat nous amène à poser la question de la conception de l'Europe que nous devons forger à l'heure de la liberté économique la plus débridée. Face à ce type de libéralisation, l'Europe sociale et solidaire que nous voulons pour les peuples européens ne peut s'accommoder de l'absence de reconnaissance et d'effectivité de divers droits que nous revendiquons depuis longtemps, aux côté de celles et ceux qui vivent ici " au rabais ", voire sans droits ni possibilité d'insertion sociale et citoyenne, qu'il s'agissent des résidents étrangers, des Rroms ou des demandeurs d'asile persécutés. Contre la montée du chômage et de la précarité en Europe, le MRAP soutient les mesures politiques susceptibles de favoriser une réelle insertion économique et sociale des résidents e},:tracommunautaires. Le MRAP exige le droit de vote des résidents étrangers extra-communautaires durablement installés sur le territoire de l'Union. Le MRAP souscrit pleinement aux analyses et revendications de la Coordination Française pour le Droit d'Asile (CFDA) et de l'ANAFE (dont il l'un des membres fondateurs). Ces organisations rejettent les politiques de l'Union Européennes qui, de la convention de Schengen au Plan de La Haye, visent exclusivement à l'édification de la "Forteresse Europe". Cette Europe est fermée aux immigrations non choisies en provenance des pays tiers. Elle criminalise les demandeurs d'asile et elle voudrait (cf. le Sommet de Théssalonique) reporter sur les pays frontaliers, notamment de la rive sud-méditerranéenne, l'obligation d'organiser la détention et le tri des demandes dites infondées et des migrants pauvres et non qualifiés. Ces politiques ont fait l'objet d'une "harmonisation, déjà très poussée et se traduisent par une réduction drastique du droit d'asile et une véritable "chasse aux clandestins" dans le cadre des Traités d'Amsterdam et de Nice. « Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-NIai-Juin 2006 23 24 Edito ' International ' Dossier ' Immigration l Discrimination ' Education 1 Kiosque Souscription nationale Collectif unitaire national de soutien à Mumia Abu-Jamal Le comité américain de soutien à Mumia sur le stand du MRAP lors de la dernière fête de l'Humanité. Sans argent, il ya vraiment très peu d'espoir d'échapper à l'exécution lorsqu'on est condamné à mort aux Etats-Unis. Les froides statistiques du Département d'Etat de la justice américaine sont là pour le rappeler: le coüt moyen de la défense de ceux qui ont sauvé leur peau équivaut à 3 millions d'euros. € Lorsqu'on est accusé et pauvre, faute de pouvoir disposer de ces moyens colossaux, c'est la condamnation et la mort assurées. C'est l'épouvantable sort réservé à l'immense majorité des hommes et des femmes qui peuplent les couloirs de la mort. La peine de mort est donc aussi une affaire d'argent en lien direct avec la ségrégation sociale et raciale érigée en système. La défense de Mumia Abu-Jamal a déjà coûté plus d'un million d'euros et les procédures en cours nécessitent un engagement financier de l'ordre de 10 000 euros par mois. C'est dire l'enjeu de la souscription que nous lançons avec l'objectif de recueillir 100 000 euros. 2006 est l'année de l'espoir pour sortir Mumia du couloir de la mort. Donnez-lui les moyens de défendre son innocence en adressant vos dons à " MRAP solidarité MUMIA » - 43, Bd de Magenta - 75010 Paris. La situation judicaire Par Maître Robert Bryan (avocat principal en charge de la défense de Mumia) Le mois dernier, la Cour d'Appel Fédérale des Etats-Unis (Cour de troisième Circuit de Philadelphie) a rendu un jugement décisif concernant mon client, Mumia AbuJamal. C'est la décision la plus importante depuis son arrestation il y a un quart de siècle. C'est, en effet, la première fois qu'un tribunal, qu'il soit d'Etat ou fédéral, rend un arrêt qui puisse conduire à un nouveau procès et donc à la libération de Mumia. La Cour a accepté de prendre en compte les arguments relevant de la loi fédérale sur l'habeas corpus et d'autres points que nous avons présentés dans nos recours successifs. Ce sont tous des arguments constitutionnels fondamentaux : le droit à un procès équitable, à l'application des droits constitutionnels garantis par le se, 6e et 14e amendements à la Constitution des Etats-Unis d'Amérique. Tout ceci est une avancée considérable et récompense nos efforts pour assurer à Mumia un nouveau procès équitable. Notre objectif est de gagner ce combat pour la vie, contre la sentence de mort. Nous voulons voir Mumia quitter la prison en homme libre. -1 A la demande de la Cour, je viens de déposer un mémoire qui se résume en trois points : - l'accusation n'a pas respecté les droits de l'accusé dans les conclusions présentées à la Cour en affirmant que le condamné aurait droit à des procédures d'appels à répétition, ce qui a conduit les jurés à prononcer la sentence de mort sans tenir compte de « la présomption d'innocence et de doute raisonnable» ; - il y a eu abus de droit à récuser un très grand nombre de jurés (particulièrement les afro-américains) auquel il faut ajouter les critères racistes qui ont entaché toutes les procédures juridiques depuis l'arrestation de Mumia en 1981, situation qui perdure encore aujourd'hui; -le juge Sabo, présidant le procès, a eu un comportement inqualifiable à l'exemple des propos qu'il a tenus lors d'une suspension de séance (selon une greffière courageuse qui les a rapportés) : « je vais les aider à faire griller ce nègre». International Edito International 1 Dossier Immigration i Discrimination ' Education 1 Kiosque Tramway en Palestine Eliane Benarrosh Membre du CA, responsable de la commission " Moyen Orient" Renée Le Mignot Vice-présidente, chargée des questions internationales Deux groupes français, Alstom (dont l'Etat français est actionnaire à 21 %) et Connex (filiale transport du groupe Veolia), ont été retenus pour participer à un consortium de construction et d'exploitation d'un tramway à Jérusalem, qui doit entrer en service en 2008. Alstom fournirait les rames, et Connex participerait à l'exploitation. Ce projet de tramway vise à relier la partie occidentale de la ville à deux colonies israéliennes construites en Cisjordanie occupée : Pisgat Zeev et French Hill, alors que se poursuivent les constructions dans la proche colonie de Ma'ale Adumim avec l'objectif de couper la Cisjordanie en deux. Les autorités israéliennes ne peuvent pas prétendre que la création d'une ligne de tramway à Jérusalem serait un acte innocent. Ce tramway vise à créer un nouveau fait accompli cherchant à confirmer une annexion illégale et illégitime. Il viole les Conventions de Genève, signées par la France, en renforçant l'installation de populations israéliennes dans les territoires palestiniens occupés. Conformément au droit international, aucun Etat ne reconnaît l'annexion de Jérusalem. Pas plus qu'une quelconque légalité aux Manifestation du collectif « Les femmes en noir ». colonies construites dans les territoires occupés depuis 1967. Jérusalem est soumise aujourd'hui à une intense politique de colonisation, dont l'érection d'un réseau de " Murs" est le principal vecteur. Des quartiers entiers de la partie orientale de la ville (partie palestinienne occupée) sont détruits, d'autres divisés, cloisonnés, bouclés par ces Murs qui rendent par ailleurs quasi-impossible toute circulation des personnes et des marchandises entre Jérusalem-Est et le reste de la Cisjordanie. Une telle politique non seulement empêche l'accès des Palestiniens non résidents à ce qu'ils considèrent comme leur capitale administrative, culturelle, cultuelle et sanitaire (hôpitaux), mais il pénalise aussi gravement toute l'économie palestinienne. Ce projet de tramway est mené non seulement sans les Palestiniens, évidemment non consultés et à qui on impose ce projet de façon unilatérale, mais contre eux puisque l'objectif est manifestement d'accréditer l'idée d'un caractère définitif d'une Jérusalem unifiée, capitale du seul Etat d'Israël. Ce faisant, il s'agit aussi d'empêcher l'émergence de l'Etat palestinien sur l'ensemble des territoires occupés. C'est pour l'ensemble de ces rai. sons que la Cour internationale de Justice, plus haute instance des Nations Unies, a rendu le 9 juillet 2004 un avis condamnant la construction du Mur, à Jérusalem comme dans toute la Cisjordanie, exigeant l'arrêt de sa construction et demandant le démantèlement des parties déjà construites. Un avis approuvé par un vote de l'Assemblée générale des Nations Unies onze jours plus tard, avec le vote des 25 Etats membres de l'Union européenne, dont la France. Les autorités israéliennes ne peuvent pas disposer à leur guise des territoires qui ne sont pas les leurs. Les Palestiniens ont un droit évident et non prescriptible à la souveraineté sur Jérusalem-Est. L'engagement des deux entreprises ne s'est pas fait en dehors de toute implication de l'Etat français. Dès décembre 2004, lors de la conférence d'Herzlya, Nicolas Sarkozy se réjouissait que le commerce franco-israélien ait doublé ces dernières années et il citait parmi les exemples l'investissement d'entreprises françaises dans ce projet de tramway. Les autorités françaises, et notamment l'Ambassade de France en Israël, ont joué un rôle actif dans la signature du contrat. L'attitude de la France à l'égard de cette opération pose de graves problèmes de compatibilité avec les obligations internationales qui lui incombent. Le fait que le con- ••• trat ait été conclu par des sociétés privées ne signifie aucunement que l'État français soit déchargé de toute obligation concernant cette situation. François Dubuisson, professeur en droit à l'Université libre de Bruxelles, déclare à ce propos : « La France a l'obligation de ne donner aucune assistance à la politique d'annexion et de colonisation israélienne et de n'en reconnaître aucun effet. D'autre part la France a l'obligation de faire respecter par ses ressortissants les principes énoncés dans la 4e Convention de Genève. Cette obligation prend sa source dans l'article ]"r commun aux Conventions de Genève. Elle implique de prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que des ressortissants français n'apportent pas de contribution au renforcement de la présence d'implantations juives dans et autour de Jérusalem-Est. Le caractère privé des sociétés ou le caractère commercial du contrat ne saurait à cet égard délier les autorités françaises de ce que l'on appelle en droit international une obligation de vigilance». La mobilisation contre ce projet de tramway devient la campagne prioritaire du collectif national " pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens ". Nous demandons aux élus et au gouvernement d'intervenir pour que des entreprises françaises ne puissent participer à ce projet illégal, qui ne peut que contribuer à ruiner les espoirs de paix dont les deux sociétés, israélienne et palestinienne, ont pourtant cruellement besoin. Du matériel sera prochainement disponible au siège national et envoyé aux présidents des comités locaux (tract, autocollant, cartepétition à adresser au Président Chirac, modèle de lettre à adresser à Alstom et à la Connex). NB " au moment où cet article est envoyé, les résultats aux élections législatives palestiniennes ne sont pas encore connues. Veuillez nous excuser de ne pas aborder cette question. « Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 25 Ed ito ' International Dossier Immigration ' Discrimination Education ! Kiosque ~ Bolivie 1 Renée Le Mignot Evo Morales, candidat du MAS (Mouvement vers le Socialisme) a été élu au premier tour avec 54,2 % des voix aux élections présidentielles de Bolivie. C'est la première fois qu'un Président bolivien est élu au premier tour avec une majorité absolue mais c'est surtout la première fois qu'un Indien est élu à la présidence dans un pays d'Amérique. 'tt,.J.c 00It " fi ... Z 0 ,. ~ .-- ---"'f r ""- PERt; CHllE '"", BRAZll ...... , ....... . H·' G HI.. ... ",Cl S T.~~ \~,

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,"",,'" -. ::-t: AR-GE~NTI.N--A. - '", ............ - -1 Carte postale ancienne. C'est donc là la victoire d'un peuple et l'espoir que soit enfin mis fin à l'exclusion des peuples indigènes dont l'esclavage avait commencé dans les mines d'argent prend ainsi corps. Rappelons que la Bolivie est peuplée à plus de 60 % d'Indiens mais, comme l'a dit Evo Morales, " Aymara, Quechua, Guarani, nous sommes tous présidents ". Le nouveau Président s'est engagé à plus de justice sociale et au contrôle des ressources gazières de son pays. Une autre conception du monde, une conception où l'intérêt des peuples prime sur celui des profits des multinationales, une conception du monde où les peuples seraient maîtres de leurs richesses et de leur destin l'a emporté. Sa mise en place ne sera pas facile ; les adversaires sont nombreux. L'ombre du coup d'Etat fomenté par la CIA, assassinant l'espoir et la liberté au Chili pour instaurer la nuit de la dictature de Pinochet, plane sur les pays d'Amérique latine. N'oublions pas qu'une tentative de coup d'Etat contre le Président Chavez en avril 2002, supervisée par Washington, avait échouée. « La volonté de lutte est à la hauteur du désespoi1: Nous userons de tous les moyens dont dispose le peuple pour changer de société » a déclaré Evo Morales. Le score réalisé par Evo Morales lui donne la légitimité nécessaire pour entamer des réformes démocratiques, sociales et économiques suivant son programme avec le large appui des Indiens, des paysans, des cocaleros, des travailleurs

le MAS se veut l'instrument

politique des luttes paysannes et indigènes. Son programme repose sur la nationalisation des hydrocarbures , la convocation d'une Assemblée constituante, une décentralisation en régions possédant un réel pouvoir de décisions, un plan de développement de la production, la lutte contre la corruption et l'impunité, une politique de redistribution des terres pour les peuples indigènes et les petits paysans, la création d'un nouveau système de sécurité sociale, la gratuité de l'école dans un système unique d'éducation respectant les cultures et le plurilinguisme. De nouvelles actions d'approfondissement de la démocratie sont déjà mises en place. Ainsi, chaque Ministre du Pouvoir exécutif sera désigné seulement après des assemblées et consultations directes avec les Indiens, les paysans, les comités de travailleurs. Le Président Morales a affirmé le droit du peuple bolivien sur les ressources naturelles et le droit de soumettre les investisseurs et compagnies étrangères aux lois boliviennes. Dans ses relations avec les autres pays, le NIAS veut donner la priorité aux rapports SUD-SUD, en particulier le renforcement de la coopération avec le Venezuela, Cuba et le MERCOSUR (Brésil, Argentine, Paraguay, Uraguay et Venezuela) qui s'est déjà prononcé pour l'entrée de la Bolivie comme membre de plein droit. Le MER COS UR est en train de s'affirmer non seulement en tant que bloc commercialéconomique mais aussi politique face aux Etats-Unis. On s'en doute, ceci n'est évidemment pas du goût de G. Bush et cela d'autant que Morales n'a pas hésité à qualifier la politique d'agression des Etats-Unis « d'agression terroriste ". Après l'élection d'Hugo Chavez, celle d'Evo Moralès est en train de changer radicalement les rapports de force en Amérique Latine. Le quotidien « La Razon " écrivait « le reflux historique de la droite en Bolivie concerne plusieurs pays 26 « Différences" - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 d'Amérique du Sud. Le continent est en train de virer à gauche ; cela fait partie de la dynamique des nations ». Le cycle a commencé en 1999 au Venezuela avec l'élection à la présidence d'Hugo Chavez qui a engagé" une révolution bolivarienne ", puis l'élection du candidat socialiste Ricardo Lagos élu Président du Chili en 2000 où lui a succédé Michelle Bachelet en janvier 2006. Ont suivi Lula au Brésil en 2002 (Parti des Travailleurs), Nestor Kirchner (Parti Justicialiste) en Argentine en 2003, Tabaré Vasquez (Front Ample, large coalition de gauche) en Uruguayen 2005. D'autres élections doivent avoir lieu dans les mois à venir : au Costa Rica en février, au Pérou en avril, en Colombie en mai, au Mexique en juillet, au Brésil en octobre, au Nicaragua en novembre. La tendance se poursuivra-telle? Certes, les programmes et les aspirations des uns et des autres varient. On retrouve cependant un dénominateur commun : la dénonciation du modèle « néolibéral " imposé par les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement). Ces bouleversements constituent un défi pour l'hégémonie des EtatsUnis et un espoir pour le monde. Certains (Bolivie, Venezuela, Uruguay) affirment de fortes revendications en faveur des nationalisations des ressources naturelles (hydrocarbures ou eau). D'autres pays où les réformes sont plus International Edito ! Internationa l : Dossier ; Immigration ! Discrimination ! Education 1 Kiosque ~è;:Charles 24 janvier 2012 à 14:19 (UTC)sf~rmations ;e prod~ise~r' 'R alors qu'en 2003, 40 % des latino

américains disposaient de moins '

[ de 2 dollars par jour, seuil de l'ex~ trême pauvreté selon l'ONU, 70 % j vivant avec moins de 5 dollars par, L jour. L'arrivée de la gauche clans ; ces pays fait suite aux nombreux mouvements des ces dernières années : les « Sans Terre)} brésiliens, les « piqueteros )} (coupeurs de routes) d'Argentine, les marches des Indiens de Bolivie, les Zapatistes du Mexique, etc, timides, aussi bien sur les questions économiques que sur les questions de société (avortement ou divorce par exemple), sont traversés par de vifs débats entre les partisans de mesures prudentes pour" ne pas effrayer les investisseurs étrangers " et les partisans d'une réelle rupture politique et sociale. Face à la zone de libre échange des Amériques promue par Washington et destinée à assurer son hégémonie, s'est mise en place l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), un projet privilégiant les complémentarités entre pays et favorisant les plus fragiles. Emir Sader, professeur à l'université de Rio de Janeiro, affirme à ce propos : « Parmi les régions du monde victimes des politiques néolibérales, l'Amérique latine occupe une place de choix,Aucun des projets d'intégration régionale n'a échappé à leurs effets destructeurs, Les mesures de libération commerciale et financière ont accéléré la prise du contrôle du marché intérieur de chaque pays par les multinationales américaines et européennes. Elles ont également accentué la dépendance des économies régionales à l'égard des marchés extérieurs ». L'ALBA a donc pour objectif de contrecarrer l'ALCA (zone de libre échange des Amériques) dans laquelle les Etats-Unis représentant 70 % du produit intérieur brut (PIE), et qui constitue ainsi un véritable outil de consolidation de leur hégémonie. Dans l'ALBA, pas de subventions mais des crédits, des équipements et des technologies pour les entreprises abandonnées par leurs propriétaires et reprises par les salariés, pour les coopératives et les communautés de petits producteurs et pour les entreprises publiques. La Bolivie devrait bientôt rejoindre l'ALBA. Dans le même temps, en avril 2005, des dizaines d'accords ont été signés entre Caracas et la Havane. Hugo Chavez a décidé la création au Venezuela de 600 centres de diagnostic de santé, 600 dispensaires et 35 centres de haute technologie pour assurer à l'ensemble de la population vénézuelienne l'accès gratuit aux soins. Pour ce projet un accord a été signé avec Cuba qui s'est engagé à former 40 000 médecins, 5 000 spécialistes de santé latino américains et 10 000 médecins et infirmiers vénézueliens. Des milliers de Vénézueliens ont retrouvé la vue suite à une opération de la cataracte réalisée à Cuba. Elargie à l'Amérique latine cette opération baptisée" miracle" devrait faire passer le nombre de bénéficiaires à 100 000 (800 Uruguayens en ont déjà profité). Voilà bien de quoi inquiéter les Etats Unis. Noam Chomsky déclarait ainsi récemment dans le quotidien argentin Clarin : « le continent sud-américain évolue désormais hors de tout contrôle. La politique de Washington en Amérique latine ne mènera qu'à l'isolement des Etats-Unis ». Certes, il est plus difficile aujourd'hui qu'autrefois de faire débarquer les marines ou de fomenter un coup d'Etat à la Pinochet mais G. Bush n'a pas pour autant renoncé à sa volonté d'hégémonie. L'Amérique latine, en plein bouleversement, a besoin d'une solidarité internationale. C'est aux pays d'Amérique latine de décider, comme tous les pays du monde, de leur sort et de leur avenir. Ce qui se passe aujourd'hui représente l'espoir de l'émergence d'alternatives politiques autres que l'escalade de la violence entre une super puissance qui veut dominer le monde et des terroristes fanatiques. Un slogan, né au FSE de Florence, a été repris dans divers cortèges du MRAP : « Nous, on veut un monde de toutes les couleurs, libéré des racistes et des exploiteurs », Ce slogan ne tendrait-il pas à devenir réalité, aujourd'hui, en Amérique latine? NB: tous les adhérents interessé(e)s par ce sujet peuvent rejoindre le groupe de travail" Amérique latine" formé par la commission internationale. ~----------------------------------- ---- ------------ --- ----------------------------------------------------~ 1 1 1 1 1 • 1 1 1 1 1 1 1 1 1 BULLETIN D'ABONNEMENT PROMOTIONNEL DE « DIFFÉRENCES» • • International Juridique • • Dossier Immigration • • Education Histoire ... Renvoyez ce bulletin d'abonnement à l'adresse suivante: Différences, 43 bd de Magenta, 7501 0 PARIS Je souscris 4 numéros pour 12 € seulement! o Oui, je profite de l'offre de la revue Différences. Je recevrai les quatre numéros à l'adresse suivante: NOM:. ADRESSE : PRÉNOM: . PROFESSION: .. o Ci-joint mon règlement de 12 € par chèque à l'ordre de Différences. ~ ---- --- ---------- - ---- ----- ----- --- - ---------- --- -- ----------------------------------- ------- ---------- --- « Différences» - Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples - n° 258 - Avril-Mai-]uin 2006 27 28 Edi to t International Dossier Immigration Discrimination Education Kiosque A chaque numéro, nous vous proposons une sélection de livres, romans, essais, études, enquètes,., ainsi que des fiches de cinéma, Voici la sélection du trimestre. N'hésitez pas à nous faire parvenir vos notes de lecture. la révolte des banlieues ou les habits nus de la République De Yann Moulier Boulang, Editions Amsterdam, 5 euros JCO Cet essai explore, à propos des émeutes de l'automne 2005, une hypothèse, cellc du conte d'Andersen ... Les habits neufs de l'empereur '. Et si les émeutiers de novembre avaient montré que la République et son modèle, dont on nous vante les mérites à venir ou perclus, est aussi nue que l'empereur d'Andersen? Ne serait-ce que pour avoir contraint la République à se regarder toute nue dans la glace, malgré les quelques tailleurs habiles et escrocs qui continuent de vanter ses merveilleux habits. Ces émeutiers prétendument. insignifiants " méritent notre respect et l'amnistie qui va à toute révolte qui fait avancer la société. Car, dans une démocratie inachevée, il faut défendre la société. Violences urbaines, violenc--e s-oc-i-ale Violences urbaines, violence sociale De AI. PialOltx et S. Beaud, Editions Fayard, 22 euros layer<! De quoi est faite la violence urbaine qui surgit de manière récurrente à la périphérie des grandes villes de France' Qui sont vraiment les jeunes qui y participent ? j'ar quel cheminement en viennent-ils à défier l'ordre public, les personnes et les biens? Pour répondre à ces questions, les auteurs du désormais classique , Retour sur la condition ouvrière · ont appliqué leur méthode d'investigation à une émeute. Une émeute urbaine survient le 12 juillet 2000 à Montbéliard, cette petite ville industrielle de l'Est de la France, le pays de l'empire Peugeot. Cette éruption de violence, à laquelle participent les jeunes de la ZUP, arrive dans un contexte de très forte reprise économique dans le bassin d'emploi: les automobiles Peugeot se vendent alors bien , la filière tout entière tourne à plein régime. Pour éclairer ce paradoxe apparent (une émeute surgie alors que tous les clignotants passaient au vert), Stéphane Beaud et Michel Pialoux, qui connaissent remarquablement le terrain (ils y auront travaillé au total plus de dix ans), nous invitent à plonger avec eux dans l'épaisseur de l'histoire et à tourner le regard vers le monde du travail, afin de nous faire saisir la complexité du temps vécu (au-delà des statistiques et des images d'Epina!), toucher du doigt ce qu'a été la violence sociale accumulée au temps du chômage et de l'ab~olue précarité, prendre la mesure de la coupure intervenue entre les habitants des cités (c'està- dire les familles d'immigrés) et le reste de la société. Cest alors que cet événement singulier, l'émeute dans la ZUP de Montbéliard ce 12 juillet 2000, se révèle dans sa validité exemplaire, comme le symptôme même de la déstructuration des classes populaires, et plus exactement, comme le produit de la reprol(1arisation de leurs fractions les plus dominées. Où l'on comprend que les politiques sécuritaires qui nous sont aujourd'hui proposées passent à côté de l'essentiel la fabrique sociale des émeutiers. IUURICE RAJSFUS COllAPSUS Collapsus: survivre avec Auschwitz en mémoire De Maurice Rajfus, Loo Scheer, 14,90 euros Ressasser des témoignages n'CS{ pas la meilleure façon d'éviter qu'on ne voue à l'oubli un passé à ce point effroyable. La manie commémorative - qui fait verser des larmes sur ceux qui sont morts il y a soixante ans et désigne des coupables pour mieux s'en excepter - n'est elle pas aussi le meilleur moyen de masquer les exterminations présentes et d'éluder la question de ce qui, en l'homme, conçoit l'inconcevable? Livre mêlant historiographie et récit d'une enfance qui survéwt à l'Occupation et aux rafles, • Collapsus , nourrit en outre d'utiles réflexions sur les phénomènes a<.'tUels de l'iostrumentalisation de la mémoire, de l'idéalisation des victimes ct de la banalisation de l'Etat policier. la couleur de la peau Margaret lflascarenhas, Paris, Alercure de Fro"ce, 2002, 21,50el/I"OS Livia se demande si elle a eu rAison d'arranger son histoire en pass:mt certaines choses sous silence. Ellc ne les a tués que pour apaiser Pagan et la protéger de certain~ faits potentiellement douloureux. Mais elle sait que si Pagan découvre un jour les détails, elle appellera ces omissions des ... mensonges ' .. Livia pense que c'est de sa mère qu'elle tient l'art d'omettre ou d'embellir certains aspects de la réalité. Le jour où Dona Gabriela Miranda a été hospitalisée, elle a parlé toute la journée, uniquement d'elle-même .. Mais dans ses yeux il y avait des fantômes. Cest pour découvrir qui sont ces fantômes que la jeune Pagan, indienne par son père et américaine par sa mère, s'en va vivre un temps à Goa, chez sa grand-mère, la formidable Dona Gabriela, qui va bientôt mourir et donc emporter avec elle tous ses secrets. Des secrets qu'Esperança , la vieille domestique, va peu à peu lui révéler. Aventuriers, marchands d'esclaves, profiteurs, as.~assins, grandes amoureuses, enfants ballottés entre des adultes livrés à leurs passions, ils composent une galerie de personnages hauts en couleur, sur plusieurs générations du riche et puis~ant clan des Miranda-Flores, colons portugais qui ont fait fortune dans la traite des Noirs. De ce torrent d'images, d'histoires, d'intrigues, Pagan ne sortira pas indemne et le lecteur non plus. Margaret Mascarenbas a trente-neuf ans. Née à Goa d'un père indien et d'une mère américaine, e1le a grandi au Venezuela et se partage aujourd'hui entre la Californie et l'Inde . • La couleur de la peau est son premier roman " . • Diffé'rencc:s > - Mouvement contre te racisme et pour l'amitié des peuptes - n" 258 - Avril-M3i-Juin 2006

Notes

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