Différences n°239 - avril 2002

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Sommaire du numéro

n°239 de avril 2002 numéro spécial: jeune et citoyen, l'avenir ne se fera pas sans moi

  • Cultiver le désir citoyen par C. Benabdessadok
  • Réinventer l'espace public, entretien avec Jean-Charles Lagrée réalisé par C. Benabdessadok et E. Rigaud
  • Conseil municipaux en herbe: la même planète
  • Le rôle du MRAP: une éducation active par Monique Lelouche
  • Action associative: l'autre engagement par Martine Barthélémy et Sabine Ferry
  • L'éveil syndical: grèveburger chez MacDo par Nathalie Wallon-Bedjoudjou
  • Face à la police et à la justice: quelle égalité? Par Bernadette Hétier
  • Délinquance des enfants d'immigrés; la fin de l'angélisme par Hervé Brezot
  • Pour le droit de vote des immigrés: débat mené par J.M. Janod avec Safia Chemki, Lucille Besse, Maggy Tornaille
  • Formation civique: un investissement sur le long terme par J.M. Montel


Numéro au format PDF

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f i . j t • l'avenir \ ne se fera pas sans moi! , Editorial Le racisme progresse en France. Le rapport de la CNCDH nous révèle que cette tumeur, enkystéè au coeur de notre société, génère encore et toujours des violences insupportables. Les populations d'origine maghrébine restent les principales victimes des violences racistes, avec 65 % des actes recensés. Autre fait i nquiétant, l'aggravation des violences antisémites. Pourtant, face à cette glauque réalité, nous sommes réconfortés par l'attitude de la jeunesse. Outre le bon sens qui la guide, elle porte l'espoir quant au devenir de notre combat. Ainsi un sondage de la Sofrès révèle que 93 % des jeunes estiment que le racisme est très ou plutôt répandu. Pour près de 30 % d'entre eux, c'est la question qui les angoisse et leur fait le plus peur. Réalistes, ils épousent l'avis général de l'opinion publique: 89 % d'entre eux estiment que ce sont les Maghrébins qui sont le plus visés par le racisme, et ce bien avant les Gitans, les Noirs (37 %), et les Juifs <10 %). Lueur d'espoir: majoritairement, ils envisagent sans préjugé la vie commune avec une personne d'une autre origine: 84 % avec un ou une personne d'origine maghrébine,80 % avec un ou une personne d'origine africaine, 85 % avec un ou une personne de confession juive. C'est dire l'avenir de la France plurielle ... Cette réalité encourageante montre cependant des signes alarmants: plus d'un jeune sur deux juge que certains comportements peuvent parfois justifier des réactions racistes, et ils pensent à 53 % que les opinions racistes sont des points de vue comme les autres. Pourtant beaucoup de nos combats quotidiens trouvent une certaine sympathie chez les jeunes: l'universalité des droits, la lutte des sans-papiers, l'abolition de la double peine, la lutte contre les préjugés ... Une étude du Cidem indique, par ai lleurs, que pour changer la société, les jeunes placent majoritairement leur confiance non pas à l'endroit des politiques, mais dans le mouvement associatif. A plus de 70 %, ils sont prêts à un engagement concret, quotidien. C'est dire l'espace qui nous est ouvert, les potentialités pour l'avenir de nos valeurs. A condition de faire l'effort d'aller vers les jeunes, de créer les cond itions de leur accueil; et à travers l'action quotidienne, leur donner la place qu'ils méritent au sein du Mouvement. Mouloud Aounit 2 Différences n° 239 Avril 2002 3 Introduction 4 Les jeunes et la communauté politique Entretien avec Jean-Charles Lagrée 5 Conseils communaux enfants et jeunes 6 Le rôle du Mrap Une éducation active pour des citoyens engagés 7 Action associative, l'autre engagement L'analyse de Martine Barthélémy 8 L'éveil syndical Reportage chez McDonalds 10 Les hommes naissent-ils libres et égaux en droits face à la justice et à la police? 11 La délinquance des enfants d'immigrés: la fin de l'angélisme? Enquête 14 À bâtons rompus avec Maggy, Safia et Lucille autour du droit de vote des étrangers 16 La formation civique Les étapes d'un investissement sur le long terme Ce numéro a été réalisé avec le soutien du Cidem .. __ LE CMSIIE ET LA DbIocItATIE Cultiver le désir citoyen La citoyenneté n'est l'affaire exclusive d'aucune catégorie de la population. On peut cependant distinguer les domaines où elle s'exerce: une citoyenneté civile correspondant aux libertés fondamentales (liberté d'expression, égalité devant la justice, droit de propriété .. . ) ; une citoyenneté politique fondée sur la participation politique (droit de vote, éligibilité ... ) ; une citoyenneté sociale résultant de la création de droits socio-économiques (à la santé, à la protection contre le chômage, droits syndicaux ... ). Si les enfants et les jeunes ont, en tant que tels, des droits et des intérêts particuliers (à la protection, à l'éducation ... ), les confiner dans un univers qui leur serait propre risque de ne pas faire advenir le désir citoyen mais au contraire de les instrumentaliser en fonction de ce qu'ils «rapporteraient» aux adultes, de les enfermer « dans leur propre monde». Ce qui n'exclut nulleIl1ent, bien au contraire, qu'ils puissent s'organiser - et qu'on les aide à le faire - pour élaborer des propositions et des projets, pour se mettre à l'épreuve du travail en équipe et de la confrontation des idées, enfin pour goûter aux plaisirs des solÎdarités collectives. Se pose dès lors la question de l'effectivité de la prise en compte de cette parole là où les choses sont décidées et appliquées. C'est ce que Jean-Charles Lagrée nomme« l 'espace public» qu'il appelle de ses voeux: un « lieu de reconnaissance de la différence, de la négociation avec autrui, de la régénération du lien social dans le rapport à l'autre» (1). Il n' y a donc pas de « citoyenneté jeune », chaque génération développant ses propres attitudes à la citoyenneté. Dans le contexte des élections en cours et à venir, nous avons accordé la priorité à trois grands thèmes : un reportage nous mène vers l'éveil et la prise de conscience syndicale des jeunes citoyens salariés de chez Mc Donald dont une grève longue et médiatisée a défrayé la chronique ; l'analyse du Mrap sur la question de l'inégalité face aux institutions policière et , judiciaire et une enquête portant sur le discours sécuritaire et la « surdélinquance » des jeunes issus de l'immigration. S'il n'est évidemment pas question d'en nier l'existence, il paraît totalement improductif du point de vue civique et scandaleux du point de vue éthique de ne pas reconnaître que la polarisation sur les jeunes est très souvent l'expression de la peur des adultes (à l'égard de l'avenir), et que ce sentiment est devenu aujourd'hui « la peur du jeune beur ou du jeune "black",jigure emblématique de l 'exclusion rampante qui menace la société »(1). Enfm les aspects éducatifs sont appréhendés selon des approches qui articulent lutte contre le racisme, apprentissage de la citoyenneté, investissement sur le long terme. Enfin, il n'est pas inutile de rappeler dans ce préambule que l'équation « insécurité = chômage = immigration» fut martelée tout au long des années quatre-vingt par une extrême droite triomphale. La surpolitisation électoraliste de ce thème, décliné auj()urd'hui dans la versioq «jeunes des banlieues », a quelque chose de profondément malsain: si nul citoyen n'est censé ignorer la loi, nul politique ne saurait ignorer que « l'exclusion est la limite irréductible de la citoyenneté ». Chérifa Benabdessadok (1) Avant-propos de Jean-Charles Lagrée in « Jeunes et citoyenneté », Problèmes politiques et sociaux/dossiers d'actualité mondiale n° 862, août 2001 1>ifférences Directeur de publication: Mouloud Aounit Gérante bénévole: Marie-Annick Butez Directrice administrative: Florence Festas Rédactrice en chef - Mise en page: Chérifa Benabdessadok Abonnements: Isabel Dos Martires Ont collaboré à ce numéro: Hervé Brezot, Sabine Ferry, Bernadette Hétier, Jean-Marie Janod, Monique Lellouche, Jean-Marie Montel, Olivier Perriraz, Emmanuelle Rigaud, Nathalie Wallon-Bedjoudjou Nous remercions La Documentation française et NTE (Nous travaillons ensemble) qui a conçu la une. Mrap / Différences: 43 bld de Magenta 75010 Paris Site Internet: www.mrap.asso.fr Tél: 01 S3 389999 Télécopie: 01 40409098 - Email: journal.differences@free.fr Impression: Montligeon Tél: 0233 8S 8000 Commission paritaire n° 63634 0247-9095 Dépôt légal 2002-04 Différences n° 239 Avril 2002 3 Jean· Charles Lagrée est chargé de recherches à l'Institut de recherches et d'études des sociétés COIÊlIIpOIëOs (Iresco). Il a coordonné avec Patricia Loncle le n° 862 (août 2001) des Dossiers d'actualité mondiale consacré au thème « Jeunes et citoyenneté », édité par La 00cument.;6)n française. LES JEUNES ET LA COMMUNAUTÉ POLITIQUE Réinventer l'espace public Une refondation de la démocratie ne fera pas l'économie du niveau {{ es· pace public}} comme lieu d'expression, de régulation, de négociation et de formation de la volonté collective; et cela concerne tous les citoyens, jeunes compris. C'est ce que soutient Jean-Charles Lagrée. Entretien Qu'en est-il selon vous de la désaffection des jeunes à l'égard de la politique et des comportements paradoxaux que révèlent sondages et enquêtes? La désaffection par rapport au politique et plus précisément par rapport à lUle politique traditionnelle est lUl phénomène clairement établi. Au point que les Nordiques et les Britanniques ont inventé l'idée de « life politics », ce qui signifie que l'intérêt des jelUles comme des moins jelUles, mais de façon plus accentué chez les premiers, se porte sur lUle politique du quotidien et non plus sur le jeu politicien: c'est lUle autre manière d'entrer en politique. Selon un sondage établi par le Cidem, 85 % des jeunes interrogés affirmaient au mois de février dernier qu'ils avaient envie de voter ... C'est à voir .. . Le fait est que l'abstention croissante fait peser lUl risque important de délégitimation des procédures d'élection et donc du fonctionnement politique républicain. Il y a là lUl « effet jelUle » : ils votent moins que les plus âgés mais cet effet ne marque pas lUle attitude définitive dans le parcours de l'existence et le décalage générationnel n'est pas énorme. Peut-on penser que cette désaffection est liée au décalage entre les attentes des électeurs et les propositions des candidats? Les jelUles ont d'abord d'autres soucis : trouver un travail, rencontrer l'âme soeur, se former, s'amuser, etc. Nous sommes de plus dans lUl contex.1e néo-libéral, même si en France cela est moins vrai qu'aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, où l'individu compte plus que le lien social et la solidarité. Il est vrai aussi que les jelUles générations, toujours plus enclines que leurs aînés à s'engager dans les grandes causes, se heurtent à lUle offre politique en inadéquation avec leurs demandes. Le vrai clivage est là : d'lUl côté lUle velléité, voire lUle volonté d'intervenir sur la chose publique, et de l'autre lUl débat politique à côté des soucis des gens. La démarche « votez pour moi, on verra après» ne fonctionne plus. Tout a beaucoup changé dans les moeurs, la vie professionnelle, la culture, l' économie, le rapport à la société et au politique aussi. C'est peut-être là que gît le phénomène générationnel. Les jelUles, encore plus que le reste de la population, ne sont pas prêts à se dessaisir du pouvoir d'interpellation à l'égard d'lUl élu installé dans sa fonction de représentant du peuple durant X années. Lorsqu'il y a des risques ou des erreurs (risque alimentaire, problème écologique, fermeture d'usine ... ), il faut que les responsables rendent des comptes. 4 Différences nO 239 Avril 2002 L'exigence serait aujourd'hui plus forte? Je ne sais pas mais force est de constater qu'lUl certain nombre d'affaires et de problèmes ont révélé qu'entre cette délégation de pouvoir par l'élection et le recours à la justice il n'y avait rien, rien de décisif en tout cas. Toutes ces affaires sont lUle atteinte au système et au principe même de la démocratie, mais si le seul garde-fou c'est la justice alors c'est très grave : ce n'est pas lUl remède au mal mais lUl mal qui vient conforter lUl autre mal, la prise en main de la chose publique par le citoyen n'a plus de sens. Quand la Manche est transformée en dépotoir, que les Bretons passent leurs week-end à nettoyer les plages, que les dysfonctionnements s'installent dans le système de santé ou la chaîne alimentaire, quand on nous a raconté que les nuages de Tchernobyl s'arrêtaient à Strasbourg, alors que les plaignants - élus ou citoyens - sont déboutés par la justice à la satisfaction de grandes compagnies, c'est très grave. En quoi «l'entrée jeunes» peut-elle nous renseigner sur les formes actuelles de l'exercice du politique et les évolutions souhaitables? La spécificité JelUles n'est pas lUl facteur monolithique: elle varie d'lUl domaine à l'autre. Toutes les structures qui ont pignon sur rue - mouvements, partis, syndicats, associations - ont intérêt à s'interroger sur cette spécificité sans tomber dans la ghettoïsation. Car parler d'lUle « citoyenneté jelUleS » c'est tout le contraire de la citoyenneté. La citoyenneté c'est la participation à lUle communauté politique, c'est le partage d'lUle volonté de vivre ensemble en fonction d'lUl passé et pour construire lUl projet pour l'avenir. Or, créer des espaces jeunes avec des règles pré-définies et des droits spécifiques c'est les enfermer dans lUl ghetto. Nous pourrions aboutir à lUle fragmentation grave du corps social. Pour moi, la question de la citoyenneté aujourd 'hui pose clairement celle de l' espace public où l'expression des intérêts particuliers peut entrer en confrontation avec l'intérêt général. C'est dans la discussion, dans la négociation, dans l'invention des modes de régulation de la confrontation des particularismes que devrait pouvoir s'exprimer la volonté générale. Dans lUle large mesure, la démocratie européenne manque d'lUl espace public : c'est peut-être l'lUl des effets pervers de la démocratie représentative. Il faut travailler à l'émergence d'lUl espace public où les individus, en tant qu'ils sont membres de la collectivité, pourraient être partie prenante de la gestion de la chose publique. Une question revient souvent : où sont les jelUles ? C'est lUle mauvaise question. Les « loulou », « rappeur » ou « black » de senrice sont faciles à trouver et à instrumentaliser. Le problème est de définir les modalités par lesquelles on peut prendre en compte les délibérations de l'espace public - par exemple entre jeunes, acteurs de l'institution scolaire et parents - pour que cela soit mis en oeuvre dans la prise de décision. Une refondation de la démocratie ne fera pas l'économie du niveau espace public comme lieu d'ex.1'ression, de régulation, de négociation et de formation du compromis entre des intérêts individuels motivés par des particularismes de toutes sortes (culturels, économiques, etc) : c'est par là que l'on peut envisager la formation d'une volonté collective. Cette volonté collective n'est-elle pas mise à mal quand, selon une étude (1), 25 % des jeunes considèrent qu'il est normal de ne pas payer dans les transports en commun ? L'exclusion sociale est la limite même de la citoyenneté. Elle semble toucher autour du cinquième de la population en France et lUle partie des jelUles sont frappés de plein fouet. On continue pourtant à s'enfermer dans lUle vision tribale en désignant les jelUles délinquants par « barbares », « sauvageons », ou « Indiens » ... Il faut bien prendre en compte qu'ils ont lUl rapport à la nonne à laquelle ils tordent le cou ou qu'ils transforment en fonction d'lUl processus et d'lUl contex.1e. Mais de quoi rêvent tous ces jeunes ? Pour la plupart à lUl boulot, lUllogement, lUle voiture, lUle copine ou lUl copain, en somme « être comme tout le monde ». Le problème c'est le rapport entre ces aspirations et les possibilités. La délinquance intenrient conune le produit de la rupture entre les aspirations inculquées par le système et les moyens qui sont donnés pour atteindre ces objectifs. • Entretien réalisé par Chérifa Benabdessadok (avec Emmanuelle Rigaud) (1) « La crise des identités. L'interprétation d'une mutation », Claude Dubar, PUF, 2000. Extraits repris in « Jeunes et citoyenneté» Documentation française dans le chapitre « Transformations du rapport aux normes, aux valeurs et à l'autorité » CONSEILS MUNICIPAUX EN HERBE La même planète « Si je n'avais pas été membre du cOllsei 1 municipal, je Il 'aurais pas pu parler au maire CO/11me je l 'ai fait », ainsi s'e:\.1'rime Jessica, 16 ans. Nous sommes à Strasbourg dans lm sympathique et frais reportage intitulé « Balade citoyeIme » consacré alL'\: conseils d'enfants et de jelUles (1). Maïté Elia, alors responsable du Pôle citoyenneté au senrice jeunesse de la capitale alsacielme, semble tout à fait convaincue de l'importance de l' expérience et de son rôle en tant qu'adulte ; elle affinl1e dans une belle formule

« on est des bornes kilométriques

qui balisons le chemin, des repères, mais pas des manipulateurs ». Elle touche en fait du doigt le principal slÜet de méfiance et de gêne qu'inspirent ces structures dont les piomuères ont été créées dans les années soixante. « Cette action municipale partiC1/lière peut être perçue, e:\.1'lique Michel Koebel, comme de la récupération ou de la manipulation politique» (2). Si le risque est réel, il faut aussi avoir à l'esprit que la prenuère tentative de création de conseils municipalL'\:jelUles, en 1944, a été écartée en raison de« la crainte d 'une politisation des jeunes» (2). Chargée de nussion à l'Anacej (Association nationale des conseils d'enfants et de jemles), Marie-Pierre Pemette défend bien sûr le principe du conseil comme cadre de participation et de formation chrique mais ne cache lU les défauts ni les faiblesses. Pour elle, le constat est clair : « les j eunes et les enfants se plaignent d'abord du manque d 'écoute de la part des élus adultes et tout particulièrement des maires. La manipulation ne tient pas. mais 1II1 travers existe, celui de faire jouer un rôle trop facile de représentation lors de telle ou telle manifestation. Ce que d 'ailleurs les j eunes rejitsent ». Les anciens conseillers jeunes interrogés pour les besoins d'une étude sociologique (3) « ont dans leur grande majorité indiqué que leur participation à U/l conseilleur avait dOllné envie d 'agir au service de tOIlS. ainsi qu 'elle leur avaitfait découvrir le sens de l'action collective ». Ce qui n'est pas si mal. « Les cOllseils ne sont pas des gadgets, ajoute Marie-Pierre Pemette, ils sont loin d 'une totale cogestion mais ils touchent du doigt le partage du pouvoir». Partage du pouvoir qui signifie participer mais aussi apprendre, apprendre à gérer lUl budget, à travailler ensemble, à s·e:\.1'rimer dans un débat contradictoire, à parler en public, à défendre lUl projet. Tandis que les élus qui en font la démarche s'aperçoivent elL'\: aussi combien les solutions négociées à partir de plusieurs points de vue sont plus originales que si elles avaient été construites à partir d 'lUl seul. Les enfants et les jelmes engagés dans les conseils ont adopté en 1998 lUl tex.1e de référence dit « Appel de Nevers » (4) dans lequel ils affinllent notarnment : « Nous rappelons que le l11anque de communication, voire le mépris, ne peuvent être que source de conflits et engendrent la violence et le racisme [ . .. ] NOliS réaffirmons que les enfants et les jeunes vivent sur la même planète que les adultes : ils savent les interpeller et agir concrètement pour une société plus juste et tolérante ». ChérifaB. Cl) Réalisation Caroline Carrère et Michel Elrich, coproduction Anacej et Injep (Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire) (2) « La politique noble des conseils d' enfànts », in « Jeunes et citoyenneté » 3) « De l'aventure à l'expérience, Les conseils communaux d' entà nts et de jeunes forment-ils de nouveaux acteurs? » Document de l'Injep nO 38, aoùt 1998 (4) Textes et outils disponibles au siège de l'Anacej 105 rue Lafayette 75010 et sur le site : w\vw.anacej .asso.fr Différences nO 239 Avril 2002 5 Monique lellouche est secrétaire nationale chargée de l'Education. LE RÔLE DU MRAP Une éducation active L'éducation doit préparer à l'exercice de la citoyenneté dès le plus jeune âge. Le Mrap y a toujours accordé une attention privilégiée. Coup de projecteur signé Monique Lellouche LE MRAP s'est toujours impliqué fortemen! dans l'éducati?n à la c~toyennete et au non-raCIsme, necessaire tout au long de la vie, fondamentale pour les enfants et les jeunes. Ceux-ci sont trop souvent présentés par les sondages et les médias comme passifs, individualistes, ne s'intéressant pas à la vie de la cité, allant même jusqu'à la violence contre les institutions pour certains. Les fondements de la culture démocratique seraient-ils mis en question, ou bien apparaîtrait-il impossible de décrypter les modes d'expression et d'action, des jeunes ainsi que leurs attentes? Quoi qu' il en soit, le déficit de participation collective appelle à une prise en charge éducative renforcée dans l' institution scolaire mais aussi dans les autres structures notamment de loisirs, dans les associations, les syndicats ... Cette demande existe dès les premiers jours de l'école de la République, l' instruction et la morale civiques étant les premières des disciplines au service de la cohésion nationale. Actuellement, l'école est sollicitée pour socialiser afin de renforcer le lien social; mais ne lui assigne-t-on pas de régler des problèmes qui ne peuvent l'être sans traiter les questions de la pauvreté, de l'exclusion, du racisme et des discriminations ? Ainsi, la formation à la citoyenneté tente d'apprendre à vivre ensemble. Mais cet appel peut être inter- La Ion prété par les jeunes comme un accent mis davantage sur leurs obligations que sur leurs droits ; l'acte citoyen n'est, alors, pas lisible pour ew( (même si les adultes pensent l' inverse). Or, ils recherchent avant tout une recounaissance sociale, d'autant plus s'ils sont de milieux défavorisés et/ou stigmatisés par le racisme et les discriminations. L'intégration, aujourd'hui, passe par la construction de l'apprentissage de la participation collective. Membres de la collectivité L'autre but de cette éducation est de préparer à être citoyen. A part entière, c'està- dire membre libre et actif de la collectivité politique. L'école, dès le plus jeune âge, prend en compte cette dimension dans des cours spécifiques d'éducation civique et dans certains contenus des . autres disciplines (la question de la formation des intervenants et de la pluridisciplinarité se pose alors). De plus, ils disposent, selon leur âge, de structures de participation à la vie scolaire ; elles constituent des instances d'initiation à l'exercice de la démocratie. Le réseau associatif tient aussi sa place dans cette éducation. Ainsi, de nombrelL'X comités localL'X du Mrap participent à des actions d'information, de prévention, de sensibilisation dans les établissements scolaires - les Semaines de mars étant Provence -Alpes -Côte dl Azur présente l'exposition Racisme Tolérance Citoyenneté PfI..I\ d'Atur 6 Différences nO 239 Avril 2002 un temps fort -, mais aussi dans les foyers de jeunes travailleurs, centres socialL'X et de loisirs. Al' aide des supports pédagogiques du Mrap (films, eÀ'P0s, photos, affiches,jelL'X, brochures), ils organisent des rencontres sur les discriminations, le droit de vote des étrangers, la double peine. L'apprentissage du respect de l'autre, même différent, est mis alors en avant par une réflexion sur les valeurs communes (teÀ1es fondateurs), par des méthodes actives dont la finalité est de déconstruire les stéréotypes et ainsi amener chacun à réfléchir à son rapport à l'autre et au collectif. Le débat, lui, facilite l'apprentissage de la vie politique. Il permet d'analyser, de prendre de la distance par rapport aux arguments, apprend la tolérance. Il montre que la vie collective repose sur un accord passé librement (fondement de la démocratie et de la Loi). Ainsi, cette éducation à la citoyenneté repose sur la responsabilisation des jeunes. Notre mouvement est également sollicité par les instituts universitaires de formation des maîtres (fUFM). Pour les militants, des formations existent déjà ou vont se mettre en place. De plus, le Mrap s'engage en faveur des« chartes de bon. ne conduite», outils qui font avancer la prise de conscience citoyenne. Cependant, il est souvent difficile de mobiliser les jeunes sur toutes ces questions, car de nouvealL'X modèles émergent, liés à la crise de l'Etat-Nation, à la montée de la mondialisation et à une société de plus en plus multiculturelle. La citoyenneté éclate en diverses composantes, la rendant moins lisible. En outre, une profonde évolution des jeunes rend encore plus périlleux ces apprentissages: la socialisation s'opère de plus en plus entre pairs, l'école insiste peut -être plus sur l'instruction que sur l'éducation, les mouvements de jeunesse ont perdu de leur importance

ainsi la distance avec les adultes s'est

renforcée. La question de la communication avec les jeunes, a fortiori s'ils sont défavorisés, se pose donc avec force. Une citoyenneté de terrain Toutefois, ils ont réussi à certains moments à émerger sur la scène publique, montrant leur aptitude à se forger au politique mais d'une façon différente. S'ils refusent souvent de s'inscrire dans des organisations, de voter, ils préfèrent l'engagement local dans des associations plus proches d'eux, humanitaires ou de défense des droits de l'Homme. Elles tiennent désormais un rôle important dans l'apprentissage de la citoyenneté. Le Mrap y a toute sa place. Les «jeunes de baulieue », depuis 1980, font irruption sur la scène publique par la création de nombreuses associations de loisirs, d'éducation, mais aussi militantes, souvent à l'initiative des jeunes issus de l'immigration. Cette nouvelle citoyenneté ancrée dans le terrain est fortement mobilisatrice et interculturelle. Tous ces engagements, apprentissages de la participation politique font évoluer la citoyenneté et nous interrogent sur notre propre rapport au politique. • PARMI LES OUTILS ÉDUCATIFS DUMRAP • « Citoyenneté et égalité des droits» - Réalisée en partenariat avec Léo Lagrange une exposition qui appr éh ende les diffé re nts moments et lieux de l'expression de la citoyenn eté. Bientôt à votre disposition • ({ Racisme : du préjugé à la discrimination» - Une exposition pou r chemi ner au coe ur des mécanismes du stéréotype, des lo giques de l'into lérance et de la ségrégati on. Dimension psyc holo gique , gros plans historiqu es, repères pour l'action .. . • Un dépliant informatif su r ies disc riminati ons et le racisme à destination des jeu nes. Pour toute information complémentaire joindre le Secteur Education. ACTION ASSOCIATIVE L'autre engagement Les jeunes s'inscrivent plus aisément dans l'action associative qui fonctionne comme un substitut à l'engagement politique traditionnel Explication de Martine Barthélemy (1) interogée par Sabine Ferry. Différences: Plus d'un jeune sur trois est membre d'une association au moins (2). Vers lesquelles vont leurs préférences? Pour les jeunes, comme pour leurs aînés, ce sont les associations sportives et de loisirs qui arrivent en tête, devant celles à buts culturels et les organisations caritatives. Mais « les jeunes » ne recouvrent pas une catégorie sociale homogène. Les seuls lycéens et étudiants appartielment pour la moitié d'entre eux à une association. Ils adhèrent plus souvent aux associations culturelles que les jeunes issus de milielL'X défavorisés. Le rapport de l'Observatoire de la vie étudiante (3) rappelle l'importance numérique et la diversité de l'engagement étudiant, notanunent alL'X côtés d' associations caritatives et de solidarité, par exemple d'accompagnement scolaire ou d'enseignement aux personnes incarcérées. Dans les banlieues ou les quartiers populaires, c'est souvent le besoin d'un financement ou d'un local qui incite les jewles à recourir à la fonne associative, sur un mode plutôt« cOllSWnériste » (vacances, loisirs ... ) ou « militant» (solidarité). Pour ces delL'i: catégories, et selon des modalités plus exacerbées chez les jeunes des quartiers poplùaires que chez les« nantis », il Y a une évolution commune des fornles d' engagement. Quelles sont-elles ? L'engagement est orienté vers l'action circonscrite et concrète plutôt que vers la défense d'une cause générale ou des objectifs à visée lointaine. Les jeunes favorisent donc l' immédiat, et attendent des résultats. Leur participation active au sein de l'association est plus importante qu'il y a dix ans, y compris la prise de responsabilités. Il ne s'agit donc pas seulement pour ellX d'adhérer, mais de s'impliquer directement daus l'association et les activités bénévoles. Ils tendent à rejeter certains aspects de la démocratie représentative : la délégation, les fonnes institutiOlmelles de participation, l'inscription figée dans Wle famille politique. Cela pourrait eÀ-pliquer la crise que vivent de nombreuses organisations d' éducation populaire et de jeunesse. Leur mode de fonctionnement traditiOlmel repose sur l'encadrement de la jeunesse mais laisse peu de place à l'accession des jeunes ellX -mêmes allX responsabilités associatives, le projet politique de fonnation du citoyen qu'elles ont longtemps nùs en avant rencontre de moins en moins les préoccupations de leur public. La préférence pour l'action circonscrite témoigne- t-elle d'un rejet de l'engagement IJolitique traditionnel, du militantisme ? Pour les adultes, et de façon exacerbée chez les jeunes, il y a sans aucun doute lme méfiance vis-à-vis des formes institutionnalisées ou politisées de participation. Une méfiance générale envers tout ce qui pourrait se rattacher à une étiquette, à lm réseau idéologique. D'ailleurs, l'appartenance à des associations de défense d'intérêts collectifs, à vocation militante, tend à diminuer. Pourquoi ce phénomène ? Avec la crise économique et sociale, la perte des repères, l'effondrement des modèles idéologiques, il n'y a plus vraiment de projets de société en débat. La mondialisation, la construction européemle s'imposent à nous, le sentiment de ne plus maîtriser les évolutions de notre vie, mais de s'y adapter, domine. On se tourne alors davantage vers les valeurs de base, humanistes, de solidarité, d'où lme sympathie, notamment de la part des jelmes, pour les mouvements écologiques, humaIùtaires ou, sur un registre plus radical, les mouvements anti -mondialisation. Des causes à la fois concrètes et à visée universaliste. Pensez-vous que de nouvelles formes d'action et d'engagement sont en gestation? De nouvelles fonnes de participation sociale sont effectivement en gestation, privilégiant une mobilisation davantage ponctuelle sur des objectifs délimités, lme implication à la fois plus distaIlciée (à l'égard du groupe) et plus personnalisée. Car il y a aussi la recherche d'un épanouissement personnel. La volonté de garder son autollonùe dans l'association prendrait le pas sur un engagement total et pennanent. Autrefois, on était « chrétien de gauche », « ouvrier conmuuùste », on appartenait à lme communauté idéologique. Aujourd'hui, l'individu en taIlt que tel prend toute sa place dans le groupe. C'est en ce sens que l'engagement associatif, à mon avis, est pour beaucoup, un substitut à l'engagement politique. (1) M. Barthélémy est politologue, auteur de « Association, un nouvel âge de la participation », Presses de sciences politiques, 2000 (2) « Les valeurs des jeunes, tendances en France depuis vingt ans », Olivier Galland et Bernard Roudet (di r.), Paris, L'Hannatlan, 2001 (3) « Le pari des étudiants. Rapport sur le développement du bénévolat étudiant », remis aux ministres de l'Education nationale, de l'Emploi et de la Solidarité, Guillaume Houzel, OVE, mars 2002 Différences nO 239 Avril 2002 7 L'ÉVEIL SYNDICAL Grèveburger chez McDo La longue grève des salariés du MacDo Strasbourg-Saint-Denis a défrayé la chronique: médiatisée et appuyée par un comité de soutien particulièrement actif, elle a mis sous les feux de la rampe à la fois les conditions de travail et l'émergence d'une action syndicale forte. Rencontre avec quelques-uns des protagonistes. Reportage de Nathalie Wallon-Bedjoudjou Pour Raja et Maxime, comme pour beaucoup de jeunes, travailler à temps partiel chez McDo était un moyen d' acquérir une relative autonomie financière tout en continuant d' étudier. Rachid, lui, était chômeur depuis trois ans, et Rémi avait claqué la porte de l'école : il fallait sortir du tunnel, faire baisser la pression parentale et satisfaire, là aussi, le besoin d'argent. Lors de l'entretien d'embauche, on promet à tous une ascension rapide. Raja, employée au restaurant de Strasbourg-Saint-Denis, à Paris, a laissé tomber la fac. Comme pour beaucoup, « c'était trop dur de cumuler études et boulot. Et puis on te fait croire que tu vas faire carrière. Alors, tu restes. » Aucune eÀ'Périence du monde du travail, aucune connaissance de leurs droits, a fortiori aucune culture syndicale, ces jeunes entre 16 à 20 ans sont, pour le roi du hamburger, une population de choix. Et derrière le décor apparaissent vite les coulisses. L'un des avantages supposés pour les jeunes, c'est le contrat à temps partiel, qui laisse d'intéressantes plages de liberté dans lajournée. Le salarié est en fait soumis à une « flexibilité » au seul service de l'employeur. Le temps de travail est découpé en tranches séparées de plusieurs heures non rémunérées. En cas d'affluence, le manager peut appeler un équipier en repos. Ceux qui refusent cette flexibilité sont confinés am: tâches les plus ingrates. Polyvalent, l'équipier accepte contractuellement d'occuper tous les postes du restaurant. Il perçoit le Smic horaire, soit 6,67 euros bruts (43 ,72 F), augmenté de 0,08 euro (0,50 F) par heure travaillée pour l'entretien de l'uni- 8 Différences n° 239 Avril 2002 forme. Les pauses (une demiheure toutes les cinq heures) ne sont pas rémunérées ; pas de prime pour les week-ends et les jours fériés ; ce n'est qu'à partir de 2 heures du matin que le travail est considéré comme de nuit. Les contrats sont sur la base mensuelle de quatre-vingt-sept heures. Au-delà, ce ne sont pas des heures « supplémentaires », mais des heures« complémentaires », sans augmentation du talLx horaire. Après quelques mois de présence - et de docilité -le « polyvalent » devient « swing manager » : il remplira les mêmes tâches qu'un « manager », sans modification de salaire. « Syndicat» = gros mot Quant alLX relations de travail entre le salarié et la hiérarchie, 90 % des restaurants étant franchisés, il est difficile de déterminer la frontière entre la politique générale de l'entreprise et celle menée par chaque directeur. Cela n'empêche pas certaines « règles » d'être en vigueur partout. L'isolement des salariés, au sein d'un restaurant comme entre les différents établissements, est entretenu par une cadence de travail pour le moins soutenue, des horaires décalés et l'éternelle politique du « diviser-pour-régner ». Certains mots, comme « syndicat », sont tabous. « Si t 'acceptes pas de fermer ta gueule, on est en train de monter un gros dossier contre toi ... N!cDo a de l 'argent, les meilleurs avocats.. On n 'hésitera pas à t 'envoyer en prison. » Rachid, qui travaille depuis 1996 au restaurant du bld Saint-Germain, à Paris, s'est vu SOlmner ainsi de ne plus « polluer » ses camarades. Raja, elle, a vite compris. « Chez i\I!cDo, syndicat est un gros mot. Le patron te prévient tout de suite que le syndicat, ça n 'apporte que des p roblèmes, ça emp êche d'évoluer. Et si tu deviens délégué syndical ou même membre du comité d 'entreprise, il essaiera de se débarrasser de toi. Tu seras harcelé jusqu 'à ce que tu démissionnes. » En octobre 2001, c'est la mise en cause du délégué syndical CFTC de Strasbourg-Saint-Denis qui met le feu alLX poudres. Accusé d'avoir détourné 150000 euros (l million de francs), il est licencié. Décidés à soutenir leur délégué qui, malgré les obstacles, leur avait obtenu le 1 % patronal et l'affiliation à une mutuelle (une grande rareté chez McDo), les employés se mettent en grève. Une journée et demie de mobilisation suffira pour que le collègue soit réintégré. Un mois plus tard, il est de nouveau licencié, cette fois avec quatre de ses camarades ... pour le même motif. Les cinq envisageaient de se présenter am: élections professionnelles. Difficile de ne pas faire le lien. Isolés mais déterminés, les trente-huit salariés du restaurant se remettent en grève. « Comment on a appris à faire des tracts» « On a commencé la grève le 24 octobre, raconte Raja, six mois plus tard, le regard vif et une pointe d'exaltation dans la voix. On était démuni. Pas de structure et plus de délégué syndical. On s 'est retrouvé dehors. Tout le monde chantait. Ça a duré dix jours ». Jusqu'à ce que deux délégués syndicaux du McDo de Saint -Germain viennent les secouer

« Réveillez-vous, il faut '

Les grévistes sont appuyés par un comité de soutien et parla solidarité des clients, voisins, passants ... réagir .1 » Ils préviennent les membres du syndicat CGT de l'agence BNP-Paribas voisine, qui viennent les soutenir. « Au départ, ils ne voyaient leurs problèmes qu 'à travers leur gérant, se souvient Robert Ertel, la cinquantaine, délégué syndical à la Banque. On leur a expliqué que leur patron n 'était qu 'un petit responsable local. Que, chez NJcDo, l 'exploitation, c 'est au niveau de la filiale, voire de la multinationale. Mais ils sont très j eunes, certains d 'entre eux sont en retrait face aux adultes. Ils n 'ont pas d 'expérience de lutte, ils ne savent pas ce que c 'est que de se solidariser. Et puis, ce sont tous des précaires. Et nous, on n 'a pas l 'habitude de ces formes d'action. Il a fallu les mettre en confiance, les convaincre qu 'ils ne tiendraient pas en restant isolés. Ça a été pour eux une prise de conscience. » Raja est mandatée déléguée syndicale. Ils font le tour des McDo pour élargir le mouvement. La CGT leur apporte un soutien logistique (salle de réunion, fax, contact avec des avocats ... ) Ils se réunissent avec des militants, mais, précise Raja, « les décisions, elles partaient toujours des salariés ». Un comité de soutien se met en place. Formé d'organisations, d'associations et de partis politiques de gauche, il donne de la voix à ces « esclaves des temps modernes». Une caisse de grève est alimentée par le comité de soutien, mais aussi par des passants, des clients du McDo, qui ont apporté spontanément leur contribution. Des tracts sont Pour Maxime, une conviction s'est affirmée: les droits ça se respecte! distribués et diffusés sur le site Internet du Collectif de la restauration rapide, créé par les grévistes qui se sont rebellés contre Pizza Hut en janvier 2001 : « Ronald NfcDonald's et sa bande» sont recherchés pour « détournement de mineurs par clown interposé, généralisation de la précarité, répression du mouvement social, entrave à la liberté syndicale, propagation de la malbouffe ». Raja se souvient comment ils ont appris à rédiger des tracts ... 28 000 établissements dans 120 pays Après cent quinze jours de lutte, un protocole de fin de conflit est signé. Les cinq salariés abusivement licenciés sont réintégrés. Ils obtiennent une participation annuelle de l'employeur pour l'achat de chaussures, le paiement d'environ 47 % des jours de grève et l'ouverture de négociations. Robert Ertel en est convaincu : « Si les syndicats ne réglent pas le problème des précaires aujourd 'hui, c 'est l 'ensemble des entreprises qui, demain, risque d'être touché. A la Fnac, pour précariser les gens, ils essaient de leur donner des statuts différents dans chaque magasin. De plus en plus de contrats sont à 40 % ou 60 % du Smic. On veut combattre toutes les formes de précarisation. Il en va du statut des salariés. » À Montevideo, en Uruguay, le navire McDo a aussi pris l'eau. Brecha, un hebdomadaire de gauche indépendant, a enquêté sur le quotidien des « matelots » (Brecha n° 793 du 9 février 2001). Un Manuel de l'équipage est remis alLX salariés. Dans ce règlement intérieur d'un sectarisme édifiant figure une liste non exhaustive de cas de « mauvaise conduite intentionnelle » pouvant entraîner le licenciement immédiat « sans notification préalable ni indemnité aucune ». L'un d'entre eux : « Faire des déclarations ou révéler, y compris à la presse écrite, à la radio, à la télévision ou à n'importe quel autre média, la moindre information [ ... ] confidentielle, y compris les détails contenus dans ce manuel. » McDonald' s, c ' est plus de 28 000 établissements dans quelque 120 pays, qui emploient environ 1 million et demi de personnes. Et Brecha avait fait une découverte stupéfiante : l'existence de syndicats fermement implantés dans seulement deux pays, en Suède et dans la ville irlandaise de Dublin. La lutte des « esclaves des temps modernes» vient de naître. Il lui faut maintenant grandir . • Différences nO 239 Avril 2002 9 Bernadette Hétier est secrétaire nationale chargée du secteur Immigration et droit d'asile, responsable de l'action européenne pour les droits fondamentaux. FACE À LA JUSTICE ET À LA POLICE Quelle égalité? Quelle relation l'Etat entretient-il avec l'ensemble des citoyens? Sont-ils tous égaux, quels que soient leur histoire, leur statut social, leur lieu de résidence, leur origine ou leur classe d'âge? En particulier en ce qui concerne le rapport à la justice et à la police. Telle est la question développée par Bernadette Hétier FORCE est de constater que dixneuf ans après la Marche pour l' égalité des droits et contre le racisme de 1983, l'égalité reste à construire et les discriminations à abattre, en particulier celles qui se perpétuent au coeur même de la souveraineté de l'État et qui sont le fruit tant de politiques de « contrôle social» de la pauvreté que de l'infiltration du tissu social par un racisme puisant aux sources de l'esclavage et des guerres coloniales. La plus radicale de ces inégalités est la Double Peine (à la fois judiciaire et administrative), comme « bannissement» après une peine de prison, pour les enfants de migrants étrangers bien que nés ou arrivés très jeunes en France. Au mépris d'une vie entière ici, ils sont rejetés dans un là-bas synonyme de« mort culturelle». Mais le banlité devant la loi revient néanmoins mL"\: politiques de lutte contre la délinquance et l'insécurité, amplifiées par le discours politique et médiatique. Qu'il s'agisse de rappeler à l'ordre des parents jugés démissionnaires en faisant planer sur les plus démunis la menace de suspension des allocations familiales, de« l'impunité zéro », des poursuites immédiates (<< en temps réel ») des « délégués du procureur» (beaucoup d'ex gendarmes ou policiers), des offensives à répétition contre l'ordonnance de 1945 sur l'en- N ~ 'C Qi a. Qi

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nissement n'est que la forme extrême des inégalités quotidieunes vécues par les jeunes des banlieues et de l'immigration face à la police et à la justice. Assignés socialement à résidence dans les cités, plus surveillés, notamment de par la singularité française en matière de répression de la consommation de stupéfiants, ils vivent comme un harcèlement la répétition des contrôles d'identité. Certains dégénèrent et donnent lieu à des poursuites pour outrage, rébellion ou violences, passibles de plusieurs mois de prison. Incompréhension et sentiment d'injustice font _____ ... _______ • 0 @ Citoyens contre la violence policière et le tout sécuritaire Deux réseaux de citoyens rassemblant universitaires et associatifs ont vu le jour à l'automne 2001 • FABRIQUE DE LA HAINE est né de l'acquittement fin septembre 2001 par la Cour d'assises de Versailles du policier Hiblot, auteur des coups de feu mortels contre Youssef Kha'll à Mantesla- Jolie en 1991. Il devrait organiser le 26 mai 2002 (de 9h30 à 18h30) à la Bourse du travail de Saint-Denis un Forum Justice auquel sont invités des représentants de groupes de plusieurs villes de France mobilisés autour de crimes commis par des policiers. Extrait de sa Charte: « L'inégalité des jeunes des banlieues face à la police et à la justice reflète d'autres inégalités ... [qui] sont une véritable violence faite aux habitants des quartiers populaires. La sécurité des personnes ne peut être arbitrairement séparée de la sécurité salariale, sociale, médicale ou éducative ... ». • PAS DE GUERRE ANTI-JEUNES. Extrait de l'Appel de décembre 2001 (Le Monde) : « Aujourd'hui, la fracture se creuse avec ceux qu'on renvoie à des images de dangerosité sociale. Si péril il y a, c'est celui d'une stigmatisation injuste de toute une fraction de la jeunesse ... n. 10 Différences n° 239 Avril 2002 monter chez les jeunes une« haine » alimentée par l'intervention musclée et massive des Brigades anti-criminalité ressentie comme violence physique et morale plus forte que le désordre public qu'elle serait censée réprimer. L'après 11 septembre 2001 a ouvert la voie en France à Vigipirate renforcé (multiplication des contrôles au faciès), à une Loi « à tout faire» sur la Sécurité quotidienne (6 mois de prison et 7 500 euros pour fraude « habituelle» aux transports ; appel à la police pour faire cesser l'obstruction des halls ou escaliers d'immeubles ; pouvoirs de police accordés am vigiles ... ), à des manifestations policières et à une révision de circonstance de la loi sur la présomption d'innocence à la veille des élections ... Autant de signes dangereusement lancés par le « politique», qui ne sont pas étrangers à certaines violences, dérives racistes, courses-poursuites et abus de légitime défense de policiers, aboutissant à plusieurs morts de jeunes en décembre 2001 et janvier 2002. La multiplication de ces tragédies ne permet plus d 'y voir de simples bavures mais bien des crimes rendus possibles par un système d'impunité aussi bien judiciaire qu'administrative. La responsabilité essentielle de l'inégafance délinquante, jugée trop protectrice. D'aucuns préconisent aujourd'hui à l'égard de mineurs, que la société ne veut plus reconnaître comme « ses» enfants parce qu'ils lui font peur, le placement en centres fermés (supprimés en 1979 parce qu'explosifs et criminogènes), la responsabilité pénale à partir de 10 ans (13 actuellement), la comparution immédiate... On assiste à une régression de certains des droits reconnus par la Convention internationale des droits de l'Enfant (c'est à dire tout mineur), mais à une montée des devoirs exigés, au mépris du principe selon lequel un mineur dangerelL"\: pour lui-même ou autrui est aussi et d'abord nn mineur en danger qui a droit à être aidé, éduqué et protégé. Un « tout répressif» venu des USA se répand avec la théorie du « carreau cassé » à changer dans l'instant pour éviter la dégradation urbaine, mère de toutes les délinquances. Tel est le saisissant raccourci véhiculé à propos d'une jeunesse de France dont on sait qu'elle est « blackblanc- beur» et que ses composantes les plus colorées sont celles qui subissent le plus d'exclusions sociales aggravées par les discriminations et le racisme et le plus d'inégalités d'un bout à l'autre de la chaîne répressive. • 1 DÉLINQUANCE DES ENFANTS D'IMMIGRÉS La fin de l'angélisme? Propice aux surenchères sécuritaires, la période électorale a tenu ses promesses: partout le sentiment d'insécurité a été porté au pinacle, et mis en accusation plus ou moins avouée, les jeunes issus de l'immigration. L'enquête d'Hervé Brezot LA BANLIEUE serait-elle désormais «un pays étranger, lointain et exotique, peuplé de jeunes garçons basanés dont l'activité principale est la "violence urbaine ", aux prises avec des agents de police débordés et des petits blancs" excédés» ? (1) S'appuyant sur cette image, un courant d'opinion semble s'affirmer autour de la thématique de la fin de l'angélisme quant à la« surdélinquance des jeunes issus de l'immigration» Les « sauvageons » désigneraient« centralement au vu et au su de tout le monde, des Jeunes d 'origine arabe ou musulmane », ex-plique dans Le Figaro, en février dernier, Shmuel Trigano, professeur des universités. Car ce ne sont plus les immigrés, ceux venus construire la France des Trente glorieuses, que l'on vise, ce sont leurs enfants. Petite délinquance, agressions, racket au collège, trafic de drogues, incivilités, émeutes urbaines, etc. , depuis ' longtemps, des policiers « de terrain» le répètent: ils sont majoritairement le fait « des Noirs et des Arabes ». Et « ce n 'est pas être raciste que de dire cela». Les témoignages de vîctimes, les images « de la télé », l'attestent. Le retour des classes dangereuses Alors, ils se sont tous trompés, les militants antiracistes ... « Nul n'est défavorisé, par essence, du seul fait de son appartenance à un groupe, (qu'il) soit d'ordre géographique, culturel ou religieux », comme le proclame Charles Hadji, autre professeur d'université, dans les pages Débats du A10nde, « le seul vrai handicap subi par les jeunes dans les quartiers "difficiles" (serait) l'impossibilité, où les place l'action destructrice et terrorisante de quelques violents » ? On ne devrait plus « se voiler la face devant une constante de la délinquance dans les pays d'accueil" d'Europe: loin de s'atténuer l 'hétérogénéité des populations immigrées par rapport au pays d'accueil s'est aggravée, elle s'est "communautarisée" et structurée par un discours dans lequel la violence est, pour les jeunes générations, un thème commun et dominant », explique, dans les mêmes pages du journal, Jacques Gaillard, maître de conférence à l'université et écrivain. Et d'insister: « casser, agresser, voler, c'est tout sauf une révolte, c'est s'identifier à un clan en reproduisant aveuglément des actes caractéristiques (...). La barbarie, qu'on a pudeur d 'évoquer pour qualifier des meurtres de gamins au cutter, des viols organisés ou des razzias en horde, s'affiche comme style de vie héroïque. » Une attitude finalement « plus proche qu'on ne le croit du terrorisme ». (2) Et voilà comment, à l'occasion du discours sur « l'insécurité dans les banlieues », reviennent sur le devant de la scène, à la tribune de la presse, rajeunies, victorieuses, la théorie des « classes dangereuses » et celle de « l'ennemi de l'intérieur ». Face à l'avalanche de déclarations de ce type, un groupe de chercheurs et d'intervenants dans ces fameux quartiers s'est créé, fin décembre 200 l, pour y répondre et « clarifier le débat public sur l'insécurité », d'où son nom: Claris. A l'initiative d'un jeune historien et sociologue, chercheur au CNRS, Laurent Mucchielli, ils veulent opposer aux « discours politiques et médiatiques (qui) se livrent le plus souvent à des exploitations, des amalgames et des dramatisations qui dérivent vers la construction d'un ennemi jeune et immigré », les résultats de leurs travalL"\:, de leurs expériences. Surdélinquance et surinterpellation La « surdélinquance des jeunes issus de l'immigration », un fait établi ... par la police? «Il faut rappeler que le jugement policier est biaisé à la base par une discrimination qui oriente les contrôles sur la voie publique, c'est le problème des "contrôles au faciès" », écrit Laurent Mucchielli, dans son livre Violences et insécurité, Fantasmes et réalités dans le débat français (3). Ainsi, si l'on reconnaît, par exemple, une généralisation de la consommation du caunabis chez les jeunes toutes origines sociales confondues, comment expliquer que les mises en cause pénales concernent majoritairement ceux des quartiers populaires et évidemment plus encore ceux dont la peau n'est pas tout à fait blanche? « On peut estimer le taux de "surinterpellation" de ces jeunes de 1,5 pour l, c'est assez faible », commente Hugues Lagrange, directeur de recherche à l'Observatoire sociologique du changement (CNRSlEP), « mais cela se répète à tous les niveaux de la chaîne judiciaire, jusqu'à atteindre un taux de 5 pour l, résultat d'un désavantage cumulatif. » La « surdélinquance des jeunes issus de l'immigration», un fait ~ Différences nO 239 Avril 2002 11 LA FIN DE L'ANGÉLISME? ~ établi ... dans les cités? Forcément, « si l'on constate que, du fait du processus de ghettoïsation et de la taille des familles, les jeunes d'origine maghrébine représentent la moitié, voire plus, de la jeunesse de tout un quartier, il n'est pas surprenant qu'ils soient également massivement représentés dans le sous ensemble délinquant », explique Mucchielli. Plus facile pour des responsables politiques, dont la caractéristique est la longévité au pouvoir, de stigmatiser une partie de la population plutôt que de reconnaître leur responsabilité dans la situation de relégation dans laquelle se trouvent les habitants de nombreux quartiers autrefois populaires, aujourd'hui« sensibles» quand ils ne sont pas « à haut risque » (4). Il en est ainsi de ces immeubles « construits à la hâte, concentrant des milliers de personnes en peu d'espace, (..) peu agréables à vivre: l'isolation phonique et parfois thermique pose problème, les matériaux se dégradent plus rapidement qu'ailleurs, l'ensemble n'est pas pensé pour la convivialité et la rencontre des différentes catégories d'âge» et «fait important: à l'extérieur, la surveillance visuelle des enfants par les adultes est quasi impossible » (3). Combattre le racisme pour combattre la délinquance « A l'intérieur du quartier, la concentration progressive des familles maghrébines et noires africaines leur confère une visibilité inédite qui renforce la xénophobie et la volonté de cette partie la pauvre des ouvriers français, qui se sent « piégée» au fond du puit social, de s'en distinguer. ( ... ) Le racisme se vit au quotidien et ses manifestations constantes participent très tôt à la construction identitaire des enfants. Un incident un peu plus grave survenant à l'adolescence peut précipiter une prise de conscience et une réaction violente: « Le premier incident, cela peut être une bousculade, un vélo renversé, un ballon dans une vitre, quelque chose de relativement banal dans un lieu où les enfants jouent, et à l'occasion de ces premiers incidents qui ont eu lieu quand ils avaient huit ans, dix ans, ils ont subi avec beaucoup d'étonnement une espèce de déferlement de haine venant de la personne dont le vélo avait été renversé, dont l'enfant avait été bousculé, dont la vitre avait été brisée, avec des mots qui se sont imprimés très fortement, "retournez chez vous", "ils ne savent pas élever leurs enfants", "qu'est-ce que vous foutez là bande de sauvages", focalisant sur un événement banal un conflit entre adultes. A travers ces réactions xénophobes, qu'ils ont entendues avec étonnement au début, quelque chose a commencé à se construire au niveau d'un groupe [de jeunes] qui a commencé à se refermer sur lui-même et à comprendre petit à petit que les actes posés par eux-mêmes n'étaient pas reçus comme les actes des autres, c'est-à-dire qu'il y avait chez eux quelque chose de différent et de plus grave. » Et par la suite, les confirmations de cette différence pourront être nombreuses: à l'école, en stage, à l'embauche, à l'entrée des discothèques, dans le rapport avecies policiers, etc [ ... ] On ne comprend pas toute une série de phénomènes cruciaux de la période 1980-2000 si l'on ne mesure pas la place de cette question du racisme et du contre-racisme et si l'on ne saisit pas la dimension politique de certaines formes de délinquance et de violences juvéniles. Dans certaines situations, il semble en effet que la violence soit la seule façon de faire entendre sa révolte. » Extrait de ({ Violences et insécurité », Laurent Mucchielli 12 Différences n° 239 Avril 2002 Réguler, faire reconnaître l'acte délictueux Dans ces cités, la crise économique a fait le tri, renforçant « la concentration des familles ouvrières les plus frappées par le chômage et la crise économique (..), la plupart des familles d'ouvriers étrangers et en particulier les A4aghrébins », jusqu'à atteindre des taux de «50 % ou même de 60 %» de population d'origine étrangère. Il en est ainsi de l'ensemble HLM de La Courneuve, les « 4000 » géré jusqu'au milieu des armées 1980 par l'Office public d'aménagement et de construction (Opac) de la ville de Paris: « On a concentré ici, les "non désirables", pauvres, cas sociaux, sous-prolétariat étranger », dénonce Aïssa Zekkour, président de l'association Africa, créée après une série de trois crimes perpétrés entre 1983 et 1987 aux « 4000 » et qui mène aujourd'hui des activités de lutte contre le racisme et les discriminations via notamment le soutien scolaire, des cours de français, des accompagnements socio-administratifs, etc. (4) Comme toute cité qui se respecte, les moins de vingt ans représentent plus du tiers de la population. Or, « une certaine petite délinquance de vols, de bagarres et de dégradation est classique à cet âge, elle est même "endémique" dans lajeunesse des milieux populaires », indique Mucchielli. « C'est une violence de socialisation qui a toujours existé », confirme Mohamed Chéhhar, sociologue, à l'occasion d'un débat organisé par le Mrap et Ras l'Front Strasbourg sur le thème« Incivilités, insécurités: entre réalités et fantasmes », le 23 mars dernier à Hautepierre. Pour ce délégué du médiateur de la République dans ce quartier réputé pour les incendies de voitures la nuit de la Saint-Sylvestre, « il s'agit de la réguler, de l'atténuer et surtout d'être en mesure de faire reconnaître à son auteur la responsabilité de son acte. »L'enjeu ? « C 'est précisément son contrôle, ajin que les choses n'aillent pas trop loin, que les "bêtises" ne deviennent pas une habitude, gâchant complètement les études àforce d 'absentéisme et d'indiscipline et entraînant jinalement sur la voie d'une délinquance qui devient le style de vie valorisant» (3) . Et aux « 4000 » comme ailleurs, le chômage de longue durée des pères, le mépris dont ils sont l' objet quand ils sont, de surcroît, étrangers, la dévalorisation des études des grands-frères également sans emploi, les parcours délinquants réussis, éphémères et minoritaires mais « exemplaires » ont fait des ravages. D'autant plus que ces quartiers de relégation ont perdu, avec le départ des classes moyennes, leurs forces « militantes », de « médiation ». « Quand la cité était quadrillée par les militants, les associations liées au Parti communiste comme la Confédération nationale du logement ou l'ex-Union des femmes françaises, les petits caïds ne faisaient pas la loi », témoigne Mimouna Hadjam, fondatrice du Lieu de rencontre des femmes aux « 4000 », «aujourd'hui, même quand il faut revendiquer de meilleures conditions de vie, les gens n 'osent pas l'ouvrir, près des trois-quarts des locataires ont des retards de loyer de plusieurs dizaines de milliers de fi-an cs. » Rapidement, remarque Laurent Mucchielli, « les jeunes apparaissent comme des étrangers et comme un groupe plus ou moins menaçant, un groupe dont les réactions sont imprévisibles et face auquel il importe de se protéger. » Un groupe prêt à en découdre avec les forces de police, jeunes « blacks et beurs» en première ligne. Ni guerilla, ni culture de la haine La « surdélinquance des jeunes issus de l'immigration », un fait établi ... pour les jeunes d'origine maghrébine et noire africaine dans les « émeutes urbaines » ? S'il n'y a rien d'étonnant à ce que « cette population soit surreprésentée dans la délinquance quand elle est également surreprésentée dans une population "à risque" : jeunes, issus de quartiers de relégation, d'origine populaire, etc. », estime Laurent Mucchielli, « il existe toutefois des quartiers dits "sensibles " où leur surreprésentation ne s'explique pas seulement par la démographie, il s'agit des quartiers où l'on retrouve un conflit ancien et une forte hostilité avec la police. » Vaulx-en-Velin, Mantes-la-Jolie, Toulouse ... autant de « violences urbaines » médiatisées dont on oublie trop vite l'origine : « Les grandes émeutes qui défraient la chronique ne viennent pas de nulle part, loin d'exprimer une "sauvagerie" ou une "culture de la haine", elles éclatent souvent en réaction à une "bavure" mortelle», rappellent les auteurs de Stop quelle violence ? La« guérilla» est ensuite entretenue autant par les provocations des jeunes que par la violence des policiers. « Devenir quelqu'un » L' omniprésence de jeunes « beurs et compagnie» dans ces actes? Il faut d'abord constater que « chez les jeunes qui en sont victimes et qui se trouvent par ailleurs en situation de fragilité ou d'échec socioéconomique, le racisme produit logiquement une double réaction de révolte et de retournement du stigmate en ajjirmation identitaire. » (3) Jeunes « cailleras» (verlan de « racailles ») et fiers de l'être, « là où les opportunités se présentent, ils peuvent alors adopter plus facilement un style de vie délinquant qui présente localement des aspects valorisants, une sortie de l'impasse, une possi b i li té de paraître, devenir quelqu'un. »L'affrontement avec la police devient à la fois ou au choix révolte contre les premiers acteurs de leur exclusion via les contrôles au faciès (plus ou moins musclé) et un mode d'entrée dans la délinquance. Cette « surreprésentation » une fois atténuée ou expliquée, le En savoir plus La disproportion entre les délits commis par les jeunes et les moyens déployés par les forces de l'ordre alimente le sentiment d'injustice problème des violences, de la délinquance des jeunes des cités de relégation, puisque c'est de celle-ci dont on parle, qu'elle soit constante depuis des dizaines d'années ou qu'elle« el\..l'lose » ces derniers temps, demeure un problème qui ne peut et ne doit pas être nié. Appliquer les mesures pénales de répressionréparation, de protection des mineurs, qui existent aujourd'hui dans l'ordonnance de 1945 notamment et qui souvent ne sont pas mises en oeuvre faute de moyens, ne suffit pas. La délinquance des jeunes, issus de l'immigration ou non, est un sujet trop sérieux pour qu'on le réduise à un discours surmédiatisé sur les mesures policières et les techniques de sécurité. Cette réduction est un détournement et l'el\..l'ression d'une paresse intellectuelle désastreuse pour les délinquants eux-mêmes, leurs familles, les victimes qu'ils ont déjà faites. Elle est malheureusement électoralement profitable. A court terme . • (l) Citation reprise de « Stop quelle violence? », L'esprit frappeur 2001 (2) Le Figaro, 21/02/02; Le Monde, 16/02/02 (3) Violences et insécurité, Fantasmes et réalités dans le débat français, Laurent Mucchielli,La Découverte, 2001 (4) Cf Le Parisien du 17 février 1999, « Les cités à haut risque d'Ilede- France» (5) Association Africa: 3, place Georges Braque 93120 La CourneuveTél

01 48369574

~ Le réseau Claris émet un« Bulletin d'information» Internet, inscriptions via l'adresse e-mail: claris.groupe@free.fr ~ Site Internet: http://laurent.mucchielli.free.fr ~ «Délinquance et usages de drogue : De l'affrontement à l' esquive »,_Hugues Lagrange, , Syros 2001 « Parce que ici c'est "les 4000" » La gare de La Courneuve-Aubervilliers c'est l'arrêt pour rejoindre le plus facilement les quartiers sud des« 4 000 logements ». Quelques centaines de mètres à parcourir. Face au visiteur, impressionnante, la barre ({ Balzac », dix porches en enfilade et quinze étages de haut. Les halls d'entrée tagués, défoncés. Certains sont ({ gardés» par quelques jeunes habillés avec la panoplie« banlieue» : survêtement et baskets de marque. Derrière « Balzac », un immeuble plus petit, rue Debussy. Au rezde- chaussée, l'association ({ Lieu de rencontre des femmes» accueille des mamans autour d'un café et de pâtisseries. Une nuit d'avril 2000, au lendemain du décès accidentel d'un jeune de la cité, écrasé par une rame RER alors qu'il venait d'arracher la sacoche d'un passager, des affrontements ont eu lieu avec les forces de l'ordre. Les mamans du rez-de-chaussée du « petit Debussy» se souviennent: « Le soir même, alors que la cité était calme, les policiers l'ont envahie», ({ nous étions comme assiégés parles CRS », racontent-elles, ({ pourquoi n'ont-ils pas laissé les jeunes faire leur deuil? ». Pour Mimouna Hadjam, fondatrice du « Lieu », « au premier incident toute la cité s'est soulevée, même les mamans maliennes qui sont d'habitude très discrètes s'y sont mises ... les gens ont balancé des seaux d'eau, des casseroles, même les pompiers ont été pris pour cible. » Susceptibles certains habitants des « 4000 » ? Les rapports avec la police ne semblent pas pour rien dans ce brusque ({ coup de colère ». « Une fois, ils ont perquisitionné chez moi par erreur; dès que j'ai ouvert il y en avait un dans la cuisine, l'autre au salon, ma soeur a été bousculée avec sa petite de trois ans ... ils sont repartis sans s'excuser », témoigne Kheira. « Il y a quelques semaines, à l'entrée de la cité, ils ont obligé quatre jeunes à baisser leur pantalon jusqu'aux chevilles, en pleine rue, même s'ils ont fait quelque chose, cela ne sert à rien de les humilier », glisse Malika. « Ils ont cassé la porte de chez moi en plein jour pour trouver mon fils qui avait bousculé un professeur; ils étaient habillés de gilets pare-balles, avec des casques et un car de CRS attendait en bas de /'immeuble », poursuit Ramza. ({ Deux fois par mois, ils cassent les boites aux lettres, les portes des compteurs pour chercher de la drogue dit-on, mais pourquoi n'utilisent-ils pas de doubles des clés? », s'interroge Kheira, avant de répondre: « Parce que ici c'est "les 4000" ! ». H.B. Différences nO 239 Avril 2002 13 POUR LE DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS ~ A bâtons rompus avec MQggy, Sofia et Lucille De nombreux mouvements et organisations politiques de jeunes appartiennent au Collectif « Même sol, Mêmes droits, Même voix)} et s'investissent dans les campagnes pour le droit de vote des étrangers non communautaires. Tous ont été invités à une table ronde organisée au siège du Mrap. Requis par leurs obligations, tous n'ont pas pu répondre à l'invitation. Débat mené par Jean-Marie Janod, Collectif Même sol, Mêmes droits, Même voix 1 Jean-Marie Janod Co-animateur pour le Mrap du Collectif Différences: Certains jeunes vont voter pour la première fois, comment vos mouvements ressentent-ils les deux campagnes? Que représente pour vous l'acte de voter? Maggy Tornaille : Pour la JEC c'est le moment de sensibiliser lycéens et étudiants à l 'étude et à la nécessité de la réflexion sur les programmes des candidats. Par exemple, avec le CCFD, sur 1 Safia Chemiti Fédération des clubs Unesco l 'aide publique au développement, question qui nous touche. Nous pensons que la politique est un moyen non violent de s'eÀ':primer, de faire l'apprentissage du débat et d'exercer la responsabilité, notion très importante pour les jeunes du mouvement, dans les conseils de classe déjà on s'initie à la citoyenneté. Avec le droit de vote des étrangers, nous avons prati- Message de l'Unef Extrait de l'inten'ention écrite transmise par l'Unef * « Le savoir n'a pas de frontières ... Nous défendons : l'accès pour tous à l'éducation, à l'enseignement supérieur, quelle que soit la nationalité ... Nous demandons la fin de l'exclusion des étrangers du système d'aide social, l'abrogation des lois Pasqua-Debré et de la circulaire Sauvé-Marchand. Nous proposons une "Charte pour l'égalité des droits !". Nous nous prononçons pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. Sur ces questions, l'Unef interpelle les candidats. »

  • les militants de l'Unef étaient occupés le jour de notre rencontre

aux élections dans les Crous J.-M.J 14 Différences nO 239 Avril 2002 1 Lucille Besse Etudiante et militante au Mrap qué notre pédagogie : «voir, juger, agir» et nous travaillons sur l'actualité de cette revendication. Avant d'adhérer au Collectif « Mêmes droits, Même sol, Même voix», il y a eu tout une réflexion des jeunes dans le mouvement. Après quoi nous avons agi avec le Collectif. Nos équipes sont assez libres d'interpeller les candidats, entre autres sur le droit de vote des étrangers. Que ces derniers votent nous semble naturel et nécessaire : ils vivent tous les jours la vie de la cité. Le leur refuser c'est leur couper un moyen d'expression. Nous les côtoyons, ils font déjà plein de choses pour participer à la vie de la cité, ils font bouger et avancer des choses et eux ne peuvent pas s'exprimer, c'est un paradoxe et une injustice. Nous côtoyons beaucoup de cultures différentes, par la JEC internationale et la JEC européenne : les jeunes communautaires eux peuvent voter, les autres non ! n y a inégalité entre les habitants, divisés en fait en qua- 1 Maggy Tornaille Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) tre catégorie de citoyens: Français, communautaires, extra-communautaires, et sans papiers ni droits. Etre citoyen ça a à voir avec la nationalité, avec la résidence ? Avec le lien social ? Maggy: Non. Dans toutes les associations il y a des étrangers, ils sont tout autant que d'autres acteurs dans la cité. Là réside l'injustice. Un citoyen idéal? Je ne sais pas si ça existe, mais je pense qu'un citoyen, c'est quelqu'un d'actif dans son quartier, qui essaie de faire bouger les choses et qui s'intéresse à la cité en général. C'est la notion de vivre-ensemble. .. Cela dépend aussi des personnes, il n'y a pas de notions de grand ou petit engagement, tout le monde peut arriver à être citoyen. Pas forcément en devenant politicien ... On a des droits, mais aussi des devoirs envers la société: s'informer, participer au débat, faire avancer les choses ... Safia Chemiti: On s'est tous posé la question au Lycée ( je suis d'origine algérienne mais mes parents ne peuvent toujours pas voter ) : pourquoi nous, et pas nos parents ? Mes parents sont considérés, un petit peu .. . indirectement, comme des métèques, parce qu'ils n'ont pas le droit de vote ... On se dit : « c'est une injustice ». Mais on s'intéresse pas vraiment alL'( élections en général. Vous ne retrouvez pas vos réalités? Lucille Besse: A partir du moment où on vit tous sur le même sol il y a cette discrimination et l'inégalité. Et puis les candidats sont tous vieux! Ils n'ont pas les préoccupations ni la vie des jeunes d'aujourd'hui, ils ont parfois beaucoup d'argent, leur vie est presque complètement à l'opposé ... Peut-on évoquer des préoccupations identiques à tous les jeunes? Lucille: On a des préoccupations communes. Je pense à cette crainte de l 'avenir, la vague de chômage a quand même laissé des traces ! On se demande de quoi demain sera fait, ce que l'on va devenir professionnellement. Quand on a fait toutes ses études en se demandant si ça ne nous conduirait peut-être à rien ... Les conditions de vie donnent une certaine manière de voir les choses. Je n'ai pas vécu dans les cités, mais on y a sans doute pas les mêmes soucis que dans les bealL,( quartiers. Un jeune sans formation, pour qui la vie n'a pas les mêmes facilité aura peut-être plus facilement tendance à tomber dans la délinquance, à chercher une issue dans la violence, parce qu'il ne voit pas d'autre isssue. Maggy: Je suis assez d'accord avec toi. Al' école ou au collège un jeune dont les parents sont au chômage, avec des problèmes d'argent, qui ne peut pas avoir la même paire de tennis que tout le monde, c'est tout bête, mais il peut déjà avoir un sentiment d' injustice. A partir du moment où il y a ce sentiment, ça peut être facteur de violence. Mais il y a tout de même plus de risque de violence chez certaines personnes que d'autres. Mais cela ' dit, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier ... Lucille: Quand il s'agit des petits délinquants, petits trafiquants, c'est pour l'argent facile. Peut être parce que, étant petits. .. en effet, ils se disent c'est injuste, il n'y a pas de raison ... Mais comme juriste, au Tribunal, ce que je vois très souvent dans le box des accusés, ce sont des vies brisées dès le départ, un père et une mère qui ont fait de la prison, ballottés de foyer en foyer .. .ils sont sans repères. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui se sentent carrément rejetés. Safia : Il y a aussi ceux qui disent bon, ben, ma mère a été en prison et mon père aussi mais, moi, j 'ai pas envie de faire pareil ! Et les violents c'est une minorité ! Moi, j'habite dans une cité. On peut pas dire que c'est un ghetto, tout le monde peut amener la violence, ça touche tout le monde ! On ne montre pas ce qui marche ! Certaines violences sont plus insidieuses que d'autres, je pense au racisme et aux difficultés dont vous parliez, et au fait que les jeunes sont à fois les premiers acteurs d'actes de violence, mais aussi les premières victimes. Maggy : Ce qui est dommage, c'est qu'on montre les jeunes à travers ces problèmes de violence et d'insécurité, c'est la mode, un sujet populaire, mais on ne montre pas les jeunes engagés pour lutter contre ! Ca existe ! Je pense que ça intéresse moins les médias ... Les jeunes n'ont guère l 'occasion de s'exprimer. On ne les écoute pas, et ça peut conduire à s' eÀ':primer par la violence. Un travail a été fait au Conseil National de la Jeunesse, par la Commission médias, on y voit que l'image des jeunes est très souvent négative. Il y a un travail à faire pour dire aux hommes politiques « nous ne nous reconnaissons pas encore, sur telle question, dans ce que vous proposez, proposez-nous autre chose ». Lucille: On assiste à un faux débat - les 500 signature, l'insécutité .. . , je ne suis pas sûre que les jeunes soient particulièrement sécuritaires! Et je n'ai vu à la télé qu'un seul candidat qui ait réussi à parler, en vitesse, de la double peine et du droit de vote des étrangers, mais c'est tout. On recherche pourtant des facteurs d'intégration! Qu'on nous interroge sur le fond, sur ce qui nous aidera à faire notre choix Pour l'instant je me sens un peu perdue, je n'ai absolument aucune idée de quelles sont leurs positions en matière de droit des étrangers, de discriminations et, pour moi, militante dans ce domaine, ça peut faire pencher la balance ! Que leur demanderiez-vous? Quels liens avec le droit de vote? Safia : Peut -être d'être plus proche du citoyen, d'être à l'écoute des jeunes. La démocratie, ça s'apprend. Lucille : C'est difficile de savoir ce qu'ils pensent des problème de fond! Je leur dirais: trouvezmoi du boulot ! Maggy : Ils te répondraient emplois- jeunes, mais on ne sait pas si ceux -ci seront pérennisés. A l'origine c'était pour les jeunes sans formation . .. On attend de vraies réponses à la précarité, aux CDD, à l'exploitation des jeunes ... C'est lié à la démocratie, donc au partage des décisions. Si les étrangers sont consultés, mais n'ont pas le droit de voter et d'être élus aux vrais conseils municipaux, c'est arrêter le processus avant sa fin. Il manque quelque chose et, quelque part, il Y a un problème pour la démocratie. Si la démocratie fonctionne, il y a automatiquement partage du pouvoir. La démocratie ce n'est pas un bulletin de vote une fois, mais tous les jours. Les choses sont liées : quand il y a des situations d'injustice, pas les mêmes droits, le risque, c'est la violence .• Droit de vote des étrangers et campagnes électorales Les trois Collectifs : « Même sol, mêmes droits: même voix», « Un résident, une voix », et « Pour une véritable citoyenneté européenne» ont tenu aujourd 'hui au Mrap une Conférence de presse, afin de rendre publiques les réponses qu'ils ont reçues au courrier qu' ils leur avaient adressé. Seuls ont répondu directement. : O. Besancenot, N. Marnère et R. Hue. A travers ces réponses, mais aussi à la lecture des programmes et des déclarations des autres candiadats il apparaît, à des degrés divers, que la majorité des candidats est désormais favorable au droit de vote des étrangers aux élections municipales, quelle que soit leur nationalité. Il n'en est que plus regrettable que la question ne soit pas débattue face aux électeurs. Dans les circonstances difficiles que traverse le pays, les « Trois Collectifs» estiment essentiels que le futur Président de la République, dans les six premiers mois de son mandat, prenne des mesures significatives qui légitiment la présence de tous les résidents sur le territoire de la République. L'attribution du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, à tous les étrangers devrait être une de ces mesures. Pour leur part, les « Trois Collectifs» se prononcent pour une citoyenneté de résidence qui conférerait les mêmes droits et les mêmes devoirs à tous les résidents quelle que soit leur nationalité. . Communiqué des Trois Collectifs Paris le mardi 9 avril 2002 Différences nO 239 Avril 2002 15 FORMATION CIVIQUE Un investissement sur le long terme Contraction de {{ civisme et démocratie », le Cidem est composé de neuf réseaux associalifs : Mrap, Ligue de l' Enseignemen~ LDH, ATD Quart Monde, Scouts de France, Anima'Fac, Comité Français de l'Unicef, France Nature Environnement et Confédération des Maisons de Jeunes et de la Culture de France ; il est ouvert à tous ceux qui veulent revaloriser le civisme. Jean·Marie Montel explictle ici le sens de la démarche Jean-Marie Montel est Délégué général du Cidem. Jeunes et citoyenneté, le thème de ce dossÎer est au coeur de la revalorisation du civisme voulue par le Cidem. Pas un civisme mora li sate ur, culpabilisateur ni poussiéreux, mais un civisme dynamique, de l'engagement collectif ct du vivre-cnsemblc. Un civisme revisité par les jeunes qui se construit par une éducation à la citoyenneté tout au long de la vie. Baromètre de la citoyenneté LaFranceestungrand pays. Onymesuretout: la pollution des plages, le lllOfal des Français, la consommation des ménages, les intentions de vote ... Avec des ingénieurs d'études de la Sofrès et des chercheurs du Centre d'études de la vie politique française (Cevipof - CNRS), les associations du Cidem ont construit le Baromètre de la citoyenneté, pari visant à évaluer la vitalité démocratique de la soctété. Lancé quatre fois par an, cet outil vient dire la réalité de l'engagement des citoyens, et particulièrement dans les associations. Il participe en outre à une nouvelle forme d'interrogation des réalités sociales, et contribue à la nécessaire évolution des sondages comme instrument de mesure des réalités sociales. La première vague lancée en novembre 2001 a montré un fort désir d'engagement des plus jeunes, une vraie implication et un grand intérêt pour la chose publique. Quelques exemples : 71 % des 18-24 ans ont envie de s'engager et considèrent que le vote reste un droit primordial aujourd'huI. Si 83 % considèrent que l'élection présidentielle est importante pour le pays, ils ne sont que 56 % à considérer qu'elle est importante pour eux personnellement. .. Oemierpoint : si seulement15 % d'entre eux souhaite adhérer à un parti politique, ils sont 69 % à vouklir adhérer à une association ... Ces dernières sont d'ailleurs considérées comme des espaces privilégiés de la vie démocratique. Des résultats plutôt encourageants, à mille lieues de ce que d'aucuns nous laissent entendre. J.-M. M 16 Différences nO 239 Avril 2002 Première étape de la revalorisation du civisme: comprendre. Comprendre le fossé existant entre les jewlcs et la politique, comprendre leur crainte légitime d'être manipulés, que les culpabiliser sur cc sujet est incffi c.1ce, ct de toutes les façons trop éloigné de ce que les assod ations ont envie de porter ; comprendre les mécanismes qui font que plus de 54 % des 18-25 ans ne se sont pas déplacés lors des dernières élections mWlicipales

el que ceu" qui se sonl déplacés

ont le sentiment que leur voix n'a toujours pas été entendue. Comprendre aussi les raisons pour lesquelles les jeunes s'abstiennent lors des élections, mais restent convaincus de l'utilité très forte de l'engagement dans les associations. L'expérience du Mrap dans sa lutte contre les discriminations éclaire d'ailleurs la compréhension du fossé existant entre les jeunes ct les institutions. Seconde étallC : agir. En diffusant des messages d' iocîtation renouvelés, lenant compte à la fois de ce que les associations onl à e:\:primer sur le sujet, et de ce que les jewles soni prêts à entendre. Agir aussi par des actions portées par les associationselles- mèmes, par des Caravanes Civiques sillonnant la France pour que des jeunes militants associatifs aillent à la rencontre des jeunes lycéens, comme en décembre dernier. Agir enfin par le soutien à des initiatives associatives d'éducation à la citoyelllleté, conune celles du Mrap par exemple. Troisième étape: évaluer. RéWlir des chercheurs du CNRS-Cevipof, confronter leurs analyses à celles que le Cidem recueille dans ses actions, et à celles que des organisations et associations recueillent dans leurs expériences locales. Dépliant à destination des nouveaux électeur." disponible au siège du Mrap Le Cidem est conscient d'être engagé sur une action à long terme ; aucune campagne d'incitation ne pourra durablement contribuer à la construction du lien civique. « Ne laissez personne décider à votre place)) : le thème générique de la campagne est d'ailleurs, en réalité, une simple reprise de ce que les associations portent quotidiennement. Ne pas laisser les autres décider à sa place. e'est éduquer chaque citoyen au sens critique, à la responsabilité persolUlelle el à la citoyenneté. C'est aussi interpeller les pouvoirs publics sur la nécessité d'une prise en compte de tous les citoyens. Et seules les associations JX!uvent réaliser cette mission difficile mais îmJX)r1anle pour la vitalité démocratique de notre pays : tisserdes liens sociaux, contribuer à ce que les citoyens soient cnlendus, participcrà l'établissement d'wle société plus juste et plus solidaire, dans laquelle la participation de tous est un moteur central . •

Notes

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