Différences n°122 - novembre 1991

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Sommaire du numéro

n°122 novembre 1991

  • Giscard via Pauwels par C. Benabdessadok
  • Les mots ne sont pas innocents par J.J. Kirkyacharian
  • Des maires contre l'intolérance par C. Benabdessadok
  • Antisémitisme: émancipation et citoyenneté par Pierre Krausz
  • Pas d'école pour les enfants non francophones par Isabelle Avran
  • Yougoslavie: l'éclatement par I. Avran [pays de l'est]
  • Conférence de paix: colonisation et négociations par I. Avran
  • Vers un congrès novateur: pré projet d'orientation
  • La guerre d'Algérie en livres par I. Avran
  • Antiracisme, quel avenir? Analyse des écrits de P.A. Taguieff par Xavier Shapira
  • 17 octobre 1961
    • Entretien avec Jean-Luc Enaudi par Abdel Aïssou
    • Entretien avec Bernard Sigg par Isabelle Avron


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1 NOVEMBRE 1991 • N ° 122 - lOF E DIT 0 UN CONGRES NOVATEUR Le Mrap tiendra son congrès national les 10, Il et 12 avril 1992 à Paris. Le Conseil National. réuni le 19 octobre 1991, souhaite donner à cc rendez-vous un caractère novateur dans sa préparation comme dans son contenu. Dans notre pays, le débat politique se focalise encore une fois sur l'immigration. Certains hommes politiques sont entrés dans la voie des concessions à l'extrême droite; quelles que soient leurs motivations, et même si cela procède de l'idée elTonée qu'on peUl disputer au F.N. son électorat en se plaçant sur le même tcrrain que lui, la vo ie qu'ils empruntent est très dangereuse. En revan che, d'autres politiques et d'autres personnalités prennent des initiatives publiques pour appeler à un sursaut et au regroupement de ceux qui refusent les concessions au racisme, les complaisances à la xénophobie. Ces intentions doivent trouver des prolongements dans la réalité sociale et locale, faute de quoi elles resteront sans effet. Les forces antiracistes, inquiètes et dispersées, s'interrogent sur les dangers qui menacent nos valeurs el notre société. Elles ont une responsabilité particulièrement sensible et il convient de trouver d'autres approches, de nouvelles méthodes, de nouveaux moyens. Cela ne sera possible que grâce à une réflexion approfondie et collective. Cette réfl e xion est commencée: que toutes celles et touS ceux qui souhaitent y participer le fassent soit à l'intérieur du Mrap, s'ils sont adhérent s, soit au mOyen de la tribune de di scussion ouverte dans Différences. (Revue du MRAP. Textes à envoyer: 89, rue Goerkampf - 75543 Paris Cedex 11). AGISSONS CONTRE LE RACISME AVANT QU'IL NE SOIT TROP TARD 1 GISCARD VIA PAUWELS Le Mrap a assigné en justice M.Valéry Giscard d'Estaing et M. Louis Pauwels, directeur du Figaro Magazine devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Les propos incriminés, publiés par l'hebdomadaire dans sa livraison du 21 sep· tembre 1991 ont, de l'aveu même de V.G.E, élé lourdement pesés. Maître Stéphane Meyer, avocat du Mrap, note qu'en -posant fa question de savoir si l'immigration constitue une invasion, et en y répondant affirmativement, d'une part immédiatement par la photographie en première page de couverture, et d'autre part par le contenu meme de l'article -ensemble qui présente la population des immigrés d'origine musulmane comme préparant une invasion, les défendeurs (les auteurs NDLR) persuadent le lecteur français que cette population est constituée de personnes indésirables, d'ennemis qui nient son identité culturelle et occupent indûment son territoire. (Ifs) ne peuvent ainsi que susciter chez ce lecteur un sentiment de rejet et de haine et l'inciter à adopter un compor· tement discriminatoire pouvant aller jusqu'à s'opposer par la force et la violence à t'arrivée et à fa présence de ces personneS'. Les propos de l'Ex-président de la République ainsi qualifiés seront-ils retenus par les magistrats comme constitutifs d'un délit de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence à l'égard des immigrés de religion musulmane (ou supposés tels) vivant en France? S'ils ne l'étaient pas, VGE ayant bien entendu appris comme Le Pen à prendre quelques précautions de style en se référant au Littré, il parait incontestable au Mrap, que les auteurs ont porté atteinte à la dignité des êtres humains appartenant à la communauté désignée. De ce fait, se fondant sur l'article 1382 du code civil, le MRAP demande réparation du préjudice subi. LA LOI CONTRE L'OPPROBRE L'action judiciaire a ses limites : lenteur des procédures, interprétation des mots, puissance des auteurs. Mais si, précisément comme le rappelle à juste titre Pierre·André Taguieff, -l 'antiracisme relève de la prise de conscience des individuS', il relève aussi de la responsabilité des associations dont le but est de créer de façon permanente les condi· tions, les relais, les opportunités à cette prise de conscience. En recourant à la 101 de la République, le Mrap accomplit une de ses missions; au-delà de celte intervention, le MRAP se prépare à son congrès et s'interroge en profondeur sur sa propre efficacité (lire le document de préparation du congrès en pages Intérieures). Cette interrogation n'est pas si simple. Elle implique notamment d'élaborer des stratégies nouvelles pour faire se rencontrer deux mondes que l'histoire des Hommes a tragiquement séparés : celui de l'action et celui de la connaissance, comme l'énonçaient les vieux livres de philosophie. LE BO NHEUR OU PARTAGE Si personne ne s'occupe du partage des conditions triviales de la vie quotidienne, en l'occurrence ce qu'on appelle au MRAP "l'antiracisme de terrain", la haute et bienheureuse solitude de la réflexion ne risque-t·elle pas d'échapper à son prolongemenl naturel : la vie des hommes? Si -l'antiracisme ne suffit paS', comme l'affirme Alain Finkielkraut, n'estce pas qu'il devient urgent, pour redonner du sens aux contre-pouvoirs démocratiques, de travailler ENSEMBLE à ce que le ~colleur d'affiches" (figure emblématique du militant, de l'activiste, du pétitionnaire, du manifestant, de l'écorché vif) rencontre plus souvent l'invitation bienheureuse à la pensée critique. Tandis que l'intellectuel, terme moderne pour désigner aussi bien l'artisle que le philosophe, le mathématicien, l'enseignant ou le chercheur, retrouve le temps d'une escapade collective, l'humanité, la convivialité, l'espérance d'une revendication commune. En admettant, cela va sans dire mais cela va mieux en le disant, que l'on échappe aux délices empOisonnés des pouvoirs inamovibles, aux pédagogies totalitaires, aux embrigadements archaïques. Toul simplement, comme dirait Albert Jacquard, il nous faut retrouver le bonheur de briser ensemble "le mur du mépris·. "Simplemenf est facile à dire, pas facile à faire. En attendant, Giscard doit payer la note de ses propos ravageurs et xénophobes. Et tant pis si cela peut apparaître comme le recours redondant à un système judiciaire déjà fort embouteillé. Chérlfa Benabdessadok PAROLES ET ACTIONS LES MOTS NE SONT PAS INNOCENTS On dit parfois qu'il est vain de scruter et d'analyser indéfiniment les textes : la politique tourne parfois à ]' anthologie des petites phrases, les Congrès connaissent les batailles homériques sur un ou deux mots. Il ne faut donc rien exagérer. Cependant, les mots qui ont fait leur apparition récemment dans le débat public n'ont pas surgi de l'improvisation. Ils ont été lancés consciemment, après une réflexion certainement fouillée sur les effets politiques susceptibles d'être provoqués. Je parle évidemment ici des mots "charter", "odeur", "invasion", "occupation" . Mettons à part peut-être le charter, car évidemment Mme Cresson n'est pas Pasqua, mais elle n'en est que plus responsable,elle n'a pas pu ne pas mesurer la charge imagée qui s'est déposée en novembre 87 derrière le mot, d'autant plus qu'elle avait, avec nous, protesté contre les expulsions de Pasqua. L'odeur. Chirac ne peut pas ignorer qu'une des plus vieilles rengaines du racisme concerne ]' odeur que]' on prête aux "nègres". C'est un lieu commun de la littérature américaine sudiste (y compris Faulkner) et c'est très répandu aussi chez nous. Dans ces conditions, la prestation de Chirac s'analyse ainsi: polygamie + bruit + odeur campement de sauvages. L'invasion. L'imaginaire français (et occidental) est marqué fortement par le mythe-souvenir des grandes invasions. Les Barbares ont déferlé sur l'empire romain, puis il y a eu Attila et Erckmann-Chatrian a intitulé L'invasion un de ses "romans patriotiques". L'invasion s'opère à travers une frontière. Il ne s'agit plus de la frontière de l'Est, les "Boches", mais de la frontière maritime du Sud: la Méditerranée, au-delà de laquelle les terres seraient peuplées par des "Barbares" . Ne négligeons pas l'impact politico-affectif de ce mot : même un DES MAIRES , démocrate et antiraciste aussi convaincu que l'Abbé Pierre admet que si le mot est exagéré aujourd'hui, il pourrait devenir juste pour les deux générations à venir. L'occupation. Pasqua, Poniatowski, VGE sont assez agés pour en avoir comme moi même un souvenir adulte. Dans un pays qui seraient "occupé", certains des passants qui déambulent dans les rues avec des costumes bien de chez eux, deviennent des "soldats ennemis". De temps à autre, on apprend que l'un de ces soldats a été tué quelque part: ceux qui le font seraient des "patriotes". La langue que l'on parle n'est jamais innocente. Rappelons-le fermement à tous ceux qui, à quelque niveau qu'ils soient, prennent la parole dans notre langue, trésor général des sens et des images, avec la prétention de donner le sens des événements. Jean-Jacques Kirkyacharian CONTRE L1INTOLERANCE Douze maires (1) ont appelé le 14 novembre 1990 à condamner "toutes les formes d'exclusion, de racisme, de violence et de xénophobie". Regroupés dans une association "Forum des maires" (2), ils ont organisé à Vizille une rencontre dont la tonalité globale attire attention et réflexion. La déclaration finale de cette rencontre à laquelle ont participé d'autres élus (notamment Maurice Charrier et M. Grielec), ainsi que des personnalités comme Harlem Désir, Alain Touraine, Bernard Henri-Lévy et JeanJacques Kirkyacharian pour le MRAP, comporte des éléments programmatifs pertinents. Parmi ceux -ci, il faut citer : • "la réussite de l'intégration sociale et la résorption des manifestations croissantes de la xénophobie et de l'intolérance" • "la lutte contre le racisme, qui ne peut être détachée d'un certain nombre de mesures sociales" et la nécessité de trouver les moyens pédagogiques pour contrer "la banalisation actuelle de la xénophobie". • à "l'incitation des valeurs égalitaires" il faudrait pour le moins trouver "une éthique de la transparence et de la vérité au plus près de la vie quotidienne de la commune". • "Contre le sentiment d'être "envahi" par les étrangers", le Forum des maires appuie "le soutien aux associations, vecteurs-clé de la vitalité démocratique ( ... ). Soutien aux associations antiracistes, aux associa tions d'immigrés et de Français musulmans qui sont autant de facteurs d'intégration et de responsabilité civique, des interfaces nécessaires entre l' indi vidu et la collectivité globale, des pôles dynamiques de socialisation et d'identification pouvant contribuer de manière décisive à la tolérence et à l'apaisement entre communautés comme on l'a vu récemment en France lors de la guerre du Golfe. Soutien dans le 2 même temps aux associations des secteurs sociaux, sociaux-culturels et sportifs, qui permettent d ' apprendre à mieux vivre ensemble ( ... )". Ce texte a non seulement le mérite de poser les problèmes du racisme dans ses diverses articulations (socio-économiques, engagement des pouvoirs publics, responsabilités citoyennes, réhabilitation et transformation du rapport au politique) mais aussi de porter un certain nombre de propositions d'orientations qui devraient aboutir à des actions concrètes. Dont acte. Cheriffa Benabdessadok (1) J.M. Ayrault, D. Bal/dis, A. Carignon, J. Chaban-Delmas, A. Diligent, G. Freche, R. Jarry, J. Monnier, M. Noir, A. Rossinot, C. Trautmann, R. Vigouroux (2) Présidée par Alain Carignon, siège social: Château de la Révolutionfrançaise 38220 Vizille ANT I SÉM I TISME ÉMANCIPATION , ET CITOYENNETE? Il Y a deux siècles, le 27 septembre 1791, "l'émancipation des juifs" était votée par l'Assemblée constituante. Ce fut une victoire de l'égalité en droit, une étape essentielle de ce que deviendra la démocratie française ou encore la "mosaïque France". Les médias ont célébré cet événement et notamment la télévision avec l'émission de Serge Moati (La haine antisémite). On est toujours frappé par la permanence d'une judéophobie à géométrie variable, qui va du rejet d'une religion à la haine d'un groupe humain que l'on a constitué en "race" pour les besoins d'une discrimination à grande échelle. En attendant que Différences ait les moyens (financiers) de revenir d'une manière approfondie et pluraliste sur cette question centrale qu'est l'antisémistisme, Pierre Krausz livre sa réflexion sur le rapport entre "émancipation" et "citoyenneté". L terme même d'émancipation , n'est pas neutre. our le Petit Larousse, il s'agit, dun Acte Juridique ou solennel qui confère à un enfant mineur, le gouvernement de sa personne, ainsi qu'une assez large capacité juridique" . Ce terme d"'émancipation", né d'ailleurs bien après 1791, est donc vraiment inconvenant pour désigner un peuple, ou une communauté, qui a en-fanté Spinoza, Einstein, Freud, et bien d'autres. En fait, cet accès à l'émancipation, ou plutôt à la citoyenneté par l'Assemblée Constituante, en cet après-midi du 27 septembre 1791, a été, l'aboutissement d'un long processus commencé à l ' aube du Siècle des Lumières en Prusse. C'est dans les milieux intellectuels juifs, et chez les conseillers juifs du roi de Prusse, (les juifs de cour) que devait naître cette volonté libératrice. Au départ, "la libération du juif', avait pour père, Moses Mendelssohn et son ami chrétien Gosshold Ephraim Lessing. Mendelssohn, le premier, a encouragé les communautés juives victimes d'humiliations et d'injustices à sortir de leur ghetto et à s'ouvrir sur les Arts, les Lettres et les Sciences de l'Europe toute entière. En outre, dans un désir de faire connaître la richesse des communautés juives, Mendelssohn s'est attaqué à la traduction des textes sacrés de la religion mosaïque, et en particulier de la Thora. Cet homme, pour qui "face à l'intolérance, la tolérance était intolérable", avait créé une révolution pacifique en Allemagne, et fut très rapidement relayé par des esprits éclairés comme Dohm, Hensler ou Maimon. D'outreRhin, ce mouvement gagna la France, où toute une campagne allait être orchestrée pour aboutir à "l'émancipation". Ainsi, Cerf Beer (1730-1793), disciple de Mendelssohn, utilisa sa position de fournisseur des Armées, pour obtenir l'autorisation de s' installer à Strasbourg, ville alors interdite aux Juifs. Il y créa plusieurs manufactures et, pour gagner l'appui de l'opinion publique, il fit distribuer à travers la France entière des brochures consacrées au "peuple juif'. Cerf Beer ne resta pas seul. Des philosophes comme Montesquieu, des hommes politiques comme le comte de Mirabeau (1749-1791), contribuèrent largement à la mise en oeuvre de "l 'émancipation des juifs". Grâce à ce travail que l'on qualifierait aujourd'hui de "médiatique", le problème juif fut largement pris en compte dans les discussions politiques de l'Académie des Arts et des Sciences de Metz qui créa en 1787 un prix de dissertation, ayant pour sujet: "Comment rendre les juifs de France plus heureux". Le gagnant, l'Abbé Henri Grégoire, devint membre de l'Assemblée Nationale. Et c'est après ce long travail de préparation des consciences que les juifs de France obtinrent l'abolition des discriminations, dont ils 3 étaient l'objet, et la citoyenneté pleine et entière. Si la loi faisait des juifs de France des citoyens à part entière, les vieux préjugés antisémites n'allaient pas disparaître comme par enchantement. Les juifs, traités dans le passé tour à tour de mendiants ou d'usuriers, de meurtriers rituels ou de profanateurs d'osties, d'empoisonneurs de puits ou de buveurs de sang humain, devaient par la suite payer un lourd tribut au racisme, à la haine et au mépris. Le 19' siècle a engendré la naissance de l'antisemitisme raciste, où le Juif n'était plus seulement considéré comme l'adepte d'une religion hérétique, mais aussi vu comme appartenant à une "race" avec des traits physiques et moraux, considérés comme tare génétique. Ce degré supplémentaire d'obscurantisme, était inspiré par Drumont ou Gobineau. C'est dans un tel contexte que l'on vit poindre l'affaire Dreyfus ou les horreurs de la seconde guerre mondiale. Et aujourd'hui, deux siècles après "l'émancipation", où en sommes nous dans la France des droits de l'homme? L'extrème droite atteint des scores électoraux records (les meilleurs d'Europe !). A sa tête, un potentat qui n'hésite pas à parler de ce "détail de l'histoire" lorsque l'on aborde le sujet des chambres à gaz. Dans ses rangs, un cinéaste (AutanLara) qui trouve que la gauche actuelle est dominée par la "juiverie cinématographique internationale", ou un officier au rancard (Pierre Sergent), qui déclare que "Les Juifs sont partout ... Ils trinquent à leur profit". Sans parler des attentats, des profanations et des écrits antisémites. Le tableau est certes noir. Mais, qu'on le veuille ou non,c'est la lutte opiniâtre de toute une nation qui a abouti à la citoyenneté des juifs. L'histoire donne parfois des leçons de justice. C'est peut-être pour cela qu'il nous appartient à tous de lutter pour que toutes les communautés, tous les peuples qui ont fait la richesse, le pluralisme et le visage de la France d'aujourd'hui, puissent s'exprimer dans une citoyenneté pleine et entière. Pierre Krausz Commission "Antisémistisme et néonazisme" du MRAP A LIRE La haine antisémite Serge Moati et Jean-Claude Raspiergeas (Flammarion) Les juifs de Nancy Françoise Job (Presses Universitaire de Nancy) Les juifs, la mémoire et le présent Tome Il Pierre Vidal-Naquet (La Découverte) QUE FAIT LE MRAP À L'ONU Le Mrap est une organisaiton non gouvernementale dotée du statut consultatif auprès de l'Onu: qu'est-ce que cela signifie et qu'est-ce que cela apporte? Cela signifie d'abord que le Mrap est informé de tous les travaux et recoit les documents élaborés par les commissions et comités spéciaux de l'Onu dans le domaine des droits de l'homme et qu'il y a -dans la mesure de ses disponibilités- des représentants. Aux sessions plénières, le Mrap est présent et peut prendre la parole ou donner une accréditation à telle ou telle personne, qui peut parler en tant que témoin (par ex. des Timorais, ou encore en février dernier Monsieur Tshisekedi). On peut dire que les interventions du Mrap, les idées qu'il exprime, rencontrent un écho certain parmi les autres O.N.G. et ont permis de consolider les liens d'amitié et de collaboration avec plusieurs d'entre elles (les mouvements pour la paix, les internationales syndicales, les mouvements tiersmondistes, les groupements indiens du Nord et du Sud, les mouvements de juristes, etc.) C'est très important à notre époque où le racisme connait une inquiétante extension dans beaucoup de pays différents, et où le Mouvement doit essayer de s'adapter à cette difficulté nouvelle. Je suis intervenu à la Commission des droits de l'homme sur le problème des travailleurs migrants non-originaires de la C.E.E. dans la future Europe (les pays européens brillaient par leur absence à ce moment de l'ordre du jour). J'ai demandé combien de temps il faudrait pour que soit ratifiée par les Etats la convention internationale sur les droits des travailleurs migrants, qui a nécessité 10 ans de préparation et a été adoptée sans vote par l'A.G. En août, je suis intervenu sur le problème général posé par l'explosion des nationalismes et des haines interethniques. J'ai posé aussi quelques questions sur la philosophie absolutiste qui sous-tend la répression au Maroc (contre Serfaty et ses compagnons, contre les Sahraouis ... ) ce qui a provoqué la colère de l'expert marocain et sa tentative de me faire retirer la parole, et aussi sur l'incroyable prétention du gouvernement israélien qui entend composer lui-même la délégation palestinienne avec laquelle discuter de la paix. PARO L ES ET AC TIO NS PAS D'ÉCOLE POUR LES ENFANTS NON-FRANCOPHONES? Arrivés d'Afrique, d'Asie ... des enfants et adolescents attendent désepérément à Paris d'être scolarisés. La loi française est pourtant sans ambigurté. Mais ces gamins, des semaines, des mois durant parfois, n'ont d'autre horizon dans notre pays que les quatre murs de leur appartement. Militantes et militants du Mrap et d'autres associations ont décidé de ne pas en rester là. X·n-wang a 15 ans. Voici deux ans, tout 'uste arrivé de Chine, sans aucune connaissance de la langue française, il avait trouvé une place dans une classe parisienne spécialisée pou r les enfants dans son cas, lui assurant un minimum d'enseignement en "français langue étrangère" et lui évitant de perdre une année scolaire. Puis il a dû repartir en Chine. A son retour à Paris, les portes de l'école lui sont restées fermées. Maïté Aubois, son enseignante de l'année précédente, responsable du Mrap dans les Xème et Xlème arrondissements , s'en est étonnée, puis inquiètée. La loi française prévoit l'obligation scolaire pour tous les enfants, jusqu'à seize ans , à la seule et unique condition que ces enfants aient effectué tous leurs vaccins. Tel était le cas de Xin-Wang, qui devait entrer dans le secondaire en "classe d'accueil". Mais non. Le prétexte? Les papiers délivrés par l 'ambassade de Chine certifiant qui était son tuteur n'étaient pas "légaux'. Ce titre, pourtant, n'est pas obligatoire. Peu importe : il était condamné à rester chez lui. Bel avenir, pour un préadolescent si loin de son pays natal, de sa famille, de ses amis, de ses habitudes. Et étonnante façon de découvrir la France, sa culture, sa langue ... et ses traditions d'accueil. LES ENFANTS DOIVENT ETRE EN REGLE Mais au Rectorat , Maïté Aubois découvre alors que le 4 cas de Xin-Wang n'est hélas pas unique . Quatre-vingt gamins sont cette année là officiellement sur " liste d'attente", condamnés à patienter des jours, des semaines durant entre quatre murs, sans contact avec d'autres enfants du même âge, privés de cours, accumulant les retards scolaires, sans aucun moyen d 'apprendre le français et donc de communiquer fût-ce dans la rue ou chez les commerçants du quartier, totalement isolés. Quatre-vingt, ce n'est que le chiffre officiel. Comment savoir ce que deviennent les dizaines d 'autres enfants dont les parents - en proie en France à toutes sortes de "tracasseries" administratives lorsqu'il ne s'agit que de cela, parfois paralysés dans leurs démarches par une peur alimentée par les conditions souvent difficiles de départ de leur propre pays puis par les déboires de leur arrivée en France, perdus dans les dédales d 'une juridiction mal maîtrisée - hésitent à inscrire tant ils craignent que ces gamins subissent à leur tour les revers du manque de tel ou tel papier, de tel ou tel certificat? Dans des mairies d'arrondissements, ce sont des enfants d'âge primaire que l'on refuse d'inscrire; comme Cheikh Oumar, un petit garçon malien de dix ans , qui vit chez son oncle et tuteur légal, par ailleurs parfaitement "en règle' .. . Maïté Aubois et le comité local du Mrap prennent alors contact avec d'autres associations, de Sos-racisme à la Ligue des droits de l'Homme, avec les syndicats d'enseignants, avec des associations d'immigré(e)s. Peu répondront présents. A l'exception notable, notamment, du Cndti ou de Soleil d'Afrique ... Ce n'est certainement pas une raison pour se laisser décourager. Tout simplement car ces enfants ont réellement besoin d'une aide. Cheikh Oumar, après six mois sans classe, puis une période bancale où il avait le privilège, sans doute, de suivre cinq heures de cours par semaine, est enfin admis à l'école. Grâce à la ténacité de son oncle et d 'un petit comité où se retrouvent le Mrap, Soleil d'Afrique,le Cndti et le Gisti. .. et qui a multiplié les démarches à la mairie du XIX·. Des délégations au Rectorat s'organisent. En février 1991, le comité apprend que ... 149 enfants attendent toujours une inscription. Et que les papiers illégalement exigés le seraient "par mesure de protection des enfants" (sic). L'ouverture d'une classe d'accueil, pourtant, est promise. NEUF SEMAINES DE CLASSE Le contact avec les parents de ces enfants, dont beaucoup sont asiatiques ou africains, n'est pas toujours très simple. La peur de l'illégalité, encore elle, fait des ravages. Sans doute les associations d'immigrés, tels des ponts indispensables, sont-elles de ce point de vue d'un grand secours ... Et le temps passe. On imagine ses effets sur le moral d'enfants dont certains sont en âge primaire ... Le comité pourtant travaille. Délégations, lettre à Lionel Jospin qui répond qu'il demande une enquête à ses services et la scolarisation des enfants dans les meilleures conditions ... En mars 1991, le rectorat s'engage à respecter la circulaire de 1984 prévoyant la scolarisation de tous les enfants jusqu'à seize ans et à accueillir tous ceux qu'une mauvaise interprétation de cette circulaire , probablement, avaient exclus de l'école. A Pâques pourtant, toujours rien . Deux classes seront tout de même finalement ouvertes: les enfants auront eu droit. .. à neuf semaines de classe. Des gamins sont officiellement inscrits sur "listes d'attente", condamnés à patienter, sans contact avec d'autres enfants du même âge, privés de cours. Cette année, pour 143 enfants du secondaire, deux classes d'accueil, ont effectivement été créées . Les enfants "en attente " pour qui il n'y avait plus de place dans ces classes ont été placés dans les collèges du secteur. La .plupart ne parlent pas français. Comment suivront-ils? Même les cours de maths, que beaucoup d'enfants chinois trouvent en France d'une facilité stupéfiante par rapport aux programmes qu'ils ont assimilés en Chine, nécessitent un minimum de vocabulaire. Tous les socio-linguistes (et psychologues) s'accordent pourtant à dire que l'acquisition très jeune d'une langue deux en plus de la langue maternelle constitue une ouverture irremplaçable pour d'autres apprentissages . De même que pour une communication si enrichissante pour tous ... PA ROLES ET AC TIO NS Avec d'autres, Maïté Aubois poursuit donc avec patience et énergie l'action entamée en faveur de ces enfants . Notamment auprès du Rectorat, qui avait promis non pas deux, mais trois classes d'accueil. QUESTIONS D'ORIENTATION Celles-ci, pour autant, ne sont pas la panacée; pas de profs de " français langue étrangère", mais des instits de bonne volonté, débutants. Au-moins ont-ils ou ont-elles fait le choix de travailler avec ces enfants, de leur donner les bases nécessaires pour la suite ... Reste à obtenir parallèlement pour ces gamins une inscription pédagogique dans un collège ou un lycée. Le rectorat décide de procèder à un tri parmi ces enfants, sur la base du contrôle de leur niveau. On distingue parmi eux les "illettrés", les "grands analphabètes' ... Mais dans quelles conditions s'opère une telle orientation? Telle est la question essentielle posée par les militants au rectorat. Ils s'inquiètent de "l'absence d'outils pertinents permettant d'évaluer, à leur arrivée, le niveau de connaissances et de compétences scolaires des élèves dans les CIO (alors qu'un grand nombre de CIO panslens soulignent ce manque depuis plusieurs années), (de) la non-prise en compte de la spécificité des adolescents analphabètes, (d') orientations souvent déplorables parce que les élèves n'ont pas été intégrés progressivement dans leurs classes de niveau" et de l'absence d' "exigence de formation initiale à l'enseignement du français langue étrangère ou langue seconde". Aussi demandent-ils "la mise en place dqns toutes les classes d'accueil d'un véritable système d'intégration progressive des élèves dans les cours de classes correspondant à leur niveau scolaire, une infor- 5 mation et une documentation adaptées à l'évaluation d'élèves non-francophones et remises à chaque CIO, la prise en compte d'une formation initiale dans la discipline (licence d'enseignement de lettres avec mention français langue seconde) et d'une formation continue dans les IUFM et les CEFISEM". Cheikh Oumar et Xin-Wang sont inscrits à l'école. Restent tous les autres. Isabelle A vran Différences 89, rue Oberkampf 75543 Paris Cedex 11 Tél. : 48.06.88.00 Télécopie: 48.06.88.01 Directeur de la publication Albert Lévy Rédactrice en chef Cherifa Benabdessadok Journaliste Isabelle A vran Administration Yves Pras Chargée de la communication et de la promotion Mélina Gazsi Abonnements Isabel de Oliveira Maquette PAO Jean-Guy Vizet Tél. : 46.63.76.53 Impression Montligeon Tél. : 33.83.80.22 Commission paritaire nO 63634 ISSN 0247-9095 Dépôt légal 1991-11 La libération de Serfaty est intervenue quelques jours plus tard ; certes nous ne l'avons pas arrachée seuls, loin de là (rien qu'à cette même session d'août quatre ONG sont intervenues sur ce même sujet) ; mais le Mrap peut néanmoins se féliciter d'avoir été parmi ceux qui ont finalement rendu cette libération inévitable. Le Mrap doit développer ses activités internationales ; la présence à l'Onu contribuera à faciliter ce développement. J.J. KIRKYACHARIAN TIME FOR PEACE La commission Proche-Orient du Mrap a organisé le 11 octobre dernier une conférence-débat à laquelle ont assisté environ 150 personnes. y ont pris la parole : M. Aounit, F. Beaugé (joumaliste), M.C. Mendès France, M. Picard Weyl (avocate), E. Sanbar (Revue d'etudes palestiniennes), F. Wurtz (député au Parlement européen). Un télégramme de solidarité a été envoyé à Abie Nathan, pacifiste israélien condamné à 13 mois de prison, en application d'une loi votée en août 1986, pour avoir rencontré Yasser Arafat. CHAINE POUR LA PAIX A PARIS Le 16 novembre à 15 heures se développera une chaine humaine de l'Ambassade d'Israël aux bureaux de la Délégation générale de la Palestine. Cette initiative, soutenue par de nombreuses associations dont le Mrap, a été conçue par les organisateurs européens de "Time for peace", c'est-à-dire les organisateurs de la grande chaine humaine israélo-européopalestinienne autour de la vieille ville de Jérusalem en décembre 1990, le texte de l'appel, disponible au siège du Mrap, affirme notamment que "les deux peuples palestinien et israélien ont droit à la garantie de leur identité nationiile et de leur sécurit§'. Il rappelle que "tout Ge qui compromet le processus de paix doit être interdit et stoppé; nous demandons l'arrêt immédiat des des colonies de peuplement israéliennes dans les teritoires palestiniens occupés, conform(iment aux résQlutions de l'ONU, cie la (ig(F et de la quasi-totalité r;Je$ gouvernements du monde" , MARK CURTIS HORS DE SA PRISON? Militant syndical et politique, victime d'une machination juridico-policière, faussement inculpé et convaincu de viol et de vol par effraction, Mark Curtis est détenu dans les prisons de l'Etat d'Iowa depuis trois ans. C'était en 1988 ; Mark Curtis travaillait alors dans une usine d'emballage lorsqu'il fut l'objet d'un coup monté de toutes pièces par la police des Moines (lowa) .Passé à tabac, incarcéré, inculpé et condamné, il a été, depuis, transféré d'un centre pénitentiaire à l'autre en raison de son engagement et de son influence au sein des comités Martin Luther Kinq Jr (organisation de détenus), et de son refus, en dépit de fortes pressions, de reconnaitre sa culpabilité en se soumettant à un traitement pour délinquants sexuels. Bien que l'administration pénitentiaire n'ait rien à lui reprocher quant à son comportement, bien qu'il ait déjà passé en prison six mois de plus que ne l'exige la peine moyenne pour crime sexuel, Mark Curtis s'est vu refuser la liberté conditionnelle qu'il réclame. Sa requête fait l'obiet d'un nouvel examen ce mois. Des comités de soutien se sont constitués aux Etats-Unis et à l'étranger pour réclamer sa libération. Plus forte et large sera la pression solidaire plus grande seront les chances de succès. Envoyez à l'adresse de Mark Curtis Defense Committee, Box 1048, Iowa 50311, une lettre exigeant sa mise en liberté conditionnelle (sur parole) de l'IWOA STATE BOARD OF PAROLE: les membres du comité se chargeront de porter en délégation tous les messages recus. INTERNATIONAL YOUGOSLAVIE I ls sont plusieurs centaines, qui sillonaient ce mois de septembre les routes de Yougoslavie. Plusieurs centaines, venus de différents pays européens, dans une longue caravane de paix, qui ont répondu "présents" sans hésiter à l'appel de mères de soldats et de militantes et militants pacifistes de Croatie, de Serbie, de BosnieHerzégovine, de Slovénie ... Tous n'ont pas forcement la même analyse des racines des violences actuelles qui empruntent de plus en plus les voies nationalistes. Tous ne partagent pas la même vision de l'avenir, la même conception de ce que pourrait devenir l'actuelle fédération yougoslave. Mais tous ont, rivée au coeur, la même certitude : le sang doit cesser de couler, la raison doit enfin l'emporter sur la haine, de part et d'autre. Comme le confirme Roland Mérieux, secrétaire national du MRAP chargé des questions internationales, et qui participait à cette caravane, le retour à la paix ne s'annonce hélas guerre facile, tant les combats meurtriers de ces dernières semaines ont semé non seulement la mort, mais aussi des ressentiments profonds et durables, comme autant de nouvelles barrières au dialogue pourtant nécessaire. YOUGOSLAVIE : LA COUPURE NORD/SUD Les cessez-le-feu se succèdent et se ressemblent. Sans suites. Violés sitôt proclamés. Comme si, emportés par une dynamique qui leur échappait désormais, serbes et croates avaient décidé de se livrer une interminable guerre, jusqu'au bout. Les violences nationalistes en Union Soviétique ont pu ne pas surprendre. L'on savait à quel point l'égalité tant proclamée entre les peuples de l'URSS reposait ici sur des occupations réfutées par les peuples, là sur des exploitations de type néocolonial ou encore sur des déportations massives de peuples entiers. La crise écono- 6 mique et culturelle, l'absence de perspectives, l'effondrement des idéologies, la destructuration des pouvoirs ultra-centralisés et la peur de potentats locaux soucieux de maintenir leurs privilèges, prompts à dévoyer des revendications et colères populaires en mouvements nationalistes contre des boucs émissaires ... ont fait le reste. Mais en y ougoslavie, fer de lance du non-alignement, mais aussi référence de la "voie autogestionnaire", décentralisée, où aucune des six républiques fédérées n'était censée confisquer le pouvoir aux autres, comment comprendre un tel déchirement, qui ressemble si dramati1quement à celui qui depuis 1975 ruinait le Liban? Voici plus de dix ans que la Yougoslavie vivait une crise économique grave. La prospérité de l'époque de Tito s'était construite sur un lourd endettement. Il a fallu rembourser les dettes. Inflation massive, chômage, politique d'austérité (appréciée d'ailleurs par les économistes du FMI !). Forte de leurs autonomies relatives, les républiques ont développé des stratégies de sortie de crise différentes. D'autant plus qu'elles s'appuyaient sur des niveaux de développement différents. Quoi de comparable en effet entre le Monténégro au sud à la limite du sous-développement, et la "riche" Slovénie du nord? Modèles économiques différents, modèles politiques aussi. Très vite, la Slovénie et la Croatie proches (autant géographiquement qu'historiquement) de l'Autriche, de l'Allemagne ou de t'Italie qui les encourageaient fortement, optent pour le pluralisme, le pluripartisme, pourtant ce sont bien des ultranationalistes qui prennent le pouvoir. Et les dirigeants serbes, eux, écrasent le mouvement populaire du Kosovo où la population à majorité albanaise et musulmane exprime depuis longtemps sa volonté d'émancipation et son besoin d'autonomie, et dissolvent ses instances élues. ENGRENAGE À LA LIBANAISE? Lorsqu'en juin dernier Slovénie et Croatie votent leurs indépendances, le pire est déjà à craindre. Et les officiers de l'armée fédérale se font les chantres d'une fédération yougoslave unie, se proclament garants d'une Yougoslavie "socialiste" et "autogestionnaire". Ils n'ont pas manqué de le répéter, lors du Congrès de la Ligue Communiste Yougoslave ou à toute autre occasion. La guerre en Slovénie dure relativement peu. En Croatie, elle se poursuit. Perdre un si large accès à la mer, perdre les richesses du sous-sol croate ne représentent guère de perspectives enthousiasmantes. La présence d'une très forte minorité serbe sur le sol croate sert très vite de prétexte à une guerre menée au nom de la défense des frontières contre une grande Croatie qui se constituerait sur des terres serbes ... Les réflexes nationalistes serbes et croates sont flattés. Peu à peu, les serbes évoquent les souvenirs pas si lointains dans les mémoires des massacres de plusieurs centaines de milliers de yougoslaves par les milices croates des Oustachis alliées aux nazis, tandis que les croates dénoncent les tentations hégémoniques grand-serbes. L'engrenage est lancé. Voisins sereins au sein des mêmes villages, serbes et croates se découvrent ennemis. Des milices se constituent. Cercle infernal. Et l'armée dite fédérale pilonne la croatie, tuant, détruisant ce havre aux richesses historiques inestimables. Les médiations européennes jusqu'à présent n'ont guère d'effets. Même les décisions prises aux plus hauts niveaux en Serbie et en Croatie ne sont pas suivies localement par les officiers et les milices. Un espoir ténu demeure pourtant. Il passe incontestablement par ces femmes et ces hommes encore marginaux, et courageux qui osent s'adresser à leurs voisins, quels qu'en soient les risques, pour mettre un terme au massacre. Isabelle Avran INTERNATIO NAL CONFÉRENCE DE PA I X COLONISATION ET NEGOCIATIONS Trente octobre 1991. Parrainée essentiellement par les EtatsUnis, s'ouvre donc à Madrid la première Conférence de Paix entre Israël et les Etats arabes voisins. Date historique s' il en est, quarante-quatre ans après le plan de partage de la Palestine voté par les Nations Unies (l), quarante-trois ans après la naissance de l'un des deux Etats qui devaient émerger de cette terre de Palestine, Israël, et la première guerre israelo-arabe. Moins d' un an après une guerre menée en Irak au nom du Droit, une guerre qui a tué par centaines de milliers, une guerre qui a laissé exsangue un pays et une économie, une guerre qui laisse aujourd'hui près de 200000 enfants dans la détresse, privés de nourriture et de soins tandis que se poursuit l' embargo. Pourtant Israël, puissance occupante des territoires palestiniens, daigne accepter s'associer à la table des négociations mais sous de multiples conditions

que l'O.L.P., qui représente légitimement

le peuple palestinien, soit écartée de la Conférence, que l'édification d'un Etat palestinien indépendant ne soit pas une question abordée ... Alors quel respect du Droit? Quelle Paix, au Moyen-Orient? ETATS-UNIS: LA RANÇON DE LA GLOIRE Grands vainqueurs de la guerre du Golfe, après la lamentable tentative de l'Irak d'envahir le Koweït, de s'approprier ses richesses pétrolières et de se ménager un large accès à la mer, les Etats-Unis ont su marquer des points politiques, économiques, militaires dans cette région du monde si hautement stratégique que s'y accumulent les arsenaux les plus sophistiqués, dangereux pour la paix mondiale elle-même. L'on soupçonne Bagdad de vouloir se doter d'armement nucléaire, et le technicien israëlien Vaanunu a révélé au monde en 1986 ce dont les scientifiques se doutaient déjà: Israël possède (à la Centrale de Dimona, dans le désert du Néguev) un impressionnant arsenal nucléaire. L'Urss elle-même, audelà des traditionnels discours de principe (hélas improductifs dans la région depuis des décennies) sur les droits des peuples à disposer d'eux mêmes, craignait l'explosion et la dégénérescence dans cette région à deux pas de sa frontière, comme l'avait inidqué Edouard Chevardnadzé, alors ministre des Affaires étrangères, lors de sa visite au Caire en février 1988. Vaanunu, lui, croupit en prison, au secret (2). Washington a donc gagné gros . L'équilibre au sein de l'O.P.E.P. s'est reconstruit tel qu'on le souhaitait à Wall Street. Des prix relativement bas du baril sont maintenus, au plus grand bénéfice des consommateurs occidentaux. Les Etats-Unis sont très, très largement rentrés dans leurs frais d'une guerre plutôt coûteuse. Ses protégés et obligés, Koweït et Arabie Saoudite ont financé une guerre et ses intérêts, relayés par les autres partenaires d'une coalition quelque peu hétéroclite. Seuls l'Allemagne et le Japon, qui ont parfaitement compris que cette guerre était aussi menée économiquement contre eux tandis que l'économie américaine, essoufflée -et endettée- cherchait de nouveaux marchés, ont quelque peu traîné les pieds. Washington a repris le commerce des armes , ô combien fleuri ssant au Moyen-Orient, après les démonstrations grandeur nature de cet hiver. Les Etats-Unis, tête de la coalition anti-irakienne, parraineront plus ou moins directement la nouvelle alliance stratégique qui s'organise dans le Golfe et au del à, et dont les Conseillers de la Maison Blanche rêvaient tout haut depuis plus de quinze ans. Pour cela, les Etats-Unis ont besoin de tirer les fruits de la première coalition autour d'eux de pluiseurs pays arabes dans une guerre contre un autre pays arabe. Mais cela nécessite d 'autres gages , que les capitales arabes concernées, dont les régimes n'ont pour certains d' entre eux pas grand chose à envier à la dictature toujours en place à Bagdad, espèrent cyniquement donner en pâture à une opinion publique qui n'a pas toujours massivement apprécié l'engagement dans cette guerre ... "CONCESSIONS" SUR FOND DE CYNISME Au ssi les Etats-Unis exigent-ils d' Israël quelques "concessions" . Entendez: quelques débuts de vagues respects du Droit là où il est bafoué. Tel-Aviv y a aussi intérêt. Son économie s'épuise à supporter un fardeau militaire parmi les plus lourds par tête d' habitant dans le monde. L'arrivée massive de nouveaux immigrants venus d'Urss et immédiatement naturalisés nécessite auss i des fonds importants. Soutenus financièrement à bout de bras par les Etats-Unis, les dirigeants israéliens ont pu s'inquiéter un instant de la décision de report de quatre mois d' une aide supplémentaire ... de JO milliards de dollars. Surtout, Tel Aviv espère un partage des ressources d'eau de la région qui lui soit favorable, ce qui suppose des accords avec ses voisins arabes. Les 7 dirigeants israéliens n'en sont pas à évoquer l'Euphrate, contrairement à ce que prétend la devise gravée sur le fronton de la Knesseth(3). Ils oublient volontiers de mentionner qu'il s détournent des eaux du Wazzani (affluent du Litani au sud-Liban) ou sur des eaux palestiniennes ... Mais ils espèrent bien un accord par exemple sur les eaux du Jourdain. En échange de quoi: "la Paix contre les territoires ?" Ils n'en veulent pas. Alors ? LE PEUPLE PALESTINIEN EXCLU DE LA PAIX? La Syrie, qui dirige en toute quiétude le nord d'un Liban s' installant peu à peu dans la "Pax Syriana", souhaite récupérer le Golan qu' Israël a annexé après 1967. Un accord peut être obtenu à ce sujet. les dirigeants israéliens, en revanche, s'opposent à toute restitution des terres palestiniennes occupées depuis 1967 également et de Jérusalem-est, annexée en violation totale du Droit international. Ils viennent de trouver un nouveau prétexte. La résolution 242 de 1967 ne prévoierait pas le "retrait des territoires occupés", mais "de territoires occcupés". Il fallait le trouver! C'est fait. Washington s' abstient d' imposer une autre "interprétation" de ces résolutions pourtant claires des NationsUnies prises à un moment très précis. Silence de l'ONU. On est habitué. Silence de la France. Plus déconcertant. Et la confiscation des terres palestiniennes (en viron 65 % des terres de Cisjordanie selon le RA TZ (4» se poursuit avec son lot de colonies. L'O.L.P. pourtant, lors du dernier Conseil National Palestinien, a majoritairement voté pour une 'participation palestinienne, quelles qu'en soient les formes, à la Conférence. Un discours majoritaire: choisir la voie du réalisme, ne pas être absent de négociations qui s'adjugent le "droit" de décider du sort et de l'avenir du peuple palestinien, et peser sur ces négociations. Dans les territoires occupés, l'Intifada se pou suit contre l' occupation, la colonisation, la répression. Reste à savoir de quels soutiens bénéficiera enfin l'O.L.P. , pour que se décide une paix juste et donc durable, au Moyen-Orient. Isabelle Avran (1) le 29 novembre 1947 (2) Depuis son enlèvement en Europe par les Services secrets israéliens. Au secret et dans l'isolement qnasi-total, filmé 24 heures sur 24 ... (3) Le Parlement israélien. (4) Mouvement israélien pour les Droits Civiques. APPEL D'ECRIVAINS POUR L. PELTIER Leonard Peltier fut l'un des leaders de l'American Indian Movement. En 1973, il était à VVounded Knee, avec les Indiens Oglala. A l'époque, le FBI n'avait pas réussi à le faire incarcérer. Deux ans plus tard, à la suite d'une fusillade entre Indiens et policiers dans la réserve de Pine Ridge, il était arrêté et condamné pour complicité de meurtre à deux fois la prison à vie, au terme d'un procès entaché de nombreuses irrégularités. II fut d'abord enfermé au pénitencier de Marion, dans l'ilinois, où sont appliquées les méthodes dites de "modification du comportement". Ayant appris qu'on projetait de l'assassiner en prison, il tenta une évasion qui échoua et fut condamné à sept années d'emprisonnement supplémentaires! Depuis cinq ans, il est au pénitencier de Leavenworth, au Kansas. Privé des soins nécessaires, il a perdu l'usage d'un oeil et est menacé de cécité. Une large campagne en sa faveur se développe aux Etats-Unis et requiert la solidarité internationale. La défense des droits des individus et des peuples ne se divise pas. Il faut obtenir la libération de Leonard Peltier. Henri Alleg, Anatole Atlas, Yves Berger, Michel Besnier, Henri-Frédéric Blanc, Danielle Bleitrach, Bernard Clavel, Francis Combes, Didier Daeninckx, Gérard Delteil, Frédéric Fajardie, Pierre Gamarra, Jacques Gaucheron, Jean-Louis Hurst, Albert Jacquard, Bernard Landhy, Denis Langlois, Alain Leduc, Clément Lepidis, Jean-Michel Leterrier, Jean-Louis Uppert, Roger Martin, Claude Mauriac, Rouben Melik, Albert Memmi, Robert Merle, Jean Metellus, Jacques Milhau, Jacques Mondoloni, Louis Oury, Bernard Palmi, Gilles Perrault, Francis Pornon, Claude PujadeRenaud, Gérard de Salys, Valère St Raselsky, Daniel Zimmermann. Les personnes désireuses de joindre leur nom à cette pétition sont priées de contacter Robert PAC. Tél. : (1) 45.25.94.57. CONGRÈS VERS UN CONGRES NOVATEUR Pré-projet d'orientation Le document qui suit est une première ébauche du projet d'orientation qui sera soumis au congrès du Mrap. Il est l'aboutissement d'un premier débat qui a donnè lieu d'une part à une synthèse de quatre contributions (1), à des réponses à un questionnaire adressé aux membres du conseil national et à une discussion de cette instance. Mandatée par le conseil national, la commission préparatoire au congrès (2) a élaboré ce texte qui est un appel à débattre, réfléchir, proposer des solutions. Il devrait susciter les points de vue des adhérents comme des lecteurs de Différences sur l'analyse proposée (première et deuxième parties) et sur la façon de poser des questions (troisième partie). Le projet définitif sera établi par le bureau national (14 décembre) puis par le conseil national (15 février 1992). Envoyez vos textes dûment argumentés au siège du Mrap. Une tribune de discussion est également ouverte dans Différences. Faites parvenir vos textes (courts) par courrier ou par télécopie (48 06 88 01) le plus tôt possible, nos délais de fabrication étant excessivement longs. Merci. (J) Moulaud Aounit, Jean-Jacques Kirkyacharian, Pierre Muzard et Pierre-Marie Danquigny (2) composée de Moulaud Aounit, Jean-Jacques Kirkyacharian, Pierre Muzard, Pierre-Marie Danquigny, Ahmed Khenniche, Cherifa Benabdessabok Le Mrap tiendra son prochain congrès les 10, Il, et 12 avril 1992 à Paris. La montée des périls donne à ce congrès une importance particulière. Nous convions tous les adhérents de notre mouvement et tous les anti-racistes à réfléchir et à formuler des propositions. 8 1-0U EN EST LE MONDE AUJOURD'HUI? Notre but n'est pas d'étudier tout ce qui agite la planète, mais d'analyser les principaux problèmes ayant des répercussions sur le racisme en France. 1.1. Des prolongements nouveaux à des problèmes anciens 1.1.1. Depuis notre dernier congrès, des acquis positifs ont été enregistrés dans la lutte contre l'Apartheid: la Namibie est devenue indépendante, Nelson Mandela a été libéré, et l'Anc autorisée. Cependant, alors que les Etats -unis et l'Europe lèvent partiellement les sanctions économiques, la question de fond (un homme une voix) n'est pas encore règlée. Le gouvernement sud-africain utilise et aggrave des rivalités existant entre les noirs sud-africains pour faire croire que la démocratie, c'est le chaos et que lui seul peut assurer la paix civile. Il convient de ne pas tomber dans ce piège. 1.1.2. La situation au ProcheOrient est devenue plus explosive; la guerre du Golfe (qui a causé des milliers de morts) n'a règlé aucun problème: le régime sanglant de Saddam Hussein est resté en place, les minorités chi'ites et kurdes continuent à être opprimées. Le Koweït est redevenu un Etat féodal. Les revendications légitimes du peuple kurde ne sont prises en compte, ni par les pays concernés, ni part la communauté internationale. Cette guerre a eu des répercussions sur les jeunes "Français" (par nationalité ou par situation) d'origine maghrébine, qui ont vu l'opinion publique française dans sa majorité, prendre parti pour la "pax américana" et continuer à ignorer les souffrances du peuple palestinien ; en effet, l'Intifada qui a montré à ces mêmes jeunes qu'une révolte à mains nues pouvait inquièter un régime puissamment armé continue à être largement ignoré en France. Nous souhaitons que la conférence de Madrid réussisse ; elle ne le pourra sans la participation de l'OLP, la reconnaissance des droits du peuple palestinien, la pression des gouvernements occidentaux pour la mise en place d'une paix juste garantissant le droit à l'existence et à la sécurité d'un Etat israélien et d'un Etat palestinien. 1.1.3. Le déséquilibre économique entre les pays pauvres et les pays riches, loin de se résorber, a été aggravé par les guerres, les profiteurs (intérieurs et extérieurs), le désengagement des pays de l'Est. Ce déséquilibre affame et exaspère les habitants des pays pauvres, les pousse à chercher ailleurs une solution à leur misère et nous rappelle qu'avant de parler d'immigration, il faut parler d'émigration, c'est-à-dire de déracinement. 1.2. De nouveaux problèmes ont surgi : 1.2.1. La remise en cause du communisme dans les pays de l'Est a eu pour conséquence (du point de vue de l'antiracisme) : -le réveil des nationalités muselées par le stalinisme, avec du positif (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, respect des particularités) et du négatif (affrontements interethniques, nationalisme exacerbé); -le triomphe apparent du capitalisme et, par conséquent, la conviction qu'il n'y à pas d'alternative à ce système économique reposant sur la logique du profit, avec, en comll"aire, le dénigrement de tout ce qui, dans l'imaginaire collectif, est lié à l'idéologie communiste: la lutte contre le racisme et le révisionnisme, l'internationalisme, le tiers-mondisme; -l'apparition d'une nouvelle "grande peur" : celle de voir l'Europe mise à feu et à sang et la France "envahie" par des vagues de réfugiés contre lesquelles il faudrait se protéger en dressant un nouveau "mur de la peste". 1.2.2. Dans les pays de la communauté européenne de vieux démons resurgissent; des comportements de type fasciste (chasse aux étrangers applaudie par de larges couches de la population) se manifestent, provoquant aussi, heureusement, l'indignation de ceux qui n'ont pas la mémoire courte. La mise en place de l'espace européen pose de graves questions : serat- il possible de promulguer une législation européenne contre le racisme, d'harmoniser d'une façon positive les législations nationales sur l'entrée des étrangers, le droit au regroupement familial , de concevoir une citoyenneté européenne égale pour tous les résidents (nationaux et étrangers)? Les premières réponses (les accords de Schengen) sont inquiétantes. 1.3. La situation en France: 1.3.1. Tous ces bouleversements renforcent : - la xénophobie populaire: selon les sondages, près d'un Français sur deux se dit raciste. Nos militants savent que ce racisme frappe, au gré des circonstances et des réalités locales, les Antillais, les Asiatiques, les Juifs, les Maghrébins, les Noirs et les Tsiganes; - le racisme idéologique: de pseudo-idéologues, qui ne sont pas tous d'extrème-droite, tentent de réhabiliter le concept de race; le négationnisme s'attaque à la Shoah - le racisme politique : plusieurs dirigeants du Rpr et de l'Udf, par démagogie ou par conviction, tiennent des propos dangeureusement racistes ("odeur, invasion, occupation"); Certains d'entre eux envisagent sereinement des accords avec l'extrème-droite, et nous courons le risque de voir le FN être l'arbitre des prochaines élections régionales. 1.3.2. Les militants du Pcf et du Ps se retrouvent souvent avec les anti-racistes . Pourtant, le gouvernement actuel souffle le chaud et le froid, en prenant d'un côté quelques mesures positives (la suppression de la double peine pour les catégories protégées), en multipliant d'un autre côté les déclarations négatives ("les charters" de Mme Cresson, le "on reste chez soi" de Kofi, CONGRÈS Yamgnane) et les décisions contestables (circulaire sur le droit d'asile, modification dans la délivrance des visas). Pourtant, dans un tract qui nous inquiète, le Pcf affirme que "l'immigration est un problème" et qu'il faut prendre des mesures pour "maîtriser le regroupement familial" . N'est ce pas là autant de concessions à l'opinion publique. 1.3.3. Nous ne nous posons pas en juge; nous savons que le racisme est fonction des conditions économiques et nous n'ignorons pas les difficultés des banlieues qui se heurtent à de nombreux problèmes ; nous disons cependant que, plus que jamais, il faut rester ferme sur les principes (comme l'on fait récemment les maires de douze grandes villes) mais aussi prendre des mesures concrètes pour supprimer les exclusions et les inégalités dans le domaine de l'école, du logement, de l'emploi. 2. OU EN EST LA LUTTE CONTRE LE RACISME? L'antiracisme est-il à la hauteur de la situation? Non: malgré les aspects positifs, la lutte n'est pas suffisante. 2.1. Les aspects positifs. 2.1.1. Le Mrap tel qu'il existe est un outil efficace contre le racisme

nos 200 comités locaux

organisent des fêtes inter-culturelles, des rencontres , des débats, interviennent dans les quartiers, les écoles, aident concrètement les victimes des discriminations raciales, animent des collectifs de défense des droits de l'homme. Au niveau national, la permanence juridique est très utile, le Mrap réagit avec vigueur contre tous les actes ou propos racistes, suscite la réflexion, est souvent l'élément moteur des manifestations ou des actions (le 17 octobre, par exemple). 2.1.2. Cependant le Mrap n'a pas le monopole de la lutte contre le racisme ; d'autres associations poursuivent les mêmes buts; d'autres ont des buts plus larges ou plus spécifiques. De nombreuses associations issues de l'immigration ou représentant 9 des étrangers résidant en France ont vu le jour et sont actives. Des intellectuels qui, malheureusement, se situent souvent à côté des associations (quand ce n'est pas contre elles), agissent aussi par leurs écrits. Il ne faut pas enfin ignorer le potentiel de mobilisation existant chez les jeunes issus de l'immigration qui supportent de moins en .moins, souvent de façon anarchique, et désespérée, les exclusions dont ils sont victimes. 2.2. Les aspects négatifs 2.2.1. Nous ne voulons pas cacher nos propres difficultés : sur le plan des finances, du fonctionnement structurel, des outils de communication, de la manifestation publique de nos idées, le bilan n'est pas satisfaisant et il faudra l'analyser plus complètement. Cependant, nous pensons que la lutte contre le racisme n'est pas à la hauteur pour deux autres raisons primordiales. 2.2.2. Désengagement ou isolement? A de notables exceptions près, les pouvoirs publics, les partis, les syndicats, participent de moins en moins à la lutte contre le racisme; cela reflète, nous semble-t-il, une incapacité à trouver ou à appliquer des remèdes durables aux problèmes de société dont les immigrés sont les révélateurs et les victimes. Les médias, le plus souvent, tronquent ou déforment nos positions ; certes, il existe un antiracisme médiatisé et consensuel, qui se contente de condamner moralement au nom des grands principes ; il est parfaitement inefficace ; il est même néfaste car il a contribué à banaliser notre combat; l'opinion publique, fatiguée des discours moralisateurs, préfère se réfugier dans des stéréotypes simplistes. 2.2.3. Diversité ou division? Beaucoup ne comprennent pas les raisons de la variété des associations antiracistes. Il y a parfois même des rivalités inadmissibles, des jalousies dûes à la volonté d'être "les premiers sur le coup". Ces divergences démobilisent. Certes, des appels à l'union sont faits (l'appel de Dreux, pour notre part, en mai 1990), des actions communes CONGRÈS sont menées, des collectifs se forment pour intervenir sur une question. Mais tout ceci est-il suffisant? 3. QUE FAUT-IL FAIRE? Les analyses qui précèdent sont largement partagées. Mais les solutions proposées sont multiples et divergentes. C'est ici que nous invitons surtout à la réflexion en vous demandant de choisir entre les différentes options, d'en ajouter éventuellement de nouvelles et surtout de justifier ces choix par vos propres expériences. On peut disti nguer les objectifs , les méthodes (ce qui permet d'atteindre ces objectifs) et les moyens (ce qui permet d'appliquer ces méthodes). 3.1. Les orientations Trois possibilités peuvent être envisagées: 3.1.1. Notre orientation, définie dans les statuts, serait bonne : "le Mrap à pour objet de faire disparaître le racisme" ; il n'y aurait pas lieu d'en changer (il fa udrait cependant expliquer pourquoi nous nous appelons "Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples"). 3.1.2. Notre orientation devrait être précisées et restreinte: nous devrions surtout lutter contre les discriminatio ns rac iales en France, en agissant pour une transformation des mentalités, en cernant mieux nos créneaux, en ne voulant pas nous occuper de tout ce qui se passe dans le monde. 3.1.3. Notre orientation devrait être précisée et élargie: il faudrait, soit lutter pour une démocratie sans exclu si ves (ce qui implique que l'on devienne un mouvement plus politique), soit lutter pour la défense des droits de l'homme et pour un meilleur partage des richesses dans le monde, soit donner une dimension plus européenne ou plus internationale à notre action en proposant une structure de concertation. 3.1.4. Pour dire les choses autrement: quelle doit être notre stratégie? Doit-elle être défensive, offensive, ou préventive? Les 10 réponses à ces questions peuvent entraîner de profondes modifications

il faut soigneusement y

réfléchir. 3.2. Les méthodes Une fois la ligne définie, il faut déterminer les méthodes permettant d'atteindre les objectifs . Partant de l'idée qu'un mouvement comme le notre ne peut pas tout faire, on pense généralement qu'il faut choisir des priorités (qui ne s'excluent pas forcement) ne sont pas les mêmes pour tous. A quoi faut-il donner la priorité? 3.2.1. A l'union? Il faudrait ne pas se contenter de l'appeler de ses voeux mais faire des propositions (ce serait le rôle de notre Direction) pour arriver sur des bases idéologiques claires et dans le respect de la diversité à une convergence de toutes les forces qui s'opposent au racisme. 3.2.2. A la médiati sation de notre lutte? Il faudrait faire plus de documents, mieux les populariser, amener les médias à s'intéresser à nous, développer nos ressources audio-visuelles. 3.2.3. A l'action sur le terrain? Il faudrait renforcer les comités locaux, leur donner les moyens de fo nctionner efficacement, mieux former les militan ts, concevoir les instances nationales comme des outils de coordination. 3.2.4. Aux jeunes? Il faudrait les amener à participer à la lutte contre le racisme et à concrètiser leurs généreuses aspirations. 3.2.5. Aux immigrés? Il faudrait aider les principales victimes du racisme à s'organiser et à s'engager dans une lutte structurée et positive en collaboration avec les forces antiracistes de ce pays. 3.2.6. A la réflexion? Il faudrait développer les commisions, les approches théoriques, les colloques. 3.3. Les moyens Il est évident que ces moyens seront différents selon les priorités que l'on se donne; cependant deux idées apparaissent souvent. 3.3.1. Il faudrait améliorer nos finances, obtenir plus de subventions, ajuster nos actions, faire des économies, trouver des ressources nouvelles (lesquelles et comment?). 3.3.2. Nos structures sont lourdes: il faudrait les simplifier et/ou les décentraliser. Plusieurs possibilités sont envisageables, par exemple: -mettre en place les unions régionales prévues dans les statuts et leur donner un pouvoir délibératif -n'avoir qu'un seul organe délibératif (le conseil national) comprenant un représentant par fédération ou par commission et un seul organe exécutif (le bureau national) comprenant un seul responsable général (le porte parole du mouvement) et deux responsables par secteurs -supprimer le bureau national et le remplacer par un secrétariat national élargi comprenant les secrétaires généraux, la présidence, les secrétaires nationaux, les représentants des commissions -créer un secrétariat permanent constitué d'un président, des secrétaires généraux, et du trésorier. 3.3.3. Il faudrait également trouver des sol utions pour la gestion du personnel permanent, l'articulation de Différences avec le mouvement, le fonctionnement de Mrap Solidarité et des commissions. 4. UN GRANDE QUESTION PEUT RÉSUMER NOTRE DÉMARCHE. A quelles conditions un mouvement comme le Mrap indépendant, pluraliste, politique, actif, peut-il réaliser efficacement ses objectifs? C'est de la réponse à cette question, de la réflexion commune dans l'enrichissement mutuel de notre capacité à faire des propositions concrètes et à nous adapter à la dure réalité que dépend l'avenir de la lutte contre le racisme. Le conseil national du MRAP CULTURE LA GUERRE D'ALGÉRIE EN LIVRES • Au sein d' une bibliographie assez riche en France sur la guerre d'indépendance de l'Algérie, peu d'ouvrages sont consacrés au 17 octobre 1961. En 1985 , Michel Lévine publie chez Ramsay Les ratonnades d'octobre . S ' ap pu ya nt sur des ouvrages tels que Vie et travail des Algériens en France, de M. Trebous (Editions du jour, Paris 1974), Ratonnades à Paris de Paulette Péju, paru non signé aux éditions Maspéro en 1961 après la saisie de son livre sur Les Harkis à Paris, Le peuple algérien et la guerre, de P. Kessel et G. Pirelli (Maspéro, 1962), Les crimes politiques de l 'armée française , de Pierre Vidal-Naq uet (Maspéro, 1982), et sur des documents du FLN, de diverses centrales syndicales françaises, sur plusieurs numéros de Vérité-Liberté, il rétablit une chronologie du mois d'octobre 1961 et éclaire des "Points d'histoire"

il s'intéresse au centre de triage

de Vincennes, à la Fédération de France du FLN, à la presse, aux nonrésultats d'une commission d'enquête mort-née. • En 1988, Didier Daeninckx publie chez Gallimard Meurtres pour Mémoire. Un roman policier comme il sait les écrire qui prend corps dans l 'histoire. C'est un certain 17 octobre 1961, sur les grands boulevards parisiens où affluent des milliers de " Français musulmans d'Algérie" que débute son roman. Un homme, hi storien, français , se fa it assassiner. Son fil s, de nombreuses années plus tard, est lui aussi assassiné tandis qu'il fouille les archives d' une grande vi lle de province sur... les années 40 ... • Cette année, l'Association "Au nom de la mémoire" publie Le silence du Fleuve: photos, documents et commentaires d'Anne Tristan souvent amers sur ce 17 octobre et les réactions qu' il a suscitées en France. (cf Différences - nOl2l - 17 octobre) • Pour resituer ce moment capital de l'histoire de la lutte du peuple algérien dans un contexte plus général, on peut lire ou relire avec profit Histoire de la g uerre d'Algérie d' Henri Alleg (Messidor-Temps Actuel, Pari s, 1981 et 1982), Histoire de la guerre d'Algérie, de Bernard Droz et Evelyne Lever (Seui l, Pa ri s, 1982), l 'important ouvrage paru chez Fayard sous la direction de Jean-Pierre Rioux en 1990 : La guerre d'Algérie et les Français. De nombreux historiens y évoquent en détail la guerre d'AI-gélie et "l'opinion publique en métropole", et "la République", et "l'évolution économique et sociale de la France", et "la France dans le monde" et enfin les "séquelles et enjeux de mémoire de la guerre d 'Algérie". • Concernant l'opinion française, on peut lire aussi de Benjamin Stora Nationalistes algériens et révolutionnaires fran çais au temps du front populaire (L ' Harmattan, Paris, 1987) ; un numéro spécial des Cahiers d'Histoire de l'institut de recherches marxistes , intitulé "Communistes algériens, communistes français: Guerre d'Algérie" (N°8 1982) qui reproduit certains documents ou extraits de documents; le travail du psychanalyste Bernard W. Sigg Le silence et la honte: névroses de la gue rre d 'Algérie (Messidor, Paris, 1989; préface de Daniel Zimmerman), écrit sur la base de témoignages, recueillis auprès d'anciens appelés en Algérie; et l ' inévitable ouvrage de Léon Hamon et Patrick Rotman Les porteurs de valises: la résistance française à la guerre d'Algérte, Albin Michel, 1979, puis rééd ité -de façon plus complète "grâce à un abondant courrier" mais cependant avec encore quelques erreurs de détails- dans la co ll ection Points-Histoire , en 1982, avec cette citation de Francis Jeanson: "Notre guerre n'était pas toute blanche, mais la vôtre, de quelle couleur étaitelle?" • Sur le FLN en France, lire, d'Ali Haroun : La 7 Willaya, la guerre du FLN en France 1954-1962, Le Seuil , Paris, 1986, qui consacre un chapitre à "octobre à Paris" et mentionne de nombreux documents. • Enfin, plusieurs ouvrages doivent paraître dans les semaines ou les mois qui viennent: de Jean-Louis Hurst : Le déserteur, interdit en 1960 après sa sortie aux éditions de Minuit et prévu chez Manya ; Algéries, de retour en retour, de Francis Jeanson, ou les regards d'un ancien porteur de valise (auteur avec son épouse Colette de L 'Algérie hors la loi au Seuil en 1955) sur l'Algérie de la libération à nos jours ; Guerre d'Algérie, la fabrication de l'oubli, de Benjamin Stora, à paraître aux éditions de la découverte. • Et enfin un important ouvrage de Jean-Luc Einaudi (lire interview page suivante). Isabelle A vran ANTIRACISME: QUEL AVENIR? exacerbe les différences, les érige en absolu et permet de prêcher l'exclusion au nom de valeurs conune la tolérance, le respect de l'autre et le droit à la différence (cf. le racisme anti-français de Le Pen). dont bon nombre d'arguments -naturellement sans référence- sont repris dans son ouvrage? Les analyses de l'écrivain Pierre-André Taguieff sur l'antiracisme ne laissent pas indifférent. Bien que ses attaques soient généralement jugées comme sévères voire ignorantes de la réalité du terrain, eUes stimulent la réflexion. Point de vue de Xavier Schapira. P.A. Taguieff reproche aux mouvements antiracistes leur inefficacité: ils n' ont pas arrêté la montée du Front national et ils ont même contribué à l'expansion du mouvement en participant à la construction de l'image d'un Le Pen victime d'une "chasse aux sorciéres", mythe habilement exploité par la propagande frontiste dans le cadre de la théolie d'un complot "politico-médiatique'·. Selon Taguieff, les organisations antiracistes n'ont utilisé dans leur lutte que des slogans éculés. des poncifs, des clichés. incapables qu 'Ielles sont de proposer des analyses scientifiques; elles se sont bornées à des condamnations morales, à des dénonciations édifiantes ou diabolisantes "dans un jargon de bois freudo-édifiant ou lacano-moralisateur, sur fond de pieux appels à plus de mémoire" (1 ). Bien plus -et c'est là un reproche fondamental- "les antiracistes et les racistes! pmtagent, comme malgré eux, ce/taines représentations, certaines l'aleurs et certaines /lormes" "rendant indéterminable la frontiére entre "racisme" et "antiracisme'· ... " Selon l 'auteur, les antiracistes n'ont pas compris qu'il ne s'agissait plus de lutter contre un racisme qui hiérarchise les races, mais contre un racisme qui P.A. Taguieff propose des remèdes: pour lutter contre le racisme, il faut partir de l'apport des sciences sociales, analyser les formes, les origines, les conditions d'apparition du racisme, tout en ne méconnaissant pas les limites de la guerre des idées puisqu" 'il faut accepter l'existence d'un noyau dur des convictions idéologiques qui resiste à toute argumentation". Que valent les arguments de P.A. Taguieff? Les militants et adhérents du MRAP ne peuvent qu' être choqués par le dédain dans lequel l'auteur tient ceux qui malgré tout luttent -on veut tout de même le croire- dans le même sens que lui. Ainsi les organisations antiracistes sont-elles très durement mises en cause sans qu'il renvoie à leurs textes. P.A. Taguieff, chercheur au CNRS sait bien que la plus élémentaire démarche scientifique exige que l'on donne au lecteur la possibilité de se référer aux textes que l'on critique. Or, par exemple, les publications du MRAP ne sont jamais citées : pas une ligne de Différences. pas la moindre mention d'un communiqué du MRAP! Il y a là un ma.nque évident de fair-play. Ces graves entorses à la ligueur scientifique -que réclame par ailleurs à grand cri notre auteur- ne peuvent que rendre méfiant le lecteur. Et si cette absence d'appareil critique n'avait comme but que de masquer les insuffisances de la démonstration? En effet, P.A. Taguieff ignore -ou fait semblant d'ignorer- que le MRAP ne s'est pas borné à propager des slogans eculés. Connait-il la brochure "La vérité sur les immigrés en France" 11 Ne sait-il pas que le MRAP a pris en compte ses critiques (et en le citant!) sur une certaine ambiguïté de la notion de "différence"? (2). Ne sait-il pas que de Congrès en Conférence nationale, le MRAP se cherche, modifie ses positions, fait constamment appel à la réflexion? (3) Pour conclure, soyons beaux joueurs. Si P.A. Taguieff nous ignore, ne l'ignorons pas! Tous ceux qui s'intéressent à la lutte a.ntiraciste et qui ne sont pas forcément" plongés dans III! insondable ennui"' (4) trouveront dans ses ouvrages des outils pour la réflexion et l'action. Xavier SHAPIRA Fédération MRAP du Tarn (1) Face au racisme. 1. Les moyens d'agir. 2. Analyses, hypothèses et perspectives, 2 tomes, La Découverte, 1991. Lire aussi: Laforce du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, La Découverte, 1988 (2) Cherifa Benabdessadok, "Qu'est-ce-que l'antiracisme aujourd'hui ?" in Différences, nO 107, sept 1990, p. 4 (3) Pour ne citer qu'un exemple: Mouloud Aounit in Différences nO 112/113, p.6 : " ... l'offensive pour juguler et renverser la tendance (la montée du racisme) passe nécessairement par une analyse approfondie de la situation présente ... analyse indispensable pour dégager et développer une action en profondeur en prise avec la réalité ... .. (4) Face au racisme, t.I, p.I4 SPÉCIAL 17 OCTOBRE 1961 ENTRETIEN DE L'AMNISTIE À L'AMNÉSIE Jean-Luc Einaudi mène de front un travail d'écrivain (1) et d'éducateur auprès de jeunes en difficulté, Il vient de publier lA Bataille de Paris, 17 octobre 1961 (2),11 a animé A Albi un débat organisé par le comité local du MRAP à la suite de la projection du mm de Panlgel, longtemps interdit, Octobre à Paris. Entretien al-CC EinaudI. • Comment expliquez·vous qu'octobre 1961 ait pu à ce ,willt rester iglloré de la grande majorité des Frauçais ? • 1.L. E. Même si au gouver nemenl de l'époque des hommes tels que R. Bwon ou P. Sudreau demandèrent une enquête, on peut considérer qu 'on a eu affai· re à une volonté délibérée de l'exécutif d'étouffer la vérité. Qu'il s'agisse du président de la République, Charles de Gaulle, de son Premier ministre, M. Debré ou des ministres R. Frey et B. Chenot, chacun s'employa à masquer la réalité de celle OOu· cherie. En face, les efforts de Gaston Defe rre. de Claude Bourdet ou de Claudius-Petit pour obtenir une commiss ion d'enquête parlementaire achopperont sur ce qu'il est convenu d'appeler la "raÜOII d'Etat". Enfin, un dernier acte -dont le rÔle es t central- doit être nommé: c'est le prefet de {XIlice Maurice Papon, qui est le haut responsable le plus impliqué directement par le déroulement BERNARD SIGG interroge l'inconscient. BERNARD StOO, psychanaliste, auteur du Silence et la hallte, insiste: il n'y a pas de pene de mémoire de la part de ceux qui Oll! vécu la guerre d'Algérie. Concernant le 17 octobre 1961 il su ffit de lire la presse de l'époque pour s'apercevoir que l'on ne pouvait qu'être au courant. Pour lui, il n'y a pas non plus de refoulement du souvenir. En revanche, lorsqu'il a commencé son enquête. la recherche de témoins s'est avérée laborieuse

ce n'est qu'après la publication

de son livre qu'ils se sont manifestés, comme s'ils s'étaient aperçus qu 'ils n'é ta ie nt pas seuls ... Alors? Après coup. à une sorte de silence complet à succédé un mutisde la tuerie. Dans cette perspec· tive, il faut rappeler également le rÔle de la censure: saisie de journaux et interdiction du film de Paniget. Octobre à Paris . Ce dispositif pu is l' amnistie aooutiront à l'un des corollaires obligés de ce type d'amnistie : l'amnésie. • Ce carnage est-il assimilable li 1111 crime contre l'Il11l11allité? VII recours juridique est·iI envisageable? • J.L. E. : Effectivement, ce jour-là, on s'est livré à une chasse à l'homme systématique contre des gens. en rai son de leur apparence physique. Quant à savoir si une telle démarche pourrait aboutir, je ne le crois malheureusement pas car la loi d'amnist ie est immédiatement évoquée. • Le massacre d'octobre 196/ n'est-il pas symbolique d'/Ille cerwille histoire tragique (ie ce qui del'iendra {'immigratiOIl maghrébine en France, tragique me paniel : aux niveaux indivi· duel. collectif. étatique. Il évoque. de la part de nos compatriotes, un mélange de honte et de culpabilité. Et l'absence de parole aUII niveaux collectif et de l'Etat n'incite pas à parler. 11 note à quelle {XIint "tolites les structures sociales françaises om refusé de ~'oir la réalité de la guerre d'Algérie (. .. J. Depllis 100Igtemps, existe 1111 mélallge de culpabilité et de racisme l'ÎS à l'is dll Maghreb. Ce /l'est SOIIS doute plIS lin hasard si lA chanSOli de Rolalld, écrite au MoyenAge, n'a suscité réellement d'j,,· térêt qu'à panir du XIX- sitcle. le siècle de la conquête coloniale. ·' 1/ souligne "la méconllaÎSsance lie la culfl/re arabe. l'ab sellce de SOli enseignemelll en Frcmce", même en ce qu'elle est constitutive de la culture française. "II Il 'existe pas de reconnais· salIce à l'égard de ceux ellvers qui 1'011 a des delles (. .. J. La 12 car marquée d~s l'origille par le rejet et la l'iolence ? • 1.L. E. : Il faut rappeler un autre massacre: le 14 juillet 1953, lors d'une manifestation du MTLD de Messali Hadj, la police ouvrit le feu après la dispersion

il y eut sept morts dont

six Algériens et un Français. A l'époque, Jean Bellot était préfet de police et le secrétaire général de la pré fecture était Maurice Papon. Si le 17 octobre est le massacre le plus important, on peUl considérer qu'il n'a été que la répétition de pratiques courantes devenues systématiques à partir de septembre 1961. • Vous éI'OQ//el l'actiDlI de fui· cutif mais est-il seul responsoble de l'occultation? • 1.L. E. On peut citer égaiement la responsabilité de larges secteurs de la population fran çaise qui ignoraient ou ne voulaient pas connaître tant l'existence des travailleurs algériens que les violences dont ils étaient victimes. Honnis quelques individualités, il faut relever l'inaction des {XIlitiques : un seul parti organisera une man ifestation, c'est le PSU. Quant aux syndi. cats CGT-CFTC-FO, s' ils publièrent un communiqué dénonçant le massacre, ils en restèrent là. Ccci dit. il faut rappeler qu'à l'époque. régnait un grand climat de terreur et que toutes les manifestations étaient interdites. En résumé, je dirais qu'il s'est produit une con jonchonte et la culpllbilité indil'i· duelles, nées après les exâs individuels" se nouri sse nt en quelque sorte de ce "cOIltelltieux" et de ce silence collectifs. Au niveau de l'Etat, remarque Bernard Sigg, la conquête comme la guerre sont tout oon· nement niées. \1 est significatif, dit-il. que le tenne "guerre" soit absent des cartes d'anciens combattants de la guerre d'Algérie. Comment expliquer que des individus aient pu se tranfonner en tortionnaires? Comment expliquer des comportements pas si lointains de ceux de soldats allemands, voire de SS, dans la France occupée -ou ailleurs- où étaient nés et dans laquelle avaient passé leur enfance la plupart des appelés en Algérie? Ils ont accepté les ordres, explique Bernard Sigg qui. si lui même a été déserteur, assure cependant que "seul. 11/1 sujet /l'est pas pills fort que la tion entre une volonté délibérée de l'exécutif {XIur faire le silence et une indifférence voire une hostilité de l'opinion française le tout aboutissant à une forme d'amnésie. Enfin, il faut bien souligner la confusion qu'induira l'assassinat, par les mêmes policiers parisiens, de huit militants au métro Charonne. un assassinat dont seront victimes des" Français métTO{XIlitains ,. comme on di sait à l'époque. L'impact sur l'opinion publique fut de toute évidence plus important. Quand Valéry Giscard d'Estaing parle d"'invasion" à propos des immigrés, cela évoque chez moi la pensée de Primo Levi qui stigmatise les dan gers contenus dans une conception. fort répandue, par laquelle l'étranger est d'emblée co nsidé ré comme ·'ennemï'. Erigée en système de pensée, cette conception débouche un jour ou l' autre sur les camps et les pratiques totalitaires. Ce livre a l' ambition de démontrer à quoi peuvent aooutir les conceptions contenues dans le d iscours actuel de l'ancien président de la République. Propos recueillis par Abdel AiSsou. (1) 1\ esl nO/.lOm_ nl l'.uttur d~ POlir t'u, ... pt, ." t'AU";"" Ynf"" 'f d, Ls F,"", A ... ,...."'. "·"qllht , .. r .. " en"'" d, tort .. " ~,,,IIJ1" III X"'" ' dMXirit. C~. deux ouvraltS MIni pUbU~5 chu L ' lbrmMI/.IOn. (1) t::d. du Seuil. collectivité' qu'il "fallt al'oir du courage pour s'opposer a/IX l'ents dominants." Au-delà de toute éthique individuelle. il évoque le poids des "pulsions". des "pulsions de morl". Animant aujourd'hui un travail comparatif su r les effets des trois "sales gl/erres" (Algérie, Vietnam. Afghanistan), il rappelle que 50000 soldats américains sont mons au Vietnam. 63000 se sont suicidés ( 1), mais on ne connait toujours pas les chiffres concernant les soldats français. Mais il est clair que la faute continue à peser sur les individus. Les séquelles des traumatismes prouvent trop crûment que ce n'cst pas tenniné. "L'on parle du passé s'il est enfermé dalls une tOmbe, dit-il. Difficilement s'il est enco re vÎl'{J/lt. " Propos recueillis par Isabelle Avran

Notes

<references />

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